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T-2919-74
C. Ralph Lipper (Demandeur)
c.
La Reine (Défenderesse)
Division de première instance, le juge Walsh— Montréal, les 16 et 17 octobre 1978.
Pratique Interrogatoire préalable Requête fondée sur la Règle 465(19) et tendant à l'interrogatoire préalable d'une personne qui n'est ni partie à l'action ni un dirigeant ou employé de la compagnie en cause Le demandeur n'a pu répondre aux questions posées à l'interrogatoire préalable, et a invoqué le secret professionnel pour refuser de répondre à d'autres La défenderesse demande à interroger une per- sonne qui serait à même de répondre aux questions en sa qualité de promoteur de l'entreprise en cause La défende- resse soutient que l'interrogatoire préalable envisagé lui est nécessaire pour défendre sa cause Il échet d'examiner s'il y a lieu de rendre l'ordonnance d'interrogatoire préalable Règle 465(19) de la Cour fédérale.
La défenderesse se fonde sur la Règle 465(19) pour deman- der l'interrogatoire préalable de Murray Shostek à titre person nel et en sa qualité de dirigeant de la Intermedia Studios Inc., ci-devant Potterton Productions Inc., alors que ni Shostek ni la compagnie n'est partie à l'action. Au cours de l'interrogatoire préalable de cette action portant sur des pertes résultant de la participation à une société à responsabilité limitée de produc tion cinématographique, le demandeur Lipper déclara à plu- sieurs reprises qu'il ne pouvait répondre aux questions, celles-ci étant du ressort de Shostek qui est un dirigeant de Potterton Productions Inc. et le promoteur de l'entreprise. Lipper, qui est avocat, déclara qu'il représentait Intermedia et Shostek et qu'il pouvait refuser de répondre à certaines questions pour cause de secret professionnel. La défenderesse soutient que si elle ne peut interroger Shostek, elle ne pourra pas obtenir les renseigne- ments dont elle a besoin pour apprécier la preuve que la partie adverse lui opposera.
Arrêt: la requête est accueillie. La Règle 465(19) n'a pas pour objet d'ouvrir la porte à des interrogatoires préalables en série, dont l'interrogatoire de personnes qui ne sont ni en cause ni au service d'une partie, mais seulement des témoins impor- tants ayant en leur possession des renseignements dont la partie qui interroge désire connaître le détail. En revanche, elle n'est pas limitée au nouvel interrogatoire d'un témoin ayant déjà fait l'objet d'un interrogatoire préalable ni, apparemment, à un préposé ou mandataire d'une partie. Shostek est en possession d'informations des plus pertinentes que le demandeur Lipper ne peut pas, ou ne veut pas, fournir; son interrogatoire préalable pourrait être fort utile en ce qu'il fournirait des renseignements sur les faits nécessaires à la solution finale du litige. Quoiqu'il ne soit pas en cause, Shostek n'est nullement un tiers désinté- ressé et son interrogatoire ne se ferait pas à l'aveuglette. Voilà un cas qui justifie l'exercice du pouvoir discrétionnaire que la Cour tient de la Règle 465(19).
Arrêts mentionnés: Frost c. Le ministre du Revenu natio nal T-2536-72, Gray c. Le ministre du Revenu national T-2537-72, Butcher c. Le ministre du Revenu national
T-2422-72 [1974] 2 C.F. 689; Donald Applicators Ltd. c. Le ministre du Revenu national [1966] R.C.E. 481.
REQUÊTE. AVOCATS:
M. Menard pour le demandeur. C. MacNab pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Verchere & Gauthier, Montréal, pour le demandeur.
Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance prononcés à l'audience par
LE JUGE WALSH: La défenderesse demande un nouvel interrogatoire préalable de Murray Shos- tek, en tant que dirigeant de la Intermedia Studios Inc., auparavant Potterton Productions Inc., et en son nom propre, alors que ni ledit Shostek, ni la compagnie, ne sont parties à l'instance.
L'instance est un appel formé d'une cotisation d'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 1971, le demandeur ayant, de concert avec un grand nombre d'autres personnes, constitué une société à responsabilité limitée, société qui acheta deux films, Tiki Tiki et Fleur Bleue, de Potterton Productions Inc. Le demandeur affecte au poste de ses pertes, pour l'année d'imposition 1971, son apport dans la société, soit 1/88 de la perte totale que prétend avoir subie la société cette année-là; le Ministre a écarté cette perte, n'acceptant pas le mode de calcul du coût total en capital du film et refusant de reconnaître fondées certaines dépenses, dont l'allocation du coût en capital.
Sans entrer dans le détail des diverses transac tions effectuées, ce qui n'est pas nécessaire en l'instance présente, on peut dire que le demandeur prétend qu'on pouvait raisonnablement s'attendre à ce que ces films soient rentables. (La Cour d'appel est actuellement saisie d'une affaire assez semblable.) Il invoque l'alinéa 11(1)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, c. 148, le paragraphe 1100(1) des Règlements de l'impôt sur le revenu, C 1955 et la catégorie 18 de l'an- nexe B [DORS 66-120] de ces Règlements, et soutient que la rentabilité n'est pas un critère qui
entre en ligne de compte lorsqu'il s'agit d'établir si un débours particulier peut être déduit. La défen- deresse, elle, fait valoir que le demandeur, en devenant membre de la société, cherchait unique- ment à éviter de payer de l'impôt sur ses revenus professionnels et autres et qu'en fait la société ne faisait pas de cinéma, ni n'avait d'autre but com mercial, les transactions effectuées étant fictives.
Lors de son interrogatoire préalable, Lipper n'arrêta pas de répéter qu'il ne pouvait répondre à telle ou telle question, que c'était Murray Shostek, un dirigeant de Potterton Productions Inc. qui s'était occupé de la vente des films et qu'il, selon l'avocat de la défenderesse, était le promoteur de l'entreprise, celui qui pourrait expliquer en détails les raisons des délais intervenus dans la distribu tion du film Tiki Tiki, les possibilités qu'il génère un profit et si vraiment la Potterton (aujourd'hui devenue la Intermedia) avait eu l'intention de recouvrer le reste, en souffrance, du prix des ventes. Mais Lipper, qui est avocat, aurait depuis révélé qu'il représente et Intermedia et Shostek et qu'il s'ensuit qu'il peut refuser de répondre à cer- taines questions pour motif de secret professionnel. L'avocat de la défenderesse fait donc valoir que s'il ne peut interroger Shostek, il ne pourra obtenir les renseignements dont il a besoin pour apprécier la preuve qu'on lui opposera.
Voici le texte de la Règle 465(19) de la Cour fédérale relative à l'interrogatoire préalable:
Règle 465. .. .
(19) La Cour pourra, pour des raisons spéciales, mais excep- tionnellement, et dans sa discrétion, ordonner un autre examen préalable après qu'une partie ou cédant aura été examiné au préalable en vertu de la présente Règle.
Manifestement celle-ci n'a pas pour objet d'ou- vrir la porte à des interrogatoires préalables en série dont celui de personnes non parties au litige, ni au service d'une partie, mais simplement témoins importants ayant en leur possession des renseignements pertinents à l'espèce dont la partie qui veut interroger désire connaître le détail. D'au- tre part la Règle n'est pas limitée à l'autorisation de réinterroger un témoin ayant déjà subi un inter- rogatoire préalable ni, apparemment, à celle d'in- terroger un préposé ou mandataire d'une partie en cause. Le demandeur appelle l'attention sur la Règle 464 qui permet d'ordonner la production d'une pièce qui se trouve en la possession d'un
tiers, et sur la Règle 465(5), qui permet l'interro- gatoire préalable du cédant d'un brevet, d'un droit d'auteur ou d'une marque de commerce, par toute partie opposée au cessionnaire, et y voit des exem- ples les Règles autorisent l'assignation de tiers pour leur faire produire des pièces ou subir un interrogatoire préalable; il soutient qu'en l'absence de semblable disposition expresse dans la Règle 465(19) elle ne saurait justifier une ordonnance d'interrogatoire préalable d'un tiers. On a cité l'affaire ontarienne Guaranty Trust Co. c. Flem- ing and Talbot [1947] 1 D.L.R. 184, la page 187 il fut jugé qu'étant donné que la Règle 327 prévoyait l'interrogatoire d'un dirigeant, ou d'un préposé, d'une compagnie partie à l'instance et qu'aucune disposition semblable ne se retrouvait dans la Règle 334, qui autorise l'interrogatoire de celui profitant de l'action intentée ou de celle dont on se défend, ni dans la Règle 335, selon laquelle le cédant peut être interrogé dans une action enga gée par le cessionnaire, on devait présumer qu'on avait voulu n'allouer aucun droit semblable. On a aussi cité l'affaire albertaine Abel c. Stone (1968) 63 W.W.R. 420, la page 428 où, parlant de la règle 249 de cette province, autorisant d'ordonner à un tiers de venir produire une pièce pertinente au litige, on jugea que puisque le droit était restreint à la production de pièces, il était juste de déduire qu'on n'avait pas l'intention qu'un tiers, non partie à l'instance, soit mis en cause pour les seules fins de l'interrogatoire préalable. Ni l'une ni l'autre province ne semble posséder une règle libellée en des termes aussi larges que notre Règle 465(19) toutefois.
Il y a une certaine jurisprudence de la Cour cette Règle est appliquée à des tiers. Dans un jugement du juge Gibson, du 30 octobre 1974, en les affaires Frost c. M.R.N. T-2536-72, Gray c. M.R.N. T-2537-72 et Butcher c. M.R.N. T-2422-72 [1974] 2 C.F. 689, on demandait de mettre en cause un tiers apparemment concerné par le partage des gains entre les divers appelants. Ce qui fut refusé. Mais fut accordée une ordon- nance l'obligeant à comparaître pour subir un interrogatoire préalable, en tant que tiers, par les avocats tant de l'intimé que de l'appelant. Dans l'affaire Donald Applicators Ltd. c. M.R.N. [1966] R.C.É 481, un jugement du juge Noël, on autorisa un deuxième interrogatoire des adminis- trateurs de dix compagnies appelantes, qui
auraient été associées, lorsque le gérant interrogé au préalable se révéla incapable de fournir les informations recherchées. Cette affaire ne fait cependant jurisprudence que lorsqu'il s'agit d'auto- riser l'interrogatoire d'un second témoin des par ties, non dans le cas de l'interrogatoire d'un tiers. La défenderesse invoque aussi l'arrêt de la Cour suprême In the matter of the Hess Manufacturing Company, Edgar (liquidateur) c. Sloan (souscrip-
teur) (1895) 23 R.C.S. 644, la page 658, où, quoique l'arrêt ne soit pas applicable en soi, on a statué, à la page 658, que le vendeur d'un bien à une compagnie, alors qu'existait entre eux un rap port d'ordre fiduciaire, avait l'obligation de s'assu- rer que sa gestion était confiée à un conseil d'ad- ministration entièrement indépendant, sur lequel il ne pourrait exercer aucune influence, et qui en sauvegarderait les intérêts lors de la conclusion de l'affaire. La défenderesse laisse entendre que Shos- tek, loin de traiter avec le demandeur et ses asso- ciés selon ce que lui dictaient ses intérêts, était le promoteur, le premier moteur, de toute l'opération et qu'en conséquence, à cause de sa connaissance de l'affaire dans tous ses détails, et de sa fin, il est associé de fort près au demandeur quoiqu'il ne soit pas partie à l'instance ni directement mis en cause.
Dans l'affaire Bowlen c. La Reine [1977] 1 C.F. 589, à la page 594, le juge Smith, juge suppléant de notre juridiction, commentant la Règle onta- rienne 349 portant sur la production de documents par des gens non parties à l'instance, dit: «Cepen- dant, un accord général est intervenu sur le plan juridique selon lequel la règle n'a pas pour but de permettre d'obtenir communication de documents d'un tiers à l'action ni de s'engager dans une recherche à l'aveuglette».
Quoique je sois tout à fait de cet avis, il semble- rait cependant que Shostek soit en possession d'in- formations des plus pertinentes que le demandeur Lipper ne peut pas, ou ne veut pas, fournir et que son interrogatoire préalable pourrait être fort utile en fournissant ainsi des renseignements sur les faits nécessaires à la résolution finale du litige. Quoiqu'il ne soit pas en cause, on peut difficile- ment le qualifier de tiers désintéressé et son inter- rogatoire ne se ferait nullement à l'aveuglette. Il va sans dire qu'au cours de l'interrogatoire on pourra s'objecter à toute question sollicitant son opinion sur l'état d'esprit du demandeur et de ses associés,
sur leur motivation, ou encore une opinion, qui alors ne serait pas celle d'un expert, sur les chances de succès des films en question; pourront être demandées cependant des questions de bon aloi, pour obtenir plus d'information sur les faits dont il a connaissance, et qu'ignore M. Lipper, et aux- quelles il ne lui est pas interdit de répondre pour raisons de secret professionnel. C'est me semble- t-il un cas approprié à l'exercice du pouvoir discré- tionnaire que me donne la Règle 465(19).
ORDONNANCE
Murray Shostek pourra être interrogé au préala- ble à titre de dirigeant de la Intermedia Studios Inc., autrefois la Potterton Productions Inc., en sa capacité personnelle, aux temps et lieu et devant celui dont conviendront les parties ou, à défaut d'accord, que choisira la Cour, ses frais de dépla- cement lui étant offerts si nécessaire. Les dépens à suivre.
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