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T-1628-78
The Hamlet of Baker Lake, Baker Lake Hunters and Trappers Association, Inuit Tapirisat of Canada, Matthew Kunungnat, Simon Tookoome, Harold Qarlitsaq, Paul Uta'naaq, Elizabeth Alooq, Titus Alluq, Jonah Amitnak, Francis Kalu- raq, John Killulark, Martha Tickie, Edwin Eve, Norman Attungala, William Noah, Marion Pat- tunguyaq, Silas Kenalogak, Gideon Kuuk, Ovid Kinnowatner, Steven Niego, Matthew Innakatsik, Alex Iglookyouak, Titus Niego, Debra Niego, Ste- phen Kakimat, Thomas Anirngniq, Margaret Amarook, James Ukpaqaq, Jimmy Taipanak, Michael Amarook, Angela Krashudluaq, Margaret Narkjanerk, John Narkjanerk, Elizabeth Tunnuq, Marjorie Tarraq, Hanna Killulark, William K. Scottie, Edwin Niego, Martha Talerook, Mary Iksiktaaryuk, Barnabas Oosuaq, Nancy Sevoqa, Janet Ikuutaq, Marjorie Tuttannuaq, Luke Tung- nag, James Kingaq, Madge Kingaq, Lucy Tun- guaq, Hattie Amitnak, Magdalene Ukpatiky, Wil- liam Ukpatiku, Paul Ookowt, Louis Oklaga, H. Avatituuq, Luk Arngna'naaq, Mary Kakimat, Samson Arnauyok, Effie Arnaluak, Thomas Kaki- mat, Mathew Nanauq, John Nukik, Bill Martee, Martha Nukik, Silas Puturiraqtuq, David Mannik, Thomas Iksiraq, Robert Inukpak, Joedee Joedee, John Auaala, Hugh Tulurialik, Thomas N. Mannik, Silas Qiynk, Barnabus Peryouar, Betty Peryouar, Joan Scottie, Olive Innakatsik, Sarah Amitnak, Alex Amitnak, Vera Auaala, George Tataniq, Mary Tagoona, James Teriqa- niak, John Iqsakituq, Silas Kalluk, Hannah Kuuk, Hugh Ungungai, Celina Uta'naaq, Moses Nagyugalik, Mary Iqaat, Louis Tapatai, Harold Etegoyok, Sally Iglookyouak, Marjorie Aqigaaq, Matthew Aqigaaq, Mona Qiyuaryuk, Winnie Owingayak, Samson Quinangnaq, Elizabeth Qui- nangnaq, Hattie Attutuvaa, Paul Attutuvaa, Marion Anguhalluq, Luk Anguhalluq, Ruth Tulurialik, Irene Kaluraq, Charlie Toolooktook, Thomas Tapatai, Elizabeth Tapatai, B. Scottie, Mary Kutticq, Jacob Marriq, Lucy Kownak, A. Tagoona, Charles Tarraq, Vivien Joedee (Deman- deurs)
c.
Le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien, l'ingénieur nommé par le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien conformé-
ment à l'article 4 du Règlement sur l'utilisation des terres territoriales, DORS/77-210 modifié, le directeur des ressources non renouvelables du Nord du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, le registraire minier et le regis- traire minier adjoint du district minier de l'Arcti- que et de la Baie d'Hudson, le procureur général du Canada, Urangesellschaft Canada Limited, Noranda Exploration Company Limited, Pan Ocean Oil Ltd., Cominco Ltd., Western Mines Limited et Essex Minerais Company Limited (Défendeurs)
Division de première instance, le juge Mahoney— Baker Lake (Territoires du Nord-Ouest) et Toronto, les 14-19 mai, le 28 mai, le 8 juin et les 7-11 août; Ottawa, le 15 novembre 1979.
Couronne Brefs de prérogative Déclaration Injonc- tion Les demandeurs font valoir un titre aborigène sur des terres des territoires du Nord-Ouest Les demandeurs con- cluent à des ordonnances ou à des jugements a) interdisant aux autorités défenderesses de délivrer des permis d'utilisation des terres, b) interdisant les activités des compagnies défenderes- ses, c) déclarant que la Région de Baker Lake est assujettie à un titre aborigène, d) déclarant que les terres en cause ne sont ni des terres territoriales ni des terres publiques au sens de la Loi sur les terres territoriales ou de la Loi sur les concessions de terres publiques, e) déclarant que le Parlement n'a pas compétence pour abroger les droits aborigènes tant que le Canada ne se sera pas conformé aux conditions prévues par le décret impérial rattachant la Terre de Rupert au Canada et f), subsidiairement à l'alinéa e), déclarant que le Parlement ne peut abroger ces droits qu'au moyen d'une loi expresse Il échet d'examiner si le titre aborigène, si tant est qu'il ait jamais existé, a été éteint par la Charte royale de 1670, par le décret impérial rattachant la Terre de Rupert au Canada ou par quelque loi subséquente II échet d'examiner si les divers lois et règlements affectant les terres en cause sont valides Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867, 30 & 31 Vict., c. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, n" 5], art. 146 Décret impérial, S.R.C. 1970, Appendice II, n" 9, par. 14 Proclamation.-royale, S.R.C. 1970, Appendice II, n" I Loi sur les territoires du Nord-Ouest, S.R.C. 1970, c. N-22, art. 13 Loi sur les concessions de terres publiques, S.R.C. 1970, c. P-29, art. 4 Loi sur les terres territoriales, S.R.C. 1970, c. T-6, art 3.1, 3.2, 4, 8, 14, 19 Règlement sur l'utilisation des terres territoriales, C.R.C. 1978, Vol. XVIII, c. 1524 Règlement sur l'exploitation minière au Canada, C.R.C. 1978, Vol. XVII, c. 1516 Règles de la Cour fédérale 482(1)a),6), c), (2) a), b), (5).
Les demandeurs prétendent qu'il existe un titre aborigène sur une partie non définie des territoires du Nord-Ouest, autour de la localité de Baker Lake. Tous les défendeurs, autorités publi- ques et compagnies en cause, prétendent que si un titre abori- gène a jamais existé, il a été entièrement éteint soit par la Charte royale de 1670 portant cession de la Terre de Rupert à la Compagnie de la Baie d'Hudson, soit par le rattachement de la Terre de Rupert au Canada, soit par quelque loi subsé-
quente. Les défendeurs font valoir la validité de la Loi sur les terres territoriales, du Règlement sur l'utilisation des terres territoriales et du Règlement sur l'exploitation minière au Canada. Les compagnies défenderesses entendent poursuivre leurs activités et les autorités défenderesses entendent mainte- nir en vigueur les autorisations déjà accordées et en délivrer d'autres. Les demandeurs font valoir que ces activités consti tuent une violation illicite de leurs droits découlant de leur titre aborigène inuit. Notamment, leur droit de chasser le caribou aurait été gravement compromis. Les demandeurs concluent: a) à une ordonnance interdisant aux autorités défenderesses de délivrer des permis d'utilisation des terres, b) à une ordonnance interdisant aux compagnies défenderesses de poursuivre leurs activités dans la Région, c) à un jugement déclarant que la Région de Baker Lake est assujettie à un titre aborigène inuit, d) à un jugement déclarant que les terres en cause ne sont ni des terres territoriales ni des terres publiques au sens de la Loi sur les terres territoriales ou de la Loi sur les concessions de terres publiques, et qu'elles ne sont pas soumises non plus au Règlement sur l'exploitation minière au Canada, e) à un jugement déclarant que le Canada n'a pas la compétence législative pour abroger les droits aborigènes inuit tant qu'il ne se sera pas conformé aux conditions prévues par le décret impérial portant rattachement de la Terre de Rupert au Canada, f) subsidiairement à l'alinéa e), à un jugement décla- rant que tant que le Parlement n'aura pas expressément abrogé les droits aborigènes, il est interdit de toucher à la Région de Baker Lake en violation de ces droits, et g) à un jugement déclarant que les Inuit établis dans la Région de Baker Lake possèdent des «droits acquis» et sont «détenteurs» de «droits de surface» au sens de la législation applicable. Tous les défen- deurs concluent au rejet de l'action. Par demande reconvention- nelle, les compagnies défenderesses concluent en outre à des jugements déclarant que les terres situées dans la Région de Baker Lake sont des terres «territoriales» et «publiques» et que les Inuit qui y sont établis ne possèdent pas des «droits acquis» et qu'ils ne sont pas «détenteurs» de «droits de surface». Les demandeurs font valoir que l'ordonnance joignant les compa- gnies défenderesses à l'action leur interdit toute demande reconventionnelle.
Arrêt: les demandeurs ont droit à un jugement déclarant que les terres dont s'agit sont assujetties à un droit et à un titre aborigènes de chasse et de pêche au profit des Inuit. Ils sont déboutés des autres fins de la demande. La jurisprudence justifie le postulat que le droit canadien reconnaît l'existence d'un titre aborigène découlant de la common law et indépen- dant de la Proclamation royale ou de tout autre acte de prérogative ou législation. A l'époque l'Angleterre procla- mait sa souveraineté sur les barren lands, les Inuit en étaient les seuls occupants. En common law, ils détenaient sur ce territoire un titre aborigène comportant le droit de s'y déplacer en toute liberté, d'y chasser et d'y pêcher. L'octroi du titre à la Compa- gnie de la Baie d'Hudson avait pour but de définir son droit de propriété sur ces terres vis-à-vis de la Couronne, non d'anéantir le titre aborigène. La coexistence du droit collectif d'occupation des aborigènes et du droit de nue-propriété de la Couronne est caractéristique du titre aborigène et, à titre de propriétaire de la Terre de Rupert, la Compagnie se trouvait dans une position fort voisine de celle de la Couronne, sauf pour ce qui était de ses postes de traite. Son occupation du territoire en cause n'était, au mieux, que conceptuelle. Sa Charte royale n'a pas
anéanti le titre aborigène sur la Terre de Rupert, et la Loi de 1690, qui confirma la Charte, n'y changeait rien. Le décret impérial portant rattachement de la Terre de Rupert au Canada n'avait aucun effet sur le titre aborigène; il ne créait ni n'anéantissait aucun droit ou obligation vis-à-vis des aborigènes pas plus qu'il ne restreignait, par l'article 146 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867, la compétence législa- tive du Parlement. Le titre aborigène des Inuit n'a pas été éteint par cession. Le Parlement ne l'a pas expressément anéanti par une loi. Cependant, si le Parlement a l'intention d'abroger un titre aborigène, il n'est pas nécessaire qu'il l'énonce expressément dans la loi en la matière. Une fois qu'une loi a été régulièrement adoptée, elle s'applique, même si elle réduit ou abroge complètement un droit de common law. Parmi les textes de loi qui affecteraient le titre aborigène, la disposi tion clé est l'article 4 de la Loi sur les terres territoriales qui autorise la vente, la location ou autre aliénation des terres territoriales, et prévoit des restrictions et conditions en la matière. Les aliénations du genre et aux fins que le Parlement a pu raisonnablement envisager pour les barren lands ne sont pas nécessairement incompatibles avec le droit aborigène d'occupa- tion des Inuit. L'abrogation du titre aborigène des Inuit ne résulte pas nécessairement de la législation adoptée depuis 1870. Le titre aborigène en cause n'a pas été abrogé. A l'exception de quelques lots, l'ensemble du territoire en cause demeure une «terre territoriale» au sens de la Loi sur les terres territoriales et une «terre publique» au sens de la Loi sur les concessions de terres publiques, et est assujetti au Règlement sur l'exploitation minière au Canada. Si une loi régulièrement adoptée a pour effet de restreindre les droits compris dans un titre aborigène, cette loi l'emporte. La demande reconvention- nelle n'est pas un recours ouvert aux compagnies défenderesses en raison de l'ordonnance les joignant à l'action; cette ordon- nance ne prévoit nullement les demandes reconventionnelles. L'injonction provisoire du 24 avril 1978 est mise à néant.
Arrêt appliqué: Sigeareak E1-53 c. La Reine [1966] R.C.S. 645. Distinction faite avec l'arrêt: In re Southern Rhodesia [1919] A.C. 211. Arrêts appliqués: Calder c. Le Procureur Général de la Colombie-Britannique [1973] R.C.S. 313; Kruger c. La Reine [1978] 1 R.C.S. 104. Arrêts examinés: Amodu Tijani c. The Secretary, South ern Nigeria [1921] 2 A.C. 399; Mitchel c. Les États-Unis (1835) 9 Peters 711. Arrêts mentionnés: Worcester c. The State of Georgia (1832) 6 Peters 515; États-Unis d'Amé- rique c. Santa Fe Pacific Railroad Co. (1941) 314 U.S. 339. Arrêts examinés: Sikyea c. La Reine [1964] R.C.S. 642; St. Catherine's Milling and Lumber Co. c. La Reine du chef de l'Ontario (1889) XIV App. Cas. 46; Milirrpum c. Nabalco Pty. Ltd. (1970) 17 F.L.R. 141. Arrêt appli- qué: Regina c. Derricksan (1977) 71 D.L.R. (39) 159.
ACTION. AVOCATS:
Aubrey E. Golden, David Estrin et R. K. Timberg pour les demandeurs.
L. P. Chambers et D. T. Sgayias pour les autorités défenderesses.
W. C. Graham, c.r. et R. W. Cosman pour les défenderesses Pan Ocean Oil Ltd., Cominco Ltd. et Western Mines Limited.
T. G. Heintzman et M. M. Koenigsberg pour les défenderesses Urangesellschaft Canada Limited et Noranda Exploration Company Limited.
L. Price pour la défenderesse Essex Minerals Company Limited.
PROCUREURS:
Golden, Levinson, Toronto, pour les deman- deurs.
Le sous-procureur général du Canada pour les autorités défenderesses.
Fasken & Calvin, Toronto, pour les défende- resses Pan Ocean Oil Ltd., Cominco Ltd. et Western Mines Limited.
McCarthy & McCarthy, Toronto, pour les défenderesses Urangesellschaft Canada Limited et Noranda Exploration Company Limited.
Campbell, Godfrey & Lewtas, Toronto, pour la défenderesse Essex Minerals Company Limited.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE MAHONEY:
INTRODUCTION
Les demandeurs prétendent qu'il existe un titre aborigène sur une portion non définie des territoi- res du Nord-Ouest du Canada comprenant approximativement 78,000 kilomètres carrés autour de la localité de Baker Lake, ci-après appe- lée la «Région de Baker Lake». Les limites de cette Région coïncident avec celles des terres soustraites à l'aliénation tel que prévu par la Loi sur les terres territoriales' et par son décret d'application C.P. I977-1153 2 . Ces limites sont décrites à l'annexe «A». L'annexe «B» consiste en une carte du Canada localisant la Région de Baker Lake et l'annexe «C», en une carte de la plus grande partie du District de Keewatin, sont indiqués les plus importants accidents géographiques auxquels il sera ci-après référé.
' S.R.C. 1970, c. T-6.
2 C.R.C. 1978, Vol. XVIII, c. 1538.
Les demandeurs, le Hamlet of Baker Lake, la Baker Lake Hunters and Trappers Association et la Inuit Tapirisat of Canada sont des personnes morales. Les autres demandeurs sont les Inuit qui aujourd'hui vivent, chassent et pêchent dans la Région de Baker Lake.
Les défendeurs, le procureur général du Canada et les compagnies minières exceptés, sont le minis- tre des Affaires indiennes et du Nord canadien ainsi que certains hauts fonctionnaires du gouver- nement du Canada responsables, envers lui, de l'application de la législation minière dans les ter- ritoires du Nord-Ouest. Le Ministre et ses fonc- tionnaires, de même que le procureur général du Canada, lequel est poursuivi à titre de représentant de Sa Majesté la Reine du chef du Canada, sont ci-après collectivement appelés les «défendeurs du gouvernement». Les défenderesses Urangesell- schaft Canada Limited, Noranda Exploration Company Limited (responsabilité limitée), Pan Ocean Oil Ltd., Cominco Ltd., Western Mines Limited et Essex Minerals Company Limited sont ci-après collectivement appelées les «compagnies minières défenderesses». Ce ne sont pas les seules personnes ou entités se livrant à la prospection minière dans la Région de Baker Lake; cependant ce sont les seules qui ont demandé à intervenir, en tant que parties défenderesses, dans l'action. Leur demande a été accordée selon des modalités alors convenues.
Les défendeurs du gouvernement ont admis dans leurs actes de procédure que les demandeurs indi- viduels, et leurs prédécesseurs, ont occupé et fait usage de la Région depuis des temps immémoriaux mais ont cherché à retirer cette admission à la clôture de l'administration de la preuve et je note qu'ils ne l'ont pas répétée dans la défense, modifiée à nouveau, produite après le procès. Les compa- gnies minières défenderesses n'ont fait aucune admission semblable et ont contesté l'existence, à quelque époque que ce soit, d'un titre aborigène dont les personnes physiques demanderesses, ou leurs ancêtres, auraient joui. Tous les défendeurs prétendent que, si quelque titre aborigène a jamais existé, il a été entièrement éteint, sinon par la Charte royale de 1670 aliénant la Terre de Rupert à la Compagnie de la Baie d'Hudson, par l'incor- poration de celle-ci au Canada, ou par quelque loi subséquente.
Les défendeurs soutiennent que sont valides la Loi sur les terres territoriales, le Règlement sur l'utilisation des terres territoriales' et le Règle- ment sur l'exploitation minière au Canada 4 et que cette législation, ci-après globalement appelée «législation minière», est en vigueur et a plein effet dans la Région de Baker Lake. Dans la conduite de leurs activités là-bas, les compagnies minières défenderesses disent s'être conformées, et vouloir continuer à le faire, aux conditions des diverses autorisations obtenues des défendeurs du gouver- nement, autres que le procureur général, lorsque la législation minière le requérait. Elles ont aussi poursuivi, et entendent poursuivre, d'autres activi- tés pour lesquelles aucune autorisation n'est requise d'après cette législation. Pour leur part, les défendeurs du gouvernement entendent continuer de délivrer les autorisations nécessaires et de per- mettre à celles en vigueur de le demeurer, confor- mément à ladite législation. Les demandeurs font valoir que les activités ainsi autorisées constituent une érosion illicite de leurs droits découlant de leur titre aborigène inuit. Notamment leur droit de chasser le caribou aurait été gravement compro- mis.
En somme les demandeurs concluent:
a) à une ordonnance interdisant aux défendeurs du gouvernement de délivrer des permis d'utili- sation des terres, des permis de prospection, d'accorder des baux miniers et d'enregistrer des concessions ou claims miniers autorisant la poursuite d'activités minières dans la Région de Baker Lake;
b) à une ordonnance interdisant aux compa- gnies minières défenderesses de poursuivre de telles activités dans ces lieux;
c) à une déclaration selon laquelle les terres englobant la Région de Baker Lake sont [TRA- DUCTION] «grevées d'un droit et titre aborigènes de chasse et de pêche au profit des Inuit établis dans la Région ou dans les environs»;
d) à une déclaration selon laquelle les terres englobant la Région de Baker Lake ne sont ni des «terres territoriales» ni des «terres publiques» au sens de la Loi sur les terres territoriales et de
3 C.R.C. 1978, Vol. XVIII, c. 1524.
4 C.R.C. 1978, Vol. XVII, c. 1516.
la Loi sur les concessions de terres publiques' respectivement, ni assujetties au Règlement sur l'exploitation minière au Canada;
e) à une déclaration selon laquelle tant que le Canada ne se sera pas conformé aux conditions du décret impérial 6 par lequel la Terre de Rupert a été réunie au Canada, celui-ci n'a pas la compétence législative d'abroger les droits aborigènes des Inuit dans la Région de Baker Lake;
f) subsidiairement à l'alinéa e), à une déclara- tion selon laquelle tant que le Parlement n'aura pas expressément abrogé ces droits aborigènes, nul n'est en droit d'agir relativement à la Région de Baker Lake d'une manière incompatible avec les droits aborigènes des Inuit indépendamment de toute autre autorité légale;
g) à une déclaration que les Inuit établis dans la Région de Baker Lake possèdent des «droits acquis>» et sont «détenteurs» de «droits de sur face» au sens de la législation minière applicable à la Région de Baker Lake;
h) aux dépens.
J'ai conscience que, tout au long de la déclaration, on a désigné par l'expression «Région de Baker Lake», un vaste territoire non délimité incluant celui auquel j'ai appliqué l'expression. Je ne me suis pas senti obligé de tenir compte de cette distinction dans le précédent résumé.
Les défendeurs du gouvernement demandent le rejet, avec dépens, de l'action. Les compagnies minières défenderesses demandent le rejet de l'ac- tion et certaines, en demande reconventionnelle, des jugements déclaratoires disant que les terres de la Région de Baker Lake sont des terres «territo- riales» et «publiques» et que les Inuit qui y sont établis ne possèdent aucun «droit acquis»» et ne sont nullement «détenteurs» de «droits de surface». Elles déclinent aussi la compétence de la Cour d'accor- der le jugement déclaratoire recherché contre elles. Les demandeurs font valoir que les dispositions de l'ordonnance par laquelle les compagnies minières défenderesses ont été jointes comme parties défen- deresses leur interdit toute demande reconvention- nelle. Tous les défendeurs ont contesté, au cours du débat, mais non dans leurs actes de procédure, le droit des personnes morales demanderesses d'en- gager l'action.
5 S.R.C. 1970, c. P-29.
6 S.R.C. 1970, Appendice II, 9.
En examinant la preuve administrée, je décrirai d'abord la géographie de la Région de Baker Lake et de ses environs, puis son occupation par l'Homme, des âges préhistoriques à nos jours, enfin je traiterai de l'activité minière actuelle et de ses effets sur le caribou et sur les Inuit qui le chassent. On notera que le mot «Inuit», de l'Inuk- tutuk, n'est entré dans l'usage que tout récemment et qu'auparavant le terme «Esquimau», épelé de diverses façons, une adaptation d'un mot algon- quin, constituait la traduction acceptée en français d'Inuit. J'emploierai le mot «Inuit» autant que possible. Il signifie «les Gens».
LES BARREN LANDS
Les «barren lands» ou terres dénudées, c'est le nom que l'on donne à cette partie de l'intérieur du Canada continental située au nord et à l'est de la ligne d'arborescence dont les méandres s'étendent depuis la Baie d'Hudson, au nord de Churchill au Manitoba, jusqu'au delta du fleuve Mackenzie, au nord d'Inuvik, dans les territoires du Nord-Ouest. Ils sont tapissés de lacs et enlacés de rivières et de cours d'eau. La Région de Baker Lake est entière- ment située dans les barren lands. Le hameau, à peu près au centre de la Région, est sis sur la rive nord du lac, à son extrémité occidentale, à quel- ques kilomètres de l'embouchure de la rivière Thelon.
Les lacs Schultz, Aberdeen et Beverly s'étendent en amont le long de la Thelon. La rivière Dubaunt se jette dans le lac Beverly depuis le sud; en amont se trouvent les lacs Marjorie et Wharton, à l'inté- rieur de la Région, et les lacs Grant et Dubaunt, à l'extérieur. La rivière Kazan se jette dans le lac Baker au sud, en face du hameau, un peu à l'est; un peu plus en amont, il y a les chutes Kazan et le lac Thirty Mile, à l'intérieur de la Région, et, un peu plus loin, à l'extérieur, les lacs Yathkyed et Angikuni. En amont, appartenant au bassin de la rivière Kunwak, qui conflue avec la Kazan, arri- vant de l'ouest, au lac Thirty Mile se situent les lacs Princess Mary, Mallery et Tebesjuak, tous à l'intérieur de la Région. L'île Christopher se trouve à l'extrémité orientale du lac Baker, lequel se déverse à l'est dans l'inlet Chesterfield et dans la Baie d'Hudson. La rivière Back, qui débouche dans l'inlet Chantrey et dans l'océan Arctique, draine tout le nord-ouest de la Région, y compris
les lacs Garry et Sand. La rivière Ferguson draine l'extrémité sud de la Région, y compris le lac Kaminuriak, et se jette dans la Baie d'Hudson.
Les Inuit ont identifié les environs des chutes Kazan, de l'île Christopher et des lacs inclus dans la Région comme lieux ils ont chassé le caribou récemment. Avant leur sédentarisation ils chas- saient aux alentours de tous les lacs mentionnés, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de la Région, et plus loin encore.
La ligne d'arborescence est un limbe de transi tion de largeur variable la végétation passe de la forêt boréale à la toundra. les épinettes ne poussent plus, s'arrête la forêt boréale. Les saules qui poussent plus loin tiennent plutôt du buisson que de l'arbre. On trouve de petits bos- quets d'épinettes bien au nord de la ligne mais non des boisés entiers.
La ligne d'arborescence a varié au cours des siècles. Elle se déplace en fonction de l'évolution climatique globale. Il semble que la forêt boréale ait atteint sa pénétration septentrionale maximale, pour la région concernée en l'espèce, il y a environ 6,000 ans alors qu'elle atteignit la vallée de la rivière Thelon. Elle retraita vers le sud après 1500 av. J.-C. mais réapparut à nouveau au nord de sa position actuelle vers 1100 ap. J.-C. On présume que sa situation à un moment donné est un facteur important pour déterminer le degré de pénétration de ce qui constitue maintenant les barren lands, dans et aux alentours de la Région de Baker Lake, par les indiens qui vivent normalement dans la forêt boréale d'une part, et, d'autre part, du degré d'occupation du même territoire par les Inuit.
Bien qu'il existe d'autres sources de nourriture, comme le poisson et le boeuf musqué, la preuve administrée démontre qu'à toute fin pratique la plus importante est le caribou. Il est nécessaire à la survie des hommes habitant les barren lands. Sa présence est l'unique explication de l'avance indienne sur les barren lands et de la survie des ancêtres des demandeurs qui y ont vécu à l'année longue.
LA PÉRIODE PRÉHISTORIQUE
La Cour a eu la bonne fortune de bénéficier du témoignage de deux éminents archéologues que leurs travaux ont amené sur le terrain dans et aux
alentours de la Région de Baker Lake. Il s'agit de messieurs Elmer Harp fils, titulaire d'un doctorat, Professor Emeritus d'archéologie au Dartmouth College (Hanover, New Hampshire) et de J. V. Wright, aussi titulaire d'un doctorat, Chef de la Section scientifique de la Commission archéologi- que du Canada, une branche du Musée national de l'Homme. Leurs titres de compétence sont impec- cables. Le témoignage de monsieur Wright n'a été admis qu'à titre de preuve contraire. Il n'a pas cherché à infirmer la vue d'ensemble donnée par monsieur Harp de l'occupation par les Inuit de l'Arctique nord-américain en général mais s'est plutôt attaché à la question cruciale de l'impor- tance de l'occupation par les Inuit, si occupation il y a eu, de la Région de Baker Lake antérieurement à l'époque historique.
On croit que le peuplement initial de l'Arctique nord-américain commença par une migration de la Sibérie vers l'Alaska il y a à peu près 45,000 ans et que ce peuplement progressa vers l'est au cours des millénaires ultérieurs. La première manifestation humaine reconnue au centre et à l'est de l'Arctique canadien est appelée culture prédorsétienne, la culture dorsétienne, postérieure, ayant été identi- fiée auparavant. Il va sans dire que toutes les dates postulées sont hautement approximatives. La période prédorsétienne s'étend d'environ 2000 à 1000 av. J.-C. Elle était centrée sur la terre plutôt que sur la mer. La plupart des sites prédorsétiens connus se trouvent à l'intérieur et les vestiges qu'on y a trouvés soulignent tous l'importance de la chasse au caribou. Les Prédorsétiens ne sau- raient être identifiés positivement comme des Inuit; on n'a retrouvé aucun ossements de ceux-ci. La culture dorsétienne qui suivit, de 1000 av. J.-C. à 800 ap. J.-C. se caractérise par une forte propen- sion à la chasse des mammifères marins, tant sur terre que sur la glace. La plupart des sites connus sont sur la côte. Le peu d'ossements découverts amène à croire que les Dorsétiens étaient des Inuit. Il semble qu'à l'occasion, selon la saison, les Inuit dorsétiens chassaient aussi le caribou à l'intérieur des terres. La culture thuléenne apparut en Alaska vers l'an 1000 ap. J.-C. et se répandit rapidement à l'est jusqu'à ce que, entre 1200 et 1400, elle absorbe ou élimine la culture dorsétienne. La cul ture thuléenne se caractérisait par une grande maîtrise de la navigation, de plus grandes embar- cations, la chasse des grands mammifères marins
sur l'eau et l'emploi, nouveau, de chiens comme bêtes de trait. Les hommes de la culture thuléenne sont des Inuit. Eux aussi ont chassé le caribou à l'intérieur des terres, en saison.
Vers 1400 quelque chose se produisit; il y a plusieurs théories mais on ne s'entend pas sur ce que ce fut. Les Thuléens semblent avoir retraité vers l'ouest ne laissant que de petits groupes épar- pillés à travers le centre et l'est de l'Arctique. Il y a lieu de croire à l'existence d'une superposition d'occupation de certains lieux par les Dorsétiens et les Thuléens. Selon la théorie de monsieur Harp, les Thuléens auraient, au cours des âges, assimilé les Dorsétiens. De toute façon il est généralement admis que les Thuléens sont les ancêtres directs des Esquimaux du caribou.
Les ancêtres préhistoriques des Indiens parlant l'Algonquin, y compris les Chipewyan, se sont aventurés vers le nord depuis les plaines américai- nes après la période glaciaire. Ils se sont adaptés à la vie dans la forêt boréale et ont eux aussi chassé le caribou en saison sur les barren lands.
Au cours de l'été 1958, monsieur Harp et un collègue ont effectué la première reconnaissance archéologique extensive de la région de la rivière Thelon à l'ouest du lac Baker. Ils ont découvert 42 sites d'importance archéologique et effectué des fouilles sur quatre sites déjà connus. Tous étaient situés à un point de traversée du caribou d'une étendue d'eau importante ou dans le voisinage: dix à l'extrémité occidentale du lac Baker, douze sur le lac Schultz, neuf aux abords du lac Aberdeen, treize au lac Beverly et deux au lac Grant. Les deux sites les plus à l'ouest sur le lac Beverly seraient à l'extérieur de la Région de Baker Lake. Les autres sites, de l'est vers l'ouest, sur les lacs Baker, Schultz et Aberdeen, et sur la portion orientale du lac Beverly, se trouvent tous à l'inté- rieur. Le lac Grant est à l'extérieur.
Les sites ne contenaient pas tous suffisamment de vestiges permettant de les classer. Monsieur Harp en a identifié quatre, tous à l'extrémité ouest du lac Baker, qui remonteraient à l'époque prédor- sétienne. Il n'a trouvé nulle preuve d'occupation dorsétienne. Six sites ont été identifiés comme thuléens. Dix-huit auraient été occupés par des Indiens de la préhistoire à deux stades distincts de leur développement culturel. Douze par des
Indiens encore proches de la culture de la prairie, le reste par des Indiens déjà bien adaptés à la forêt boréale. Les deux sites du lac Grant sont indiens. On n'a trouvé aucun site indien au lac Baker. Des sites indiens et des sites thuléens ont été trouvés sur les autres lacs mais les sites indiens du lac Schultz, celui le plus à l'est après le lac Baker, sont tous de la période la plus ancienne. Les Indiens comme les Thuléens occupèrent deux sortes de sites. Environ la moitié de ceux reconnus ont fait l'objet d'une occupation plus ou moins longue, ce qui ne veut pas dire continue, alors que les autres n'étaient que des «caches» les chasseurs se mettaient à l'affût et passaient le temps à faire des pointes au quartzite pour leurs armes.
Les conclusions de monsieur Harp, dans la mesure elles nous intéressent en l'espèce, sont que la région de la Thelon n'a été habitée que peu après 3000 av. J.-C. et qu'elle a alors été occupée, successivement, par:
[TRADUCTION] a. D'anciens chasseurs indiens dénotant une diffusion culturelle limitée des cultures de chasseurs de bison des Hautes plaines du stade archaïque.
b. Les Esquimaux prédorsétiens de l'Arctique central.
c. Des chasseurs indiens de la phase archaïque récente prove- nant de l'intérieur.
d. Les Esquimaux de la culture thuléenne.
e. Les Esquimaux du caribou, derniers arrivés.
Monsieur Harp a aussi conclu que les Esquimaux du caribou descendent des Thuléens et que, avant les Esquimaux du caribou: [TRADUCTION] «toutes ces occupations avaient été sporadiques et fondées principalement sur la chasse estivale du caribou».
L'expression «Esquimaux du caribou» est employée pour distinguer les Inuit de l'intérieur de ceux de la côte. Sauf exception, les individus demandeurs, et leurs ancêtres, aussi loin que l'on puisse trouver des vestiges dignes de foi, sont et ont été des Esquimaux du caribou. Le terme n'a pas de connotation ethnique. Il avait une grande impor tance pour la première théorie, qui n'est plus reconnue fondée, principalement en conséquence des travaux de monsieur Harp, selon laquelle au moins certains Esquimaux auraient migré de l'in- térieur vers la côte, laissant derrière eux ceux qui allaient devenir les Esquimaux du caribou. Tous les Inuit, depuis l'Alaska jusqu'au Groenland, for- ment un seul et même groupe ethnique.
Les travaux de monsieur Wright suivent ceux de monsieur Harp et en sont, de bien des façons, la conséquence directe. Celui-ci a eu l'avantage d'ap- pliquer les techniques de datation au carbone à une partie du produit de ses fouilles. Malheureuse- ment le processus est loin d'être terminé. Il a entrepris des fouilles majeures au lac Grant, à l'extrémité ouest du lac Aberdeen et le long du cours inférieur de la rivière Back, près de l'inlet Chantrey, quelque peu au nord de la Région de Baker Lake. En autant qu'il s'agit des lacs Grant et Aberdeen, toutes les traces de présence des Inuit se rapportent au 19e et 20e siècles. Il y aurait eu une présence indienne depuis 500 ans av. J.-C. jusqu'à la fin du 18 e siècle. L'exploration au nord de la Région de Baker Lake n'a rien révélé si ce n'est des traces d'occupation inuit continues. Ces traces disparaissent rapidement à mesure que l'on s'éloigne de la côte. Quant aux travaux de mon sieur Harp au lac Schultz et à l'extrémité orientale du lac Aberdeen, monsieur Wright était d'avis que seule était prouvée l'occupation indienne, il y a sept ou huit mille ans. Les vestiges d'occupation humaine à la fin de la préhistoire sont probants mais insuffisants pour permettre de dire si elle fut Inuit ou indienne. Il reconnaît que les vestiges trouvés au lac Baker vont tous dans le sens d'une occupation esquimaude préhistorique exclusive mais il n'admet pas comme prouvé un développe- ment continu in situ allant des Inuit thuléens aux Esquimaux du caribou.
Le raisonnement suivi par monsieur Harp pour conclure qu'un tel développement in situ s'était produit se trouve à la page 68 de son rapport, qui a été publié.' On doit en le lisant garder à l'esprit son objet principal, la réfutation de la théorie antérieure selon laquelle les Esquimaux ou Inuit, seraient d'abord apparus à l'intérieur et se seraient déplacés vers la côte. Il s'intéressait à l'époque aux origines des Esquimaux du caribou non à la nature ni à l'importance de l'occupation d'une région particulière, en concurrence avec les Indiens, par les Inuit thuléens ou les Esquimaux du caribou. Lorsqu'on appela son attention sur ce sujet au procès, il déclara: *
' The Archaeology of the Lower and Middle Thelon, North west Territories, Arctic Institute of North America, Technical Paper No. 8, décembre 1961.
* Notes sténographiques, Vol. IX, pages 1195 et suiv.
[TRADUCTION] Dans mon esprit la Toundra arctique septen- trionale, au-delà de la ligne d'arborescence, est essentiellement le pays des Esquimaux. A mon avis, ce sont les Indiens qui par le passé, auraient été les intrus. J'exagère peut-être. Peut-être devrait-on en toute équité reconnaître que ces deux peuples ont, périodiquement, occupé ce limbe de transition pour l'exploiter à leurs propres fins culturelles. ... En dernière analyse tous deux n'ont pas été à même de parvenir, pour une période de temps qui vaille, à une occupation permanente de la région. Ils ont tous deux eu à se retirer soit vers le sud, soit vers le nord, vers la côte, vers des milieux plus propices, auxquels ils savaient faire face et qu'ils pouvaient exploiter avec plus de succès.
LA PÉRIODE HISTORIQUE
L'histoire des environs du lac Baker commence avec le voyage de Henry Hudson à la Baie d'Hud- son et à la Baie James en 1610 et en 1611. Ce voyage constitue le fondement des prétentions de l'Angleterre sur cette partie du Canada. Aucune observation d'habitation humaine, que ce soit proche de l'inlet Chesterfield, ne fut consignée par écrit.
La Région de Baker Lake se trouve sur l'an- cienne colonie de la Terre de Rupert, territoire aliéné en pleine propriété à la Compagnie de la Baie d'Hudson par la Charte royale de Charles II du 2 mai 1670. Il est notoire que la Terre de Rupert fut une colonie de peuplement et non une colonie acquise par conquête ou par cession. On doit noter que les conséquences juridiques particu- lières du peuplement, à l'opposé de la conquête ou de la cession, en ce qui concerne le droit interne d'une colonie, n'ont été définies dans un précédent judiciaire rapporté qu'en 1693 8 . La distinction fut élaborée en réponse aux besoins des colons anglais et ne fut pas, au début, étendue au règlement des différends impliquant la population indigène. Je dois statuer que la Proclamation royale de 1763 9 ne s'applique pas, ni ne s'est jamais appliquée, à la Terre de Rupert 10 .
Après l'incorporation de la Terre de Rupert au Canada en 1870, certaines portions de son terri- toire ont fait l'objet de traités entre aborigènes et gouvernement dont le plus récent est la Convention de la Baie James de 1976. La seule colonisation qui ait eu lieu avant 1870 fit l'objet du traité
8 Blankard c. Caldy 90 E.R. 1089; aussi 87 E.R. 359, 90 E.R. 445 et 91 E.R. 356.
9 S.R.C. 1970, Appendice II, 1.
10 Sigeareak E1-53 c. La Reine [ 1966] R.C.S. 645.
Selkirk en 1817. Il semble que la politique de la Compagnie ait été, dès 1683, d'acquérir les terres nécessaires à ces postes de traite par traité; aucun de ces traités n'a cependant été produit en preuve."
La première pénétration européenne de la Région de Baker Lake eut lieu en août 1762. Le sloop Churchill et le cotre Strivewell, commandés respectivement par William Christopher et Moses Norton, partis du fort Prince of Wales, c.-à-d. Churchill, au Manitoba, s'engagèrent sur le lac Baker par l'inlet Chesterfield. Les journaux de bord de Christopher et Norton que la Compagnie de la Baie d'Hudson leur avait requis de tenir, se trouvent dans les archives de la Compagnie à Winnipeg. Des copies photographiées de ces jour- naux, au complet, ont été produites. L'archiviste de la Compagnie, Shirley Ann Smith, a bien voulu obliger la Cour en en lisant des extraits pertinents. Ils sont d'une lecture difficile pour le non-initié.
D'après le journal de Christopher, à 5 h du matin, le 8 août, il constata que l'étendue d'eau sur laquelle il se trouvait était douce et ne subissait plus l'effet de la marée. Il l'a nommée le lac Baker. Il semble qu'ils aient avant tout cherché à trouver une issue navigable au nord du lac, probablement dans les parages de ce qui est maintenant l'île Christopher, plutôt qu'à explorer le lac lui-même. Le 11 août le Strivewell fut envoyé seul poursuivre l'exploration il n'y avait plus assez de fond pour le Churchill. Vers la fin de l'après-midi du 12 août, un camp d'Inuit de deux tentes, vivaient deux hommes, deux femmes et sept enfants, fut rencontré. La marée se faisait sentir à cet endroit, la preuve administrée n'établit pas clairement si on était à l'intérieur ou immédiatement à l'extérieur de la Région de Baker Lake. Le Strivewell remonta le chenal exploré et, au retour, on visita à nouveau le camp et des présents furent remis. Les Inuit n'avaient rien à troquer. On notera qu'entre autres choses Christopher et Norton recherchaient des traces de dépôts miniers. Ils n'ont signalé aucun contact avec des Indiens.
Samuel Hearne, lui aussi un agent de la Compa- gnie, est l'européen qui le premier visita ensuite la Région de Baker Lake, en 1770. Avec l'agrément
" E. E. Rich, Hudson's Bay Company 1670-1870, Toronto, McClelland and Stewart Limited, 1960, pp. 62-63, 102, 109, 145.
des parties, une photocopie des chapitres II et III d'une version publiée et corrigée de son journal fut produite comme preuve. Le 23 février il partit, par voie de terre, du fort Prince of Wales pour tenter une seconde fois de découvrir les dépôts de cuivre dont on avait signalé l'existence sur la côte arcti- que. Cinq Indiens cris l'accompagnaient. Au cours de ce voyage, l'expédition Hearne s'avança dans le sud-ouest de la Région de Baker Lake. Ils arrivè- rent du sud et atteignirent ce qui était probable- ment la rivière Kazan, entre les lacs Angikuni et Yathkyed, le 30 juin. D'étranges Indiens qui «habi- taient» la rive nord de la rivière la leur firent traverser. Le 6 juillet ils poursuivirent leur route vers le nord jusqu'à la rive occidentale du lac Yathkyed. Le 22 juillet ils rencontrèrent encore d'autres de ces étranges Indiens. Ils étaient alors, en toute probabilité, dans la Région de Baker Lake même. L'expédition passa entre les lacs Mallery et Tebesjuak, tous deux à l'intérieur de la Région, avant le 30 juillet, date ils bifurquèrent vers l'ouest. A ce moment-là le guide de Hearne parvint à le convaincre que la saison était trop avancée pour tenter d'atteindre la côte arctique et qu'il valait mieux hiverner avec ces étranges Indiens qui les accompagnaient toujours. Le 30 juillet il y avait au moins 600 Indiens dans le groupe. Ils poursuivirent ensemble vers l'ouest, quittant la Région de Baker Lake en suivant une route qui les amena entre les lacs Tebesjuak et Wharton. Ils doivent avoir franchi la rivière Dubaunt, un peu avant le 6 août, en un point à l'extérieur de la Région. Ils n'y revinrent plus par la suite. Le 11 août le quadrant de Hearne se brisa et, avec ses Cris, il revint au fort Prince of Wales par l'ouest en contournant le lac Dubaunt puis en marchant vers le sud-ouest. Hearne ne rapporte aucune ren- contre avec des Inuit au cours de ce voyage con- trairement à ses expéditions antérieures.
C'est un fait historique qu'à l'époque des explo rations d'Hearne les Indiens et les Inuit étaient de mortels ennemis et que les Indiens, qu'on avait approvisionnés en armes à feu, avaient l'avantage en cas d'affrontement. C'est aussi un fait histori- que que les Indiens ont été très vulnérables aux maladies européennes, en particulier à la variole. L'épidémie de variole qui décima les Chipewyan, ces «étranges Indiens» qu'avait rencontrés Hearne, eut lieu en 1780; celle qui décima les Cris qui occupaient le territoire au sud des Chipewyan,
avait eu lieu auparavant. Il est juste de supposer que les Indiens, une fois entraînés dans la traite des pelleteries, chercheraient à occuper les territoi- res l'on pourrait trouver les plus belles fourrures et que, somme toute, plus on s'avançait de la forêt boréale dans les barren lands, moins la chasse était productive. Enfin c'est un fait historique qu'aucun établissement blanc ne fut implanté dans la Région de Baker Lake avant qu'un poste de la Compagnie de la Baie d'Hudson n'y soit établi, à peu près sur les lieux du hameau actuel, en 1914.
AVANT LA SÉDENTARISATION
Les témoins Inuit, William Scottie, 22 ans, excepté, se rappellent tous leur mode de vie d'avant la sédentarisation. Certains ont passé plu- sieurs années de leur vie adulte dans les barren lands; d'autres à la fin de l'adolescence suivirent leur famille et vinrent vivre au hameau. Ils parlent eux aussi de la vie de leurs aïeux. Leurs témoigna- ges et celui du Surintendant Dent se complètent.
A part quelques-uns qui travaillaient au hameau, les Inuit de la Zone opérationnelle étaient tous nomades il y a moins d'un quart de siècle. Ils vivaient de la chasse au caribou dans des camps de deux à trois familles. Ces camps constituaient la cellule de base d'une «société de clan» plus large composée de quelques centaines de personnes dis persées dans plusieurs camps. Les membres du même clan parlaient le même dialecte, se mariaient entre eux et échangeaient des renseigne- ments sur la chasse plus fréquemment qu'avec les membres d'autres clans. Si un camp en rencontrait un autre, du même clan ou d'un clan différent, chacun offrait l'hospitalité à l'autre mais de telles agrégations ne duraient jamais longtemps. Les exi- gences de la survie dictaient une société composée de petits groupes dispersés. Le clan lui-même ne comportait aucune hiérarchie politique; cela n'existait qu'au niveau du camp. Les décisions majeures portaient toutes sur la chasse, dirigées au niveau du camp, et étaient prises par les chasseurs les plus anciens. Ni au niveau de l'individu, ni à celui du camp ou du clan, prétendait-on ou recon- naissait-on des droits exclusifs sur un territoire particulier. Il y avait peu d'Inuit, les barren lands étaient vastes et tous partageaient le problème de la survie dans un environnement des plus inhospi- talier. Cela exigeait un haut niveau de tolérance et de coopération de tous envers tous.
Le caribou fournissait les nécessités de la vie: la nourriture, le vêtement et le logement l'été. En supplément il y avait le poisson, pour les hommes comme pour les chiens. Ceux-ci servaient au trans port l'hiver et de nourriture, en cas de force majeure. L'été il y avait les canots. Des habitations de neige servaient d'abri l'hiver. La transhumance des caribous dictait les déplacements des Inuit l'été, l'emplacement des caches l'hiver. On campait l'expérience enseignait que l'on pourrait trou- ver des concentrations de caribous l'été; car c'était la chasse était la meilleure et le gibier était placé dans des caches. Ces concentrations se rencontraient le caribou devait traverser quelque grande étendue d'eau. Avec des armes primitives il était beaucoup plus facile de rattraper et de tuer les caribous lorsqu'ils nageaient que sur la terre ferme et, quoique l'arrivée des armes à feu ait modifié cet état de chose, les concentrations saisonnières de bêtes au lieu de traversées des principales étendues d'eau demeurèrent. Le boeuf musqué, beaucoup plus rare que le caribou, les oiseaux et leurs veufs étaient aussi une source de nourriture. Le boeuf musqué pouvait aussi servir de denrée commerciale comme le renard et le loup. Toutefois le caribou demeurait la denrée essen- tielle. Il façonna la société des Inuit sur les barren lands.
Les Inuit, avant leur sédentarisation, consti- tuaient une société de clan; c'est ce que conclut monsieur Milton J. Freeman, titulaire d'un docto- rat, expert que les demandeurs ont produit comme témoin. Cet aspect de son témoignage sera exa- miné plus longuement plus bas. William Noah et Simon Tookoome ont tous deux déclaré que leur père avait été Illinlingmiut et leur mère Ukkusik- salmiut. D'autres ont désigné leurs parents et grands-parents comme des Hainingayormiut, Qaernermiut et Harvaqtormiut. La liste n'est pas exhaustive. La connotation réfère à des traits dia- lectaux et géographiques uniquement. Ils associent les différences dialectales à certaines aires géogra- phiques particulières et à leurs habitants mais, à leurs yeux, les Inuit sont les Inuit et ils n'ont aucune conception que les habitants d'une région particulière, parlant le dialecte qui y est associé, puissent constituer une tribu ou quelque subdivi sion politique au sein de cet ensemble plus large qu'on appelle les Inuit: «des Gens».
Les vestiges historiques et archéologiques confir- ment que le mode de vie de base qu'ont décrit les témoins inuit comme ayant cours avant la sédenta- risation a prévalu tant que les Inuit ont habité les barren lands. Ce mode de vie, à son tour, est entièrement consistant avec l'ordre politique et social qu'ont décrit ces témoins. L'autoneige n'existait pas avant la sédentarisation. L'acquisi- tion d'armes à feu fut probablement l'unique et le plus important développement après l'utilisation des chiens comme bêtes de trait, mais ce n'était qu'obtenir des projectiles, d'une plus grande portée et en plus grand nombre pour la chasse. Rien ne justifie de déduire que les us nomades inuit, leurs relations envers la terre et leur ordre politique et social aient, depuis les temps préhistoriques, changé avant leur sédentarisation.
LA SÉDENTARISATION DES INUIT DE BAKER LAKE
Le Surintendant C. J. Dent arriva à Baker Lake comme simple agent de la G.R.C. à l'automne 1953; il fut promu caporal, et sous-officier respon- sable de la Zone opérationnelle, l'année suivante. Il resta à ce poste jusqu'à l'été 1956 puis, à nouveau, y revint de l'été 1958 jusqu'à l'été 1960. La Zone opérationnelle, connue comme le District E2, comprenait presque toute la Région de Baker Lake et plus encore, s'étendant de la limite du District de Mackenzie à l'ouest, au-delà du lac Kaminuriak au sud-est et presque jusqu'à l'extré- mité occidentale de la baie Wager au nord-est. A son arrivée la population de l'agglomération était de 40 à 50 personnes dont toutes, sauf 17, étaient inuit. Il y-avait une station météorologique et une station radio, deux missions religieuses, le poste de la Compagnie de la Baie d'Hudson et le détache- ment de la G.R.C. Tous les chefs de famille inuit, sauf un, travaillaient aux divers établissements blancs.
La population de toute la Zone opérationnelle dépassait à peine 400 personnes. Ceux qui ne travaillaient pas au hameau vivaient de la terre. Ils étaient dispersés sur l'ensemble de la Zone en groupe de une, deux ou trois familles habitant et se déplaçant ensemble. Ils étaient nomades. Les rap ports de routine de l'époque soulignent les difficul- tés qu'il y a à les localiser. Les allocations familia- les venaient maintenant s'ajouter à leur revenu
monétaire tiré du piégeage et de la chasse. En dépit de cet argent, la survie dépendait toujours d'une chasse fructueuse et donc du gibier, princi- palement du caribou.
Dans la Zone les conditions variaient d'année en année, de saison en saison et d'un lieu à l'autre. Au cours de l'hiver et du printemps 1957-58, les décès d'Inuit aux environs de la rivière Back et du lac Garry, la même région, à peu près, sont récem- ment retournées deux familles, furent nombreux et l'opinion publique dans le sud du Canada, avertie, s'en émut. Leur cause, directe ou indirecte, était la faim. Le gouvernement adopta alors comme politi- que d'encourager les Inuit à se sédentariser dans des lieux où, à tout le moins, ils ne mourraient pas de faim. Des habitations furent fournies. Les enfants furent encouragés, sinon obligés, d'aller à l'école. Lorsque Dent quitta en 1960, la population de la localité atteignait de 150 à 200 personnes. Un dispensaire et une école venaient d'être cons- truits et d'autres facilités agrandies. Que cette politique fut couronnée de succès, c'est l'évidence. Mis à part le cas des deux familles qui récemment sont retournées à la terre, profitant d'une nouvelle politique, tous les Inuit de la Région de Baker Lake vivent au hameau. Je déduis de son évidente pyramide d'âge que la population inuit actuelle du hameau doit beaucoup à la réduction de la morta- lité infantile ainsi qu'aux nouveaux sédentarisés. Sauf quelques exceptions la plupart des arrivants proviennent de la Zone opérationnelle dont beau- coup de la Région de Baker Lake même.
LA LOCALITÉ ET LES GENS AUJOURD'HUI
La Région de Baker Lake a été définie après un grand nombre d'entretiens avec les habitants inuit à la demande du Ministre défendeur. Tous ces Inuit, à l'époque, habitaient en permanence au hameau de Baker Lake. Les entretiens furent conçus pour déterminer ils chassaient, pêchaient et posaient leurs pièges. Les limites obte- nues servirent à circonscrire toute la Région. La preuve administrée confirme que la Région de Baker Lake couvre à peu près l'ensemble du ter rain les Inuit habitant aujourd'hui ces lieux poursuivent régulièrement ces activités tradition- nelles. Ce périmètre est déterminé par le rayon d'action de leurs autoneiges.
Le caribou demeure toujours au centre de l'exis- tence des Inuit de Baker Lake. Sa transhumance dictait, presque entièrement, le mode de vie tradi- tionnel, nomade, de leurs ancêtres. Il fournit et l'inspiration et les matériaux de leur art d'aujour- d'hui, une activité autant économique que cultu- relle. Sa chasse continue d'être un élément impor tant de leur revenu réel. Lorsque le bruit court qu'il y a des caribous dans les environs on suspend presque toute autre activité et les hommes, y com- pris les salariés, vont tous à la chasse. En saison la chasse devient, en fin de semaine, l'affaire d'à peu près tous les hommes. Mon impression est que pour être un homme chez les Inuit, il faut savoir chasser le caribou et que l'habilité à le faire mesure à quel point on en est un.
Le hameau lui-même a une population d'environ 1,000 personnes, presque toutes inuit, dont une très grande proportion d'enfants et d'adolescents. Il a plusieurs des attributs d'une collectivité cana- dienne moderne de même grandeur: une école primaire, un dispensaire, un hotel, un magasin général, quelques églises et un agent de la G.R.C. Les Inuit vivent dans de petites maisons conven- tionnelles, qu'ils louent au gouvernement, du genre et de la grandeur de celles que l'on voit sur les réserves indiennes des prairies. Certaines remon- tent à l'époque des premiers temps de la sédentari- sation, il y a environ 20 ans; d'autres sont toutes neuves. Leur aspect extérieur est fonction de leur âge. Je n'ai pas été invité à en visiter une. Comme services municipaux, il y a l'électricité, l'aqueduc, les égouts et une brigade de pompiers volontaires disposant de citernes montées sur des véhicules tout terrain. Des panneaux bilingues, en anglais et en Inuktutuk, placés aux carrefours des rues, en gravier, régissent la circulation des véhicules, com posée d'un grand nombre d'autoneiges, de camion- nettes à traction sur quatre roues, de motocyclettes et de véhicules tout terrain de toute grosseur et tout genre allant du tricycle individuel au trans- porteur lourd et au car d'aéroport. Un édifice moderne abrite les studios et les ateliers des artis tes et artisans locaux et de la coopérative qui leur sert de débouché. La télévision, via satellite, permet de voir la programmation du réseau de Radio-Canada et celle, locale, de St-Jean de Terre-Neuve. La station radio MF transmet des productions locales et la programmation MF de Radio-Canada. Trois vols réguliers par semaine
relient Baker Lake au Canada méridional via Churchill et Winnipeg au Manitoba. L'hôpital du District est à Churchill, l'école secondaire à Fro- bisher Bay.
On chercherait en vain certaines des observa tions faites ci-dessus sur les caractéristiques physi ques, les institutions et les facilités de la localité dans la transcription de la preuve administrée. Ce sont les résultats des observations personnelles gla- nées ici et et de l'enquête de la Cour pendant la semaine qu'elle passa sur les lieux à entendre les dépositions des témoins inuit. Il s'agit d'infor- mations dont les tribunaux ont connaissance lors- qu'il s'agit de localités du Canada méridional; quoique non directement pertinente au litige, cette toile de fond aide à le comprendre. C'est pour que la Cour acquière cette connaissance que les demandeurs et les défendeurs du gouvernement demandèrent qu'elle siège à Baker Lake. Cette requête fut accordée avant que les compagnies minières défenderesses n'interviennent en l'ins- tance. Je ne me suis pas cru autorisé à négliger d'y faire allusion.
Plusieurs des institutions mentionnées ci-dessus offrent de l'emploi. De même quelques-unes au moins des compagnies minières défenderesses offrent des postes. De beaucoup, l'administration municipale constitue le principal employeur. Qua- tre-vingt-quinze pour cent de ses revenus consis tent en subsides accordés par les ordres supérieurs de gouvernement. Tout compte fait il n'y a pas tout à fait assez d'emploi pour l'ensemble de la population adulte actuelle, sans parler des besoins de la jeune génération qui bientôt arrivera sur le marché du travail, peu désireuse de quitter la région. Les jeunes adultes qui se sont prévalus des programmes gouvernementaux d'acquisition d'une formation technique ne sont revenus au hameau que pour découvrir que cette formation n'était aucunement en demande. On désespère en silence du futur; ce qui donne toute son authenticité à la nostalgie des témoins inuit pour leur ancien mode de vie, comme les vieux se le rappellent, et comme les jeunes croient qu'il était, et comme, d'une certaine façon, ils le revivent lorsqu'ils vont à la chasse au caribou. N'était de ce désespoir sous- jacent une telle nostalgie paraîtrait à un Canadien du sud, au mieux, perverse, au pire affabulée; elle n'est ni l'une ni l'autre.
James Avaala et Bill Martee, tous deux deman- deurs, sont les Inuit qui, avec leur famille, ne résident plus maintenant dans le hameau de Baker Lake. Les deux hommes ont environ 30 ans. Les Avaala ont deux enfants; les Martee un. En janvier 1979, avec l'aide financière du gouvernement, les deux familles sont retournées à la terre. Ils habi- tent maintenant près du lac Sand à l'extrémité nord-ouest de la Région de Baker Lake. La famille Avaala, et les Martee aussi je suppose, habitent une maison de bois, de 12' x 20', fournie, et amenée par voie aérienne sur le site, par le gouver- nement. Ils peuvent contacter Baker Lake et être contactés par radio. L'huile et l'essence leur sont subventionnées mais ils doivent subvenir à leurs autres besoins. Avaala semble avoir assez bien réussi. Entre son déménagement, en janvier 1979, et sa comparution comme témoin le 16 mai 1979, il avait tué de 20 25 caribous, un bo✓uf musqué, neuf loups et plus de 30 renards.
Martee n'a pas témoigné et on trouve dans la preuve administrée peu de chose qui le concerne si ce n'est qu'il a quitté le poste rémunérateur de Secrétaire-gérant adjoint de la municipalité pour retourner à la terre. Avaala est retourné au lieu de sa naissance, qu'il avait d'abord quitté, pour aller à l'école, lorsque c'était la saison, en 1958. Ses parents déménagèrent à Baker Lake en 1968. Il alla à l'école à Baker Lake, à Rankin Inlet et à Churchill et, ses études terminées, occupa divers postes rémunérateurs au service d'agences gouver- nementales et de la Compagnie de la Baie d'Hud- son. Il quitta son poste à la municipalité à l'au- tomne 1978 pour retourner à la terre. Il est évident qu'Avaala et Martee, en retournant avec leur famille à la terre, étaient motivés par autre chose que leur bien-être économique immédiat. La vie qu'ils ont choisie est de toute évidence nullement aussi isolée, dure et précaire que celle de leurs parents mais incommensurablement plus que celle qu'ils ont laissée derrière au hameau.
Je ne doute pas de la sincérité de tous les témoins inuit lorsqu'ils parlent de la terre. Je ne crois pas qu'il soit nécessaire de récapituler la preuve administrée à ce sujet. Elle n'a pas été contestée. Le geste d'Avaala et de Martee parle pour eux tous. Leur attachement à la terre et à son mode de vie est réel et profond.
L'ACTIVITÉ MINIÈRE ET LE CARIBOU
La preuve relative à la nature, à l'étendue et à la localisation de l'activité minière a, dans une large mesure, été administrée par voie d'aveux obtenus en interrogatoire préalable. Les individus deman- deurs ont aussi parlé dans leur témoignage des observations qu'ils avaient faites. Toute l'activité jusqu'à maintenant s'est limitée à la prospection. L'activité débordante actuelle commença il y a environ dix ans et a eu tendance à toujours aug- menter. Il semble que la tendance continuera pour plusieurs années encore. Les permis de prospection présentement en vigueur des compagnies minières défenderesses couvrent de larges polygones princi- palement dans les quadrants sud-ouest et nord- ouest de la Région de Baker Lake et de plus petits un peu au nord du hameau. Par suite d'une pros- pection préliminaire passée, les compagnies miniè- res défenderesses ont jalonné de larges polygones de claims au sud, à l'ouest et au nord-ouest du lac, depuis le sud de l'île Christopher jusqu'au nord des lacs Schultz et Aberdeen. Si l'on ne tient pas compte des prétentions les plus radicales concer- nant les territoires de chasse des différents Inuit, les polygones faisant l'objet de permis de prospec- tion et de claims miniers n'en empiètent sur, ou n'en incluent pas moins, la grande majorité des lieux les Inuit affirment avoir, dans un passé récent, chassé le caribou.
Le travail de prospection couvert par les permis de prospection comprend trois phases: une recon naissance géologique, le prélèvement d'échantillons géochimiques et des levés géophysiques. Je doute que deux projets de prospection soient identiques; toutefois la preuve administrée me convainc que les descriptions suivantes rendent bien compte de ce qui se passe normalement de nos jours: le déplacement du personnel, du matériel et des pro visions se fait par air. Les aéronefs le plus souvent utilisés sont des hélicoptères. Une reconnaissance géologique se fait par petits groupes de géologues au sol. Ils travaillent assez près de leur camp pour s'y rendre à pied. On les déplace, eux et leur camp, fréquemment par aéronef. Les prélèvements géo- chimiques supposent qu'un aéronef se pose sur un lac, descend une drague et prélève des échantillons de l'eau et des sédiments du fond. On fait les prélèvements à des intervalles d'un demi mille que l'on fait analyser ailleurs. Un levé géophysique suppose qu'un aéronef survole toute une région
selon un quadrillage préétabli. Au départ on vole selon des lignes distantes entre elles d'un mille ou plus à une altitude de quatre à cinq cents pieds au-dessus du sol, mais si le secteur s'avère intéres- sant, il sera ratissé selon des lignes pouvant n'être qu'à un huitième de mille l'une de l'autre, à une altitude aussi basse qu'une centaine de pieds. Lors- qu'on travaille au sol, le quadrillage se fait par jalonnement. En fonction de la prospection, les jalons, de deux à trois pieds de long, sont plantés à
des intervalles de 100 500 pieds. Pour qu'on puisse les repérer, des rubans de plastique de quel- ques pouces, fort brillants, sont généralement fixés au sommet de chacun. Ils flottent au vent. Ils survivent rarement à un hiver et on sait que des caribous en ont déjà mangé. La couleur n'a aucune importance pour les caribous; ils sont daltoniens.
On jalonne de la même façon un claim. Si les résultats des premiers travaux effectués dans le secteur du permis de prospection le justifient, on procède au jalonnement des claims du secteur et on entreprend des forages au diamant. On fore des puits de recherche de plusieurs centaines de pieds. Ces forages peuvent se prolonger sur plusieurs saisons. La saison de prospection minière dans la Région de Baker Lake va habituellement de la fin mai à la fin août.
En sus des «camps volants» qu'utilisent les peti tes équipes au sol, il y a de vastes camps de base pouvant recevoir jusqu'à 30 ou 40 personnes. Quoi- que demeurant inoccupés du mois d'août au mois de mai suivant, ils ne sont pas démantelés. Les structures, le matériel et les caches de provisions peuvent demeurer sur place pendant plusieurs années. Tout mouvement d'entrée ou de sortie de ces camps se fait par aéronef, généralement par hélicoptère. En dépit de la réglementation l'inter- disant et des efforts des défendeurs du gouverne- ment pour réprimer les infractions, des débris sont souvent abandonnés sur les lieux des camps déser- tés. Il arrive que ceux-ci soient rejetés sur les rives des lacs et des rivières. On a parlé au procès de barils de pétrole, de réservoirs de gaz et même du cas d'un bulldozer. De même, toujours en dépit de la réglementation, il est à peu près impossible de contrôler l'altitude des aéronefs lorsqu'ils survolent des caribous, lesquels sont, même pour l'observa- teur averti, parfois fort difficile à repérer du haut des airs.
Les hardes de caribous sont désignées selon la région ils retournent habituellement chaque année pour vêler. Le passage d'un grand nombre
de caribous, de 20 30 milles, d'une harde à l'autre est exceptionnel mais se serait déjà produit. Les lieux de vêlage de deux populations majeures de caribous se situent en partie dans la Région de Baker Lake. La harde Beverly transhume à travers les secteurs ouest et nord de la Région et la harde Kaminuriak, à travers le secteur sud-est. La rivière Kazan marque la limite de leurs pérégrinations respectives usuelles. Une troisième population, qu'on n'a pu encore identifier à une harde spécifi- que, a récemment hiverné au nord du lac Baker. Une harde de caribous transhumant se disperse généralement sur plusieurs centaines de kilomètres carrés, ne se concentrant qu'aux lieux de traversées des principales étendues d'eau. La plupart de ces lieux s'étendent sur plusieurs kilomètres le long des rives du lac ou de la rivière.
Plusieurs chasseurs inuit, ainsi que des employés des compagnies minières défenderesses sur le ter rain, ont témoigné au sujet du comportement du caribou dans les situations qui nous intéressent. A la demande des demandeurs, M. Valerius Geist, docteur en éthologie, a témoigné à titre d'expert du comportement animal, qu'il connaît très bien, d'autres membres de la famille des cervidés mais non du caribou des toundras, et, M. Frank Miller, maître ès sciences en biologie de la faune, au service du Service canadien de la faune, dont plusieurs des travaux ont porté sur la harde Kami- nuriak et divers autres caribous, a été appelé à la barre par les défendeurs du gouvernement. En sus, M. G. W. Kalef, docteur en biologie de la faune, au service du Service de la faune du gouvernement territorial a été appelé par les défendeurs du gou- vernement, notamment pour réfuter la critique qu'a faite M. Geist de la méthodologie utilisée dans les évaluations officielles des grandeurs des hardes Kaminuriak et Beverly. Comme il apparaî- tra plus loin, ces évaluations sont hautement approximatives et, à mon avis, d'une importance marginale. Dans la mesure elles importent, je les accepte; il n'y en a pas d'autres.
Le terme «harassement» qu'ont employé les témoins experts s'entend de stimuli extérieurs pro- duisant une réaction chez l'animal. Il est fonction de l'intensité de la réponse de l'animal, laquelle
peut aller du désintéressement apparent à la pani- que. Une légère réaction peut ne pas être discerna- ble à l'observation seule mais peut être mesurée par électrocardiogramme. Les travaux de M. Geist en ce domaine l'ont amené à être en désaccord avec les conclusions de M. Miller, fondées sur l'observation, voulant que les caribous ne réagis- sent pas à certains stimuli. Toutefois rien dans le témoignage de M. Geist ne suggère que ces réac- tions non observables aient un effet sur le caribou, susceptible, d'une manière qu'il faille prendre en compte, d'influencer son comportement suffisam- ment pour le rendre plus difficile à chasser, à moins que le harassement générateur de ces réac- tions ne soit répété et systématique. Ce qu'on peut obtenir de cette façon, par expérimentation délibé- rée, constituerait un résultat hautement improba ble, de l'ordre de la coïncidence, dans le cas du harassement relié à la prospection minière suscep tible de causer des réactions non observables. Même si on accepte la proposition hautement improbable que quelques douzaines, et même que plusieurs dizaines, de caribous transhumant puis- sent faire l'objet d'un harassement continuel à la prospection, de sorte qu'ils en viennent à être conditionnés par celle-ci, ce serait défier la raison que de dire qu'un nombre suffisant puisse être ainsi conditionné et que le comportement collectif de hardes de dizaines de milliers d'individus en soit affecté. Les hardes Beverly et Kaminuriak sont évaluées à 125,000 et 44,000 individus respective- ment, avec une marge d'erreur de 35% en plus ou en moins.
Le harassement que peut causer l'activité minière postérieurement à la phase de prospection peut fort bien être suffisamment continu pour causer des changements de comportement au détriment de la chasse mais la preuve administrée ne permet tout simplement pas d'en arriver à une conclusion sensée sur ce point. Je dis «sensée» car quoique je constate qu'on porterait probablement atteinte à la chasse dans les environs des installa tions minières permanentes, rien ne me permet de dire quelle étendue auraient ces environs. La preuve administrée relative aux réactions observa- bles de ces animaux face aux activités des camps de base me permet de déduire qu'il n'y aurait pas de déplacement des routes générales de transhu- mance à moins que les installations ne soient un obstacle direct et substantiel à l'accès aux lieux de traversée des étendues d'eau importantes.
Les hardes Kaminuriak et Beverly sont toutes deux en contact avec les activités de prospection minière durant les périodes de vêlage et de postvê- lage, qui ont lieu en juin et juillet. Les témoins inuit rapportent des cas des caribous dans les deux régions ont été effrayés par des aéronefs volant en rase-mottes alors qu'on essayait de leur tirer dessus. Plusieurs camps ont été implantés et beaucoup de prospection a été faite existent des lieux de traversée d'étendues d'eau importan- tes.
La poursuite d'activités, si bruyantes soient- elles, ne provoque rien qui ressemble à de la panique. Les hardes vont et viennent à quelques centaines de pieds d'opérations de forage au dia- mant ininterrompues et ce pendant des jours. De même les caribous passent près des camps habités et à travers ceux qui ont été désertés. Ils n'évitent pas les objets immobiles. Sous réserve d'une sensi- bilité particulière des femelles au cours de la période du vêlage et de postvêlage, et de l'agressi- vité des mâles au cours de la saison du rut, lors- qu'on les approche directement, ils se contentent de s'éloigner et de conserver une distance pouvant aller de 20 à 30 pieds jusqu'à plusieurs verges. D'autre part ils s'alarment lorsqu'on les approche de biais ou en tapinois. Les avions volant à haute altitude ne produisent sur eux aucun effet observa ble. Il semble que la survenance brusque d'événe- ments les effraie de même que les gestes qu'ils associent au comportement de leurs prédateurs.
Les aéronefs volant à basse altitude sont un tout autre problème. Je suis tout à fait convaincu que leur passage intermittant, qu'il s'agisse d'appareils à voilure rigide ou d'hélicoptères, juste au-dessus des bêtes, au décollage ou à l'atterrissage, ou durant les levés géophysiques, harasse sérieuse- ment le caribou. Quoique je croie peu probable que des caribous, si nombreux soient-ils, objets d'un harassement répété, soient ainsi amenés au condi- tionnement prévu par M. Geist, néanmoins j'es- time que leur réaction à ce harassement peut atteindre divers degrés pouvant aller jusqu'à la panique et la fuite éperdue, cause probable de blessures graves ou de mort. La mort peut s'ensui- vre si l'animal est déjà dans une condition de faiblesse, s'il se blesse au cours de sa fuite, s'il s'agit d'une femelle, et qu'elle avorte, ou si femelle et petit sont séparés. Il est possible aussi de faire
courir l'animal jusqu'à ce qu'il en meure. Il n'exis- te pas de preuve d'un grand nombre de décès de ce genre mais manifestement certains sont possibles sinon probables dans certains cas, particulièrement au cours de la période de vêlage et de postvêlage et aux lieux de concentration des hardes. Il est clair aussi qu'advenant un tel harassement au cours d'une chasse, le chasseur en serait pour ses frais. D'autre part, l'idée de l'accumulation à long terme d'effets nocifs sur les hardes de caribous causés par les activités actuelles n'est nullement justifiée par la preuve administrée.
L'emploi de rubans constitue une méthode clas- sique de dévier les bêtes des sentiers qu'elles ont battus. Nul doute que les jalons ainsi enrubannés ont détourné nombre de caribous à nombre d'occa- sions de leurs sentiers individuels. Rien dans la preuve administrée ne justifie de conclure que ces détournements, si nombreux aient-ils été, n'aient impliqué plus que quelques centaines de pieds ici et là, ou un grand nombre de caribous.
Il importe au plus haut point pour que soit accordé le recours en injonction demandé par les demandeurs contre les compagnies minières défen- deresses, que les activités de celles-ci aient contri- bué à accroître les difficultés que ceux-là ont rencontré dans leur chasse au caribou ces dernières années. Conséquents avec eux-mêmes, ils contes- tent nécessairement la position des défendeurs du gouvernement qui disent que la population de la harde Kaminuriak subit un déclin sérieux. Ils disent que la harde a été chassée de la Région de Baker Lake par la prospection mais qu'elle n'est nullement en déclin. Les Inuit sont, nul ne saurait en douter, les meilleurs experts disponibles sur le sujet de la chasse au caribou. Les connaissances des demandeurs de la harde Kaminuriak sont tou- tefois largement limitées à la Région de Baker Lake alors que les services provincial, territorial et fédéral de la faune observent la harde sur tout le territoire elle transhume depuis plusieurs années. Ce territoire, qui en 1950 s'étendait de l'Ontario, au sud de la Baie James, jusqu'en Sas- katchewan, en passant par la moitié septentrionale du Manitoba, ne s'avance aujourd'hui que légère- ment sur le nord du Manitoba et se confine par ailleurs uniquement au District de Keewatin. Le déclin est un fait. Il est si rapide, qu'au rythme actuel la harde Kaminuriak aura disparu d'ici 15 ans.
Les causes de ce déclin font l'objet de récrimina- tions considérables, les chasseurs inuit et les experts du gouvernement en matière de faune qui ont témoigné se renvoyant la balle. Ce serait déborder le cadre du litige que de chercher à déterminer quelles sont ces causes tant que, balan- çant les probabilités, d'après la preuve administrée devant moi, il ne s'agit pas de la prospection minière. Quoique la population globale de caribous de la Région de Baker Lake paraisse avoir diminué et que la capacité des chasseurs de Baker Lake de pourvoir à leurs besoins à même cette population ait, nul n'en doute, été entravée, la balance des probabilités, d'après la preuve administrée, est que les activités associées à la prospection minière ne constituent pas un facteur significatif pour ce déclin de la population. Il est certain qu'il est arrivé plusieurs fois que des aéronefs, utilisés pour ces activités et volant à basse altitude, aient nui à des chasseurs.
OBSERVATIONS ET DÉCISIONS RELATIVES À LA
PREUVE
La Règle 482, en ce qui nous intéresse ici, dispose que:
Règle 482. (1) Aucune preuve sur l'examen en chef d'un expert ne doit être reçue à l'instruction (sauf ordre contraire donné par la Cour dans un cas particulier) au sujet d'une question à moins
a) que cette question n'ait été définie par les plaidoiries ou par accord des parties déposé en vertu de la Règle 485;
b) qu'un exposé complet de la preuve sur examen en chef que l'expert entend établir n'ait été fait dans un affidavit dont l'original a été déposé et dont une copie a été signifiée à l'autre ou aux autres parties 10 jours au moins avant le début de l'instruction; et
c) que l'expert ne soit disponible à l'instruction pour contre-interrogatoire.
(2) Sous réserve de se conformer à l'alinéa (1), la preuve sur examen en chef d'un expert cité comme témoin peut être présentée à l'instruction
a) par la lecture de toute déposition de l'expert, contenue à l'affidavit mentionné à l'alinéa (1), ou d'un ou de plusieurs extraits de cet affidavit que la partie décide d'utiliser à l'instruction moins que la Cour, avec le consentement de toutes les parties, ne permette de considérer le texte comme déjà lu); et
b) si la partie le désire, par déposition orale de l'expert,
(i) expliquant ou démontrant ce qu'il a exprimé dans l'affidavit ou dans le ou les passages d'affidavit qui ont ainsi été présentés comme preuve, selon le cas, et
(ii) autrement, par permission spéciale de la Cour aux conditions qui, le cas échéant, semblent justes.
(5) L'alinéa (1) ne s'applique pas à la preuve par réfutation et, sans restreindre le sens général de l'expression, il ne s'appli- que pas notamment à la déposition d'un témoin cité exclusive- ment aux fins de réfuter la preuve présentée par une partie opposée et de réfuter la preuve présentée par un témoin cité pour fournir cette preuve ainsi qu'une preuve en vertu de l'alinéa (2).
L'interrogatoire principal de M. Miller, relatif aux causes de la diminution de la harde Kaminu- riak a fait l'objet d'un affidavit produit en applica tion de la Règle 482(1)b). Le témoignage de M. Kalef sur ce sujet n'a fait l'objet d'aucun affidavit, aussi s'y est-on opposé. Je statue qu'une preuve d'expert peut être faite, sur le fondement de l'ex- ception prévue à la Règle 482(5) pour réfuter toute preuve faite par une partie adverse et non uniquement celle faite par expert.
M. Milton J. Freeman, titulaire d'un doctorat, enseigne l'anthropologie à l'Université McMaster d'Hamilton en Ontario. Il est socio-anthropologue, c'est-à-dire qu'il n'est ni archéologue ni linguiste; il étudie le comportement social d'un peuple dans le contexte de sa société ou culture. Les Inuit ont fait l'objet d'un grand nombre de ses travaux. Je n'ai pas jugé nécessaire de résumer son témoignage à l'égard de l'usage et de l'occupation par les Inuit de la terre dans la Région de Baker Lake. Ses conclusions sont le résultat d'un grand nombre de conversations avec les Inuit et sont aussi fondées sur les vestiges archéologiques. La Cour a pu elle-même prendre connaissance de certains de ces vestiges et a entendu le témoignage d'un grand nombre d'Inuit. Mes conclusions et les siennes en ce qui concerne l'usage et l'occupation de la terre par les Inuit diffèrent à peine, si on peut dire qu'elles diffèrent.
En interrogatoire principal, cherchant à expli- quer, voire à démontrer ce que contenait son affi davit d'expert, M. Freeman a commencé par décrire la société des Inuit qui d'après ses conclu sions avait existé sur les barren lands avant leur sédentarisation. C'est du domaine de sa compé- tence comme expert. Il a déclaré qu'il s'agissait d'une «société de clan» et a commencé à décrire ce qu'il entendait par ce terme. On s'y est opposé au motif que rien dans son affidavit ne se rapportait à ce sujet. L'opposition m'a paru fondée et je l'ai alors déclarée telle mais j'ai laissé l'interrogatoire se poursuivre étant bien entendu que ce qui en ressortirait serait une explication ou démonstration
des opinions exprimées aux paragraphes 7 et/ou 9
de l'affidavit au sujet de la relation qu'avaient les Inuit avec leur milieu. Aux paragraphes 7 et 9, M. Freeman déclare:*
[TRADUCTION] 7. Depuis 1959 j'ai poursuivi assidûment mes travaux et recherches concernant l'usage de la terre par les Inuit. Au cours de cette recherche je suis parvenu à comprendre la culture des Inuit et le lien reliant ceux-ci à leur milieu.
9. Au cours des ans pendant lesquels les Inuit ont vécu de la terre, ils ont développé une profonde dépendance envers ses ressources. Ils ont noué avec leur milieu des liens très forts, condition nécessaire de leur survie physiologique et culturelle. Pour ce qui est des habitants de la Région de Baker Lake, leur dépendance du caribou est si grande que je ne doute pas que leurs connaissances à son sujet dépassent largement ce que nous avons pu tirer d'eux.
M. Freeman n'avait pas employé le terme «société de clam> dans son affidavit. Pour l'expli- quer, il a dit qu'une telle société ne comportait aucun chef ni Etat ni nation et a poursuivi: *
[TRADUCTION] Les sociétés de clan en général sont des sociétés qui n'ont qu'une faible densité de population. Ce sont des nomades qui tendent à exploiter une variété de ressources dans leur région donc à être des généralistes en termes d'orientation économique à moins que cela ne soit clairement impossible à cause de la rareté des ressources.
Elles tendent à être des sociétés comportant des types parti- culiers d'organisation économique, d'organisation sociale et cer- tains types de leadership, certains types de structure maritale, etc. Nous les considérons quelquefois comme fort flexibles. L'une des raisons à cela est qu'ils éprouvent souvent des difficultés avec leur milieu qui, peut-être à cause de notre structure reposant sur l'agriculture, nous paraît en quelque sorte marginal. Il ne s'ensuit nullement qu'il le soit pour la société concernée mais il s'agit d'aires que les géographes qualifieraient de terres marginales, habituellement impropres à l'agriculture.
Les peuples en cause ont donc un type particulier d'organisa- tion, de culture et de valeurs qui leur convient le mieux pour vivre dans ce genre d'environnement et en exploiter les ressour- ces elles-mêmes souvent nomades. C'est une des bases de ces sociétés. Je crois que ce qui importe c'est de rechercher des structures. Nous ne nous intéressons pas uniquement, en tant qu'anthropologues, à un seul petit campement, soit probable- ment cinq à six personnes, dont on pourrait obtenir toute l'information concernant une société pouvant englober jusqu'à trois, quatre cents personnes, voire plus. Nous considérons donc ces unités comme les unités justement d'une société organisée et cohérente beaucoup plus large, unités qui interagissent l'une sur l'autre, interdépendantes et mutuellement dépendantes des interactions qu'elles ont avec les autres unités au sein de la société.
* Notes sténographiques, Vol. X, p. 1424.
* Notes sténographiques, Vol. X, pp. 1454 et suiv.
Nous pouvons certainement reconnaître ce que nous appelons des clans, quoique ces unités, les clans, puissent être constituées de petits campements de vingt à trente personnes. Mais le clan n'est qu'une agrégation de ces petits campements qui ont le sentiment d'appartenir à une même communauté. C'est l'une des caractéristiques principales du clan. Ses membres, pour un certain nombre de raisons:—langue commune, dialecte, idéolo- gie ou système de valeurs commun, propriété collective de la terre dont ils se servent, et un degré d'interaction entre eux plus fréquent qu'avec ceux qui n'en font pas partie—tout cela constitue une société fort cohérente que les anthropologues n'ont aucun problème à identifier pas plus que ceux concernés n'ont de difficulté à savoir quelles en sont les limites.
C'est qu'on a fait opposition. Ce qui s'en est suivi n'était pas ce qu'on attendait. Ce fut plutôt une explication fort persuasive des raisons ayant amené M. Freeman à conclure que la société des Inuit était une société de clan composée d'unités, les clans, plus larges que ses composantes, les petits campements. Ceux-ci, composés de deux ou trois familles, sont les unités que les témoins inuit ont décrites et que rencontrèrent l'inspecteur Dent, au milieu des années 50, et Norton en 1762, et même, qui auraient existé au cours de la période thuléenne. A mon avis rien dans l'affidavit produit conformément à la Règle 482 ne pouvait amener une partie adverse à prévoir que serait administrée une preuve relative à ce qu'est une société de clan en explication ou démonstration de l'affidavit. Aucun des avocats des défendeurs ne contre-inter- rogea M. Freeman sur cet aspect de son interroga- toire principal. A l'appui de l'opposition, ils arguè- rent qu'ils n'avaient pas eu la possibilité de préparer un contre-interrogatoire. Ils avaient raison.
Prononçant un arrêt unanime de la Cour d'appel fédérale, le juge en chef d'alors déclara récemment:' 2
Je désire ajouter que la lecture de certains des affidavits produits par les experts me porte à croire que certains avocats ne s'en remettent, si tant est qu'ils ne le fassent, qu'à la lettre et non à l'esprit de la Règle 482. Je crois effectivement que le résultat est beaucoup moins satisfaisant qu'à l'époque l'on échangeait volontairement les rapports d'évaluation. Je suggère fortement que lorsque l'affidavit d'un expert ne contient pas un exposé suffisamment détaillé de son raisonnement pour permet- tre à la Cour, en l'absence de contestation, de l'adopter et de s'en inspirer pour décider de la question y relative, on ne devrait pas permettre à la partie de compléter cette preuve par un témoignage verbal avant la production d'un affidavit supplé- mentaire à cette fin et avant que la Cour et l'autre partie n'aient eu la possibilité de l'étudier. (Si cela entraîne des remises, la partie fautive devrait en assumer les frais.)
12 Karam c. C.C.N. [ 1978] 1 C.F. 403, aux pp. 406 et suiv.
J'ai pu hier, lorsque ce passage de l'affaire Karam m'a été cité, laisser voir mon intention de suivre cette voie advenant que les avocats des deman- deurs persistent dans leur effort pour administrer semblable preuve non révélée en interrogatoire principal, par le biais de M. Harp. * Je dois présu- mer que les avocats des défendeurs avaient cette décision en tête lorsque à nouveau opposition a été faite à l'interrogatoire principal de M. Freeman. Il se peut que celui-ci ne se soit pas révélé aussi important qu'ils l'auraient cru mais, quelle qu'en soit la raison, on n'a demandé aucun ajournement afin de préparer un contre-interrogatoire et/ou une contre-preuve. Si on l'avait fait, je l'aurais accordé mais comme on ne l'a pas fait, je ne peux que conclure qu'on a renoncé à l'opposition.
M. Peter Usher, docteur en géographie, est «Conseiller socio-économique». Il obtint son docto- rat en 1970. Voici ce qu'est la géographie d'après le The Shorter Oxford English Dictionary:
[TRADUCTION] Science qui a pour objet la description de la surface de la terre, de sa forme et de son aspect physique, de ses divisions naturelles et politiques, de ses climats, de ses ressour- ces, etc.
Son expérience relative au Nord et à ses habitants inclut des postes à temps partiel et des sessions de recherches au cours des étés 1962 1967 inclusive- ment. Son premier poste à plein temps fut à titre de chercheur pour le Ministre défendeur, d'octobre 1967 janvier 1973. La demanderesse Inuit Tapi- risat of Canada retint ses services de consultant à Inuvik, dans les territoires du Nord-Ouest, de février 1973 à août 1974 et le Committee for Original Peoples Entitlement, de septembre 1974 à novembre 1976. Son témoignage a beaucoup plus la saveur de celui d'un apologiste que celui, calme et froid, de l'homme de science. On y retrouve beaucoup de pronostics.
On s'est opposé à l'admissibilité d'une grande partie de la déposition en interrogatoire principal de M. Usher, opposition qui fut prise en délibéré. J'en suis venu à la conclusion qu'elle était fondée en grande partie. Ni sa formation académique de géographe ni son expérience de l'Arctique et des Inuit ne l'autorisent à donner des opinions en
* Notes sténographiques, Vol. IX, pp. 980 à 990.
matière sociologique et psychologique, en matière de comportement et de question de nutrition, voire de politique, qui puissent être admissibles au titre du témoignage d'un expert en justice. Je reconnais sa compétence de géographe et son droit d'arriver à des conclusions d'ordre économique fondées sur cette compétence.
Les paragraphes 1, 2 et 18 de son affidavit sont de style et ne contiennent aucune conclusion maté- rielle. Le paragraphe 17 n'est qu'argumentation dépourvue de toute preuve. Les paragraphes 4, 5, 10, 11, 13, 14, 15 et 16 ne sont pas admissibles. Les paragraphes 6, 7, 8, 9 et 12 exposent des conclusions qui sont de la compétence de M. Usher comme expert. Je n'ai pas jugé nécessaire de réfé- rer à ces conclusions car elles corroborent essen- tiellement le témoignage des témoins inuit et celui de M. Freeman relativement à l'exploitation par les Inuit des barren lands et de leurs ressources.
William Noah, maire de Baker Lake, a préparé une liste des lieux d'origine des demandeurs, laquelle a été produite. Sauf dans la mesure l'information se rapportait à lui-même, à ses pro- ches parents ainsi qu'à d'autres, nés au pays de la rivière Back, il s'agit largement de ouï-dire. On s'y est opposé pour cette raison. Quelques autres des Inuit qui ont témoigné ont confirmé les renseigne- ments fournis pour ce qui était de leur propre famille. Manifestement il en aurait coûté outra- geusement cher de faire siéger la Cour à Baker Lake assez longtemps pour lui permettre d'enten- dre toutes les dépositions des Inuit nécessaires à la confirmation de la liste entière ou de les faire venir de Baker Lake dans le sud pour les mêmes fins. Cet échantillon adéquat de son contenu, vérifié par une preuve admissible, me satisfait. Bien qu'ils ne regroupent pas tous les résidents inuit, les deman- deurs sont suffisamment nombreux, et leur progé- niture, j'en suis sûr, encore plus, pour donner à la liste une authenticité considérable comme indica tion du lieu d'origine de l'ensemble de la popula tion inuit locale.
Les demandeurs ont produit des pièces, identi fiées par les lettres «B» et suivantes, jusqu'à «H», alors que leur avocat s'apprêtait à clore l'adminis- tration de sa preuve. La pièce «B» consiste en une réédition en trois volumes d'une publication de 1912 de l'Imprimeur du Roi pour le Canada intitu- lée «Indian Treaties and Surrenders». Elle contient
483 traités conclus avec les Indiens, le premier daté du 12 mai 1781, le dernier, du 7 mars 1902. La pièce «C» est une liasse de six rééditions, de l'Imprimeur de la Reine, de traités non inclus dans la pièce «B». Les pièces «B» et «C» comprendraient des copies de tous les traités jamais conclus entre les habitants aborigènes du Canada et son souve- rain. Les pièces «D», «E» et «F» sont des photoco pies de certaines pages d'une publication des Archives nationales, en trois volumes, intitulée «Documents relatifs à l'histoire constitutionnelle du Canada». La pièce «G» est une publication officielle du Gouvernement du Québec intitulée «La Convention de la Baie James et du Nord québécois». Les défendeurs ne se sont pas opposés à la production de ces documents, parce que sim- ples copies, mais à leur production comme telle, sauf dans la mesure ils représentaient des docu ments dont la Cour jugerait pouvoir prendre con- naissance d'office.
La pièce «H», une photocopie de la Loi sur le règlement des revendications des autochtones de la Baie James et du Nord québécois 13 n'aurait pas être cotée. L'article 18 de la Loi sur la preuve au Canada" oblige la Cour à en prendre connais- sance d'office. Je suis d'ailleurs d'avis que je puis prendre connaissance d'office de toutes les autres pièces.
Plusieurs des traités apparaissant dans les pièces «B» et «C» portent sur des terres qui furent un jour incluses dans la Terre de Rupert. Les traités 124 de la pièce «B» et 8 et 11 de la pièce «C» sont particulièrement intéressants. Le premier reprend, en 1871, le traité Selkirk de 1817, lequel, en autant que je sache, est le seul traité par lequel des aborigènes ont cédé de la terre à même la Terre de Rupert pour la colonisation alors qu'elle était encore administrée par la Compagnie de la Baie d'Hudson; les traités le 8 et 11 portent sur des terres qui font aujourd'hui partie des territoires du Nord-Ouest. La preuve administrée corrobore la proposition selon laquelle la politique de la Com- pagnie de la Baie d'Hudson et du gouvernement canadien a toujours été de conclure des accords avec les aborigènes avant de disposer de la terre d'une manière incompatible avec leur titre abori- gène. Les documents des pièces «D», «E» et «F»
13 S.C. 1976-77, c. 32.
14 S.R.C. 1970, c. E-10.
illustrent cette politique en ce qui concerne plu- sieurs gouvernements d'avant la Confédération et cette politique, comme la Convention de la Baie James le révèle, demeurait, jusqu'à tout récem- ment, celle du gouvernement canadien. La Cour ne peut, bien entendu, lui donner effet que dans la mesure le droit la reçoit.
La preuve relative à certaines questions de fait litigieuses est extrêmement mince, si mince qu'en d'autres circonstances je penserais qu'elle n'est pas concluante. Ce manque de preuve toutefois est inhérent à l'objet. Les barren lands sont vastes et leurs habitants peu nombreux et, excepté pour la présente génération, dispersés sur de grandes éten- dues, se déplaçant tout le temps. Leur histoire, au-delà de la mémoire des vivants, n'a jamais été écrite si ce n'est par les quelques blancs qui, largement par accident, les ont rencontrés. Leurs ressources n'intéressaient pas les premiers trafi- quants; leur nomadisme et leurs camps de fortune ne soulevaient pas l'enthousiasme des missionnai- res. Les habitations de neige ne laissent pas de ruine et, jusqu'à la protohistoire, la plupart de leurs instruments et de leurs armes étaient faits de matériaux locaux qui, comme eux-mêmes, leurs chiens et leurs tentes, étaient d'origine organique et donc biodégradables. Même aujourd'hui la pros- pection minière se fait sur de si vastes espaces que, sauf près des lieux de traversée d'étendues d'eau importantes, proches du hameau, même les chas- seurs inuit ont peu de chance de faire une rencon- tre. Deux ou trois incidents ayant eu des témoins peuvent fort bien en refléter d'innombrables autres n'en ayant pas eu.
LE FONDEMENT DU TITRE ABORIGÈNE DES INUIT
Quoique la Proclamation royale de 1763 et diverses lois ainsi que presque toute la jurispru dence ne réfèrent qu'aux Indiens sans mentionner les Inuit ni les Esquimaux, le vocable «Indien», en droit constitutionnel canadien, s'entend aussi des Inuit 15 . En l'absence de leur exclusion de ce voca- ble, soit expressément, soit par déduction con- cluante, la jurisprudence pertinente en matière de
15 Avis sur la question de savoir si le terme «Indiens» de l'article 91(24) de l'A.A.N.B., 1867, s'entend des habitants esquimaux du Québec [1939] R.C.S. 104.
droits aborigènes indiens au Canada s'applique aux Inuit. A la lumière de l'arrêt Sigeareak' 6 , on doit rejeter la Proclamation royale comme fonde- ment d'un titre aborigène sur la Terre de Rupert. Toutefois la Proclamation n'est pas l'unique source de titre aborigène au Canada.
Dans Calder c. Le Procureur Général de la Colombie-Britannique", les six juges de la Cour suprême qui ont jugé nécessaire d'examiner le fond du litige, lequel portait sur un territoire extérieur aux limites géographiques de la Proclamation, ont tous tenu qu'un titre aborigène reconnu en common law avait existé. Le juge Judson, aux vues desquelles ont souscrit les juges Martland et Rit- chie, le décrit, à la page 328, comme suit:
Je crois qu'il est clair qu'en Colombie-Britannique, le titre indien ne peut pas avoir pour origine la Proclamation de 1763, mais il reste que lorsque les colons sont arrivés, les Indiens étaient déjà là, ils étaient organisés en sociétés et occupaient les terres comme leurs ancêtres l'avaient fait depuis des siècles. C'est ce que signifie le titre indien et en l'appelant «droit personnel de la nature d'un usufruit», la solution du problème n'en devient pas plus facile. Ils affirment dans la présente action qu'ils avaient le droit de continuer à vivre sur leurs terres comme l'avaient fait leurs ancêtres et que ce droit n'a jamais été juridiquement éteint. Il ne peut faire de doute que ce droit était «dépendant du bon plaisir du Souverain».
C'est moi qui mets en italiques. Finalement il jugea que le «titre indien» avait été éteint. L'opi- nion dissidente, qui tenait que le titre aborigène, avec certaines exceptions, ne l'avait pas été, avait été écrite par le juge Hall, les juges Spence et Laskin y souscrivant. Le juge Pigeon disposait du litige exclusivement en s'appuyant sur la procé- dure; les demandeurs n'avaient pas obtenu l'auto- risation requise pour ester contre la Couronne du chef de la Colombie-Britannique, conclusion à laquelle souscrivaient les juges Judson, Martland et Ritchie. Quoiqu'il semble que les motifs du juge Pigeon soient ceux qui soutiennent le dispositif, la ratio decidendi de la Cour, l'accord manifeste des six autres juges sur ce point fait autorité et justifie la proposition générale que le droit canadien reconnaît l'existence d'un titre aborigène indépen- dant de la Proclamation royale ou de tout autre acte de prérogative ou législation. Il découle de la common law. Sa reconnaissance par la Cour suprême du Canada peut fort bien être fondée sur
16 [1966] R.C.S. 645.
17 [1973] R.C.S. 313.
l'acceptation du raisonnement du juge en chef Marshall dans Worcester c. The State of Georgia 18 , un arrêt auquel réfèrent dans leurs motifs et le juge Hall et le juge Judson:
[TRADUCTION] L'Amérique, séparée de l'Europe par un vaste océan, était habitée par un peuple différent, divisé en nations distinctes, indépendantes l'une de l'autre et vis-à-vis du reste du monde; elles avaient leurs propres institutions et se gouvernaient elles-mêmes en vertu de leurs propres lois. Il est difficile de comprendre que les habitants d'une partie du globe pouvaient avoir des revendications originales légitimes de suprématie sur les habitants de l'autre ou sur les terres qu'ils occupaient; ou que celui qui découvrait des terres acquérait des droits sur le pays découvert, droits qui annulaient les droits préexistants de ceux qui en avaient antérieurement eu la possession.
C'est M. le juge Hall qui lui-même souligna le passage ici en italiques lorsqu'il le cita à la page 383.
L'arrêt de la Cour suprême du Territoire septen- trional d'Australie dans Milirrpum c. Nabalco Pty. Ltd. 19 est des plus utiles par sa compilation exhaustive et son analyse de la jurisprudence perti- nente tirée d'un grand nombre de juridictions de common law. Il est toutefois clair dans cette partie du jugement qui porte sur les précédents austra- liens, aux pages 242 à 252, que le juge Blackburn s'estima obligé de conclure que la théorie du titre collectif indigène n'avait jamais, d'après la concep tion australienne, fait partie de ce droit. Si je ne me trompe dans l'appréciation de l'autorité de l'arrêt Calder, ce n'est pas le cas au Canada. L'arrêt Calder rend intenable, dans la mesure le Canada est concerné, les arguments des défen- deurs selon lesquels aucun titre aborigène n'existe dans une colonie de peuplement, par opposition à une colonie de conquête ou de cession, et qu'aucun titre aborigène n'existe à moins qu'il n'ait été reconnu par une loi, par quelque acte de préroga- tive de la Couronne ou par quelque traité ayant force de loi.
PREUVE DU TITRE ABORIGÈNE
Voici quels sont les éléments que doivent prou- ver les demandeurs pour établir un titre aborigène que reconnaîtrait la common law:
1. Eux et leurs ancêtres doivent avoir été membres d'une société organisée.
18 (1832) 6 Peters 515, aux pp. 542 et suiv.
19 (1970) 17 F.L.R. 141.
2. Cette société organisée doit avoir occupé le territoire précis sur lequel ils prétendent exercer ce titre aborigène.
3. Cette occupation doit avoir été à l'exclusion de toute autre société organisée.
4. L'occupation était un fait établi à l'époque l'Angleterre imposa sa Souveraineté.
La jurisprudence de la Cour suprême du Canada: affaire Kruger c. La Reine 20 et arrêt Calder, et celle de la Cour suprême des Etats - Unis: Johnson c. M'Intosh 21 , Worcester c. The State of Georgia (précité) et États-Unis d'Amérique c. Santa Fe Pacifie Railroad Company 22 fait autorité et justi- fie ces propositions.
La jurisprudence exige qu'il soit prouvé que les demandeurs et leurs ancêtres aient été organisés en société. En citant l'opinion du juge Judson dans l'affaire Calder, j'ai souligné l'expression «organi- sés en sociétés» et j'ai rappelé que le juge Hall avait souligné le passage suivant dans sa citation de l'arrêt Worcester c. The State of Georgia: «elles avaient leurs propres institutions et se gouver- naient elles-mêmes en vertu de leurs propres lois». On trouve la raison de cette exigence dans le dictum du Conseil privé dans l'affaire In re Sou thern Rhodesia 23 :
[TRADUCTION] Il est toujours difficile d'apprécier quels étaient les droits des tribus aborigènes. Certaines tribus sont tellement au bas de l'échelle, en ce qui concerne leur organisa tion sociale, qu'il est impossible de concilier leurs usages et notions de droits et d'obligations avec les institutions ou les notions juridiques d'une société civilisée. On ne peut établir aucun pont. Il serait vain d'attribuer à pareils peuples quelque apparence de droits connus dans notre système juridique et de les transposer dans nos notions de droits aliénables de propriété. En l'espèce, en vertu d'une succession créée par fiction, chaque individu deviendrait un propriétaire foncier «plus riche que l'ensemble de la tribu.» D'autre part, il existe des peuples aborigènes dont les notions juridiques, bien qu'elles aient évolué différemment, sont à peine moins précises que les nôtres. Lorsqu'elles ont été étudiées et comprises, elles ne sont pas moins exécutoires que des droits découlant du système anglais. Entre les deux existe un vaste espace d'un grand intérêt ethno- logique mais la place exacte que les indigènes de la Rhodésie méridionale y tiennent y est fort imprécise; manifestement ils se rapprochent plutôt de la limite inférieure que de la supérieure.
Leurs Seigneuries ne jugèrent pas nécessaire d'examiner la question plus avant puisqu'ils con- clurent que les droits aborigènes, si droits il y
20 [1978] I R.C.S. 104.
21 (I823) 8 Wheaton 543.
22 (1941 ) 314 U.S. 339.
23 [1919] A.C. 211, aux pp. 233 et suiv.
avait, qui auraient pu exister antérieurement, avaient été expressément anéantis par la Cou- ronne.
Il est évident que la complexité relative de l'or- ganisation d'une société sera fonction des besoins de ses membres, de ce qu'ils lui demandent. Alors que l'existence d'une société organisée est néces- saire à celle d'un titre aborigène, il ne semble y avoir aucune raison valide de demander la preuve de l'existence d'une société plus structurée que nécessaire pour démontrer qu'il existait chez les aborigènes une perception des droits réclamés suf- fisamment définie pour permettre leur reconnais sance par la common law lors de son introduction sur le territoire. La constance de la jurisprudence n'est pas que la common law prive obligatoirement les aborigènes de leur jouissance de la terre en quelque façon mais plutôt qu'elle ne peut donner effet qu'aux corollaires de cette jouissance qui eux-mêmes recevaient effet au cours du régime qui prévalait antérieurement. 24
Le fait est que les aborigènes inuit étaient orga- nisés en société. Il ne s'agissait pas d'une société comportant des institutions fort élaborées mais d'une société organisée pour exploiter les ressour- ces disponibles sur les barren lands et essentielles à la soutenance en ces lieux de la vie humaine. C'était à peu près tout ce qu'ils pouvaient faire: chasser, pêcher et survivre. Le titre aborigène affirmé ici ne comprend que le droit de chasse et de pêche que pratiquèrent leurs ancêtres.
La société organisée des Esquimaux du caribou, dans l'état elle était, état qui leur suffisait, n'avait pas substantiellement évolué avant la sédentarisation depuis l'époque l'Angleterre n'avait pas encore imposé sa souveraineté sur les barren lands. Pour la plupart, les ancêtres des individus demandeurs faisaient partie de cette société; plusieurs d'entre eux en ont eux-mêmes fait partie. Que leur société ait subi un change- ment radical ces dernières années importe peu.
Le caractère spécifique du territoire sur lequel le titre aborigène a jusqu'ici été réclamé dans la jurisprudence publiée ne semble pas avoir fait l'objet de litiges. Dans l'affaire Calder le territoire en cause fut délimité du commun accord des par
24 Amodu Tijani c. The Secretary, Southern Nigeria [1921] 2 A.C. 399.
ties. Dans l'arrêt Kruger la Cour ne jugea pas nécessaire de traiter du titre aborigène et de son extinction mais jugea l'appel sur d'autres motifs sur lesquels je reviendrai. Elle indiqua clairement cependant quelle serait son approche à l'avenir. Le juge Dickson, au nom de la Cour, aux pages 108 et suivantes, déclara:
Les revendications de titres aborigènes reposent aussi sur l'his- toire, les légendes, la politique et les obligations morales. Si l'on doit traiter la revendication de certaines terres par une bande indienne comme un problème juridique et non politique, on doit donc l'examiner en fonction des faits particuliers relatifs à la bande et aux terres en question, et non de façon générale... .
Il y avait manifestement de grandes différences entre les sociétés aborigènes des Indiens et des
Inuit; la jurisprudence écrite au sujet des sociétés indiennes doit être appliquée aux Inuit en les gardant à l'esprit. L'absence de structure politique
semblable aux tribus constituait une conséquence inévitable du mode de vie que dictait l'environne- ment physique des Inuit. Similairement les Inuit
semblent avoir occupé les barren lands sans oppo
sition si on excepte les environs voisins de la ligne d'arborescence. Cela aussi résulte de leur environ-
nement physique. La pression des autres peuples, si on excepte les abords de la forêt boréale, n'exis- tait pas et ainsi les Inuit ne furent pas confinés
dans leur occupation des barren lands de la même
manière que les tribus indiennes peuvent s'être confinées l'une l'autre ailleurs sur le continent. En outre les exigences de la survie dictaient la nature dispersée, mais sur une grande étendue, de leur occupation.
Dans Mitchel c. Les États-Unis 25 le juge Bald- win, auteur de l'arrêt de la Cour, dit:
[TRADUCTION] La possession ou l'occupation indienne a été considérée en référence à leurs usages et modes de vie; ils avaient autant la possession de leurs territoires de chasse que les blancs celle de leurs champs défrichés; et leurs droits à la jouissance exclusive de ceux-ci, à leur manière et pour leurs fins propres, étaient tout autant respectés tant qu'ils ne les alié- naient pas, ne les cédaient au gouvernement ou n'effectuaient une vente autorisée à des individus... .
Le fond de la présente affaire ne rend pas nécessaire de chercher à savoir si les Indiens aux États-Unis détenaient quelque autre droit ou pouvoir sur le sol; il suffit de considérer comme principe établi que leur droit d'occupation était reconnu comme aussi sacré que la propriété privée des blancs.
L'importance de la jurisprudence américaine ancienne pour la détermination de la common law
25 (1835) 9 Peters 711, la p. 746.
du Canada relative aux droits aborigènes est suffi- samment bien établie devant les juridictions cana- diennes, de tous degrés, pour qu'il ne soit plus nécessaire de la justifier. Respectueusement, la jurisprudence américaine semble considérablement plus pertinente que les avis du Conseil privé qui traitent des sociétés aborigènes d'Afrique et d'Asie situées sur l'extrémité supérieure de l'échelle invo- quée dans l'affaire In re Southern Rhodesia. La jurisprudence américaine relative à l'existence d'un titre aborigène, élaborée depuis la création de la Indian Claims Commission 26 , doit être regardée avec la plus extrême prudence. La Commission, dont les décisions sont l'objet de la doctrine améri- caine la plus récente, est autorisée, notamment à connaître [TRADUCTION] «des réclamations fon- dées sur des ententes équitables et honorables non reconnues par les règles du droit ou de l'equity», une compétence qu'aucune législature du Parle- ment n'a encore attribuée à une juridiction canadienne.
La nature, l'étendue et le degré de la présence physique des aborigènes sur la terre qu'ils occu- paient, que requiert la loi comme élément essentiel de leur titre aborigène doivent être en chaque espèce déterminés selon un critère subjectif. Dans la mesure des êtres humains pouvaient survivre sur les barren lands, les Inuit y étaient; dans la mesure les barren lands se prêtaient à l'occupa- tion humaine, les Inuit les occupèrent.
L'occupation du territoire doit avoir été à l'ex- clusion de toute autre société organisée. Dans l'ar- rêt Santa Fe, à la page 345, le juge Douglas, auteur de l'arrêt de la Cour, jugea que:
[TRADUCTION] L'occupation requise en vue d'établir la pos session aborigène constitue une question de fait à décider comme toute autre question de fait. S'il était établi que les terres en question faisaient partie de la patrie ancestrale des Walapais ou étaient comprises dans celle-ci, en ce sens qu'elles constituaient un territoire définissable occupé exclusivement par les Walapais (par opposition aux terres sur lesquelles erraient de nombreuses tribus), les Walapais avaient un «titre indien» qui, s'il n'a pas été éteint, a continué d'exister malgré la concession ferroviaire de 1866.
Au début de la période historique ce sont les Chipewyan, non les Inuit, qui ont erré dans le sud-ouest de la Région de Baker Lake. Au cours de la période préhistorique les Indiens occupèrent la vallée de la Dubaunt et, à la fois les Indiens et
26 Public Law 79-959, 13 août 1946.
les Inuit, occupèrent des portions de la vallée Thelon. Le fait historique de l'hostilité de leurs rapports supporte la déduction faite que leur occu pation des mêmes lieux a être successive plutôt que simultanée. Les vestiges suggèrent que, dans les temps préhistoriques, le sud-ouest de la Région constituait un limbe de transition avec une occupa tion principalement indienne aux environs de la forêt boréale et principalement inuit aux 'alentours de Baker Lake. La seule raison de leur double présence était celle, saisonnière, du caribou de sorte que je ne puis voir comment de petits campe- ments d'Inuit auraient cherché volontairement à s'aventurer sur des terres exploitées en saison par des bandes d'Indiens relativement larges.
C'est le seul secteur le poids de la preuve ne confirme pas l'admission par les défendeurs du gouvernement que les Inuit ont occupé et fait usage de la Région de Baker Lake depuis des temps immémoriaux. La loi est claire; lorsque la preuve administrée et les admissions des avocats sont incompatibles c'est le devoir de la Cour de ne considérer que les faits réels dont preuve a été faite 27 . J'en déduis que dans ce contexte les «temps immémoriaux», remontent à l'époque de l'assertion de la souveraineté anglaise sur le territoire laquelle n'eut probablement pas lieu avant 1610 ni après le 2 mai 1670 certainement.
D'après la preuve administrée je ne puis con- clure que l'ensemble de la Région de Baker Lake ait été exclusivement occupé par les Inuit au moment de l'établissement de la souveraineté anglaise. Les vestiges archéologiques et historiques amènent à conclure que vraisemblablement, à cette époque, la frontière entre les terres inuit et indiennes traversait le sud-ouest de la Région de Baker Lake. J'en ai conclu, il est vrai sur le fondement d'une preuve très mince, et tout en reconnaissant un élément important d'arbitraire comme nécessaire à la détermination de la limite de l'occupation exclusive des Inuit, que le territoire au sud et à l'ouest d'une ligne tirée de l'extrémité orientale du lac Aberdeen au confluent des rivières Kazan et Kunyak ne faisait pas partie du territoire des Inuit.
A ce stade il faut rappeler que les terres sur lesquelles les demandeurs proclament leur titre
27 Sinclair c. Blue Top Brewing Co. Ltd. [1947] 4 D.L.R. 561 (C.S.C.).
aborigène ne se confinent pas à la Région de Baker Lake mais comprennent une région plus vaste non définie l'incluant. La Région de Baker Lake est le lieu dont ils disent qu'on n'y respecte pas leurs droits découlant de leur titre aborigène et pour lequel donc leur sont ouverts des recours dont l'injonction mais, encore une fois, l'aire sur laquelle ils affirment détenir un titre aborigène ne se limite pas à la Région de Baker Lake. La preuve relative à l'occupation inuit ne dépasse pas la Zone opérationnelle de la G.R.C. mais elle amène à conclure que cette occupation de la Zone ne chan- gea guère entre les temps préhistoriques et leur sédentarisation.
Finalement je conclus, sur la balance des proba- bilités, en fonction de la preuve administrée devant moi, que, à l'époque l'Angleterre proclamait sa souveraineté sur les barren lands à l'ouest de la Baie d'Hudson, les Inuit étaient les seuls occupants de cette partie des barren lands s'étendant des environs de Baker Lake au nord et vers l'est en direction de l'Arctique et de la Baie d'Hudson jusqu'aux limites de la Zone opérationnelle de Baker Lake de la G.R.C. telles qu'elles étaient en 1954, y compris spécialement cette portion de la Zone au nord et à l'est d'une ligne tirée depuis sa limite vers l'aval le long de la rivière Thelon jusqu'au point elle sort du lac Aberdeen, puis vers le sud-est jusqu'à l'inlet de la rivière Kazan dans le lac Thirty Mile et puis vers l'amont le long de la Kazan jusqu'à la limite de la Région. En common law, les Inuit détiennent sur ce territoire un titre aborigène comportant les droits de s'y déplacer en toute liberté, d'y chasser et d'y pêcher.
EXTINCTION ANTÉRIEURE À 1870
Les défendeurs disent que le titre aborigène des Inuit sur la Terre de Rupert aurait été éteint par la Charte royale du 2 mai 1670 qui l'aliénait à la Compagnie de la Baie d'Hudson ou, sinon, par son incorporation au Canada en 1870. Les limites précises de la Terre de Rupert ne sont pas en litige ici ni non plus le nom formel du donataire qu'on appellera simplement «la Compagnie».
La Charte royale aliénait à la Compagnie [TRA- DUCTION] «le trafic et commerce exclusifs» de la Terre de Rupert. Elle la rangeait [TRADUCTION] «au nombre de nos plantations ou colonies de l'Amérique» et poursuivait:
[TRADUCTION] ... ET DE PLUS NOUS, par les présentes, pour nous, nos hoirs et successeurs, établissons, créons et constituons lesdits Gouverneur et Compagnie pour le temps présent et leurs successeurs véritables absolus Seigneurs et Propriétaires des mêmes Territoire, Limites et places susdits Et toutes leurs dépendances SAUF TOUJOURS la foi, l'Allégeance et le Souve- rain Pouvoir à nous dû, à nos hoirs et successeurs de même, D'AVOIR, TENIR, posséder et jouir desdits Territoire, Limites et places et toutes et chacune des autres dépendances ici aliénées comme susdits avec tous et chacun de leurs Droits, Accessoires, Juridictions, Prérogatives, Redevances et Appartenances quels qu'ils soient à eux lesdits Gouverneur et Compagnie et leurs Successeurs pour toujours POUR QU'ILS LES TIENNENT de nous, nos hoirs et successeurs comme de notre manoir d'East Greenwich en notre Comté de Kent en franc et commun soccage et non in Capite ou contre service d'ost vassalique, PRODUISANT ET VERSANT annuellement à nous, nos hoirs et successeurs, pour les mêmes, deux Élans et deux Castors noirs à chaque fois et aussi souvent que Nous nos hoirs et successeurs nous trouverons à pénétrer dans lesdits Pays, Territoires et Régions présentement aliénés ...
L'autorité législative de la Compagnie dans la colonie se limitait à l'adoption de lois raisonnables compatibles avec celles d'Angleterre et dont l'ap- plication était explicitement restreinte à la Compa- gnie elle-même, ses dirigeants et employés. Sa fonction juridictionnelle se limitait à l'application du droit anglais, civil et criminel, à ceux lui [TRA- DUCTION] «appartenant» ou [TRADUCTION] «vivant sous» elle. Que l'auteur de la Charte n'ait pas considéré la Terre de Rupert comme totale- ment dénuée d'habitants aborigènes est évident. La Compagnie est autorisée à faire [TRADUCTION] «la paix ou la guerre avec tout Prince ou Peuple quelconque qui ne sera pas chrétien» sur la Terre de Rupert [TRADUCTION] «et aussi à se faire justice et à se rembourser sur les marchandises, biens ou personnes de ces contrées».
La présence sur la Terre de Rupert d'habitants aborigènes titulaires de droits de propriété aborigè- nes était envisagée. La Charte ne cherchait pas à remplacer par le droit anglais les lois selon lesquel- les les aborigènes se gouvernaient, pas plus qu'elle n'autorisait la Compagnie à légiférer à leur égard ni à statuer à leur sujet ou conformément à leur droit. L'extinction d'un titre aborigène par la Charte est entièrement fonction du titre aliéné énoncé ci-dessus.
La Charte n'était ni unique ni la première à établir une colonie de propriétaires en Amérique du Nord et à aliéner la propriété des terres de la colonie à ses propriétaires. En fait ce fut la der- nière. Les propriétaires de ces autres colonies que
ce soit avant ou après le 2 mai 1670, en général, sinon invariablement, anéantirent les droits abori- gènes soit par force soit par composition. Ils ne se reposèrent pas sur les arcanes d'un titre particulier au droit anglais pour justifier l'abrogation des droits, quels qu'ils aient été, dont les aborigènes jouissaient d'après leur propre loi. *
Il me semble que l'aliénation du titre à la Com- pagnie avait pour unique but de régler son droit de propriété sur les terres par rapport à la Couronne, non d'anéantir le titre aborigène. Cette conclusion est compatible avec ce qui s'était déjà passé dans d'autres colonies nord-américaines où, contraire- ment à la Terre de Rupert, la colonisation avait rendu nécessaire d'éteindre le titre aborigène. Elle est aussi compatible avec la politique de la Compa- gnie elle-même, proclamée déjà en 1683, relative aux terres requises pour ses postes de traite. Elle est compatible aussi avec ce que la Compagnie a réellement fait, par son représentant lord Selkirk, l'unique fois elle a prendre des mesures pour l'établissement de colons. Elle est compatible enfin avec les agissements du gouvernement canadien depuis l'incorporation de la Terre de Rupert au Canada.
La coexistence d'un titre aborigène et de la propriété privée ordinaire est reconnue comme une absurdité. Le droit collectif d'occupation des indi- gènes ne peut être réconcilié avec le droit d'un propriétaire privé au jus utendi de son bien-fonds. Toutefois sa coexistence avec la nue-propriété de la Couronne sur le bien-fonds est, justement, la caractéristique du titre aborigène et la Compagnie, à titre de propriétaire de la Terre de Rupert, sauf le cas de ses postes de traite, se trouvait dans une position fort voisine de celle de la Couronne. Son occupation du territoire en cause n'était, au mieux, que conceptuelle.
Je statue donc que la Charte royale du 2 mai 1670 n'a pas anéanti le titre aborigène sur la Terre de Rupert. Rien dans la loi anglaise de 1690, qui
* Une analyse fort utile des documents historiques disponi- bles portant sur les conclusions auxquelles on arrive dans le présent ainsi que dans le paragraphe suivant se trouve au chapitre 6 de la thèse: The Land Rights of Indigenous Cana- dian Peoples, soumise pour l'obtention du doctorat en philoso- phie de l'Université d'Oxford, 1979, trimestre de la Trinité, par Brian Slattery, actuellement de la faculté de droit de l'Univer- sité de Saskatchewan, Saskatoon.
confirma la Charte, n'est pertinent. 28 De même je ne trouve rien dans le décret impérial 29 du 23 juin 1870, par lequel la Terre de Rupert fut incorporée au Canada, qui ait eu quelque effet sur le titre aborigène.
En ce dernier cas, les demandeurs ont instam- ment soutenu que le paragraphe 14 du décret est une condition suspensive dont la réalisation est nécessaire pour que le Parlement du Canada acquière la compétence législative d'anéantir le titre aborigène grevant la Terre de Rupert:
14. Toute indemnité à payer aux Indiens pour les terres destinées à la colonisation sera réglée par le Gouvernement Canadien de concert avec le Gouvernement Impérial, et la Compagnie sera libérée de toute responsabilité à cet égard.
Je ne suis pas d'accord. La disposition ne crée ni n'anéantit aucun droit ou obligation relatif aux indigènes pas plus qu'elle, par l'article 146 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867 30 , ne restreint la compétence législative du Parle- ment. Elle se borne à faire du Canada le débiteur des obligations de la Compagnie à l'époque.
Le titre aborigène dont en common law sont créanciers les Inuit n'avait pas été éteint avant l'incorporation de la Terre de Rupert au Canada. Le titre n'a pas été anéanti par, ni au cours de, l'incorporation. Il subsistait lorsque la Terre de Rupert devint partie intégrante du Canada.
EXTINCTION POSTÉRIEURE À 1870
Le titre aborigène des Inuit n'a pas été éteint par aliénation. Depuis l'incorporation de la Terre de Rupert au Canada il a été de la compétence législative du Parlement du Canada de l'anéantir. Le Parlement n'a pas adopté de loi l'anéantissant expressément.
Les demandeurs font valoir qu'un tel anéantisse- ment doit se faire expressément. Ils s'appuient pour ce dire sur l'opinion du juge Hall dans l'arrêt Calder. Les défendeurs soutiennent au contraire qu'une loi peut avoir pour effet de l'anéantir même si cette intention n'y est pas exprimée. Ils s'ap- puient pour ce dire sur l'opinion du juge Judson,
28 2 W. & M., c. 23.
29 S.R.C. 1970, Appendice II, 9.
30 S.R.C. 1970, Appendice II, 5.
aussi dans l'affaire Calder.
A la page 402 le juge Hall, parlant du «titre indien» en litige dit:
Cela étant, ce droit [un droit juridique] ne pouvait pas être éteint par la suite sauf par cession à la Couronne ou par le pouvoir législatif compétent, et alors uniquement au moyen d'une loi précise.
C'est moi qui mets en italiques. Après avoir cité de la jurisprudence, il conclut son examen de la ques tion, à la page 404, comme suit:
Par conséquent, il semble incontestable qu'il incombe à l'intimé d'établir que le Souverain voulait éteindre le titre indien, et que cette intention doit être «claire et expresse».
Ici encore c'est moi qui mets en italiques. Si je comprends bien les demandeurs, ils soutiennent que, pour qu'il y ait extinction du titre aborigène, la loi doit dire expressément que c'est son objet.
J'ai consulté la jurisprudence que cite le juge Hall et celle sur laquelle il semble s'être appuyé pour faire les distinctions qu'il a faites, dans les passages que j'ai mis en italiques; il s'agit d'un extrait de l'opinion du juge Davis de la United States Court of Claims dans The Lipan Apache Tribe c. Les États- Unis 31 :
[TRADUCTION] Nous devons en fait nous demander non pas si la République du Texas a accordé ou octroyé aux Indiens certains droits, mais si elle a éteint leurs droits d'occupation préexistants. L'extinction peut se faire sous diverses formes; elle peut se faire «par traité, par les armes, par achat, par l'exercice d'une suprématie complète niant le droit d'occupation ou autre- ment***.» Arrêt United States c. Santa Fe Pac. R.R., précité, 314 U.S. p. 347. Le choix du mode d'extinction est une prérogative gouvernementale, mais l'acte (ou les actes) réel(s) d'extinction doit être clair et sans ambiguïté. A défaut d'une «indication claire et expresse» dans les dossiers publics que le souverain «voulait éteindre tous les droits des réclamants» sur leurs biens, le titre indien demeure. Id., p. 353.
C'est le juge Hall qui met en italiques.
Il est manifeste que l'expression «indication claire et expresse» a son origine dans l'arrêt Santa Fe. Le litige, qui donna naissance à l'expression, était de savoir si l'acceptation par la bande d'une réserve en 1881 avait anéanti, par aliénation volon- taire, leur titre aborigène sur les terres qui avaient été l'objet de la Loi du Congrès américain du 27 juillet 1866 aliénant celles-ci à une entreprise fer- roviaire. La Loi disposait, en partie, que:
31 (1967) 180 Ct. Cl. 487, la p. 492.
[TRADUCTION] 2. Les États-Unis mettront à néant, aussi rapidement que cela sera possible, compte tenu de l'ordre public et du bien-être des Indiens, et uniquement par voie d'aliénation volontaire, le titre indien grevant toutes les terres relevant de l'opération de la présente loi et requises dans la donation au chemin de fer que nomme la loi.
C'est manifestement l'expression de la sollici- tude avouée que le juge Douglas avait à l'esprit lorsqu'il a dit, aux pages 353 et 354:
[TRADUCTION] Nous fouillerions les archives publiques en vain à la recherche d'une indication simple et claire que le Congrès, en créant la réserve du fleuve Colorado, faisait plus qu'une simple pollicitation aux Indiens, dont les Walapais, espérant la voir acceptée, comme compromis d'une question épineuse. Nous ne trouvons aucune indication que le Congrès, en créant cette réserve, ait eu l'intention d'anéantir tous les droits des Walapais sur leur foyer ancestral. Que le Congrès ait pu anéantir le titre n'est pas mis en doute. Mais une telle extinction ne peut être présumée à la légère si on prend en compte la sollicitude avouée du gouvernement fédéral pour le bien-être de ses pupilles indiens.
On n'a appelé mon attention sur aucune législa- tion canadienne exigeant que l'anéantissement législatif des titres aborigènes soit effectué d'une manière particulière. Il y a beaucoup de jurispru dence canadienne disant que le droit aborigène de chasse, même confirmé par traité, est soumis à la réglementation de la législation compétente. L'ar- rêt Sikyea c. La Reine 32 dont le juge Hall au nom de la Cour fut l'auteur en est un exemple. Le droit de chasser librement, comme ses ancêtres, sur une terre particulière, a constitué un important aspect de la plupart, sinon de tous, les titres aborigènes à ce jour proclamés au Canada. C'est le droit qui a été démontré ici. C'est, néanmoins, un droit sou- vent abrogé par la législation d'application géné- rale, sans faire aucune mention expresse d'une intention de traiter du titre aborigène en quelque manière.
Je ne puis accepter l'argument des demandeurs voulant que l'intention du Parlement d'abroger un titre aborigène doit être énoncée expressément dans la loi pertinente. Je n'estime pas que le juge Hall soit allé aussi loin. Une fois qu'une loi a été régulièrement adoptée, il faut lui donner effet; s'il est nécessaire pour lui donner effet d'altérer voire d'abroger entièrement un droit de common law alors c'est l'effet que les tribunaux doivent lui donner. Cela est tout aussi vrai d'un titre abori-
32 [1964] R.C.S. 642.
gène que de tout autre droit de common law. L'alinéa la) de la Déclaration canadienne des droits 33 ne fait pas du titre aborigène en cause ici une exception à la règle générale.
La législation de l'arrêt Calder se composait de treize pièces distinctes: neuf proclamations du gou- verneur de la colonie de la Colombie-Britannique et quatre ordonnances de son Conseil législatif, dont aucune ne déclarait expressément l'intention d'abroger le titre indigène. Leurs dispositions importantes sont énoncées dans le jugement de première instance 34 . Après les avoir résumées, le juge Judson, à la page 333, écrit:
Les conséquences de ces proclamations et ordonnances ont été énoncées par le Juge Gould, en première instance, dans les termes suivants. J'accepte sa conclusion, comme l'a d'ailleurs fait la Cour d'appel:
[TRADUCTION] Les divers textes législatifs ci-dessus men- tionnés sont reliés entre eux, et dans de nombreux cas, ils contiennent des renvois d'un texte à l'autre, particulièrement le XIII. Ils sont bien antérieurs au 19 novembre 1866, jour il a été tenu pour certain que les terres délimitées se trouvaient dans les limites de la colonie de la Colombie-Bri- tannique et étaient donc visées par la législation de la colonie en matière immobilière, le cas échéant. Les treize textes révèlent une unité d'intention, soit l'exercice du pouvoir législatif et de la souveraineté absolue sur toutes les terres de la Colombie-Britannique, souveraineté incompatible avec tout intérêt contradictoire, y compris «le titre aborigène, autrement dit titre indien», pour reprendre les termes de la déclaration. Les textes législatifs antérieurs au 19 novembre 1866 sont inclus, en vue de montrer le but de la législation connexe subséquente, qui visait indubitablement les terres délimitées.
Il conclut, à la page 344:
A mon avis, en la présente espèce, l'autorité souveraine a décidé d'exercer sur les terres en litige une suprématie complète contraire à tout droit d'occupation de la tribu nishga lorsque, par une loi, elle a ouvert ces terres à la colonisation à l'excep- tion des réserves mises de côté aux fins de l'occupation indienne.
Dire que le résultat nécessaire de cette législation est incompatible avec quelque droit que ce soit d'occupation aborigène équivaut à dire que le législateur a exprimé son intention manifeste d'abroger purement et simplement ce droit d'occu- pation. Les juges Hall et Judson étaient donc, je pense, en accord sur le droit, sinon sur son applica tion en l'espèce.
33 S.C. 1960, c. 44 [S.A.C. 1970, Appendice III].
34 (1970) 8 D.L.R. (3 0 ) 59, aux pp. 75 et suiv.
J'examine maintenant la législation dont on a dit qu'elle aurait abrogé le titre aborigène en cause. Tous les textes visent le District de Keewa- tin. On n'a pas devant moi mis en doute leur validité et je ne saurais ainsi en déduire de leur examen.
Le premier Acte des Terres de la Puissance" disposait:
42. Aucune des dispositions du présent Acte concernant l'établissement des terres arables, ou la location des terres à bois, ou l'achat et la vente des terres minières, ne s'appliquera aux territoires à l'égard desquels le droit des Sauvages n'aura pas alors été éteint.
Cette disposition fut reprise textuellement dans l'Acte des Terres fédérales, 1879 36 , laquelle fut abrogée par l'Acte des Terres fédérales, 1883 37 , qui à son tour disposait que:
3. Aucune des dispositions du présent acte ne s'appliquera aux territoires à l'égard desquels le droit des Sauvages n'aura pas alors été éteint.
Cette disposition demeura en vigueur jusqu'à l'adoption de la Loi des terres fédérales 38 de 1908.
La Loi de 1908 ne contenait aucune disposition exemptant de son opération les territoires encore grevés d'un titre indien. Elle disposait cependant que:
76. Le Gouverneur en conseil peut —
a) soustraire à l'application de la présente loi, sans préjudice des droits existants tels qu'ils y sont définis ou établis, les terres qui ont été ou seront réservées pour les Sauvages;
b) concéder des terres pour satisfaire aux réclamations des métis par suite de l'extinction du titre des Sauvages;
c) à l'extinction du titre des Sauvages dans quelque territoire ou région, donner aux personnes qui prouvent d'une manière suffisante qu'elles occupaient sans inquiétation des terres dans ce territoire ou cette région, à la date de cette extinction, et qu'elles en étaient en paisible possession effective par résidence soit personnelle soit par leurs serviteurs, tenanciers ou agents, des concessions gratuites de ces terres n'excédant pas une étendue égale à un quart de section pour une même personne, à moins qu'il n'en ait été cultivé une plus grande étendue;
Mises à part les refontes périodiques, la Loi de 1908 demeura en vigueur, sans révision pertinente,
35 S.C. 1872, c. 23.
36 S.C. 1879, c. 31.
37 S.C. 1883, c. 17.
38 S.C. 1908, c. 20.
jusqu'à ce qu'elle soit remplacée par la Loi sur les terres territoriales 39 en 1950 laquelle est toujours en vigueur 40
Avant 1950 le Parlement n'avait pas, par une loi générale, abrogé le titre aborigène grevant les territoires du Nord-Ouest. Même, il envisageait expressément son abrogation comme un événement futur.
La Loi sur les terres territoriales ne fait aucune exemption des terres grevées d'un titre aborigène non éteint et, contrairement à celles qui ont pré- cédé, n'envisage pas expressément la future «extinction du titre des Sauvages». L'autorité autrefois réservée au gouverneur en conseil par l'alinéa 76a) est maintenant incluse dans celle déléguée par l'alinéa 19d) de la Loi actuelle:
19. Le gouverneur en conseil peut
d) mettre à part et affecter les étendues de territoire ou les terres qui peuvent être nécessaires afin de permettre au gouvernement du Canada de remplir ses obligations d'après les traités conclus avec les Indiens et d'accorder des conces sions ou des baux gratuits pour ces objets, ainsi que pour tout autre objet qu'il peut considérer comme devant contribuer au bien-être des Indiens;
C'est la seule référence que la Loi fait aux habi- tants aborigènes. Vu le fait que les terres que les Indiens ont cédées en vertu des traités 8 et 11 conclus en 1899 et 1922 respectivement compre- naient toute la partie continentale des territoires du Nord-Ouest à l'ouest des rivières Coppermine et Lockhart, on comprend que les pouvoirs du gouverneur en conseil accordés par les alinéas 76b) et 76c) de la Loi de 1908 aient été considérés caducs en 1950. La demande, que ce soit par des métis ou par d'autres, d'une autorisation de s'éta- blir à l'est de ces rivières ou dans les îles de l'Arctique ne doit pas avoir été forte entre 1922 et 1950.
Les défendeurs soutiennent que l'abrogation par le Parlement de la reconnaissance expresse anté- rieure d'un «titre indien» non éteint doit être com prise comme l'expression de son intention de l'abroger. Au cours de ma recherche historique, j'ai consulté les archives parlementaires relatives à
39 S.C. 1950, c. 22.
40 S.R.C. 1970, c. T-6.
l'adoption de la Loi sur les terres territoriales 41 La Chambre des Communes examina le projet de loi le 10 mai 1950 à une séance qui commença à 3 h 00 de l'après-midi et s'ajourna à 5 h 50. En sus des questions orales et de la procédure habituelle, la Chambre examina cinq projets de loi cette après-midi-là. Trois, incluant celui en cause, en étaient à la deuxième lecture, en comité plénier, et à la troisième lecture. Le comité plénier termina son examen du quatrième et il fut adopté en troisième lecture. Le cinquième fut adopté en seconde lecture. L'examen complet du projet de loi en question, en deuxième lecture, en comité plé- nier, et en troisième lecture, occupe six pages et quart du Compte rendu officiel à partir de la page 2364. Le terme «Indien» n'apparaît que le Ministre responsable du projet de loi déclare que celui-ci ne s'applique pas aux terres «visées par la Loi sur les Indiens». Le terme «Indien» n'apparaît nulle part ailleurs et les termes «esquimau», «Inuit» ou «aborigène» n'apparaissent tout simplement pas. Les débats au Sénat ont été beaucoup moins long*. Bien que je ne puisse tenir compte de ce qui s'est dit dans l'une ou l'autre Chambre pour inter- préter la Loi, il est juste, je pense, de souligner l'ironie qu'il y aurait à penser qu'un droit si fonda- mental, attribué à un peuple en particulier, incapa ble par ailleurs de voir à ses propres intérêts, et sur lequel le Parlement détient une compétence légis- lative exclusive, ait pu, en 1950, être abrogé si négligemment. Sans égard à l'intention recherchée ni à ce qui a été réalisé, c'est un fait historique, dont je puis prendre connaissance d'office, qu'en adoptant la Loi sur les terres territoriales, le Parlement n'a pas expressément porté son atten tion sur l'abrogation du titre aborigène.
La législation dont les défendeurs disent qu'elle équivaut à un exercice par le Parlement d'une [TRADUCTION] «souveraineté incompatible avec tout intérêt contradictoire, y compris `le titre abo- rigène'», pour adopter le vocabulaire du juge
41 Débats du Sénat, Compte rendu officiel, 2' session, 21' législature, Vol. I. Débats de la Chambre des communes, Compte rendu officiel, 2' session, 21' législature, Vol. III.
* Les Comptes rendus officiels des débats des comités parle- mentaires n'étaient généralement pas publiés en 1950. L'exa- men du projet de loi par le Comité du Sénat des Banques et du Commerce semble ne pas avoir fait exception. Rien dans son rapport au Sénat ne permet de croire que le Comité ait examiné la question de l'abrogation du titre aborigène.
Judson dans l'arrêt Calder, inclut certaines dispo sitions de la Loi sur les terres territoriales, de la Loi sur les concessions de terres publiques 42 et de la Loi sur les territoires du Nord-Ouest 43 . L'arti- cle 4 de la Loi sur les terres territoriales en est la disposition clé:
4. Sous réserve de la présente loi, le gouverneur en conseil peut autoriser la vente, la location ou autre aliénation des terres territoriales, et établir des règlements autorisant le Ministre à vendre, céder à bail ou autrement aliéner des terres territoria- les, sous réserve des restrictions et conditions que peut prescrire le gouverneur en conseil.
On inclut dans les «terres territoriales» tout démembrement du droit de propriété sur un bien- fonds sis dans les territoires du Nord-Ouest, y compris les mines et les minéraux appartenant à Sa Majesté du chef du Canada ou dont le gouver- nement fédéral a pouvoir de disposer. S'il y a quelque lacune dans l'autorité ci-dessus attribuée au gouverneur en conseil de disposer de tout démembrement du droit de propriété sur les terres des territoires du Nord-Ouest, elle est apparem- ment comblée par l'article 4 de la Loi sur les concessions de terres publiques qui autorise la vente, la location ou toute autre aliénation des terres publiques, ainsi que la prescription des modalités et conditions relatives à de telles aliénations.
Il suffit de résumer les autres dispositions de la Loi sur les terres territoriales que l'on invoque. Les articles 3.1 et 3.2 attribuent au gouverneur en conseil le pouvoir d'affecter des terres territoriales à des zones de gestion des terres, de les réglemen- ter et de délivrer des permis régissant et autorisant l'usage superficiel de la zone. L'article 8 autorise la réglementation du louage de droits miniers dans les terres territoriales à leur surface ou dans leur sous-sol. L'alinéa 14a) autorise la réglementation de la coupe du bois. L'article 19 autorise le gouver- neur en conseil à soustraire à l'aliénation certaines terres sur le fondement de la Loi et à les réserver et affecter à de nombreuses fins, en sus de celles énoncées à l'alinéa 19d) reproduit ci-dessus, dont la construction d'édifices publics et de facilités, et encore à d'autres fins, allant des lieux de sépultu- res aux refuges d'oiseaux, et des prisons aux emplacements des villes, et il l'autorise à permettre l'achat, par des particuliers, de biens-fonds pour le
0.2 S.R.C. 1970, c. P-29. 43 S.R.C. 1970, c. N-22.
passage de chemins de fer, de lignes de haute tension et de pipelines. En vertu de l'article 13 de la Loi sur les territoires du Nord-Ouest, le com- missaire en conseil se voit déléguer l'autorité d'adopter des ordonnances relatives, notamment, à la propriété et aux droits civils, à la conservation du gibier et à l'ouverture de routes sur les terres publiques.
Je me bornerai à noter, à ce stade, que le gouverneur en conseil et le commissaire en conseil ont exercé leur autorité légale dans plusieurs domaines. Ce fait et les buts recherchés par cette réglementation et ces ordonnances ne concernent nullement l'abrogation totale du titre aborigène. Une telle abrogation ne peut être faite que par le Parlement lui-même par l'adoption d'une loi incompatible avec le maintien du titre aborigène; elle ne peut dépendre de l'exercice d'une autorité déléguée par la loi. Cela ne veut pas dire que les droits qu'engloberait un titre aborigène ne puissent être altérés par une législation, ou sa réglementa- tion d'application, sans que le titre ne soit complè- tement éteint.
Les autres dispositions législatives résumées n'ajoutent rien de significatif à l'article 4 de la Loi sur les terres territoriales. Les zones de gestion des terres mentionnées aux articles 3.1 et 3.2 sont une nouvelle notion introduite en 1970. 44 Ils peu- vent être invoqués par le gouverneur en conseil «Lorsqu'il [I'] estime nécessaire pour la protection de l'équilibre écologique ou des caractéristiques physiques d'une étendue». Il est difficile de voir comment le type d'occupation qu'implique le titre aborigène des Inuit puisse être incompatible avec ces objectifs. La Loi de 1908 envisageait expressé- ment l'abrogation future du «titre des Sauvages». Cela impliquait nécessairement une reconnais sance de l'existence d'un «titre des Sauvages» non abrogé. Les articles 8, 14a) et 19 de la Loi actuelle ont leur pendant dans les articles 37, 59 et 76 de la Loi de 1908. Ils n'empêchaient pas la subsistance d'un titre aborigène. Les dispositions de la Loi sur les territoires du Nord-Ouest ne contribuent pas à l'abrogation du titre. Cela repose entièrement sur l'article 4 de la Loi sur les terres territoriales et, dans la mesure il ajoute quelque chose, sur l'article 4 de la Loi sur les concessions de terres publiques.
44 S.R.C. 1970 (1" Supp.), c. 48, art. 24.
Il y a des différences marquantes entre la situa tion qui prévalait dans le nord-ouest de la Colom- bie-Britannique vers 1860 et celle dans les barren lands en 1950. La correspondance entre le Colo nial Office et le gouverneur Douglas, entre le 31 juillet 1858 et le 19 octobre 1861, que cite le juge Judson aux pages 329 et suivantes de son arrêt dans l'affaire Calder, montre clairement que l'abrogation du «titre indien» occupait largement les esprits lorsque les proclamations ont été faites et les ordonnances édictées. La législation indique parfaitement que son but est l'ouverture du terri- toire à la colonisation. Bien qu'il n'y ait pas eu de traité, certaines terres furent réservées pour les Indiens et exclues de celles ouvertes à la colonisa tion, les Indiens se voyant d'autre part privés expressément du droit d'acquérir les terres offer- tes. La conclusion du juge Judson, à la page 344, mérite d'être répétée:
A mon avis, en la présente espèce, l'autorité souveraine a décidé d'exercer sur les terres en litige une suprématie complète contraire à tout droit d'occupation de la tribu nishga lorsque, par une loi, elle a ouvert ces terres à la colonisation à l'excep- tion des réserves mises de côté aux fins de l'occupation indienne.
Dans le cas des Inuit sur les barren lands, l'extinc- tion de leur titre aborigène n'était nullement à l'esprit du Parlement en 1950. Les barren lands n'étaient pas, pour des raisons évidentes, ouverts à la colonisation et donc il n'y avait aucune raison d'abroger le titre aborigène. Quoique l'article 4 de la Loi ait une portée suffisamment large pour permettre l'aliénation de terres à des fins de colo nisation, ce serait refuser de voir la réalité des barren lands que de croire qu'une demande impor- tante en ce sens soit une éventualité sérieuse. En abrogeant la Loi de 1908, le Parlement a aban- donné, sans le remplacer, son plan global consis- tant à permettre, et même à encourager, la coloni sation des terres de la Couronne non occupées par voie de concession, d'exercice d'un droit de préemption et d'achat. Ces dispositions, les articles 8 à 28 inclus, apparaissaient dans la même Loi l'on trouve les alinéas 76b) et c) qui envisagent expressément l'extinction du titre indien comme un événement futur.
L'article 4 de la Loi sur les terres territoriales constitue un exercice valable par le Parlement de son droit de disposer des terres en cause. Toutefois
ce genre d'utilisation aux fins que le Parlement peut raisonnablement avoir envisagées pour les barren lands, n'est pas nécessairement incompati ble avec le droit aborigène d'occupation des Inuit. On peut s'attendre raisonnablement à ce que celles qui pourraient se révéler effectivement incompati bles ne concernent qu'une fraction insignifiante de l'ensemble du territoire. L'abrogation du titre abo- rigène des Inuit ne résulte pas nécessairement de la législation adoptée depuis 1870. Le titre aborigène en cause n'a pas été abrogé.
LA LÉGISLATION MINIÈRE
Aucun doute véritable quant à la validité de la législation minière n'a été soulevé dans mon esprit. Je n'entends donc pas la résumer si ce n'est dans la mesure nécessaire pour savoir si, en vertu de leur titre aborigène, les Inuit ont des «droits acquis» au sens du paragraphe 29(11) du Règlement sur l'ex- ploitation minière au Canada 45 et sont «déten- teurs» de «droit de surface» au sens de l'article 8 de la Loi sur les terres territoriales.
Si on excepte un certain nombre de lots du hameau lui-même, je suis tout à fait convaincu que l'ensemble du territoire en cause demeure une «terre territoriale» au sens de la Loi sur les terres territoriales et une «terre publique» au sens de la Loi sur les concessions de terres publiques. Elles sont soumises au Règlement sur l'exploitation minière au Canada. Dans la mesure leurs droits aborigènes sont altérés par ces Lois, les Inuit peuvent ou non avoir droit à une indemnisation. Cela n'est pas recherché en l'actuelle action. Il ne peut toutefois y avoir aucun doute que l'effet d'une législation régulièrement adoptée, dans la mesure elle restreint les droits compris dans le titre aborigène, doit prévaloir. C'est ce qu'a succincte- ment expliqué le juge en chef du Canada, le juge Laskin, au nom de la Cour, dans Regina c. Derriksan 46
Dans l'hypothèse serait exacte la prétention de Sanders (jugée inacceptable par le ministère public) selon laquelle la présence indienne dans la région en question donne naissance à un droit aborigène de pêche dans cette région, dont l'exercice a subséquemment été sanctionné (et nous ne nous prononçons pas sur l'exactitude de cette prétention), nous sommes tous d'avis que la Loi sur les pêcheries, S.R.C. 170, chap. F-14, et ses
as C.R.C. 1978, Vol. XVII, c. 1516.
46 (1 9 77) 71 D.L.R. (39) 159, la p. 160.
règlements d'application, dans la mesure de leur pertinence en l'espèce, ont validement été mis en vigueur et ont pour effet d'assujettir le droit allégué aux normes qu'ils prescrivent.
Cela fut réitéré dans Kruger c. La Reine".
Le Règlement sur l'exploitation minière au Canada prévoit:
29....
(11) La délivrance d'un permis à l'égard de toute zone touchée par un permis de prospection est faite sous la réserve des droits acquis ou demandés par toute personne de la région à laquelle s'applique le permis.
Si on prend en compte le contexte de l'ensemble du Règlement et le pouvoir du gouverneur en conseil de l'adopter, l'interprétation correcte à donner à l'expression «droits acquis» au paragraphe 29(11) est qu'elle renvoie uniquement aux droits acquis en vertu du Règlement.
L'article 8 de la Loi sur les terres territoriales prévoit:
8. Le gouverneur en conseil peut établir des règlements concernant la location de droits miniers dans des terres territo- riales, à leur surface ou dans leur sous-sol, et le paiement de redevances à cet égard; mais ces règlements doivent assurer la protection et l'indemnisation des détenteurs des droits de
surface.
Les juridictions canadiennes ont, à ce jour, évité avec succès d'avoir à définir ce qu'est au juste un titre aborigène. Il est toutefois clair que 1 e titre aborigène qui naît de la Proclamation royale n'est pas un droit de propriété 48 . Si le titre aborigène qui grève la Terre de Rupert indépendamment de la Proclamation royale était un droit de propriété, il aurait de par nécessité été anéanti par la Charte royale du 2 mai 1670 qui aliénait à la Compagnie de la Baie d'Hudson la propriété de la colonie entière. Leur titre aborigène ne fait pas des Inuit des «détenteurs» de «droit de surface» au sens de l'article.
AUTRES QUESTIONS
a) Le droit d'ester
Tous les défendeurs, au cours du débat, ont contesté le droit des personnes morales deman-
47 [1978] 1 R.C.S. 104.
48 St. Catherine's Milling and Lumber Company c. La Reine du chef de l'Ontario (1889) XIV App. Cas. 46, aux pp. 54 et suiv.
deresses d'engager l'action. Cela n'avait pas été soulevé par les actes de procédure et en consé- quence je n'envisage pas de statuer à ce sujet.
Si les défendeurs l'avaient vraiment voulu, ils auraient, nul doute, opposé au préalable l'ir- recevabilité de la demande. L'auraient-ils fait, la qualité de la Inuit Tapirisat of Canada pour demander un jugement déclaratoire en tant que représentante et celle similaire de la Baker Lake Hunters and Trappers Association pour demander le recours en injonction pourrait bien avoir été mise en cause, la fin de non-recevoir établie, et la modification appropriée des actes de procédure accordée. Le Hamlet of Baker Lake aurait fort bien pu se trouver en une position différente. Quoi qu'il en soit il serait inéquitable de donner effet à cette exception en cet état de la cause quel qu'au- rait pu être le résultat si elle avait été soulevée en l'état approprié.
b) Les demandes reconventionnelles
Les défendeurs, Cominco Ltd. et Pan Ocean Oil Ltd., ont réclamé, par demande reconventionnelle, des jugements déclaratoires au sujet du statut des terres en litige, statut de terres «territoriales» et «publiques», et au sujet des Inuit en tant que titulaires de «droits acquis» et «détenteurs» de «droits de surface» sous le régime de la législation minière. Les demandeurs disent que la demande reconventionnelle n'est pas un recours ouvert aux compagnies minières défenderesses en raison de l'ordonnance du 29 mars 1979 par lequel elles sont intervenues à ce titre.
Cette ordonnance reflète l'engagement exprès des compagnies minières défenderesses en vertu duquel les demandeurs et défendeurs du gouverne- ment se voyaient inciter à ne pas s'opposer à leur requête. Il faut noter que la cause était, longtemps avant cette date, en état, et que leur première requête en intervention avait été refusée à cause de leur réticence à accepter un calendrier qui aurait permis au procès d'avoir lieu au jour fixé. L'ordon- nance ne parlait nullement de demandes reconven- tionnelles.
Dans les circonstances il appartenait aux com- pagnies minières de révéler complètement leurs intentions avant d'obtenir l'acquiescement des demandeurs à leur intervention. Il est tout à fait approprié pour les demandeurs d'insister sur une
interprétation stricte de l'ordonnance pour que ne soit autorisé rien de ce qui ne l'a pas été expressément.
c) La compétence matérielle
Les compagnies minières défenderesses, sauf l'Essex Minerals Company Limited, font valoir que la Cour ne possède pas la compétence d'accor- der le recours en injonction demandé contre eux. Ce déclinatoire bien entendu s'appuie sur les arrêts Quebec North Shore Paper Company c. Canadien Pacifique Limitée 49 et McNamara Construction (Western) Limited c. La Reine 50 de la Cour suprême du Canada. Dans les circonstances il ne m'est pas nécessaire d'ajouter à un jugement déjà trop considérable et à la jurisprudence fort exten sive déjà générée par ces arrêts.
d) L'injonction provisoire
L'injonction provisoire lancée le 24 avril 1978 est mise à néant.
e) Les dépens
Je suis tout à fait disposé à entendre toute requête que les demandeurs ou défendeurs du gou- vernement pourraient vouloir faire relativement aux dépens à la lumière de la décision. L'enregis- trement du jugement sera retardé jusqu'au 17 décembre 1979 afin de permettre la production de requêtes de ce genre.
Les dépens, dans la mesure les compagnies minières défenderesses étaient concernées, étaient prévus par l'ordonnance du 29 mars 1979. Je ne vois pas qu'il y ait eu quelque dépens découlant des demandes reconventionnelles.
CONCLUSION
Les demandeurs ont droit à une déclaration disant que les terres comprises dans le District E2 de la Zone opérationnelle de Baker Lake de la G.R.C. de 1954, excluant cette portion, antérieure- ment décrite, plus particulièrement sise au sud et à l'ouest des rivières Thelon et Kazan, sont grevées d'un droit et d'un titre aborigènes de chasse et de pêche au profit des Inuit. L'action est par ailleurs rejetée. Les demandes reconventionnelles des défenderesses Cominco Ltd. et Pan Ocean Oil Ltd. sont rejetées sans les dépens.
49 [1977] 2 R.C.S. 1054. [ 1977] 2 R.C.S. 654.
ANNEXE «A»
Dans les territoires du Nord-Ouest, dans le Dis trict de Keewatin, toute cette étendue de terre plus précisément délimitée comme suit:
Partant d'un point sur la rive droite de la rivière Dubaunt à approximativement 63°50'30" de latitude et 100°00' de longi tude, de là, plein sud jusqu'à la latitude 63°30', de là, plein est jusqu'à la longitude 97°30', de là, plein sud jusqu'à la latitude 62°45', de là, plein est jusqu'à la longitude 95°00', de là, plein nord jusqu'à la latitude 63°00', de là, plein est jusqu'à la longitude 94°00', de là, plein nord jusqu'à la latitude 64°00', de là, plein est jusqu'à la longitude 92°30', de là, plein nord jusqu'à la latitude 64°30', de là, plein ouest jusqu'à la longitude 95°00', de là, plein nord jusqu'à la latitude 65°00', de là, plein ouest jusqu'à la longitude 97°00', de là, plein nord jusqu'à la latitude 65°30', de là, plein ouest jusqu'à la longitude 99°30', de là, plein sud jusqu'à la latitude 64°45', de là, plein ouest jusqu'à la longitude 100°30', de là, plein sud jusqu'à la latitude 64°00', de là, plein est jusqu'à la longitude 100°00' et de là, 'plein sud jusqu'à l'origine.
ANNEXE «B»
ANNEXE «C» LÉGENDE
LIMITE DU DISTRICT DE KEEWATIN ZONE OPÉRATIONNELLE DE LA G.R.C.—
RÉGION DE BAKER LAKE LIMITE D'ARBORESCENCE-. ^ -/`.-/"\-/ ^ .
Lac Aberdeen Ab Lac Garry Ga Lac Sand Sa
Lac Anjikuni An Lac Grant Gr Lac Schultz Sc
Lac Baker Bk Lac Kaminuriak Km Lac Tebesjuak Tb
Lac Beverly By Chutes Kazan Kz Lac Thirty Mile Tm
lie Christopher Ch Lac Mallery MI Lac Wharton Wh
Lac Dubaunt Du Lac Marjorie Mj Lac Yathkyed Ya
Lac Ferguson Fe Lac Pr. Mary Pr
Hameau de Baker Lake # Autres agglomérations 0
SCHEDULE "C" LEGEND
KEEWATIN DISTRICT BOUNDARY ------------- R.C.M.P . DETACHMENT AREA - . - - - - - . - .
BAKER LAKE AREA TREE LINE ��"....."1.,/",./"...,W%f1,
Aberdeen Lake Ab Garry Lake Ga Sand Lake Sa
Anjikuni Lake An Grant Lake Gr Schultz Lake Sc
Baker Lake Bk Kaminuriak L. Km Tebesjuak Lake Tb
Beverly Lake By Kazan Falls Kz Thirty Mile L. Tm
Christopher Island Ch Mallery Lake MI Wharton Lake Wh
Dubaunt Lake Du Marjorie Lake Mj Yathkyed Lake Ya
Ferguson Lake Fe Pr. Mary Lake Pr
Hamlet of Baker Lake # Other Communities O
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