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T-3094-79
William Nichols (Demandeur)
c.
La Reine du chef du Canada, le D r Lyle Brennan, en sa qualité de directeur adjoint régional (Servi- ces médicaux et de santé) et le D r M. Medora (Défendeurs)
Division de première instance, le juge Mahoney— Ottawa, les 27 et 28 septembre 1979.
Pratique Requête en radiation Compétence Les deux défendeurs individuels, tous deux employés de la Cou- ronne, opposent une fin de non-recevoir à l'action fondée sur le préjudice subi par le demandeur, un détenu fédéral, à la suite de soins dentaires administrés par l'un des défendeurs indivi- duels, sous l'autorité et l'ordre de l'autre Ils soutiennent que l'action n'est pas fondée sur le droit fédéral selon la définition qu'en donne la Cour suprême du Canada Requête accueillie Règlement sur le service des pénitenciers, C.R.C. 1978, Vol. XIII, c. 1251, art. 3, 16.
DEMANDE. AVOCATS:
Allan S. Manson pour le demandeur. David Sgayias pour les défendeurs.
PROCUREURS:
Allan S. Manson, Kingston, pour le deman- deur.
Le sous-procureur général du Canada pour les défendeurs.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE MAHONEY: Le demandeur, alors qu'il était détenu dans un pénitencier fédéral, a reçu des soins dentaires. Il prétend que ces soins ont été fournis de façon négligente et qu'il en a subi un préjudice. Les deux défendeurs, à savoir le dentiste qui a procédé à l'intervention chirurgicale ainsi que son supérieur hiérarchique au sein du Service des pénitenciers qui l'a autorisé et exhorté à faire cette opération, sont des fonctionnaires de Sa Majesté. Ils demandent dans leur requête le rejet de l'action intentée contre eux, au motif qu'elle n'est pas fondée. A cet égard, ils s'appuient tant sur le «droit fédéral» que sur «les lois du Canada»,
selon la définition que la Cour suprême du Canada a donné à ces expressions dans les arrêts Quebec North Shore Paper Co. c. Canadien Pacifique Ltée' et McNamara Construction (Western) Ltd.c. La Reine 2 . Des arguments identiques ou sembla- bles à ceux invoqués par ces deux défendeurs ont été examinés dans le cadre de nombreuses déci- sions rendues par cette Cour, dont certaines ont été publiées tandis que d'autres ne l'ont pas été. Il est donc inutile d'en reprendre l'examen en l'espèce.
Le demandeur s'oppose à la requête et soulève les deux moyens suivants: premièrement, que l'ac- tion intentée contre les deux défendeurs résulte de ce qu'ils ont manqué à une obligation que leur imposait la loi ou, subsidiairement, de leur négli- gence dans l'exécution de cette obligation; deuxiè- mement, que le droit d'un prisonnier fédéral d'in- tenter une action en responsabilité délictuelle lui vient du droit fédéral. On prétend que cette obliga tion découle des articles 3 et 16 du Règlement sur le service des pénitenciers 3 , dont voici le texte:
3. Il incombe à chaque membre de donner effet, au mieux de son habileté, aux lois relatives à l'administration des péniten- ciers au Canada et de faire tout en son pouvoir pour réaliser les fins et les objets du Service, savoir la garde, la maîtrise, la formation disciplinaire et la réadaptation des personnes con- damnées ou envoyées au pénitencier.
16. Tout détenu doit bénéficier, conformément aux directi ves, des soins médicaux et dentaires essentiels dont il a besoin.
L'article 3 impose une obligation aux membres du Service des pénitenciers, donc aux requérants. L'article 16 crée une obligation envers les détenus, donc envers le demandeur. Toutefois, seule Sa Majesté peut assumer la première obligation et remplir la seconde. Aucun de ces articles ne don- nent à un détenu une cause d'action contre un membre du Service des pénitenciers. La seule cause d'action contre les requérants que révèle la déclaration modifiée a trait au délit de négligence.
Le demandeur prétend que, par suite de l'évolu- tion de la common law au cours des 150 dernières années, les détenus des pénitenciers ont acquis un droit qui leur était auparavant refusé. Il s'agit du droit de poursuite en responsabilité délictuelle
[1977] 2 R.C.S. 1054.
2 [1977] 2 R.C.S. 654.
3 C.R.C. 1978, Vol. XIII, c. 1251.
contre leurs gardiens. Puisque l'établissement, le maintien et l'administration des pénitenciers sont de la compétence exclusive du Parlement canadien, l'argument veut nécessairement que cette évolution fasse partie du droit fédéral. Je n'estime pas qu'il faille rejeter cet argument, mais je dois déplorer le fait que l'avocat n'ait pu étayer à l'aide de docu ments l'évolution alléguée. Si on accepte à la fois que cette évolution a réellement eu lieu et qu'elle fait maintenant partie du droit fédéral, il s'ensuit qu'elle n'a pas créé ni élargi une cause d'action, mais qu'elle a plutôt conféré aux prisonniers le statut ou la capacité leur permettant d'intenter une action fondée, du moins c'est le cas en l'espèce, sur une cause d'action qui existait déjà. Or, c'est le délit de négligence qui constitue ici la cause d'ac- tion et cela ne relève pas du droit fédéral.
ORDONNANCE
La requête est accordée avec dépens et l'instance est suspendue jusqu'à ce que la déclaration modi- fiée en conséquence soit déposée.
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