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T-5816-79
Agnieszka Wieckowska (Requérante) c.
Georges Lanthier et le ministre de l'Emploi et de l'Immigration du Canada (Intimés)
et
Le procureur général du Canada (Mis-en-cause)
Division de première instance, le juge Dubé— Montréal, le 10 décembre; Ottawa, le 17 décembre 1979.
Immigration Brefs de prérogative Prohibition Requête tendant à l'émission d'un bref de prohibition interdi- sant aux intimés de poursuivre l'enquête sur la requérante tant que sa revendication du statut de réfugié n'aura pas été résolue La requérante n'a pas été avisée par le Ministre du refus de sa revendication du statut de réfugié, mais par le greffier intérimaire du Comité consultatif sur le statut de réfugié Il échet d'examiner si le Ministre est tenu de notifier lui-même sa décision à la requérante par écrit ou si des fonctionnaires sont autorisés à communiquer la décision du Ministre Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, c. 52, art. 45(1),(5), 123.
REQUÊTE. AVOCATS:
Julius H. Grey pour la requérante.
Claude Joyal pour les intimés et le mis-en-
cause.
PROCUREURS:
Julius H. Grey, Montréal, pour la requérante. Le sous-procureur général du Canada pour les intimés et le mis-en-cause.
Voici les motifs de l'ordonnance rendus en fran- çais par
LE JUGE DUBÉ: Il s'agit ici d'une requête aux fins d'obtenir l'émission d'un bref de prohibition interdisant les intimés de poursuivre l'enquête de la requérante tant que sa revendication du statut de réfugié n'aura pas été résolue.
Dans son affidavit à l'appui de la requête la requérante affirme qu'elle n'a pas été avisée par le Ministre lui-même du refus de sa revendication du statut de réfugié. Ce refus lui a été signifié «indi- rectement» par un avis, en date du 19 février 1979,
de la part de R. C. Hartling, greffier intérimaire, Comité consultatif sur le statut de réfugié.
L'avis du greffier intérimaire, annexé à l'affida- vit, informe la requérante conformément au para- graphe 45(5) de la Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, c. 52, que le Ministre a établi qu'elle n'est pas un réfugié au sens de la Convention en ce qui concerne sa revendication présentée aux termes du paragraphe 45(1) de ladite Loi.
Le savant procureur de la requérante s'oppose à ce genre de communication de la décision du Ministre puisque, selon lui, elle va à l'encontre du paragraphe 45(5) de la Loi, lequel prescrit que «Le Ministre doit notifier sa décision par écrit ... à la personne qui a revendiqué le statut de réfugié». Selon lui, la délégation de pouvoirs du Ministre au greffier intérimaire va à l'encontre de la maxime delegatus non potest delegare.
Le procureur de la Couronne s'est alors empressé de produire à l'audition, sans affidavit mais de consentement de l'autre partie, le docu ment officiel I-32 intitulé «Délégation de pouvoirs en vertu de l'article 45(5) de la Loi sur l'immigra- tion». Le document, signé le 5 février 1979 par le ministre de l'Emploi et de l'Immigration du temps, se lit comme suit:
Conformément aux dispositions de l'article 123 de la Loi sur l'immigration, j'autorise, par les présentes, la personne sui- vante, et, en son absence, celle qui la remplace, à exercer tous les pouvoirs ainsi que toutes les fonctions et attributions que je dois exercer pour ce qui concerne le paragraphe (5) de l'article 45 de la Loi sur l'immigration:
Administration centrale
Greffier, Comité Consultatif du Statut de Réfugié
Il est constant que ledit R. C. Hartling est bel et bien greffier intérimaire du Comité consultatif sur le statut de réfugié.
Ce document toutefois n'a pas le don de tran- cher la question à la satisfaction du procureur de la requérante. Il maintient qu'en vertu des disposi tions du paragraphe 45(5) c'est le Ministre lui- même qui doit notifier la requérante de sa décision par écrit. Il allègue que cette technicité est très importante puisque, selon lui, si la décision prove- nait du Ministre lui-même la requérante pourrait en appeler.
Dans un premier temps il se réfère à un arrêt de la Cour suprême du Canada, Le procureur général du Canada c. Brent [1956] R.C.S. 318. En vertu de l'article 61 de la Loi sur l'immigration, de 1952, S.R.C. 1952, c. 325, le gouverneur en conseil pouvait établir des règlements pour limiter l'ad- mission de personnes au Canada pour différentes raisons. Un ordre en conseil, présumément en vertu de cet article, autorisait l'enquêteur spécial à refuser l'admission de certaines personnes pour différentes raisons. Le juge en chef Kerwin a décidé au nom de la Cour que le gouverneur général en conseil n'avait pas le droit de déléguer son autorité à ce fonctionnaire et que le paragra- phe 20(4) était donc invalide.
Dans un autre arrêt de la Cour suprême du Canada, Ramawad c. Le ministre de la Main- d'oeuvre et de l'Immigration [1978] 2 R.C.S. 375 le juge Pratte dit que dans certains cas la Loi sur l'immigration de 1970 [S.R.C. 1970, c. I-2] auto- rise la délégation de pouvoirs à plusieurs niveaux. Les plus importantes fonctions sont réservées au pouvoir discrétionnaire du Ministre, tandis que les autres pouvoirs sont délégués aux fonctionnaires. Le savant juge cite l'article 67 de l'ancienne Loi pour en conclure qu'il est interdit au Ministre de déléguer des pouvoirs à des personnes qui ne sont pas mentionnées à cet article. L'article en question mentionne le Sous-ministre et le directeur, ce qui exclut l'enquêteur spécial lequel n'avait donc pas le droit de décider des circonstances particulières justifiant la levée de l'interdiction.
En l'espèce, ce n'est pas du tout ce genre de pouvoir important que le Ministre a délégué au greffier du comité consultatif. Encore une fois, le seul pouvoir exercé par ce dernier en vertu du paragraphe 45(5) de la Loi était celui de transmet- tre la décision du Ministre.
En vertu des dispositions de l'article 123 de la nouvelle Loi le Ministre ou le Sous-ministre peut déléguer à des employés de la Fonction publique les pouvoirs que lui confèrent la Loi ou les Règle- ments, à l'exception des pouvoirs qui sont visés à certains alinéas, et les actes accomplis par lesdits fonctionnaires sont réputés l'avoir été par le Minis- tre ou le Sous-ministre. Aucun des alinéas de l'article 45 n'est mentionné aux exceptions prévues à l'article 123.
L'économie générale de la Loi révèle donc clai- rement l'intention du Parlement de permettre au Ministre de déléguer à des fonctionnaires ses fonc- tions de routine. Une interprétation contraire tom- berait dans l'absurde: c'est évidemment le rôle du greffier, plutôt que du Ministre lui-même, d'aviser les personnes revendiquant un statut de réfugié de la décision du Ministre.
ORDONNANCE La requête est rejetée avec dépens.
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