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T-329-74
Hunter Douglas Ltd. (Demanderesse)
c.
La Reine (Défenderesse)
Division de première instance, le juge suppléant Grant—Toronto, les 19, 20, 21 juin et le 7 septem- bre 1979.
Impôt sur le revenu Non-résidents Retenue fiscale Accord entre le Canada et les Pays-Bas en matière d'impôt sur le revenu La demanderesse, une compagnie constituée au Québec mais transférée aux Pays-Bas, a payé des dividendes à des actionnaires qui n'étaient résidents ni du Canada ni des Pays-Bas La défenderesse soutient que la demanderesse était un résident au sens de la modification de 1965 de la Loi de l'impôt sur le revenu et par conséquent assujettie à la retenue fiscale La définition de «résident. qui figure dans la Loi est incompatible avec celle de l'accord Il échet d'examiner si la demanderesse a droit au remboursement de l'impôt Loi de 1957 sur un accord entre le Canada et les Pays-Bas en matière d'impôt sur le revenu, S.C. 1957, c. 16, art. 11(1)f) Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, c. 148, art. 109, 139(4a).
Le ministre du Revenu national a imposé une nouvelle retenue fiscale contre la demanderesse, une compagnie consti- tuée au Québec mais transférée aux Pays-Bas dont elle est une résidente, à l'égard des dividendes payés en 1971 des action- naires qui n'étaient résidents ni du Canada ni des Pays-Bas. La demanderesse a acquitté les nouvelles cotisations sous toutes réserves et sans préjudice de son droit de réclamer le rembour- sement des sommes ainsi versées et d'interjeter directement appel devant la Cour. La défenderesse se fonde sur la définition de «résident» figurant à la modification de 1965 de la Loi de l'impôt sur le revenu, laquelle est incompatible avec celle de l'accord, pour considérer la demanderesse comme résidente du Canada au moment de la distribution des dividendes en 1971, étant donné qu'elle avait été constituée avant le 27 avril 1965 au Canada et qu'au cours des années d'imposition antérieures qui se sont terminées après le 25 avril 1965, elle avait exercé une entreprise au Canada. La défenderesse fait valoir que la demanderesse s'est fondée uniquement sur l'accord conclu entre le Canada et les Pays-Bas, alors qu'une exonération de la retenue fiscale canadienne au profit d'un non-résident qui reçoit des dividendes ne peut résulter que d'un accord conclu entre le Canada et le pays dans lequel cet actionnaire étranger réside, et non de l'accord conclu entre les Pays-Bas et le Canada.
Arrêt: l'appel est accueilli. Les mots «ce dernier ne soumettra à aucune forme d'imposition les dividendes distribués par la compagnie à des personnes ne résidant pas dans cet autre État» figurant . au paragraphe 5 de l'article IV de l'accord entre le Canada et les Pays-Bas en matière d'impôt sur le revenu indiquent clairement que les actionnaires de la société qui ne résident ni au Canada ni aux Pays-Bas ont droit au bénéfice de cette disposition. Celle-ci a pour objet d'éviter que les dividen- des d'une société résidant dans un État ne soient imposés par l'autre État, sauf s'ils sont reçus par un résident de l'État qui cherche à imposer une telle taxe ainsi que le prévoit l'article
VII. Si la disposition avait un autre sens, elle aurait été rédigée différemment. Les termes «pour la raison que ces dividendes ou bénéfices non répartis représentent, en totalité ou en partie, des bénéfices ou des revenus provenant desdites sources» figurant au paragraphe 5 obscurcissent quelque peu le sens de la phrase. L'interdiction d'imposer une taxe ne se limite pas aux cas la raison motivant le prélèvement de l'impôt est que la société concernée a tiré ses dividendes ou bénéfices non répartis du pays faisant l'objet de l'interdiction. La plupart des traités sur le sujet passés par le Canada avec d'autres pays s'expriment de la même façon, sauf que l'expression «pour la raison que» est remplacée par l'expression «même si». Les modifications appor- tées par le Canada en 1962 et 1965 à sa Loi de l'impôt sur le revenu étant contraires aux dispositions de l'accord entre le Canada et les Pays-Bas en matière d'impôt sur le revenu, elles ne sauraient l'emporter sur l'article IV(5) de cet accord. Le ministre du Revenu national canadien n'avait pas le droit d'imposer la demanderesse au motif qu'elle n'avait pas retenu l'impôt de 15 p. 100 sur les dividendes qu'elle avait versés aux actionnaires résidant hors du Canada.
APPEL en matière d'impôt sur le revenu. AVOCATS:
D. G. H. Bowman, c.r. et W. I. Innes pour la demanderesse.
N. A. Chalmers, c.r. et I. MacGregor pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Stikeman, Elliott, Robarts & Bowman, Toronto, pour la demanderesse.
Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE SUPPLÉANT GRANT: La demanderesse, Hunter Douglas Ltd. (ci-après désignée sous le sigle «H.D.L.») est une société qui a été constituée au Québec après la fusion, en 1963, de deux sociétés déjà existantes. Elle s'adonnait à la fabri cation et à la vente d'articles destinés à l'améliora- tion des maisons, tels que contre-fenêtres en alumi nium, stores et petits outils. Elle était également la société mère de quelque 70 filiales réparties un peu partout à travers le monde, et qui exerçaient le même genre d'activités. Elle gérait ces filiales et, partant, en retirait des frais de gestion substan- tiels. Les dividendes qu'elle recevait de ces filiales augmentaient en outre d'autant ses revenus.
En 1970, les dirigeants de la demanderesse déci- dèrent de transférer son siège de direction aux
Pays-Bas. Cette décision était motivée par le fait que le volume de ses affaires en Europe augmen- tant sans cesse, cela lui permettrait d'être plus près du centre de ses activités commerciales. Elle ne tirait aucun avantage fiscal de ce déménagement. Le 3 août 1970 donc, la direction ainsi que le personnel de la société furent mutés à Rotterdam. En même temps, celle-ci vendait son entreprise canadienne à Hunter Douglas Canada Limited, l'une de ses filiales canadiennes. A partir de là, elle ne fit plus d'affaires au Canada, et n'y posséda plus de biens, sauf des actions et des comptes à recevoir de ses filiales canadiennes. Le surplus d'exploitation que la demanderesse avait au moment de ce changement ne fut pas distribué, mais transféré à la nouvelle société, Hunter Doug- las N.V., qui avait besoin de ces fonds pour ses activités.
Le Dominion du Canada et le Royaume des Pays-Bas ont signé, en 1957, un accord pour éviter la double imposition et empêcher la fraude fiscale en matière d'impôt sur le revenu. On lui a donné effet par les Statuts du Canada de 1957, c. 16, ainsi que par l'adoption d'une loi semblable aux Pays-Bas. Il est ci-après appelé «l'accord entre le Canada et les Pays-Bas en matière d'impôt sur le revenu». Il définit la compétence fiscale de chacun des deux pays contractants. Selon ses dispositions, le droit d'imposer les dividendes versés par une société n'est accordé qu'au pays celle-ci a sa résidence au sens du traité. Le terme «résident» est d'autre part ainsi défini à l'article II(1)f) du traité:
1. Dans le présent Accord, à moins que le contexte n'exige une interprétation différente,
J) les expressions «résident des Pays-Bas« et «résident du Canada» s'appliquent respectivement à toute personne qui, du point de vue de l'impôt des Pays-Bas, a sa résidence aux Pays-Bas et qui, du point de vue de l'impôt canadien, n'a pas sa résidence au Canada, et à toute personne qui, du point de vue de l'impôt canadien, a sa résidence au Canada et qui du point de vue de l'impôt des Pays-Bas n'a pas sa résidence aux Pays-Bas; une société sera considérée comme ayant son siège aux Pays-Bas si ses affaires sont gérées et dirigées aux Pays-Bas et comme ayant son siège au Canada si ses affaires sont gérées et dirigées au Canada;
Le Canada a conclu des accords semblables avec 32 autres pays. L'objet de ces accords est de réglementer le pouvoir d'imposition de ce pays
ainsi que celui de l'État contractant, de manière à éviter la double imposition des dividendes versés.
La défenderesse convient que, le 2 octobre 1970, la gestion et la direction de l'entreprise de la demanderesse ayant été transférées aux Pays-Bas, elle est devenue un résident des Pays-Bas aux fins de l'accord susmentionné. Cependant, la défende- resse soutient que cet accord s'applique unique- ment à l'imposition des actionnaires de la deman- deresse résidant soit au Canada, soit aux Pays-Bas, pour ce qui est de la répartition des dividendes en actions dont il est ici question, et ne s'applique pas à l'imposition des dividendes versés aux actionnai- res ne résidant ni au Canada ni aux Pays-Bas.
Dans le cadre de sa réorganisation d'octobre 1971, la demanderesse transféra l'ensemble de ses affaires et de ses actifs à la Hunter Douglas N.V., société constituée aux Antilles néerlandaises, mais résidant aux Pays-Bas. Cette dernière, en contre- partie dudit transfert, émit en faveur de la deman- deresse des actions ordinaires et différées de son capital social. On a procédé à une telle réorganisa- tion parce que l'exploitation aux Pays-Bas d'une entreprise constituée en vertu des lois de la pro vince de Québec, créait des problèmes d'ordre fiscal.
La demanderesse, au mois de novembre 1971, distribua, conformément à une résolution en vue de sa liquidation, un dividende en actions ordinai- res de la Hunter Douglas N.V. aux titulaires d'ac- tions ordinaires de la demanderesse. Plusieurs de ceux-ci demeuraient à l'extérieur du Canada. Elle distribua également, en décembre 1971, un autre dividende en actions différées de la Hunter Doug- las N.V., aux titulaires d'actions différées de la demanderesse. Aucun de ceux-ci ne résidait au Canada. Les parties conviennent que la distribu tion de ces actions équivalait à un versement de dividende aux actionnaires de la demanderesse.
Étant donné que la société demanderesse était résident des Pays-Bas lorsque ces distributions, pour cause de liquidation, des actions ordinaires et différées de Hunter Douglas N.V. ont été effec- tuées à ses actionnaires en novembre et décembre 1971, ces mêmes distributions, tant selon le droit fiscal hollandais que selon l'accord entre le
Canada et les Pays-Bas en matière d'impôt sur le revenu, étaient assujetties à l'impôt ainsi qu'à la retenue fiscale des Pays-Bas. La demanderesse fit donc des démarches auprès des autorités néerlan- daises, et le 5 novembre 1971, obtint une décision selon laquelle les distributions faites à ses action- naires n'étaient pas sujettes à imposition immé- diate, et l'impôt était différé jusqu'à ce que la Hunter Douglas N.V. ait effectivement procédé à ces distributions.
Cette décision se fondait sur le fait que la réorganisation ayant entraîné la distribution ne constituait qu'un changement quant à la forme et non quant au fond, et devait donc être considérée comme un «roulement». Cela voulait dire que lors- qu'ils céderaient leurs nouvelles actions, les action- naires assujettis à l'impôt néerlandais sur les gains en capital devaient en être exemptés pour ce qui est de l'acquisition de leurs nouvelles actions du fait qu'ils détenaient auparavant des actions de la société demanderesse, le coût de base des ancien- nes actions s'appliquant toutefois aux nouvelles actions.
La décision stipulait qu'aux fins de l'impôt néer- landais sur le revenu des sociétés, le capital et les surplus de la nouvelle société devaient correspon- dre à ceux que possédait la demanderesse à cette date, en ce sens que les surplus gagnés de la demanderesse devaient être conservés par la nou- velle société afin que le fisc néerlandais puisse percevoir une retenue fiscale au moment de leur distribution effective.
Le ministre du Revenu national, par ses cotisa- tions du 1" novembre 1973 portant les numéros 280169 et 280170, annula ses cotisations précéden- tes pour les remplacer par une nouvelle retenue fiscale au montant de $208,603.28 à l'égard de la demanderesse pour les dividendes par elle versés aux titulaires d'actions ordinaires, et de $1,624,- 930.80 à l'égard de cette distribution de dividendes par elle effectuée aux titulaires d'actions différées de la société ne résidant ni au Canada ni aux Pays-Bas. La demanderesse acquitta ces nouvelles cotisations sous toutes réserves et sans préjudice de son droit de réclamer le remboursement des sommes ainsi versées et d'interjeter directement appel devant la présente Cour. L'obligation de retenir dans de telles circonstances le montant de
l'impôt, et de le remettre au receveur général, résulte des articles 106(1) et 109(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, c. 148, qui sont ainsi rédigés:
106. (1) Toute personne non résidante doit payer un impôt sur le revenu de quinze pour cent sur tout montant qu'une personne résidant au Canada lui paie ou crédite, ou est censée en vertu de la Partie I lui payer ou créditer à titre, à compte ou au lieu de paiement ou en acquittement ...
109. (I) Lorsqu'une personne paie ou crédite ou est censée avoir payé ou crédité un montant sur lequel un impôt sur le revenu est exigible aux termes de la présente Partie, elle doit, nonobstant toute convention ou toute loi à l'effet contraire, en déduire ou en retenir le montant de l'impôt et le remettre immédiatement au receveur général du Canada au nom de la personne non résidante à compte sur l'impôt et l'accompagner d'un état en la forme prescrite.
Les numéros de tous les articles de la Loi de l'impôt sur le revenu mentionnés en l'espèce sont ceux de l'ancienne Loi.
En 1957, il n'y avait pas de définition du terme «résident» dans la Loi de l'impôt sur le revenu. A cette époque, selon le droit commun, le critère pour déterminer la résidence d'une société, tant au Canada qu'aux Pays-Bas, était le lieu se trou- vait son siège de direction ou de gestion. Voir De Beers Consolidated Mines, Limited c. Howe [1906] A.C. 455.
Une définition de la résidence a été introduite dans la Loi de l'impôt sur le revenu en 1962 [S.C. 1960-61, c. 49, art. 38(6),(8)]. Elle est ainsi conçue:
139... .
(4a) Pour l'application de la présente loi, une corporation constituée au Canada est censée avoir été un résident du Canada durant toute une année d'imposition si elle a exercé des affaires au Canada à toute époque de l'année.
Cette définition fut remplacée en 1965 [S.C. 1965, c. 18, art. 28(4),(5)] par une nouvelle, ainsi conçue:
139... .
(4a) Pour l'application de la présente loi, une corporation est réputée avoir été un résident du Canada pendant l'intégralité d'une année d'imposition si
a) dans le cas d'une corporation constituée après le 26 avril 1965, elle a été constituée au Canada; et
b) dans le cas d'une corporation constituée avant le 27 avril 1965, elle a été constituée au Canada et, à un moment quelconque de l'année d'imposition ou à un moment quelcon- que d'une année d'imposition antérieure de la corporation qui s'est terminée après le 26 avril 1965, elle était résidente du Canada ou y exerçait une entreprise.
La défenderesse, en se fondant sur cette dernière modification, incompatible avec la définition du terme «résident» qui figure à l'accord concerné, prétend que la demanderesse était un résident du Canada lorsqu'a eu lieu, en 1971, cette distribution de dividende-actions, étant donné qu'elle avait été constituée en corporation au Canada avant le 27 avril 1965, et qu'au cours d'années d'imposition antérieures de la corporation terminées après le 25 avril 1965, elle avait exercé une entreprise au Canada.
La défenderesse fait valoir que la demanderesse s'est fondée uniquement sur l'accord conclu entre le Canada et les Pays-Bas, alors qu'une exonéra- tion de la retenue fiscale canadienne au profit d'un non-résident qui reçoit des dividendes ne peut résulter que d'un accord conclu entre le Canada et le pays dans lequel cet actionnaire étranger réside, et non de l'accord conclu entre les Pays-Bas et le Canada. Cependant, les cotisations ont été établies à l'égard de la société demanderesse et non à l'égard du non-résident bénéficiaire de la distribu tion.
Il semble qu'elles aient été établies à la requête de la demanderesse, tel qu'il appert de sa lettre du 3 octobre 1973 (pièce 1), ce qui rendait les procé- dures plus aisées pour toutes les parties. Le fait d'établir les cotisations de cette manière n'a sou- levé aucune objection.
Ce qui nous intéresse en l'espèce, c'est la respon- sabilité de la demanderesse, et celle-ci est pleine- ment fondée à invoquer l'accord conclu entre le Canada et le pays de sa résidence.
C'est la demanderesse qui a acquitter les cotisations concernées, étant donné qu'un résident canadien chargé d'effectuer le paiement est, en vertu des dispositions de l'article 109 de la Loi de l'impôt sur le revenu, tenu de retenir 15 p. 100 des dividendes versés à un non-résident, et de remettre, au nom de ce dernier, cette retenue au receveur général du Canada.
La demanderesse, pour sa défense, a le droit de soulever le fait qu'aux termes de l'accord entre le Canada et les Pays-Bas, le Canada s'est engagé à ne pas imposer de telles retenues, et qu'en consé- quence, il ne pouvait se prévaloir de cet article contre la demanderesse. La preuve démontre que tous les traités de ce genre que le Canada a conclu
avec d'autres pays ont pour objet d'éviter la double imposition, et que des dispositions semblables aux paragraphes 1 et 5 de cet article IV y figurent. Il serait donc superflu d'invoquer l'accord intervenu avec chacun des pays résidait un bénéficiaire d'une telle distribution, même si la question était pertinente.
Si c'était un actionnaire non résidant qui contes- tait l'impôt frappant les dividendes reçus, il se pourrait qu'il se prévale de l'accord fiscal en vigueur entre le Canada et son pays de résidence, mais tel n'est pas le cas en l'espèce.
Dans l'affaire M.R.N. c. Paris Canada Films Limited 62 DTC 1338, que la défenderesse a invoquée, la société qui était tenue de retenir l'im- pôt avait son siège social et exploitait son entre- prise au Canada, de sorte qu'il ne s'agissait pas d'un cas où, comme ici, la société qui a effectué les versements était domiciliée hors du Canada, dans un pays ayant conclu un accord avec le Canada. Il en découle donc que cette décision ne permet pas de soutenir que la demanderesse doit se fonder en l'espèce sur l'accord fiscal intervenu entre le Canada et le pays de résidence du bénéficiaire de la distribution.
Les paragraphes 1 et 5 de l'article IV dudit accord sont ainsi rédigés:
1. Les bénéfices d'une entreprise de l'un des États ne seront soumis à l'impôt de l'autre État que si l'entreprise exerce une activité industrielle ou commerciale dans cet autre État par l'intermédiaire d'un établissement stable situé dans cet État. Dans ce cas, lesdits bénéfices pourront être imposés par l'État en dernier lieu mentionné, mais seulement dans la mesure ils proviennent de cet établissement stable.
5. Si une compagnie dont le siège se trouve dans l'un des États tire des bénéfices ou des revenus de sources situées dans l'autre État, ce dernier ne soumettra à aucune forme d'imposi- tion les dividendes distribués par la compagnie à des personnes ne résidant pas dans cet autre État, ni n'assujétira les bénéfices non répartis de la compagnie à une charge analogue sous forme d'impôt sur de tels bénéfices, pour la raison que ces dividendes ou bénéfices non répartis représentent, en totalité ou en partie, des bénéfices ou des revenus provenant desdites sources.
Si l'on applique ce paragraphe 5 aux faits de l'espèce, il en découle que la demanderesse est la compagnie, puisqu'elle était à l'époque de la distri bution, selon la définition du terme «résident» figu- rant dans l'accord, résident des Pays-Bas. L'autre État dont il est question doit être le Canada, étant
donné: a) qu'il est l'autre partie à l'accord; et b) que la société a réalisé les bénéfices non distribués et les revenus qu'elle possédait lorsqu'elle a démé- nagé aux Pays-Bas, alors qu'elle résidait au Canada et y exerçait son entreprise. C'est aussi l'«autre État» à qui on ordonne de ne pas taxer les dividendes ou les bénéfices non répartis que cette société a versés à des non-résidents de cet Etat.
Pour comprendre ces paragraphes, il faut les rapprocher. Le paragraphe 1 empêche un autre État de taxer les bénéfices de l'entreprise, sauf dans la mesure qui y est prévue. Il vise l'impôt des sociétés par opposition à l'impôt des actionnaires non résidants. Le paragraphe 5 empêche un tel État d'assujettir à l'impôt les dividendes ou les bénéfices non répartis de la société. Il est à noter qu'il n'établit aucune distinction entre les verse- ments effectués aux résidents des pays qui ne sont pas parties à l'accord et ceux faits aux résidents du Canada et des Pays-Bas. Le droit du Canada d'inclure ces dividendes dans le revenu imposable de ses propres résidents n'est aucunement affecté.
La défenderesse fait valoir en outre que les dispositions de l'accord entre le Canada et les Pays-Bas en matière d'impôt sur le revenu, ne s'appliquent pas à l'imposition des actionnaires de la société demanderesse qui ne résident ni au Canada ni au Pays-Bas en ce qui concerne la répartition des dividendes-actions en litige, et qu'elles ne libèrent pas la société demanderesse de l'obligation de retenir l'impôt et de le remettre au receveur général conformément à l'article 109(1) de la Loi. Elle soutient enfin que la perception par le Ministre d'un impôt de cette nature n'est pas contraire aux dispositions de l'accord.
La thèse de la défenderesse conduirait à la double imposition des dividendes reçus, à l'occa- sion de la répartition, par les actionnaires non résidents de l'un ou de l'autre des deux pays concernés, étant donné que les arrangements pris en 1971 avec le fisc néerlandais n'ont d'autre effet que de différer leur imposition. Cela serait con- traire à l'objet des 32 traités internationaux con- clus sur le sujet par le Canada. L'accord doit être interprété à partir du principe que la Couronne n'a pas l'intention de se soustraire à ses obligations internationales. Voir Black -Clawson International Ltd. c. Papierwerke Waldhof-Aschaffenburg A.G.
[1975] A.C. 591, aux pages 640 et 641.
M. A. Cooiman, de Rotterdam, conseiller fiscal et praticien des Pays-Bas, s'occupe depuis 1964 de questions fiscales tant du domaine privé qu'inter- national. Cité comme témoin par la demanderesse, il a déclaré ce qui suit:
[TRADUCTION] Le droit néerlandais pose comme principe qu'en cas de contrariété entre le droit des Pays-Bas et les dispositions d'un traité international conclu et ratifié par ce pays, les dispositions du traité prévalent. De telles dispositions ont force de loi aux Pays-Bas.
Par conséquent, bien que le paragraphe 3 de l'article 1 de la loi hollandaise du 23 décembre 1965, relative à la retenue fiscale sur les dividendes, prévoit qu'une société constituée en vertu de la loi néerlandaise est réputée résider aux Pays-Bas aux fins de la retenue d'impôt sur les dividendes, cela ne s'applique pas lorsque la société en question réside dans un autre pays au sens d'un accord relatif à la double imposition intervenu entre les Pays-Bas et cet autre pays, dans la mesure ou cet accord comprend des dispositions semblables à celles du paragraphe 5 de l'article IV de celui passé entre le Canada et les Pays-Bas.
Plus précisément, pour le fisc néerlandais, compte tenu de l'accord entre le Canada et les Pays-Bas en matière d'impôt sur le revenu, il serait contraire à la loi des Pays-Bas d'opérer des retenues fiscales sur les dividendes versés par une société formée sous le régime des lois des Pays-Bas, mais dont le siège de direction se trouverait au Canada.
Le secrétaire d'État aux finances des Pays-Bas a d'ailleurs confirmé ces affirmations.
L'affaire Canadien Pacifique Limitée c. La Reine [1976] 2 C.F. 563, portait sur la Convention et le Protocole conclus entre le Canada et les États-Unis d'Amérique. La Cour y a examiné dans quelle mesure les décisions des autorités fiscales des États-Unis devraient être prises en compte. Aux pages 596 et 597, le juge Walsh déclare ce qui suit:
Il est vrai que cette cour est en droit d'interpréter elle-même la Convention relative à l'impôt entre le Canada et les États- Unis et le Protocole et n'est aucunement liée par l'interpréta- tion que leur accorde le ministère des Finances américain, mais il serait malheureux qu'ils soient interprétés de façon différente dans les deux pays, si cela devait conduire à une double imposition. Par conséquent, et à moins qu'on ne puisse conclure que l'interprétation accordée aux États-Unis est manifestement erronée, il n'est pas souhaitable de parvenir à une conclusion différente et je ne vois aucune raison m'obligeant à le faire.
Dans Stag Line, Limited c. Foscolo, Mango and Company, Limited [1932] A.C. 328, lord Macmil- lan, au sujet des règles à suivre pour l'interpréta- tion de telles conventions, déclare à la page 350:
[TRADUCTION] I1 est important de se rappeler que la Loi de 1924 est le fruit d'une conférence internationale, et que les règles figurant à l'annexe sont reconnues à travers le monde. Étant donné que ces règles sont examinées par des tribunaux étrangers, il est préférable, par souci d'uniformité, que leur interprétation ne soit pas strictement régie par les précédents nationaux, mais plutôt guidée par des principes reconnus.
Les mots «ce dernier ne soumettra à aucune forme d'imposition les dividendes distribués par la compagnie à des personnes ne résidant pas dans cet autre État» figurant dans ce paragraphe 5, indiquent clairement, à mon avis, que les action- naires de la société qui ne résident ni au Canada ni aux Pays-Bas ont droit au bénéfice de cette dispo sition. Celle-ci a pour objet d'éviter que les divi- dendes d'une société résidant dans un État ne soient imposés par l'autre État, sauf s'ils• sont reçus par un résident de l'État qui cherche à imposer une telle taxe, tel que le prévoit l'article VII. Si la disposition avait un autre sens, elle aurait été rédigée différemment.
Les termes «pour la raison que ces dividendes ou bénéfices non répartis représentent, en totalité ou en partie, des bénéfices ou des revenus provenant desdites sources» figurant aux deux dernières lignes de ce paragraphe 5, obscurcissent quelque peu le sens de la phrase. L'on pourrait prétendre que l'interdiction d'imposer une taxe se limite aux cas la raison motivant le prélèvement de l'impôt est que la société concernée a tiré ses dividendes ou bénéfices non répartis du pays faisant l'objet de l'interdiction. Cela ne me semble toutefois pas une interprétation raisonnable. La plupart des traités sur le sujet passés par le Canada avec d'autres pays s'expriment de la même façon, sauf que l'expression «pour la raison que» est remplacée par l'expression «même si», ce qui a pour .effet de préciser davantage le sens de ce paragraphe et de le rendre plus conforme à l'objet de tous ces accords. James L. Martin, agent de la politique fiscale au service des relations provinciales et internationales du ministère du Revenu national, a fait l'objet d'un interrogatoire préalable. Il a parti- cipé aux négociations ayant conduit à la signature d'accords subséquents en ce domaine et a donné des conseils quant à leur application. Il a déclaré
que le remplacement de l'expression «pour la raison que» par l'expression «même si» ne découlait pas d'un changement de politique de la part du Gouvernement canadien, et que les deux expres sions avaient le même sens dans tous ces traités.
La Convention de Vienne sur le droit des trai tés, à laquelle le Canada et les Pays-Bas ont adhéré, expose les règles générales d'interprétation des accords internationaux. Le paragraphe 1 de l'article 31 de cette convention est ainsi rédigé:
I. Un traité doit être interprété de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but.
La Loi de 1957 sur un accord entre le Canada et les Pays-Bas en matière d'impôt sur le revenu, S.C. 1957, c. 16, en vertu de laquelle l'accord conclu entre les deux pays en vue d'éviter les doubles impositions a été ratifié et déclaré avoir force de loi au Canada, prévoit ce qui suit:
3. En cas d'incompatibilité entre les dispositions de la pré- sente loi ou de l'accord et l'application de toute autre loi, les dispositions de la présente loi et de l'accord l'emportent dans la mesure de cette incompatibilité.
Les modifications précitées apportées par le Canada en 1962 et 1965 sa Loi de l'impôt sur le revenu étant en contrariété avec les dispositions de l'accord entre le Canada et les Pays-Bas en matière d'impôt sur le revenu, elles ne prévalent pas sur les dispositions du paragraphe 5 de l'article IV dudit accord. Le ministre du Revenu national canadien n'avait donc pas le droit d'imposer la société demanderesse au motif qu'elle n'avait pas retenu l'impôt de 15 p. 100 sur les dividendes qu'elle avait versés aux actionnaires résidant hors du Canada.
L'appel est donc admis. Les cotisations de rete- nues fiscales établies par le ministre du Revenu national à l'égard de la demanderesse sont annu- lées, et il est ordonné à la défenderesse de rem- bourser à la demanderesse tous les montants que cette dernière a versés relativement à ces cotisa- tions, et ce, avec intérêt au taux prévu par la Loi de l'impôt sur le revenu et ses règlements d'appli- cation. Les frais de ces procédures sont à la charge de la défenderesse.
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