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A-366-78
L'Association canadienne des employés du trans port aérien (Requérante)
c.
Eastern Provincial Airways (1963) Limited et l'Association internationale des machinistes et des travailleurs de l'aéroastronautique (Intimées)
Cour d'appel, les juges Heald et Le Dain, le juge suppléant Kerr—Ottawa, 23 novembre 1979 et 14 janvier 1980.
Examen judiciaire Relations du travail Conflit entre deux syndicats rivaux sur la question de savoir lequel des deux a compétence pour ce qui est du fret aérien de la compagnie Renvoi au Conseil canadien des relations du travail Il échet d'examiner si le litige a été soumis au Conseil dans une action relevant de sa compétence Il échet d'examiner si la détermination de l'unité de négociation se rapporte à l'existence d'une convention collective ou à l'identi- fication des parties ou des employés liés par la convention collective Arrêt (le juge Le Dain dissident): le Conseil est compétent en l'espèce Code canadien du travail, S.R.C. 1970, c. L-1, art. 158 Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2° Supp.), c. 10, art. 28.
DEMANDE d'examen judiciaire. AVOCATS:
Carl R. Thompson pour la requérante.
Thomas C. Turner pour l'intimée Eastern Provincial Airways (1963) Limited.
Raymond J. Halley pour l'intimée Associa tion internationale des machinistes et des tra- vailleurs de l'aéroastronautique.
Gerald J. McConnell et John MacPherson pour le Conseil canadien des relations du travail.
PROCUREURS:
Martin, Easton, Woolridge & Poole, Corner Brook, pour la requérante.
Easton, Facey & Turner, Gander, pour l'inti- mée Eastern Provincial Airways (1963) Limited.
Wells, O'Dea, Halley, Earle, Shortall & Burke, Saint-Jean, pour l'intimée Association internationale des machinistes et des travail- leurs de l'aéroastronautique.
Kitz, Matheson, Green & MacIsaac, Halifax, pour le Conseil canadien des relations du travail.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE HEALD: Il s'agit ici d'une demande d'examen et d'annulation présentée au titre de l'article 28 par l'Association canadienne des employés du transport aérien (ACETA) relative- ment à une décision que le Conseil canadien des relations du travail a rendue le 16 juin 1978 sur renvoi aux termes de l'article 158 du Code cana- dien du travail, S.R.C. 1970, c. L-1 ', d'une ques tion portée devant un conseil d'arbitrage présidé par R. Hattenhauer. La difficulté à laquelle ledit conseil d'arbitrage a fait face et qui a motivé ce renvoi devant le Conseil est la suivante: l'em- ployeur, l'Eastern Provincial Airways (1963) Limited (E.P.A.), a signé des conventions collecti ves dans lesquelles elle a reconnu l'Association internationale des machinistes et des travailleurs de l'aéroastronautique (AIMTA) et l'ACETA comme agents négociateurs exclusifs d'employés qui accomplissent certaines fonctions. Les faits pertinents sont résumés dans la lettre de renvoi que le conseil d'arbitrage Hattenhauer a adressée au Conseil canadien des relations du travail. En voici les termes:
[TRADUCTION]
Président
Conseil canadien des relations du travail
Édifice Lester B. Pearson
étage, Tour (D»
125, promenade Sussex
Ottawa (Ontario)
K1A 0X8
Objet: Renvoi en vertu de l'art. 158(1) de la Partie V du Code canadien du travail
Cher Monsieur,
Suite à l'audition d'un grief entre la section locale 1763 de l'Association internationale des machinistes et des travailleurs de l'aéroastronautique et l'Eastern Provincial Airways (1963)
' L'article 158 du Code canadien du travail est rédigé dans les termes suivants:
158. (1) Lorsqu'une question se pose relativement à une affaire qui a été portée devant un arbitre ou un conseil d'arbi- trage, et que cette question se rapporte à l'existence d'une convention collective ou à l'identification des parties ou des employés liés par une convention collective, l'arbitre, le conseil d'arbitrage, le Ministre ou toute partie présumée peut porter la question devant le Conseil pour instruction et décision.
(2) Le renvoi d'une question devant le Conseil en application du paragraphe (1) n'a pas pour effet de suspendre une procé- dure engagée devant un arbitre ou un conseil d'arbitrage à moins que l'arbitre ou le conseil d'arbitrage ne décide que la nature de la question justifie la suspension de la procédure ou que le Conseil n'en ordonne la suspension.
Limited, le conseil d'arbitrage nommé pour régler le différend a jugé, conformément à l'art. 158 de la Partie V du Code, qu'une question se rapportant à l'existence d'une convention collective doit être portée devant le Conseil pour décision. Pour votre information, vous trouverez ci-joint une copie de la sentence arbitrale et des copies des éléments de preuve requis par le conseil (et soumis ultérieurement par la compagnie).
Voici les principaux faits:
(1) Le 31 octobre 1963, le Conseil a émis une ordonnance (modifiée le 4 mai 1971) accréditant l'Association internatio- nale des machinistes comme agent négociateur pour une unité d'employés de l'Eastern Provincial Airways (1963) Limited, comprenant notamment les commis de fret aérien.
(2) Le 3 mars 1964, le Conseil a émis une ordonnance accréditant la Maritime Airline Pilots' Association comme agent négociateur pour une unité d'employés de l'Eastern Pro vincial Airways (1963) Limited, de laquelle unité était exclu, entre autres groupes, celui des commis de fret aérien. Par suite d'une ordonnance d'accréditation datée du 13 mai 1975, l'Asso- ciation canadienne des employés du transport aérien a remplacé la Maritime Airline Pilots' Association comme agent négocia- teur pour la même unité d'employés.
(3) La compagnie a négocié des conventions collectives sépa- rées avec les deux agents négociateurs et, à partir du 1°' avril 1967, date d'entrée en vigueur des conventions, des tâches traditionnellement réservées aux commis de fret aérien mais qui étaient (au sus de l'A.I.M. et avec son accord) accomplies dans certaines circonstances par les agents du trafic, ont été formel- lement incluses dans l'énoncé de fonctions de ces derniers qui font par ailleurs partie de l'unité de négociation MALPA. Sont jointes à titre d'annexes à la sentence arbitrale les descriptions de poste respectives qui figurent dans les conventions actuelle- ment en vigueur.
(4) De l'avis de ce conseil, la question de la compétence respective des deux agents négociateurs avait été réglée par le Conseil canadien des relations du travail lorsqu'il a défini les deux unités de négociation, définition que la compagnie a d'abord acceptée; toutefois, en 1967, dans la convention MALPA, elle a étendu unilatéralement le champ de cette unité de négociation en vue d'y inclure une fonction que le Conseil avait exclue et assignée spécifiquement à l'unité représentée par l'A.I.M.
(5) L'art. 118p) donne au Conseil canadien des relations du travail le pouvoir:
de trancher à toutes fins afférentes à la présente Partie toute question qui peut se poser, à l'occasion de la procédure, notamment, et sans restreindre la portée générale de ce qui précède, la question de savoir
(v) si un groupe d'employés est une unité habile à négocier collectivement.
(6) L'employeur a-t-il en fait assumé une fonction qui était réservée au Conseil canadien des relations du travail, (1) en acceptant dans une convention collective d'élargir unilatérale- ment l'unité de négociation attribuée par le Conseil à l'agent négociateur MALPA et (2) en diminuant ainsi unilatéralement l'unité de négociation pour laquelle le Conseil avait accrédité l'A.I.M. comme agent négociateur? Telle est la question qui se pose maintenant. En d'autres termes, ce conseil renvoie mainte- nant au Conseil canadien des relations du travail, pour décision,
dans un premier temps, la question de savoir si la compagnie a outrepassé ses pouvoirs en exerçant des pouvoirs réservés au Conseil et en concédant à la MALPA un droit qu'elle n'avait pas le pouvoir d'assigner puisqu'il l'avait déjà été à l'agent négociateur A.I.M.
(7) Si l'on répond par l'affirmative à l'une ou aux deux questions qui précèdent, il faudra alors déterminer si les con ventions collectives signées avec la MALPA (et plus tard avec l'ACETA) ou du moins les articles de ces conventions qui élargissent le champ de ladite unité, sont toujours valables et obligatoires. Par conséquent, ce conseil renvoie, dans un deuxième temps, au Conseil canadien des relations du travail le soin de trancher la question de la validité de la convention ACETA dans son intégralité, en présumant que l'article 4.02 soit nul et inséparable du reste de celle-ci, ou (subsidiairement) s'il est séparable, de trancher la question de la validité de cet article (et en particulier de la partie qui inclut dans la conven tion ACETA des tâches déjà couvertes par la convention A.I.M.).
Si votre Conseil requiert des renseignements ou des explica tions complémentaires, soyez assuré que nous serons heureux de vous les fournir, dans la mesure cela nous sera possible. (Dossier conjoint vol. 1. pp. 7 à 9.)
Le Conseil a assumé compétence en vertu de l'arti- cle 158(1) du Code canadien du travail et a rendu à l'égard du problème susmentionné une décision assortie de motifs détaillés. En l'espèce, la requé- rante prétend que le Conseil était incompétent pour statuer sur ce renvoi présenté au titre de l'article 158(1), premièrement, parce qu'il n'y était soulevé aucune question se rapportant à l'existence d'une convention collective et, deuxièmement, parce que l'identification des parties liées par la convention AIMTA ne posait aucun problème. En outre, la requérante prétend qu'au titre de l'article 158, le conseil d'arbitrage Hattenhauer n'avait pas la compétence de saisir le Conseil d'un renvoi concernant la convention ACETA puisque le con- seil Hattenhauer n'avait à traiter que de la conven tion AIMTA.
Selon moi, ces arguments sont sans fondement.
En ce qui concerne le premier, j'estime que lorsque l'article 158(1) donne au Conseil le pou- voir de statuer sur «... l'existence d'une conven tion collective», il lui donne obligatoirement com- pétence pour statuer sur la validité de cette convention. Or, pour ce faire, il lui faut absolu- ment examiner toutes les circonstances qui entou- rent les conventions AIMTA et ACETA, parce que toutes deux ont pour effet de conférer les mêmes droits aux deux agents négociateurs.
Je ne suis pas non plus d'accord avec le deuxième argument de la requérante. Les termes employés dans l'article 158(1) sont «... l'identifi- cation des parties ou des employés liés par une convention collective ...b. [C'est moi qui souligne.]
Dans sa décision, le Conseil a défini les paramè- tres de chaque convention collective et a ainsi identifié les employés de l'E.P.A. qui sont en fait «liés» par chacune d'elles. A mon avis, l'article 158(1) donne nettement au Conseil le pouvoir de ce faire.
De même, je ne suis pas disposé à accepter le troisième argument de la requérante car, pour y souscrire, il faut nécessairement lire la référence à «une convention collective» comme si, en réalité, il y était écrit «la convention collective.» L'emploi des termes «une convention collective» donne claire- ment au Conseil le pouvoir d'examiner toutes les conventions collectives pertinentes lorsqu'il statue sur l'identification des parties liées par une con vention collective. En examinant les deux conven tions, le Conseil a donc agi, en l'espèce, dans les limites de sa compétence.
Pour ces motifs, je conclus que le Conseil cana- dien des relations du travail était compétent en vertu de l'article 158 du Code pour connaître de cette affaire. Par conséquent, je suis d'avis de rejeter la demande présentée au titre de l'article 28.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE LE DAIN (dissident): J'ai pris connais- sance avec grand intérêt des motifs de mon collè- gue le juge Heald et c'est avec respect que j'avoue ne pas partager son avis. En effet, selon moi, le Conseil canadien des relations du travail (CCRT) n'était pas, en l'espèce, compétent au titre de l'article 158 du Code canadien du travail pour prendre la décision qu'il a prise.
Selon cet article, lorsqu'une question se pose relativement à une affaire portée devant un arbitre ou un conseil d'arbitrage et que cette question se rapporte à l'existence d'une convention collective
ou à l'identification des parties ou des employés liés par une convention collective, le CCRT est compétent pour l'entendre et la régler. Pour ce faire, il faut que la question soit exactement du genre spécifié dans l'article 158 et n'ait pas été formulée en vue d'étayer cette compétence.
En l'espèce, le point litigieux qui a donné lieu au renvoi est un conflit de distribution du travail engendré par les dispositions réciproquement incompatibles des conventions collectives que la compagnie («Eastern Provincial») a signées avec l'Association internationale des machinistes et des travailleurs de l'aéroastronautique («AIMTA») et l'Association canadienne des employés du trans port aérien («ACETA»). Il peut se résumer ainsi: qui des employés de l'unité AIMTA ou de l'unité ACETA doit être chargé de remplir et d'envoyer les feuilles de route afférentes aux opérations de manutention du fret de l'Eastern Provincial?
Afin de replacer ce point litigieux dans son cadre, j'estime nécessaire d'en faire la genèse de façon détaillée. L'AIMTA a été accréditée pour représenter une unité de négociation comprenant, entre autres, les «commis de fret aérien» et les «contrôleurs du chargement» dont les tâches, selon la définition qu'en donne la convention collective signée avec l'Eastern Provincial, comprennent le traitement des feuilles de route pour le fret. La Maritime Airline Pilots' Association («MALPA») a été accréditée pour représenter une unité de négociation qui comprenait, entre autres, la classi fication d'«agents», mais qui excluait expressément les «commis de fret aérien> et les «contrôleurs du chargement». Par la suite, l'ACETA a succédé à la MALPA comme agent négociateur d'une unité d'employés comprenant, entre autres, les «agents du trafic». Au bout d'un certain temps, dans la convention MALPA/ACETA, l'énoncé de fonc- tions des «agents du trafic» a été élargi de manière à inclure le traitement des feuilles de route et l'AIMTA a accepté que la compagnie confie ces tâches à des employés ne faisant pas partie de son unité lorsque le volume des marchandises n'est pas suffisant pour justifier l'emploi de préposés au fret à plein temps. Toutefois, la référence aux feuilles de route, qui figure dans l'énoncé de fonctions des «agents du trafic» couverts par la convention
ACETA, ne reflète pas cette restriction et le con- flit a surgi quand l'ACETA a revendiqué le droit d'accomplir les tâches relatives aux feuilles de route quel que soit le volume du trafic. Les deux conventions collectives comprennent des clauses de reconnaissance syndicale exclusive qui couvrent les catégories d'employés y énumérées et des disposi tions stipulant que les tâches attribuées à ces catégories seront assignées aux employés des unités respectives.
Le conflit a donné lieu à la formation de trois conseils d'arbitrage. On peut les nommer d'après le nom de leurs présidents respectifs: le conseil Wool- ridge, le conseil Thistle et le conseil Hattenhauer. Devant le conseil Woolridge, l'AIMTA a présenté un grief collectif, alléguant que des agents du trafic de l'unité ACETA effectuaient le travail de ses commis de fret aérien dans les bases de l'East- ern Provincial à Moncton et Halifax. Le conseil, après avoir souligné que l'ACETA avait déposé un grief analogue revendiquant compétence sur les opérations de fret à Moncton et que [TRADUC- TION] «le véritable litige en cause était un conflit de compétence entre le syndicat et 1'ACETA au sujet de tâches de fret de la compagnie», a sus- pendu les procédures en attendant les résultats du renvoi dont l'Eastern Provincial avait saisi le CCRT en vertu de l'article 158. Le renvoi ne faisait donc pas suite à la décision prononcée par le conseil Woolridge. Le conseil Thistle a lui aussi été saisi d'un grief collectif mais déposé cette fois par l'ACETA qui alléguait que la compagnie avait contrevenu à la convention collective en permet- tant à des employés de l'unité AIMTA d'accomplir certaines tâches relatives au chargement du fret à Moncton. Le conseil Thistle a refusé d'adopter la même ligne de conduite que le conseil Woolridge et de suspendre les procédures en attendant les résultats du renvoi effectué au titre de l'article 158. En effet, il a tenu compte, entre autres, d'une opinion exprimée de façon non officielle par le vice-président du CCRT, selon laquelle l'article 158 ne semblait pas s'appliquer au règlement d'un conflit de ce genre. Le conseil Thistle a jugé que l'Eastern Provincial avait enfreint les dispositions de la convention ACETA et lui a ordonné «de cesser et de renoncer à embaucher des personnes assujetties à la convention conclue avec AIMTA pour accomplir du travail attribué à des employés aux termes de la présente convention.» La compa-
gnie s'étant soumise à cette décision, l'AIMTA a déposé un grief dans lequel elle reproche à la compagnie de violer les termes de la convention collective la liant à celle-ci en faisant accomplir par des employés de l'unité ACETA des tâches assignées aux commis de fret aérien membres de l'AIMTA. C'est le conseil Hattenhauer qui a été saisi de ce grief. Il a jugé que la compagnie avait enfreint les dispositions de la convention AIMTA et lui a ordonné: [TRADUCTION] «de cesser de faire accomplir par des employés qui ne sont pas mem- bres de l'AIMTA des tâches visées par cette con vention collective, plus spécialement, les tâches assignées aux commis de fret aérien à Moncton.» Le conseil a ensuite retardé l'exécution de son ordonnance [TRADUCTION] «d'un mois à compter de la date à laquelle le Conseil canadien des relations du travail aura tranché la question portée devant lui ou aura déclaré que cette question ne pouvait faire l'objet d'un renvoi aux termes de l'art. 158 du Code.» Le conseil Hattenhauer a ensuite procédé au renvoi fondé sur l'article 158, que mon collègue le juge Heald expose en détail dans ses motifs.
En décidant, à la demande de la compagnie, que les procédures soient suspendues et que l'affaire soit portée devant le CCRT en vertu de l'article 158, le conseil Hattenhauer a déclaré que:
[TRADUCTION] Enfin, comme le fait valoir la compagnie, le point litigieux dans ce conflit ne porte ni sur l'existence d'une convention collective ni sur l'identification des parties à cette convention. Or, aux termes de l'art. 158(1), seules ces questions peuvent faire l'objet d'un renvoi devant le Conseil canadien des relations du travail. Donc, à première vue, il n'y a, en l'espèce, aucune question qui pourrait être soumise à l'examen du Con- seil, d'autant plus qu'une opinion en ce sens a déjà été exprimée par le vice-président du Conseil. Bien sûr, cette opinion, trans- mise sous forme de lettre, peut être acceptée ou rejetée après audition par le présent conseil, mais il ne peut certes pas ignorer une opinion aussi autorisée car ce serait agir sans discernement. Si l'on entend soumettre, par renvoi, la question au Conseil canadien des relations du travail, il faudrait que les deux causes, et non pas une seule, aient été entendues avant qu'il soit saisi de la question.
Dans son renvoi au CCRT, le conseil Hatten- hauer a présenté la question comme se rapportant à l'existence de la convention ACETA, ou à une partie de cette convention, dans la mesure elle entraîne la remise en question de la validité de son article 4.02 qui assigne aux «agents du trafic» les tâches relatives aux feuilles de route pour le fret.
Dans sa décision, le CCRT s'est dit d'avis que la question à lui soumise avait nullement trait à l'existence d'une convention collective. C'est en ces termes qu'il a exprimé [30 di 82], la page 87, ses vues sur l'absence de lien entre la question en litige et les conditions posées par l'article 158:
De toute évidence, la présente affaire n'a pas trait à un problème touchant l'existence d'une convention collective. Elle porte sur la question de savoir si le problème en cause peut être interprété comme touchant «l'identification des employés liés par une convention collective». Le genre d'étude nécessaire pour répondre à cette question est la suivante: il nous faut tout d'abord déterminer les fonctions véritables de certains employés, puis se demander si ces employés sont assujettis aux dispositions d'une convention collective. Le problème qui résulte de l'application de cette méthode à la présente affaire est que, prima facie, le Conseil n'ira pas plus loin que les deux décisions arbitrales contradictoires. Nous constaterons que cer- tains employés remplissent les fonctions relatives aux feuilles de route et nous concluerons ensuite que ces employés sont liés par la convention collective de l'A.I.M.T.A. et par la convention collective de l'A.C.E.T.A. Voilà la conséquence prima facie et elle n'ajoute rien au règlement du problème que pose la pré- sente affaire. Pour le résoudre, le présent Conseil devrait faire ure démarche de plus et déclarer quelle convention collective doit s'appliquer dans certaines circonstances. Le Conseil d'arbi- trage présidé par M. Hattenhauer a réalisé cela et dans le renvoi qu'il a effectué au Conseil canadien des relations du travail il lui demande de déterminer si la convention collective relative à l'A.C.E.T.A. est une convention valide.
Le CCRT a tranché la question dont il avait été saisi en définissant les pouvoirs de négociation de l'AIMTA et l'ACETA relativement aux feuilles de route. Ce faisant (et je le dis avec le plus grand respect), il s'est efforcé avec ingéniosité d'adapter l'article 158 au règlement d'un conflit de compé- tence sur la distribution du travail. Toutefois, aussi souhaitable qu'il puisse être que le Conseil ait le pouvoir de résoudre ce genre de conflit, je pense que l'article 158 n'a pas été conçu à cette fin. Le Conseil en force trop les termes pour leur faire dire ce qu'il cherche à démontrer.
Le règlement du point litigieux porté devant le conseil Hattenhauer savoir si la compagnie avait ou non enfreint en matière de distribution du travail les dispositions de la convention collective la liant à l'AIMTA) n'a soulevé aucune question se rapportant à l'existence de cette convention collective ou à l'identification des employés qu'elle lie. De plus, le conseil Hattenhauer était en mesure de régler le grief, et il l'a fait, sans examiner ces points. La question qu'il a soumise au CCRT dans
son renvoi est issue des deux sentences arbitrales contradictoires découlant de dispositions contra- dictoires touchant la reconnaissance syndicale et la distribution du travail, contenues dans les deux conventions collectives. Comme le CCRT le dit dans le passage précité de sa décision, le problème qui se pose est le suivant: quelle est celle des deux conventions qui doit prévaloir? Il ne s'agit donc pas ici d'un point litigieux se rapportant à l'exis- tence d'une convention collective ou à l'identifica- tion des employés qu'elle lie puisque personne ne conteste que les employés qui accomplissent les tâches relatives aux feuilles de route dans les gares de l'Eastern Provincial sont liés par leurs conven tions collectives respectives. Il s'agit en fait d'un point litigieux que le CCRT a cherché à résoudre par une déclaration sur le pouvoir de négociation des deux syndicats à l'égard des tâches relatives aux feuilles de route et ce, en se basant sur la teneur de leurs certificats d'accréditation syndicale et sur l'abandon par l'AIMTA d'une partie de sa compétence relative aux tâches afférentes à la manutention du fret dans certains aérogares. Telle fut la vraie question posée au Conseil et celle à laquelle il a répondu. Il n'a pas été appelé à trancher une question se rapportant à l'existence d'une convention collective en particulier ou à l'identification des employés liés par une conven tion collective. Il ressort de sa décision que les conventions collectives et les sentences arbitrales fondées sur elles doivent être interprétées et appli- quées selon la définition que le Conseil donne du pouvoir de négociation. Cela ressort clairement dans le dernier paragraphe de la décision du Con- seil la page 93]:
Dans son renvoi, le Conseil d'arbitrage présidé par M. Hatten- hauer posait deux questions précises. Nous ne jugeons pas nécessaire d'y apporter des réponses précises. La déclaration susmentionnée au sujet de la portée du pouvoir de négociation de chaque syndicat fait disparaître le problème au centre de ce conflit. Les conventions collectives, et par conséquent les déci- sions arbitrales, doivent être interprétées sous réserve de la présente décision. Cela signifie que la décision Hattenhauer est valable dans la mesure elle s'applique à Halifax et que la décision Thistle relative à Moncton s'applique aussi.
Les répercussions possibles de la décision du Con- seil sur le degré d'assujettissement de certains employés, dans certaines situations, à l'une ou l'autre des conventions, ne sont pas claires. D'ail- leurs, le Conseil n'avait pas à les préciser.
Dans le cours des plaidoiries, on s'est référé au pouvoir que les dispositions de l'article 118p)(v),(vi),(vii) et (viii) du Code canadien du travail confèrent au Conseil. En voici le libellé:
118. Le Conseil a, relativement à toute procédure engagée devant lui, pouvoir
p) de trancher à toutes fins afférentes à la présente Partie toute question qui peut se poser, à l'occasion de la procédure, notamment, et sans restreindre la portée générale de ce qui précède, la question de savoir
(v) si un groupe d'employés est une unité habile à négocier collectivement,
(vi) si une convention collective a été conclue,
(vii) si quelque personne ou association est partie à une convention collective ou est liée par cette dernière, et
(viii) si une convention collective est en application.
On a soutenu qu'en vertu de ces dispositions et, en particulier, du sous-alinéa (v), le Conseil avait le pouvoir de prendre la décision qu'il a prise. Si l'on prend pour acquis que cette décision pourrait s'ins- crire dans le cadre de l'exercice, par le Conseil, du pouvoir qui lui permet de déterminer si un groupe d'employés est une unité habile à négocier collecti- vement, il faudrait alors décider si toute cette question a été soumise au Conseil au cours de procédures pour lesquelles il était compétent. Pour les raisons que je viens d'exposer, j'estime que le Conseil n'était pas compétent au titre de l'article 158. En outre, il ressort d'une comparaison entre les termes de l'article 158 et ceux de l'article 118p) que la reconnaissance d'un groupe d'employés comme unité habile à négocier collectivement ne peut être assimilée à la détermination de l'exis- tence d'une convention collective ou à l'identifica- tion des parties ou des employés qu'elle lie. Il ne faut pas confondre la nature de la question à trancher avec celle des effets que cette décision peut avoir.
Pour ces raisons, j'accueillerais la demande au titre de l'article 28 et j'annulerais la décision du Conseil.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE SUPPLÉANT KERR: Les motifs du juge Heald et ceux du juge Le Dain font ressortir la complexité de l'affaire soumise à l'examen du Con- seil canadien des relations du travail. Il me semble que ce dernier a exercé les fonctions que l'article 158 du Code canadien du travail lui attribue et qu'il était compétent pour ce faire. Par conséquent, je suis d'avis de rejeter la présente demande.
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