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T-1140-78
Lawrence Pawis (Demandeur)
c.
La Reine (Défenderesse)
T-2095-78
Godfrey McGregor (Demandeur)
c.
La Reine (Défenderesse)
T-2096-78
Eli McGregor (Demandeur)
c.
La Reine (Défenderesse)
T-1526-78
Clarence E. Boyer (Demandeur)
c.
La Reine (Défenderesse)
Division de première instance, le juge Marceau— Ottawa, 5, 6 juin et 20 juillet 1979.
Couronne Indiens Contrat Traité Bris de contrat et violation d'obligations fiduciaires Délit civil Fausses déclarations faites imprudemment Les demandeurs, qui sont tous des Indiens enregistrés et résidents de réserves, ont été séparément déclarés coupables, par application du Règle- ment de pêche de l'Ontario, de diverses infractions commises pendant qu'ils pêchaient pour leur propre subsistance, en des lieux ils avaient souvent pêché par le passé et d'une manière qui leur était coutumière Ils soutiennent qu'ils ont été dépouillés d'un droit accordé par Traité Dommages-inté- rêts réclamés Il échet d'examiner si la Couronne a violé les obligations contractuelles découlant du traité Il échet d'examiner si la Couronne n'a pas observé ses obligations fiduciaires concernant le privilège accordé aux Ojibways, obli gations qu'elle avait contractées par Traité Il échet d'exa- miner si les mandataires autorisés de la Couronne ont fait imprudemment des fausses déclarations à la suite desquelles les demandeurs ont agi à leur détriment Loi sur les pêcheries, S.R.C. 1970, c. F-14 Règlement de pêche de l'Ontario, DORS/63-157, art. 4(5), 12(1) The Limitations Act, S.R.O. 1970, c. 246.
Chacun des demandeurs est un membre enregistré d'une bande Ojibway et résident d'une réserve indienne. Au cours des années 1975 et 1977, à différents moments et en différents lieux, ils ont été arrêtés, appréhendés et déclarés coupables en vertu de divers articles du Règlement de pêche de l'Ontario. Au moment de leurs infractions, les demandeurs pêchaient pour _ leur propre subsistance et pour celle des autres membres de leurs bandes respectives, en des lieux ils avaient souvent
pêché par le passé et d'une manière qui leur était coutumière. Ils estimaient qu'ils avaient toujours eu le droit de pêcher ils se trouvaient et comme bon leur semblait. Le fait d'avoir été condamnés leur apporta la conviction qu'ils avaient été dépouil- lés de ce droit. Les demandeurs soutiennent qu'en adoptant le Règlement de pêche de l'Ontario sans en exclure les Ojibways, la Couronne a violé les obligations contractuelles qu'elle avait assumées aux termes du Traité de 1850 du lac Huron. Les demandeurs soutiennent également que par ce traité, la Cou- ronne a contracté des obligations fiduciaires portant sur le privilège accordé aux Ojibways, obligations qu'elle n'a pas observées. Les demandeurs invoquent enfin les représentations fausses faites imprudemment par la Couronne et soutiennent qu'ils ont agi à leur détriment par suite de déclarations faites par des mandataires autorisés de la Couronne.
Arrêt: l'action est rejetée. Le texte du Traité ne traduit aucune intention d'accorder des droits de pêche illimités et perpétuels, non susceptibles d'être affectés par aucune loi géné- rale réglementant la façon de chasser et de pêcher. La Cou- ronne ne pouvait légalement s'engager en 1850 à ne pas régle- menter les méthodes de pêche, les promesses consignées par le Traité, dans la mesure elles étaient destinées à produire des effets juridiques, dans un contexte de droit, ne pouvaient légale- ment être faites que sous réserve de la possibilité de règlements éventuels. Par le Traité du lac Huron, la Couronne n'a pas souscrit l'obligation de soustraire le privilège de chasse et de pêche accordé aux Indiens à toute réglementation générale pouvant affecter son exercice. L'adoption valide par le Parle- ment d'une disposition législative quelconque ne peut donner ouverture à un recours en dommages-intérêts contre la Cou- ronne pour bris de contrat. Même si la Couronne avait été responsable de bris de contrat, les demandeurs n'auraient pas eu droit, à titre individuel et personnel, à la réparation qu'ils réclament car le traité, selon ses termes mêmes, a été conclu avec le peuple Ojibway collectivement. D'autre part, la Cour ne peut pas connaître aujourd'hui d'une action dont la cause remonterait aussi loin en arrière que 1868, année le premier Acte des pêcheries a été adopté, ou encore que 1889, année le premier Règlement de pêche de l'Ontario a été promulgué. La Cour n'accepte pas la prétention selon laquelle la cause d'action s'est produite au moment les demandeurs ont été appréhendés par le garde-pêche, puis traduits en justice et finalement condamnés. Il est impossible de retracer en l'espèce les éléments requis pour l'existence d'une véritable fiducie susceptible de faire l'objet d'une action en justice. Il n'y a en l'espèce aucun bien susceptible d'être «tenu» ou «géré» par un fidéicommissaire au profit d'un bénéficiaire. En signant le Traité du lac Huron, la Couronne n'a pas assumé une obliga tion fiduciaire au sens technique du terme. Les actions n'ont aucune chance de succès sur la base des déclarations trompeu- ses faites imprudemment. Les déclarations faites par un ancien ministre des Affaires indiennes à propos de la reconnaissance des obligations légitimes imposées à la Couronne et auxquelles les demandeurs se seraient fiés à leur détriment, n'étaient pas des déclarations trompeuses; elles n'étaient ni fausses ni suscep- tibles d'induire en erreur. Elles ne pouvaient être prises comme surpassant une législation en vigueur depuis longtemps, et elles n'ont pas été faites avec l'intention d'inciter les Indiens à désobéir aux lois.
Arrêts examinés: Government of Malaysia c. Selangor Pilot Association [1977] 2 W.L.R. 901; M. A. Hanna Co. c. Banque Provinciale du Canada [1935] R.C.S. 144; Le
procureur général du Canada c. Le procureur général de l'Ontario [1897] A.C. 199; Kinloch c. The Secretary of
State for India in Council (1881-82) 7 App. Cas. 619.
ACTION. AVOCATS:
J. D. Richard, c.r., Paul Williams et Lynn Harnden pour les demandeurs.
E. A. Bowie et M. A. Kelen pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Gowling & Henderson, Ottawa, pour les demandeurs.
Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse.
Voici les motifs du jugement rendus en français par
LE JUGE MARCEAU: Ces quatre actions ont été entendues ensemble, sur preuve commune. Non seulement sont-elles étroitement liées, elles sont identiques quant aux faits pertinents sur lesquels elles se fondent (qui ne sont pas contestés), aux points de droit qu'elles soulèvent (bris de contrat, abus de confiance, déclarations trompeuses), aux conclusions qu'elles recherchent (dommages-inté- rêts généraux, spéciaux et punitifs).
Chacun des demandeurs est un Indien Ojibway, membre enregistré d'une bande reconnue et rési- dent d'une réserve indienne. Lawrence Pawis appartient à la bande Shawanaga et habite la réserve du même nom; Clarence E. Boyer est un membre de la bande Mississaugi et habite la réserve Mississaugi 8; Eli McGregor et son neveu Godfrey appartiennent tous deux à la bande Whitefish River et ils habitent la réserve Whitefish River.
Au cours des années 1975 et 1977, à différents moments et en différents lieux, les quatre deman- deurs connurent la même mésaventure. Pendant qu'ils pêchaient dans les eaux avoisinant leurs réserves respectives, ils furent arrêtés par des gar- des-pêche et appréhendés en vertu de divers arti cles du Règlement de pêche de l'Ontario, DORS/63-157 adopté sous l'autorité de la Loi sur les pêcheries, S.R.C. 1970, c. F-14. Ils furent par la suite reconnus coupables par une Cour provin-
ciale, qui les a condamnés à une amende et à la confiscation de leur attirail de pêche. Pawis avait violé le paragraphe 4(5) dudit Règlement en pêchant le doré commun au dard et hors saison, tandis que les autres avaient violé le paragraphe 12(1) en utilisant sans licence des filets maillants. Au moment de leurs infractions, les demandeurs pêchaient pour leur propre subsistance et pour celle des autres membres de leurs bandes respecti- ves, en des lieux ils avaient souvent pêché par le passé et d'une manière qui leur était coutumière. Bien sûr l'expérience fut déterminante pour chacun d'eux: depuis leur condamnation, les demandeurs se sont conformés au Règlement.
Les demandeurs, cependant, n'ont pas cru bon de laisser les choses comme telles. Ils estimaient qu'ils avaient toujours eu le droit de pêcher ils se trouvaient et comme bon leur semblait. Le fait d'avoir été condamnés en vertu du Règlement de pêche de l'Ontario leur apporta la conviction qu'ils avaient de quelque façon été dépouillés de ce droit. Ils décidèrent donc de se pourvoir en justice, et intentèrent les présentes procédures en déposant leurs déclarations respectives en mars, en avril et en mai 1978.
Il ne s'agit pas en l'espèce d'actions collectives. Chacun des demandeurs poursuit, à titre person nel, la défenderesse Sa Majesté la Reine du chef du Canada, et réclame pour lui-même des domma- ges-intérêts généraux, spéciaux et punitifs. Les quatre actions sont cependant fondées sur les mêmes motifs, et les paragraphes qui en font état sont libellés de même façon dans les quatre décla- rations. Il y a lieu, je pense, de reproduire textuel- lement ces paragraphes (en utilisant le numérotage que l'on retrouve dans les actions Pawis et McGregor):
[TRADUCTION] 3. Le 9 septembre 1850, Sault Sainte-Marie, dans la province du Canada, un traité a été signé, d'une part, par l'honorable William Benjamin Robinson représentant Sa Majesté la Reine et d'autre part, par les chefs Shinguacouse Nebenaigoching, Keokouse, Mishequonga, Tagawinini, Shabo- kishick, Dokis, Ponekeosh, Windawtegowinini, Shawenake- shick, Namassin, Naoquagabo, Wabakekik, Kitchpossigun par Papasainse, Wagemaki, Pamequonaisheung; et John Bell, Paq- watchinini, Mashekyash, Idowekesis, Waquacomick, Ocheek, Metigomin, Watachewana, Minwawapenasse, Shenaoquom, Oningegun, Panaissy, Papasainse, Ashewasega, Kageshewawe- tung, Shawonebin; et aussi par les chefs Maisquaso (Muckata, Mishoquet et Mekis) et par les chefs Mishoquetto et Asa Waswanay et Pawiss de la tribu Ojibewa, habitant et faisant valoir leurs droits sur les rives est et nord du lac Huron, de
Pentanguishine à Sault Sainte-Marie, et de là, jusqu'à Batche- wanaung Bay située sur la rive nord du lac Supérieur; y compris les îles desdits lacs et faisant face aux rives susmen- tionnées, et les terres de l'intérieur jusqu'à l'arête qui séparait le territoire régi par la charte de la compagnie de la Baie d'Hudson du Canada; de même que toutes les terres non concédées et situées dans les limites de la partie ouest de la Province du Canada et sur lesquelles ils pouvaient faire valoir un titre légitime; lequel traité prévoyait expressément ce qui suit:
Que moyennant la somme de deux mille livres en monnaie légale du Haut-Canada qui leur est versée en mains propres, ainsi qu'une rente perpétuelle de six cents livres de la même monnaie devant être versée et remise auxdits chefs et à leurs tribus annuellement à la saison jugée convenable dont il sera dûment donné avis aux lieux qui peuvent être fixés à cette fin, lesdits chefs, au nom de leurs tribus ou bandes respecti- ves, par les présentes cèdent librement, intégralement et à jamais à Sa Majesté, à ses héritiers et successeurs, tous leurs droits, titres et intérêts sur la totalité du territoire susmen- tionné, excepté les réserves énumérées à l'annexe des présen- tes, lesquelles seront tenues et occupées en commun par lesdits chefs et leurs tribus pour leur propre usage.
Et ledit William Benjamin Robinson, partie de première part, au nom de Sa Majesté et du gouvernement de cette province s'engage par les présentes à verser, lui-même ou par personne interposée, les sommes susmentionnées; et en outre, à accorder auxdits chefs et à leurs tribus la pleine et libre jouissance du privilège de chasse sur le territoire cédé par les présentes ainsi que du privilège de pêche dans les eaux de ce territoire selon leur habitude; ...
4. L'honorable William B. Robinson, signataire dudit traité au nom de Sa Majesté la Reine, a soumis à l'honorable Colonel Bruce, surintendant général des affaires indiennes, un rapport en date du 24 septembre 1850 dans lequel il a déclaré ce qui suit:
En accordant aux Indiens le privilège de conserver leurs réserves à leur propre usage, je me suis guidé sur le fait que dans la plupart des cas, les terres qu'ils réclamaient étaient celles qu'ils avaient habitées et cultivées par le passé, et l'octroi du droit de chasse et de pêche sur le territoire cédé les prive de la possibilité de dire que le gouvernement leur retire les moyens de subsistance habituelle. De ce fait, ils n'ont aucune obligation alimentaire à faire valoir, ce que sans doute ils auraient préféré dans le cas contraire.
6. La Couronne est liée par l'accord ou le traité signé le 9 septembre 1850 et mentionné à l'alinéa 3 des présentes.
7. La Couronne n'a pas répudié ou renégocié l'accord ou le traité du 9 septembre 1850, mentionné à l'alinéa 3 des présentes.
8. La Couronne, par la voix de ses Ministres, a reconnu en maintes occasions les obligations légales que lui imposaient les traités conclus avec le peuple indien, tel celui mentionné à l'alinéa 3 des présentes.
9. Le 8 août 1973 ou vers cette date, le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien de l'époque a publié à Ottawa la déclaration suivante:
De nombreux groupes indiens ont avec le gouvernement fédéral des relations dont on trouve un symbole dans les traités qu'ils ont conclus avec la Couronne au cours de l'histoire. Comme le gouvernement s'y est engagé il y a quelques années dans le cas des revendications et des traités des Indiens, il faut reconnaître les droits légitimes des Indiens. Tel est encore le fondement de la politique du gouvernement.
10. Le 21 janvier 1976 ou vers cette date, le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien de l'époque, a déclaré dans une lettre adressée au chef Flora Tabobondung de la bande de Parry Island, en réponse à une requête présentée à Son Excellence le Gouverneur général par 15 chefs indiens de la région du lac Huron, ce qui suit:
Bien que le gouvernement fédéral ait pour politique de respecter l'esprit et la lettre de toutes les obligations que lui imposent les traités conclus avec les Indiens, nous avons conclu que nous ne pouvons pas envisager une renégociation de ces traités.
15. En adoptant le Règlement de pêche de l'Ontario en appli cation de la Loi sur les pêcheries, la Couronne a violé les obligations qu'elle avait solennellement contractées par le traité de 1850 du lac Huron, supra.
16. Le demandeur a subi un préjudice du fait que son droit de pêche a été entravé par les agissements de la Couronne.
17. Le demandeur a cru, à son propre dam, aux déclarations faites par les mandataires de la Couronne, lesquelles sont évoquées aux paragraphes 8, 9 et 10.
18. Les agissements de la Couronne constituent une rupture de contrat et un abus de confiance, en violation des obligations solennellement contractées envers le peuple Ojibway aux termes du traité de 1850 du lac Huron.
Avant d'aborder l'analyse des réclamations, je tiens à répéter ce que j'ai dit à l'audience, à la clôture de l'audition, aussi évident que cela soit. Cette Cour est une cour de justice. En ma qualité de juge près de cette cour de justice, je n'ai pas à me prononcer sur le bien-fondé des griefs des Indiens, tels qu'ils ont été formulés si souvent ces derniers temps. Je dois laisser à d'autres la tâche de résoudre proprement et équitablement ce qu'on appelle la question indienne, avec toutes ses rami fications politiques et sociales. Je n'ai pas aujour- d'hui à me demander si les Indiens ont fait l'objet d'un traitement injuste, j'ai à me demander si les faits invoqués leur donnent ouverture à un recours en justice contre la Couronne fédérale. Ma respon- sabilité se limite à disposer des quatre actions telles qu'elles ont été intentées et, ce faisant, tout
ce que je peux faire, c'est de me demander si la défenderesse est tenue à une obligation légale et exécutoire de répondre des dommages-intérêts qui y sont réclamés.
Une cause d'action est clairement invoquée: bris de contrat. Les demandeurs soutiennent qu'en adoptant le Règlement de pêche de l'Ontario en application de la Loi sur les pêcheries et sans en exclure les Ojibways, la Couronne a violé les obli gations contractuelles qu'elle avait assumées aux termes du Traité de 1850 du lac Huron. Une seconde cause d'action est plaidée en relation avec la première: abus de confiance. Les demandeurs soutiennent que par, le Traité du lac Huron, la Couronne a contracté des obligations fiduciaires portant sur le privilège accordé aux Ojibways, obligations qu'elle n'a pas observées. Une troisième et subsidiaire cause d'action découlerait des alléga- tions contenues aux paragraphes 8, 9, 10 et 17 des déclarations: représentations fausses faites impru- demment. Les demandeurs soutiennent qu'ils ont agi à leur détriment par suite de déclarations faites par des mandataires autorisés de la Couronne.
Évidemment ces trois causes d'action se rejoi- gnent, de sorte qu'en examinant à fond la pre- mière, je serai amené à faire des commentaires applicables aux deux autres. Cependant, puisqu'el- les mettent en jeu des principes et règles de droit différents, elles doivent être examinées séparé- ment.
1. La question de violation d'obligations contrac- tuelles
Certaines observations préliminaires s'imposent pour clarifier et circonscrire la question ici.
(i) Il est évident que le Traité du lac Huron, au même titre que tous les traités conclus avec les Indiens, n'était pas un traité au sens du droit international. Les Ojibways, à l'époque, ne consti- tuaient pas un «pouvoir indépendant» mais étaient des sujets de la Reine. Bien que d'une nature toute spéciale et difficile à définir avec précision, le Traité doit être considéré comme un accord conclu par la Souveraine avec un groupe de ses sujets, en vue d'établir entre eux des rapports juridiques spéciaux. Les promesses faites dans ce Traité par Robinson au nom de Sa Majesté et par les chefs de la tribu des Ojibways, visaient indéniablement à produire des effets de droit dans un contexte'légal.
On peut donc dire que cet accord équivalait à un contrat, et admettre q'un manquement aux enga gements qui y sont consignés peut donner lieu à une action en rupture de contrat.
(ii) Il est constant que la Couronne est toujours. liée par le Traité du lac Huron qu'elle n'a jamais renégocié ni répudié.
(iii) L'article 91(12) de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867, [S.R.C. 1970, Appendice II] confère à la Couronne fédérale le contrôle et la responsabilité des pêcheries de l'intérieur. Le pre mier Acte des pêcheries a été adopté par le Parle- ment en 1868 [S.C. 1868, c. 60] (S.R.C. 1886, c. 95). Elle habilitait le gouverneur en conseil à établir des règlements sur l'exploitation et la con servation des pêcheries dans les limites des diverses provinces. C'est ainsi que le Règlement de pêche de l'Ontario a été adopté sous l'autorité de l'Acte des pêcheries aux fins d'exploitation et de conser vation des pêcheries dans les limites de la province de l'Ontario. Ce Règlement a été promulgué la première fois en 1889, et il a fait l'objet par la suite de plusieurs révisions, la dernière en date du 9 mai 1963 (C.P. 1963-709). II y a lieu de noter que les dispositions du Règlement de pêche de l'Ontario de 1963, en application desquelles les demandeurs ont été poursuivis et condamnés—soit l'article 12 qui interdit certaines méthodes de pêche à moins d'un permis, ainsi que l'article 4(5) qui établit les périodes d'interdiction—n'étaient pas nouvelles: les Règlements antérieurs conte- naient tous des dispositions substantiellement au même effet. Les gardes-pêche responsables de l'ap- plication du Règlement sont à l'emploi du gouver- nement provincial mais ils agissent naturellement en tant qu'agents de la Couronne fédérale. Bien que le Règlement ait toujours été officiellement applicable aux Indiens (définition du mot «per- sonne» à l'article 2(1)(w)), avant leur inculpation, ni les demandeurs, ni aucun des membres de leurs bandes respectives n'avaient jamais été inquiétés par les gardes-pêche pour ce qui était de leur manière de pêcher.
(iv) Les demandeurs ne contestent la validité ni de la Loi sur les pêcheries ni du Règlement de pêche de l'Ontario. Ils conviennent sans mal que le pouvoir législatif du Parlement ne saurait être entravé par les termes d'un traité ou d'un accord conclu par le pouvoir exécutif. Ils sont conscients
du principe constitutionnel qui veut que la souve- raineté du Parlement ne puisse être entravée (Le procureur général de la Colombie-Britannique c. Esquirnalt and Nanaimo R. Co. [1950] 1 D.L.R. 305 (C.P.)).
Avec ces précisions à l'esprit, il est plus facile de comprendre le raisonnement juridique sur lequel s'appuient les actions dans la mesure celles-ci reposent sur une prétendue rupture de contrat. On peut le formuler comme suit. Quoique la Loi sur les pêcheries soit indubitablement valide, son adoption par la Couronne fédérale et son applica tion à l'égard des Indiens vont à l'encontre d'une obligation contractée aux termes du Traité et cons tituent ainsi une rupture de contrat, pour laquelle les demandeurs sont fondés à réclamer à titre personnel des dommages-intérêts. Ce raisonnement renferme trois propositions, à savoir: a) que la Couronne s'est engagée par le Traité, à ne pas réglementer la pêche des Ojibways; b) que l'adop- tion du Règlement a constitué une violation de cette obligation, donnant droit à l'autre partie contractante de faire valoir un recours en domma- ges devant une cour de justice; c) qu'à la suite de cette violation, les demandeurs qui constituent «l'autre partie contractante», ont subi un préjudice et ont droit, à titre personnel, à la réparation de ce préjudice. Il va de soi que chacune de ces trois propositions doit se vérifier pour que l'ensemble du raisonnement soit acceptable. Considérons-les l'une après l'autre.
a) La première proposition suppose qu'en accor- dant aux Indiens «le privilége libre et entier de chasser sur le territoire par eux maintenant cédé, et de pêcher dans les eaux d'icelui, ainsi qu'ils avaient jusqu'ici l'habitude de le faire», la Cou- ronne s'engageait formellement à ne pas réglemen- ter de quelque manière que ce soit leurs méthodes de pêche. Je ne puis accepter cette proposition.
En premier lieu, je ne crois pas que, correcte- ment compris, les mots employés aient un sens aussi étendu et indéterminé, que celui qu'il fau- drait alors. Je conviens que le mot «entier» («full») est difficile à définir dans ce contexte, mais s'il semble connoter une plénitude, une intégralité du droit, c'est strictement, je pense, par rapport au droit du propriétaire ou du possesseur du terrain. Quant au terme «libre» («free»), il veut dire, à mon sens, qu'aucune contrepartie monétaire ne pourra
être exigée de ceux autorisés à chasser et pêcher dans l'exercice du droit. En fait, ce n'est pas tant les mots «libre et entier» que l'expression «ainsi qu'ils avaient jusqu'ici l'habitude de le faire» qui a été invoquée par les avocats des demandeurs à l'appui de leur argument principal. A mon avis, cependant, cette expression ne se rapporte pas aux méthodes employées, mais au but même de l'acti- vité en cause. Elle se rapporte à l'étendue du droit de chasse et de pêche. Le droit ne se limite pas à la chasse et à la pêche sportives. Rien ne dit non plus qu'il s'agit de chasse et de pêche commerciales. Le droit se définit en fonction de ce que les tribus avaient l'habitude de faire. Ce que cette habitude était est peut-être perdu dans l'obscurité, mais c'est bien elle qui circonscrit l'étendue du droit. Les mots employés n'ont rien à voir avec la façon de pêcher. Une telle interprétation me paraît la plus raisonnable puisque toute autre aboutirait à limiter l'exercice du privilège des Indiens aux méthodes de pêche et de chasse qu'ils pratiquaient en 1850. Et c'est l'interprétation qui est la plus conforme aux déclarations du signataire du Traité dans le rapport dont il est fait état au paragraphe 4 de la déclaration des demandeurs reproduit ci-haut. En résumé, je conviens avec l'avocat de la défenderesse que le texte ne traduit aucune inten tion d'accorder des droits de pêche illimités et perpétuels, non susceptibles d'être affectés par aucune loi générale réglementant la façon de chas- ser et de pêcher.
Mais, quoi qu'il en soit, quand bien même on attribuerait aux mots utilisés un sens illimité qui soit sans équivoque et sans possibilité d'interpréta- tion, je n'en penserais pas moins qu'une restriction quant aux règlements généraux éventuels doit être inférée et suppléée tout comme doivent être sup- pléées dans les contrats ordinaires entre individus les clauses qui sont coutumières ou nécessaires. Puisqu'il est acquis qu'en 1850, la Couronne ne pouvait légalement s'engager à ne pas réglementer les méthodes de pêche, les promesses consignées par le Traité, dans la mesure elles étaient destinées à produire des effets juridiques, dans un contexte de droit, ne pouvaient légalement être faites que sous réserve de la possibilité de règle- ments éventuels. Les avocats des demandeurs ont fait grand cas du fait que, dans les traités subsé- quents, spécialement ceux dits «traités numérotés», conclus par la Couronne avec d'autres bandes
indiennes, l'octroi de privilèges similaires de chasse et de pêche avait toujours été fait expressément «sous réserve des règlements que pourrait promul- guer éventuellement le gouvernement de son Dominion du Canada»: à mon avis, une telle res triction présentait le grand avantage d'exprimer clairement la règle de droit et de prévenir tout malentendu possible ou toute impression éventuelle de fraude, mais légalement parlant elle n'ajoutait rien. Le droit acquis par les Indiens dans ces traités était, dans le système juridique canadien, nécessairement soumis, quant à son exercice, aux restrictions découlant de dispositions législatives, de la même manière que le droit d'une personne qui obtient de la Couronne une concession doma- niale, reste soumis, quant à son exercice, aux restrictions législatives qui peuvent lui être imposées.
En résumé, je ne pense pas que par le Traité du lac Huron, la Couronne ait souscrit l'obligation de soustraire le privilège de chasse et de pêche accordé aux Indiens à toute réglementation géné- rale pouvant affecter son exercice.
b) La deuxième proposition pose la question de savoir si, en supposant que le Traité visait à confé- rer un privilège de chasse et de pêche que ne pouvait restreindre aucune loi relative à l'exploita- tion et à la conservation, l'adoption de la législa- tion sur les pêcheries équivalait en droit à un bris de contrat ouvrant droit à une action en domma- ges-intérêts devant une cour de justice.
Ma réponse à cette question est simple. Je ne vois pas comment l'adoption valide par le Parle- ment d'une disposition législative quelconque peut donner ouverture à un recours en dommages-inté- rêts contre la Couronne pour bris de contrat. Com ment un acte légal peut-il être en même temps un acte illégal de rupture de contrat sujet à sanction? Si un débiteur est tenu à des dommages-intérêts lorsqu'il manque à son obligation contractuelle, c'est que la loi condamne sa conduite et le force à réparer la perte qui est résultée de son manque- ment. Le débiteur s'est attiré la réprobation de la loi. Ainsi ne sera-t-il pas responsable si son défaut est résulté d'un événement de force majeure indé- pendant de sa volonté, par exemple la survenance d'une loi rendant l'exécution illicite, à moins qu'il ne s'y soit engagé par une clause spéciale du
contrat. La Couronne ne saurait ici être traitée comme si elle s'était attirée la réprobation de la loi.
La cause d'action que je considère, dois-je le rappeler, est celle de bris de contrat. Les deman- deurs ne prétendent pas avoir droit à compensation parce que le règlement en cause aurait eu pour effet de les dépouiller de leurs biens. Si tel avait été le cas, la question à trancher aurait été tout autre, bien que je doute fort qu'une telle prétention ait pu se soutenir, car le simple fait de soumettre à réglementation l'exercice d'un privilège de chasse et de pêche n'a pas pour effet de supprimer le privilège lui-même et de l'exproprier. Comme l'a fait remarquer le juge Wright dans France Fen- wick and Company, Limited c. Le Roi [1927] 1 K.B. 458, la page 467, dans ce passage cité avec approbation par la majorité des membres du Comité judiciaire dans Government of Malaysia c. Selangor Pilot Association [1977] 2 W.L.R. 901:
[TRADUCTION] Cependant, j'estime que la règle s'applique seulement (si tant est qu'elle s'applique) dans le cas le gouvernement prend effectivement possession ou fait effective- ment usage des biens en cause, ou lorsque par l'effet d'une ordonnance émanant d'une autorité compétente, ceux-ci sont mis à la disposition du gouvernement. Une simple interdiction, bien qu'elle constitue une entrave à la jouissance des biens, ne donne pas à mon avis, du seul fait qu'on s'y conforme, droit aux dommages-intérêts. Un sujet ne peut réclamer des dommages- intérêts parce qu'il obéit à un ordre légal des pouvoirs publics.
A mon avis, les Ojibways du lac Huron auraient pu invoquer l'adoption de la législation sur les pêcheries pour réclamer une renégociation du Traité du lac Huron, mais ils ne sauraient y voir une rupture de contrat pouvant donner lieu à une réclamation en dommages-intérêts.
c) Passant à la dernière proposition que ren- ferme le raisonnement juridique des demandeurs, je la trouve tout aussi inacceptable. Même si l'adoption de la Loi sur les pêcheries et du Règle- ment applicable en Ontario avait pu équivaloir à un bris de contrat pour lequel la Couronne aurait été responsable en dommages, les demandeurs, à mon avis, n'auraient pas eu droit, à titre individuel et personnel, à la réparation qu'ils réclament au- jourd'hui. Ma conclusion ici repose sur un double fondement.
D'une part, je ne pense pas que les demandeurs auraient eu qualité, en l'espèce, pour se pourvoir en justice à titre individuel. Le Traité, selon ses
termes mêmes, a été conclu avec le peuple Ojibway collectivement. Ces Indiens qui l'ont signé y sont désignés comme «hommes marquants des Sauvages Ojibeways». Le Traité prévoit le paiement de rentes annuelles «aux dits chefs et leurs tribus». La cession y est dite faite par «les dits chefs et hommes marquants au nom de leurs tribus ou bandes respectives». Il y est prévu que les terres réservées «seront gardées et possédées par les dits chefs et leurs tribus en commun pour leur usage et bénéfice». Le Traité accorde «aux dits chefs et leurs tribus le privilége libre et entier de chasser sur le territoire par eux maintenant cédé, et de pêcher dans les eaux d'icelui, ainsi qu'ils avaient jusqu'ici l'habitude de le faire». Selon l'annexe portant énumération des réserves, chacune d'elles est décrite comme étant celle de l'un «des chefs et de sa bande». Bien que chaque Ojibway devait bénéficier du Traité, il me semble que les mots utilisés excluent l'idée que chacun d'eux était per- sonnellement une partie au contrat et en consé- quence habilitée à se pourvoir en justice à titre individuel et personnel en cas de rupture de ce contrat. Puisque le Traité a été négocié et conclu avec les Indiens Ojibways en tant que groupe, il me semble qu'une action fondée sur le Traité, qui allègue violation des promesses faites aux termes de ce Traité, ne pourrait être intentée que par la partie même qui a contracté, soit le groupe. Bien sûr, je ne dis pas que la collectivité que forment les Ojibways vivants peut être en tant que telle titu- laire de droits, car je n'oublie pas que cette collec- tivité n'a pas de personnalité juridique. Ce que je veux dire, c'est que le Traité ayant été négocié et conclu par les chefs au nom de tous les membres de leurs tribus respectives, on ne saurait dire qu'il prévoyait pour chaque Ojibway et chacun de ses descendants le droit de se pourvoir en justice, à titre individuel et personnel, en cas de manque- ment éventuel.
D'autre part, la Cour ne peut pas connaître aujourd'hui d'une action dont la cause remonterait aussi loin en arrière que 1868, année le premier Acte des pêcheries a été adopté, ou encore que 1889, année le premier Règlement de pêche de l'Ontario a été promulgué. Les demandeurs sou- tiennent que leurs actions respectives ont été inten- tées dans le délai prévu par la Loi savoir la The Limitations Act, S.R.O. 1970, c. 246) étant donné qu'ils ne se sont vus dénier le privilège prétendu-
ment accordé par le Traité et subi le préjudice pour lequel ils demandent réparation qu'au moment ils ont été appréhendés par le garde- pêche, puis traduits en justice et finalement con- damnés. Une telle prétention n'est pas acceptable. Si l'on peut soutenir que le privilège accordé par le Traité était prévu comme devant être incondition- nel, on ne saurait nier que la situation a changé dès l'adoption de la Loi en cause. L'acte reproché dont l'effet a été de retirer le privilège a été posé à ce moment-là, et c'est à partir de ce moment-là que courait le délai de prescription. Les Indiens étaient tenus de se conformer au Règlement, sans égard à l'inaction des gardes-pêche. Les deman- deurs eux-mêmes n'ont jamais joui de ce «privilège inconditionnel» de pêche qu'à leur dire, leurs ascendants tenaient du Traité. La rupture de con- trat qu'ils invoquent ainsi que le préjudice qui, à leur dire, en résulte pour les Ojibways se sont produits bien avant leur naissance.
Il s'ensuit qu'une seule conclusion est possible: dans la mesure elles invoquent bris de contrat, les actions ne sont pas fondées. En effet, il n'y a pas eu violation d'obligation contractuelle; d'ail- leurs, s'il y avait eu telle violation, elle n'aurait pas donné lieu à une action en dommages-intérêts, et de toute façon, quand bien même ce droit d'action existerait, les demandeurs n'auraient pas été habi- lités à l'exercer à titre personnel.
2. La question de la violation des obligations fiduciaires
La suggestion de base ici est que le Traité du lac Huron de 1850 a créé une fiducie dont l'objet était «le privilége libre et entier de chasser sur le terri- toire par eux maintenant cédé, et de pêcher dans les eaux d'icelui, ainsi qu'ils avaient jusqu'ici l'ha- bitude de le faire». C'est encore ici une suggestion que je ne saurais accepter.
Sans doute la Couronne peut-elle assumer elle- même des obligations fiduciaires dont l'exécution sera susceptible de sanction devant une cour d'equity (Tito c. Waddell (N° 2) [1977] 3 All E.R. 129). Sans doute, est-il vrai aussi qu'aucune for mulation spéciale n'est nécessaire pour créer une fiducie et qu'un traité comme celui du lac Huron doit être interprété de façon libérale. Cependant, je ne vois pas comment en l'espèce il soit possible de retracer les éléments requis pour l'existence
d'une véritable fiducie susceptible de faire l'objet d'une action en justice. Comme le disait le juge Cannon dans l'arrêt M. A. Hanna Co. c. Banque Provinciale du Canada [1935] R.C.S. 144, à la page 167:
[TRADUCTION] Pour qu'il y ait véritable fiducie, quatre éléments sont requis: a) un fidéicommissaire; b) un bénéficiaire; c) un bien faisant l'objet de la fiducie; d) une obligation d'administration et de disposition au profit du bénéficiaire, cette obligation étant exécutoire devant une cour d'equity contre le fidéicommissaire. Il faut qu'il y ait un droit de propriété réel fondé sur une obligation assumée en conscience et exécutoire contre le propriétaire en titre du bien qui fait l'objet de la fiducie. Faute de quoi, il n'y a pas fiducie.
Comment le privilège de chasse et de pêche peut-il être «un bien faisant l'objet d'une fiducie»? Il n'y a en l'espèce aucun bien susceptible d'être «tenu» ou «géré» par un fidéicommissaire au profit d'un bénéficiaire. A moins que les territoires décla- rés cédés ne soient considérés comme le bien objet de la fiducie? Mais cela ne tient pas car il n'y a aucun doute que la Couronne détenait déjà le titre de propriété sur ces terres avant 1850, et que le Traité ne peut pas être interprété comme voulant reconnaître aux Indiens quelque droit autre que celui de personnes dont la présence est autorisée («licensee»).
Dans Le procureur général du Canada c. Le procureur général de l'Ontario [1897] A.C. 199, le Comité judiciaire du Conseil privé, saisi de ques tions touchant justement à l'interprétation du Traité en cause ici, et de celui qui lui fut jumelé, celui du lac Supérieur, est arrivé à la conclusion que voici la page 213]:
[TRADUCTION] Leurs Seigneuries n'ont eu aucun mal à conclure que les traités en cause ne donnaient aux Indiens aucun droit à leurs rentes, initiales ou accrues, au-delà d'une promesse ou d'une convention qui n'était rien de plus qu'un engagement personnel de la part du gouverneur représentant la vieille province, que cette dernière verserait les rentes à leur échéance; que les Indiens n'obtenaient aucun droit de propriété sur le territoire qu'ils avaient cédé, autre que le droit de la province; et que la province n'avait aucune obligation, fidu- ciaire ou autre, d'affecter le revenu provenant des territoires cédés en paiements des rentes.
Cet arrêt portait sur le paiement des rentes promi ses aux termes des traités, mais il me semble que le même raisonnement s'applique à l'autre promesse qui y figure, à savoir la promesse d'une autorisa- tion de pêcher et de chasser.
A mon avis, on ne saurait dire qu'en signant le Traité du lac Huron, la Couronne a assumé une obligation fiduciaire. J'entends, bien entendu, une obligation fiduciaire au sens technique du terme. L'expression «obligations fiduciaires» est parfois employée pour désigner des «obligations gouverne- mentales», et en ce sens elle peut peut-être s'appli- quer valablement aux obligations créées par le Traité. Cependant, des «obligations fiduciaires» de ce genre ne sont pas exécutoires comme telles. La distinction entre des obligations fiduciaires exécu- toires dans les Courts of Chancery, et ces obliga tions gouvernementales ou fiduciaires au sens plus élevé, est évoquée par le lord Chancelier Selborne dans Kinloch c. The Secretary of State for India in Council (1881-82) 7 App. Cas. 619, aux pages 625 et 626:
[TRADUCTION] Or les mots «en fiducie pour le compte de» constituent la formule propre pour caractériser toute fiducie, non seulement les fiducies ayant pour objet des matières rele vant de la compétence des juridictions d'equity, mais encore des questions d'un ordre supérieur, par exemple celles qui se posent entre la Couronne et les agents de l'autorité publique qui, d'ordre de la Couronne, exercent les fonctions relevant des prérogatives et pouvoirs de cette dernière. Les questions d'ordre inférieur relèvent des Cours ordinaires d'equity, ce qui n'est pas le cas des questions d'ordre supérieur.
(Voir aussi Tito c. Waddell (N° 2) supra.)
De toute manière, à supposer même que le Traité aurait créé en fait de véritables obligations fiduciaires, le problème demeurerait entier quant à la teneur de ces obligations et à la nature des responsabilités assumées par la Couronne à titre de fidéicommissaire. Il me faudrait alors répéter une bonne partie de ce que j'ai dit en analysant l'obli- gation contractuelle assumée par la Couronne, et la conclusion serait la même. Les faits de la cause ne permettent pas d'invoquer violation d'obliga- tions fiduciaires donnant lieu à une action en dommages.
3. La question des fausses déclarations faites imprudemment
Dans quatre paragraphes (8, 9, 10 et 17) de leurs déclarations, les demandeurs affirment qu'ils se sont fiés, à leur détriment, à des déclarations faites en 1973 et en 1977 par d'anciens ministres des Affaires indiennes, à l'effet que le gouverne- ment avait pour politique de «reconnaître les droits légitimes issus des traités que les Indiens avaient conclus avec la Couronne».
Je n'accepte pas la prétention des avocats des demandeurs qu'une troisième et autonome cause d'action se dégage de ces allégations, soit celle de déclarations trompeuses faites imprudemment par des représentants autorisés de la Couronne. On ne plaide pas que les déclarations ont été faites avec imprudence ou dans l'intention de tromper, mais uniquement qu'elles ont été faites et que les demandeurs s'y sont fiés à leur détriment, ce qui, à mon avis, n'est pas suffisant pour soulever la ques tion. Mais, de toute façon, il me paraît clair que les actions n'auraient eu aucune chance de succès sur cette base. Abstraction faite de la question de savoir si la Couronne peut être tenue indirecte- ment responsable des déclarations politiques que ses ministres auraient faites à la légère, j'estime tout simplement que les déclarations invoquées ne sont pas des déclarations trompeuses. Elles n'étaient ni fausses ni susceptibles d'induire en erreur. Elles ne pouvaient pas être prises comme surpassant une législation en vigueur depuis long- temps, et elles n'ont pas été faites avec l'intention d'inciter les Indiens à désobéir aux lois ni ne pouvaient être interprétées comme telles. Qui plus est, les demandeurs ont fait valoir, comme on l'a vu, qu'ils avaient toujours pêché de la façon qu'ils le faisaient lorsqu'ils furent appréhendés: ils peu- vent difficilement prétendre avoir été influencés par les déclarations et s'être comportés comme ils l'ont fait à cause de ce qu'on leur avait dit être la politique du gouvernement.
Je ne vois rien qui justifie une action en domma- ges-intérêts contre la Couronne du fait des décla- rations susmentionnées auxquelles se réfèrent les demandeurs dans leurs déclarations.
Pour tous ces motifs, je dois conclure qu'aucune des trois causes d'action invoquées par les deman- deurs n'est soutenable. Leur avocat a présenté ces causes comme une tentative nouvelle des Indiens, après une longue série de tentatives vaines, d'obte- nir un redressement judiciaire contre le traitement injuste dont ils auraient été l'objet par le passé. Malheureusement, il ne m'a pas convaincu que la nouvelle approche adoptée avait plus de mérite que les autres sur le plan juridique.
Les actions seront donc rejetées. Il n'y a aucune raison de priver la défenderesse de ses dépens, si elle les exige, bien que naturellement il ne saurait y avoir ouverture à plus d'un seul mémoire de frais d'audition pour les quatre causes.
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