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T-225-79
Melford Developments Inc. (Demanderesse)
c.
La Reine (Défenderesse)
Division de première instance, le juge suppléant Grant—Toronto, 16 janvier, 12 février et 8 mai 1980.
Impôt sur le revenu Non-résidents Retenue aux fins de l'impôt Frais de garantie payés par la demanderesse à une société non résidente au sujet d'un prêt consenti par une banque canadienne Frais de garantie considérés comme «intérêts» donc imposables en application des art. 212(1)b) et 214(15)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu Les frais de garantie constituent des «bénéfices industriels ou commer- ciaux» au sens de l'Art. 111(1) de la Loi de 1956 sur un accord entre le Canada et l'Allemagne en matière d'impôt sur le revenu, lesquels sont exempts d'impôt Incompatibilité entre les dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu et les dispositions de l'accord Les dispositions de l'accord l'em- portent Rejet des cotisations Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, c. 63, art. 172(2), 212(1)b), 214(15)a), modifiée par S.C. 1974-75-76, c. 26, art. 119(2), 215 Loi de 1956 sur un accord entre le Canada et l'Allema- gne en matière d'impôt sur le revenu, S.C. 1956, c. 33, art. 2, 3, Convention, Art. 11(2), 111(1), XI.
Arrêts appliqués: Canadien Pacifique Limitée c. La Reine [1976] 2 C.F. 563; R. c. Saint John Shipbuilding & Dry Dock Co. Ltd. [1979] 2 C.F. 743. Arrêt examiné: Associa tes Corp. of North America c. La Reine [1980] 2 C.F. 377.
APPEL en matière d'impôt sur le revenu. AVOCATS:
J. R. Dingle pour la demanderesse. C. G. Pearson pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Blaney, Pasternak, Smela & Watson, Toronto, pour la demanderesse.
Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE SUPPLÉANT GRANT: Le présent appel, fondé sur l'article 172(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, c. 63, a été formé par la demanderesse contre les cotisations de ses décla- rations d'impôt pour les années d'imposition 1975 et 1976 établies par le ministre du Revenu national
en date du 22 août 1977. L'appelante ayant con testé ces cotisations, le Ministre les a confirmées le 30 novembre 1978. Appel a été interjeté directe- ment auprès de la présente Cour de la décision du Ministre. La question litigieuse est de savoir si la demanderesse était tenue de déduire la retenue fiscale des sommes qu'elle a payées à la Bayerische Vereinsbank Incorporating Bayerische Staatsbank AG («Vereinsbank»), une société étrangère, rési- dente de la République fédérale d'Allemagne, à titre de frais de garantie de remboursement des prêts que la Banque de Nouvelle-Écosse lui avait consentis pendant les années considérées, et de la remettre au receveur général du Canada en appli cation de l'article 215 de la Loi. En vue de cet appel, les parties ont versé au dossier un exposé conjoint des faits il est affirmé notamment ce qui suit:
[TRADUCTION] I. La demanderesse est une société constituée en vertu de la législation ontarienne dont le siège social est à Toronto, en Ontario. Elle s'occupe et s'occupait au Canada durant les périodes considérées de construire des immeubles pour les revendre.
2. Pour financer son entreprise, la demanderesse doit couram- ment emprunter des sommes considérables. En 1973, elle s'est entendue avec le siège social de la Banque de Nouvelle-Écosse, à Toronto, en Ontario, sur un emprunt de $6,000,000 (en monnaie canadienne). Il a été convenu que le prêt consenti devait venir à échéance le 30 avril 1981. Toutefois, en vue du prêt, la demanderesse devait obtenir une garantie de sa dette en faveur de la Banque de Nouvelle-Écosse. Elle a obtenu cette garantie de la Bayerische Vereinsbank Incorporating Bayeris- che Staatsbank AG (aVereinsbank») pour le plein montant de $6,000,000 (en monnaie canadienne). A titre de frais de garan- tie, Vereinsbank exigeait annuellement 1% du principal, paya ble en versements trimestriels de $15,000 chacun (en monnaie canadienne).
3. En tant que banque commerciale, la Vereinsbank s'occupe de toutes sortes d'opérations bancaires, notamment d'opérations bancaires commerciales et d'investissements, elle agit en tant que fiduciaire et fait le commerce des valeurs mobilières tant en Allemagne que sur les marchés internationaux. Dans le cadre de ses opérations bancaires, la Vereinsbank est très active dans la garantie des emprunts canadiens et normalement, elle exige des frais de caution.
4. A l'époque considérée, la Vereinsbank était une résidente de la République fédérale d'Allemagne et non du Canada, elle n'a pas non plus d'établissement stable au sens l'entend l'annexe de la Loi de 1956 sur un accord entre le Canada et l'Allemagne en matière d'impôt sur le revenu.
5. Pour s'acquitter de son obligation de payer les frais de garantie mentionnés au paragraphe 2 ci-dessus, la demande- resse a effectué en faveur de la Vereinsbank des versements trimestriels de $15,000 (en monnaie canadienne) à chacune des années d'imposition visées par le présent appel.
6. La demanderesse n'a pas déduit la retenue fiscale, confor- mément à la partie XIII de la Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, c. 148 telle que modifiée par l'article 1 du chapitre 63, S.C. 1970-71-72, des versements trimestriels qu'elle a effectués en faveur de la Vereinsbank pour les années d'imposition 1975 et 1976, mais l'a déduite pour l'année d'im- position 1977 pour une somme de $30,000 (en monnaie canadienne).
La demanderesse a reconnu que les dispositions de la Partie XIII de la Loi assujettissent la Vereinsbank à l'impôt canadien au taux de 15% sur la somme qu'on lui a payée à titre de frais de garantie et font obligation à la demanderesse d'ef- fectuer la retenue fiscale et de la remettre au receveur général, sauf disposition contraire de la Convention entre le Canada et la République fédé- rale d'Allemagne en matière d'impôt, signée en 1956.
Voici le libellé de l'article 212(1)b) de la Loi qui établit l'obligation de personnes non résidantes de payer l'impôt canadien:
212. (1) Toute personne non résidante doit payer un impôt sur le revenu de 25% sur toute somme qu'une personne résidant au Canada lui paie ou porte à son crédit, ou est réputée en vertu de la Partie 1 lui payer ou porter à son crédit, au titre ou en paiement intégral ou partiel
b) d'intérêts sauf...
Aucune exception ne s'applique au présent appel. En vertu du paragraphe 10(6) des Règles de 1971 concernant l'application de l'impôt sur le revenu [S.C. 1970-71-72, c. 63, Partie III, modifié par S.C. 1974-75-76, c. 26, art. 127(1)] et de l'Article XI de la Convention, ce taux a été réduit à 15%.
L'article 214(15)a), modification apportée à la Loi le 18 novembre 1974, vise à assujettir un paiement comme celui qui nous intéresse à l'alinéa 212(1)b) précité et à l'assimiler à un paiement d'intérêt. Cet article est ainsi rédigé:
214. (15) ...
a) lorsqu'une personne non résidante a conclu une entente aux termes de laquelle elle consent à garantir le rembourse- ment, en tout ou en partie, du principal d'une obligation, d'un billet, d'un mortgage, d'une hypothèque ou d'un titre semblable d'une personne résidant au Canada, toute somme versée ou créditée en contrepartie de la garantie est réputée être un paiement d'intérêt sur cette obligation.
Voici le libellé de l'article 215(1), qui prescrit de retenir et de remettre le montant de l'impôt au receveur général au nom de la personne non résidante:
215. (1) Lorsqu'une personne verse ou crédite ou est réputée avoir versé ou crédité une somme sur laquelle un impôt sur le revenu est exigible en vertu de la présente Partie, elle doit, nonobstant toute disposition contraire d'une convention ou d'une loi, en déduire ou en retenir le montant de l'impôt et le remettre immédiatement au receveur général du Canada au nom de la personne non résidante, à valoir sur l'impôt, et l'accompagner d'un état en la forme prescrite.
La Loi de 1956 sur un accord entre le Canada et l'Allemagne en matière d'impôt sur le revenu, S.C. 1956, c. 33, a donné force de loi à la Conven tion de 1956 entre le Canada et l'Allemagne en matière d'impôt sur le revenu. Cette Convention contient les dispositions suivantes:
2. L'accord conclu entre le Canada et la République fédérale d'Allemagne, reproduit dans l'Annexe, est ratifié et il est déclaré que cet accord a force de loi au Canada.
3. En cas d'incompatibilité entre les dispositions de la pré- sente loi ou de l'accord et l'application de toute autre loi, les dispositions de la présente loi et de l'accord l'emportent dans la mesure de cette incompatibilité.
L'Article III(1) de la Convention prévoit ce qui suit:
ARTICLE Ill
1. Les bénéfices industriels ou commerciaux d'une entreprise de l'un des territoires ne sont soumis à l'impôt de l'autre territoire que si l'entreprise exerce une activité commerciale ou industrielle dans celui-ci par l'intermédiaire d'un établissement stable qui y est situé. Si l'entreprise exerce une activité com- merciale ou industrielle dans l'autre territoire par l'intermé- diaire d'un établissement stable y situé, lesdits bénéfices peu- vent être imposés dans ce territoire, mais seulement dans la mesure ils proviennent dudit établissement stable.
Il ressort du paragraphe 4 de l'exposé conjoint des faits que, durant toutes les années considérées, la Vereinsbank était une résidente de la Répu- blique fédérale d'Allemagne et non du Canada, et n'avait pas au Canada un établissement stable au sens l'entend l'annexe de la Loi de 1956 sur un accord entre le Canada et l'Allemagne en matière d'impôt sur le revenu. La Convention ne définit pas l'expression «bénéfices industriels ou commer- ciaux». En pareil cas, l'Article II(2) renvoie pour l'interprétation à la législation en vigueur au Canada. La Couronne soutient que les paiements en question ne sont pas des bénéfices industriels ou commerciaux de la banque allemande au sens de l'Article III(1) de la Convention.
Dans l'affaire Canadien Pacifique Limitée c. La Reine [1976] 2 C.F. 563, le juge Walsh déclarait aux pages 595 et 596:
En décidant s'il faut accorder ce dégrèvement pour impôt, nous devons interpréter les clauses de la Convention et du Protocole eux-mêmes, et non celles de la Loi de l'impôt sur le revenu. Les parties conviennent que les clauses d'un traité ont le pas sur une loi et qu'il faut les interpréter de façon plus libérale. L'arrêt Saunders c. M.R.N. [11 Tax A.B.C. 399] exprime bien ce principe; R.S.W. Fordham, c.r., président de la Commission d'appel de l'impôt, a déclaré à la page 402:
[TRADUCTION] Il semble que le principe reconnu est qu'une loi fiscale doit être interprétée d'une façon très stricte, en l'appliquant à la Couronne ou à la personne que l'on veut imposer—dans la mesure l'on peut découvrir l'intention du législateur. Cependant en matière de convention fiscale, la situation est différente et l'usage exige, par courtoisie inter- nationale, une interprétation plus libérale. Les conventions fiscales sont destinées principalement non pas à aggraver mais à alléger la charge fiscale du contribuable en lui évitant la double imposition. Ce motif figure dans le préambule de la Convention. En conséquence, il n'est pas opportun d'aller au-delà du texte de la Convention et du Protocole, quand on essaye de s'assurer de la signification exacte d'une phrase ou d'un terme donnés qui y sont employés.
Le The Shorter Oxford English Dictionary, 2 e éd. 1970, donne les définitions suivantes:
[TRADUCTION] «Industrial» adj. qui se rapporte à l'industrie ou au travail productif, ou qui en tient; provenant de l'industrie.
«Commercial» adj. 1. pratiquant le commerce; se livrant aux affaires. 2. qui tient du commerce ou des affaires, ou qui s'y rapporte. 3. qui est communément admis dans les opérations de commerce. 4. —qui est considéré comme étant une question de profit et perte.
Voir aussi le jugement prononcé par le juge Walsh dans La Reine c. Saint John Shipbuilding & Dry Dock Co. Ltd. [1979] 2 C.F. 743, aux pages 753 à 756.
La garantie donnée par la Vereinsbank, qui a été mentionnée ci-dessus, s'inscrivait dans le cours normal de ses activités et les frais qu'on lui a payés étaient des recettes résultants de ses opérations bancaires normales. En cas d'incompatibilité entre la Loi de l'impôt sur le revenu et les dispositions de la Loi de 1956 sur un accord entre le Canada et l'Allemagne en matière d'impôt sur le revenu, les dispositions de cette dernière et de l'accord l'em- portent (article 3 de la Loi, précité). Par consé- quent, je suis persuadé que les divers montants que la demanderesse Melford lui a payés en raison de la garantie du prêt consenti par la Banque de Nouvelle-Écosse étaient des «bénéfices industriels ou commerciaux» au sens de l'Article III(1) de la Convention susmentionné et ne sont pas impo- sables.
La Couronne soutient en outre que de tels paie- ments en contrepartie de la garantie équivalent à des paiements d'intérêt et ne sont donc pas soumis aux dispositions de l'Article III(1) précité, et que de tels frais versés à la banque non résidante sont réputés être des paiements d'intérêt en vertu de la modification apportée en 1974 par l'article 214(15)a) précité. Dans Associates Corporation of North America c. La Reine [[1980] 2 C.F. 377], le juge Mahoney, à la page 380, a déclaré relative- ment à des faits semblables à ceux de la présente espèce mais relevant de la Convention entre le Canada et les États-Unis:
Le Protocole ne donne pas du terme «intérêt» une définition exhaustive. Mais ceci ne signifie pas que le Canada peut, unilatéralement, y ajouter d'autres catégories de revenu qui ne sont pas du tout des intérêts.
Le juge s'est en outre penché sur la nature des frais de garantie. Il a conclu qu'ils faisaient partie des bénéfices industriels et commerciaux de la demanderesse et que ceux-ci n'étaient pas imposa- bles au Canada, puisque la demanderesse était une entreprise américaine n'ayant pas d'établissement stable au Canada. Il a déclaré ce qui suit à la page 381:
Je partage l'avis de l'avocat de la défenderesse, suivant lequel le terme «intérêt» n'est pas assez large pour englober les droits de garantie litigieux.
L'article 31 de la Convention de Vienne sur le droit des traités, à laquelle le Canada est partie, prévoit que:
Article 31
1. Un traité doit être interprété de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but.
[TRADUCTION] Quant à l'intérêt c'est d'une manière géné- rale, la contrepartie ou le dédommagement de l'utilisation ou de la détention par une personne d'une certaine somme d'argent qui appartient, au sens courant de ce mot, à une autre ou qui lui est due. [Voir In re Farm Security Act, 1944 [1947] R.C.S. 394, la page 411.]
Cette définition du mot «interest» a été approuvée dans: Procureur général de l'Ontario c. Barfried Enterprises Ltd. [1963] R.C.S. 570, la page 575; Yonge-Eglinton Building Limited c. M.R.N.
[1972] C.T.C. 542, la page 545; Bennett and White Construction Co. Ltd. c. M.R.N. [1949] C.T.C. 1—le juge Locke, à la page 4 et Holder c. Inland Revenue Commissioners [1932] All E.R. Rep. 265, la page 271.
Par ces motifs, j'en arrive à la conclusion que la Vereinsbank n'était pas assujettie à l'impôt sur le revenu pour les sommes reçues de la demanderesse durant les années d'imposition 1975 et 1976 et que, par conséquent, la demanderesse n'était pas tenue de retenir et remettre le montant de l'impôt sur les frais de garantie qu'elle a payés à cette banque étrangère durant les années considérées. Il y a donc lieu de rejeter la cotisation du Ministre. Le jugement sera par conséquent en ce sens. La demanderesse aura droit aux frais contre la défen- deresse après leur taxation.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs modifiés du jugement rendus par
LE JUGE SUPPLÉANT GRANT: Ces motifs de jugement modifient ceux que j'ai rendus le 12 février 1980; comme l'ont suggéré l'avocat de la demanderesse le 14 avril 1980 et l'avocat de la défenderesse le 2 mai 1980, j'ordonne que les motifs susmentionnés soient modifiés de façon à traiter de l'assujettissement de la «Vereinsbank» à l'impôt sur le revenu non seulement au cours des années 1975 et 1976 mais aussi au cours de l'année d'imposition 1977, et que jugement soit rendu en conséquence.
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