Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

T-944-79
Le procureur général du Canada (Demandeur)
c.
La Commission canadienne des droits de la per- sonne (Défenderesse)
Division de première instance, le juge Addy— Ottawa, le 22 mars 1979.
Pratique Requête en radiation des plaidoiries Parties Demande d'ordonnance déclarant nulles la déclaration et l'action du demandeur ou, subsidiairement, radiant cette déclaration La Loi établissant la Commission canadienne des droits de la personne n'en fait pas une corporation et l'on n'y trouve aucune disposition prévoyant que la Commission peut ester ou être poursuivie en justice Il échet d'examiner si la Commission est susceptible de poursuite judiciaire Loi canadienne sur les droits de la personne, S.C. 1976-77, c. 33, art. 26(2), 28(1), 29(1),(2) Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2 e Supp.), c. 10, art. 18 Règle 419(1) des Règles de la Cour fédérale.
Arrêts suivis: Hollinger Bus Lines Ltd. c. Ontario Labour Relations Board [1952] 3 D.L.R. 162; Burnell c. La Commission mixte internationale [1977] 1 C.F. 269; «Bu c. Le ministère de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration [1975] C.F. 602.
REQUÊTE. AVOCATS:
Duff Friesen et Leslie Holland pour le demandeur.
Gordon F. Henderson, c.r., E. S. Binavince et R. Juriansz pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour le demandeur.
Gowling & Henderson, Ottawa, pour la défenderesse.
Voici les motifs de l'ordonnance rendus en fran- çais par
LE JUGE ADDY: Sur présentation par la défen- deresse d'une demande pour une ordonnance
a) déclarant nulles la déclaration du demandeur et l'action intentée par ce dernier;
b) ou, subsidiairement, radiant la déclaration et rejetant cette action, conformément à la Règle 419(1) des Règles de cette Cour, aux motifs que:
(i) la déclaration ne révèle aucune cause raison- nable d'action;
(ii) la déclaration est scandaleuse, futile ou vexatoire;
(iii) la déclaration constitue par ailleurs un emploi abusif des procédures de la Cour.
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
La Commission canadienne des droits de la personne constituée en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne, S.C. 1976-77, c. 33, est sans aucun doute un «office, commission ou autre tribunal fédéral» telle que cette expression est définie à l'article 2 de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10.
Cependant, l'une des principales questions soule- vées est de savoir si la Commission est une per- sonne morale qui peut être poursuivie en justice.
Aucune disposition de cette Loi ne constitue la Commission en corporation ou ne fait d'elle une personne morale, et l'on n'y trouve aucune disposi tion portant que la Commission peut ester ou être poursuivie en justice.
L'avocat du demandeur fait valoir que la Com mission est une personne morale qui peut être poursuivie en justice, étant donné que l'article 26(2) permet à cette dernière d'engager à contrat, pour des fins bien précises, des experts dans tous les domaines, et aussi de fixer leur rémunération tel que le prévoit son règlement.
Le fait qu'elle puisse engager du personnel, pour des fins très précises, et fixer leur rémunération n'a pas pour effet de lui attribuer le statut de personne morale. Elle n'est pas plus susceptible de poursui- tes pour cela qu'un ministère ou une direction du gouvernement. Dans tout litige dérivant de tels contrats de louage de services, c'est le procureur général qui doit être poursuivi ou qui peut entamer des poursuites.
On fait valoir également que l'article 28(1) et l'article 29 rendent la Commission susceptible de poursuites. L'article 28 (1) mentionne simplement que le siège de la Commission est situé dans la région de la Capitale nationale. Bien que l'expres- sion «siège» soit souvent utilisée pour décrire le principal établissement d'une corporation, elle
n'est ici d'aucun secours: les bureaux régionaux, les services ou l'entreprise d'une corporation sont souvent désignés comme ayant leur siège social à un endroit précis. Cette expression ne désigne que le principal établissement la corporation exploite son entreprise. Quant à l'article 29(1), il mentionne que la Commission peut, par règlement, régir son activité et notamment prévoir la convoca tion et le déroulement de ses assemblées ainsi que la fixation de leur quorum, la délégation de pou- voirs aux comités, les indemnités â verser aux membres des tribunaux des droits de la personne et d'autres affaires administratives. Cependant, l'ar- ticle 29(2) prévoit effectivement que tout règle- ment relatif aux dépenses demeure sans effet s'il n'a pas été ratifié par le Conseil du Trésor.
Bien que les modalités relatives à l'exercice des pouvoirs d'une corporation ainsi que les règles touchant son administration et ses finances se retrouvent dans ses règlements, l'expression «règle- ments» est également employée pour décrire les règles permanentes régissant les organismes non constitués en corporation, tels que les clubs ou associations, les sociétés, etc. Dans sa définition générale de cette expression, Towitt la décrit comme suit:
[TRADUCTION] Les règles que peut adopter un organisme (dépendant du pouvoir législatif) en vue de la réglementation, de l'administration ou de la gestion d'une région, d'un bien, d'une entreprise, etc., auxquelles sont assujetties toutes les personnes tombant sous leur empire. [C'est moi qui souligne.]
Je ne vois rien dans la Loi qui fasse de la Commission canadienne des droits de la personne une personne morale ou qui la rende susceptible d'être poursuivie. Notons que plusieurs autres textes de loi créant des organismes publics, des conseils ou des commissions contiennent des dispo sitions spéciales assujettissant ces organismes au pouvoir de contrôle des tribunaux par la voie d'une action ordinaire. Vu l'absence de dispositions sem- blables dans la Loi présentement en cause, on ne peut que conclure que le Parlement ne voulait pas que la Commission canadienne des droits de la personne puisse, en tant que partie à une action, faire l'objet de poursuites. Les affaires Hollinger Bus Lines Ltd. c. Ontario Labour Relations Board [1952] 3 D.L.R. 162 et Burnell c. La Commission mixte internationale [1977] 1 C.F. 269 font état de conclusions semblables.
Le demandeur fait valoir en dernier lieu que cette Cour a compétence en vertu de l'article 18 de la Loi sur la Courfédérale, pour connaître d'une action intentée contre la défenderesse puisque le redressement est sollicité par voie de jugement déclaratoire. L'article 18a) se lit comme suit:
18. La Division de première instance a compétence exclusive en première instance
a) pour émettre une injonction, un bref de certiorari, un bref de mandamus, un bref de prohibition ou un bref de quo warranto, ou pour rendre un jugement déclaratoire, contre tout office, toute commission ou tout autre tribunal fédéral; et
Il soutient que bien que cet article ne rende pas la Commission susceptible d'être ainsi poursuivie par un simple citoyen, il donne néanmoins au procureur général le droit de poursuivre la Com mission et de demander un jugement déclaratoire, lorsqu'elle paraît avoir outrepassé sa compétence, comme c'est le cas en l'espèce.
Je n'ai jamais entendu parler d'un cas une personne morale pourrait être poursuivie à la demande d'une partie, alors qu'elle ne pourrait l'être par d'autres. La question de savoir si un organisme peut être poursuivi ne dépend pas de l'identité de la personne qui lui intente l'action, sauf évidemment le cas il existe un texte de loi exprès à cet effet, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.
Dans l'affaire «B» c. Le ministère de la Main- d'oeuvre et de l'Immigration [1975] C.F. 602, j'ai traité en détail des répercussions générales de la compétence exclusive attribuée à la Cour fédérale par l'article 18. J'y ai d'ailleurs déclaré, aux pages 618 et 619 du recueil, ce qui suit:
... je ne peux pas souscrire à la thèse selon laquelle, en utilisant les mots atout office, etc.» dans une loi comme celle-ci qui définit la compétence d'une cour, le législateur voulait aussi apporter des modifications substantielles et profondes au droit de telle manière que tous les types de redressements mentionnés soient applicables, en tant que tels, à tout office fédéral, etc., sans tenir compte de leurs fonctions respectives. La Cour fédérale est compétente en ce qui concerne tout office ou tribunal fédéral et peut accorder le redressement mentionné contre lesdits offices, etc., dans la mesure ils sont soumis au contrôle, compte tenu de la nature fondamentale du redresse- ment demandé et du caractère et de la fonction de l'office contre lequel on le demande.
Après avoir entendu l'argumentation de l'avo- cat, je ne vois pas pourquoi je changerais d'avis à cet égard.
Finalement, bien que la question ne soit pas régie par la Règle 419, il est de droit constant qu'une cour peut, lorsqu'une action est intentée contre une personne qui ne peut être poursuivie, rejeter cette action et ce, même en l'absence de dispositions législatives l'autorisant à ce faire. Étant donné que les deux parties tirent leurs fonds à même les deniers publics, il n'y aura aucune adjudication de dépens.
ORDONNANCE
La requête est accueillie et un jugement rejetant l'action sans adjudication de dépens sera rendu.
 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.