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T-2316-78
Thomas W. Wilcox (Demandeur)
c.
Société Radio-Canada (Défenderesse)
Division de première instance, le juge en chef adjoint Thurlow—Halifax, le 27 avril; Ottawa, le 17 mai 1979.
Compétence Brefs de prérogative Jugement déclara- toire Fonction publique Pensions de retraite Contrat de travail Le demandeur soutient que l'une des conditions du contrat de travail était que la défenderesse prenne les mesures utiles pour le transfert de ses années de service antérieur au régime de pensions de la Société Radio-Canada et conclut à un jugement déclarant qu'il y a droit Il a également conclu aux dommages-intérêts Il échet d'exami- ner si la demande de dommages-intérêts est du ressort de la Cour Il échet d'examiner si, par application de l'art. 18, la Cour a compétence pour rendre un jugement déclaratoire Il échet d'examiner si la défenderesse est un «office, commission ou autre tribunal fédéral, Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2' Supp.), c. 10, art. 2, 18 Loi sur la radiodiffusion, S.R.C. 1970, c. B-11, art. 38(3), 40(1).
Arrêt approuvé: Canada Metal Co. Ltd. c. Canadian
Broadcasting Corp. (N" 2) (1975) 65 D.L.R. (3') 231.
DEMANDE. AVOCATS:
A. L. Caldwell, c.r. et M. H. Robertson pour
le demandeur.
A. R. Pringle pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Walker, Dunlop, Halifax, pour le demandeur. Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE EN CHEF ADJOINT THURLOW: Dans la présente action, le demandeur, employé de la défenderesse pendant les quinze dernières années, requiert une décision judiciaire établissant que, pour le calcul de sa pension de retraite, il est en droit de faire entrer en compte dix-sept années de service dans la Gendarmerie royale du Canada antérieurement à son engagement par la défende- resse.
La demande est basée sur le contrat de travail. Le demandeur soutient que l'une des conditions du
contrat était que la défenderesse prenne les mesu- res utiles pour le transfert de ses années de service dans la G.R.C. au régime de pensions de la Société Radio-Canada.
La demande initialement formulée concluait également à des dommages-intérêts pour violation de contrat en raison du défaut de transfert, mais cette partie de la demande a été abandonnée par l'avocat à l'audience.
La défense, assurée par le sous-procureur géné- ral du Canada comme si l'action avait été dirigée contre la Couronne, n'a pas soulevé la question de la compétence de la Cour, mais cette question a été débattue par les avocats lors des plaidoiries, à la demande de la Cour. Le demandeur soutenait que la défenderesse était un «office, commission ou autre tribunal fédéral» au sens de l'article 2 de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2° Supp.), c. 10, et que la présente Cour avait compétence exclusive en vertu de l'article 18 pour rendre le jugement déclaratoire demandé. Aucun autre arti cle de la Loi n'a été invoqué.
Dans son plaidoyer, l'avocat de la défenderesse a déclaré qu'il avait cru avoir affaire à une action en dommages-intérêts et que, dès lors, il n'avait aucune objection sérieuse relativement à la juridic- tion, mais qu'il n'était pas disposé à reconnaître que la Cour avait compétence en vertu de l'article 18 ni que la défenderesse était un «office, commis sion ou autre tribunal fédéral» au sens de l'article 2.
Étant donné la position adoptée par l'avocat du demandeur relativement à la nature de l'action, il est inutile de voir quelle serait la situation si nous étions en présence d'une demande en dommages- intérêts. Cependant, même dans cette hypothèse, à mon sens, l'affaire ne serait pas du ressort de la Cour. La Couronne peut être poursuivie devant cette Cour en violation de son propre contrat conclu en son nom soit par ses Ministres ou fonc- tionnaires, soit par un mandataire, mais la pré- sente action n'a pas été intentée contre la Cou- ronne, et il n'est même pas allégué que le contrat de travail du demandeur était un contrat passé avec la Couronne. Aux termes du paragraphe 40(1) de la Loi sur la radiodiffusion, S.R.C. 1970,
c. B-11, la défenderesse est, sous réserve des dispo sitions du paragraphe 38(3), toutes les fins de la Loi, un mandataire de la Couronne et elle exerce ses pouvoirs uniquement comme mandataire de la Couronne. Mais il me semble résulter de l'excep- tion du paragraphe 38(3), suivant laquelle les employés dont l'emploi est régi par le paragraphe 38(2) ne sont pas des employés de la Couronne, que le contrat de travail du demandeur est un contrat passé avec la défenderesse au nom de celle-ci et non pas au nom de la Couronne.
Pour soutenir que la Cour était compétente en vertu de l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale, l'avocat du demandeur s'est fondé essentiellement sur l'arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario dans l'affaire La ville de Hamilton c. Hamilton Har bour Commissioners'. Tout en reconnaissant que l'arrêt de la même Cour, sinon des mêmes juges, dans l'affaire Canada Metal Co. Ltd. c. Canadian Broadcasting Corp. (N" 2) 2 était en opposition avec sa thèse, il a soutenu que les commentaires de la Cour sur la question, dans cette affaire, étaient obiter dicta.
Dans ce dernier arrêt, l'affaire Hamilton a été évoquée, et distinguée dans le passage ci-après du jugement du juge MacKinnon (tel était alors son titre) aux pages 234 et 235:
[TRADUCTION] M. Laskin a soutenu que l'art. 18 de la Loi sur la Cour fédérale, 1970-7I-72 (Can.), c. 1 [voir à présent S.R.C. 1970, c. 10, (2° Supp.)], donne nettement à la Division de première instance de la Cour fédérale compétence exclusive pour »émettre une injonction ... contre tout office, toute com mission ou tout autre tribunal fédéral». Il s'est alors penché sur la définition des termes office, commission ou autre tribunal fédéral formulée à l'art. 2 de la Loi sur la Cour fédérale, dans ces termes:
... un organisme ou une ou plusieurs personnes ayant, exerçant ou prétendant exercer une compétence ou des pou- voirs conférés par une loi du Parlement du Canada ou sous le régime d'une telle loi, à l'exclusion des organismes de ce genre constitués ou établis par une loi d'une province ou sous le régime d'une telle loi ainsi que des personnes nommées en vertu ou en conformité du droit d'une province ou en vertu de l'article 96 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867;
Il a soutenu que la Société Radio-Canada est un organisme exerçant des pouvoirs conférés par une Loi du Parlement et que par conséquent, en vertu de l'art. 18, seule la Cour fédérale avait pouvoir de prononcer une injonction. Il s'est appuyé sur l'arrêt récent de cette Cour dans La ville de Hamilton c. Hamilton Harbour Com'rs, [1972] 3 O.R. 61, 27 D.L.R. (3 0 )
' [1972] 3 O.R. 61, (1972) 27 D.L.R. (30) 385. 2 (1975) 65 D.L.R. (3 0 ) 231.
385. Dans cette affaire la Cour, après avoir cité l'article interprétatif ci-dessus, a jugé que les commissaires du port de Hamilton constituaient un tribunal fédéral et que, par consé- quent, la Cour suprême de l'Ontario n'était pas compétente pour rendre le jugement déclaratoire sollicité contre eux. Les dispositions législatives qui régissent les commissaires du port de Hamilton précisent clairement qu'ils ont des pouvoirs éten- dus de réglementation administrative tels que l'octroi de licen ces et la réglementation de l'utilisation du port par d'autres personnes, ainsi que le pouvoir d'imposer des amendes aux personnes qui contreviennent à la loi qui les régit ou à leurs règlements. A mon avis, voilà quelque chose de tout à fait différent de la Société Radio-Canada, qui est une corporation se livrant à une entreprise de radiodiffusion dans le pays et n'ayant aucun des attributs d'un office, d'une commission ou d'un tribunal. En vérité la Société Radio-Canada est elle-même sous licence et réglementée par le Conseil de la Radio-Télévi- sion canadienne et l'argument serait plus persuasif s'il visait une tentative d'une Cour provinciale supérieure de s'arroger compétence à l'égard du C.R.T.C. relativement à une question d'injonction. On notera par ailleurs que l'art. 40(4) de la Loi sur la radiodiffusion, S.R.C. 1970, c. B-11, permet d'intenter toutes procédures judiciaires contre la Société Radio-Canada devant tout tribunal qui serait compétent si la société n'était pas mandataire de Sa Majesté.
Quoi qu'en dise l'avocat, je ne pense pas que cet argument puisse être considéré comme obiter dicta. Il me paraît s'inscrire dans le raisonnement qui a amené la Cour à conclure que l'injonction accordée par la Haute Cour devrait être confir- mée. De toute façon, il est pertinent et donne du poids à la thèse suivant laquelle la défenderesse n'est pas, au moins pour ses activités de radiodiffu- sion, un office, une commission ou autre tribunal fédéral au sens de l'article 2 et de l'article 18.
Si je ne vois aucune raison de douter que les pouvoirs visés dans la définition de «office, com mission ou autre tribunal fédéral» à l'article 2 ne sont pas limités aux pouvoirs dont la loi exige qu'ils soient exercés sur une base judiciaire ou quasi judiciaire, il me semble, d'autre part, que l'expression «une compétence ou des pouvoirs» se réfère à une compétence ou à des pouvoirs de caractère public au sujet desquels les brefs de prérogative, l'injonction et le jugement déclara- toire auraient été autrefois des moyens appropriés d'invoquer le droit de regard des cours supérieures. Je ne pense pas que cela comprenne les pouvoirs qu'une corporation ordinaire constituée en vertu d'une loi fédérale peut exercer à titre privé, et qui ne sont que des accessoires de sa personnalité juridique ou de l'entreprise qu'elle est autorisée à exploiter. Des résultats absurdes et très embarras-
sants découleraient d'une telle interprétation, et il ne me semble pas que telle ait été l'intention du législateur ni qu'il soit nécessaire d'interpréter ainsi l'expression dans le contexte dans lequel elle est utilisée.
Il me semble également que si les pouvoirs de la défenderesse résultant de la Loi sur la radiodiffu- sion qui ont pour objet ses activités de radiodiffu- sion ne sont pas des pouvoirs visés par la définition, on serait encore moins fondé à conclure que celui d'engager des employés entre dans le cadre séman- tique de celle-ci.
En conséquence, j'estime que la Cour n'a pas compétence en vertu de l'article 18 pour connaître de la demande du demandeur et puisque la Cour n'a pas de compétence générale en common law ou en equity, mais seulement la compétence relative à l'application des lois fédérales que lui a attribuée un texte de loi, elle n'est pas non plus compétente pour connaître d'une procédure ordinaire entre sujets tendant au jugement déclaratoire que le demandeur sollicite.
Compte tenu de cette conclusion, je ne crois pas devoir exprimer d'opinion sur le fond. Au con- traire, j'estime que le soin de statuer sur le fond doit être laissé à une cour compétente, non influen cée par des commentaires que j'aurais faits en la matière.
L'action sera rejetée sans dépens.
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