Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

A-637-78
Maria Esperanza Luna Flores de Garcia (Requé- rante)
c.
Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration et la Commission d'appel de l'immigration (Intimés)
et
Le sous-procureur général du Canada (Mis-en- cause)
Cour d'appel, les juges Pratte et Le Dain et le juge suppléant Hyde—Montréal, le 9 mai; Ottawa, le 28 mai 1979.
Examen judiciaire Immigration La requérante, qui faisait l'objet d'une ordonnance d'expulsion, a fait appel devant la Commission d'appel de l'immigration en avril 1973 Comme elle n'a pas comparu, la Commission présumant à tort qu'elle avait quitté le pays, a rejeté l'appel et annulé l'ordonnance d'expulsion En mars 1978, la requérante a demandé la réouverture de l'audition de son appel afin de présenter de nouvelles preuves et d'amener la Commission à modifier sa décision antérieure en y substituant une ordon- nance portant admission aux fins de résidence permanente La demande a été entendue et rejetée en novembre 1978 au motif qu'en application de la nouvelle Loi, entrée en vigueur le 10 avril 1978, la Commission n'avait pas compétence pour accorder le droit d'établissement à un candidat qui avait été déjà rejeté Il échet d'examiner s'il n'y a pas lieu d'examiner et d'annuler cette décision Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2' Supp.), c. 10, art. 28 Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, c. 52, art. 125(1) Loi sur la Commis sion d'appel de l'immigration, S.R.C. 1970, c. I-3, art. 11, 14, 15 Loi d'interprétation, S.R.C. 1970, c. I-23, art. 35.
DEMANDE d'examen judiciaire. AVOCATS:
William G. Morris pour la requérante.
Claude Joyal pour les intimés et le mis-en- cause.
PROCUREURS:
William G. Morris, Montréal, pour la requérante.
Le sous-procureur général du Canada pour les intimés et le mis-en-cause.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE PRATTE: La question soulevée par cette demande présentée en vertu de l'article 28 résulte de l'abrogation, le 10 avril 1978, de la Loi sur la Commission d'appel de l'immigration, S.R.C. 1970, c. I-3, et de l'entrée en vigueur, à la même date, de la Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, c. 52.
La requérante est originaire du Guatemala. Une ordonnance d'expulsion a été prononcée contre elle le 3 avril 1973. Elle a interjeté appel de cette décision à la Commission d'appel de l'immigration. A cette époque, les dispositions de la Loi sur la Commission d'appel de l'immigration régissant son droit d'appel ainsi que la compétence de la Commission prévoyaient notamment ce qui suit:
11. Une personne frappée d'une ordonnance d'expulsion, en vertu de la Loi sur l'immigration, peut, en se fondant sur un motif d'appel qui implique une question de droit ou une ques tion de fait ou une question mixte de droit et de fait, interjeter appel à la Commission.
14. La Commission peut statuer sur un appel prévu à l'arti- cle 11 ou à l'article 12,
a) en admettant l'appel;
b) en rejetant l'appel; ou
c) en prononçant la décision et en rendant l'ordonnance que l'enquêteur spécial qui a présidé l'audition aurait pronon- cer et rendre.
15. (1) Lorsque la Commission rejette un appel d'une ordonnance d'expulsion ou rend une ordonnance d'expulsion en conformité de l'alinéa 14c), elle doit ordonner que l'ordonnance soit exécutée le plus tôt possible. Toutefois,
b) dans le cas d'une personne qui n'était pas un résident permanent à l'époque a été rendue l'ordonnance d'expul- sion, compte tenu
(ii) l'existence de motifs de pitié ou de considérations d'ordre humanitaire qui, de l'avis de la Commission, justi- fient l'octroi d'un redressement spécial,
la Commission peut ordonner de surseoir à l'exécution de l'ordonnance d'expulsion ou peut annuler l'ordonnance et ordonner d'accorder à la personne contre qui l'ordonnance avait été rendue le droit d'entrée ou de débarquement.'
' Des modifications quant au fond ont été apportées aux articles 11 et 15, en août 1973, mais elles n'agissent aucune- ment sur l'issue de cette affaire.
La requérante ne s'est pas présentée au jour fixé pour l'audition de l'appel. La Commission, présu- mant que la requérante était retournée au Guate- mala, a donc rejeté l'appel et annulé l'ordonnance d'expulsion conformément à l'article 15(1).
La Commission en agissant ainsi, a commis une erreur. La requérante n'a jamais quitté le Canada. En mars 1978, son avocat a déposé devant la Commission une demande par écrit en vue de faire reprendre l'audition de l'appel. La requérante dési- rait soumettre un supplément de preuves dans l'espoir que ces dernières amèneraient la Commis sion à remplacer l'ordonnance antérieurement rendue par une ordonnance qui, en plus d'annuler l'ordonnance d'expulsion, lui permettrait d'entrer au Canada aux fins de résidence permanente. Cette demande était fondée sur une décision de la Cour suprême du Canada. Grillas c. Le Ministre de la Main-d'Oeuvre et de l'Immigration [1972] R.C.S. 577, qui porte que la compétence «d'équité» ressortissant à la Commission en vertu de l'article 15(1) est un «prolongement de compétence» qui lui permet, aussi longtemps qu'une ordonnance d'ex- pulsion n'est pas exécutée, de faire reprendre l'au- dition de l'appel et de réviser la décision qu'elle a rendue précédemment en vertu de l'article 15.
La demande susmentionnée a été déposée devant la Commission le 18 mars 1978. En vertu d'ordon- nances rendues par cette dernière, la demande a été présentée oralement le 7 novembre 1978. Elle a été rejetée aux termes d'une décision prononcée quelques jours plus tard, au motif, entre autres, que la Commission n'avait plus le pouvoir en vertu de la nouvelle Loi sur l'immigration de 1976, entrée en vigueur le 10 avril 1978, d'accorder le droit d'établissement à un appelant qui n'a pas gain de cause. La requérante cherche donc à faire examiner et annuler cette décision.
La Loi sur l'immigration de 1976 est entrée en vigueur le 10 avril 1978. Elle abrogeait la Loi sur la Commission d'appel de l'immigration et en établissait une autre dotée d'une nouvelle compé- tence et de nouveaux pouvoirs. Cependant, l'article 125(1) établit clairement que l'ancienne commis sion et que celle instituée par la nouvelle Loi, doivent être considérées comme une seule et même institution. En voici le texte:
125. (1) La Commission d'appel de l'immigration établie par l'article 3 de la Loi sur la Commission d'appel de l'immi- gration avant son abrogation par le paragraphe 128(1) de la présente loi et la Commission instituée par la présente loi sont, à toutes fins, déclarées par les présentes constituer une seule et même institution.
La Loi sur l'immigration de 1976 ne renferme aucune disposition conférant à la nouvelle commis sion le pouvoir d'accorder le droit d'établissement à un appelant qui n'a pas gain de cause ou d'exa- miner les décisions rendues par son prédécesseur en vertu de la Loi sur la Commission d'appel de l'immigration. La requérante fait toutefois valoir que la Commission peut quand même exercer ces pouvoirs en tant que successeur et continuatrice de l'ancienne commission d'appel de l'immigration, et ce, malgré l'abrogation de la Loi sur la Commis sion d'appel de l'immigration.
A mon avis, la prétention de la requérante est bien fondée.
La nouvelle commission d'appel de l'immigra- tion est la même institution que celle qui a été créée par la Loi sur la Commission d'appel de l'immigration. Il s'ensuit qu'elle peut exercer les pouvoirs de l'ancienne commission, dans la mesure ceux-ci n'ont pas été abrogés. La seule disposi tion de la Loi sur l'immigration de 1976 ayant trait au prolongement des pouvoirs de l'ancienne commission d'appel de l'immigration est l'article 128(1) qui abroge de façon explicite la Loi sur la Commission d'appel de l'immigration. 2 Cette abrogation n'a pas pour effet, cependant, de priver la Commission de sa compétence en vertu de l'arti- cle 15 pour ce qui est de la requérante.
L'article 35c) 3 de la Loi d'interprétation abolit la règle de common law selon laquelle, sauf le cas de transactions déjà conclues, une loi abrogée est
2 128. (1) Sont abrogées la Loi sur les sociétés auxiliatrices de l'immigration, chapitre 146 des Statuts revisés du Canada de 1952, la Loi sur le travail des aubains, chapitre A-12 des Statuts revisés du Canada de 1970, la Loi sur l'immigration, chapitre I-2 des Statuts revisés du Canada de 1970 et la Loi sur la Commission d'appel de l'immigration, chapitre I-3 des Statuts revisés du Canada de 1970.
3 35. Lorsqu'un texte législatif est abrogé en tout ou en partie, l'abrogation
c) n'a pas d'effet sur quelque droit, privilège, obligation ou responsabilité acquis, né, naissant ou encouru sous le régime du texte législatif ainsi abrogé;
réputée n'avoir jamais existée. Il prévoit que l'abrogation d'une loi n'a pas d'effet sur quelque droit acquis ou sous le régime du texte législatif ainsi abrogé. Il est bien établi, maintenant, que les parties en litige ont un droit acquis quant à la compétence des tribunaux telle qu'elle existe lors- que les procédures sont instituées. 4 Par consé- quent, la simple abrogation des lois conférant cette compétence ne porte pas atteinte aux droits de ces parties.
A mon avis la requérante, en vertu de l'article 15, jouissait, avant le 10 avril 1978, d'un droit acquis quant au «prolongement de la compétence d'équité» de la Commission. L'abrogation de cet article, le 10 avril 1978, ne porte pas atteinte à ce droit. Il s'ensuit, nonobstant l'abrogation de la Loi sur la Commission d'appel de l'immigration, que la Commission d'appel de l'immigration conserve encore le pouvoir d'exercer sa compétence en faveur de la requérante conformément à l'article 15.
Étant donné que, après lecture des motifs de la décision de la Commission, il ressort que cette décision était principalement fondée sur le fait qu'elle n'avait pas compétence pour accorder le droit d'établissement à la requérante, il s'ensuit que la demande présentée en vertu de l'article 28 doit être accordée et que l'affaire doit être ren- voyée à la Commission pour être réglée à partir du principe qu'elle est compétente. Normalement, une telle décision est rendue sans la nécessité d'une nouvelle audition. Toutefois, compte tenu du fait que l'avocat de la requérante a plaidé, avec insis- tance, et probablement avec raison, qu'il avait été involontairement induit en erreur lorsqu'il a cru que la Commission ne tiendrait pas compte de certains documents sur lesquels la requérante a, de fait, fondé sa décision, je suis d'avis, qu'en l'espèce,. la Commission ne doit pas trancher le litige sans avoir recours à une nouvelle audition.
Pour ces motifs, j'accorde la demande présentée en vertu de l'article 28 et je renvoie l'affaire à la Commission pour que cette dernière rende une décision, à la suite d'une nouvelle audition à partir du principe que, malgré l'abrogation de la Loi sur
4 Voir: La Banque Royale du Canada c. Concrete Column Clamps (1961) Ltd. [1971] R.C.S. 1038; Loos c. La Reine [1971] R.C.S. 165; Ville de Jacques-Cartier c. Lamarre [1958] R.C.S. 109; Boyer c. Le Roi [1949] R.C.S. 89.
la Commission d'appel de l'immigration, la Com mission peut exercer, en vertu de l'article 15, sa compétence d'équité en faveur de la requérante.
* * *
LE JUGE LE DAIN: Je suis d'accord.
* * *
LE JUGE SUPPLÉANT HYDE: Je suis d'accord.
 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.