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T-2233-78
Syndicat des postiers du Canada (Demandeur) c.
J. H. Brown, en sa qualité de président de la Commission des relations de travail dans la Fonc- tion publique (Défendeur)
et
Le Conseil du Trésor, représenté par le procureur général du Canada, et la Commission des relations de travail dans la Fonction publique (Mis-en cause)
Division de première instance, le juge Dubé— Ottawa, 26 et 29 février 1980.
Fonction publique Il échet de déterminer si le président de la Commission des relations de travail dans la Fonction publique jouit d'une discrétion lorsqu'il détermine le mandat d'un bureau de conciliation Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique, S.R.C. 1970, c. P-35, art. 59, 83, 86(4).
Le «mandat» remis par le président de la Commission des relations de travail dans la Fonction publique et conformément à l'article 83 de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique, à un bureau de conciliation constitué en application de l'article 59 de cette Loi, n'a pas inclus toutes les questions que lui ont soumises les deux parties. Il en a soustrait quelques-unes et en a ajouté d'autres. Il ne s'est pas contenté d'inscrire les matières soulevées par les parties, mais il a ajouté ses propres observations. Selon le demandeur, le Président ne jouit pas de ce genre de discrétion en vertu de l'article 83. Ce n'est pas à lui de décider quelle matière doit, ou ne doit pas, être soumise au bureau, et il ne lui revient pas de décider de la légalité d'une proposition. Ce rôle ne relèverait que du bureau lui-même, ou de la Commission, ou des tribunaux. Le Président ne joue qu'un rôle strictement administratif: il recueille les données des deux parties et les transmet au bureau. Il ne doit pas s'affubler d'un pouvoir quasi judiciaire, mais doit tout simplement, comme le veut l'article 83, «remettre le relevé».
Arrêt: l'action est rejetée. Le but de l'établissement d'un bureau de conciliation est d'aider les parties à se mettre d'ac- cord. La Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique impose plus de restrictions aux négociateurs que les législations ouvrières dans le domaine privé au Canada. Si le bureau recommandait des mesures qui vont à l'encontre de ces restrictions, de telles recommandations n'auraient aucune suite. C'est dans ce sens que le Président doit voir à ne placer devant le bureau que des matières sur lesquelles il peut se pencher utilement. Selon l'article 83, le Président peut modifier le relevé qu'il remet au bureau; il peut le faire avant ou après la transmission du rapport. Il peut aussi, conformément à l'article 86(4), ordonner au bureau d'examiner à nouveau et d'élucider ou de développer son rapport, ou d'examiner toute question ajoutée à ce relevé et de lui présenter un rapport à cet égard. En vertu de l'article 83, le Président jouit d'une certaine discrétion. Son pouvoir n'est pas limité à remettre servilement
tous les sujets au bureau, comme dans le cas de l'arbitrage prévu à l'article 67. Il peut modifier le relevé en ajoutant ou retranchant certaines matières qui selon lui vont à l'encontre des stipulations de la Loi, tel qu'il estime nécessaire ou oppor- tun pour aider les parties à se mettre d'accord.
ACTION. AVOCATS:
G. Nadeau pour le demandeur. F. Lemieux pour le défendeur.
H. Newman pour le mis-en-cause le Conseil du Trésor.
J. McCormick pour la mise-en-cause la Com mission des relations de travail dans la Fonc- tion publique.
PROCUREURS:
Trudel, Nadeau, Letourneau, Lesage & Cleary, Montréal, pour le demandeur. Herridge, Tolmie, Ottawa, pour le défendeur. Le sous-procureur général du Canada pour le mis-en-cause le Conseil du Trésor.
La Commission des relations de travail dans la Fonction publique, Ottawa, pour elle- même.
Voici les motifs du jugement rendus en français par
LE JUGE DUSE: Il s'agit ici de déterminer si en vertu de l'article 83 de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique', le président de la Commission des relations de travail dans la Fonction publique («le Président») jouit d'une dis- crétion lorsqu'il détermine le mandat d'un bureau de conciliation. L'article se lit comme suit:
83. Immédiatement après l'établissement d'un bureau de conciliation, le Président doit lui remettre le relevé indiquant les questions sur lesquelles le bureau doit lui faire rapport de ses conclusions et recommandations. Le Président peut, avant ou après la transmission à lui faite dudit rapport, modifier ce relevé en y ajoutant ou en en retranchant toute question qu'il estime nécessaire ou opportun d'inclure ou d'omettre pour aider les parties à se mettre d'accord.
Cette interprétation a été rendue nécessaire suite à un jugement de la Cour d'appel fédérale (A-307-79) autorisant le Syndicat des postiers du Canada à déposer une déclaration amendée se
1 S.R.C. 1970, c. P-35.
rapportant uniquement à l'étendue des pouvoirs du Président en vertu de l'article précité.
L'article 83 se situe à la Partie III de la Loi traitant des dispositions applicables au règlement des différends. En vertu de l'article 59, dans le cas les parties ont négocié collectivement sans par- venir à une entente, si les parties choisissent l'arbi- trage les articles 63 76 s'appliquent au règlement du différend; si elles adoptent la conciliation arti cles 77 89 devront s'appliquer.
Puisqu'il s'agit ici de conciliation c'est à l'article 77 que l'on retrouve la demande d'établissement d'un bureau. L'article 78 prévoit que le Président doit établir un tel bureau, à moins qu'il ne lui apparaisse, après consultation avec chacune des parties, qu'un tel bureau ne peut vraisemblable- ment pas aider les parties à se mettre d'accord. Les articles subséquents établissent la constitution du bureau et enfin l'article 83 son mandat.
La procédure à suivre par le bureau est prévue à l'article 84: aussitôt que possible après avoir reçu le relevé visé à l'article 83, le bureau doit s'efforcer de mettre les parties d'accord sur les questions indiquées dans le relevé. L'article 86 stipule que le bureau doit, dans les quatorze jours qui suivent la réception du relevé, communiquer ses conclusions et ses recommandations au Président. Le paragra- phe 86(2) prévoit que le paragraphe 56(2) s'appli- que, mutatis mutandis au rapport. Ledit paragra- phe 56(2) prescrit qu'aucune convention collective ne doit prévoir la modification d'une condition d'emploi existante nécessitant l'amendement de quelque loi par le Parlement. Le paragraphe 86(3) prescrit qu'un rapport ne doit contenir de recom- mandation concernant la nomination, le congédie- ment, etc. des employés. Enfin une autre restric tion de nature plus générale quant aux pouvoirs du bureau se retrouve à l'article 7 à l'effet que rien dans la présente Loi ne doit s'interpréter comme portant atteinte au droit de l'employeur de déter- miner comment doit être organisée la Fonction publique.
L'article 89, le dernier de la Partie III, prévoit que sur accord des parties avant le rapport, une recommandation d'un bureau peut lier les parties.
En l'espèce, le «mandat» remis par le Président au bureau a été déposé dans le but de situer le problème dans un contexte précis et réel. Dans ce mandat le Président n'a pas inclus toutes les ques tions que lui ont soumises les deux parties. Il en a soustrait quelques-unes et en a ajouté d'autres. Il ne s'est pas contenté d'inscrire les matières soule- vées par les parties, mais il a ajouté ses propres observations.
En fait, le document intitulé «Mandat du Bureau de Conciliation» est de 39 pages (version française) et contient nombre d'observations du Président. A titre d'exemple seulement, il écrit à la page 6 que la clause a) de l'Article 4.07 Adhésion obligatoire—«contrevient à l'interdiction contenue dans l'alinéa 8(2)c) de la Loi». Il ajoute que «Ce serait contrevenir à l'alinéa 56(2)a) de la Loi, car la clause a) nécessiterait la modification de l'alinéa 8(2)c)». A la page 8, en marge de la clause (5) de l'Article 9 prévoyant «qu'un employé ne pourra abandonner son grief sans le consentement du Syndicat», le Président écrit qu'à ses yeux «la proposition exigerait une modification de l'article 90 de la Loi et tombe donc sous le coup de l'interdiction prévue par l'alinéa 56(2)a) de la Loi». Il en conclut que, «le bureau de conciliation n'est pas saisi de cette proposition».
Aux pages 8 et 9, traitant de la clause (6) du même Article 9, le Président dit qu'il ne voit «aucune raison pour ne pas en saisir le bureau de conciliation, pourvu qu'aucune recommandation ne soit faite élargissant ou restreignant la disposi tion du paragraphe 95(3), ce qui enfreindrait l'ali- néa 56(2)a) de la Loi». Il conclut: «Cet avertisse- ment donné, la proposition est soumise au bureau de conciliation».
Selon le savant procureur du demandeur, le Président ne jouit pas de ce genre de discrétion en vertu de l'article 83. Ce n'est pas à lui de décider quelle matière doit, ou ne doit pas, être soumise au bureau, et il ne lui revient pas de décider de la légalité d'une proposition. Ce rôle ne relèverait que du bureau lui-même, ou de la Commission, ou des tribunaux. D'après lui, le Président ne joue qu'un rôle strictement administratif: il recueille les don- nées des deux parties et les transmet au bureau. Le Président ne doit pas s'affubler d'un pouvoir quasi judiciaire, mais doit tout simplement, comme le
veut l'article 83, «remettre le relevé». Il estime que selon l'esprit même des procédures de conciliation toutes les questions doivent être remises au bureau pour lui permettre de mieux remplir son double rôle d'enquêteur et de conciliateur. Il invoque le paragraphe 82(2) à l'effet qu'aucun moyen ne doit être mis en oeuvre pour restreindre l'activité du bureau.
Toujours selon le procureur, si le Parlement avait voulu confier une discrétion au Président il l'aurait fait de façon explicite.
Par contre, le but de l'établissement d'un bureau de conciliation est d'aider les parties à se mettre d'accord. Selon l'article 78 précité, le Président n'est pas forcé d'établir un tel bureau: il doit le faire seulement s'il lui apparaît qu'un tel bureau peut porter fruits. Il ne faut donc pas considérer le mandat remis au bureau comme étant une ordon- nance du Président, puisque les parties ne sont pas liées par les conclusions du bureau, à moins qu'el- les y consentent.
La Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique pose plus de restrictions aux négociateurs que les législations ouvrières dans le domaine privé au Canada. Il s'ensuit que si le bureau recommandait des mesures qui vont à l'en- contre des restrictions précitées de telles recom- mandations n'auraient aucune suite. C'est dans ce sens que le Président doit voir à ne placer devant le bureau que des matières sur lesquelles il peut se pencher utilement. D'ailleurs c'est au Président lui-même que le bureau fait rapport, non pas aux parties. Le Président n'est pas intéressé à recevoir des conclusions qui vont à l'encontre des restric tions précitées.
De plus, selon la deuxième partie de l'article 83, le Président peut modifier le relevé qu'il remet au bureau. Il peut le faire avant ou après la transmis sion du rapport, soit en ajoutant ou en retranchant toute question que lui-même «estime nécessaire ou opportun d'inclure ou d'omettre [dans le but d']ai- der les parties à se mettre d'accord». Face à une telle disposition, l'on peut difficilement conclure que le rôle du Président se limite à rassembler tous les sujets et matières soumis par les parties et à les remettre au bureau sans commentaires, sans addi tions et sans soustractions.
La situation est tout à fait différente en ce qui a trait au Tribunal d'arbitrage (avant les amende- ments) alors que le Président doit en vertu de l'article 65 renvoyer la question qui fait l'objet du différend devant le Tribunal. En vertu de l'article 67, les questions spécifiées dans l'avis que le Prési- dent adresse au Tribunal d'arbitrage constituent le mandat du tribunal. A ce chapitre le Président n'a pas de discrétion. C'est le Tribunal lui-même qui décide «après examen des questions qui font l'objet du différend ainsi que de toute autre question qu'il estime nécessairement liée à la solution ...».
L'étendue des pouvoirs du Président ressort éga- lement du paragraphe 86(4) lequel autorise ce dernier, après qu'un bureau lui a communiqué ses conclusions, à «ordonner d'examiner à nouveau et d'élucider ou de développer l'ensemble ou une partie de son rapport, ou d'examiner toute question ajoutée à ce relevé ...», et de lui présenter un rapport à cet égard.
Il faut donc en conclure qu'en vertu de l'article 83 le Président jouit d'une certaine discrétion. Son pouvoir n'est pas limité à remettre servilement tous les sujets au bureau. Il peut modifier le relevé en ajoutant ou retranchant certaines matières qui selon lui vont à l'encontre des stipulations de la Loi, tel qu'il estime nécessaire ou opportun pour aider les parties à se mettre d'accord.
L'action est donc rejetée, mais sans frais.
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