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T-6041-79
Hugh Wagner en son nom propre et au nom de certains membres du syndicat Grain Services Union (C.L.C.) et le syndicat Grain Services Union (C.L.C.) (Demandeurs)
c.
Manitoba Pool Elevators Ltd. (Défenderesse)
Division de première instance, le juge suppléant Grant—Winnipeg, 20 décembre 1979 et 23 février 1980.
Compétence Relations du travail Brefs de prérogative Injonction La défenderesse a modifié unilatéralement le statut de certains membres du syndicat demandeur et les a élevés au niveau de direction, ce qui les soustrait à l'unité de négociation Les demandeurs ont déposé un grief auprès de la défenderesse, qui l'a rejeté Les demandeurs ont saisi le Conseil canadien des relations du travail, en même temps qu'ils ont demandé à la Cour de décerner des injonctions provisoires La convention collective prévoit l'arbitrage en cas d'interprétation divergente Il échet d'examiner si la Cour a compétence pour entendre la requête Requête rejetée pour défaut de compétence Code canadien du travail, S.R.C. 1970, c. L-1, modifié par S.C. 1972, c. 18, art. 155 Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10, art. 23.
Requête en injonctions provisoires visant à empêcher la défenderesse de continuer à procéder illégalement aux change- ments techniques et à la modification unilatérale des conditions d'emploi de certains membres du syndicat demandeur, en atten dant que le Conseil canadien des relations du travail instruit les divers recours dont il a été saisi. La défenderesse décida de réorganiser quinze de ses silos-élévateurs régionaux les plus grands en centres de service. Par suite de cette réorganisation, chaque centre de service devait avoir un directeur, lequel devait faire l'objet d'un contrat de travail expressément passé avec la défenderesse, ferait partie de ses cadres de direction et échappe- rait ainsi au champ d'application de la convention collective. Auparavant, chaque élévateur était dirigé par un gérant, membre de l'unité de négociation et du syndicat demandeur. La défenderesse a informé le syndicat des changements envisagés, mais ne les a pas négociés avec ce dernier. Le syndicat, faisant valoir que les changements envisagés ne sauraient être valable- ment institués sans négociation collective avec son comité de négociation, a déposé un grief que la défenderesse a rejeté. Par la suite, le syndicat a saisi le Conseil canadien des relations du travail d'une plainte de pratiques déloyales de travail, et lui a demandé de rendre une ordonnance pour obliger la défende- resse à se conformer aux dispositions du Code canadien du travail ou, subsidiairement, une ordonnance pour autoriser le syndicat à signifier à la défenderesse un avis d'ouverture de négociations collectives. Subséquemment les demandeurs ont introduit cette requête, et il échet d'examiner si la Cour fédé- rale du Canada a compétence pour l'entendre. La convention collective prévoit l'arbitrage en cas d'interprétation divergente ou de plainte de violation.
Arrêt: la requête est rejetée. En l'espèce, nulle disposition de la Loi sur la Cour fédérale ne confère expressément compé-
tence à sa Division de première instance. Le seul article de la Loi qui lui donne compétence pour décerner des injonctions est l'article 18 mais, puisque Manitoba Pool Elevators Ltd. n'est ni un office ni une commission ni un tribunal fédéral, l'article 18 ne s'applique pas en l'espèce. Il ressort d'une abondante juris prudence que l'interprétation correcte de l'article 23 consiste à reconnaître à la Division de première instance une compétence concurrente avec les juridictions provinciales tant entre sujets que dans les affaires la Couronne est en cause lorsque le recours est fondé sur une loi du Parlement et, si le litige porte sur l'un des domaines visés, que ce recours soit fondé ou non sur une loi du Parlement. Puisque c'est le Code canadien du travail qui donne à la convention collective son effet légal et que ce Code est une loi du Parlement, on peut dire que tous les chefs de demande sont fondés sur une loi du Parlement. La Cour n'a pas compétence pour statuer sur la requête, vu la dernière phrase de l'article 23 qui exclut la compétence de la Division de première instance dans les cas «où cette compétence a par ailleurs fait l'objet d'une attribution spéciale», comme en l'es- pèce la convention collective prévoit l'arbitrage en cas de différend entre les parties à propos du sens ou de plainte de violation, sans parler de la compétence du Conseil canadien des relations du travail qui a été considérablement élargie par S.C. 1977-78, c. 27.
Distinction faite avec l'arrêt: Okanagan Helicopters Ltd. c. Canadien Pacifique Liée [1974] 1 C.F. 465. Arrêts appli- qués: Canadien Pacifique Ltée c. Travailleurs unis des transports [1979] 1 C.F. 609; McKinlay Transport Ltd. c. Goodman [1979] 1 C.F. 760.
REQUÊTE. AVOCATS:
Gwen Randall pour les demandeurs.
Walter L. Ritchie, c.r. et William D. Hamil-
ton pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Goldenberg, Taylor, Randall, Buckwold & Halstead, Saskatoon, pour les demandeurs. Thompson, Dorfman, Sweatman, Winnipeg, pour la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE SUPPLÉANT SMITH: Il s'agit en l'es- pèce d'une requête en injonctions provisoires visant à empêcher la défenderesse:
[TRADUCTION] a) de continuer à procéder illégalement aux changements techniques en attendant que le Conseil cana- dien des relations du travail instruit une demande déposée par le syndicat demandeur en application des articles 150 à 154 du Code canadien du travail, S.R.C., c. L-1,
b) de continuer à procéder illégalement à la modification unilatérale des conditions d'emploi de certains membres du syndicat demandeur en attendant que le Conseil canadien des
relations du travail instruit une plainte de pratiques déloyales de travail, fondée par ce syndicat sur les articles 136(1)a), 184(1)a), 184(3)b), 184(3)e) et 186 du Code canadien du travail,
c) de continuer à procéder illégalement aux changements techniques et à la modification unilatérale des conditions d'emploi de certains membres du syndicat en attendant que le Conseil canadien des relations du travail instruit une demande déposée par le syndicat en application des articles 110(1) et 121 du Code canadien du travail,
d) subsidiairement, de continuer à procéder à la modifica tion unilatérale des conditions d'emploi de certains membres du syndicat en attendant l'audition d'un grief déposé par k syndicat et par un employé en vertu de la convention collec tive en vigueur entre les parties.
Il ressort de cette requête qu'elle était précédée de quatre recours distincts des demandeurs, dont trois devant le Conseil canadien des relations du travail, le quatrième étant un grief fondé sur la convention collective. Voici les faits qui ont motivé ces recours tout comme la requête en l'espèce.
Pendant l'été 1979, la défenderesse a décidé de réorganiser ses silos-élévateurs régionaux les plus grands en «centres de service». Pour avoir droit à la nouvelle désignation, un silo-élévateur doit justifier d'un volume annuel de 1,250,000 unités d'achat de grain (boisseaux) et de vente de fournitures agrico- les ($1 = 1 unité), ces dernières devant compter pour 350,000 unités au moins. Quinze silos-éléva- teurs régionaux de la défenderesse remplissaient ces conditions.
Chaque centre de service devait avoir à sa tête un directeur, assisté d'un adjoint. Auparavant, chaque élévateur était dirigé par un gérant, membre de l'unité de négociation et du syndicat demandeur. D'après le projet de réorganisation, le directeur de centre de service devait faire l'objet d'un contrat de travail expressément passé avec la défenderesse. Ses fonctions seraient modifiées et étendues à plusieurs égards. Par exemple, il devait être habilité à engager son adjoint. La défende- resse prétend que par suite de cette réorganisation, il fera partie des cadres de direction et échappera ainsi au champ d'application de la convention col lective. En conséquence, la défenderesse n'a ni négocié ni discuté avec le syndicat les changements qu'elle se proposait de réaliser. Elle en a toutefois
informé M. Garth Stephenson, président du syndi- cat, par lettre du 26 juillet 1979 et du 17 septem- bre 1979.
La lettre en date du 17 septembre (pièce «C» jointe à l'affidavit de Hugh Wagner) expose dans les grandes lignes les conditions requises pour
qu'un silo-élévateur ait le statut de centre de ser vice, nomme les 15 silos-élévateurs jugés confor-
mes à cet égard et, dans les paragraphes ci-des- sous, décrit les postes de «directeur de centre de service» et de «directeur adjoint»:
[TRADUCTION] Les chefs de ces centres rempliront des fonc- tions nouvellement créées. Ils auront pour titre «directeur de centre de service» et relèveront directement du directeur régio- nal. Le poste sera contractuel et exclu du champ d'application de la convention collective. Les gérants d'élévateur actuels auront une priorité d'emploi à cet égard.
Chaque centre de service aura un directeur adjoint. Puisqu'il s'agit d'un nouveau poste qui sera placé sous le régime de la convention collective, il est entendu que les conditions d'emploi en seront négociées avec le Grain Services Union. Les direc- teurs adjoints rempliront les fonctions qu'assumaient les gérants d'élévateur avant la création des centres de service. Vous trouverez ci-jointe une description de poste de directeur adjoint de silo-élévateur.
Dans ma lettre du 26 juillet, j'ai indiqué que nous sommes prêts à négocier toutes les questions qui appellent la négociation par suite de ces changements. Comme nous nous proposons d'appli- quer ces changements à compter du 1°' novembre 1979, il est souhaitable de négocier avant cette date le traitement des directeurs adjoints. En conséquence, je demande que M. Doull et M. Wagner prennent les dispositions nécessaires pour que les comités de négociation se réunissent à cette fin.
Le 17 septembre 1979 ou vers cette date, la défenderesse a convoqué les gérants des 15 silos- élévateurs dont s'agit à une réunion fixée au 20 septembre pour leur annoncer les effets que la réorganisation aurait sur leurs postes. Le même jour, le syndicat demandeur a écrit au directeur général de la défenderesse (pièce «D» jointe à l'affidavit de Wagner) pour s'opposer à ce que cette dernière procède aux changements envisagés sans que le syndicat [TRADUCTION] «soit invité à discuter de tous les changements envisagés dans la rémunération et dans les conditions de travail» de ces 15 hommes. Il est manifeste qu'aux yeux du syndicat, les changements envisagés ne sauraient être valablement institués sans négociation collec tive avec son comité de négociation.
Par cette lettre, le syndicat a demandé l'annula- tion de la réunion projetée sans la présence de son comité de négociation.
La réunion fixée au 20 septembre a bien eu lieu à cette date avec la participation des 15 gérants, mais il n'y avait aucun représentant du comité de négociation du syndicat. La défenderesse y a pré- senté à chacun des 15 gérants une formule de contrat appelée «contrat de travail de directeur» et les a priés de lui faire connaître leur acceptation le 12 octobre 1979 au plus tard.
Le 8 octobre, le syndicat a écrit au directeur général de la défenderesse (pièce «E» jointe à l'affidavit de Wagner) pour lui faire part de sa position comme suit:
[TRADUCTION] En application de l'article 136(1)a) du Code canadien du travail, notre syndicat est seul habilité à négocier collectivement au nom des 15 gérants de silo-élévateur régional qui assistaient à la réunion du 20 septembre 1979.
Nous vous informons par la présente que le syndicat, en vertu des pouvoirs exclusifs qu'il tient du Code canadien du travail, rejette le «CONTRAT DE TRAVAIL DE DIRECTEUR». Il VOLIS somme aussi de cesser immédiatement toute tentative de négo- cier individuellement avec les gérants de silo-élévateur régional susmentionnés.
Le 9 octobre, Garth Stephenson et le syndicat ont déposé un grief pour violation de la convention collective. Le 23 octobre, la défenderesse a rejeté ce grief au motif que les sujets de plainte ne constituaient pas un grief prévu par la convention collective en vigueur. (Voir la pièce «M» jointe à l'affidavit de Wagner.)
Le 15 octobre 1979, le directeur général de la défenderesse a répondu à la lettre en date du 8 octobre du syndicat. (Voir la pièce «G» jointe à l'affidavit de Wagner.) La position de la défende- resse se dégage du deuxième paragraphe de cette réponse:
[TRADUCTION] Les lettres que j'ai adressées le 26 juillet et le 17 septembre à M. Garth Stephenson, président du syndicat, et dont copie vous a été envoyée, indiquent clairement les inten tions de la compagnie quant à la création de centres de service dans 15 localités du Manitoba. La réunion du 20 septembre des gérants n'avait rien à voir avec la convention collective du point de vue des relations du travail, mais avait pour objet de leur exposer les plans de réorganisation de la compagnie dans ces localités et aussi de leur offrir l'occasion de poser en priorité leur candidature aux nouveaux postes de directeur de centre de service.
Le 24 octobre 1979, le syndicat demandeur a saisi le Conseil canadien des relations du travail
d'une plainte de pratiques déloyales de travail (voir la pièce «I» jointe à l'affidavit de Wagner).
Le 30 octobre 1979, le syndicat demandeur a demandé au Conseil canadien des relations du travail de rendre une ou plusieurs ordonnances prévues à l'article 121 du Code canadien du tra vail, S.R.C. 1970, c. L-1 tel que modifié par S.C. 1912, c. 18, pour obliger la défenderesse à se conformer aux dispositions des articles 110(1), 136(1)a) et 154 du Code ou, subsidiairement, une ordonnance prévue à l'article 152(1) du Code pour autoriser le syndicat à signifier à la défenderesse un avis d'ouverture de négociations collectives.
Le 5 novembre 1979, Hugh Wagner, en son nom propre et au nom de certains membres du syndicat, a poursuivi la défenderesse devant la Division de première instance de la Cour de céans, essentielle- ment sous les mêmes chefs que dans les actions déjà engagées.
Le 7 décembre 1979, le Conseil canadien des relations du travail, en réponse à un télex du syndicat en date du 6 décembre 1979, a informé les parties, également par télex, qu'il prendrait connaissance des questions opposant le syndicat et la défenderesse pour décider s'il y avait lieu à audition et, le cas échéant, pour en fixer la date et le lieu.
Le message télex n'indiquait pas à quelle date le Conseil se réunirait à cette fin.
Les demandeurs ont alors introduit la requête en instance, laquelle a été entendue le 20 décembre 1979.
L'avocat de la défenderesse a présenté une argu mentation solide pour contester la compétence de la Cour en la matière. Il a d'abord invoqué le fait universellement admis que la Cour fédérale du Canada est une cour établie par la loi écrite. Cc,itrairement donc aux cours de common law et d'equity d'Angleterre, aux cours supérieures des provinces canadiennes (sauf peut-être du Québec), elle n'a pas de compétence intrinsèque, mais tient sa compétence entièrement des lois écrites, en par- ticulier la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10. Il a cité à l'appui de son argu ment les motifs des jugements suivants: Okanagan Helicopters Ltd. c. Canadien Pacifique Limitée
[1974] 1 C.F. 465, jugement rendu par le juge Mahoney de la Division de première instance de la Cour de céans. Canadien Pacifique Liée c. Tra- vailleurs unis des transports [1979] 1 C.F. 609, jugement de la Cour d'appel fédérale. McKinlay Transport Limited c. Goodman [1979] 1 C.F. 760, jugement rendu par le juge en chef adjoint Thur - low (tel était alors son titre) de la Division de première instance de la Cour de céans.
Dans l'affaire Okanagan Helicopters, il s'agis- sait de dommages-intérêts réclamés à la suite d'avaries causées par la locomotive d'un train de marchandises de la défenderesse en heurtant le rotor de l'hélicoptère de la demanderesse. Au moment de la collision, l'hélicoptère se trouvait au sol, le long de la voie ferrée sur laquelle le train roulait. Le rotor de l'hélicoptère tournait en vue du décollage. Le savant juge a conclu que la Cour était compétente en vertu de l'article 23 de la Loi sur la Cour fédérale, que voici:
23. La Division de première instance a compétence concur- rente en première instance, tant entre sujets qu'autrement, dans tous les cas une demande de redressement est faite en vertu d'une loi du Parlement du Canada ou autrement, en matière ... d'aéronautique ....
Il a conclu que dans cet article, le mot «aéronau- tique» embrassait tout le secteur de l'aéronautique et que les faits de la cause la qualifiaient indénia- blement pour le domaine de «l'aéronautique» au sens de cet article. Celui-ci conférait donc expres- sément compétence à la Division de première ins tance de la Cour.
En l'espèce, nulle disposition de la Loi sur la Cour fédérale ne confère expressément à sa Divi sion de première instance compétence pour décer- ner des injonctions en matière de griefs, de plaintes de pratiques déloyales de travail, ou d'interpréta- tion, d'application ou de violation d'une convention collective. En fait, le seul article de la Loi qui lui donne compétence pour décerner des injonctions est l'article 18, aux termes duquel la Division de première instance a compétence exclusive en pre- mière instance pour émettre une injonction, un bref de certiorari, un bref de prohibition, un bref de mandamus ou un bref de quo warranto (brefs extraordinaires) contre tout office, toute commis sion ou tout autre tribunal fédéral. L'article 18 ne s'applique pas en l'espèce puisque Manitoba Pool Elevators Ltd. n'est ni un office ni une commission ni un tribunal fédéral.
L'article 23 de la Loi sur la Cour fédérale requiert un examen plus approfondi. A cette fin, je le reproduis intégralement ci-après:
23. La Division de première instance a compétence concur- rente en première instance, tant entre sujets qu'autrement, dans tous les cas une demande de redressement est faite en vertu d'une loi du Parlement du Canada ou autrement, en matière de lettres de change et billets à ordre lorsque la Couronne est partie aux procédures, d'aéronautique ou d'ouvrages et entre- prises reliant une province à une autre ou s'étendant au-delà des limites d'une province, sauf dans la mesure cette compé- tence a par ailleurs fait l'objet d'une attribution spéciale.
Pris isolément, le sens de cet article n'est pas clair. Il peut s'interpréter comme s'appliquant uni- quement aux domaines visés: lettres de change et billets à ordre lorsque la Couronne est partie aux procédures, aéronautique ou ouvrages et entrepri- ses reliant une province à une autre ou s'étendant au-delà des limites d'une province. Selon cette interprétation, la Cour n'a compétence que dans ces domaines, non seulement dans les affaires la Couronne ou un organisme de l'État est en cause, mais aussi entre sujets, que le recours soit fondé sur une loi du Parlement ou sur une autre base juridique. A mon avis, une telle interprétation serait assez logique. Il ressort toutefois d'une abon- dante jurisprudence que l'interprétation correcte de cet article consiste à reconnaître à la Division de première instance une compétence concurrente avec les juridictions provinciales tant entre sujets que dans les affaires la Couronne est en cause lorsque le recours est fondé sur une loi du Parle- ment et, si le litige porte sur l'un des domaines visés, que ce recours soit fondé ou non sur une loi du Parlement. C'est la signification que je dégage de cette jurisprudence.
Les nombreuses actions intentées par les deman- deurs, dont aucune n'avait progressé sensiblement à la date de l'audition de cette requête, sont toutes fondées sur la convention collective passée entre le syndicat et la défenderesse, sur les droits que le syndicat et ses membres, employés de la défende- resse, tiennent du Code canadien du travail, ou encore sur la violation de ces droits, autant de matières que ne prévoit pas l'article 23. Toutefois, puisque c'est le Code canadien du travail qui donne à la convention collective son effet légal et
que ce Code est une loi du Parlement, on peut dire que tous les chefs de demande sont fondés sur une loi du Parlement.
Nonobstant les deux paragraphes précédents, j'estime que la Cour n'a pas compétence pour statuer sur cette requête. Mon avis se fonde sur la dernière phrase de l'article en cause, ainsi que sur la compétence beaucoup plus étendue que le chapi- tre 27 des Statuts du Canada de 1977-78 donne au Conseil canadien des relations du travail. Voici encore une fois la dernière phrase de l'article 23 de la Loi sur la Cour fédérale:
... sauf dans la mesure cette compétence a par ailleurs fait l'objet d'une attribution spéciale.
A titre de précédents, je me réfère aux deux arrêts Canadien Pacifique Liée c. Travailleurs unis des transports et McKinlay Transport Lim ited c. Goodman tous deux cités plus haut. Comme indiqué, le premier a été rendu par la Cour d'appel fédérale et le second par le juge en chef adjoint Thurlow (tel était alors son titre), de la Division de première instance de cette Cour. L'arrêt McKinlay a été rendu quatre mois après l'autre,
Dans Canadien Pacifique Liée (précité), le juge- ment unanime de la Cour d'appel fédérale a été rendu par le juge Ryan, qui s'est prononcé en ces termes à la page 619:
Je suis d'avis qu'aux fins de l'article 23 de la Loi sur la Cour fédérale, les réclamations faites dans la présente action l'ont été en vertu d'une loi du Parlement du Canada parce qu'elles ont été intentées relativement à des conventions collectives tirant leur caractère juridique du Code canadien du travail. L'action relève aussi d'une loi du Canada, à savoir ledit Code.
Cette conclusion s'applique également en l'es- pèce.
La question que le juge Ryan avait à trancher est précisément celle dont je suis saisi, savoir si la compétence de la Division de première instance est exclue par la clause d'arbitrage en dernier ressort. Dans cette affaire, la clause d'arbitrage prévoyait que la décision de l'arbitre était définitive. De même, dans cette affaire comme en l'espèce, les termes de l'article 155 du Code canadien du tra vail méritaient considération. A l'époque de l'arrêt
Canadien Pacifique, le paragraphe (1) de l'article 155 était formulé comme il l'est aujourd'hui, comme suit:
155. (1) Toute convention collective doit contenir une clause de règlement définitif, sans arrêt de travail, par voie d'arbitrage ou autrement, de tous les conflits surgissant, à propos de l'interprétation, du champ d'application, de l'application ou de la présumée violation de la convention collective, entre les parties à la convention ou les employés liés par elle.
En revanche, le paragraphe (2) est maintenant bien plus impératif qu'à l'époque, il portait:
155... .
(2) Lorsqu'une convention collective ne contient pas de clause de règlement définitif ainsi que l'exige le paragraphe (I), le Conseil doit, par ordonnance, sur demande de l'une des parties à la convention collective, établir une telle clause, et celle-ci est censée être une disposition de la convention collec tive et lier les parties à la convention collective ainsi que tous les employés liés par celle-ci.
A propos des effets de l'article 155, le juge Ryan a conclu en ces termes à la page 626:
L'article 155 établit un mode de règlement définitif, sans arrêt du travail, pour tout litige survenu en vertu des conven tions collectives. Toute convention doit contenir une disposition relative au règlement définitif des conflits des genres spécifiés au paragraphe (1). Les parties à la convention sont ainsi tenues de prévoir des dispositions pour un règlement définitif par arbitrage ou par quelque autre moyen, faute de quoi (peut-être par suite du défaut, commis de bonne foi, de choisir une méthode), la Commission elle-même prendra ces dispositions à la demande de l'une des parties, et lesdites dispositions seront parties intégrantes des conventions collectives. C'est dans ce contexte qu'il faut déterminer l'effet du dernier membre de phrase de l'article 23 de la Loi sur la Cour fédérale. A mon avis, le choix fait dans ce cas par les parties, à savoir l'arbitrage comme moyen de règlement définitif, constitue une attribution spéciale de compétence pour déterminer les litiges soulevés dans la présente action.
Il est clair que l'acceptation, par les parties, de l'arbitrage comme moyen de règlement définitif était le motif qui a amené le juge Ryan à conclure à l'exclusion de la compétence de la Division de première instance.
En l'espèce, la convention collective prévoit ce qui suit à l'article 7:01:
[TRADUCTION] En cas de différend survenant entre les parties à propos du sens ou d'une plainte de violation de la présente convention, différend que les parties sont incapables de régler elles-mêmes, l'affaire peut être soumise à un conseil d'arbitrage
Bien que les termes employés soient «peut être soumise», je pense qu'il faut les lire comme s'ils étaient «sera soumise à un conseil d'arbitrage» parce que cet article ne prévoit aucun autre mode de règlement. En tout cas, le paragraphe (2) de l'article 155 actuellement en vigueur du Code canadien du travail prévoit expressément qu'il faut recourir à l'arbitrage. Le voici:
155. .. .
(2) Lorsqu'un conflit surgit entre les parties à une conven tion collective et que
a) la convention collective ne contient pas de clause de règlement définitif du conflit ainsi que l'exige le paragraphe (1), ou
b) la convention collective contient une clause de règlement définitif du conflit par un conseil d'arbitrage et que l'une ou l'autre des parties néglige de nommer un des membres du conseil en conformité de la convention collective,
le conflit doit, nonobstant toute disposition de la convention collective, être soumis par les parties, pour règlement définitif,
c) à un arbitre choisi par les parties, ou
d) lorsque les parties ne peuvent s'entendre sur le choix d'un arbitre et que l'une ou l'autre d'entre elles demande par écrit au Ministre d'en nommer un, à l'arbitre ainsi nommé après l'enquête que, le cas échéant, le Ministre juge nécessaire.
En l'espèce, le syndicat a déposé un grief et donné ensuite à la défenderesse le nom de son représentant au conseil d'arbitrage. La défende- resse soutient que ce grief n'était pas fondé sur les dispositions de la convention collective et il appert qu'elle n'a pris aucune mesure requise pour la procédure de grief et n'a nommé personne comme son représentant au conseil d'arbitrage. Il semble qu'à ses yeux, le grief ne peut pas être soumis à l'arbitrage parce qu'il échappe au champ d'appli- cation de la convention collective. Je note ici qu'aux termes de l'article 157c), un arbitre ou un conseil d'arbitrage «a pouvoir de trancher la ques tion de savoir si une affaire portée devant lui peut être soumise à l'arbitrage.»
Je me réfère maintenant à l'arrêt McKinlay Transport Limited c. Goodman. Dans cette affaire, la demanderesse avait présenté à la Cour fédérale (Division de première instance) une requête en prorogation d'une injonction provisoire, qui interdisait à ses employés de participer à une grève illégale et de monter des piquets de grève devant ses locaux. Le juge en chef adjoint Thurlow (tel était alors son titre), après avoir conclu que la
demanderesse ne pouvait invoquer devant cette Cour que le Code canadien du travail et que la Cour avait le pouvoir discrétionnaire d'accorder ou de refuser une injonction interlocutoire alors même qu'elle avait compétence pour connaître de l'action et que la requête était fondée, a examiné si la Cour était compétente en l'espèce. Citant de longs extraits de l'arrêt Canadien Pacifique Ltée c. Tra- vailleurs unis des transports de la Cour d'appel fédérale, il a conclu en ces termes aux pages 766 et 767:
On n'a cité aucune autre jurisprudence et je n'en connais aucune l'on ait étudié ou appliqué le dernier membre de phrase de l'article 23 de la Loi sur la Cour fédérale, mais il me semble que s'il s'applique à la situation créée par l'article 155 du Code canadien du travail, en imposant en fait l'arbitrage comme moyen de régler un conflit entre les parties à une convention collective, il s'applique aussi à la situation créée par le nouvel article 182 compte tenu de l'économie de l'ensemble du Code, lequel attribue au Conseil canadien des relations du travail compétence notamment pour interdire à des employés de participer à une grève. Je suis en conséquence d'avis que la Cour n'est pas compétente pour connaître de la demande d'injonction de la demanderesse ni pour accorder le redresse- ment interlocutoire qu'elle réclame.
En l'espèce, les faits de la cause ne sont pas aussi marqués que dans les deux affaires que je viens de citer. Cependant, je suis parvenu, non sans une certaine hésitation, à la conclusion que la dernière phrase de l'article 23 de la Loi sur la Cour fédérale s'applique aux faits de la cause, lesquels échappent donc à la compétence de la Cour fédérale.
La question du pouvoir discrétionnaire de la Cour doit être examinée, au cas mon interpréta- tion de la Loi serait erronée. Le juge en chef adjoint Thurlow (tel était alors son titre) a bien analysé cette question dans McKinlay Transport, il a conclu en ces termes aux pages 763 et 764:
Le Parlement a récemment révisé substantiellement le Code canadien du travail d'une manière qui, à mon avis, dénote l'intention d'attribuer au Conseil canadien des relations du travail des pouvoirs larges et étendus en matière de relations ouvrières reliées aux ouvrages et entreprises visés par la loi, dont celui d'accorder des injonctions interdisant aux ouvriers de participer à une grève, et de leur ordonner d'accomplir leurs fonctions—pouvoir que ne détient pas une juridiction d'equity. Non seulement des pouvoirs plus larges et mieux définis que ceux des tribunaux sur les mêmes espèces ont été attribués au Conseil, mais encore cette révision a restreint les domaines les décisions du Conseil peuvent être contestées et soumises au contrôle judiciaire. Le pouvoir auparavant réservé au Ministre d'autoriser les poursuites pour infraction à la Loi a aussi été attribué au Conseil. Face à ces dispositions, même si la loi n'a
pas expressément pour objet de retirer aux juridictions supé- rieures leur compétence de décerner des injonctions en matière de conflit ouvrier, il me semble que la Cour peut et doit tenir compte, dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, de l'in- tention que le Parlement a manifestée de voir ce genre de litige réglé par le Conseil sur la base des principes qu'il applique pour réaliser les objets de la loi, plutôt que par les tribunaux. Peut-être n'est-il pas nécessaire d'ajouter que les injonctions des tribunaux ne se sont pas révélées, la chose est notoire, un mécanisme des plus heureux pour harmoniser les relations ouvrières ou régler les conflits de cette espèce?
Je souscris entièrement à ces vues que le juge en chef adjoint Thurlow (tel était alors son titre) a si bien exprimées. Eus-je tenu une vue différente de la loi, je n'aurais quand même pas conclu qu'il y aurait lieu en l'espèce d'exercer mon pouvoir dis- crétionnaire en faveur des demandeurs.
Il va de soi que ma décision n'a aucun effet sur les autres actions pendantes des demandeurs. J'ai mis plus de temps à instruire cette requête que je ne le prévoyais, mais je ne pense pas que le retard porte pour autant préjudice à la cause des deman- deurs. A la date de l'audition, soit le 20 décembre 1979, 14 des 15 gérants de silo-élévateur régional touchés par le plan de réorganisation de la défen- deresse, avaient accepté son offre pour devenir directeur de centre de service, ainsi que les fonc- tions, les conditions de travail et le mode de rému- nération proposés. Selon l'affidavit de J. K. Wilson en date du 20 décembre 1979, le quinzième, Garth Stephenson, était aussi sur le point de l'accepter.
Il appert que du point de vue du syndicat, cette affaire pose l'importante question de ses droits prévus par la convention collective, en particulier celui d'être consulté et de représenter ceux de ses membres à qui l'employeur fait des propositions qui ont pour effet de modifier leur statut, leurs fonctions, leur rémunération, et de les exclure de l'unité de négociation. Il faut espérer que les actions pendantes fourniront la solution raisonna- ble à cette question.
La requête est rejetée.
Les dépens suivront l'issue de l'action principale.
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