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T-3514-79
McGraw-Hill Ryerson Limited (Demanderesse)
c.
La Reine (Défenderesse)
Division de première instance, le juge Mahoney— Toronto, ler avril; Ottawa, ler mai 1980.
Impôt sur le revenu Calcul du revenu Déductions La demanderesse publie et vend des livres en gardant le contrôle absolu sur le contenu, la conception et les propriétés extérieures de chacun d'eux La demanderesse ne fait pas elle-même la composition, l'impression et la reliure Le point est de savoir si la demanderesse se livre à la fabrication et à la transformation de façon à avoir droit à la déduction prévue à l'art. 125.1 de la Loi de l'impôt sur le revenu Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, c. 148, art. 125.1 ajouté par S.C. 1973-74, c. 29, art. 1.
La demanderesse publie et vend ses propres livres dont 90% sont des manuels. Lorsque la demanderesse estime qu'un nou- veau manuel est devenu nécessaire, elle trouve un auteur qui convient et signe un contrat avec lui. Les employés de la demanderesse suivent la rédaction du manuscrit jusqu'à ce qu'on soit prêt au tirage, à la correction d'épreuve, à la disposition typographique et à la conception de la couverture. Cependant la demanderesse fait faire la composition et la reliure par un imprimeur. La demanderesse est responsable des erreurs des livres publiés, comme elle se charge aussi de l'entre- posage, de la vente et de la distribution de ceux-ci. La défende- resse soutient que la demanderesse ne faisant ni la composition, ni l'impression, ni la reliure, elle ne fabrique ni ne transforme des livres. La défenderesse soutient encore que si la demande- resse transforme quelque chose, c'est l'information contenue dans les livres et que, puisqu'elle conserve les droits d'auteur sur cette information, elle ne vend pas ce qu'elle a transformé. Le point est donc de savoir si la demanderesse se livre à la fabrication et à la transformation de livres de façon à avoir droit à la déduction d'impôt prévue à l'article 125.1 de la Loi de l'impôt sur le revenu.
Arrêt: l'action est accueillie. La demanderesse, en publiant des livres, fabrique et transforme au Canada des marchandises en vue de la vente. La demanderesse garde un contrôle absolu sur le contenu, la conception et les propriétés extérieures de chaque livre qu'elle publie. La demanderesse ne vend pas que l'information contenue dans les livres qu'elle vend. Elle vend les livres. Au sens ordinaire des mots «fabrication» et «transforma- tion», les opérations de la demanderesse sur la couverture et le manuscrit font partie intégrante de la fabrication et de la transformation physiques d'un livre. La demanderesse a droit à l'exemption d'impôt prévue à l'article 125.1.
ACTION. AVOCATS:
John M. Roland pour la demanderesse. Charles T. A. MacNab pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Osier, Hoskin & Harcourt, Toronto, pour la demanderesse.
Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE MAHONEY: Le litige, dans la présente action et dans les causes n°s 3515-79 et 3518-79, porte sur la question de savoir si, dans ses années d'imposition 1973, 1974 et 1975, la demanderesse se livrait à la fabrication ou la transformation de livres de façon à pouvoir réclamer la déduction d'impôt prévue à l'article 125.1 de la Loi de l'im- pôt sur le revenu, S.R.C. 1952, c. 148 ajouté par S.C. 1973-74, c. 29, art. 1. Les trois actions ont été entendues ensemble sur une preuve commune. Il n'est pas contesté que des livres puissent être l'ob- jet de fabrication ou de transformation. La défen- deresse affirme que, parce que la demanderesse ne faisait elle-même en aucun cas la composition, l'impression et la reliure nécessaire à la transfor mation des livres qu'elle publie au Canada du stade d'idée à celui d'objet concret, la demande- resse ne fabriquait ni ne transformait des livres. La défenderesse soutient de plus que si la demande- resse transforme quelque chose, c'est l'information contenue dans les livres et non les livres eux- mêmes et que, puisqu'elle conserve les droits d'au- teur relatifs à cette information, elle ne vend pas ce qu'elle a transformé. Il n'y a pas de contestation sur le caractère admissible des activités de la demanderesse, s'il est jugé qu'elle fabrique ou transforme des livres de quelque façon. Il n'y a pas de contestation non plus, dans la même éventua- lité, sur la validité de l'application des formules compliquées de la déduction.
Dans les circonstances, il n'est pas nécessaire de citer les longues dispositions de l'article 125.1 et des Règlements pris pour son application. Il suffit de mentionner que l'article permet de déduire de l'impôt qui serait autrement payable par une société un montant qui est déterminé à partir du revenu que la société tire des entreprises exploitées activement par «la fabrication ou ... la transfor mation au Canada d'articles destinés à la vente ou à la location». La Loi ne définit pas les termes «fabrication» et «transformation», bien que l'alinéa 125.1(3)b) exclue certaines choses de leur champ
sémantique. La défenderesse invoque le sous-alinéa (x) de ces exclusions:
125.1(3)...
b) «fabrication ou transformation» ne comprend pas
(x) toute fabrication ou transformation de marchandises en vue de la vente ou de la location, si, pour une année d'imposition d'une corporation à l'égard de laquelle l'ex- pression s'applique, moins de 10% de ses recettes brutes de toutes les entreprises exploitées au Canada provenait
(A) de la vente ou de la location d'articles qu'elle a fabriqués ou transformés au Canada, et
(B) de la fabrication ou de la transformation au Canada d'articles destinés à la vente ou à la location, autres que des articles qu'elle devait vendre ou louer elle-même.
Ce recours au sous-alinéa 125.1(3)b)(x) paraît être une redite de sa défense principale. La défen- deresse reconnaît dans son plaidoyer que de 47.48% à 49.33% des revenus de vente de la demanderesse pour les années en cause provient de la vente de livres qu'elle publie au Canada. Si, en publiant ainsi ces livrés, elle les fabrique ou les transforme, d'une façon ou d'une autre, elle échappe à l'exception de minimis prévue au sous-alinéa.
En plus de l'édition et de la vente de ses propres livres, la demanderesse vend les livres d'autres éditeurs et agit comme agent pour le Canada d'éditeurs étrangers. Environ 90% de ses propres éditions sont des manuels. Les autres 10% sont constitués de livres d'intérêt général, notamment de romans, qui sont soumis à la demanderesse sous forme de simple manuscrit. Les manuels sont différents.
L'édition de manuels scolaires obéit à la demande. Les changements de programmes les rendent périmés. La demanderesse étudie attenti- vement le marché et, quand elle prévoit qu'un nouveau manuel sera nécessaire, elle charge l'un de ses seize chargés de publication de trouver, généralement au sein du monde de l'enseignement, un auteur qui convient. L'une des fonctions du personnel des ventes de la demanderesse, qui est en relations constantes avec le monde de l'enseigne- ment, consiste à découvrir des auteurs. Plusieurs chargés d'édition sont auparavant passés par le service des ventes. D'autres sont d'anciens enseignants.
Dès qu'on croit avoir découvert un futur auteur, le chargé d'édition se fait remettre par ce dernier un plan d'ouvrage et des textes qu'il a écrits. Si le tout convient, il y a signature d'un contrat qui fixe la date de livraison du manuscrit, cède les droits d'auteur à la demanderesse et détermine les moda- lités de rémunération de l'auteur. Le chargé d'édi- tion continue de travailler avec l'auteur, fixe un calendrier de façon à ce que l'ouvrage soit terminé à la date prévue, révise le manuscrit à mesure qu'il est disponible, chapitre par chapitre, en faisant des observations et en renvoyant le manuscrit à l'au- teur avec des recommandations. L'auteur ou le chargé d'édition veillent à obtenir les illustrations photographiques qui doivent faire partie du livre. L'ampleur de l'assistance fournie varie selon les besoins de chaque auteur. Un manuscrit passe ordinairement par au moins deux rédactions avant d'être publié.
Lorsque l'on juge un manuscrit prêt à avancer dans le processus de publication, le chargé d'édi- tion le remet à la correction et à la production. Le réviseur, qui voit le manuscrit pour la première fois, le parcourt pour en voir la substance puis le lit très attentivement, en faisant les corrections requi- ses notamment en ce qui a trait à la grammaire et à la disposition. Le réviseur extrait du manuscrit des pages présentant toutes les possibilités typogra- phiques et les remet à un concepteur pour la mise en page. Le concepteur établit la disposition typo- graphique et une liste de contrôle de conception qui fait référence aux pages qui lui ont été remises par un ensemble de symboles.
La demanderesse emploie neuf réviseurs et trois concepteurs de livres. Ces neuf réviseurs font envi- ron 90% de la révision. Elle a aussi deux ou trois pigistes à qui elle a recours quand la quantité de travail l'exige. De même, les concepteurs à son emploi font le travail de conception sauf dans le cas de publications abondamment illustrées le nombre de graphiques et de dessins absorberait une partie trop importante de leur temps. Norma- lement, il y a de 50 à 60 livres à la fois à ce stade de publication.
La révision du manuscrit et la conception du livre se poursuivent simultanément et, quand la conception est arrêtée, le choix d'un imprimeur intervient. Le devis est établi. Les manuels appar- tiennent à un nombre limité de catégories, de sorte
que, par mesure d'économie, la demanderesse a un certain nombre de devis types requérant les mêmes sortes de papier et de reliures. Les autres caracté- ristiques, telles que les dimensions, les couleurs et la quantité, varient. La demanderesse reçoit les soumissions de quatre à six imprimeurs avec qui elle transige régulièrement. Les soumissions sont étudiées et le contrat d'impression adjugé.
Le contrat d'impression englobe la composition et la reliure. La demanderesse ne fait ni la compo sition, ni l'impression, ni la reliure. Les extraits et la liste de contrôle de conception sont transmis à l'imprimeur. Celui-ci effectue la composition des extraits et en remet les épreuves en placard. La conception typographique est approuvée de façon définitive et quand la révision est terminée, le manuscrit au complet, la conception, la liste de contrôle et les exemples d'épreuves en placard, avec les indications de changements, sont expédiés à l'imprimeur. Le manuscrit est composé et l'en- semble des épreuves en placard est transmis. Des copies en sont distribuées à l'auteur et au réviseur, qui indiquent les corrections à faire.
Pour un livre illustré, on prépare un collage et donne des instructions explicites sur sa disposition. Le réviseur prépare le collage en découpant une épreuve en placard qu'il réarrange, page par page, en ajoutant une copie des illustrations; il indique les espacements et fournit tous les détails sur la façon d'assembler chacune des pages.
Les corrections du réviseur et de l'auteur sont ajoutées à l'épreuve en bon à tirer qui, avec le collage, est livrée à l'imprimeur. L'imprimeur pro- duit un collage de reproduction en utilisant le bon à tirer et en suivant les indications du collage quant à la position et aux espacements. Les épreu- ves en pages qui en résultent sont envoyées à la demanderesse.
Les épreuves en pages devraient constituer une version conforme au collage quant à la disposition. Le réviseur vérifie les épreuves en pages et fait les changements qui s'imposent, notamment ceux qui sont rendus nécessaires par le défaut de l'impri- meur de se conformer aux instructions précéden- tes. Il ne devrait pas y avoir beaucoup de change- ments à faire à ce stade. S'il y en a beaucoup, l'imprimeur pourra être forcé de produire un autre jeu d'épreuves en pages; sinon, il se sert des cli-
chés, dont les épreuves en pages sont des copies, les dispose dans le bon ordre pour le pliage et les photographies. Le procédé varie selon le nombre de couleurs que le produit final comportera. A partir du film, l'imprimeur produit une épreuve sur papier ou «vandyke».* C'est une épreuve mono chrome qui traduit, par la variation de teinte, la position des différentes couleurs qui se trouveront dans le livre. C'est la dernière chance pour l'édi- teur de faire des corrections. Encore une fois, s'il y a beaucoup de corrections, il pourra être nécessaire de tirer un second vandyke. Une fois que la demanderesse a approuvé les vandykes, l'impri- meur prépare les plaques et imprime le livre. S'il y reste des erreurs, c'est l'éditeur et non l'imprimeur qui en porte la responsabilité.
Pendant que le contenu du livre en production progresse jusqu'au stade du vandyke, la couverture passe par un processus comparable. Au début, un des dessinateurs à l'emploi de la demanderesse prépare des ébauches de couverture. Ces projets circulent dans l'entreprise. L'une des ébauches est retenue et est travaillée jusqu'à ce que le dessin définitif soit approuvé. Ce dernier est donné à l'imprimeur, qui en fait une épreuve ou plusieurs épreuves au besoin, jusqu'à ce que, finalement, la couverture soit imprimée. Les livres et les couver- tures sont reliés et les livres terminés sont alors livrés à la demanderesse pour entreposage, vente et distribution.
Le processus complet, depuis l'identification du besoin d'un nouveau manuel jusqu'à son apparition sur le marché prend plusieurs mois. Dans le cas de «Physics», un manuel pour les classes du secon- daire, qui a servi d'exemple en l'espèce, le contrat a été signé en mai 1977 avec les quatre auteurs et stipulait que le manuscrit devait être livré le Zef octobre 1977. La soumission de l'imprimeur choisi portait la date du 24 janvier 1978. Le bon d'achat de la demanderesse de 7,500 exemplaires a été délivré à l'imprimeur le 14 mars et la livraison requise pour le 15 septembre 1978.
Le travail de l'imprimeur est entièrement méca- nique. La demanderesse garde le contrôle absolu
* Le terme «vandyke» vient de ce que, à un moment donné, les épreuves en pages étaient reproduites dans des teintes de brun, la famille de couleurs préférée du peintre Van Dyck. Aujourd'hui, les épreuves sont dans des teintes de bleu mais le nom est resté.
sur le contenu, la conception, et les propriétés extérieures de chaque livre qu'elle publie. Les agents des imprimeurs sont en contact constant avec la demanderesse pour lui livrer les épreuves et recevoir des instructions à l'égard des travaux en cours. Les agents de la demanderesse ne se rendent pas aux imprimeries, sauf, et c'est rare, s'il se présente une difficulté exceptionnelle de produc tion.
La demanderesse ne vend pas que l'information contenue dans les livres qu'elle vend, pas plus que le fabricant d'automobiles ne vend que le pouvoir de transport des véhicules qu'il vend. La demande- resse vend les livres. Ces livres sont des marchandi- ses. Il se peut que ce soit l'information contenue au livre qui lui donne sa valeur, comme c'est le pou- voir de transport qui donne au véhicule sa valeur, mais c'est le livre qui fait l'objet de la vente, comme dans le cas du véhicule. Les manuels que la demanderesse publie sont des marchandises fabri- quées et transformées au Canada en vue de la vente. Au sens ordinaire des mots «fabrication» et «transformation», les opérations de la demande- resse sur la couverture et le manuscrit, depuis le moment le manuscrit est remis au réviseur par le chargé d'édition jusqu'à celui le vandyke approuvé est renvoyé à l'imprimeur, font partie intégrante de la fabrication et de la transformation physiques d'un livre. La demanderesse, en publiant des livres, fabrique et transforme au Canada des marchandises en vue de la vente.
Les nouvelles cotisations des déclarations d'im- pôt sur le revenu de la demanderesse pour ses années d'imposition 1973, 1974 et 1975 seront renvoyées au ministre du Revenu national, qui en fera le réexamen et établira de nouvelles cotisa- tions en tenant compte du fait que la demande- resse a, pour chacune de ces années, droit de déduire de son impôt en vertu de l'article 125.1 de la Loi de l'impôt sur le revenu, en ce qui concerne ses profits de fabrication et de transformation, une somme déterminée d'après les activités admissibles de la demanderesse, comme le permet l'article 5202 des Règlements de l'impôt sur le revenu, DORS/73-495. La demanderesse aura droit à ses dépens taxés. La taxation en vertu du tarif B se fera en considérant les trois actions comme une seule action de classe III du début à la fin.
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