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A-336-78
Newfoundland Steamships Limited, Clarke Trans port Canada Ltée et les ayants droit à la cargaison chargée à bord du navire Fort St. Louis (Demandeurs)
c.
Canada Steamship Lines, Limited et W. F. Walsh Limited (Défenderesses)
Cour d'appel, les juges Pratte et Heald et le juge suppléant Kerr—Ottawa, 15 et 26 novembre 1979.
Pratique Communication des documents Il échet d'examiner s'il y a lieu d'accueillir l'appel et d'infirmer l'or- donnance de communication des documents au motif qu'elle aurait été rendue prématurément avant la clôture des plaidoiries.
Pratique Parties Ordonnance rendue après expiration du délai de prescription pour joindre à l'action, à titre de demandeurs, d'autres personnes antérieurement décrites comme «Les ayants droit à la cargaison ...» Il échet d'examiner s'il y a lieu d'accueillir l'appel contre cette ordon- nance Code civil du Québec, art. 2261, 2267 Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10, art. 38 Règles 403(2), 431, 447(1) de la Cour fédérale.
Appel formé par Canada Steamship Lines, Limited contre deux jugements de la Division de première instance. L'appe- lante soutient que le jugement accueillant la demande présentée par les demandeurs (intimés en l'espèce) en vue de la communi cation de documents était prématuré, du fait qu'il a été rendu avant la clôture des plaidoiries, contrairement à la Règle 447(1). L'appelante attaque aussi le jugement autorisant la modification de la déclaration par l'adjonction, à titre de demandeurs, de près de deux cents personnes, au motif que la Cour ne précisait pas la désignation des demandeurs figurant dans la déclaration initiale sous le titre «Les ayants droit à la cargaison ...» mais y ajoutait de nouveaux demandeurs après expiration du délai de prescription.
Arrêt: rejet de l'appel concernant la communication des documents et accueil de l'appel concernant l'adjonction de parties. Dans le premier appel, la Cour ne serait pas fondée à annuler l'ordonnance au motif qu'elle était prématurée: si les plaidoiries n'étaient pas closes au moment l'ordonnance a été rendue, elles l'ont été moins de quinze jours après en vertu des Règles 431 et 403(2). Pour ce qui est de l'appel formé contre l'autorisation de modification de la déclaration, le juge ne pouvait permettre l'adjonction de nouveaux demandeurs à l'action, à moins qu'il n'ait conclu que l'action intentée en 1975 interrompait la prescription à l'égard des réclamations de ces nouveaux demandeurs aussi bien qu'à l'égard de celles des demandeurs parties à l'action initiale. L'action a été intentée au nom des ayants droit figurant sur l'appendice A, et le jugement entrepris n'a pas pour effet de préciser seulement la désignation des demandeurs dans l'intitulé de la cause («LES AYANTS DROIT À LA CARGAISON ...») mais d'autoriser l'adjonction de nouveaux demandeurs à l'action. L'arrêt Leesona de la Cour suprême du Canada ne s'applique pas aux faits de la cause car,
en l'espèce, les demandeurs ne cherchaient pas à corriger une simple erreur de nom ou de forme. L'action intentée en 1975 n'a pas interrompu la prescription à l'égard de personnes qui n'y étaient pas partie.
Distinction faite avec l'arrêt: Leeson Corp. c. Consolida ted Textile Mills Ltd. [1978] 2 R.C.S. 2.
APPEL. AVOCATS:
David Angus pour les demandeurs.
G. P. Barry pour la défenderesse Canada Steamship Lines, Limited.
R. G. Chauvin, c.r. pour la défenderesse W. F. Walsh Limited.
PROCUREURS:
Stikeman, Elliott, Tamaki, Mercier & Robb, Montréal, pour les demandeurs.
McMaster, Meighen, Montréal, pour la défenderesse Canada Steamship Lines, Limi ted.
Chauvin, Marler & Baudry, Montréal, pour la défenderesse W. F. Walsh Limited.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE PRATTE: Canada Steamship Lines, Limited interjette appel contre deux jugements rendus par la Division de première instance: l'un accueillait une demande présentée par les deman- deurs (intimés en l'espèce) en vue d'obtenir la communication de certains documents, et l'autre [[1979] 1 C.F. 393] accordait aux demandeurs l'autorisation de modifier leur déclaration et d'ajouter quelque deux cents personnes à titre de demandeurs.'
Le seul moyen invoqué contre l'ordonnance enjoignant communication des documents porte sur le fait qu'elle aurait été accordée prématuré-
1 A mon avis, la pratique qui consiste à déposer un seul avis d'appel lorsque plusieurs jugements sont contestés, est contraire aux Règles de la Cour fédérale ainsi qu'à l'article 27 de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2° Supp.), c. 10.
ment, c'est-à-dire avant la clôture des plaidoiries et ce, contrairement à la Règle 447(1). 2 Il est vrai que les plaidoiries n'étaient pas closes lorsque l'or- donnance a été rendue le 19 juin 1978; cependant, en vertu des Règles 431 et 403(2), elles l'ont été moins de quinze jours après. Dans ces circons- tances, je n'estime pas que la Cour serait justifiée d'annuler l'ordonnance au motif qu'elle était pré- maturée. Par conséquent, je suis d'avis de rejeter le premier appel.
Quant au deuxième appel, soit celui interjeté contre le jugement accordant l'autorisation de modifier la déclaration, on ne peut décider aussi rapidement de son sort.
Le 15 octobre 1974, un incendie a éclaté à bord du N/M Fort St. Louis alors qu'il était ancré à Montréal. A cette époque, le navire Fort St. Louis, propriété de l'appelante Canada Steamship Lines, Limited, recevait sa cargaison destinée à être livrée à divers endroits à Terre-Neuve. A la suite de cet incendie, le navire ainsi que la cargaison ont subi de lourds dégâts.
Le 14 octobre 1975, moins d'un an plus tard, une action en dommages-intérêts fut intentée, à la fois contre Canada Steamship Lines, Limited, pro- priétaire du navire Fort St. Louis, et W. F. Walsh Limited, entrepreneur en réparations navales, dont les services avaient été retenus par Canada Steamship Lines, Limited en vue d'effectuer des travaux de soudure à bord dudit navire. Dans cette action, trois demandeurs réclamaient une compen sation pour les dommages subis par suite de cet incendie. Soulignons que les deux premiers deman- deurs ne sont pas visés en l'espèce. Quant au troisième, il était décrit, dans l'intitulé de la cause, de la façon suivante:
LES AYANTS DROIT À LA CARGAISON CHARGÉE À BORD DU NAVIRE «FORT ST. LOUIS» quand il a été la proie des flammes dans le port de Montréal pendant qu'il était accosté le long du hangar 68, le 15 octobre 1974. Une liste détaillée de ces parties intéressées est annexée aux présentes.
2 Cette Règle se lit comme suit:
Règle 447. (1) Après la clôture des plaidoiries, il doit y avoir, sous réserve et en conformité des dispositions des présentes Règles, communication (y compris la possibilité d'inspecter et de prendre copie) des documents par les parties à l'action (y compris la Couronne quand elle est partie à l'action); mais aucune disposition des présentes Règles ne doit s'interpréter comme empêchant les parties à une action de s'entendre pour éviter ou limiter la communication réci- proque des documents à laquelle elles seraient autrement tenues.
Le paragraphe 3 de la déclaration précise en ces termes cette description:
[TRADUCTION] 3. Les demandeurs ayants droit à la cargaison chargée à bord du navire «FORT ST. LOUIS» (ci-après appelés «les ayants droit à la cargaison») étaient à l'époque en cause, les propriétaires, les chargeurs ou les consignataires de cette car- gaison et, de toute façon, ils avaient des droits sur celle-ci et pouvaient demander un dédommagement pour la perte, la détérioration ou la destruction de cette cargaison par suite d'un incendie qui a éclaté à bord du navire «FORT ST. LOUIS» le 15 octobre 1974. Lesdits demandeurs ainsi que les numéros des lettres de transport maritime en vertu desquelles leur cargaison perdue, endommagée ou détruite a été mise à bord sont tous énumérés dans l'appendice joint à la présente déclaration;
Un document, soit l'appendice A, était joint à la déclaration. Il s'agissait d'une liste de quelque cent trente-cinq noms, qui s'intitulait «LISTE DES AYANTS DROIT À LA CARGAISON CHARGÉE À BORD DU NAVIRE «FORT ST. LOUIS» QUAND IL A ÉTÉ LA PROIE DES FLAMMES DANS LE PORT DE MONTRÉAL LE 15 OCTOBRE 1974.»
Au mois de juin 1978, soit plus de deux ans après l'introduction de cette action, les deman- deurs ont présenté une demande en vue d'obtenir une ordonnance leur permettant de modifier leur déclaration pour remplacer l'appendice A par une nouvelle liste de noms. Cette nouvelle liste ajoutait environ deux cents noms à ceux qui figuraient déjà dans l'appendice A. L'un des avocats des deman- deurs déposa, à l'appui de cette demande, un affi davit exposant les motifs de celle-ci:
[TRADUCTION] 2. ATTENDU QUE, lorsqu'au mois d'octobre 1975, j'ai préparé la déclaration des demandeurs, j'avais l'in- tention d'inclure à l'appendice A mentionnée à la fois au paragraphe 3 de la déclaration et dans l'intitulé de la cause, une liste complète de tous les propriétaires, chargeurs ou consigna- taires et, en tout état de cause, de toutes les personnes qui avaient ou pouvaient avoir des droits sur la cargaison par suite de sa perte, sa destruction ou sa détérioration en raison de l'incendie qui s'était déclaré à bord du navire «FORT ST. LOUIS», le 15 octobre 1974;
3. ATTENDU QUE depuis la rédaction et le dépôt de ladite déclaration, j'ai reçu communication de documents, détails et renseignements supplémentaires, et qu'il appert de ceux-ci que j'ai omis d'inscrire certains noms sur l'appendice A, lesdits noms étant ceux de personnes ayant probablement des droits sur une partie de la cargaison perdue ou endommagée par suite de l'incendie susmentionné;
Les défenderesses se sont opposées à cette demande. Elles ont fait valoir que les demandeurs cherchaient à ajouter de nouveaux demandeurs après l'expiration du délai de prescription et qu'ils n'avaient pas le droit, en se servant de ce moyen, de faire revivre des créances qui étaient tout à fait éteintes. Le juge de première instance a quand même rendu jugement contre les défenderesses (le
jugement visé par le présent appel) et accueilli la demande pour les motifs suivants la page 399]:
Je suis donc d'avis pour tous ces motifs qu'en l'espèce les nouvelles parties dont le nom figure dans l'appendice que l'on veut substituer au précédent appendice ne sont pas de nouveaux demandeurs dont les demandes sont prescrites mais plutôt qu'elles sont comprises dans la désignation des ayants droit à la cargaison à bord du navire. Il s'agit simplement de la substitu tion de nouvelles précisions aux précisions antérieures et, de plus, il s'agit avant tout de l'addition du nom du chargeur et du consignataire ou vice versa et les défenderesses peuvent ainsi mieux vérifier les demandes d'indemnité. Il n'est pas nécessaire de décider dès maintenant si le demandeur doit être le chargeur ou le consignataire mais pour que justice soit faite la partie qui a subi la perte doit être indemnisée, pourvu que le montant total de la demande ne dépasse pas $509,443.28 (y compris les honoraires des visiteurs et des répartiteurs), soit la somme demandée pour les [TRADUCTION] «demandeurs ayants droit à la cargaison, à répartir au prorata de leur droit», aux termes de la conclusion de la première déclaration.
En toute déférence, je suis d'avis que ce juge- ment doit être infirmé.
Les parties reconnaissent que la prescription à l'égard de la réclamation des demandeurs est régie par les règles du droit québécois, c'est-à-dire par les règles de droit du lieu la cause d'action a pris naissance (voir l'article 38 de la Loi sur la Cour fédérale). La réclamation des demandeurs, comme l'a reconnue le juge de première instance, reposait uniquement sur la commission d'un délit, ou encore, tel que l'ont fait valoir les demandeurs, procédait à la fois du délit et du contrat. Dans les deux cas, la déclaration faisait état d'une demande fondée sur un délit, laquelle était soumise à une prescription de deux ans (article 2261 du Code civil du Québec); or, dès l'expiration de ce délai, la créance, (en autant qu'elle était fondée sur un délit) devenait absolument éteinte (article 2267 C.C.). Dans ces circonstances, le juge ne pouvait permettre l'adjonction de nouveaux demandeurs à l'action, à moins qu'il n'ait conclu que l'action intentée en 1975 interrompait la prescription à l'égard des réclamations de ces nouveaux deman- deurs aussi bien qu'à l'égard de celles des deman- deurs parties à l'action originale. (Voir: Leesona Corporation c. Consolidated Textile Mills Lim ited [1978] 2 R.C.S. 2, au bas de la page 11).
Toutefois, on fait valoir que les demandeurs ne cherchaient pas réellement à ajouter d'autres par ties à l'action; ils voulaient simplement, pré- tend-on, préciser la désignation des demandeurs dans l'intitulé de la cause («LES AYANTS DROIT À
LA CARGAISON ...n). Je n'accepte pas cette pré- tention. Si les demandeurs avaient été simplement désignés comme «Les ayants droit à la cargai- son. ..», on pourrait certes faire valoir que l'action avait été irrégulièrement intentées et que, pour ce motif, la prescription n'avait pas été interrompue. Toutefois, cette question n'a pas besoin d'être tran- chée en l'espèce, puisque les demandeurs n'étaient pas désignés de façon aussi vague et générale. L'intitulé de la cause ainsi que le paragraphe 3 de la déclaration contenaient un renvoi explicite à l'appendice A figuraient tous les noms des ayants droit à la cargaison. A mon avis, l'action a été intentée au nom des ayants droit figurant sur l'appendice A, et il est évident que le jugement en cause a pour effet d'autoriser l'adjonction de nou- veaux demandeurs à l'action.
A mon avis, la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Leesona n'étaye pas le jugement prononcé par la Division de pre- mière instance. En l'espèce, les demandeurs ne cherchaient pas à corriger une simple erreur de nom ou de forme. Ils voulaient modifier la demande pour y ajouter des parties dont l'identité était inconnue, au moment l'action a été inten- tée, de toutes les personnes intéressées. A mon avis, cela ne peut être fait et je ne puis comprendre comment une action intentée en 1975 aurait pu interrompre la prescription à l'égard de personnes qui n'étaient pas partie à cette action.
Même dans l'intention de rendre encore plus pleinement justice, la Cour ne peut, dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire que lui confère la Règle 424, méconnaître l'effet de la prescription. A mon avis, c'est ce que la Division de première instance a fait en l'espèce.
Pour ces motifs, je suis d'avis d'accueillir l'appel avec dépens, d'infirmer le jugement de première instance et de rejeter avec dépens la demande présentée par les demandeurs en modification de leur déclaration par la substitution d'une nouvelle liste à l'appendice A de cette déclaration.
* * *
LE JUGE HEALD: J'y souscris.
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LE JUGE SUPPLÉANT KERR: J'y souscris.
A mon avis, les Règles ne prévoient pas qu'une action puisse être intentée au nom de personnes qui seront déterminées par la suite.
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