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T-282-80
Donald Wayne Lawrence (alias Jimmy Ray Henson) et Glorianne Marilyn Lawrence (Requé- rants)
c.
Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration et Jean Boisvert, agent d'immigration, en sa qualité de directeur du Centre d'immigration du Canada de Winnipeg (Intimés)
Division de première instance, le juge suppléant Smith—Winnipeg, le 16 janvier et le 12 février 1980.
Immigration Brefs de prérogative Mandamus Demande de résidence permanente présentée par un fugitif des États-Unis et parrainée par son épouse canadienne Pendant son séjour au Canada, le requérant avait été condamné à une peine d'emprisonnement pour actes criminels et, après enquête, avait fait l'objet d'un avis d'interdiction de séjour lui ordon- nant de quitter le pays Le Ministère refuse d'instruire la demande de résidence permanente et la demande de parrainage tant que la première n'est pas faite à un bureau des visas à l'étranger Recours en mandamus ordonnant aux intimés (1) d'instruire la demande de résidence permanente, (2) de déter- miner si l'octroi du droit d'établissement est contraire à la Loi, (3) de déterminer si une autorisation spéciale est nécessaire pour l'instruction de la demande de résidence permanente et, dans l'affirmative, de prendre les mesures nécessaires pour déterminer si cette autorisation sera donnée, et (4) d'informer les requérants de la suite réservée à leurs demandes Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, c. 52, art. 2(1), 9(1), 19(2)d) Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78- 172, art. 4a), 6(1).
S'étant évadé de prison aux États-Unis il purgeait une peine d'emprisonnement de cinq ans, le requérant Donald Law- rence est entré en 1975 au Canada en se faisant passer pour un citoyen canadien retournant au pays, alors qu'il était citoyen des Etats-Unis. Le 29 janvier 1979, il fut déclaré coupable de quatre actes criminels et condamné à une peine d'emprisonne- ment de dix-huit mois et le 5 février 1979, les deux requérants se marièrent. Mme Lawrence est citoyenne canadienne. Au terme d'une enquête effectuée pendant que Lawrence purgeait sa peine, un arbitre s'est prononcé pour l'émission d'un avis d'interdiction de séjour lui ordonnant de quitter le Canada au plus tard le 1" avril 1980. Vers la fin de 1979, M. Lawrence a fait une demande de résidence permanente et Mme Lawrence a demandé à parrainer la demande de son mari. Le Ministère décida qu'il ne pouvait instruire ni l'une ni l'autre demande tant que M. Lawrence n'aurait pas fait sa demande de résidence permanente à un bureau des visas à l'étranger. Les requérants sollicitent un bref de mandamus ordonnant aux intimés (1) de recevoir et d'instruire la demande, présentée par M. Lawrence, de résidence permanente au Canada, (2) de déterminer s'il serait contraire à la Loi ou au Règlement de lui accorder le droit d'établissement, (3) de déterminer si M. Lawrence requiert une autorisation spéciale à titre de condition préalable
de l'acceptation de sa demande de résidence permanente et, dans l'affirmative, de prendre les mesures nécessaires pour déterminer si cette autorisation sera donnée, et (4) d'informer les requérants de l'accueil ou du rejet de leurs demandes.
Arrêt: la requête est accueillie. Il est normal que le Ministère refuse de donner suite à la demande initiale de résidence permanente tant que le requérant n'aura pas demandé un visa à un bureau des visas à l'étranger, mais il ne peut refuser indéfiniment de prendre une mesure quelconque à propos de cette demande. Si le Ministère apprenait de façon certaine que le requérant n'a pas l'intention de se rendre à un bureau des visas à l'étranger ou si un temps raisonnable s'écoulait sans que le requérant indique au Ministère à quel bureau des visas il souhaite que sa demande soit envoyée, la mesure appropriée à prendre par le Ministère serait de rejeter la demande au motif que le requérant n'a pas obtenu un visa comme le requiert l'article 9(1) de la Loi sur l'immigration de 1976. Les témoi- gnages rendus devant l'arbitre font ressortir d'autres motifs que le Ministère pourrait invoquer, s'il le voulait, pour rejeter la demande. Il est évident que M. Lawrence n'a nullement l'inten- tion de se rendre aux États-Unis pour y faire une demande de visa à un bureau canadien des visas. Il doit être donné suite à la demande de parrainage de la demande de son mari présentée par M"'° Lawrence. Une fois la demande de M. Lawrence rejetée—ce qui serait la décision logique sur le plan juridique—, la demande de parrainage de son épouse pourra être rejetée en application de l'article 79(1)b) au motif que l'intéressé ne satisfait pas aux exigences de la Loi ou de ses Règlements. Compte tenu de l'existence de considérations humanitaires ou de compassion qui pourraient justifier l'octroi du droit d'établissement et étant donné que le Ministère a envers M. Lawrence un devoir d'équité, il devrait statuer sur la demande de ce dernier avant que le requérant ne soit tenu de quitter le Canada conformément à l'avis d'interdiction de séjour, et assez tôt pour que ses droits d'appel et ceux de son répondant ne soient pas compromis.
Distinction faite avec les décisions: Gachinga c. Le minis- tre de l'Emploi et de l'Immigration, Athwal c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration, Dawson c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration, Tremblay -Singh c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration, Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration c. Sleiman.
REQUÊTE. AVOCATS:
Arne Peltz pour les requérants. Craig Henderson pour les intimés.
PROCUREURS:
Arne Peltz, Winnipeg, pour les requérants.
Le sous-procureur général du Canada pour les intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE SUPPLÉANT SMITH: Il s'agit d'une demande présentée par les requérants pour l'émis- sion d'un bref de mandamus ordonnant:
[TRADUCTION] 1. Que les intimés reçoivent et examinent la demande présentée par Donald Wayne Lawrence (alias Jimmy Ray Henson) en vue d'obtenir le droit de résider en permanence au Canada, en conformité avec ladite Loi et ledit Règlement;
2. Que les intimés déterminent s'il serait contraire à ladite Loi et audit Règlement d'accorder le droit d'établissement au re- quérant Donald Wayne Lawrence;
3. Que les intimés déterminent si le requérant Donald Wayne Lawrence a besoin, à titre de condition préalable à l'accueil de sa demande de résidence permanente, d'une autorisation spé- ciale sous le régime des articles 9(1) et 115(I)(ii) de ladite Loi et, le cas échéant, que les intimés prennent toutes les mesures nécessaires et habituelles pour déterminer si cette autorisation sera donnée par les autorités compétentes;
4. Que les intimés avisent le requérant Donald Wayne Law- rence de l'accueil ou du rejet de sa demande de résidence permanente et, en outre, que les intimés avisent la requérante Glorianne Marilyn Lawrence par écrit de l'accueil ou du rejet de sa demande en vue de parrainer Donald Wayne Lawrence à titre de personne appartenant à la catégorie de la famille, en conformité avec l'article 79 de ladite Loi;
5. Et que soient prises toutes autres mesures que la Cour estimera justes.
Le requérant Donald Wayne Lawrence est un citoyen des États-Unis d'Amérique. La requérante est, de naissance, citoyenne du Canada.
Les faits ne sont pas contestés. Aux fins de la présente requête on peut les résumer comme suit.
Le requérant Donald Wayne Lawrence entra au Canada le 5 juillet 1978. Il s'était évadé d'une prison américaine il était détenu sous garde légale. A la frontière canadienne, il déclara, en réponse aux questions d'un préposé des douanes canadien, s'appeler Jimmy Ray Henson et être un citoyen canadien revenant au Canada. Il se rendit ensuite directement à la résidence de la requérante à Winnipeg et ils commencèrent à vivre ensemble comme mari et femme. Il avait fait la connaissance de cette dernière par correspondance en 1975 et la vit souvent lors d'une longue visite à Winnipeg. En 1977, ayant appris que sa mère était mourante, il retourna aux Etats-Unis. Peu de temps après, il fut arrêté pour avoir, en 1975, employé le courrier pour frauder. Il fut condamné à une peine d'empri- sonnement de cinq ans pour cette faute; c'est pendant qu'il purgeait cette peine qu'il s'évada le 3
juillet 1978 et vint au Canada. Au cours des six mois qui suivirent, il exerça, sans autorisation, divers emplois à temps partiel dont un d'une dizaine de jours au Winnipeg Winter Club.
Le 5 février 1979, les requérants se marièrent à Winnipeg. Le 29 janvier . 1979, Donald Wayne Lawrence avait été déclaré coupable de quatre infractions à l'article 338 du Code criminel, S.R.C. 1970, c. C-34 tel que modifié par S.C. 1974-75-76, c. 93, art. 32, et condamné à une peine d'emprisonnement de 18 mois. La peine maximale dont il était passible était de 10 ans.
Par suite du rapport dont le requérant Donald Wayne Lawrence fit l'objet en vertu de l'article 27(2) de la Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, c. 52, un arbitre, Kevin Flood, tint, le 19 avril 1979, une enquête à son sujet. A cette époque, il purgeait la peine d'emprisonnement de 18 mois prononcée contre lui le 29 janvier 1979. Au terme de l'enquête, l'arbitre déclara qu'à plu- sieurs égards c'était le cas le plus insolite qu'il eût jamais vu. Il statua que serait émis contre le requérant un avis d'interdiction de séjour ordon- nant à celui-ci de quitter le Canada au plus tard le Zef avril 1980.
L'avis introductif de la présente requête fut déposé le 10 janvier 1980. Entre-temps, les faits suivants s'étaient produits:
1. Le 14 novembre 1979, M. Arne Peltz, avocat des requérants, avait écrit au directeur du Centre d'immigration du Canada (Pièce «A» jointe à l'affidavit de Glorianne Marilyn Lawrence), déclarant que Donald Wayne Lawrence désirait demander le droit d'établissement en vertu de la Loi sur l'immigration de 1976 et que Mme Lawrence désirait parrainer la demande de son mari en conformité avec l'article 4 du Règlement sur l'immigration de 1978. Dans sa lettre, il ajoutait ce qui suit:
[TRADUCTION] Je vous prierais de bien vouloir accorder
une entrevue à mes clients et de déterminer s'il y a lieu
d'accueillir leur demande. Si vous deviez estimer qu'une
exception aux dispositions actuelles est nécessaire en l'espèce
je vous prierais de bien vouloir prendre les mesures habituel-
les pour ce faire, en conformité avec la Loi et les Règlements.
Si vous deviez conclure que le droit d'établissement ne
peut pas être octroyé à M. Lawrence, veuillez donner à ce
dernier et à son épouse un avis écrit et motivé du rejet de la
demande. Je vous saurais gré de m'en transmettre une copie.
2. Le 19 décembre 1979, Mm» Lawrence avait rencontré M. P. Y. Lau, agent d'immigration au Centre d'immigration du Canada de Winnipeg. Elle lui avait remis la lettre précitée et lui avait demandé de recevoir sa demande pour parrainer son mari à titre de personne appartenant à la catégorie de la
famille, ce qu'il fit. Il refusa cependant de recevoir une demande présentée par son mari en vue d'obtenir le droit de résider en permanence au Canada.
Note: Les termes du paragraphe précédent sont tirés de l'affi- davit de Mn' Lawrence. Ils ne sont pas tout à fait exacts puisqu'en vertu de la Loi actuelle, elle parraine non pas son mari mais la demande de son mari.
3. Le 28 décembre 1979, M'"' Lawrence avait reçu une lettre (Pièce «Bll jointe à son affidavit), datée du 21 décembre 1979 et signée de M. Lau, ainsi conçue:
[TRADUCTION] La présente fait suite à la demande que vous avez soumise le 19 décembre 1979 pour votre mari, M. Donald Wayne Lawrence, en produisant la formule (IMM 1009) «Parrainage d'une demande par un membre de la catégorie de la famille et engagement à fournir de l'aide..
La législation ne nous permet pas d'examiner un engagement si une demande d'admission n'a été présentée par votre mari. Or, aux termes de l'article 9 de la Loi sur l'immigration, une telle demande doit être faite à un de nos bureaux des visas à l'étranger et examinée par un agent des visas.
Nous ne pouvons donc donner suite à votre engagement tant que votre mari n'aura pas fait une demande de résidence permanente au Canada à un de nos bureaux des visas à l'étranger. Lorsque l'on nous avisera qu'il l'a fait, nous transmettrons votre engagement à ce bureau pour qu'il l'étudie.
Une copie de la présente lettre a été adressée à votre avocat, M' Arne Peltz.
La position du Ministère est clairement énoncée dans cette lettre. Le Ministère s'appuie sur les dispositions législatives ou réglementaires suivan- _ tes.
L'article 9(1) de la Loi sur l'immigration de 1976, qui est ainsi rédigé:
9. (1) Sous réserve des dispositions réglementaires, tout immigrant et tout visiteur doivent demander et obtenir un visa avant de se présenter à un point d'entrée.
Donald Wayne Lawrence n'avait pas de visa à son entrée au Canada le 5 juillet 1978.
L'article 19(2)d) de ladite Loi, qui est ainsi conçu:
19....
(2) Ne peuvent obtenir l'admission, les immigrants et, sous réserve du paragraphe (3), les visiteurs qui
d) ne remplissent pas les conditions prévues à la présente loi ou aux règlements ainsi qu'aux instructions et directives établis sous leur empire.
Donald Wayne Lawrence n'a pas rempli la con dition selon laquelle il devait obtenir un visa avant
de se présenter à un point d'entrée. Il n'en a pas non plus obtenu un depuis.
L'article 2(1) de la Loi, qui définit ainsi les termes «visa» et «agent des visas»:
2.(1)...
«visa» désigne le document délivré ou le cachet apposé par un agent des visas;
«agent des visas» désigne un agent d'immigration en poste à l'étranger et autorisé par ordre du Ministre à délivrer des visas;
Les articles 4a) et 6(1) du Règlement, [DORS/78-172] qui prévoient notamment ce qui suit:
4. Tout citoyen canadien ou résident permanent résidant au Canada et âgé d'au moins dix-huit ans peut parrainer une demande de droit d'établissement présentée par
a) son conjoint;
6. (1) Lorsqu'une personne appartenant à la catégorie de la famille présente une demande de visa d'immigrant, l'agent des visas peut lui en délivrer un ainsi qu'aux personnes à sa charge qui l'accompagnent,
a) si elle et les personnes à sa charge, qu'elles l'accompa- gnent ou non, satisfont aux exigences de la Loi et du présent règlement;
b) si le répondant
(i) s'est engagé par écrit auprès du Ministre a prendre des dispositions concernant le logement et les besoins de cette personne et des personnes à sa charge qui l'accompagnent
L'avocat des requérants a déclaré qu'il est de pratique courante au Ministère de donner suite aux demandes de résidence permanente faites à l'intérieur du Canada qui sont accompagnées d'une demande de parrainage faite par un citoyen canadien appartenant à la catégorie de la famille. Il a cité les quatre décisions suivantes de la Com mission d'appel de l'immigration:
1. Gachinga c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration, décision rendue le 2 octobre 1978;
2. Athwal c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration, décision rendue le 7 décembre 1978;
3. Dawson c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration, décision rendue le 18 janvier 1979;
4. Tremblay -Singh c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immi- gration, décision rendue le 13 février 1979.
La Loi sur l'immigration de 1976 est entrée en vigueur le 10 avril 1978. Les quatre décisions précitées ont été rendues après cette date. Toute- fois, les demandes de parrainage avaient toutes été faites en 1976 ou en 1977 et l'étude en avait sans
doute commencé avant le 10 avril 1978. Avant cette date, les règles relatives au parrainage étaient rédigées différemment des actuels articles 4a) et 6(1) (précités) du Règlement. Auparavant, l'arti- cle 31(1)a) du Règlement était ainsi conçu:
31. (1) Sous réserve du présent article, toute personne qui réside au Canada, qui est citoyen canadien ou qui a été légalement admise au Canada aux fins de résidence perma- nente et qui a dix-huit ans révolus a le droit de parrainer en vue de l'admission au Canada pour résidence permanente, l'une ou l'autre des personnes suivantes (ci-après appelée «personne à charge parrainée"):
a) l'époux ou l'épouse de cette personne;
En conséquence de ce changement de libellé, le répondant qui, en vertu de l'article 31(1) du Règlement, avait autrefois le droit de parrainer un particulier n'est maintenant autorisé, depuis le 10 avril 1978 qu'à parrainer la demande de ce parti- culier. Il ne parraine pas le particulier lui-même.
Dans les quatre cas cités par l'avocat, les demandes de parrainage avaient été régulièrement faites en vertu de la loi applicable à cette époque et elles ont été rejetées simplement parce que le conjoint répondant n'avait pas un visa valide. Je n'estime donc pas que ces décisions nous autorisent à dire qu'il est de pratique courante, sous le régime de la loi actuelle, d'étudier la demande de parrai- nage de la demande de résidence permanente éma- nant d'une personne qui se trouve au Canada, surtout dans les cas la demande de cette per- sonne n'a pas été reçue.
L'avocat des intimés m'a signalé la décision rendue par la Commission d'appel de l'immigra- tion dans l'affaire Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration c. Sleiman, le 26 février 1979. La demande de parrainage dans cette affaire avait été faite le 20 octobre 1978, soit plus de six mois après l'entrée en vigueur de la Loi sur l'immigration de 1976. A cet égard, l'affaire Sleiman est donc analogue à la présente.
En fait, ces deux affaires sont pratiquement identiques, y compris l'envoi d'une lettre par le Ministère à la femme qui avait fait une demande pour parrainer son mari. Dans les deux affaires, la lettre annonçait un refus d'étudier la demande pour des raisons semblables.
Dans l'affaire Sleiman, au reçu de ladite lettre, M^ e Sleiman interjeta appel devant la Commission d'appel de l'immigration contre la décision de ne
pas donner suite à sa demande. Le Ministre déposa auprès de la Commission, en vertu de la règle 41 des Règles de la Commission d'appel de l'immi- gration (1978), un avis de requête pour que soit rendue une ordonnance déclarant que la Commis sion n'avait pas compétence pour entendre un tel appel aux motifs: qu'un tel appel ne peut être interjeté par un répondant en vertu de l'article 79(2) de la Loi que lorsqu'il y a eu rejet d'une demande de droit d'établissement; qu'il n'y avait pas eu d'avis de rejet d'une telle demande; que ni la lettre (précitée) adressée à Mme Sleiman ni une lettre semblable adressée à M. Sleiman, les deux lettres en date du ler décembre 1978, n'étaient des avis de rejet d'une demande de droit d'établisse- ment; et que la législation canadienne ne permet pas de recevoir un engagement [d'un répondant] que s'il est présenté conjointement avec une demande d'admission qui, selon l'article 9 de la Loi sur l'immigration de 1976, doit être faite à un des bureaux de l'Immigration canadienne à l'étranger et examinée par un agent des visas.
La Commission a conclu qu'il n'y avait pas eu de rejet d'une demande de droit d'établissement et que, par conséquent, elle n'avait pas compétence pour connaître de l'appel de la répondante pour le compte de son mari.
En l'espèce, au lieu d'interjeter devant la Com mission d'appel de l'immigration un appel qui, d'après les faits divulgués jusqu'à présent, aurait probablement été rejeté au motif que la Commis sion n'avait pas compétence pour en connaître, comme dans l'affaire Sleiman, MTe Lawrence a déposé la présente requête.
Ce que les requérants veulent obtenir en l'espèce est une décision du Ministère sur la demande de résidence permanente de Donald Wayne Law- rence. La lettre du 21 décembre 1979 ne tranche pas cette question, mais refuse simplement de donner suite à la demande de parrainage de l'inté- ressée jusqu'à ce que son mari ait fait une demande de résidence permanente au Canada à un des bureaux des visas du Canada à l'étranger.
Sous l'ancienne Loi, lorsqu'un répondant présen- tait une demande pour parrainer une personne, et non la demande de cette personne, cherchant à obtenir le droit de résidence permanente, la demande du répondant était étudiée. C'est ce qui a
été fait dans chacun des quatre cas cités par l'avocat des requérants. Dans chaque cas, le Minis- tère a rejeté la demande de parrainage au motif que le conjoint parrainé n'était pas titulaire d'un visa émis par un agent des visas à l'étranger. Dans chaque cas, appel a été interjeté devant la Com mission d'appel de l'immigration; celle-ci a décidé que le rejet de la demande de parrainage était fondé en droit, mais dans l'affaire Tremblay - Singh, l'appel a été accueilli en vertu de l'article 79(2)b), qui autorise un appel par un répondant au motif que des considérations humanitaires ou de compassion justifient l'octroi d'une mesure spé- ciale. Le paragraphe (3) de l'article 79. prévoit que la Commission, en statuant sur un appel visé au paragraphe (2), peut l'accueillir ou le rejeter.
En l'espèce, étant donné la preuve et les aveux de M. Lawrence à l'enquête devant l'arbitre, il est fort possible que la seule chance pour le requérant d'obtenir une décision finale lui octroyant le droit d'établissement soit de prouver qu'il existe des considérations humanitaires ou de compassion jus- tifiant l'octroi d'une mesure spéciale. Il est clair que l'arbitre, d'après les motifs qu'il a donnés pour émettre contre M. Lawrence un avis d'interdiction de séjour plutôt qu'une ordonnance de renvoi, a été influencé par de telles considérations. A mon avis cela ne devrait pas être oublié lors de l'examen de l'argumentation du répondant.
Dans son affidavit, P. Y. Lau déclare au paragraphe 7:
[TRADUCTION] 7. Que le requérant (c'est-à-dire Donald Wayne Lawrence) a eu la possibilité de soumettre une demande au Bureau de l'immigration de Winnipeg le 15 janvier 1980, niais qu'il ne sera pas donné suite à cette demande tant que le requérant n'aura pas indiqué aux intimés le bureau des visas auquel il désire que la formule de demande soit transmise pour étude. Vous trouverez ci-joint, portant la cote Pièce "B", une copie de la lettre adressée au requérant pour lui expliquer la décision des intimés.
La lettre appelée Pièce «B» dit notamment ce qui suit:
[TRADUCTION] La présente fait suite à la »Demande de rési- dence permanente» (formule IMM.8E) que vous avez présentée à ce bureau le 15 janvier 1980.
Aucune disposition du Règlement sur l'immigration ne permet la délivrance d'un visa au Canada. Aux termes de l'article 9 de la Loi sur l'immigration, les demandes d'admission doivent être faites à un de nos bureaux à l'étranger et examinées par un agent des visas.
Nous ne pouvons donc donner suite à votre demande tant que vous ne vous serez pas présenté pour examen à un bureau des
visas à l'étranger. Lorsque l'on nous aura avisé que vous l'avez fait, nous transmettrons votre demande à ce bureau pour qu'il l'étudie.
D'après cette lettre et l'affidavit, il est clair que le Ministère a en sa possession une demande de résidence permanente au Canada présentée par M. Lawrence, mais qu'il refuse d'y donner suite tant que ce dernier n'aura pas demandé un visa à un bureau des visas à l'étranger. A mon avis, il est normal que le Ministère adopte cette position au début, mais il ne peut refuser indéfiniment de prendre quelque mesure que se soit relativement à cette demande. Si le Ministère apprenait de façon certaine que le requérant n'a pas l'intention de se rendre à un bureau des visas à l'étranger, ou si un temps raisonnable s'écoulait sans que le requérant n'indique au Ministère à quel bureau des visas il désire que sa demande soit envoyée, la mesure appropriée à prendre par le Ministère serait de rejeter la demande au motif que le requérant n'a pas obtenu un visa comme le requiert l'article 9(1) de la Loi sur l'immigration de 1976. Les témoi- gnages rendus devant l'arbitre révèlent d'autres motifs que le Ministère pourrait invoquer, s'il le voulait, pour rejeter la demande. En l'espèce, je crois qu'il est évident que M. Lawrence n'a nulle- ment l'intention de se rendre aux États-Unis pour y faire une demande de visa à un bureau canadien des visas.
A mon avis, il doit être donné suite à la demande de parrainage de la demande de son mari présentée par Mme Lawrence. Une fois la demande de M. Lawrence rejetée,—ce qui, en droit, sera probablement la décision rendue,—ladite demande de parrainage pourra être rejetée, au motif qu'en vertu de l'article 79(1)b), l'intéressé ne satisfait pas aux exigences de la Loi ou de ses Règlements. Une des exigences prescrites par la Loi est en effet que celui-ci doit demander et obtenir un visa à un bureau des visas à l'étranger.
Le Ministère a envers M. Lawrence un devoir d'équité. Compte tenu de l'existence de considéra- tions humanitaires ou de compassion qui pour- raient peut-être justifier l'octroi du droit d'établis- sement, ce devoir signifie que le Ministère devrait statuer sur la demande de ce dernier. En outre, puisque M. Lawrence est obligé, en vertu de l'avis d'interdiction de séjour qui a été émis contre lui, de quitter le Canada au plus tard le Zef avril 1980,
la décision devrait être prise dans les meilleurs délais. En toute justice, cette décision devrait du reste intervenir assez tôt pour que ses droits d'ap- pel et ceux de son répondant ne soient pas compro- mis. Une ordonnance sera rendue à cet effet.
Les requérants n'auront droit qu'à un seul mémoire de frais pour cette requête.
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