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T-2204-72
Léo A. Landreville (Demandeur)
c.
La Reine (Défenderesse)
Division de première instance, le juge Collier— Ottawa, 29, 30, 31 octobre et 1 er novembre 1979 et 29 avril 1980.
Compétence Le demandeur, ancien juge d'une Cour supé- rieure qui résigna ses fonctions pour cause d'infirmité perma- nente, demande un jugement déclaratoire portant qu'il a droit à une pension ou à une rente en vertu de l'art. 23 de la Loi sur les juges Il échet d'examiner si le gouverneur en conseil est légalement tenu de donner suite à la demande de pension du demandeur Loi sur les juges, S.R.C. 1952, c. 159, art. 23, modifié par S.C. 1960, c. 46, art. 3 Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867, 30 & 31 Vict., c. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, 51, art. 11, 13, 99(1), 100 Loi d'interprétation, S.R.C. 1952, c. 158, art. 35(7),(8) Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2 e Supp.), c. 10, art. 41.
Le demandeur, juge de la Cour suprême d'Ontario depuis le 10 octobre 1956, résigna ses fonctions pour cause d'infirmité permanente, motif prévu à l'alinéa 23(1)c) de la Loi sur les juges, sa démission entrant en vigueur le 30 juin 1967. Dans la présente action, le demandeur cherche à obtenir un jugement déclaratoire portant qu'il a droit à une pension ou rente en vertu des dispositions de l'article 23 de la Loi sur les juges en vigueur à l'époque de sa démission; il demande subsidiairement que la Cour enjoigne au gouverneur en conseil d'examiner sa demande de pension présentée en juin 1967 et de statuer sur celle-ci. Le demandeur prétend que lorsqu'il agit en vertu de l'alinéa 23(1)c), le gouverneur en conseil exerce une fonction judiciaire; qu'en l'espèce, le gouverneur en conseil n'a jamais statué sur la demande de pension du demandeur et que rien n'indique que sa demande ait jamais été soumise au gouverneur en conseil ou que des mesures aient été prises pour le faire. Il échet de déterminer si le gouverneur en conseil était légalement tenu de prendre les mesures nécessaires pour accorder ou refuser une pension au demandeur.
Arrêt: le demandeur a droit à un jugement déclaratoire portant que le gouverneur en conseil doit étudier et décider si le demandeur était atteint d'une infirmité permanente à la date d'entrée en vigueur de sa démission. Le gouverneur en conseil avait l'obligation de donner suite à la demande du demandeur. Les membres du Conseil privé devaient donner leur avis d'après les éléments de preuve soumis. Si la décision ou l'avis avait été «non», le gouverneur en conseil aurait agir en conséquence, probablement au moyen d'un décret du conseil, et refuser la demande. Si la décision avait été «oui», alors une pension aurait être octroyée. Le principe voulant que les dispositions por- tant autorisation sont toujours obligatoires lorsqu'elles ont pour objet de reconnaître un droit peut être appliqué au gouverneur en conseil lorsqu'il agit en application de l'article 23. Dans cet article, le terme «peut» veut dire «doit». Autrement, la théorie reconnue de l'indépendance du pouvoir judiciaire ne serait pas respectée. Si l'interprétation correcte de l'article 23 est que le gouverneur en conseil a un pouvoir discrétionnaire, comme le
soumet le demandeur à titre subsidiaire, la conclusion serait la même, compte tenu des faits de l'espèce. Le Parlement a attribuer ce pouvoir discrétionnaire avec l'intention qu'il soit exercé pour promouvoir la politique et les objets de la Loi; ils doivent être déterminés en interprétant la Loi dans son ensem ble et l'interprétation est toujours une question de droit pour la cour. La thèse du demandeur selon laquelle il devrait être ordonné au gouverneur en conseil de lui octroyer une pension ne peut être retenue. Souscrire à cette conclusion équivaudrait à dire au gouverneur en conseil de quelle façon trancher la question.
Arrêt examiné: Toronto Corp. c. York Corp. [1938] A.C. 415. Arrêts appliqués: Labour Relations Board of Sas- katchewan c. La Reine [ 1956] R.C.S. 82; Drysdale c. The Dominion Coal Co. (1904) 34 R.C.S. 328; Canadian Pacific Railway c. La province de l'Alberta [1950] R.C.S. 25; Padfield c. Minister of Agriculture, Fisheries and Food [1968] A.C. 997; Re Multi-Mails Inc. c. Minister of Transportation and Communications (1977) 14 O.R. (2') 49; Re Doctors Hospital c. Minister of Health (1976) 12 O.R. (2') 164. Arrêt mentionné: Julius c. Lord Bishop of Oxford (1879-80) 5 App. Cas. 214.
ACTION visant à obtenir un jugement déclara- toire.
AVOCATS:
Gordon F. Henderson, c.r. et Y. A. George Hynna pour le demandeur.
J. A. Scollin, c.r. et L. S. Holland pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Gowling & Henderson, Ottawa, pour le demandeur.
Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE COLLIER: La présente action est, à certains égards, reliée à une action antérieure intentée par le demandeur contre la défenderesse. C'est moi qui entendis et jugeai cette affaire. Cette décision, publiée à [1977] 2 C.F. 726, n'a fait l'objet d'aucun appel.
Le demandeur fut nommé juge de la Cour suprême d'Ontario en 1956, sa nomination entrant en vigueur le 10 octobre 1956. Il résigna ses fonctions en 1967, sa démission entrant en vigueur le 30 juin. Il aura été juge pendant près de 11 ans. L'avocat de la défenderesse souligne que le deman-
deur n'a fait l'objet d'aucune critique pour ce qui concerne sa compétence, sa conduite ou son appli cation dans l'exercice de ses fonctions judiciaires.
Dans la présente action, le demandeur cherche à obtenir un jugement déclaratoire portant qu'il a droit à une pension ou rente en vertu des disposi tions de la Loi sur les juges en vigueur à l'époque de sa démission. Il demande subsidiairement d'au- tres jugements déclaratoires. Je reviendrai plus loin à ses conclusions.
A l'époque importante, l'article 23 de la Loi sur les juges' était ainsi rédigée:
23. (1) Le gouverneur en conseil peut accorder
a) à un juge qui a exercé une fonction judiciaire durant au moins quinze ans et a atteint l'âge de soixante-dix ans, s'il résigne sa fonction,
b) à un juge qui a exercé une fonction judiciaire durant au moins quinze ans, s'il résigne sa fonction et si, de l'avis du gouverneur en conseil, la démission contribue à la meilleure administration de la justice ou est dans l'intérêt national,
c) à un juge atteint de quelque infirmité permanente l'empê- chant d'accomplir utilement les devoirs de sa charge, s'il résigne sa fonction ou que, par suite de cette infirmité, il soit révoqué, ou
d) à un juge qui cesse d'occuper son poste du fait qu'il a atteint l'âge de soixante-quinze ans, s'il a exercé une fonction judiciaire durant au moins dix ans ou s'il détenait une fonction judiciaire le jour de l'entrée en vigueur du présent article,
une pension n'excédant pas les deux tiers du traitement attaché à la fonction qu'il remplissait au moment de sa démission ou de sa révocation, ou au moment il a cessé d'occuper son poste, suivant le cas.
(2) Une pension accordée à un juge, selon le présent article, commence le jour de sa démission ou de sa révocation ou le jour il cesse d'occuper son poste, et elle continue durant sa vie.
(3) Dans le présent article, l'expression «fonction judiciaire» désigne le poste de juge d'une cour supérieure ou cour de comté, et comprend la charge de juge de la Cour suprême de Terre-Neuve antérieurement au premier jour d'avril 1949, et de juge de district, en amirauté, de la Cour de l'Échiquier du Canada.
Le demandeur déclare avoir résigné ses fonc- tions parce qu'il était atteint d'une infirmité per- manente l'empêchant d'accomplir utilement les devoirs de sa charge (alinéa 23(1)c)). Il prétend donc que le gouverneur en conseil aurait lui
' S.R.C. 1952, c. 159 modifié par S.C. 1960, c. 46, art. 3. Le paragraphe 23(1) est essentiellement le même aujourd'hui. Voir S.R.C. 1970, c. J-1. Depuis 1970 certaines modifications ont été apportées à l'âge de la retraite et à l'âge minimum de la mise à la retraite d'office.
accorder une pension ou, subsidiairement, qu'il devrait lui être enjoint de donner suite à sa demande de pension.
Dans l'action antérieure intentée par le deman- deur, il n'y eut aucune déposition orale si ce n'est de brefs extraits de l'interrogatoire préalable. Mais un exposé conjoint des faits mentionnait un certain nombre de documents qui ont tous été déposés en preuve. Les faits exposés dans ma décision anté- rieure sont tirés de ces documents. A l'audition de la présente action, cet exposé conjoint des faits, ainsi que les documents auxquels je viens de faire allusion, ont été déposés en preuve, du consente- ment des parties, aux fins de la présente action (pièce 47).
A ce stade-ci, je tiens à déclarer que les conclu sions de fait auxquelles je suis arrivé dans la décision antérieure deviennent des conclusions de fait aux fins de la présente affaire. J'annexe donc aux présents motifs, à titre d'annexe A, les parties de la décision antérieure qui énoncent des conclu sions de fait.
Dans la présente action, le demandeur lui-même a témoigné. Il n'a cité qu'un seul témoin, Pierre Henri Bourque. Dans mon exposé des faits, je ne répéterai donc pas inutilement tous les faits énon- cés à l'annexe A, mais, pour plus de clarté, il sera nécessaire d'en reprendre quelques-uns. Je devrai également mentionner d'autres faits et des faits nouveaux dont on a fait la preuve devant moi au procès de la présente action.
Le demandeur a maintenant près de 70 ans. Il exerce sa profession à titre d'avocat salarié pour une étude d'Ottawa. Le salaire et la commission qu'il reçoit sont modestes.
Il est à Ottawa. En 1933, il obtint un B.A. de l'Université d'Ottawa. Il termina ses études de droit à l'Université Dalhousie en 1937 et se maria en 1939. Il commença sa carrière d'avocat en 1937, Sudbury, en Ontario et y exerça sa profes sion jusqu'à ce qu'il soit nommé juge. Tout en s'occupant de sa nombreuse clientèle, il exerça plusieurs fonctions publiques à Sudbury. Il fut élu maire en 1955.
Pendant son mandat, le conseil municipal approuva l'octroi d'une concession à Northern Ontario Natural Gas Limited («NONG») visant la
distribution du gaz naturel à Sudbury par latéraux et canalisations, les principaux appartenant à TransCanada PipeLine Company. Le demandeur se lia d'amitié avec Ralph K. Farris qui était président de NONG pendant toute la période per- tinente. Dix mille actions de NONG furent offer- tes au demandeur ainsi qu'aux maires de trois autres municipalités, au prix de $2.50 pièce. La lettre envoyée au demandeur pour lui faire cette offre est datée du 20 juillet 1956. Le 30 juillet 1956, le demandeur indiqua qu'il avait l'intention d'exercer cette option plus tard.
Tel que mentionné ci-dessus, le demandeur fut nommé juge le 10 octobre 1956. En février 1957, 7,500 actions lui furent attribuées ou envoyées. A cette époque, elles valaient environ $10; 2,500 de ces 10,000 actions avaient été vendues à ce prix pour payer le tout.
On trouvera les détails relatifs à l'acquisition des actions de NONG à l'annexe A, aux pages 72 75 [pages 748 à 752 des motifs du jugement antérieur].
En 1958, l'Ontario Securities Commission ordonna une enquête sur le commerce des actions de NONG au cours d'une certaine période. Farris témoigna devant la Securities Commission. En 1962, par suite de certains renseignements fournis par le procureur général de la Colombie-Britanni- que, une autre enquête ou peut-être une enquête complémentaire fut ordonnée. C'est alors qu'on enquêta sur l'acquisition des 10,000 actions par le demandeur. Ce dernier témoigna devant la Securi ties Commission sur la manière dont il avait acquis les 10,000 actions.
En 1963, Farris fit l'objet d'une accusation de parjure en raison de la déposition qu'il avait faite à la Securities Commission relativement aux actions acquises par le demandeur et par les autres. L'en- quête préliminaire sur Farris eut lieu en 1963 et l'enquête devant le grand jury, la même année ou l'année suivante. A l'issue de son procès, en 1964, devant un juge de la Cour suprême et un jury, Farris fut déclaré coupable.
Le demandeur fut cité comme témoin et fit des dépositions à toutes ces enquêtes.
A compter de 1962, il y eut à plusieurs reprises, à l'assemblée législative provinciale et dans les
journaux et revues, des insinuations et allégations concernant les versements de pots-de-vin par NONG à certains fonctionnaires municipaux, notamment au demandeur. Le 12 juin 1964, dans une lettre qu'il adressa à Guy Favreau, ministre de la Justice du Canada, le demandeur fit état de ces insinuations et demanda qu'un commissaire spécial soit nommé pour faire enquête. Le Ministre répon- dit qu'il étudierait la question.
En août 1964, avant qu'il ne soit donné suite à sa demande, le procureur général de l'Ontario déposa une accusation contre lui. En substance, on l'accusait d'avoir, alors qu'il était maire de Sud- bury, offert ou accepté des actions de NONG en échange de son influence pour un octroi à NONG d'une concession à Sudbury. Il fut également accusé d'avoir comploté avec Farris dans le même but. Des accusations analogues, relativement à l'octroi de concessions, furent portées contre les maires de Orillia, Gravenhurst et Bracebridge.
Le demandeur subit son enquête préliminaire en septembre ou octobre 1964 sous la présidence du magistrat Albert Marck, qui l'acquitta en décla- rant qu'un jury correctement instruit ne pourrait pas le déclarer coupable.
Peu après, le procureur général de l'Ontario publia un communiqué de presse ainsi conçu (pièce 169 produite devant la Commission Rand):
[TRADUCTION] Aujourd'hui, le procureur général a annoncé qu'il ne portera pas d'accusation devant un grand jury contre le juge Landreville. Donc, en ce qui concerne son Département, les poursuites contre le juge Landreville sont terminées.
L'élément suivant consiste en un rapport rédigé par un comité spécial de The Law Society of Upper Canada. En janvier 1965, cette dernière chargea un comité spécial de déterminer s'il y avait lieu de prendre des mesures
[TRADUCTION] ... à la suite de la décision du juge Landreville de continuer à siéger comme juge de la Cour suprême de l'Ontario.
Le rapport du comité spécial fut publié le 17 mars 1965 et fut adopté en assemblée, à une dissidence près, le 23 avril 1965. Les membres du conseil déplorèrent
[TRADUCTION] ... que le juge Landreville continue à occuper la charge de juge de Sa Majesté pour la Cour suprême de l'Ontario.
Les éléments essentiels de ce rapport se trouvent à l'annexe A, à la page 64 [page 734 des motifs du jugement antérieur].
Le demandeur n'était nullement au courant de l'existence de ce comité spécial ni de ses activités. Il ne fut jamais invité à y comparaître pour répon- dre à des questions que le comité considérait [TRA- DUCTION] «inexpliquées et sur lesquelles votre comité peut seulement spéculer,.
Le 30 avril 1965, le demandeur écrivit au minis- tre de la Justice à propos de ce rapport qui avait apparemment donné lieu à quelques questions à la Chambre des communes. Le 7 mai 1965, il télé- graphia au ministre de la Justice pour retirer sa demande d'enquête. Il fit suivre cette communica tion d'une lettre il formulait des commentaires sur le rapport de la Law Society. Cette lettre est rédigée, en partie (annexe A, aux pages 65 et 66 [pages 735 et 736 des motifs du jugement anté- rieur] ), comme suit:
[TRADUCTION] M'attaque-t-on en tant que juge? Et si oui, pour quelle indélicatesse?
De quoi m'accuse-t-on exactement? Je n'ai pas l'intention d'examiner les faits. Comme vous le savez fort bien, j'ai eu plus d'une fois l'occasion, spécialement après mon acquittement, de demander la tenue d'une enquête publique pour me justifier sur tous les points. Je joins sous ce pli une copie de votre lettre et un article de presse. Je pense avoir fait tout ce qui était en mon pouvoir, y compris garder un silence digne face à des cancans non fondés.
Je change maintenant d'attitude pour les raisons suivantes:
a) L'affaire est réputée close depuis six mois. J'ai repris mes fonctions. Le barreau et le public ont fait preuve de leur courtoisie et coopération habituelles.
b) Une enquête serait rouverte pour traiter de faits déjà examinés, qui sont strictement chose jugée. Le procureur général a déjà procédé à cet examen et a fermé ses dossiers.
c) Le rapport de la Law Society, en formulant des observa tions mal fondées, m'est préjudiciable et a un caractère diffamatoire.
d) Même si la décision était des plus favorables, une enquête et les procédures y afférentes avec la publicité qu'elles com- portent, nuirait à ma réputation de façon péremptoire et définitive.
e) Mon avocat, J. J. Robinette, c.r., et d'autres personnes m'ont informé qu'un juge ne tombe pas sous le coup de la Loi sur les enquêtes ou de la Loi sur les fonctionnaires publics ou de toute autre loi et qu'une enquête est illégale.
f) J'ai été également informé qu'il serait contraire aux intérêts de la magistrature que je crée un précédent en demandant une enquête ou en m'y soumettant à cause des critiques d'une personne ou d'une association.
Je soutiens à nouveau, Monsieur, que le rapport de la Society ne m'accuse pas de façon spécifique d'une violation sérieuse au droit ou à la morale.
Cela étant, il se pose la question suivante: me paraît-il souhaita- ble d'engager de nouvelles procédures et publicité pour me justifier aux yeux de gens qui préfèrent les cancans aux faits? Je suis parfaitement libre d'en décider. Pour une personne saine d'esprit, insensible à la publicité, mon passé est pur; cela a été prouvé.
Si vous vous en tenez à votre décision précédente et vous basez à nouveau sur l'opinion de ceux qui connaissent les faits (le magistrat Marck, le juge D. Wells, le procureur général), votre déclaration devant la Chambre après l'exposé des faits suffit à clore l'affaire.
Naturellement, si vous êtes convaincu qu'il existe des motifs probables et raisonnables pour justifier des procédures de mise en accusation, c'est votre devoir d'y recourir. Je devrai y faire face devant les deux Chambres. Sur la base des événements actuels, je n'ai pas l'intention de démissionner. Au cours de ma carrière comme avocat, membre de conseils et de commissions et juge, je me suis conformé aux principes les plus élevés de la morale. Ceux qui me connaissent peuvent en faire foi.
Par la suite, il y eut échange de lettres et de télégrammes, et rencontres, entre le ministre de la Justice, le demandeur et Mc J. J. Robinette, l'avo- cat du demandeur. Il s'agissait de savoir si une enquête officielle devait être faite en vertu de la Loi sur les enquêtes, S.R.C. 1952, c. 154 (mainte- nant S.R.C. 1970, c. I-13) relativement aux alléga- tions faites contre le demandeur.
Le 19 janvier 1966, le gouverneur en conseil nomma commissaire l'honorable Ivan C. Rand, juge retraité de la Cour suprême du Canada, en vertu de la Partie I de la Loi sur les enquêtes. Les lettres patentes furent émises le 2 mars 1966. Son mandat consistait à: 2
[TRADUCTION] a) faire enquête sur les transactions de M. le juge Léo A. Landreville avec la Northern Ontario Natural Gas Limited ou ses administrateurs, employés ou représen- tants, ou sur toute autre transaction portant sur les actions de ladite compagnie; et
b) faire savoir si, d'après le commissaire,
(i) les actes posés par M. le juge Landreville à l'occasion de ses transactions constituent une mauvaise conduite de la part d'un juge de la Cour suprême de l'Ontario, ou
(ii) si M. le juge Landreville a démontré par ces transac tions son inaptitude à s'acquitter honorablement de ses fonctions judiciaires.
Les faits qui menèrent à la nomination du com- missaire sont exposés avec force détails à l'annexe
2 Annexe A, p. 61 [p. 728 des motifs du jugement antérieur].
A, aux pages 64 70 [pages 734 741 des motifs du jugement antérieur].
En mars et en avril 1966, il y eut onze jours d'audiences, tenues par le commissaire dans plu- sieurs villes du Canada. Le demandeur, représenté par Me Robinette, assista aux audiences, témoigna pour son propre compte et fut contre-interrogé.
Le rapport du commissaire, daté du 11 août 1966, ne fut publié qu'après avoir été déposé devant la Chambre des communes le 29 août de la même année. Dans les 68 premières pages du rapport, le commissaire examine l'aménagement du pipe-line, la participation de la ville de Sudbury et celle du demandeur et les transactions de ce dernier avec NONG. A ce sujet et à propos des actions reçues par le demandeur, il épluche en détail les dépositions du demandeur devant l'Onta- rio Securities Commission, à l'enquête prélimi- naire de Farris et au procès de Farris de même que celle qu'il fit devant la Commission.
Le commissaire qualifie les actions de NONG de cadeau. Il n'accepte pas la prétention selon laquelle le demandeur s'était vu donner une option, sinon juridiquement, peut-être moralement exécu- table. Le commissaire déclare ce qui suit relative- ment à l'accusation portée contre le demandeur: 3
[TRADUCTION] A la suite de la distribution de 14,000 actions, des poursuites ont été engagées contre les maires de quatre municipalités, qui ont octroyé des concessions: Sudbury, Orillia, Gravenhurst et Bracebridge. Les chefs d'accusation ont été les mêmes en substance, à savoir que les actions de NONG que les maires ont reçues ont été négociées vénalement et que chacun d'eux, contre la promesse d'une récompense, a utilisé son influence pour aider NONG à obtenir une concession dans sa municipalité. Pour trois d'entre eux, l'information a été rejetée pour insuffisance de preuve justifiant le renvoi de l'accusé pour subir son procès; dans le quatrième cas, celui d'Orillia, l'accusé a été acquitté au cours d'un procès devant une cour de comté avec jury. Après quoi, le procureur général a publié une déclaration suivant laquelle, vu les circonstances, il ne présenterait aucun acte d'accusation devant un grand jury dans les trois cas de rejet.
L'article 92 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique confère à la province une compétence exclusive sur l'adminis- tration de la justice dans la province. Il s'agit ici de cours provinciales, bien que les juges des cours suprêmes et des cours de comté soient nommés par le gouvernement fédéral. Une accusation de cette nature portée contre un juge de la Cour
3 Annexe A, p. 75 [p. 752 des motifs du jugement antérieur].
suprême de l'Ontario devient, de toute évidence, un sujet d'intérêt primordial pour la province; et dans le cas du juge Landreville, les poursuites ont été engagées pour défendre l'intérêt général du gouvernement municipal, l'application du droit criminel et aussi des questions d'ordre provincial. Cette action formelle des autorités provinciales, qui ont formulé des conclusions basées sur l'examen des circonstances, crée une situation que la Commission doit en toute déférence reconnaî- tre. Je veux dire par qu'on ne trouvera pas de contrat vénal entre Farris et le juge Landreville les actions soient négo- ciées contre de l'influence. La présomption provient de la non-existence d'un tel accord. Il s'agit en l'occurrence d'un état d'esprit. Les faits extérieurs sont exposés devant nous, mais l'accord des parties y afférent est occulte. Il sied que cette commission parte du principe que les faits divulgués ne répon- dent pas aux exigences de notre droit criminel que cet accord des parties, au-delà d'un doute raisonnable, a un caractère vénal.
Cela nous conduit d'abord à tirer de ces faits extérieurs une conclusion compatible avec cette hypothèse; et, deuxièmement, à examiner si les actes qui ont pris place en rapport avec ces faits, ont violé une loi ou une norme de conduite qu'un juge de la Cour suprême d'une province doit observer.
Face à ces considérations, les relations personnelles prennent de l'importance.
Les conclusions formelles du commissaire sont ainsi rédigées: 4
[TRADUCTION] En me basant sur les faits et les considérations qui précèdent, j'en arrive aux conclusions suivantes:
1—Les transactions entre le juge Landreville et Ralph K. Farris, qui ont consisté en l'achat de 7,500 actions de Northern Ontario Natural Gas Company, Limited, achat pour lequel aucun motif valable n'a été fourni, en dépit des résultats de l'enquête préliminaire relative aux accusations formulées contre le juge Landreville, donnent légitimement lieu à un grave soupçon de mauvaise conduite. Dans cette situation, le soussi- gné est d'avis que le juge Landreville avait l'obligation de dissiper ce soupçon et de prouver son innocence de façon satisfaisante, ce qu'il n'a pas fait.
11—Au cours de l'enquête subséquente afférente aux transac tions devant la Securities Commission of Ontario, en 1962, et les conclusions directes ou incidentes auxquelles elles ont donné lieu lors des procédures de parjure engagées en 1963 et 1964 contre Ralph K. Farris, le juge Landreville a été témoin de la Couronne, la conduite du demandeur lors de ses dépositions a constitué un outrage flagrant à ces tribunaux et une dérogation sérieuse à ses obligations personnelles de juge de la Cour suprême de l'Ontario, qui l'empêchent en permanence de rem- plir utilement ses fonctions de juge.
111—A fortiori, la conduite du juge Landreville, depuis que la demande de concession relative à la fourniture de gaz naturel à la ville de Sudbury a abouti au printemps de 1956 jusqu'à l'achèvement de la transaction en février 1957, et y compris les procédures de 1962, 1963 et 1964 mentionnées, considérées comme une seule action et dont les conclusions traînent derrière
4 Annexe A, p. 76 [pp. 753 et 754 des motifs du jugement antérieur].
elles comme un arrière-goût de scandale qui a apparu dès le début de l'opération et s'est matérialisé alors qu'il était juge de la Cour suprême de l'Ontario, ont attiré sur lui le fardeau de prouver son innocence de façon satisfaisante (ce qu'il n'a pas fait), a constitué un manquement tant à son devoir de fonction- naire public qu'à ses obligations personnelles de juge, une violation des normes de conduite qui s'imposent à lui en cette qualité, qui l'empêchent en permanence de remplir utilement ses fonctions de juge.
Sur les trois points, le juge Landreville s'est montré inapte à exercer correctement ses fonctions judiciaires.
L'étape suivante de cette longue histoire fut la constitution, à la fin de 1966, d'un comité spécial mixte du Sénat et de la Chambre des communes: 5
... pour enquêter et faire rapport sur l'opportunité de présenter une adresse à Son Excellence la priant de démettre le juge Léo Landreville de sa charge à la Cour suprême d'Ontario, en raison des faits, des considérations et des conclusions que signale ou renferme le rapport de l'honorable juge Ivan C. Rand ....
Le sénateur Daniel A. Lang et le député Ovide Laflamme étaient les coprésidents du comité. Le demandeur comparut comme témoin et fit des dépositions à onze des dix-neuf séances tenues par le comité en février et en mars 1967. Si j'ai bien compris, il assista à toutes les séances publiques.
Les principales parties du second rapport du comité mixte, daté du 17 mars 1967, sont ainsi rédigées: 6
En conformité de son mandat, le Comité, au cours de dix-neuf (19) séances, s'est attaché à étudier les faits, les considérations et les conclusions contenus dans ledit rapport.
Le Comité a invité le juge Landreville à comparaître devant lui comme témoin. Ce dernier a témoigné au cours de onze (I1) séances du Comité et a répondu aux questions des Membres et du Conseiller juridique du Comité.
Dans son rapport, l'honorable juge Ivan C. Rand dit:
Il n'est pas question d'inconduite dans l'exercice de fonctions judiciaires; l'enquête porte sur la conduite de l'intéressé en dehors de ce cadre.
Les remarques de l'honorable juge Ivan C. Rand sur le carac- tère du juge Landreville n'ont pas été considérées comme pertinentes et n'ont donc joué aucun rôle dans la décision du Comité.
Après avoir entendu le témoignage du juge Landreville et étudié le rapport de l'honorable juge Ivan C. Rand, le Comité conclut que le juge Landreville s'est révélé incapable d'exercer
5 Annexe A, p. 61 [p. 729 des motifs du jugement antérieur].
6 Pièce 8 au présent procès. Le rapport final du comité mixte (identique au second) est daté du 13 avril 1967.
comme il convient ses fonctions judiciaires et, à son grand regret, recommande qu'il est opportun de présenter une adresse à Son Excellence la priant de démettre le juge Landreville de sa charge à la Cour suprême d'Ontario.
Le 22 mars 1967, le demandeur écrivit au très honorable L. B. Pearson, alors premier ministre du Canada. Il donna un aperçu des procédures anté- rieures dont il avait fait l'objet. Il critiqua quel- ques-uns des aspects de l'enquête devant le comité mixte du Sénat et de la Chambre. Il demanda que soit reconnu son droit de «comparaître devant la Chambre des communes». Dans le second paragra- phe de cette lettre, il dit:
[TRADUCTION] Tout d'abord, je tiens à signaler que je suis conscient du fait que ma réputation a été salie du seul fait que j'ai comparaître dans sept procédures et qu'il est possible que je sois devenu une source d'embarras. Mon utilité comme juge peut être considérée comme très douteuse. Mais j'ai décidé il y a cinq ans que ma démission serait un aveu de culpabilité. Au contraire, je réaffirme mon innocence. On ne me permet pas de prendre ma retraite, possibilité que je serais prêt à examiner.
A la suite du dépôt du rapport du comité mixte, la transcription des débats à la Chambre des com munes (Hansard) révèle que le gouvernement d'alors fut questionné à maintes reprises pour savoir quelles mesures il entendait prendre relati- vement au demandeur. (Voir la pièce 11.) Le 31 mai 1967, le très honorable P. E. Trudeau, alors ministre de la Justice, déclara que lorsque les travaux du Sénat reprendraient, le 6 juin, une résolution serait présentée en conformité avec l'ar- ticle 99 de l'Acte de l'Amérique du Nord britanni- que, 1867 [S.R.C. 1970, Appendice II, 5]:
[TRADUCTION] ... en vue de l'adoption d'une adresse conjointe présentée à Son Excellence le gouverneur général, demandant que le juge Léo Landreville cesse d'occuper sa charge de juge de la Cour suprême de l'Ontario. Si l'adresse est adoptée à l'autre endroit, elle sera ensuite soumise à l'examen de la Chambre.
Comme je l'ai déjà mentionné, la démission du demandeur entra en vigueur le 30 juin 1967.
Le demandeur témoigna devant moi qu'avant sa démission, sa santé physique et mentale s'était détériorée. Il avait alors subi sept enquêtes de différentes sortes. Le rapport Rand et celui du comité mixte l'avaient déclaré inapte à s'acquitter de ses fonctions judiciaires. Il dit qu'au mois de juin il avait commencé à prendre des calmants. Il buvait plus de boisson alcoolique qu'auparavant;
ses nerfs étaient «à vif»; il avait des troubles émo- tifs. La santé de sa femme avait été affectée, de même que le bien-être affectif de ses enfants. Il croyait que sa réputation était détruite; qu'il ne pouvait plus convenablement siéger en public comme juge.
Le témoin Bourque, qui connaissait le deman- deur depuis plusieurs années, rencontra ce dernier devant la salle à manger d'un hôtel au début du mois de mai 1967. Il décrit le demandeur comme ayant eu l'air fatigué et les traits tirés, comme s'il avait été «perdu». Ils discutèrent de la question de savoir si le demandeur devait démissionner.
Quelques jours plus tard, Bourque rencontra Ovide Laflamme. Par la suite, une rencontre fut organisée entre Laflamme et le demandeur. La rencontre eut lieu le 23 mai 1967 Ottawa.
J'ai permis au demandeur de raconter ce qui s'y était passé. La défenderesse éleva une objection contre ce témoignage, le qualifiant de ouï-dire. La même objection fut élevée contre d'autres témoi- gnages du demandeur relativement à ce qui s'était passé lors de réunions avec deux sénateurs concer- nant sa démission et relativement à des questions postérieures à sa démission. D'autres témoignages portent sur des rencontres et des discussions entre le demandeur et M. Trudeau et entre le deman- deur et D. S. Maxwell, sous-procureur général du Canada à l'époque. La défenderesse éleva aussi des objections contre une grande partie de ces témoi- gnages, les qualifiant de ouï-dire.
J'ai déclaré recevables tous les témoignages attaqués: non pas pour faire la preuve des faits qui auraient été racontés au demandeur par d'autres personnes, mais, parce qu'il croyait ce qu'on lui disait, uniquement pour démontrer pourquoi ou comment il réagit, ou prit les mesures mentionnées dans son témoignage.
Le demandeur dit que Laflamme lui demanda expressément de démissionner, étant donné les conclusions du comité mixte et des procédures de mise en accusation projetées. Laflamme aurait dit avoir parlé à M. Trudeau. Laflamme déclara qu'il pouvait promettre au demandeur qu'il recevrait une pension s'il démissionnait. Ils discutèrent de certaines choses qui s'étaient produites devant le comité mixte. Il fut question de la santé du deman- deur. Selon le demandeur, Laflamme lui aurait
fait remarquer que sa santé se détériorait.
Le demandeur dit qu'iL'férait connaître sa réponse à Bourque. Après réflexion, il dit à Bour- que qu'il ne donnerait pas sa démission. Il était d'avis qu'il ne pouvait, pour ce qui concerne une pension, se fier à la parole d'un simple député.
Depuis longtemps, le demandeur avait une bles- sure à un disque de la région lombaire qui de temps à autre, le faisait souffrir. Lorsqu'il siégeait au tribunal, il devait prendre une pause environ toutes les heures. Cette douleur n'était pas encore disparue.
Le 6 juin 1967, il était, dit-il, physiquement et mentalement à bout. Il décida de se rendre à Ottawa et de faire le voyage, de Toronto, en voiture. Il fut arrêté pour avoir conduit à 90 milles à l'heure dans Perth.
Ce jour-là et le lendemain, il rencontra deux sénateurs—Salter A. Hayden et John Connolly. Le sénateur Connolly était membre du cabinet Pear- son. Il fut question de la santé du demandeur et de la possibilité de sa démission. Le demandeur leur aurait dit que sa santé était chancelante, que son dos lui faisait mal, qu'il était découragé, qu'il était très nerveux et que sa réputation était détruite. Il n'avait plus de crédibilité en tant que juge; il démissionnerait si on lui accordait une pension raisonnable en fonction de ses années de service. Il demanda quel montant pourrait lui être accordé à titre de pension; ni l'un ni l'autre des sénateurs ne le savait. Connolly quitta la réunion et revint avec des chiffres. Le demandeur les prit en note (pièce 12). A l'époque, son traitement annuel était $28,000. Si une pension lui était accordée, il rece- vrait 2/3 de son traitement basé sur 10 2/3 années de service au lieu de 15 années, soit $13,274.07 par année.
Le sénateur Hayden fit remarquer que le demandeur aurait besoin d'une preuve médicale pour toute demande de pension. Le groupe son- geait manifestement à l'alinéa 23(1)c) de la Loi sur les juges.
Le 6 juin, le demandeur avait rédigé une lettre de démission dans laquelle il se disait prêt à démis-
sionner à condition qu'on lui octroie une pension. Les sénateurs l'avisèrent que cela ne serait pas acceptable.
A ces mêmes réunions, le sénateur Connolly exprima l'opinion (selon le demandeur) que le Sénat adopterait probablement le rapport du comité mixte. Le demandeur conclut, d'après ces discussions, que l'adresse tendant à la révocation ou à la mise en accusation serait probablement adoptée. Il dit: [TRADUCTION] «j'avais l'impres- sion qu'on voulait me chasser de mon poste pour des motifs d'ordre politique».'
Le 7 juin, une autre lettre de démission fut dactylographiée dans le bureau du sénateur Hayden. Elle était rédigée essentiellement dans les mêmes termes que la première, sauf que la condi tion relative à une pension était abandonnée. Une mention de la Commission Rand fut ajoutée. La lettre est ainsi rédigée (pièce 2).
[TRADUCTION] Ottawa (Ontario)
Le 7 juin 1967
L'Honorable Pierre E. Trudeau
Ministre de la Justice
Édifices du Parlement
Ottawa (Ontario)
Monsieur le Ministre,
Soyez avisé que je consens à prendre ma retraite. Je résigne par les présentes mes fonctions de juge de la Cour suprême de l'Ontario, ma démission entrant en vigueur le 30 juin 1967.
Après cinq pénibles années et sept enquêtes, ma santé et ma fortune sont dans un mauvais état. Je ne peux continuer. De toute façon mon utilité en tant que juge a été réduite à néant par la publicité et le harcèlement dont j'ai fait l'objet lors de ces procédures.
J'ai pleinement et fidèlement rempli mes fonctions judiciaires au cours de mes années de service à titre de juge de la Cour suprême de l'Ontario. Dans ce domaine, ma conduite n'a fait l'objet d'aucune critique et mon intégrité en tant que juge n'a pas été mise en doute devant le juge Rand qui, à cet égard, déclare dans son rapport:
Il n'est pas question d'inconduite dans l'exercice de fonctions judiciaires; l'enquête porte sur la conduite de l'intéressé en dehors de ce cadre.
Je tiens à le répéter et à le réaffirmer: je suis innocent. Dans ma vie privée, à titre de maire, d'avocat ou de citoyen, je ne me suis rendu coupable d'aucune faute ni sur le plan du droit ni sur celui de l'éthique. Mais je suis impuissant contre des soupçons non fondés.
7 Je cite ces paroles d'après mes notes et non d'après la transcription du sténographe.
Je tiens à témoigner ma gratitude envers la population de Sudbury qui a continué à me défendre avec confiance et persistance.
Veuillez agréer, Monsieur le Ministre, l'assurance de ma haute considération.
Le ministre de la Justice lui répondit le 9 juin 1967, déclarant que sa démission avait été acceptée.
Au cours du contre-interrogatoire, il fut suggéré que le demandeur avait démissionné surtout pour éviter le débat à la Chambre et au Sénat et pour éviter de devoir y comparaître. Le demandeur nia cette suggestion.
Après son voyage à Ottawa, les 6 et 7 juin, le demandeur retourna à Toronto.
Le 14 juin, il se rendit chez un spécialiste en médecine interne, le docteur Lenczner. Le rapport de ce dernier est ainsi rédigé:
[TRADUCTION]
—A qui de droit—
Objet: M. le juge Léo Landreville
le 23 février 1910
10, Benvenuto Place Toronto (Ontario)
J'ai examiné le patient le 14 juin 1967. 11 s'est surtout plaint de douleurs au dos s'intensifiant graduellement, et irradiant dans les deux membres inférieurs, ressentis plus particulièrement après être resté assis pendant un certain temps ou lors de changements de positions. Ces symptômes ont empiré au cours des trois derniers mois.
A l'examen: Le patient souffrait visiblement. 11 y avait beau- coup de spasmes musculaires dans les muscles paravertébraux. 11 n'avait pas de réflexes rotuliens. Le réflexe achillien était faible à la cheville droite et inexistant à la cheville gauche. Le patient pouvait lever la jambe droite en pleine extension jusqu'à un angle de 40°, et la jambe gauche, jusqu'à un angle de 35°. Diagnostic: atteinte des disques L3/L4 et L5/S1 et ostéoarthrite.
Des arrangements ont été pris pour la prise et l'étude de radiographies à la Toronto General Hospital; les rapports qui y furent faits sont joints aux présentes. Les constatations qu'on a pu faire grâce à l'examen physique et aux radiographies expli- quent les maux du patient et le caractère progressif de ceux-ci.
Le 21 juin 1967, il consulta le docteur A. M. Doyle, psychiatre. Son rapport est ainsi rédigé:
[TRADUCTION]
A QUI DE DROIT:
Objet: M. le juge Léo Landreville—âge: 57
10, Benvenuto Place, Toronto (Ontario)
J'ai examiné cet homme dans le cadre d'une consultation psychiatrique le 21 juin 1967. Je suis très conscient des vicissi tudes dont il a souffert depuis l'époque où, alors qu'il était maire de Sudbury, il accepta d'acheter des actions de NONG. Lorsque lui et trois autres maires furent poursuivis en 1964 par le ministère du Procureur général, l'affaire retint longtemps
l'attention des médias dans tout le pays; et il déclara à cette époque qu'il n'y avait pas la moindre parcelle de preuve d'écart de conduite.
Je sais également que la Law Society of Ontario a déploré le fait qu'il continue à exercer ses fonctions de juge. La Law Society a également envoyé au ministre de la Justice un rapport à cet effet. Par la suite il est allé en cour: il y eut sept enquêtes au cours des cinq dernières années. Avec son avocat, il dut assister à des enquêtes à Vancouver, Sudbury, Ottawa et Toronto au cours desquelles les déclarations de la Commission ont, d'après lui, terni sa réputation.
Le comité mixte a siégé en février et il fut contre-interrogé au cours de sept séances par plusieurs membres de la Chambre et du Sénat. Enfin, en proie à la dépression et à l'anxiété, il résigna ses fonctions le 9 juin 1967. Si j'ai mentionné ce qui précède, c'est simplement pour indiquer que je suis au courant des événements qui ont affligé M. le juge Landreville au cours des cinq dernières années. Mais son état actuel est évidemment plus important encore.
Il est devenu de plus en plus déprimé pour diverses raisons. Il est d'avis que sa réputation est entachée. Il n'est pas en mesure de prendre des décisions convenables, même pour des questions familiales. Il ne se sent pas capable de reprendre la pratique du droit parce que même s'il a exercé sa profession pendant trente ans et participé aux affaires publiques pendant vingt-cinq ans sans que sa réputation ne soit attaquée, il a maintenant le sentiment que, qu'il aille, il ne se sentirait pas capable de l'objectivité qu'il estime nécessaire pour la pratique du droit ou pour siéger en tant que juge. Sa famille a beaucoup souffert. Sa femme souffre d'anxiété et son fils, qui est maintenant à l'Université, a décidé de renoncer au droit parce qu'il lui serait difficile, à cause de son nom, d'exercer sa profession. M. Landreville lui-même est en proie à une intense affliction et dépression. Il n'a aucune idée sur ce qu'il pourrait faire à l'avenir. Il a le sentiment qû'il ne pourrait même pas s'appro- cher d'une salle d'audience. Il croit que ni lui ni sa femme ne peuvent se montrer en public sans se sentir dégradés aux yeux du public par suite de ses nombreuses comparutions en justice et des commentaires des médias qui ont été dommageables à sa réputation. Sa dépression a réellement été très profonde et il a songé à plusieurs reprises à l'autodestruction. Il s'est récem- ment fait arrêter pour avoir conduit à quatre-vingt-dix milles à l'heure sur la grande route 7, près de Peterborough. Il conduisait en serrant le volant et, même alors, il songeait à l'autodestruction. Je crois que jusqu'alors il n'avait jamais eu de contravention pour quelque infraction au code de la route, mais il faut se rappeler que cet incident est survenu lorsqu'il se rendait à Ottawa pour donner sa démission.
Cet homme souffre d'une profonde dépression et de beaucoup d'anxiété, manifestement occasionnées par les événements des cinq dernières années, surtout son sentiment de frustration totale qui l'a mené à décider de résigner sa charge de juge.
Je n'ai jamais rencontré le juge Landreville avant aujourd'hui, si ce n'est en 1946 lorsque j'examinai un accusé qu'il défendait et une autre fois, il y a quelques années, dans une affaire dont je ne peux me souvenir, alors qu'il présidait une audience de la Cour suprême à titre de juge. Mais le patient déprimé et en proie à des troubles émotifs que j'ai devant moi aujourd'hui ne ressemble en rien à l'avocat et au juge qui faisaient preuve d'intérêt, de compréhension et de bon jugement. Il n'est effecti-
vement pas en mesure de continuer à siéger comme juge, même s'il envisageait cela comme possible en ce moment.
Veuillez agréer, Monsieur, Madame, l'expression de mes senti ments distingués.
Dr Arthur M. Doyle, Professeur agrégé,
Psychiatrie et médecine, Université de Toronto.
Le demandeur a également obtenu une lettre de son médecin à Sudbury. Ce médecin le connaissait depuis dix ans et l'avait soigné à quelques reprises. La dernière fois qu'il avait vu le demandeur, le 17 mai 1967, c'était pour une ablation d'une tumeur bénigne. Encore une fois je cite le rapport au complet:
[TRADUCTION] A QUI DE DROIT
Objet: M. le juge Léo Landreville
Monsieur:
Je connais M. le juge Landreville depuis plus de dix ans.
Je l'ai traité à quelques reprises; je lui ai notamment enlevé une tumeur bénigne à la joue gauche et, le 17 mai courant, je lui ai enlevé une tumeur bénigne, une kératose sénile, au côté gauche du dos.
M. le juge Landreville m'a signalé que l'incision s'était infectée.
Au cours de l'entrevue précédant l'intervention chirurgicale pratiquée pour enlever la lésion, j'ai remarqué que M. le juge Landreville avait perdu du poids.
En l'interrogeant, je l'ai trouvé très nerveux.
J'étais au courant des dures épreuves qu'il avait traverser au cours des cinq dernières années mais je ne m'étais pas rendu compte du fait que sa santé s'était détériorée à ce point.
M. le juge Landreville a déclaré que depuis quelque temps il était devenu de plus en plus nerveux et je crois qu'il est actuellement atteint de névrose d'angoisse, affectant son jugement.
M. le juge Landreville a déclaré qu'il était irritable, qu'il manquait de sommeil et qu'il prenait des tranquilisants et, à l'occasion, des somnifères.
En conséquence, il est devenu un fumeur invétéré et est en train de faire du tort à ses bronches: il tousse et crache beaucoup, surtout le matin.
S'il continue ainsi, il risque de souffrir de bronchiectasie.
Je crois que M. le juge Landreville est sur le point de faire une dépression nerveuse.
Sa névrose d'anxiété peut durer assez longtemps s'il ne prend pas un repos prolongé et complet.
R. Hippolyte
docteur en médecine
Le 23 juin 1967, le demandeur écrivit au minis- tre de la Justice en joignant à sa lettre les rapports des docteurs Lenczner et Doyle. Il demandait une pension en invoquant le fait qu'il souffrait d'une infirmité permanente. Sa lettre est ainsi rédigée:
[TRADUCTION]
L'Honorable Pierre E. Trudeau
Ministre de la Justice et
au gouverneur en conseil
Édifices du Parlement, OTTAWA (Ontario)
Messieurs,
Je vous prie de vous reporter à ma lettre de démission datée du 7 juin et à votre lettre du 9 juin 1967.
Veuillez considérer la présente comme une requête et une demande de pension fondée sur mon infirmité permanente.
Il y a quelques années, j'ai subi des blessures à la région lombaire lorsque l'avion que je pilotais s'est écrasé. On a diagnostiqué que j'avais subi des dommages aux disques. Depuis, cette blessure m'a fait souffrir par intermittence mais jamais au point de nécessiter mon hospitalisation. Comme le savent les fonctionnaires de la Cour, je devais régulièrement quitter mon siège au tribunal, à toutes les heures, environ, pour une courte pause, afin de soulager le mal. Rester assis plus longtemps me causait des malaises et des douleurs. Mon état s'est graduellement aggravé.
A cause de ces maux de dos et des douleurs de plus en plus intenses, je fus obligé de consulter le docteur M. Lenczner, spécialiste des maladies organiques de renom et professeur agrégé à la Faculté de médecine de l'Université de Toronto. Vous trouverez ci-joint ce rapport ainsi que celui du docteur D.. E. Sanders, professeur agrégé de radiologie attaché au Toronto General Hospital.
Le docteur Lenczner a diagnostiqué des dommages aux disques et déclare: «diagnostic: atteinte des disques L3/L4 & L 5 et ostéoarthrite«.
Le rapport du docteur Sanders interprète les radiographies prises à la demande du docteur Lenczner. Vous noterez qu'il conclut à l'altération dégénérative du disque, ce qui confirme le diagnostic du docteur Lenczner. On m'a dit que cette infirmité est permanente et rend physiquement impossible l'exécution de mes fonctions judiciaires.
Vous trouverez ci-joint le rapport du docteur A. M. Doyle, professeur et praticien en psychiatrie et en médecine. J'ai été franc avec le docteur Doyle et ne lui ai rien caché. Je vous demanderais de considérer comme confidentielle cette partie, assez longue, du rapport qui commence à la ligne 6 de la page 2. Le rapport signale mon affliction et ma dépression profondes causées par les événements et les tensions des cinq dernières années ainsi que mon incapacité actuelle d'être objectif, qualité essentielle à l'exécution de mes fonctions.
Il a mentionné mon arrestation pour excès de vitesse, ce qui m'a valu une contravention; c'était la première infraction au code de la route de ma vie.
On peut comprendre mon état, puisqu'il s'agit de la destruc tion de ma réputation, de mon honneur et la fin de l'exercice de ma profession après trente années de pratique et de participa tion aux affaires publiques.
Une résolution de la Law Society interdit à un ex-juge la pratique du droit en tant qu'avocat. Je n'entends pas la contes- ter puisque, de toute façon, je ne pourrais jamais me présenter devant un tribunal et n'ai nullement l'intention de pratiquer le droit en tant que notaire, procureur ou avocat.
Enfin vous me permettrez de faire mention de ma lettre de démission dont je cite le passage suivant:
«Il n'est pas question d'inconduite dans l'exercice de fonc- tions judiciaires».
Depuis ma nomination en octobre 1956, j'ai présidé toutes les causes qui m'ont été assignées sans en manquer une seule.
Je suis en mesure de prouver de façon concluante que ma famille et moi-même avons besoin de cette pension.
En vous priant de donner suite à ma requête dès que possible, je vous prie d'agréer, Messieurs, l'expression de mes sentiments distingués.
La lettre du docteur Hippolyte n'était pas incluse. D'après lui, elle laissait à désirer.
Je m'écarte légèrement du sujet. A la suite de la démission du demandeur, la question d'une pen sion fut soulevée à plusieurs reprises à la Chambre des communes par les membres de l'opposition. (Voir la pièce 11.) Pour dire, parfois avec véhé- mence, que le gouvernement ne devrait pas consen- tir de pension.
Aucune suite immédiate ne fut donnée à la lettre du demandeur datée du 23 juin; ni accusé de réception, ni réponse. Le 12 septembre 1967, il écrivit de nouveau au Ministre demandant qu'il soit donné suite à sa demande de pension le plus tôt possible. Le Ministre répondit le 14 septembre. Sa lettre est ainsi rédigée:
J'accuse réception de votre lettre du 12 septembre et des pièces incluses et je regrette qu'apparemment je n'aie pas accusé réception de votre lettre du 23 juin.
Je tiens à vous assurer que votre demande de pension ou de rente sera étudiée par le gouvernement. Vous comprendrez cependant que je ne sois pas en mesure à ce moment de vous dire si votre demande a des chances d'être agréée.
Je vous écrirai de nouveau à ce sujet en temps opportun.
A la suite de cette réponse, le demandeur com- muniqua avec les sénateurs Connolly et Hayden. Il avait hâte qu'une décision soit prise. On lui dit que le climat politique n'était pas des meilleurs. Le 21 novembre, il eut une entrevue avec le ministre de la Justice, M. Trudeau. Il prit des notes au cours de cette rencontre. (Voir la pièce 15.) Le 9 février 1968, il rencontra le sénateur Connolly à Ottawa. Le demandeur faisait pression pour qu'on prenne
une décision et, évidemment, pour qu'elle lui soit favorable.
Le 4 mars 1968, il écrivit une longue lettre au ministre de la Justice dont voici le texte:
[TRADUCTION]
L'Honorable P. E. Trudeau, Ministre de la Justice, Édifices du Parlement, Ottawa (Ontario)
Monsieur le Ministre,
Permettez-moi de vous rappeler ma demande de pension soumise en juin 1967. Des rapports médicaux ainsi qu'un certificat du radiologue du Toronto General Hospital étaient joints à ma demande.
Lorsque je me suis renseigné, en septembre, vous avez déclaré l'avoir reçue. Vous m'avez assuré que ma demande serait étudiée et qu'une réponse me serait donnée en temps opportun. Je n'ai encore reçu aucune réponse. Cela fait 8 mois que j'attends; on ne pourra certes pas me taxer d'impatience. J'attends à Ottawa depuis trois semaines dans l'espoir que mes porte-parole réussiront à faire aboutir la question. Je vous demanderais de bien vouloir soulever cette question devant le Cabinet à la première occasion que vous jugerez opportune mais avant la prorogation ou l'ajournement des travaux de la Chambre. Je suis certain que vous le ferez avec impartialité et suis convaincu que le Cabinet exercera sa discrétion équitablement.
On m'a dit qu'en vertu de l'article 23 de la Loi sur les juges, le pouvoir d'accueillir ou de rejeter ma demande appartient au Cabinet. En outre, je suis conscient que la pression que vos fonctions exercent sur vous en ce moment pourrait entraîner l'oubli de cette question qui est pour moi d'une importance cruciale. Pour ces motifs, je me permets d'envoyer une copie de la présente lettre à chacun des membres du Cabinet afin que tous soient en mesure de soulever la question devant le Cabinet pour décision immédiate.
Vous vous souviendrez que j'ai donné ma démission pour des motifs de santé et qu'elle a été acceptée sans réserve.
Il est de notoriété publique que j'ai été harcelé durant cinq ans; j'ai me défendre et subir la publicité afférente à six enquêtes j'ai témoigné, au coût d'environ $30,000 et de la détérioration de ma santé. Malgré mon état de santé, j'étais prêt à comparaître devant le Sénat, et même si on m'avait donné raison, j'aurais alors donné ma démission et demandé une pension pour ce motif.
On m'a toutefois convaincu de résigner mes fonctions pour des motifs de santé avant plutôt qu'après le débat sur cette motion au Sénat, pour faire ensuite ma demande de pension.
Vous avez répondu en Chambre, Monsieur, «qu'aucun marché» n'avait été conclu avec moi lors de ma démission. C'est un fait. On ne m'a formellement offert aucune compensation. La question relevait toujours du pouvoir discrétionnaire du Cabinet.
Toutefois, on m'a clairement laissé entendre certaines choses, appuyées de faits, qui devraient guider le Cabinet dans l'exer- cice de sa discrétion.
Le 23 mai 1967, j'ai consenti à rencontrer le député Ovide Laflamme qui avait été le coprésident du comité mixte. En présence d'un ami commun, il m'a suggéré, et ce n'était pas confidentiel, de donner ma démission. On lui a dit que mon état de santé m'empêcherait désormais d'exercer des fonctions judi- ciaires. Personne n'avait jamais nié que j'aie siégé en tant que juge de façon efficace pendant de nombreuses années, et les soupçons découlent d'un acte accompli avant ma nomination. Je recevrais une pension correspondant à mes années de service. Ceci n'exigeait pas l'approbation du Parlement. Il existait des précédents, des cas d'autres juges. Il déclara vous avoir parlé, Monsieur, ainsi qu'au premier ministre. Ce serait la solution.
Mais il ajouta qu'à cause du libellé de la loi—ns'il résigne sa fonction»—la demande de pension ne pouvait être faite en même temps que ma démission ni être incluse à titre de condition. Autrement, il serait inacceptable pour le gouverne- ment puisqu'on pourrait conclure à l'existence d'un marché. Tel était l'avis juridique qu'on lui avait donné. Il ajouta qu'il s'occuperait personnellement de cette question et que je devrais faire confiance au Cabinet qui exercerait sa discrétion équita- blement pour m'accorder une pension à une date ultérieure.
Ces propos, Monsieur, sont importants étant donné l'avis subséquent qui m'a été donné selon lequel une démission et une demande de pension doivent être faites simultanément. En plus des déclarations qui m'ont été faites lorsqu'on me demanda de donner ma démission, je tiens à signaler que ma lettre de démission pour des motifs de santé laissait clairement entendre qu'une demande de pension suivrait. En fait, j'ai demandé ma pension alors que j'étais encore juge.
Ma réponse négative a été transmise à M. Laflamme le lendemain. Je le croyais mais je jugeais imprudent de démis- sionner sans obtenir quelque assurance d'un niveau supérieur. Il était simple député et seul.
Le 7 juin 1967, je suis allé au bureau du sénateur S. Hayden. Dès le début, c'est son cabinet d'avocat qui faisait fonction auprès de moi d'avocat-conseil et de conseiller. Je puis vous assurer qu'il n'a rien dit ni fait qui puisse être considéré comme étant illicite ou comme constituant un conflit d'intérêt avec ses fonctions.
Le sénateur Hayden peut confirmer les faits tels qu'il m'ont été présentés:
(1) La procédure à suivre pour moi serait de donner ma démission pour des motifs de santé. Ensuite, je présenterais une demande et produirais des certificats médicaux.
(2) Le sénateur J. J. Connolly a cité les chiffres que votre Ministère lui avait fournis. En faisant les ajustements néces- saires, une pension normale de $18,666 donnerait, pour 10 2/3 ans de service, $13,274.07 et, en vertu de l'article 27(1)b), ma femme recevrait, après mon décès, 1/3 de ce montant. J'ai aussitôt noté ces figures.
(3) J'ai rédigé la lettre de démission. Je l'ai corrigée avec l'aide du sénateur Hayden et elle fut dactylographiée dans son bureau. Elle fut ensuite remise au sénateur Connolly pour qu'il la communique au premier ministre et à vous- même à titre de ministre de la Justice. On m'a dit par la suite que la lettre était dans une forme satisfaisante mais qu'elle ne serait pas acceptée avec la condition qu'une pension me soit accordée. Parce que cette question serait probablement soulevée en Chambre et que l'octroi d'une pension relevait du
pouvoir discrétionnaire du Cabinet. Je devais faire confiance au premier ministre et au ministre de la Justice qui étaient bien disposés à mon égard et verraient à ce que justice soit faite.
J'ai cinquante-huit ans. Après trente ans de participation aux affaires publiques, fédérales et municipales, je me retrouve sans emploi, sans profession (résolution de la Law Society: un juge à la retraite ne peut exercer les fonctions d'avocats), en mauvaise santé et sans pension. Pour ce qui concerne l'état de ma fortune, vos dossiers contiennent des renseignements prouvant de façon concluante que j'ai besoin d'une pension.
Par conséquent:
(1) Je vous prierais, vous-même ou un autre Ministre, de bien vouloir présenter mon cas au Cabinet pour qu'une décision soit prise en temps opportun avant la prorogation ou l'ajournement des travaux de la Chambre.
(2) Je resterai à Ottawa et demeure à votre entière disposi tion. Vous pourrez communiquer avec moi par l'intermé- diaire de mon procureur, David Dehler, du bureau Vincent, Choquette, Dehler & Dagenais, 110, rue York, Ottawa, de téléphone: 236-7216.
Je vous saurais gré de bien vouloir accuser réception de la présente lettre par retour du courrier, en m'adressant la lettre au soin de mon procureur.
Veuillez agréer, Monsieur le Ministre, l'assurance de ma considération la plus distinguée.
Léo A. Landreville
Le 5 mars 1968, le ministre de la Justice répon- dit par écrit. Cette lettre est un document clé en l'espèce. Les parties l'interprètent différemment. Elles défendent des conclusions différentes quant à ses effets sur l'issue de l'action. La lettre est ainsi rédigée:
[TRADUCTION] Ottawa 4, le 5 mars 1968.
Monsieur Léo A. Landreville,
a/s de MM. Vincent, Choquette, Dehler & Dagenais,
Avocats,
110, rue York,
Ottawa (Ontario).
Monsieur Landreville,
Je vous prie de vous reporter à ma lettre du 14 septembre dernier et à votre lettre du 4 mars concernant votre demande de pension. J'étais sur le point de vous écrire à cet égard lorsque j'ai reçu votre dernière missive.
Mes collègues du Cabinet et moi-même avons étudié très attentivement votre demande et c'est avec regret que je dois vous informer que le gouvernement a décidé, à ce stade-ci, de ne pas prendre les mesures nécessaires pour vous octroyer une pension ou une rente.
Veuillez agréer, cher Monsieur, l'assurance de mes meilleurs
sentiments.
P. E. Trudeau.
Tel que mentionné dans sa lettre, le demandeur avait envoyé une copie à tous les membres du Cabinet. Il reçut des réponses de six ministres du
Cabinet ou en leur nom. Une d'elles lui avait été envoyée par l'honorable Mitchell Sharp. Elle est datée du 6 mars et est ainsi rédigée:
[TRADUCTION]
J'accuse réception de votre lettre du 4 mars 1968 concernant votre demande au ministre de la Justice que vous soit octroyée une pension en vertu de la Loi sur les juges pour des motifs de santé.
Vous comprendrez que c'est d'abord au ministre de la Justice qu'il appartient de soulever la question; ainsi je ne puis que vous assurer que je n'oublierai pas votre exposé lorsqu'il le fera.
Veuillez agréer, cher Monsieur, l'assurance de mes meilleurs sentiments.
L'honorable Paul Martin écrivit également au demandeur. Sa lettre est datée du 7 mars. Il y dit qu'il discuterait de la question avec ses collègues lorsque l'occasion se présenterait.
L'honorable Paul Hellyer, alors ministre des Transports, écrivit également au demandeur. Sa lettre est datée du 25 mars 1968 et est ainsi rédigée:
[TRADUCTION] PERSONNEL Cher Léo,
Je te remercie de ta lettre du 4 mars.
11 me fera plaisir de parler au ministre de la Justice en ta
faveur.
Cordialement,
Le demandeur fait remarquer que ces trois let- tres portent toutes une date postérieure à la soi- disant décision des «collègues du Cabinet» men- tionnée dans la lettre du ministre de la Justice datée du 5 mars.
Je fais un léger retour en arrière. Le 13 mars 1968, le demandeur écrivit au ministre de la Jus tice la lettre qui suit:
[TRADUCTION]
Monsieur le Ministre,
Je vous remercie de votre lettre du 5 mars 1968 dans laquelle vous me faites savoir que vous avez soumis la question au Cabinet et que le gouvernement a exercé son pouvoir discrétion- naire. Toutefois, je présume que le gouvernement juge inoppor- tun de prendre en ce moment les mesures nécessaires pour régler cette affaire.
Je vous prierais de bien vouloir me faire savoir quand le présent gouvernement prendra les mesures nécessaires.
L'écoulement de huit mois, la situation politique, la démis- sion de trois membres du Cabinet qui étaient déjà au courant de l'affaire, les élections fédérales imminentes, sont quelques- unes des raisons pour lesquelles il est urgent d'étudier mon cas afin d'éviter que je ne subisse d'autres préjudices.
Je vous prierais de bien vouloir me répondre le plus tôt possible étant donné que j'attendrai à Ottawa jusqu'à la conclu sion de cette affaire.
Je vous prie d'agréer, Monsieur le Ministre, l'assurance de ma haute considération.
Léo A. Landreville
P.S. Je vous prie d'excuser une erreur qui s'est glissée dans ma lettre du 4 mars au paragraphe 4 de la page 3— l'année en question est 1967 et non 1965.
Le 22 mars 1968, le Ministre répondit en ces termes:
[TRADUCTION]
Monsieur Landreville,
J'accuse réception de votre lettre datée du 13 mars qui se réfère à la lettre datée du 5 mars que je vous faisais parvenir, concernant votre demande de pension ou de rente.
Vous demandez maintenant quand le présent gouvernement prendra les mesures nécessaires pour vous octroyer une pension ou rente. Ma lettre du 5 mars vous faisait savoir que le gouvernement s'était prononcé contre la prise de toute mesure à cet égard. Ce que le présent gouvernement ou un autre gouver- nement fera ou ne fera pas à l'avenir, je ne suis évidemment pas en mesure de vous le dire.
Je regrette de ne pouvoir vous être d'un plus grand secours mais votre lettre du 13 mars soulève une question sur laquelle il vous est inutile de faire des conjectures.
Auparavant, le Ministre avait, le 18 mars 1968, en réponse à une question posée en Chambre par le très honorable John Diefenbaker, chef de l'opposi- tion, déclaré ce qui suit (pièce 11):
Monsieur l'Orateur, le gouvernement a décidé, pour le moment, de ne pas entreprendre les démarches nécessaires pour accorder une pension ou une indemnité à Monsieur Landreville.
Le demandeur était d'avis qu'aucune décision ou décision définitive, n'avait été prise. Il poursuivit l'affaire en 1968 en s'adressant au sénateur Con- nolly, au sénateur Hayden, à l'ex-premier ministre Pearson et à d'autres personnes. En 1969, il écrivit à l'honorable John Turner, ministre de la Justice de l'époque, et le rencontra. La réponse de ce Ministre, datée du 23 juillet 1969, est ainsi rédigée:
[TRADUCTION]
Monsieur Landreville,
Je vous prie de vous reporter à notre rencontre du vendredi 11 juillet dernier au cours de laquelle vous avez renouvelé votre demande de rente ou de pension.
A la fin de notre rencontre, je vous ai dit que je n'étais pas prêt à proposer ou parrainer le projet de loi qui d'après moi serait nécessaire pour autoriser qu'une pension vous soit payée. Vous m'avez demandé de vous écrire une lettre en ce sens et c'est en réponse à votre demande que je vous écris la présente.
Il me faut donner encore quelques éléments pour compléter cette histoire.
Le demandeur déclara que sa santé s'était gra- duellement améliorée. En décembre 1969, il con- clut un accord avec le cabinet juridique auquel il est actuellement associé et commença à y travailler le Zef janvier 1970. Ils convinrent qu'il n'intenterait aucune action avant deux ans. A l'expiration de cette période, il consulta un avocat.
La présente action et la précédente, que j'ai mentionnée, furent intentées le 4 août 1972.
Le premier argument soumis par le demandeur est le suivant: lorsqu'il agit en vertu de l'alinéa 23(1)c) de la Loi sur les juges, le gouverneur en conseil est un organisme judiciaire ou quasi judi- ciaire. Pour ce qui concerne les pensions octroyées aux juges nommés par le fédéral, il exerce une fonction judiciaire. En l'espèce, le gouverneur en conseil n'a jamais statué sur la demande de pen sion présentée par le demandeur; rien n'indique que sa demande ait jamais été soumise au gouver- neur en conseil ou que des mesures aient été prises pour le faire. On ajoute que la Cour devrait décla- rer, d'après la preuve produite à l'audience, que le demandeur a droit à une pension; subsidiairement, on demande que la Cour ordonne au gouverneur en conseil d'entendre la demande faite en juin 1967 et de statuer sur celle-ci.
Pour plus de clarté, je crois opportun de citer encore une fois le paragraphe 23(1) de la Loi:
23. (1) Le gouverneur en conseil peut accorder
a) à un juge qui a exercé une fonction judiciaire durant au moins quinze ans et a atteint l'âge de soixante-dix ans, s'il résigne sa fonction,
b) à un juge qui a exercé une fonction judiciaire durant au moins quinze ans, s'il résigne sa fonction et si, de l'avis du gouverneur en conseil, la démission contribue à la meilleure administration de la justice ou est dans l'intérêt national,
e) à un juge atteint de quelque infirmité permanente l'empê- chant d'accomplir utilement les devoirs de sa charge, s'il résigne sa fonction ou que, par suite de cette infirmité, il soit révoqué, ou
d) à un juge qui cesse d'occuper son poste du fait qu'il a atteint l'âge de soixante-quinze ans, s'il a exercé une fonction judiciaire durant au moins dix ans ou s'il détenait une fonction judiciaire le jour de l'entrée en vigueur du présent article,
une pension n'excédant pas les deux tiers du traitement attaché à la fonction qu'il remplissait au moment de sa démission ou de sa révocation, ou au moment il a cessé d'occuper son poste, suivant le cas.
Certaines dispositions de l'Acte de l'Amérique
du Nord britannique, 1867 se rapportent au gou- verneur général en conseil. Je cite les articles 11
et 13.
11. Il y aura, pour aider et aviser, dans l'administration du gouvernement du Canada, un conseil dénommé le Conseil Privé de la Reine pour le Canada; les personnes qui formeront partie de ce conseil seront, de temps à autre, choisies et mandées par le Gouverneur-Général et assermentées comme Conseillers Privés; les membres de ce conseil pourront, de temps à autre, être révoqués par le gouverneur-général.
13. Les dispositions du présent acte relatives au gouverneur- général en conseil seront interprétées de manière à s'appliquer au gouverneur-général agissant de l'avis du Conseil Privé de la Reine pour le Canada.
Dans la Loi d'interprétation en vigueur en juin 1967, les définitions des termes «gouverneur» et «gouverneur en conseil» sont ainsi rédigés: 8
35....
(7) «gouverneur», «gouverneur du Canada», ou «gouverneur général» signifie le gouverneur général du Canada alors en fonction, ou tout autre chef exécutif ou administrateur alors chargé d'exercer le gouvernement du Canada pour le compte et au nom du souverain, quel que soit le titre sous lequel il est désigné;
(8) «gouverneur en conseil» ou «gouverneur général en con- seil» signifie le gouverneur général du Canada ou la per- sonne exerçant alors le gouvernement du Canada, agissant sur l'avis, ou sur l'avis et du consentement, du Conseil privé de la Reine pour le Canada, ou de concert avec ce dernier;
Je cite également à ce stade-ci le paragraphe 99(1) et l'article 100 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867.
99. (1) Sous réserve du paragraphe (2) du présent article, les juges des cours supérieures resteront en fonction durant bonne conduite, mais ils pourront être révoqués par le gouverneur général sur une adresse du Sénat et de la Chambre des Communes.
100. Les salaires, allocations et pensions des juges des cours supérieures, de district et de comté (sauf les cours de vérifica- tion dans la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick) et des cours de l'Amirauté, lorsque les juges de ces dernières sont alors salariés, seront fixés et payés par le parlement du Canada.
Le premier argument soumis par le demandeur veut que le terme «peut» au paragraphe 23(1) de la
8 S.R.C. 1952, c. 158, art. 35. Une nouvelle Loi d'interpréta- tion est entrée en vigueur le 1" septembre 1967: S.C. 1967-68, c. 7. Les définitions de cette nouvelle Loi étaient à toutes fins utiles identiques à celles que je cite.
Loi sur les juges veut dire «doit». Le début de l'article se lirait donc comme suit:
23. (1) Le gouverneur en conseil doit accorder ... àun juge ...
Cet argument est fondé sur la théorie de l'indépen- dance du pouvoir judiciaire, l'Act of Settlement adopté en Angleterre en 1701, une loi anglaise de 1760 (23 Geo. III) et l'article 100 de l'A.A.N.B. L'Act of Settlement prévoit que les traitements des juges doivent être [TRADUCTION] «établis et fixés». En fait, la Loi de 1760 déclare que ces traitements doivent être payés aussi longtemps que le mandat du juge est en vigueur. Au Canada, l'article 100 de l'A.A.N.B. prévoit que les salaires, allocations et pensions «... seront fixés et payés par le parlement du Canada» (j'ai moi-même mis en italiques). Dans la constitution du Canada, il est question non seulement de salaires et d'allocations mais égale- ment de pensions.
Dans une excellente étude intitulée: The Inde pendence of the Judiciary 9 , le professeur W. R. Lederman fait un historique lucide de l'indépen- dance du pouvoir judiciaire en Angleterre et au Canada. Je réfère également à Judges on Trial de Shetreet (une étude de la nomination et de la responsabilité des juges en Angleterre). 10
Dans l'arrêt Toronto Corporation c. York Corporation", le lord Atkin, prononçant le juge- ment au nom du Conseil privé, déclare:
[TRADUCTION] Le premier point touche une question de première importance pour la population du Canada. Alors que le pouvoir de légiférer relativement à la création, le maintien et l'organisation de tribunaux de juridiction civile pour la pro vince, y compris la procédure en matière civile est attribuée aux provinces, l'indépendance des juges est protégée par les disposi tions qui prévoient que les juges des cours supérieures, de district et de comté seront nommés par le gouverneur général (art. 96 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867), que les juges des cours supérieures resteront en charge durant bonne conduite (art. 99), et que les salaires des juges des cours supérieures, de district et de comté seront fixés et payés par le Parlement du Canada (art. 100). Ce sont les trois principaux piliers du temple de la justice et ils ne doivent pas être sapés. Le Municipal Board of Ontario est-il donc une cour supérieure ou un tribunal similaire? S'il l'est, dans la mesure la Loi
9 (1956) 34 R. du B. Can. 769, suite à la p. 1139.
10 Shetreet, Judges on Trial, 1976, North -Holland Publish ing Co., surtout aux pp. 2 à 15.
" [1938] A.C. 415, aux pp. 425 et 426. Voir également O. Martineau and Sons, Ltd. c. City of Montreal [1932] A.C. 113, aux pp. 120 et 121 (C.P.).
constitutive de 1932 n'observe aucune des dispositions des articles ci-dessus mentionnés, il faut conclure à l'invalidité de sa constitution.
Je suis d'accord avec l'avocat du demandeur qu'à l'article 23 de la Loi sur les juges, «peut» veut dire «doit». Autrement, la théorie reconnue de l'indépendance du pouvoir judiciaire ne serait pas respectée; pour ce qui concerne leur intention et leur effet, les dispositions pertinentes de l'A.A.N.B. seraient affaiblies sinon contredites.
Je prends pour exemple les alinéas 23(1)a) et d). Les exigences qui y sont prévues se rapportent uniquement aux années de service et à l'âge; rien d'autre. Je suis d'avis que lorsqu'un juge satisfait aux conditions de l'un ou l'autre de ces alinéas, le gouverneur en conseil n'a plus de pouvoir discré- tionnaire quant à savoir si une pension doit être accordée. Il faut l'accorder. S'il en était autre- ment, on peut imaginer la situation, bien que ce soit improbable qu'elle se présente, l'exécutif pourrait avoir tendance à influencer les décisions d'un juge dans certains domaines, ou dans l'exer- cice de ses fonctions: l'exécutif ou un de ses mem- bres pourrait, par exemple, lui laisser entendre qu'à sa retraite, les pensions visées aux alinéas 23(1)a) ou d) pourraient être retenues ou diminuées.
On ne peut dire qu'il ne soit jamais arrivé que l'exécutif ait été tenté de s'immiscer, même sans motif malhonnête, dans l'exercice de fonctions judiciaires. On peut trouver un exemple récent dans un rapport publié par le juge d'appel Seaton de la Cour d'appel de la Colombie-Britannique, siégeant à titre de commissaire dans le cadre d'une enquête. ' 2 Le commissaire enquêtait sur une allé- gation faite par un juge de la Cour provinciale de la Colombie-Britannique que son indépendance en tant que juge avait été entravée. Le commissaire conclut que la conduite d'un membre de l'exécutif (le sous-procureur général) avait été répréhensible. Dans un langage clair et persuasif, le commissaire passe en revue l'histoire et l'importance de l'indé- pendance du pouvoir judiciaire et de chaque juge en particulier. Son application de la théorie de
12 Report of the Honourable P. D. Seaton, Commissioner: A Commission of Inquiry Pursuant to Order in Council (B.C.) No. 1885. Le rapport est daté du 23 octobre 1979. Il fut publié assez longtemps après l'audition des débats en l'espèce.
droit constitutionnel au cas sur lequel il faisait enquête constitue une illustration ferme et d'actua- lité que ce n'est pas qu'en théorie qu'il faut respec- ter les garanties constitutionnelles.
J'applique aux alinéas 23(1)b) et e) le même raisonnement que pour les alinéas a) et d). Pour ce qui concerne l'alinéa b), si un juge résigne sa fonction (censément avant d'avoir atteint l'âge minimum de la retraite) et si le gouverneur en conseil est d'avis que la démission contribue à la meilleure administration de la justice ou est dans l'intérêt national, la pension doit être accordée. Mais le gouverneur en conseil doit examiner chaque cas en particulier et les circonstances de l'espèce. Il lui faut arriver à une conclusion, dans un sens ou dans l'autre, quant à savoir si la démission satisfait aux conditions prévues. Selon moi, le gouverneur en conseil ne peut reporter sa conclusion à plus tard ou refuser de conclure.
De même pour l'alinéa 23(1)c): le gouverneur en conseil doit décider, dans le cas d'un juge qui résigne sa fonction et qui ne satisfait pas aux conditions des alinéas a) ou d), si ce juge est «atteint de quelque infirmité permanente l'empê- chant d'accomplir utilement les devoirs de sa charge». Il appartient au gouvernement en conseil de prendre la décision: le gouverneur général, agis- sant sur l'avis ou sur l'avis et du consentement, ou de concert avec «... [le] Conseil privé». Encore une fois, la décision quant à savoir s'il existe une infirmité permanente ne peut, à mon avis, être remise indéfiniment. Et, selon moi, le gouverneur en conseil ne peut refuser de prendre une décision.
Revenons aux faits de l'espèce.
Dans une lettre datée du 7 juin 1967, le deman- deur présentait sa démission devant entrer en vigueur le 30 juin. Je cite de nouveau le second paragraphe de sa lettre de démission:
[TRADUCTION] Après cinq pénibles années et sept enquêtes, ma santé et ma fortune sont dans un mauvais état. Je ne peux continuer. De toute façon mon utilité en tant que juge a été réduite à néant par la publicité et le harcèlement dont j'ai fait l'objet lors de ces procédures.
Le 23 juin il présentait une «... requête et une demande de pension fondée sur mon infirmité permanente.»
Dans l'interrogatoire préalable d'un témoin pré- senté comme un fonctionnaire et cité par la défen-
deresse, il a été déclaré qu'aucun décret du conseil n'avait été pris pour accorder ou refuser la demande de pension du demandeur. La procédure ordinaire relative à l'exercice des pouvoirs prévus à l'article 23 de la Loi sur les juges est expliquée comme suit (pièce 49):
[TRADUCTION] Question 6:
Veuillez m'indiquer les mesures qui sont normalement prises par le gouverneur en conseil relativement à l'exercice du pou- voir prévu à l'article 23 de la Loi sur les juges.
Réponse:
Normalement, lorsqu'un juge est sur le point de prendre sa retraite, le ministre de la Justice fait au gouverneur en conseil une recommandation qu'une pension lui soit ou ne lui soit pas accordée en vertu de l'article 23 de la Loi sur les juges. Cette recommandation est étudiée soit à une réunion du comité spécial du conseil (le comité du Cabinet qui s'occupe ordinaire- ment des règlements et autres projets de décrets du conseil) ou, dans certains cas, à une réunion du Cabinet. La décision des ministres est rédigée sous forme de décret qui est présenté au gouverneur général pour sa signature et ensuite publié comme décret du conseil.
Question 9:
Y a-t-il une différence entre un comité du Cabinet et le Cabinet lui-même?
Réponse:
Oui. On utilise le système des comités du Cabinet de façon continue depuis la deuxième guerre mondiale. Les délibérations d'un comité particulier sont orientées vers un domaine précis du processus gouvernemental. Les comités peuvent recommander des mesures au Cabinet. Ils peuvent également prendre des décisions qui sont ensuite soumises au Cabinet pour confirma tion, avec ou sans modifications, ou pour toute autre mesure dont peut décider le Cabinet. Nulle recommandation ou déci- sion d'un comité du Cabinet ne prend effet avant d'être confir- mée ou modifiée par le Cabinet ou avant qu'il ne prenne quelque autre mesure à cet égard.
En l'espèce, la défenderesse a choisi de ne pro- duire aucune preuve.
La pièce 48 consiste en une liste des membres dont était formé le Cabinet au moment de la démission du demandeur. Elle énumère ceux qui sont vivants et ceux qui sont décédés. Vingt-quatre sont encore vivants.
Le seul élément de preuve qui m'est présenté et à partir duquel la défenderesse tente de me con- vaincre de conclure que le gouverneur en conseil a examiné et donné suite à la demande de pension, est la lettre de M. Trudeau datée du 5 mars 1968. Je crois qu'il vaut la peine de la citer de nouveau:
[TRADUCTION] Ottawa 4, le 5 mars 1968.
Monsieur Léo A. Landreville,
a/s de MM. Vincent, Choquette, Dehler & Dagenais,
Avocats,
110, rue York,
Ottawa (Ontario).
Monsieur Landreville,
Je vous prie de vous reporter à ma lettre du 14 septembre dernier et à votre lettre du 4 mars concernant votre demande de pension. J'étais sur le point de vous écrire à cet égard lorsque j'ai reçu votre dernière missive.
Mes collègues du Cabinet et moi-même avons étudié très attentivement votre demande et c'est avec regret que je dois vous informer que le gouvernement a décidé, à ce stade-ci, de ne pas prendre les mesures nécessaires pour vous octroyer une pension ou une rente.
Veuillez agréer, cher Monsieur, l'assurance de mes meilleurs sentiments.
P. E. Trudeau.
En réponse à une autre lettre du demandeur (pièce 27), le ministre de la Justice écrivit la lettre suivante que je cite de nouveau (pièce 28):
[TRADUCTION]
Monsieur Landreville,
J'accuse réception de votre lettre datée du 13 mars qui se réfère à la lettre datée du 5 mars que je vous faisais parvenir concernant votre demande de pension ou de rente.
Vous demandez maintenant quand le présent gouvernement prendra les mesures nécessaires pour vous octroyer une pension ou rente. Ma lettre du 5 mars vous faisait savoir que le gouvernement s'était prononcé contre la prise de toute mesure à cet égard. Ce que le présent gouvernement ou un autre gouver- nement fera ou ne fera pas à l'avenir, je ne suis évidemment pas en mesure de vous le dire.
Je regrette de ne pouvoir vous être d'un plus grand secours mais votre lettre du 13 mars soulève une question sur laquelle il vous est inutile de faire des conjectures.
Immédiatement avant et pendant les débats, les avocats et moi-même avons discuté de la pénurie d'éléments de preuve quant à savoir si le gouver- neur en conseil avait ou non examiné et tranché la question. L'avocat de la défenderesse prétendit que je pouvais accepter à titre de preuve un affidavit produit lors d'une requête interlocutoire en l'es- pèce. Il s'agit de l'affidavit de l'honorable C. M. Drury, dont le serment est daté du 27 mai 1976.
La production de l'affidavit se présente comme suit. A l'interrogatoire préalable d'un représentant de la défenderesse, l'avocat du demandeur avait demandé la production de procès-verbaux de réu- nions du Cabinet auxquelles la demande de pen sion du demandeur avait été étudiée. Il avait égale- ment demandé la production de mémoires du
Cabinet et de tous les mémoires internes du bureau du Conseil privé relatifs à la demande de pension.
L'honorable C. M. Drury, ministre du Gouver- nement libéral au pouvoir de 1974 1979, expose les éléments suivants dans son affidavit et dans une annexe y jointe:
(1) Les dates des procès-verbaux du Cabinet se rapportant généralement à l'étude par le Cabi net de l'octroi d'une pension au demandeur.
(2) Les dates de procès-verbaux du cabinet «se rapportant spécifiquement» à la demande for- mulée par le demandeur dans sa lettre du 23 juin 1967.
(3) Les dates de mémoires au Cabinet se rap- portant généralement à la question de l'octroi d'une pension au demandeur.
(4) La date d'un mémoire interne de M. P. M. Pitfield au premier ministre Pearson relative- ment à l'octroi d'une pension au demandeur.
(5) Les dates, inscrites aux registres, des déci- sions du Cabinet.
A remarquer que ce dernier article ne précise pas que les décisions (dont on ne donne que la date) se rapportent à la question de l'octroi d'une pension au demandeur. Je reviendrai plus tard à cette question.
M. Drury a déposé que la production ou la communication de ces documents ou de leur con- tenu «dévoilerait une communication confidentielle du Conseil privé de la Reine pour le Canada». En vertu du paragraphe 41(2) de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2 e Supp.), c. 10, la produc tion et la communication doivent, dans ces cas, être refusées. L'article 41 est ainsi rédigé:
41. (1) Sous réserve des dispositions de toute autre loi et du paragraphe (2), lorsqu'un ministre de la Couronne certifie par affidavit à un tribunal qu'un document fait partie d'une catégo- rie ou contient des renseignements dont on devrait, à cause d'un intérêt public spécifié dans l'affidavit, ne pas exiger la produc tion et la communication, ce tribunal peut examiner le docu ment et ordonner de le produire ou d'en communiquer la teneur aux parties, sous réserve des restrictions ou conditions qu'il juge appropriées, s'il conclut, dans les circonstances de l'espèce, que l'intérêt public dans la bonne administration de la justice l'emporte sur l'intérêt public spécifié dans l'affidavit.
(2) Lorsqu'un ministre de la Couronne certifie par affidavit à un tribunal que la production ou communication d'un docu ment serait préjudiciable aux relations internationales, à la défense ou à la sécurité nationale ou aux relations fédérales-
provinciales, ou dévoilerait une communication confidentielle du Conseil privé de la Reine pour le Canada, le tribunal doit, sans examiner le document, refuser sa production et sa communication.
On fit valoir que cet affidavit devait être consi- déré et reçu comme preuve qu'en fait, le Cabinet avait étudié la question de la pension aux dates indiquées et pris des décisions aux dates indiquées.
Je me suis refusé à considérer cet affidavit comme constituant la preuve de ces faits allégués. Je l'ai fait sur la base de ce que je considérais comme étant des motifs évidents. Premièrement, le demandeur n'a pas eu la possibilité, au procès, de demander un interrogatoire préalable ou un con- tre-interrogatoire. Deuxièmement, l'affidavit ne devient pas élément de preuve à un procès du simple fait qu'il fait partie des dossiers de la Cour. Si la défenderesse avait réellement voulu présenter les éléments de preuve allégués à la Cour, les documents nécessaires, peut-être présentés par un ou des témoins appropriés, auraient être pro- duits. Ce qui, évidemment, aurait voulu dire une renonciation à se prévaloir du droit, prévu par la loi, de réclamer la non-divulgation. Cela aurait probablement donné au demandeur le droit d'exa- miner les documents et de demander un interroga- toire préalable.
Même si l'affidavit était recevable en preuve, il n'aurait pas constitué selon moi une preuve suffi- sante que le Cabinet a étudié et rejeté la possibilité que le demandeur
... [était] atteint de quelque infirmité permanente l'empêchant d'accomplir utilement les devoirs de sa charge ....
L'affidavit a une histoire intéressante et perti- nente. Lorsque le demandeur demanda pour la première fois la production des procès-verbaux, des mémoires et des décisions du Cabinet, l'honorable C. M. Drury répondit par un affidavit antérieur daté du 26 novembre 1975. Il est très court. D'abord M. Drury se reporta à la demande de production de procès-verbaux de réunions du Cabi net auxquelles la demande de pension du deman- deur avait été étudiée. Ensuite il attesta qu'il avait
[TRADUCTION] ... étudié et lu certaines minutes du Cabinet, datées du 17 octobre 1967, du 26 octobre 1967 et du 7 mars l968....
et que leur production ou communication dévoile- rait une communication confidentielle du Conseil privé de la Reine pour le Canada.
Mon collègue le juge Gibson fut saisi de la question de l'affidavit et du refus de communiquer les documents au demandeur. Dans ses motifs écrits datés du 19 décembre 1975, il fait remarquer:
Cependant, l'affidavit n'indique pas si ces minutes touchent à la question mentionnée au paragraphe I de l'affidavit, c'est-à-dire: s'il s'agit odes minutes des réunions du Cabinet pendant lesquel- les la demande de pension du demandeur a été étudiée». L'affidavit n'indique pas non plus s'il existe des minutes se rapportant généralement ou spécifiquement à la demande de pension présentée par le demandeur en vertu des dispositions de l'article 23 de la Loi sur les juges.
Ensuite, il y eut l'affidavit de Drury daté du 27 mai 1976.
J'ai déjà résumé cet affidavit. C'est un docu ment rédigé avec beaucoup de précaution. Les défauts signalés par le juge Gibson y sont corrigés. J'ai énuméré plus haut les cinq catégories de docu ments mentionnées dans le nouvel affidavit. Dans le cas des quatre premiers, soit dans le corps de l'affidavit ou dans l'annexe, soit dans les deux, on dit que les documents se rapportent de façon géné- rale ou spécifique à la demande de pension du demandeur. Mais, à l'article 5, les dates des déci- sions du Cabinet, il n'est nullement déclaré qu'elles se rapportent à la demande de pension du deman- deur. Si l'on considère l'historique de cette ques tion, cette omission n'est ni un accident ni un oubli. On ne peut conclure que ces décisions du Cabinet se rapportent nécessairement à la pension. Elles concernent peut-être le demandeur.
Dernière remarque sur ce point. La lettre du ministre de la Justice au demandeur est datée du 5 mars 1968. A l'article 5 de l'annexe à l'affidavit de Drury, la «trace» la plus rapprochée d'une décision du Cabinet est le 7 mars 1968.
Il me reste donc la correspondance, citée ci-des- sus dans ces trop longs motifs, entre le demandeur et le ministre de la Justice. Le demandeur se fonde en outre sur certaines autres pièces à partir des- quelles on me demande de conclure que le gouver- neur en conseil n'a, ni avant ni après le 5 mars, ni à cette date même, examiné et décidé si le deman- deur était, à compter de la date de l'entrée en
vigueur de sa démission, atteint de quelque infir- mité permanente l'empêchant d'accomplir utile- ment les devoirs de sa charge. L'avocat du deman- deur, comme je l'ai déjà signalé, fait remarquer que la pièce 21 (la lettre de l'honorable Mitchell Sharp), la pièce 24 (la lettre de l'honorable Paul Martin) et la pièce 26 (la lettre de l'honorable Paul T. Hellyer) sont toutes postérieures à la lettre du 5 mars sur laquelle se fonde la défenderesse comme constituant la décision du gouverneur en conseil.
A l'analyse de la lettre du 5 mars 1968, je crois qu'il est juste de conclure que les choses se sont passées comme suit. Le ministre de la Justice de l'époque et ses collègues du Cabinet ont décidé, à compter de ce moment précis, de ne prendre aucune mesure pour accorder ou refuser une pen sion au demandeur. Les mesures nécessaires étaient, selon moi, de décider, d'après la preuve soumise, si le demandeur était atteint d'une infir- mité permanente l'empêchant d'exercer adéquate- ment ses fonctions de juge; d'en aviser le gouver- neur général; ensuite une décision prise par lui, fondée sur cet avis, ou prise conjointement avec le Cabinet, octroyant la pension ou la refusant au motif que le demandeur n'avait pas réussi à prou- ver que les passages pertinents de l'alinéa 23(1)c) s'appliquaient à son cas.
Il s'agit de savoir si le gouverneur en conseil était obligé en droit de prendre ces mesures.
Je crois que «oui». Il y avait une obligation de donner suite à la demande de pension.
Certains principes énoncés dans un bon nombre d'arrêts viennent appuyer ma conclusion. Dans l'arrêt The Labour Relations Board of Saskatche- wan c. La Reine, la Cour suprême du Canada déclare, relativement aux obligations de la com mission des relations de travail: "
[TRADUCTION] La partie de l'art. 5 qui concerne cet aspect de la question est ainsi rédigée:
5. La Commission a le pouvoir de rendre des ordonnances:—
(i) annulant ou modifiant toute ordonnance ou décision du Conseil.
13 [1956] R.C.S. 82, aux pp. 86 et 87. Voir également Drysdale c. The Dominion Coal Co. (1904) 34 R.C.S. 328, aux pp. 336 et 337.
Bien que le texte soit rédigé dans une forme qui comporte autorisation, à mon avis il impose à la commission l'obligation d'exercer ce pouvoir lorsqu'une partie intéressée et ayant le droit de faire la requête le lui en fait la demande (Drysdale c. Dominion Coal Company ((1904) Can. R.C.S. 328): le juge Killam). Les dispositions portant autorisation sont toujours obligatoires lorsqu'elles ont pour objet de reconnaître un droit (Julius c. Lord Bishop of Oxford ((1880) 5 A.C. 214, à la p. 243): le lord Blackburn).
A mon avis, ce principe peut être appliqué au gouverneur en conseil lorsqu'il agit en conformité avec l'article 23 de la Loi sur les juges.
Dans l'arrêt C.P.R. c. La province de l'Alberta 14 , la Commission des transports avait remis à plus tard la décision sur une augmentation du tarif du transport des marchandises pour des motifs que la Cour suprême du Canada a jugés non pertinents. Il fut décidé que la décision de la Commission comportait un refus d'exercer sa com- pétence. Après avoir cité certains passages de la célèbre décision Julius c. Lord Bishop of Oxford'', le juge Kellock dit, à la p. 33:
[TRADUCTION] Selon nous, remettre à plus tard une décision sur une question en invoquant des points qui sont sans rapport avec l'exécution conforme de l'obligation, imposée à la Com mission en vertu de la loi, de statuer par elle-même sur ces questions équivaut en fait à un refus d'exercer ses fonctions. Ce n'est pas une réponse que de dire, comme l'ont fait les intimées, qu'il était toujours loisible aux compagnies de chemins de fer de présenter une nouvelle demande. Face au présent jugement, nul ne peut douter quelle serait la réponse à une telle demande.
D'après la preuve, je conclus que le gouverneur en conseil n'a pas rempli l'obligation qui lui est imposée par l'alinéa 23(1)c) de la Loi sur les juges. Il avait l'obligation de donner suite à la demande du demandeur. Les membres du Conseil privé devaient donner leur avis. Ils devaient dire si d'après eux le demandeur était ou n'était pas atteint d'une infirmité permanente. Si la décision ou l'avis avait été «non», le gouverneur en conseil aurait agir en conséquence, probablement au moyen d'un décret du conseil, et refuser la demande. Si la décision ou la réponse avait été «oui», alors une pension aurait être octroyée.
Mais le gouverneur en conseil n'a pas pris ces mesures. Le ministre de la Justice de l'époque a simplement dit que lui-même et ses collègues du Cabinet avaient étudié la demande du demandeur et que «le gouvernement» avait décidé à ce
14 [1950] R.C.S. 25.
15 (1879-80) 5 App. Cas. 214.
moment-là, de ne pas prendre les «mesures néces- saires». Rien n'indique qu'on ait étudié ou décidé la question de l'«infirmité permanente» et que l'avis approprié ait été donné au gouverneur général. Rien n'indique que la question se soit jamais rendue devant le gouverneur général pour qu'il prenne les mesures appropriées.
Le demandeur a donc le droit à un jugement déclaratoire portant que le gouverneur en conseil doit étudier et décider la question de savoir si le demandeur était, au 30 juin 1967, (la date d'entrée en vigueur de sa démission) atteint d'une infirmité permanente l'empêchant d'accomplir utilement les devoirs de sa charge.
L'avocat du demandeur soumet un autre argu ment à titre subsidiaire. Il prend comme point de départ que «peut» au paragraphe 23(1) doit être interprété uniquement comme donnant une autori- sation; que le gouverneur en conseil a dans tous les cas la discrétion d'accorder ou de ne pas accorder une pension. Il dit qu'en examinant la demande du demandeur, le gouverneur en conseil exerçait une fonction judiciaire ou quasi judiciaire; qu'il y avait l'obligation, prévue par la loi, de décider; qu'il y eut refus d'exercer cette juridiction.
Je me suis déjà dit d'avis que le gouverneur en conseil n'a pas, en l'espèce et tel que requis par l'article 23, examiné et décidé la question à tran- cher. Cette conclusion est fondée sur un «doit» plutôt que sur un «peut». Si l'interprétation cor- recte de l'article 23 est que le gouverneur en conseil a un pouvoir discrétionnaire, la conclusion serait la même, compte tenu des faits de l'espèce.
Les principes qui doivent être appliqués sont énoncés dans l'arrêt Padfield c. Minister of Agri culture, Fisheries and Food. 16 Cet arrêt a été examiné et appliqué par la Cour d'appel de l'Onta- rio dans Re Multi -Malls Inc. c. Minister of Transportation and Communications. 17 Je cite les motifs du juge d'appel Lacourcière aux pages 58 à 60:
[TRADUCTION] Dans l'arrêt Padfield, le titulaire du Depart ment of Agriculture, Fisheries and Food, saisi d'une plainte de n'avoir pas bénéficié d'un traitement égal dans l'application d'un programme de commercialisation du lait, avait refusé de la renvoyer à un comité d'enquête auquel était imposée l'obliga-
16 [1968] A.C. 997.
17 (1977) 14 O.R. (2e) 49.
tion d'étudier de telles plaintes »dans les cas ou le Ministre l'ordonne». La Chambre des Lords, dans un jugement majori- taire accueillant un appel formé contre le jugement de la Cour d'appel, rendit une ordonnance enjoignant au Ministre d'étu- dier la plainte en conformité avec la loi. D'après les divers motifs concordants du jugement majoritaire, il est clair qu'en l'absence de termes exprès, la discrétion attribuée au Ministre ne pouvait être utilisée que pour promouvoir les objets et la politique de la Loi, qui devaient être déterminés conformément aux principes ordinaires d'interprétation, et que la discrétion était donc sujette à examen par les tribunaux comme une question de droit. Le lord Reid résume l'opinion de la majorité en ces termes à la page 1030:
Dans l'argument présenté pour le Ministre, il est implicite qu'il n'y a que deux interprétations possibles de cette disposi tion soit qu'il doive renvoyer chaque plainte au comité, soit qu'il ait une discrétion absolue, dans tous les cas, de refuser de renvoyer la plainte au comité. Je ne crois pas que ce soit correct. Le Parlement a attribuer ce pouvoir discrétionnaire avec l'intention qu'il soit exercé pour promou- voir la politique et les objets de la Loi. La politique et les objets de la Loi doivent être déterminés en interprétant la Loi dans son ensemble et l'interprétation est toujours une ques tion de droit pour la Cour. Dans une affaire semblable, il n'est pas possible de fixer des limites précises et inflexibles, mais si le Ministre, parce qu'il a mal interprété la Loi ou pour toute autre raison, exerce son pouvoir discrétionnaire de façon à contrecarrer la politique ou les objets de la Loi ou à aller à l'encontre de ceux-ci, alors notre droit accuserait une grave lacune si les personnes qui en subissaient des préjudices n'avaient pas droit à la protection de la Cour. Il est donc nécessaire de procéder d'abord à l'interprétation de la Loi.
Et aux pages 1032 et 1033:
On a fait valoir que le Ministre n'est pas tenu de motiver son refus de renvoyer la plainte au comité, que s'il ne donne aucune raison, sa décision ne peut être contestée, et que ce serait malheureux si le fait de donner des motifs devait le mettre dans une situation moins favorable. Mais je ne suis pas d'accord qu'une décision ne puisse être contestée si aucun motif n'est donné. S'il incombe au Ministre de ne pas agir de façon à faire échouer la politique et les objets de la Loi et s'il ressortait de toutes les circonstances de l'espèce que tel a été l'effet du refus du Ministre, alors il me semble que la Cour doit avoir le droit d'agir.
Dans l'arrêt Congreve c. Home Office [1976] 2 W.L.R. 291, le lord Denning, Maître des rôles, prononçant les motifs du jugement unanime de la Cour d'appel, a rendu un jugement déclaratoire portant que la révocation par le Home Office d'une licence de réception du signal de télévision couleur était illé- gale, nulle et de nul effet, et constituait un abus de pouvoir. Il déclare à la page 305:
Nul doute que ces dispositions de la loi donnent au Minis- tre une discrétion quant à la délivrance et la révocation de licences. Mais cette discrétion doit être exercée conformé- ment à la loi, en tenant compte de tous les éléments perti- nents, en omettant ceux qui ne le sont pas et sans arrière-pen- sées. Le Ministre ne doit pas oublier que le propriétaire d'un poste de télévision a un droit de propriété sur ce dernier; et, à titre accessoire, il a le droit de s'en servir pour regarder des images dans sa propre maison, sauf dans la mesure ce droit est interdit ou limité par la loi. L'exercice de ce droit
par les sujets de Sa Majesté ne doit subir aucun retard ni être entravé, si ce n'est en vertu de l'autorité du Parlement. La Loi a attribué au Ministre le pouvoir de délivrer des licences, mais c'est un pouvoir d'une nature très spéciale. Ce pouvoir s'ingère dans la vie privée de l'homme, dans l'intimité de son foyer, cela uniquement pour des motifs d'ordre financier, pour permettre au Ministre de percevoir de l'argent à titre de revenu.
Dans l'affaire Re Doctors Hospital c. Minister of Health'' on avait demandé à la Cour division- naire de la Haute Cour de justice de l'Ontario d'examiner certaines décisions prises par le minis- tre de la Santé et le lieutenant-gouverneur en conseil de révoquer l'approbation de certains hôpi- taux comme hôpitaux publics. La Cour division- naire a appliqué les arrêts Padfield et Multi - Malls. La Cour a conclu qu'il n'y avait en l'espèce aucune distinction entre l'examen du pouvoir dis- crétionnaire du lieutenant-gouverneur en conseil et du pouvoir discrétionnaire d'un ministre. Il est dit à la page 174:
[TRADUCTION] Est-ce que cela changerait quelque chose si, dans l'affaire Multi -Malls, au lieu des mots «le Ministre peut» on trouvait les mots «le lieutenant-gouverneur en conseil peut» ou si, en l'espèce, au lieu des mots «le lieutenant-gouverneur en conseil peut», on trouvait les mots «le Ministre peut». Nous ne le croyons pas. La question est de savoir si le Ministre ou le lieutenant-gouverneur en conseil exerce une prérogative royale qui n'est pas, en soi, susceptible d'examen par les tribunaux, ou si l'acte ou les actes sont accomplis dans l'exercice d'un pouvoir prévu par la loi et partant, susceptibles d'examen par les tribunaux. Dans Border Cities Press Club c. Le procureur général de l'Ontario, [1955] O.R. 14, à la page 19, [1955] I D.L.R. 404, à la page 412, le juge en chef Pickup dit:
En exerçant le pouvoir mentionné, le lieutenant-gouverneur en conseil n'exerce pas, selon moi, une prérogative de la Couronne, mais bien un pouvoir attribué par la loi, pouvoir qui ne peut valablement être exercé qu'en se conformant aux dispositions de la loi qui sont, en droit, des conditions préala- bles à l'exercice d'un tel pouvoir.
Il a déjà été décidé que même s'il est fait de bonne foi et avec les meilleures intentions, un acte qui s'écarte des objets et des buts de la loi en vertu de laquelle un organe de décision agit est répréhensible et susceptible d'examen par les tribunaux.
L'avocat du demandeur a soumis un autre argu ment: si la lettre du 5 mars 1968 peut être considé- rée comme une décision relative à la demande présentée par le demandeur en vertu de l'alinéa 23(1)c), alors le gouverneur en conseil
a) a tenu compte de questions qui n'ont aucun rapport avec la question principale,
18 (1976) 12 O.R. (2») 164.
b) n'a pas statué sur la demande en fonction de la preuve soumise au gouverneur en conseil, ou
c) n'a pas rempli son obligation d'agir avec équité et impartialité.
Je suis d'avis que la preuve est insuffisante pour permettre de conclure en ce sens.
A l'appui de l'alinéa a), le demandeur cite cer- tains passages du Hansard (pièce 11) certains membres de la Chambre se sont fermement oppo- sés à l'octroi d'une pension au demandeur. Il a également fait fond sur la pièce 43, une lettre du président du caucus gouvernemental, datée du 16 juin 1967, adressée au ministre de la Justice. Cette lettre est ainsi rédigée:
[TRADUCTION]
Cher Pierre,
J'espère qu'il ne sera pas décidé d'accorder une pension à l'ex-juge Landreville. A mon avis, une telle décision ne pourrait être justifiée ni sur les plans moral ou politique, ni sur celui du sens commun.
Mes meilleurs voeux.
Cordialement,
Russell C. Honey, député
Durham
L'avocat du demandeur a fait valoir que la <(déci- sion» fut prise dans une atmosphère de tension politique; le gouverneur en conseil était mêlé par des considérations d'ordre politique.
A mon avis, il n'existe pas de preuve suffisante pour permettre de conclure que le gouverneur en conseil a été entraîné ou a été influencé de façon inacceptable par l'opinion d'autres personnes. Il n'existe pas de preuve non plus que le gouverneur en conseil ait tenu compte de questions n'ayant aucun rapport avec l'affaire.
Pour ce qui concerne l'obligation d'équité, on a cité les arrêts Nicholson c. Haldimand-Norfolk Regional Board of Commissioners of Police'» de même que Inuit Tapirisat of Canada c. Léger. 20 On a dit que si d'autres documents ou éléments de preuve ont été soumis au gouverneur en conseil qui, de quelque façon que ce soit, contredisaient la preuve médicale ou autre soumise par le deman-
19 [ 1979] 1 R.C.S. 311.
20 [1979] 1 C.F. 710 (C.A.F.). Cette affaire est en instance devant la Cour suprême du Canada. [Pourvoi accueilli et jugement de la Division de première instance rétabli, le 7 octobre 1980.]
deur, alors le demandeur a le droit d'en prendre connaissance et d'avoir la possibilité d'y répondre. Rien n'indique que tel ait été le cas. Je ne serais pas fondé à conclure que le gouverneur en conseil a tenu compte de faits autres que les documents soumis par le demandeur.
L'argumentation du demandeur quant au point b): les seuls éléments de preuve soumis au gouver- neur en conseil sont les lettres du demandeur du 7 et du 23 juin 1967, les rapports des médecins et les lettres de rappel du demandeur; d'après ces élé- ments de preuve, l'avocat du demandeur prétend que le gouverneur en conseil ne peut vraiment arriver qu'à une seule conclusion: le demandeur était atteint d'une infirmité permanente l'empê- chant d'accomplir ses fonctions; le terme «infirmité permanente» ne doit pas être interprété de façon restrictive; la Cour devrait donc ordonner au gou- verneur en conseil d'octroyer une pension.
Je suis d'accord que les mots clés à l'alinéa 23(1)c) doivent être interprétés de façon assez large. Le mal ne se limite pas à la seule infirmité physique. Il peut comprendre également une infir- mité sur le plan mental ou affectif. Il me semble que, de nos jours, la publicité, les critiques et les commentaires hostiles, qu'ils soient mérités ou non, prouvés ou non, peuvent, de concert avec d'autres problèmes d'ordre physique et affectif qui, en soi, ne sont pas cause d'invalidité de travail, causer chez un juge une infirmité permanente l'empê- chant d'exercer efficacement ses fonctions. Selon cette perspective, un juge pourrait, aux yeux du public, des avocats et des justiciables, être effecti- vement impuissant à exercer utilement ses fonc- tions judiciaires.
Je ne crois pas non plus que l'expression «infir- mité permanente» doive être interprétée comme signifiant une infirmité devant probablement durer pour toujours. Il y a toujours la possibilité, dans des cas semblables, de rémission dramatique ou de nouveaux remèdes.
Ceci dit, je reviens à cette dernière thèse: il devrait être ordonné au gouverneur en conseil d'oc- troyer une pension au demandeur. Je ne peux souscrire à cette thèse. J'ai déjà conclu, d'après la preuve, que le gouverneur en conseil n'avait pas, tel que requis par la Loi, examiné et décidé la question clé—l'infirmité permanente—pour ce qui
concerne la demande du demandeur. Souscrire à la conclusion finale de l'avocat du demandeur équi- vaudrait à dire au gouverneur en conseil de quelle façon trancher la question.
Je rendrai un jugement déclaratoire conforme à ce que j'ai déjà dit.
Ce n'est pas sans hésitation que je suis arrivé à cette conclusion.
J'ai déjà mentionné la pénurie de la preuve quant aux éléments, s'il en est, que le Cabinet a examinés et sur lesquels il a délibéré. J'ai indiqué aux avocats, avant et pendant les débats, que cela me tracassait. J'avais l'impression que tous les éléments n'avaient peut-être pas été dévoilés.
La difficulté vient de ce que le gouvernement au pouvoir en 1975 et 1976 a invoqué les dispositions de l'article 41 de la Loi sur la Cour fédérale relatives à la non-divulgation. Du strict point de vue de la preuve, il n'y avait presque rien, si ce n'est la lettre du 5 mars 1968, qui indiquât que le Cabinet avait étudié la question et décidé quel avis il donnerait. Du point de vue pratique du profane, il semble que le Cabinet ait étudié la question. Mais on a invoqué l'article 41. Ce qui, aux fins du droit dans cette Cour, jetait dès le début un voile de silence sur l'affaire, produisant ainsi un double effet. Les droits normaux du demandeur à titre de citoyen et de justiciable étaient touchés: le droit de savoir ce qui s'était passé. Avait-on donné suite à sa demande en conformité avec la loi? Les droits des citoyens du pays étaient également touchés. Le gouverneur en conseil avait-il, en fait, rempli l'obligation qui, d'après moi, lui incombait? A-t-on pris en considération les lettres du demandeur et les rapports médicaux et a-t-on décidé qu'il n'était pas en fait atteint d'une infirmité permanente l'empêchant d'exercer utilement ses fonctions?
D'après les éléments de preuve qui m'ont été soumis, je ne peux voir pourquoi, relativement à ces questions et à ces droits, il a été jugé nécessaire en l'espèce de se prévaloir des dispositions de la loi relatives à la non-divulgation. Il se peut qu'à cause de l'effet de la voie choisie par les conseillers de la défenderesse relativement à l'article 41 de la Loi sur la Cour fédérale, je commette, de fait, une injustice envers les citoyens de ce pays. Il se peut que j'accorde au demandeur un redressement auquel il n'aurait pas droit si tous les faits étaient connus.
D'autre part, si j'avais décidé de rejeter l'action, j'aurais pu lui faire une injustice.
Mais je dois agir d'après les faits que j'ai devant moi, tels que je les vois. Je dois également agir d'après la Loi, telle que je l'interprète.
Lorsque la présente affaire est arrivée au stade de l'audition et des débats, le gouvernement précé- dent avait été remplacé par un autre. Lorsque j'ai fait part de mes inquiétudes, l'avocat de la défen- deresse, à son crédit, a dit qu'il essaierait de savoir si on s'en tiendrait toujours à la non-divulgation.
L'avocat a dit que ses instructions étaient les suivantes:
[TRADUCTION] M. SCOLLIN: VOTRE HONNEUR, il existe entre l'actuel et le précédent premier ministre d'une convention ou un accord qui est une convention observée au Canada comme dans les autres pays à régime parlementaire.
Le nouveau ministère n'a pas accès aux dossiers des ministres précédents. Dans ces circonstances, après les consultations appropriées, on m'a donné l'instruction d'aviser la Cour que le procureur général du Canada et l'actuel ministre de la Justice n'ayant pas accès à ces dossiers, il n'est en mesure de faire aucun aveu quant à ce que les ministres précédents ont ou n'ont pas fait.
Par la suite j'ai dit que je n'étais pas satisfait de cette position. En l'espèce, le gouvernement de l'époque a cherché refuge derrière une convention non écrite. Mais les droits du demandeur et des citoyens du Canada, comme je l'ai déjà mentionné, sont néanmoins touchés et négligés. Je n'ai pas l'intention de répéter dans ces motifs ce que j'ai dit en réponse aux instructions données à Me Scollin. Le sténographe judiciaire a consigné ces remar- ques au dossier. Je réitère tout ce que j'ai dit.
Je note également que le nouveau gouvernement avait à cette époque déposé devant le Parlement un projet de loi sur l'accès à l'information. Cette loi aurait abrogé l'article 41 de la Loi sur la Cour fédérale. Elle aurait reconnu le droit d'obtenir une décision quant à savoir si les renseignements, les mémoires et les décisions auxquels le demandeur demande l'accès devraient être divulgués. Mais les parrains du nouveau projet de loi ont choisi de s'appuyer sur une convention politique non écrite.
Entre l'audition de l'affaire en l'espèce et la date des présents motifs, un autre gouvernement a été élu. En réponse à une note que je lui envoyais,
l'avocat de la défenderesse m'a avisé qu'aucun autre document ne serait produit.
Le présent gouvernement a selon moi adopté la même attitude que celle adoptée par le gouverne- ment au pouvoir en 1975 et 1976.
Le demandeur a droit au remboursement de ses dépens.
ANNEXE «A»
T-2205-72
Léo A. Landreville (Demandeur)
c.
La Reine (Défenderesse)
Division de première instance, le juge Collier—Ottawa, les 2, 3
et 4 février et 7 avril 1977.
Compétence Enquête d'une commission royale sur les activités du demandeur, ancien juge d'une cour supérieure La nomination d'un commissaire aux fins d'enquêter sur un juge est-elle ultra vires du gouverneur en conseil? Le commissaire a-t-il outrepassé sa compétence? Le deman- deur a-t-il eu la possibilité de se faire entendre relativement aux allégations de mauvaise conduite? Loi sur les enquêtes, S.R.C. 1952, c. 154, art. 2, 3, 13 Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867, art. 92(14), 96, 99(1) Loi sur les juges, S.R.C. 1952, c. 159, art. 31, 33; S.R.C. 1970, c. J-1, art. 31, 32. 32.2.
Le demandeur, qui fut juge de la Cour suprême de l'Ontario
de 1956 1967, a fait l'objet, en 1966, d'une enquête menée par une commission royale sur ses rapports avec Northern Ontario Natural Gas Limited. En 1967 le commissaire a déposé un rapport défavorable et le demandeur a donné sa démission. Il a intenté une action aux fins d'obtenir un jugement déclara- toire portant (1) que la nomination du commissaire est nulle et de nul effet, (2) que le commissaire a perdu sa compétence en outrepassant son mandat, et (3) que le demandeur n'a pas reçu d'avis ou n'a pas eu la possibilité de se faire entendre relative- ment aux allégations de mauvaise conduite, comme l'exige l'article 13 de la Loi sur les enquêtes. Quant au premier point, la défenderesse prétend que la Commission a été valablement constituée, que le demandeur y a consenti et ne peut pas maintenant la contester, et que le demandeur n'a pas attaqué à l'enquête la nomination du commissaire ou sa compétence. Quant au troisième point, la défenderesse soutient que les allégations ou accusations sont énoncées dans le décret du conseil et dans les lettres patentes qui créent la Commission royale; de plus (4) elle invoque un moyen d'equity, le retard indu, et (5) conteste la compétence de la Cour à rendre un jugement déclaratoire au motif qu'il s'agit maintenant d'une question purement théorique.
Arrêt: le demandeur aura un jugement déclaratoire limité à la question de l'article 13, avec dépens.
(1) La procédure de révocation des juges par une adresse conjointe de la Chambre des communes et du Sénat, exposée à l'article 99 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867, n'est pas un code en soi, comme le prétend le demandeur. Le gouverneur en conseil (qu'il convient de distinguer du gouver-
peur général ou du Parlement) peut autoriser une enquête sur la conduite d'un juge d'une cour supérieure. La conduite des juges est une «... question touchant le bon gouvernement du Canada ...» (article 2 de la Loi sur les enquêtes). Cependant, si le gouverneur en conseil n'a pas le pouvoir constitutionnel d'instituer l'enquête, ni le consentement ni la requête ni l'ac- cord du demandeur de ne pas faire opposition à l'enquête ne peuvent remédier à ce défaut.
(2) Le mandat de la Commission est assez large pour englo- ber les parties du rapport et des conclusions que le demandeur conteste. La crédibilité du demandeur était en cause et la manière dont le commissaire a procédé avec la question ne lui a pas fait outrepasser son mandat ni perdre sa compétence.
(3) L'article 13 de la Loi sur les enquêtes porte qu'une personne contre qui est portée une accusation de mauvaise conduite doit en recevoir un avis raisonnable et avoir la possibi- lité de répondre à cette accusation. Le commissaire a conclu que le demandeur s'était rendu coupable d'outrage flagrant devant trois autres tribunaux. Ce point ne fait pas partie du mandat de la Commission et on n'a pas donné au demandeur la possibilité de répondre à ces accusations précises. Le commis- saire ne s'est pas conformé aux exigences de l'article 13. Le commissaire aurait reconvoquer la Commission et donner avis au demandeur de l'«accusation» de mauvaise conduite; ce dernier aurait alors eu la possibilité de citer des témoins et de répondre aux accusations.
(4) Il n'y a aucune raison équitable ou impérative pour invoquer la défense basée sur le retard indu. La défenderesse n'a pas été poussée à altérer sa position.
(5) Le jugement déclaratoire, bien que dénué de tout effet juridique, pourra servir quelque objet utile dans une autre poursuite à laquelle le demandeur est partie; et il sera de notoriété publique que le demandeur n'a pas eu pleine possibi- lité de se faire entendre.
Arrêt appliqué: Crabbe c. Le ministre des Transports [1972] C.F. 863. Arrêts suivis: Landreville c. La Reine [1973] C.F. 1223 et Merricks c. Nott-Bower [1964] 1 All E.R. 717.
ACTION visant à obtenir un jugement déclaratoire. AVOCATS:
G. Henderson, c.r., et Y. A. G. Hynna pour le demandeur. G. Ainslie, c.r., et L. Holland pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Gowling & Henderson, Ottawa, pour le demandeur.
Le sous-procureur général du Canada pour la défende-
resse.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE COLLIER: Le demandeur est un avocat qui exerce actuellement sa profession à Ottawa. En 1933, il a habité Sudbury (Ontario) et y a longuement pratiqué le droit. Pendant plusieurs années, tout en poursuivant ses activités juridiques, il a occupé des fonctions publiques dans la région de Sudbury telles que «... administrateur scolaire, magistrat municipal, membre et président de la commission hydro de Sudbury.» Le 1°' janvier 1955, il est devenu maire de Sudbury.
Pendant son mandat, le conseil municipal a approuvé l'octroi d'une concession à Northern Ontario Natural Gas Limited (nNONG») visant la distribution du gaz naturel à Sudbury par latéraux et canalisations, les principaux appartenant à Trans- Canada Pipeline Company.
Le 13 septembre 1956, il a été nommé juge de la Cour suprême de l'Ontario'. Sa nomination est entrée en vigueur le 10 octobre 1956 et il a été assermenté le 12 octobre 1956.
En février 1957, le demandeur a reçu une lettre d'un courtier de Vancouver, qui contenait des actions de NONG. Je donnerai plus de détails à ce sujet ultérieurement. A ce stade, je me contenterai de mentionner lesdites actions, afin d'indiquer clai- rement ce que le demandeur réclame dans la présente action.
Le 19 janvier 1966, le gouverneur en conseil a nommé commissaire l'honorable Ivan C. Rand, juge retraité de la Cour suprême du Canada, en vertu de la Partie I de la Loi sur les enquêtes'. Son mandat consistait à:
[TRADUCTION] a) faire enquête sur les transactions de M. le juge Léo A. Landreville avec la Northern Ontario Natural Gas Limited ou ses administrateurs, employés ou représentants, ou sur toute autre transaction portant sur les actions de ladite compagnie; et
b) faire savoir si, d'après le commissaire,
(i) les actes posés par M. le juge Landreville à l'occasion de ses transactions constituent une mauvaise conduite de la part d'un juge de la Cour suprême de l'Ontario, ou
(ii) si M. le juge Landreville a démontré par ces transac tions son inaptitude à s'acquitter honorablement de ses fonctions judiciaires. 3
Après 11 jours d'audiences tenues en mars et en avril 1966 dans plusieurs villes du Canada, le commissaire a rédigé un rapport, qui est daté du 11 août 1966, mais n'a été déposé devant la Chambre des communes que le 29 août 1966.
A la fin de 1966, la Chambre des communes et le Sénat ont nommé un comité spécial mixte:
... pour enquêter et faire rapport sur l'opportunité de pré- senter une adresse à Son Excellence la priant de démettre le juge Léo Landreville de sa charge à la Cour suprême d'Onta- rio, en raison des faits, des considérations et des conclusions que signale ou renferme le rapport de l'honorable juge Ivan C. Rand ....
Le comité a tenu 19 séances en février et en mars 1967. Le demandeur a comparu comme témoin à 11 d'entre elles.
Les principales parties du rapport final du comité mixte daté du 13 avril 1967, sont les suivantes:
' La nomination a été effectuée par décret du conseil rendu en vertu de l'article 96 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867. Le demandeur a été nommé membre de la Haute Cour de justice de l'Ontario et membre ex officio de la Cour d'appel de l'Ontario.
2 S.R.C. 1952, c. 154. Les lettres patentes (pièce 28) ont été émises le 2 mars 1966.
3 J'ai cité presque littéralement les termes du mandat, mais je les ai subdivisés pour plus de convenance et de clarté.
2. En conformité de son mandat, le Comité, au cours de dix-neuf (19) séances, s'est attaché à étudier les faits, les considérations et les conclusions contenus dans ledit rapport.
3. Le Comité a invité le juge Landreville à comparaître devant lui comme témoin. Ce dernier a témoigné au cours de onze (1 I) séances du Comité et a répondu aux questions des Membres et du Conseiller juridique du Comité.
4. Dans son rapport, l'honorable juge Ivan C. Rand dit: Il n'est pas question d'inconduite dans l'exercice de fonc- tions judiciaires; l'enquête porte sur la conduite de l'inté- ressé en dehors de ce cadre.
5. Les remarques de l'honorable juge Ivan C. Rand sur le caractère du juge Landreville n'ont pas été considérées comme pertinentes et n'ont donc joué aucun rôle dans la décision du Comité.
6. Après avoir entendu le témoignage du juge Landreville et étudié le rapport de l'honorable juge Ivan C. Rand, le Comité conclut que le juge Landreville s'est révélé incapable d'exercer comme il convient ses fonctions judiciaires et, à son grand regret, recommande qu'il est opportun de présenter une adresse à Son Excellence la priant de démettre le juge Landreville de sa charge à la Cour suprême d'Ontario.
Par lettre du 7 juin 1967, (pièce 35), le demandeur a donné sa démission en tant que juge, qui a été acceptée et est entrée en vigueur le 30 juin.
Pour apprécier ces prétentions et arguments formulés par la défenderesse, il est nécessaire de relater les faits passés et contemporains, qui ont conduit à la nomination du commis- saire.
En 1958, l'Ontario Securities Commission a ordonné une enquête sur le commerce des actions de NONG, depuis sa constitution jusqu'à la date ses unités (une débenture et une action ordinaire) ont été admises pour vente en Ontario soit le 4 juin 1957. Un rapport a été publié le 18 août 1958. A ce moment-là, certains renseignements disponibles en Colombie- Britannique n'avaient pas été encore divulgués. Pour cette raison, il n'a été procédé à aucune enquête sur la personne du demandeur ni sur sa participation dans les actions de NONG. En 1962, à partir de certains renseignements fournis par le procureur général de la Colombie-Britannique, une autre enquête ou peut-être une enquête complémentaire, a été ordonnée.
Il en est ressorti que le 17 janvier 1957, 14,000 actions de NONG ont été attribuées à Convesto, nom interposé utilisé par Continental Investment Corporation Limited (courtiers), de Vancouver. Une enquête effectuée en Colombie-Britannique a révélé que 4,000 de ces actions ont été remises à J. Stewart Smith, ancien surintendant des courtiers en Colombie-Britanni- que, et 10,000 au demandeur.
A tous les moments pertinents, Ralph K. Farris était prési- dent de NONG. Il a témoigné devant l'Ontario Securities Commission en 1958 et en 1962. Le demandeur, lui, a témoigné en 1962 sur la manière dont il avait acquis les 10,000 actions de NONG.
Ralph K. Farris a fait l'objet d'une accusation de parjure, en raison de la déposition qu'il a faite à la Securities Commission sur les transactions d'actions avec la Convesto. Son audition
préalable a eu lieu à la fin de 1963 et au début de 1964. Le demandeur y a fait une déposition.
Farris a été renvoyé pour subir son procès. Celui-ci a eu lieu, en 1964, devant un juge de la Cour suprême et un jury. Une fois de plus, le demandeur a été cité comme témoin et a fait une déposition sur les transactions en question. Farris a été déclaré coupable.
Le 12 juin 1964, le demandeur a écrit à Guy Favreau, ministre de la Justice du Canada. Il l'a informé que depuis 1962, on insinuait à la législature de l'Ontario que NONG et lui-même [TRADUCTION] «... s'étaient rendus coupables de pratiques de corruption.» ll a réclamé une enquête et la nomi nation d'un commissaire spécial; il a ajouté:
[TRADUCTION] Le mandat devrait être large, mais simple, à savoir: y a-t-il eu conflit d'intérêt, vénalité, influence indue ou pratiques de corruption dans l'octroi de la concession de gaz à Sudbury?
Il a ajouté que la seule autre solution serait que le procureur général de l'Ontario dépose une accusation contre lui [TRADUC- TION] «... pour me fournir une occasion semblable» [de prou- ver son innocence].
Le ministre de la Justice a répondu qu'il étudierait la question.
Avant que sa demande aille plus loin, en août 1964, le procureur général de l'Ontario a déposé contre lui une accusa tion portant en substance que lorsqu'il était maire de Sudbury, il a offert ou accepté des actions de NONG en échange de son influence pour l'octroi à NONG d'une concession à Sudbury. Il a aussi porté contre lui une accusation de conspiration avec Farris au même effet. En ce qui concerne l'octroi de conces sions, les maires de Orillia, Gravenhurst et Bracebridge ont fait l'objet d'accusations analogues.
Le demandeur a subi son enquête préliminaire en septembre ou octobre 1964, sous la présidence du magistrat Albert Marck, qui l'a acquitté en déclarant qu'un jury correctement instruit ne pouvait pas le juger coupable. Deux des autres maires ont été acquittés au stade de l'enquête préliminaire, et le troisième renvoyé pour subir son procès. Un jury de cour de comté l'a ensuite acquitté.
Peu après, le procureur général de l'Ontario a publié un communiqué de presse, il déclarait 6 :
[TRADUCTION] Aujourd'hui, le procureur général a annoncé qu'il ne portera pas d'accusation devant un grand jury contre le juge Landreville. Donc, en ce qui concerne son Département, les poursuites contre le juge Landreville sont terminées.
Dans la preuve dont je suis saisi, le fait suivant a consisté en un rapport rédigé par un comité spécial de The Law Society of Upper Canada. En janvier 1965, cette dernière a donc chargé un comité spécial d'examiner les mesures (s'il y a lieu) qu'il conviendrait de prendre [TRADUCTION] «... à la suite de la décision du juge Landreville de continuer à siéger comme juge de la Cour suprême de l'Ontario», et de faire rapport. Le comité spécial a publié son rapport le 17 mars 1965, qui a été adopté en assemblée une dissidence près), le 23 avril 1965. Il contenait ce qu'il appelait un «exposé des faits» et certaines
6 Pièce 169 produite devant la Commission Rand.
«conclusions» sur ces faits. L'une d'elles était: [TRADUCTION] «... sans aucun doute, le magistrat a eu raison de rejeter les accusations portées contre Landreville».
Le rapport continuait en mentionnant certaines [TRADUC- TION] «... questions qui restent inexpliquées et sur lesquelles votre comité peut seulement spéculer». A la suite de ces spécu- lations, le comité a déclaré: [TRADUCTION] «... la déduction suivante ... peut être tirée des questions précédentes qui res- tent sans réponse ... [les questions spéculatives]»:
[TRADUCTION] VOTRE COMITÉ RAPPORTE LA DÉDUCTION SUIVANTE QUI PEUT ÊTRE TIRÉE DES QUESTIONS PRÉCÉ- DENTES QUI RESTENT SANS RÉPONSE:
Le fait que Landreville a eu l'occasion d'acquérir des actions au même prix que les promoteurs de la compagnie et que l'option lui a été accordée immédiatement après l'adop- tion du règlement en troisième lecture et pour aucune raison apparente, et qu'ensuite, sans s'être aucunement prévalu de cette option, il a reçu 7,500 actions franches et quittes de toutes dettes et charges, qu'il a ensuite vendues $117,000, et le fait que Farris, lorsqu'il a été questionné à ce sujet, a délibérément menti, étayent la déduction selon laquelle l'achat des actions de Landreville a été entaché d'indélica- tesse.
Le rapport continue:
[TRADUCTION] VOICI LES OPINIONS ET LES RECOMMANDA- TIONS DE VOTRE COMITÉ:
Les faits relatés ci-dessus sont de notoriété publique et sont, de l'avis de votre comité, incompatibles avec la réputa- tion de probité qu'on exige des juges de Sa Majesté pour administrer la justice dans cette province.
En conséquence, vu les questions restées sans réponse et la déduction qu'il a tirée (et que, selon lui, le public a aussi tiré), VOTRE COMITÉ RECOMMANDE—
]. Que les membres du Conseil de The Law Society of Upper Canada en assemblée déplorent que le juge Landre- ville continue à occuper la charge de juge de Sa Majesté pour la Cour suprême de l'Ontario.
Au vu de la preuve produite devant moi, le demandeur n'était nullement au courant de l'existence de ce comité spécial ni de ses activités. Il n'a jamais été invité à y comparaître ni à répondre aux questions ou spéculations inexpliquées. Une copie du rapport a été envoyée au ministre de la Justice fédéral 7 et une autre au demandeur.
7 Le rapport de la Law Society conclut:
[TRADUCTION] 2. Que le secrétaire de la Society soit autorisé et enjoint d'envoyer immédiatement une copie certi- fiée conforme de ce rapport au ministre de la Justice, au procureur général du Canada, au juge en chef de l'Ontario, au juge en chef de la Haute Cour, au juge Landreville et au procureur général de la province de l'Ontario.
3. Que le trésorier de la Society soit autorisé à communi- quer à la presse des copies de ce rapport lorsqu'il le jugera opportun.
Bien que la preuve produite devant moi ne soit pas claire, le contenu du rapport n'a pas été rendu public à ce moment-là. Le commissaire l'a joint à son rapport en tant qu'«annexe A».»
Le 30 avril 1965, le demandeur a écrit au ministre de la Justice à propos de ce rapport, qui a apparemment donné lieu à la Chambre des communes à quelques questions. Il a aussi écrit au secrétaire de la Law Society. Il s'est plaint que le comité spécial n'ait pas jugé bon de lui donner la parole pour répondre aux questions qu'il a soulevées. Il a souligné qu'au cours des trois années précédentes, il a adressé des demandes réitérées aux autorités fédérales et provinciales pour que [TRADUCTION] «... l'affaire soit étalée au grand jour».
A ce stade, je me permets une digression pour mentionner que le demandeur, en présence des accusations criminelles déposées contre lui, a retenu les services d'un avocat bien connu, Me John J. Robinette, c.r., membre du conseil du barreau. Il n'a pris part ni à l'enquête ni au rapport de la Law Society. Si j'en juge par la preuve, à ce moment-là, le deman- deur recevait encore les conseils de Me Robinette.
Le 7 mai 1965, le demandeur a télégraphié au ministre de la Justice pour retirer sa demande d'enquête. Il a demandé à M. Favreau de n'arrêter aucune ligne de conduite avant d'avoir lu son rapport.
Le 13 mai 1965, il a écrit au Ministre en formulant des commentaires sur le rapport de la Law Society. Il y déclare notamment:
[TRADUCTION] M'attaque-t-on en tant que juge? Et si oui, pour quelle indélicatesse?
De quoi m'accuse-t-on exactement? Je n'ai pas l'intention d'examiner les faits. Comme vous le savez fort bien, j'ai eu plus d'une fois l'occasion, spécialement après mon acquitte- ment, de demander la tenue d'une enquête publique pour me justifier sur tous les points. Je joins sous ce pli une copie de votre lettre et un article de presse. Je pense avoir fait tout ce qui était en mon pouvoir, y compris garder un silence digne face à des cancans non fondés.
Je change maintenant d'attitude pour les raisons suivantes:
a) L'affaire est réputée close depuis six mois. J'ai repris mes fonctions. Le barreau et le public ont fait preuve de leur courtoisie et coopération habituelles.
b) Une enquête serait rouverte pour traiter de faits déjà examinés, qui sont strictement chose jugée. Le procureur général a déjà procédé à cet examen et a fermé ses dossiers.
c) Le rapport de la Law Society, en formulant des observa tions mal fondées, m'est préjudiciable et a un caractère diffamatoire.
Le commissaire déclare à la page 95:
[TRADUCTION] Il paraît superflu de dire que la résolution du conseil de la Law Society of Upper Canada soumise au ministre de la Justice, n'a joué aucun rôle dans les conclusions de fait énoncées dans le présent rapport. Elle a eu pour unique effet que ce conseil de direction a jugé bon de demander la tenue d'une enquête dans une affaire qui, pendant des années, a grandement préoccupé le public. L'à-propos de cette demande émanant d'un organisme, qui a un tel intérêt dans l'administra- tion de la justice, n'a pas été contesté et ne pouvait pas l'être. Une copie de cette résolution est jointe comme annexe A du présent rapport.
d) Même si la décision était des plus favorables, une enquête et les procédures y afférentes avec la publicité qu'elles comportent, nuirait à ma réputation de façon péremptoire et définitive.
e) Mon avocat, J. J. Robinette, c.r., et d'autres personnes m'ont informé qu'un juge ne tombe pas sous le coup de la Loi sur les enquêtes ou de la Loi sur les fonctionnaires publics ou de toute autre loi et qu'une enquête est illégale.
f) J'ai été également informé qu'il serait contraire aux intérêts de la magistrature que je crée un précédent en demandant une enquête ou en m'y soumettant à cause des critiques d'une personne ou d'une association.
Je soutiens à nouveau, Monsieur, que le rapport de la Society ne m'accuse pas de façon spécifique d'une violation sérieuse au droit ou à la morale.
Cela étant, il se pose la question suivante: me paraît-il souhaitable d'engager de nouvelles procédures et publicité pour me justifier aux yeux de gens qui préfèrent les cancans aux faits? Je suis parfaitement libre d'en décider. Pour une personne saine d'esprit, insensible à la publicité, mon passé est pur; cela a été prouvé.
Si vous vous en tenez à votre décision précédente et vous basez à nouveau sur l'opinion de ceux qui connaissent les faits (le magistrat Marck, le juge D. Wells, le procureur général), votre déclaration devant la Chambre après l'exposé des faits suffit à clore l'affaire.
Naturellement, si vous êtes convaincu qu'il existe des motifs probables et raisonnables pour justifier des procédures de mise en accusation, c'est votre devoir d'y recourir. Je devrai y faire face devant les deux Chambres. Sur la base des événe- ments actuels, je n'ai pas l'intention de démissionner. Au cours de ma carrière comme avocat, membre de conseils et de commissions et juge, je me suis conformé aux principes les plus élevés de la morale. Ceux qui me connaissent peuvent en faire foi.
Le 12 juin 1965, le magistrat Marck a écrit à la Law Society, qui lui avait envoyé une copie de son rapport. Il a qualifié celui-ci d'injustice grave. Il a dit qu'il n'existait aucune preuve que le demandeur se soit rendu coupable de corruption. Il a proposé aux membres du conseil de reconsidérer leur rapport et leur a indiqué qu'il était prêt à comparaître devant eux.
Le 18 juin 1965, Robinette a écrit au ministre de la Justice en se référant à la lettre du magistrat. Selon lui, elle fournit la réponse aux spéculations de la Law Society. Il a exprimé l'espoir que, vu les circonstances, le Ministre ne juge- rait pas nécessaire d'instituer une enquête judiciaire et Robinette a déclaré avoir écrit au Ministre en février 1965 pour lui faire part de ses doutes sérieux sur le pouvoir constitutionnel du gouverneur général en conseil d'ordonner une enquête judi- ciaire relative à la conduite d'un juge d'une cour supérieure.
Le 29 juillet 1965, l'honorable Lucien Cardin, devenu minis- tre de la Justice, a envoyé un télégramme au demandeur, dont voici des extraits: [TRADUCTION] «Je ... suis parvenu à la conclusion que, dans votre propre intérêt, ainsi que dans celui de l'administration de la justice, une enquête officielle ... serait souhaitable.» Il l'invitait également à formuler des commentai-
Le 4 août, le demandeur a répondu:
[TRADUCTION] Il convient que vous notiez dans votre dossier qu'à plusieurs reprises j'ai sollicité une enquête, notamment au cours de mes entretiens avec vos deux prédécesseurs: l'honorable Chevrier et l'honorable Favreau.
Toutefois, ce dernier, après avoir examiné son dossier et le jugement du magistrat Marck, a décidé en octobre 1964 que les faits ne justifiaient pas l'ouverture d'une enquête publi- que. Il a fourni à la presse des commentaires dans ce sens. Il ne s'est produit aucun fait nouveau.
Depuis ce moment-là, plusieurs de mes collègues m'ont exposé que le fait pour un juge d'une cour supérieure de consentir à une enquête publique, constituerait un dangereux précédent, surtout lorsqu'il s'agit d'actes antérieurs à sa nomination et sans rapport avec l'exécution de ses fonctions judiciaires. Votre dossier contient aussi une lettre de mon avocat, J. J. Robinette, c.r., à l'honorable Favreau, en date du 22 février 1965. Elle lui expose notre opinion qu'un juge d'une cour supérieure ne tombe pas sous le coup de la Loi sur la Fonction publique, de la Loi sur les fonctionnaires publics, de la Loi sur les enquêtes ni d'aucune autre loi applicable. En droit, un juge d'une cour supérieure n'est responsable que devant les deux Chambres en cas de mise en accusation.
Vous comprendrez volontiers que personne n'est plus inté- ressé que moi à une complète justification. Le dilemme soulève donc ici une question de compétence.
Vous pouvez juger la question suffisamment importante pour la soumettre à la Cour suprême du Canada, afin qu'elle en décide. Je ne consentirai qu'à l'enquête ou au processus qu'elle jugera légaux.
Toutefois, cette question ne vous empêche pas d'engager à tous moments des procédures de mise en accusation si vous jugez que les faits les justifient. A noter que personne ne m'a accusé d'avoir dérogé à l'éthique professionnelle par un acte accompli il y a neuf ans.
Il me semble maintenant que le litige prend un aspect juridique et vu que je serai absent jusqu'à la fin de ce mois, je vous demande d'adresser votre correspondance à Mc J. J. Robinette, c.r., a/s McCarthy and McCarthy, avocats, Canada Life Building, University Ave., Toronto.
Le 18 août, M. Cardin a répondu:
[TRADUCTION] J'ai examiné votre lettre du 4 août avec la plus grande attention, ainsi que les points que vous y faites ressortir. Néanmoins, j'estime que dans les intérêts de l'admi- nistration de la justice, je dois recommander à mes collègues de nommer un commissaire pour mener une enquête et faire rapport au gouvernement.
Selon moi, le point litigieux ne consiste pas à établir s'il y a eu ou non infraction. Comme je l'indiquais dans mon télé- gramme, il est 'tout à fait différent. L'enquête n'aura pas pour objet de réviser la décision du magistrat, mais de s'assurer si, compte tenu des circonstances, il est dans l'inté- rêt de l'administration de la justice que vous continuiez à occuper votre charge actuelle. C'est sur ce point qu'à mon avis il faut obtenir l'opinion d'une personne autorisée, indé- pendante et étrangère.
J'ai donc l'intention d'instituer une enquête.
Le 30 août, M. Cardin et le demandeur se sont rencontrés à Toronto. Il semble qu'ils aient passé toute l'affaire en revue. D'après les notes rédigées par le demandeur (pièce 37), il a dit
au Ministre que M' Robinette et Sedgewick étaient naturel- lement fort opposés à sa décision de tenir une enquête. Il a aussi indiqué en passant qu'il ne répondrait pas à une citation à comparaître émanant d'un commissaire et présenterait une requête pour faire déclarer l'enquête illégale. Le Ministre a soutenu que, selon lui, la Loi sur les enquêtes autorisait une enquête sur la conduite d'un juge.
La discussion n'a pas été concluante. Le Ministre a déclaré que l'affaire n'était pas résolue et que toute décision d'ouvrir une enquête resterait momentanément en suspens.
Il y a alors eu un échange de télégrammes motivé par une intervention de la presse suivant laquelle le rapport de la Law Society était sur le point d'être publié. Le 23 novembre 1965, M. Cardin a adressé un télégramme à Me Robinette, qui déclarait en substance: [TRADUCTION] «... Je ... propose que vous consentiez à la nomination d'un commissaire en vertu de la Loi sur les enquêtes.»
Le 29 novembre, Robinette a répondu. Il a cité de longs passages de sa lettre du 22 février 1965 au prédécesseur de M. Cardin, il déclarait que l'article 2 de la Loi sur les enquêtes n'autorise pas le gouverneur en conseil à instituer une enquête afférente à la conduite d'un juge d'une cour supérieure. En février, il avait énoncé sa position dans les termes suivants:
[TRADUCTION] ... aux termes de notre Constitution, la seule personne qui ait une quelconque compétence pour juger de la conduite d'un juge d'une cour supérieure, c'est le gouverneur général et ce, seulement «sur une adresse du Sénat et de la Chambre des communes», comme le prévoit l'article 99 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique.
Aux pages 3 et 4 de sa lettre de novembre, il déclare:
[TRADUCTION] Mon opinion sur cette question, je le sais, est partagée par d'autres. Je pense qu'il y aurait immixtion dans l'indépendance du judiciaire si le juge Landreville devait consentir à la nomination d'un commissaire en vertu de la Loi sur les enquêtes. En tous cas, un commissaire ainsi nommé aurait ou n'aurait pas compétence et ce n'est pas le consentement du juge Landreville qui pourrait lui donner une compétence qu'il n'a pas. J'ai discuté la question avec le juge Landreville et nous proposons que le gouvernement renvoie l'affaire devant la Cour suprême du Canada pour qu'elle décide si dans une province un juge d'une cour supérieure peut être assujetti à une enquête en vertu de la Loi sur les enquêtes. Il faudra aussi lui demander de se prononcer sur le sens de l'expression «durant bonne conduite», qui figure dans l'article 99 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique. Il y a quelques mois, nous avons laissé entendre à l'honorable Guy Favreau qu'il faut déférer à la Cour suprême du Canada, la question relative au pouvoir du gouvernement de nommer un commissaire en vertu de la Loi sur les enquêtes, pour étudier le statut d'un juge d'une cour supérieure.
En bref, pour les raisons que j'ai mentionnées, le juge Landreville n'est pas disposé à consentir à la nomination d'un commissaire et nous répétons qu'il faut déférer à la Cour suprême du Canada la question du pouvoir du gouvernement de nommer un commissaire en vertu de la Loi sur les enquêtes, ainsi que celle de la portée et du sens à donner à
l'expression «durant bonne conduite», qui figure dans l'article 99 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique.
Le juge Landreville accueillerait volontiers l'occasion d'expo- ser sa position devant une tribune compétente pour trancher la question. Une telle tribune ne serait influencée par aucune considération de convenance politique et respecterait la dignité de sa charge. Il soutient non seulement dans son intérêt, mais aussi dans celui des autres magistrats qu'en vertu de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, la seule personne qui a compétence pour révoquer un juge, c'est le gouverneur général du Canada agissant sur adresse conjointe du Sénat et de la Chambre des communes, comme le prévoit l'article 99 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique.
M. Cardin a répondu le 28 décembre 1965. 11 n'est pas d'accord sur les limites de la Loi sur les enquêtes invoquées par Me Robinette à propos de la conduite des juges des cours supérieures. Selon lui, le demandeur pourrait accepter la com- pétence d'un commissaire. A cet égard, il ajoute: [TRADUC- TION] «Un commissaire n'aurait pas compétence pour rendre un jugement ou une ordonnance. Ses fonctions se borneraient à constater et à rapporter les faits.» Il ne consent pas à déférer la question à la Cour suprême du Canada, comme on le lui a proposé. Il déclare à ce propos:
[TRADUCTION] Il ne fait aucun doute que le Parlement a le droit et le pouvoir d'instituer une enquête sur la conduite d'un juge à la demande d'un membre du Parlement, qu'il appartienne ou non au parti du gouvernement. Si le juge Landreville n'accepte pas une enquête en vertu de la Loi sur les enquêtes, alors il peut s'attendre à une enquête parlemen- taire, qui sera fondée sur une allégation de mauvaise con- duite. J'aurais pensé que le juge aurait préféré une enquête «ouverte» instituée en vertu de la Loi sur les enquêtes, qui ne serait pas fondée sur une allégation de mauvaise conduite, mais simplement destinée à vérifier les faits.
Quant à votre proposition concernant la Cour suprême, puis-je vous faire remarquer qu'on ne demande pas à un tribunal d'interpréter des termes d'un point de vue abstrait. Le plus que l'on pourrait faire, ce serait de déférer un exposé des faits à la Cour et de demander si ces faits sont incompati bles avec des fonctions judiciaires. Toutefois, à mon avis, la première chose à faire serait de vérifier ces faits. Quoi qu'il en soit, je désire faire remarquer que la question litigieuse que vous proposez de porter devant la Cour suprême n'est pas la plus importante dans cette affaire.
Il ne s'agit pas de savoir si le juge a dérogé aux conditions inhérentes à sa charge qui doit être occupée durant bonne conduite, mais si, de l'avis du Parlement, il s'est conduit de façon à le rendre inapte à occuper de hautes fonctions judiciaires. En vertu de l'article 99 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, un juge peut en vérité être révoqué pour «mauvaise conduite», mais le pouvoir de le révoquer sur adresse s'applique à tous les motifs et le Parlement a entière latitude pour rédiger une adresse visant à révoquer un juge pour tout motif qu'il juge à propos, qu'il constitue ou non une mauvaise conduite dans l'exercice de sa charge.
Je peux dire franchement que je ne voudrais pas instituer une enquête en vertu de la Loi sur les enquêtes s'il existait une possibilité quelconque que le juge Landreville essaie de la
faire avorter par un bref de prérogative ou autrement. Toute- fois, si votre client n'accepte pas ce genre d'enquête, il se peut alors fort bien que, sur motion présentée en Chambre, il y en ait une menée par un comité parlementaire. Comme je l'ai déjà indiqué, une telle motion peut émaner de n'importe quel membre du Parlement. J'aurais pensé que le juge préférerait une enquête en vertu de la Loi sur les enquêtes. Toutefois, le choix lui incombe en définitive, et s'il ne désire pas subir ce genre d'enquête, j'estime honnête de dire qu'il peut s'attendre à une enquête instituée par le Parlement.
A la suite de cette correspondance, Robinette serait allé à Ottawa et aurait discuté l'affaire soit avec le Ministre soit avec des fonctionnaires du ministère de la Justice, qui l'auraient informé «grosso modo» du mandat qu'aurait la commission projetée.'
Le 17 janvier 1966, Robinette a envoyé à M. Cardin le télégramme suivant:
[TRADUCTION] Le juge Landreville m'a prié de demander au gouvernement en son nom de nommer un commissaire en vertu de la Loi sur les enquêtes pour enquêter sur ses relations avec Northern Ontario Natural Gas Company, ses dirigeants et ses employés.
Ici, je souligne que le télégramme ressemble fortement au premier mandat du commissaire Rand. Il ne se réfère à aucun autre mandat. Deux jours plus tard, le destinataire du télé- gramme en a accusé réception.
Le Ministre a alors fait une déclaration à la Chambre. Le 24 janvier 1966, le demandeur lui a écrit une lettre en français, que je reproduis textuellement:
Je vous suis redevable pour la déclaration faite en Chambre la semaine dernière. J'avais compris de M. Robinette que vous deviez déclarer que cette enquête se faisait à ma demande. En plus, il a vous dire que cette procédure a pour but de vous saisir des faits. Les conclusions ou recom- mandations n'auront pas force de décision finale, puisque nous prétendons toujours que le Parlement et le Sénat ont seuls juridiction et décideront si la nécessité s'impose.
La procédure est donc sous toute réserve et sans créer un «précédent», car certains de mes collègues ne prisent pas la chose que «Inquiry Act» s'applique.
Le commissaire a alors été nommé et ses lettres patentes émises.
Du point de vue de la procédure, je n'ai pas besoin mainte- nant de statuer sur les autres prétentions de la défenderesse qui touchent à ce point litigieux, à savoir: que le demandeur a consenti à cette enquête; qu'aucune objection d'ordre «constitu- tionnel» n'a été soulevée à aucun moment. Toutefois, j'estime préférable d'exprimer mon opinion.
Il est vrai que l'enquête a été ordonnée à la requête du demandeur. Mais, au vu de la preuve produite devant moi, je conclus qu'il a fait l'objet de fortes pressions. On ne peut pas ne pas tenir compte de la situation politique du Canada à l'époque considérée. Il est légitime de prendre judiciairement connais- sance des faits de l'histoire. Dans Calder c. Le Procureur
9 Q. 253-254 de l'interrogatoire préalable du demandeur.
Général de la Colombie-Britannique, le juge Hall, en pronon- çant le jugement dissident, qui a été aussi celui du juge Spence et du juge Laskin [tel était alors son titre], déclare 17 :
L'examen des questions en litige comporte l'étude des nombreux documents historiques et textes législatifs versés au dossier, particulièrement les pièces 8 à 18 inclusivement et les pièces 25 à 35. La Cour peut prendre judiciairement connaissance des faits historiques, tant passés que contempo- rains: Monarch Steamship Co. Ltd. v. A/B Karlshamms Oljefabriker [[1949] A.C. 196], p. 234; elle a le droit de se fonder sur ses propres connaissances historiques ainsi que sur les recherches qu'elle a faites à cet égard: Read v. Lincoln [[I892] A.C. 644], Lord Halsbury, pp. 652-4.
Le jugement des juges Martland, Judson et Ritchie a été prononcé par le juge Judson. Il ne se réfère pas en particulier au pouvoir imparti à un tribunal de prendre judiciairement connaissance des faits historiques, mais il ressort clairement de leurs motifs que tous les trois ont aussi recouru à l'histoire.
Le demandeur a accédé à une certaine notoriété en 1962. Cette année-là, après des élections générales, le parti progres- siste conservateur est revenu au pouvoir, mais sous une forme minoritaire. Les élections suivantes qui ont eu lieu en 1963 ont amené un gouvernement libéral minoritaire, qui a persisté jusqu'en 1968. Pendant cette période, un certain nombre de questions ont apparu et ont causé des difficultés au gouverne- ment minoritaire. 18 Le demandeur s'était déclaré précédem- ment prêt à lancer des attaques juridiques contre toute commis sion royale susceptible d'être créée. Je pense que la situation aurait été embarrassante si elle s'était matérialisée. L'autre moyen dont disposait le gouvernement minoritaire et que le demandeur ne pouvait pas contester, consistait à essayer d'obte- nir du Parlement, une adresse conjointe. Le choix du deman- deur, si on peut parler ainsi, n'a jamais été réel ni libre.
Avant son télégramme du 17 janvier 1966 (pièce 23), Mc Robinette a exprimé son opinion sur la question constitution- nelle, et déclaré qu'un consentement du demandeur ne pourrait pas valider quelque chose de nul sur le plan constitutionnel. Dans sa lettre du 24 janvier 1966 à M. Cardin (pièce 25), le demandeur a souligné que la procédure était sous «toute réserve».
Ni à l'ouverture ni à aucun autre stade de l'enquête, il n'y a eu d'opposition d'ordre constitutionnel. L'avocat de la défende- resse a invoqué ce fait. Je pense que l'explication se trouve aux pages 1254 et 1255 de la transcription des procédures. Le témoignage du demandeur avait alors été complété. Me Robi- nette a voulu présenter ses preuves indiquant que longtemps avant, le demandeur s'était efforcé d'obtenir une enquête publi- que sa position serait étalée au grand jour. Il a demandé une ordonnance. Le commissaire a fait remarquer qu'elle serait de peu d'importance (page 1233), mais il les a néanmoins enten- dues. A la page 1254, le commissaire a demandé fortuitement: [TRADUCTION] «A-t-on déjà formulé des oppositions à la nomi nation d'un commissaire en vertu de la Loi sur les enquêtes?» [sic]. Robinette a expliqué la position juridique qu'il a prise avec M. Favreau. Aux pages 1254 et 1255, il continue ainsi:
17 [1973] R.C.S. 313, à la p. 346.
18 L'affaire Munsinger, l'affaire Spencer, l'enquête Dorion— pour n'en nommer que quelques-unes.
[TRADUCTION] J'ai toujours de sérieux doutes sur le pouvoir imparti au Dominion d'habiliter un commissaire à enquêter, mais il s'agit réellement d'une question de constitution, d'organisation et de maintien des tribunaux d'un point de vue provincial et donc, dans les limites de la juridiction de cette province, mais je dois ajouter, Monsieur, que lorsque cette commission a été créée, à la demande de M. Landreville, j'ai convenu avec l'actuel ministre de la Justice de ne soulever devant vous aucun argument d'ordre constitutionnel, et je n'en soulèverai donc pas.
A mon sens, si le gouverneur en conseil n'a pas le pouvoir constitutionnel d'instituer cette enquête, ni le consentement ni la requête ni l'accord du demandeur de ne pas faire opposition ne peuvent remédier à ce défaut.
Je passe maintenant au deuxième argument important pré- senté par le demandeur. Il convient d'abord d'énoncer plus en détails les faits qui ont entouré les transactions intervenues entre NONG et le demandeur. A cette fin, je me référerai presque exclusivement aux éléments de preuve contenus dans le rapport du commissaire.
En 1954 et 1955, le parcours du pipe-line de TransCanada PipeLine Company et la distribution de gaz aux diverses locali- tés du nord de l'Ontario sont devenus un sujet d'intérêt et même de préoccupation. Il a paru préférable qu'une seule compagnie, ou une seule agence, procède à cette distribution. NONG a été constituée dans cette optique. Elle s'est heurtée à une forte concurrence et a déployé des efforts considérables pour obtenir des concessions dans plusieurs localités, dont Sudbury.
Comme je l'ai déjà dit, en 1955 et 1956, le demandeur était maire de cette ville. NONG, principalement par l'entremise de Farris, a présenté des demandes en vue d'obtenir la concession de Sudbury. Au cours de ces transactions, le demandeur et Farris, après une certaine froideur, en sont venus à s'apprécier mutuellement. Vers le printemps de 1956, la plupart des autres concessions ont été accordées. Sudbury a commencé à prendre des mesures. La concession devait être approuvée par voie de règlement municipal. Un règlement a été adopté en première et en deuxième lecture le 22 mai 1956. Il restait la troisième lecture, l'approbation des termes de la concession et un certifi- cat de convenance et d'utilité délivré par l'Ontario Fuel Board, qui en l'occurrence était une pure formalité.
Le 17 juillet 1956, le conseil par un vote de 7 à 3 a adopté le règlement en troisième lecture. Le demandeur, comme c'est la coutume, n'a pas voté. Le jour suivant, la ville a signé l'accord conférant la concession. Il a été renvoyé le 20 juillet signé par NONG. A une date ultérieure, la Fuel Board a émis le certificat requis. Le demandeur pensait que l'approbation du conseil datait du 21 juin.
Le demandeur a témoigné devant la Commission qu'au cours d'une conversation amicale avec Farris, il lui avait fait remar- quer que son mandat de maire prenait fin en 1956. Il l'a aussi informé qu'il serait intéressé à fournir des services juridiques à NONG et désireux d'acheter quelques-unes de ses actions". Devant la Commission, la date de cette conversation a revêtu une importance particulière. Le demandeur a déclaré au com-
19 J'ai résumé cette déposition. Le commissaire, lui, l'a exposée en détail.
missaire Rand qu'il devait s'agir du 17 juillet 1956 au soir, après la réunion du conseil le règlement a été adopté en troisième lecture. Dans ses dépositions au cours des précédentes procédures (l'Ontario Securities Commission, l'enquête prélimi- naire et le procès de Farris), il pensait que ladite conversation se situait pendant les deux premières semaines de juillet. La Commission a opposé au demandeur cette première preuve, vague, sinon contradictoire.
En tout cas, le 20 juillet 1956, NONG a envoyé au deman- deur une lettre, qui se référait entre autres, à l'intérêt que celui-ci avait manifesté pour fournir une aide juridique à la compagnie et à son désir d'acheter des actions. Elle ajoutait qu'il s'était produit un changement dans le capital de la compa- gnie, les actions ayant été scindées à cinq pour une. Les actionnaires avaient reçu le droit de souscrire un nombre limité d'actions à $2.50 pièce.
[TRADUCTION] En même temps, il a été résolu de vous offrir 10,000 actions à ce prix de $2.50 pièce. Cette offre demeure valable jusqu'au 18 juillet 1957. Si vous voulez les acheter en plusieurs fois, nous sommes d'accord.
Le 30 juillet 1956, le demandeur a répondu:
[TRADUCTION] J'apprécie à leur juste titre les avantages de votre offre et j'ai l'intention d'exercer cette option avant le 18 juillet 1957.
Le 19 septembre 1956, le demandeur a écrit à Farris la lettre suivante:
[TRADUCTION] M. Ralph K. Farris, président,
Northern Ontario Natural Gas Co. Ltd.
44, rue King W, suite 2308
TORONTO (Ontario)
Mon cher Ralph,
Le mardi matin qui a suivi notre rencontre à North Bay, j'ai eu un entretien avec le ministre de la Justice et plusieurs autres hauts fonctionnaires. J'ai pris la décision d'accepter.
Après le dilemme que m'a posé l'extraction de mon appen- dice et celui de rester célibataire et heureux ou de me marier, celui-là a été le pire! J'ai pensé que d'ici trois ou quatre ans, avec mon ambition, je vous aurais arraché de la présidence de votre compagnie. Or, j'ai choisi maintenant d'être mis au rancart de tout cela et de faire partie de la classe inspirante [sic], inaccessible et grave qui est celle des juges. Quelle décision! Toutefois, que j'aie eu tort ou raison, je m'y accro- cherai et ferai de mon mieux.
Je veux vous assurer que, malgré l'éloignement, mon inté- rêt pour votre compagnie restera vivace. Je garde soigneuse- ment votre lettre du 20 juillet dans mes dossiers. 20
Bien à vous,
LAL/Img Léo
Ultérieurement, pendant l'automne 1956, quelque temps après que le demandeur eut été assermenté, Farris lui a demandé s'il voulait toujours les actions et il lui a répondu que oui.
Le demandeur n'a pris aucune initiative jusqu'en 1957. Il a dit qu'il avait reçu un coup de téléphone de quelqu'un au sujet
20 C'est le commissaire Rand qui a souligné.
des actions l'informant en substance qu'elles étaient alors négo- ciées pour environ $10.00 et qu'il avait fallu vendre 2,500 d'entre elles pour liquider le prix global des 10,000. Cela veut dire, bien entendu, que le demandeur n'a jamais réellement payé le montant. Le commissaire a examiné longuement la preuve afférente à l'identité de la personne, qui a téléphoné au demandeur. Celui-ci a toujours nié catégoriquement lors des précédentes procédures et devant la Commission qu'il se soit agi de Farris. Le commissaire a décidé que c'était lui.
Le 12 février 1957, la firme de courtiers Continental Invest ment Corporation Ltd. a écrit au demandeur ce qui suit:
[TRADUCTION] Vancouver (C.-B.)
12 février 1957
Monsieur le juge L. A. Landreville
Osgoode Hall
Toronto (Ontario)
Cher monsieur,
Il y a quelque temps, M. R. K. Farris nous a prié d'acheter pour votre compte 10,000 actions de Northern Ontario Natu ral Gas Company Limited à $2.50 pièce. Nous avons à cette date vendu 2,500 actions pour votre compte, à $10.00 l'ac- tion, ce qui liquide votre solde débiteur.
Vous trouverez ci-joint 7,500 actions de Northern Ontario Natural Gas Company Limited, que nous vous demandons de signer et de retourner à ce bureau à votre convenance.
Bien à vous,
Continental Investment Corporation Ltd.
JM/AH John McGraw
Le 16 février 1957, le demandeur a répondu par la lettre
suivante:
[TRADUCTION] Osgoode Hall
Toronto 1
16 février 1957
Continental Investment Corporation
Vancouver (C.-B.)
Messieurs,
Objet: Northern Ontario Natural Gas Co.
J'ai bien reçu votre lettre du 12, ainsi que les certificats d'actions qui y étaient joints et vous en remercie. J'inclus un reçu.
Si je peux contribuer au développement et à la promotion de votre firme en Ontario, ne manquez pas de me le faire savoir.
Bien à vous,
L. A. Landreville
Le demandeur a ensuite vendu 7,500 actions par liasses d'une
importance variable et a réalisé un profit de $117,000.
Je passe maintenant au rapport du commissaire.
Dans les 68 premières pages, il examine l'aménagement du pipe-line, l'implication de la ville de Sudbury et du demandeur, ainsi que les relations de ce dernier avec NONG. A ce sujet et à propos des actions reçues par le demandeur, il épluche en détail ses dépositions au cours des trois procédures précédentes et
celle qu'il a faite devant la Commission.
Le commissaire qualifie lesdites actions de cadeau. Il n'ac- cepte pas la prétention selon laquelle la correspondance du 20 et du 30 juillet 1956 équivaut à une option, sinon juridiquement exécutable, tout au moins moralement exécutable. Je cite les pages 68 et 69 de son rapport:
[TRADUCTION] A la suite de la distribution de 14,000 actions, des poursuites ont été engagées contre les maires de quatre municipalités, qui ont octroyé des concessions: Sud- bury, Orillia, Gravenhurst et Bracebridge. Les chefs d'accu- sation ont été les mêmes en substance, à savoir que les actions de NONG que les maires ont reçues ont été négociées vénalement et que chacun d'eux, contre la promesse d'une récompense, a utilisé son influence pour aider NONG à obtenir une concession dans sa municipalité. Pour trois d'en- tre eux, l'information a été rejetée pour insuffisance de preuve justifiant le renvoi de l'accusé pour subir son procès; dans le quatrième cas, celui d'Orillia, l'accusé a été acquitté au cours d'un procès devant une cour de comté avec jury. Après quoi, le procureur général a publié une déclaration suivant laquelle, vu les circonstances, il ne présenterait aucun acte d'accusation devant un grand jury dans les trois cas de rejet.
L'article 92 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique confère à la province une compétence exclusive sur l'adminis- tration de la justice dans la province. Il s'agit ici de cours provinciales, bien que les juges des cours suprêmes et des cours de comté soient nommés par le gouvernement fédéral. Une accusation de cette nature portée contre un juge de la Cour suprême de l'Ontario devient, de toute évidence, un sujet d'intérêt primordial pour la province; et dans le cas du juge Landreville, les poursuites ont été engagées pour défen- dre l'intérêt général du gouvernement municipal, l'applica- tion du droit criminel et aussi des questions d'ordre provin cial. Cette action formelle des autorités provinciales, qui ont formulé des conclusions basées sur l'examen des circons- tances, crée une situation que la Commission doit en toute déférence reconnaître. Je veux dire par qu'on ne trouvera pas de contrat vénal entre Farris et le juge Landreville les actions soient négociées contre de l'influence. La présomption provient de la non-existence d'un tel accord. Il s'agit en l'occurrence d'un état d'esprit. Les faits extérieurs sont expo- sés devant nous, mais l'accord des parties y afférent est occulte. Il sied que cette commission parte du principe que les faits divulgués ne répondent pas aux exigences de notre droit criminel que cet accord des parties, au-delà d'un doute raisonnable, a un caractère vénal.
Cela nous conduit d'abord à tirer de ces faits extérieurs une conclusion compatible avec cette hypothèse; et, deuxiè- mement, à examiner si les actes qui ont pris place en rapport avec ces faits, ont violé une loi ou une norme de conduite qu'un juge de la Cour suprême d'une province doit observer.
Face à ces considérations, les relations personnelles pren- nent de l'importance.
Dans les pages suivantes, le commissaire relate des faits personnels qui se rapportent au demandeur et sont antérieurs à ces premiers rapports avec Farris. J'estime équitable d'observer
qu'il ne paraît pas les avoir consignés en toute objectivité. A titre purement d'exemple, je cite ces deux phrases:
[TRADUCTION] Il est très émotif et peut se montrer fort expansif; il est fasciné par l'éclat du succès et le confort matériel. Sa conception de la vie se traduit par une résidence au Mexique et un manoir à quelques milles de Sudbury.
Si j'en juge par ma lecture, le commissaire base sa deuxième et sa troisième conclusion sur le reste du rapport jusqu'à la page 98.
L'avocat du demandeur prétend que le commissaire, en enquêtant sur les faits énoncés aux pages 69 98, a exprimé des opinions et formulé des observations qui ont outrepassé son mandat. Il a donc outrepassé ou perdu sa compétence, et le demandeur a droit à un jugement déclaratoire.
A ce stade, pour que je puisse apprécier pleinement cette prétention du demandeur, il me faut énoncer les conclusions formelles du commissaire. Elles se trouvent aux pages 107 et 108:
[TRADUCTION] En me basant sur les faits et les considéra- tions qui précèdent, j'en arrive aux conclusions suivantes: I—Les transactions entre le juge Landreville et Ralph K. Farris, qui ont consisté en l'achat de 7,500 actions de North ern Ontario Natural Gas Company, Limited, achat pour lequel aucun motif valable n'a été fourni, en dépit des résultats de l'enquête préliminaire relative aux accusations formulées contre le juge Landreville, donnent légitimement lieu à un grave soupçon de mauvaise conduite. Dans cette situation, le soussigné est d'avis que le juge Landreville avait l'obligation de dissiper ce soupçon et de prouver son inno cence de façon satisfaisante, ce qu'il n'a pas fait.
II—Au cours de l'enquête subséquente afférente aux transac tions devant la Securities Commission of Ontario, en 1962, et les conclusions directes ou incidentes auxquelles elles ont donné lieu lors des procédures de parjure engagées en 1963 et 1964 contre Ralph K. Farris, le juge Landreville a été témoin de la Couronne, la conduite du demandeur lors de ses dépositions a constitué un outrage flagrant à ces tribunaux et une dérogation sérieuse à ses obligations personnelles de juge de la Cour suprême de l'Ontario, qui l'empêchent en perma nence de remplir utilement ses fonctions de juge.
III—A fortiori, la conduite du juge Landreville, depuis que la demande de concession relative à la fourniture de gaz naturel à la ville de Sudbury a abouti au printemps de 1956 jusqu'à l'achèvement de la transaction en février 1957, et y compris les procédures de 1962, 1963 et 1964 mentionnées, considérées comme une seule action et dont les conclusions traînent derrière elles comme un arrière-goût de scandale qui a apparu dès le début de l'opération et s'est matérialisé alors qu'il était juge de la Cour suprême de l'Ontario, ont attiré sur lui le fardeau de prouver son innocence de façon satisfai- sante (ce qu'il n'a pas fait), a constitué un manquement tant à son devoir de fonctionnaire public qu'à ses obligations personnelles de juge, une violation des normes de conduite qui s'imposent à lui en cette qualité, qui l'empêchent en permanence de remplir utilement ses fonctions de juge.
Sur les trois points, le juge Landreville s'est montré inapte à exercer correctement ses fonctions judiciaires.
Je pense que le fait d'examiner ou d'exposer les questions
contestées, qui figurent dans les pages 69 98, ou bien les commentaires et opinions du commissaire, n'apportera rien de
plus. Il ne m'appartient pas de décider si les dépositions ou les documents auxquels le commissaire se réfère pour cet aspect de la cause étaient pertinents, convaincants ou dignes de con- fiance. Il ne m'appartient pas non plus de décider si les commentaires du commissaire sur la personnalité et la crédibi- lité du demandeur sont justifiés ou valables. Les opinions peuvent fort bien différer. Mon seul souci consiste à décider si le genre d'observations formulées dans les conclusions II et III entrent raisonnablement dans les limites du mandat défini par les lettres patentes.
A mon avis, les termes du paragraphe b)(ii) du mandat ont un sens assez large pour englober les parties du rapport et des conclusions que le demandeur conteste. Les voici:
[TRADUCTION] b) de faire savoir si, d'après le commissaire: (ii) M. le juge Landreville a démontré par ces transactions [avec NONG, ses employés et ses actions] son inaptitude à s'acquitter honorablement de ses fonctions judiciaires.
Selon moi, la crédibilité du demandeur était en cause. Dans la conclusion I1, le commissaire a décidé que la conduite du demandeur lors de sa déposition devant la Securities Commis sion et au cours des procédures engagées contre Farris, a constitué un outrage flagrant aux tribunaux concernés. Il est vrai qu'il n'avait alors devant les yeux que la transcription des dépositions du demandeur et non pas celle des dépositions des autres témoins. Néanmoins, j'estime que cette question de crédibilité entre dans le cadre du mandat. La querelle porte en fait sur la manière de procéder du commissaire et sur les faits et les points qu'il a choisi d'invoquer. Je ne pense pas que ladite manière de procéder en l'occurrence ait outrepassé son mandat et lui ait fait perdre sa compétence.
Je passe maintenant au dernier argument important présenté au nom du demandeur.
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