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A-362-79
La Reine (Requérante) c.
L'Alliance de la Fonction publique du Canada (Intimée)
Cour d'appel, les juges Heald, Urie et Ryan— Ottawa, les 14 et 25 janvier 1980.
Examen judiciaire Fonction publique Contrat de travail La C.R.T.F.P. a inséré un paragraphe dans l'article de la convention collective relatif à l'indemnité de départ Le nouveau paragraphe prévoit que les employés nommés pour une période déterminée qui remplissent les conditions prescri- tes ont droit à l'indemnité prévue par cet article Il échet d'examiner, à la lumière de l'art. 70 de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique, si la Commission avait compétence pour rendre cette décision Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique, S.R.C. 1970, c. P-35, art. 70 Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10, art. 28.
Demande, fondée sur l'article 28, d'examen et d'annulation d'une décision arbitrale de la Commission des relations de travail dans la Fonction publique. L'intimée avait demandé l'arbitrage au sujet de certaines conditions d'emploi d'un groupe d'employés. Après audition, la Commission a accueilli la demande de l'intimée tendant à l'insertion dans l'article sur l'Indemnité de départ, d'un nouveau paragraphe relatif aux nominations pour une période déterminée. Le nouveau paragra- phe prévoit que les employés nommés pour une période déter- minée, qui justifient de plus d'une année d'emploi continu et dont la nomination n'est pas renouvelée par suite d'un manque de travail ou de la suppression d'une fonction, ont droit l'indemnité calculée conformément au paragraphe a) du même article. La requérante se fonde sur l'article 70 de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique pour soutenir que la Commission n'avait pas compétence pour rendre cette décision.
Arrêt: la demande est accueillie.
Le juge Heald: La seule partie de l'article 70 qui pourrait donner compétence à la Commission est celle de l'article 70(1) qui se rapporte aux «taux de traitement», or la décision arbitrale en cause ne porte pas sur les taux de traitement. Il ressort des paragraphes a) et f) que ce qui est prévu au paragraphe f), c'est une compensation ou indemnité pour une catégorie d'employés dont la nomination n'a pas été renouvelée. Alors que l'article 26 est intitulé «Severance Pay» dans la version anglaise, la version française a pour titre «Indemnité de départ». Le quantum ou le montant de cette compensation ou indemnité est déterminé en fonction du taux de rémunération hebdomadaire de l'employé en cause, mais il s'agit simplement d'une méthode de calcul de l'indemnité à verser. Les questions qui sont visées à l'article 70(1) par le terme «taux de traitement» se rapportent au taux de traitement actuel des employés (augmentation, diminution ou renouvellement à son niveau actuel). Une décision arbitrale peut porter sur des questions de ce genre par application de l'article 70(1), mais non sur une question qui, comme en
l'espèce, se rapporte plutôt aux circonstances donnant lieu à l'«indemnité de départ».
Le juge Ryan: Bien qu'il soit possible d'envisager une inter- prétation large de l'article 70(1), le terme «taux de traitement» ne saurait s'interpréter comme ayant un sens assez large pour comprendre une indemnité pour défaut de renouvellement d'une nomination pour une période déterminée. Il ne saurait s'interpréter non plus comme permettant de régler par voie de décision arbitrale des questions qui pourraient faire l'objet de négociations collectives au motif que les questions énumérées à l'article 70(1) ne servent que d'exemples. L'article 70 est un énoncé exhaustif. Pris dans son ensemble, il définit ce qui peut faire l'objet d'une décision arbitrale; il ne mentionne pas l'in- demnité pour défaut de renouvellement d'une nomination pour une période déterminée.
DEMANDE d'examen judiciaire. AVOCATS:
Robert Cousineau pour la requérante. Maurice W. Wright, c.r. pour l'intimée.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour la requérante.
Soloway, Wright, Houston, Greenberg, O'Grady, Morin, Ottawa, pour l'intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE HEALD: Il s'agit d'une demande, fondée sur l'article 28, d'examen et d'annulation d'une décision arbitrale de la Commission des relations de travail dans la Fonction publique datée du 15 mai 1979.
En février 1979, l'intimée a demandé l'arbitrage au sujet de certaines conditions d'emploi des employés du groupe de l'achat et de l'approvision- nement, de la catégorie de l'administration et du service extérieur. Après avoir tenu une audience les deux parties présentèrent leurs observations, la Commission accueillit la demande de l'intimée qu'un nouveau paragraphe soit ajouté à l'article 26 de la convention collective. Cette partie de la décision arbitrale est ainsi rédigée:
ARTICLE 26—INDEMNITÉ DE DÉPART
(1) .. .
(2)...
(3)...
(4) NOMINATIONS POUR UNE PÉRIODE DÉTERMINÉE
[TRADUCTION] Il est ajouté à la convention collective un article 26.01 f) ainsi conçu:
A défaut de renouvellement d'une nomination pour une période déterminée, lorsque l'employé justifie de plus d'une (1) année d'emploi continu et qu'il est mis fin à son emploi au motif du défaut de renouvellement de la nomination par suite d'un manque de travail ou de la suppression d'une fonction, il sera considéré comme licencié au sens de l'article 26 aux fins de déterminer l'indemnité de départ à lui accorder.
Seule la partie qui porte sur les nominations pour une période déterminée, figurant à la clause (4) ci-dessus, est attaquée par la requérante et fait l'objet de la présente demande fondée sur l'article 28.
Pour bien comprendre la portée de ce nouveau paragraphe f) de la clause 26.01, il est nécessaire d'examiner les dispositions de clause 26.01a) de la convention collective. Cette clause 26.01a) est ainsi conçue:
ARTICLE 26
INDEMNITÉ DE DÉPART
26.01 Dans les cas suivants et sous réserve de la clause 26.02, l'employé touche une indemnité de départ qui se calcule selon son taux de rémunération hebdomadaire:
a) Licenciement
(i) Dans le cas d'un premier licenciement survenant après le 30 avril 1969, deux (2) semaines de rémunération pour la première année complète d'emploi continu et une (1) semaine de rémunération pour chaque année complète d'emploi con- tinu supplémentaire, l'indemnité ne devant pas toutefois dépasser vingt-huit (28) semaines de rémunération.
(ii) Dans le cas d'un deuxième licenciement ou d'un licencie- ment subséquent survenant après le 30 avril 1969, une (1) semaine de rémunération pour chaque année complète d'em- ploi continu, l'indemnité ne devant pas toutefois dépasser vingt-sept (27) semaines de rémunération, moins toute période pour laquelle il a déjà reçu une indemnité de départ aux termes de la clause 26.01a)(i) ci-dessus.
Il ressort clairement des paragraphes a) et f), à mon avis, que le paragraphe f) accorde une indem- nité calculée en conformité de la clause 26.01a) aux employés qui justifient de plus d'une année d'emploi continu et dont la nomination n'est pas renouvelée par suite d'un manque de travail ou de la suppression d'une fonction.
La requérante prétend, en se fondant sur l'arti- cle 70 de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique, S.R.C. 1970, c. P-35, que la Commission n'avait pas compétence pour rendre cette décision. L'article 70 est ainsi rédigé:
70. (1) Sous réserve du présent article, une décision arbi- trale peut statuer sur les taux de traitement, les heures de
travail, les droits à des congés, les normes disciplinaires et autres conditions d'emploi qui s'y rattachent directement.
(2) Le paragraphe 56(2) s'applique, mutatis mutandis, en ce qui concerne une décision arbitrale.
(3) Une décision arbitrale ne doit statuer ni sur les normes, procédures et méthodes régissant la nomination, l'appréciation, l'avancement, la rétrogradation, la mutation, la mise en dispo- nibilité ou le renvoi des employés ni sur une condition d'emploi qui n'a pas fait l'objet de négociations entre les parties avant que ne soit demandé l'arbitrage à leur sujet.
(4) Une décision arbitrale ne doit statuer que sur les condi tions d'emploi des employés dans une unité de négociation relativement à laquelle la demande d'arbitrage a été faite.
J'estime que l'exception d'incompétence soulevée par la requérante est bien-fondée. A mon avis, la seule chose qui pourrait peut-être donner compé- tence à la Commission est la partie de l'article 70(1) qui concerne les «taux de traitement». Or, selon moi, cette décision arbitrale ne porte pas sur les taux de traitement. A la lecture des paragra- phes a) et f) précités, il est clair que ce qui est prévu au paragraphe f), c'est une compensation ou indemnité pour une certaine catégorie d'employés dont la nomination n'a pas été renouvelée. Alors que dans la version anglaise, l'intitulé figurant sous l'article 26 est «Severance Pay», dans la version française, il est question d'«Indemnité de départ». Le quantum ou le montant de cette compensation ou indemnité est déterminé en fonction du taux de rémunération hebdomadaire de l'employé en ques tion, mais il s'agit simplement, à mon avis, d'une méthode de calculer l'indemnité à verser. Les ques tions qui d'après moi sont visées à l'article 70(1) par le terme «taux de traitement» sont des ques tions relatives au taux de traitement actuel des employés (augmentation, diminution ou renouvel- lement à son niveau actuel) ou des questions de rappel au travail, d'heures supplémentaires, de primes de quart, d'indemnités compensatrices de congés payés et autres questions semblables. Une décision arbitrale peut statuer sur de telles ques tions en vertu de l'article 70(1), mais non sur une question comme la présente qui se rapporte plutôt aux circonstances dans lesquelles une «indemnité de départ» est payable. J'estime donc que la Com mission était incompétente et, par conséquent, que la décision attaquée aux présentes doit être annu- lée, en conformité avec la demande fondée sur l'article 28.
L'avocat de la requérante a attaqué la décision de la Commission sur d'autres points, alléguant
que cette dernière avait agi d'une façon contraire aux dispositions des articles 25 et 29 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique, S.R.C. 1970, c. P-32.
Étant donné la conclusion à laquelle je suis arrivé relativement à l'article 70(1) de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique, supra, je ne crois pas nécessaire de statuer sur les autres moyens invoqués pour démontrer que la Commission n'avait pas compétence.
J'accueille donc la demande fondée sur l'article 28 et ordonne que la clause 26.010 soit retranchée de la décision arbitrale de la Commis sion datée du 15 mai 1979.
* * *
LE JUGE URIE: Je souscris.
* *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE RYAN: J'ai lu les motifs du jugement de M. le juge Heald. Je suis d'accord avec sa décision d'accueillir la demande et je souscris aux motifs de ladite décision.
Je me permettrai cependant de faire un commentaire.
L'alinéa a) de l'article 59 de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique prévoit que «Dans le cas l'employeur et l'agent négociateur d'une unité de négociation ont négocié collectivement de bonne foi en vue de conclure une convention collective mais n'y sont pas parvenus, si la méthode de règlement d'un différend applicable à l'unité de négociation est le renvoi à l'arbitrage, les articles 63 à 76 s'appliquent au règlement du différend». Selon moi, les articles 63 et 64 de la Loi limitent l'arbitrage à des questions qui peuvent être comprises dans une décision arbitrale. Ce qui pourrait vouloir dire, et veut peut-être dire en l'espèce, qu'une question qui pourrait faire l'objet de négociations collectives ne pourrait pas être soumise à l'arbitrage. Il me semble que cette con- séquence possible exige une interprétation large du paragraphe 70(1). Ceci dit, je ne vois cependant pas comment le terme «taux de traitement», au paragraphe 70(1), pourrait avoir un sens assez
large pour comprendre une indemnité pour défaut de renouvellement d'une nomination pour une période déterminée.
En tenant compte de l'incidence du paragraphe 70(1) sur le domaine des questions pouvant être soumises à l'arbitrage, j'ai également considéré la possibilité qu'on n'avait pas voulu, au paragraphe 70(1), énoncer limitativement les questions pou- vant être réglées par décision arbitrale (sous réserve évidemment des restrictions prévues aux paragraphes (2), (3) et (4)), mais plutôt donner des exemples de questions qui peuvent être réglées de cette façon, ou établir hors de tout doute que ces questions pouvaient être réglées par décision arbitrale; une telle interprétation permettrait d'in- clure dans une décision arbitrale des questions autres que celles mentionnées dans ce paragraphe, questions qui pourraient faire l'objet de négocia- tions collectives. J'en suis toutefois arrivé à la conclusion qu'on ne pouvait interpréter le paragra- phe (1) de cette façon.
Tout d'abord, comme je l'ai déjà mentionné, les articles 63 et 64 de la Loi établissent clairement qu'on ne peut demander l'arbitrage que pour les conditions d'emploi qui peuvent être incluses dans une décision arbitrale. Ce qui implique assez nette- ment qu'il faut avoir recours à l'article 70, qui concerne les objets d'une décision arbitrale, pour déterminer ce qui peut être inclus dans une déci- sion arbitrale et être soumis à l'arbitrage, et engage à conclure que l'énumération figurant à cet article est limitative.
Je remarque également que le paragraphe 67(1) oblige la Commission à rendre une «décision arbi- trale», et partant l'autorise à ce faire, mais ce paragraphe et, par conséquent, l'autorisation, sont expressément soumis aux dispositions de l'article 70; il serait étrange que l'article 70 ne soit pas limitatif.
En vérité, le libellé même de l'article 70 suggère qu'il s'agit d'un énoncé exhaustif. Le paragraphe (1) énumère les questions qui peuvent être réglées par une décision arbitrale, mais précise «Sous réserve du présent article»; les paragraphes (2), (3) et (4) limitent les questions qui peuvent être réglées par décision arbitrale en application du paragraphe (1). Cet article, pris dans son ensem ble, définit ce qui peut faire l'objet d'une décision
arbitrale. Or il ne mentionne pas l'indemnité pour défaut de renouveler une nomination pour une période déterminée. L'article 74 confirme d'ail- leurs, à mon avis, le bien-fondé d'une telle interprétation.
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LE JUGE URIE: Je souscris.
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