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T-476-71
Domco Industries Limited (Demanderesse) c.
Armstrong Cork Canada Limited, Armstrong Cork Company, Armstrong Cork Industries Lim ited, Armstrong Cork Inter -Americas Inc., Congo- leum-Nairn Inc., Congoleum Industries, Inc. et Congoleum Corporation (Défenderesses)
Division de première instance, le juge Mahoney— Toronto, 11 et 12 mars; Ottawa, 21 mars 1980.
Brevets Contrefaçon La demanderesse détient une licence non exclusive du titulaire, lequel avait consenti à un règlement à l'amiable avec le contrefacteur Il échet d'exa- miner si la demanderesse a de son propre chef droit d'action contre le contrefacteur Dans l'affirmative, il échet d'exami- ner si elle a droit au compte rendu des bénéfices Il échet d'examiner si le contrefacteur a été exonéré de toute poursuite en contrefaçon du fait que le titulaire du brevet a consenti à un règlement à l'amiable ou a accordé une licence à un tiers Action accueillie en partie La demanderesse a droit aux dommages-intérêts Loi sur les brevets, S.R.C. 1970, c. P-4, art. 57, 59.
demanderesse détient une licence non exclusive de Congo- - leum, titulaire du brevet. La défenderesse Armstrong reconnaît qu'elle a contrefait ce brevet. Cette action avait été intentée par Congoleum et Domco, Armstrong étant la défenderesse. Par la suite, les dirigeants de Congoleum et d'Armstrong ont signé un protocole de règlement à l'amiable. Un protocole complémen- taire a été signé subséquemment, qui prévoyait la signature d'un procès-verbal de consentement stipulant le consentement au jugement. Bien que Congoleum se fût engagée à faire signer le procès-verbal à Domco, cette dernière a refusé de s'exécuter. Jugement a été rendu à la demande de Congoleum; par la suite les trois compagnies Congoleum sont passées de demanderesses à l'état de défenderesses, et les plaidoiries ont été considérable- ment modifiées. Par ailleurs, Congoleum a accordé à un tiers une licence non exclusive de vente du produit au Canada. Voici les points litigieux: le détenteur d'une licence non exclusive a-t-il de son propre chef droit d'action contre un contrefacteur? Dans l'affirmative, a-t-il droit au compte rendu des bénéfices? Le contrefacteur a-t-il été exonéré en l'espèce de toute pour- suite en contrefaçon du fait que le titulaire du brevet a consenti à un règlement à l'amiable ou a accordé une licence à un tiers?
Arrêt: l'action est accueillie en partie. Domco a droit aux dommages-intérêts de la part d'Armstrong. Quelle que soit la qualité de sa licence de fabrication et de vente, Domco a un droit d'action contre Armstrong pour contrefaçon du brevet de Congoleum, qu'il s'agisse de fabrication ou d'importation et de vente. Quant à l'octroi d'une licence à un tiers, il n'importe guère si ce n'est pour faire la preuve du dommage subi. Si Domco peut prouver qu'à cause de la contrefaçon de la part d'Armstrong, elle a perdu des ventes qu'elle eût réalisées au Canada, elle a droit aux dommages-intérêts. Armstrong est exonérée de toute action en contrefaçon pour la période visée par le protocole, qui l'autorisait à faire ce qui eût constitué une contrefaçon après la date de ce protocole. Toutefois, Congo-
leum n'entendait pas libérer Armstrong de sa responsabilité envers Domco pour la contrefaçon dont elle s'est rendue coupa- ble avant la date du protocole. Tout au contraire, elle envisa- geait le consentement propre de Domco. Quant au paiement, il n'est pas important dans ce contexte; il fait partie du premier accord. Le paragraphe 59(1) semble conférer à la Cour le pouvoir discrétionnaire de reconnaître au détenteur d'une licence non exclusive le droit d'opter pour le compte rendu des bénéfices à la place des dommages-intérêts. Il se peut qu'en certaines circonstances, l'exercice de ce pouvoir discrétionnaire s'impose, mais en l'espèce, il y a lieu de refuser à Domco l'option d'un compte rendu des bénéfices.
Arrêt suivi: American Cyanamid Co. c. Novopharm Ltd. [1972] C.F. 739 infirmant [1971] C.F. 534. Arrêts men- tionnés: Flake Board c. Ciba, du greffe: A-191-73; Neilson c. Betts (1871-72) L.R. 5 H.L. 1; Ciba Corp. c. Decorite IG AV (Canada) Ltd. (1971) 2 C.P.R. (2°) 124; Rawlings c. National Molasses Co. (1968) 158 USPQ 14 (Court of Appeals, Ninth Circuit); The Duplan Corp. c. Deering Milliken Research Corp. (1975) 186 USPQ 369 (Court of Appeals, Fourth Circuit).
ACTION. AVOCATS:
D. Sim, c.r. et R. Hughes pour la demande- resse.
D. Watson, c.r. pour la défenderesse Arm- strong Cork Canada Limited.
D. MacOdrum pour la défenderesse Congo- leum-Nairn Inc.
PROCUREURS:
D. Sim, c.r., Toronto, pour la demanderesse.
Gowling & Henderson, Ottawa, pour la défenderesse Armstrong Cork Canada Lim ited.
Lang, Michener, Cranston, Farquharson & Wright, Toronto, pour la défenderesse Congo- leum-Nairn Inc.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE MAHONEY: Les points litigieux, pré- sentés en détail dans l'exposé conjoint des faits et des points litigieux versé au dossier et appelé ci- après «l'exposé conjoint», peuvent être résumés comme suit:
1. Le détenteur d'une licence non exclusive accordée par le titulaire du brevet a-t-il de son propre chef droit d'action contre un contrefac- teur?
2. Dans l'affirmative, a-t-il droit au compte rendu des bénéfices?
3. En l'espèce, le contrefacteur a-t-il été exonéré de toute poursuite en contrefaçon du fait que le titulaire du brevet a consenti à un règlement à l'amiable ou a accordé une licence à un tiers?
Les questions relatives à l'importance de la contre- façon, aux dommages qui en découlent ou aux bénéfices qui en proviennent doivent faire l'objet d'un renvoi. Cette action a été jugée sur preuve commune, ensemble avec l'affaire T-1209-71 qui, telle qu'elle est maintenant constituée, porte le même intitulé. La preuve consiste entièrement en faits admis de part et d'autre dans les plaidoiries. La validité du brevet et le fait qu'il a été contrefait ne sont pas contestés.
Pendant toute l'époque en cause, la demande- resse, ci-après appelée «Domco», détenait une licence accordée par le titulaire du brevet canadien 764,004 du 25 juillet 1967, intitulé: «Produits de polystyrène texturée». Il n'y a maintenant aucune distinction importante à faire entre les deux grou- pes de défenderesses. Les quatre premières, ci- après appelées «Armstrong», représentent collecti- vement le contrefacteur. Les trois dernières, ci- après appelées «Congoleum», étaient successive- ment le titulaire du brevet.
La grande partie des détails figurant dans l'ex- posé conjoint est sans rapport avec les points liti- gieux qu'il me faut trancher. Certains ont trait aux questions qui font l'objet du renvoi. D'autres eussent été de la plus grande importance si je ne me considérais pas comme lié par le jugement majoritaire de la Cour d'appel fédérale dans American Cyanamid Co. c. Novopharm Ltd.' Ces faits sont consignés à l'intention du juge saisi du renvoi et de toute juridiction qui n'est pas liée par cet arrêt. Je n'estime pas utile de les reprendre intégralement ou même de les résumer, si ce n'est dans la mesure les faits permettent une meil- leure compréhension de ma décision.
Les termes «produit chimiquement gaufré» sont expliqués dans l'exposé conjoint comme suit:
[1972] C.F. 739; (1973) 7 C.P.R. (2e) 61 infirmant [1971] C.F. 534; (1972) 3 C.P.R. (2e) 206.
[TRADUCTION] Revêtement de plancher chimiquement gaufré et son procédé de fabrication, tombant dans le champ de certaines revendications au moins du brevet en litige.
Je l'appellerai le «produit».
Par contrat de concession en date du 8 juillet 1966, Congoleum a accordé à Domco, entre autres, [TRADUCTION] «le droit et la licence res- treints et non exclusifs de fabriquer, d'utiliser et de vendre» le produit au Canada. Congoleum s'enga- geait à ne pas accorder à un tiers le droit de fabriquer le produit au Canada pendant les cinq premières années et à ne pas le faire elle-même pendant les trois premières années. En août 1967, Domco a commencé à fabriquer le produit au Canada, ce qu'elle continue de faire. La plus grande partie de sa production est vendue au Canada.
Armstrong a contrefait le brevet:
1. en important et en vendant un produit fabri- qué aux Etats-Unis d'Amérique avant le 8 juillet 1966, date de la licence de Domco, et jusqu'au 5 avril 1974, date à laquelle un tribunal des États- Unis lui a interdit d'exporter le produit;
2. en fabriquant et en vendant le produit au Canada du 26 avril 1968 au ler septembre 1976, date à laquelle elle a cessé cette activité confor- mément au protocole signé avec Congoleum et dont il est question ci-après.
Les stocks du produit en la possession d'Armstrong à la date du 25 juillet 1967 (date de la délivrance du brevet) ne sont pas visés par la demande de Domco, du fait de l'article 58 de la Loi sur les brevets 2 .
Cette action a été intentée le 3 mai 1968 et celle portant le numéro T-1209-71, le 25 août 1970, Congoleum et Domco étant les demanderesses et Armstrong, la défenderesse. Des actions portant sur le brevet américain correspondant ont été intentées aux États-Unis par Congoleum contre Armstrong.
Le 9 mars 1976, les dirigeants de Congoleum et d'Armstrong ont signé un document manuscrit intitulé «protocole», qui prévoit le paiement de
2 S.R.C. 1970, c. P-4.
35,000,000 $ÉU à Congoleum et, entre autres:
[TRADUCTION] 2. Le règlement final de ce qui suit (rejet sans réserves)
Canada - Congoleum c. Armstrong
Injonction permanente à commencer du le' septembre
1976.
- droit d'Armstrong de fabriquer le produit et de le vendre
jusqu'à cette date.
Les parties conviennent aussi que ces dirigeants, s'ils sont cités comme témoins, déclareront qu'ils se sont mis d'accord, le 9 mars 1976, pour régler définitivement:
[TRADUCTION] ... toutes les réclamations que l'une pourrait avoir contre l'autre dans les actions intentées aux États-Unis comme au Canada, et pour permettre à ARMSTRONG de fabri- quer au Canada et de vendre le PRODUIT CHIMIQUEMENT GAUFRE jusqu'au I" septembre 1976 (délai prorogé par la suite jusqu'à la fin de 1976 par le protocole figurant à l'annexe H), date à laquelle une injonction entrerait en vigueur, afin que ARMSTRONG puisse mettre fin de façon méthodique à la fabri cation et à la vente du PRODUIT CHIMIQUEMENT GAUFRE en cause.
Un protocole complémentaire fut signé en février 1977. Il s'agit d'un document rédigé de façon professionnelle, qui fait état du «règlement» du litige aux États-Unis et au Canada (notamment cette action et l'action T-1209-71) ainsi que du paiement de la somme de 35,000,000 $EU, et prévoit entre autres ce qui suit:
[TRADUCTION] 4. Les parties aux actions T-476-71 et T-1209-71 signeront un procès-verbal de consentement en la forme indiquée à l'annexe. Congoleum s'engage à ce que ses filiales et Domco Industries, Ltd. y souscrivent. Armstrong s'engage à ce que ses filiales y souscrivent et fait valoir qu'elle y est autorisée pour le compte de Trimont Building Supplies, Ltd.
Le protocole prévoit aussi que le produit fabriqué par Armstrong au Canada et à la date du 31 août 1976:
[TRADUCTION] sera exonéré de toute action en contrefaçon de la part de Congoleum. Il en sera de même du revêtement de plancher utilisé ou vendu au Canada par Armstrong ou pour son compte.
Le procès-verbal de consentement visé au paragra- phe 4 est annexé à ce document comme suit:
[TRADUCTION] PROCÈS-VERBAL DE CONSENTEMENT
1. Les demanderesses libèrent les défenderesses de toutes les actions en recouvrement pour contrefaçon du brevet canadien 764,004 la suite de la fabrication du produit antérieure au let septembre 1976 et de son emploi ou de sa vente avant le ler janvier 1977.
2. Les parties consentent au jugement dont la formulation figure à la pièce A ci-jointe sans préjudice de leurs droits devant toute autre juridiction.
3. Les parties conviennent de se désister de cette action sans que l'une ou l'autre ait droit aux dépens et dans la mesure elle est basée sur le brevet canadien Petry 664,322, le désistement entrant en vigueur immédiatement avant le jugement.
Procureurs des demanderesses Congoleum-Nairn Inc., Congo- leum Industries, Inc.
et Congoleum Corporation.
Procureurs de la demanderesse Domco Industries Ltd.
Procureurs des défenderesses.
Domco a refusé de signer le procès-verbal de consentement. Le 20 février 1978, un jugement a été rendu à la demande de Congoleum, qui revêt sensiblement la forme indiquée en annexe du pro- cès-verbal de consentement. Les trois compagnies Congoleum sont alors passées de demanderesses à l'état de défenderesses, et les plaidoiries ont été considérablement modifiées.
Le 1°r janvier 1970, Congoleum a accordé à un tiers une licence non exclusive de vente du produit au Canada. Le 1°r janvier 1974, ce tiers s'est vu accorder la licence de fabrication du produit au Canada. En fait, le tiers s'est contenté de vendre ce produit au Canada, mais ne l'a pas fabriqué.
Dans American Cyanamid Co. c. Novopharm Ltd., la demanderesse détenait une licence non exclusive accordée par un breveté, qui avait engagé des poursuites en contrefaçon contre la même défenderesse, sans avoir joint la demanderesse à l'action à titre de codemanderesse. La défenderesse a saisi la Cour d'une requête, fondée sur la Règle 419, en radiation de la déclaration de la demande- resse au motif qu'elle ne révélait aucune cause d'action raisonnable, attendu que le détenteur d'une licence non exclusive ne pouvait se prévaloir du droit de poursuite prévu à l'article 57 de la Loi sur les brevets:
57. (1) Quiconque viole un brevet est responsable, envers le breveté et envers toute personne se réclamant du breveté, de tous dommages-intérêts que cette violation a fait subir au breveté ou à cette autre personne.
(2) Sauf dispositions expressément contraires, le breveté doit être, ou être constitué, partie à toute action en recouvrement des dommages-intérêts en l'espèce.
Le juge en chef adjoint Noël a accueilli cette requête, en concluant en ces termes: «La demande- resse n'ayant pas qualité en l'espèce, cette action est rejetée avec dépens». L'appel, interjeté de ce jugement, a été accueilli par la majorité de la Cour.
Le jugement dissident du juge en chef Jackett est très exhaustif et il suffirait de substituer les faits de la cause à ceux de cette espèce pour qu'il constitue un juste résumé des arguments des défenderesses sur ce point, sauf qu'elles prétendent aussi que je ne suis pas lié par l'avis majoritaire des juges suppléants Bastin et Sweet. Elles font valoir à l'appui que dans cette affaire l'appel por- tait sur une fin de non-recevoir tandis qu'en l'es- pèce, le recours porte sur le fond.
La Cour d'appel a conclu à l'unanimité que le détenteur d'une licence non exclusive était une personne qui se réclamait du breveté, ces mots étant entendus au sens du paragraphe 57(1). C'est seulement après que le juge en chef s'est séparé de ses collègues, pour conclure en ces termes la page 7581:
... une déclaration dans laquelle le titulaire d'une licence non exclusive réclame des dommages-intérêts pour contrefaçon d'un brevet, ne révèle aucune cause d'action défendable, sauf si l'on invoque des faits permettant au moins de soutenir que la prétendue contrefaçon du brevet par la défenderesse a porté, dans une certaine mesure, atteinte aux droits que la demande- resse tient du breveté.
De son côté le juge suppléant Bastin s'est prononcé en ces termes [aux pages 763 et 764]:
C'est un principe fondamental d'interprétation que de s'en tenir au sens ordinaire et grammatical des mots à moins que cela ne conduise à une absurdité manifeste. Le législateur n'aurait pu utiliser des mots ayant un sens plus large que ceux qui figurent à cet article:
[57(1)] ... toute personne se réclamant du breveté, de tous dommages-intérêts que cette violation a fait subir ... à cette autre personne.
Comme le juge en chef adjoint l'a déclaré dans son jugement, «le droit de poursuite qu'a un détenteur de licence est purement statutaire». Il s'ensuit qu'on doit établir l'intention du législa- teur d'après les termes employés dans la Loi. La Cour n'est pas fondée à tirer du sens clair de cet article des restrictions que le législateur aurait pu formuler expressément si telle avait été son intention.
On peut difficilement contester que la diminution du volume des ventes imputable à celles qu'a réalisées le contrefacteur puisse causer un préjudice au titulaire d'une licence non exclu sive. On pourrait soutenir que le législateur n'a jamais envisagé d'obliger un contrefacteur à indemniser le titulaire d'une
licence non exclusive pour de tels dommages de fait, mais qu'il a eu l'intention de limiter les dommages dont le contrefacteur est responsable à ceux subis par une personne dont les droits ont été directement violés par la contrefaçon même. D'après ce raisonnement, le titulaire d'une simple licence a seulement l'autorisation d'exploiter le brevet et il ne peut présenter de réclamation que si l'on porte atteinte à sa liberté d'user de cette autorisation. Par ailleurs, le titulaire d'une licence exclusive a reçu un monopole et toute contrefaçon du brevet influe directe- ment sur ce droit. Cela peut sembler être un argument logique, mais on y répond en disant que le droit qu'a tout titulaire de licence de recouvrer des dommages-intérêts est purement statu- taire et que, si le législateur avait eu l'intention d'établir une distinction entre le titulaire d'une licence exclusive et celui d'une licence non exclusive, il l'aurait dit clairement. Puisque le législateur n'a pas fait de distinction semblable, il s'ensuit que tous les titulaires de licence doivent être traités de la même façon.
Dans l'état actuel du droit, seul le véritable préjudice attri- buable à une contrefaçon permet au titulaire d'une licence d'intenter une poursuite. Les dommages-intérêts constituent le fondement essentiel de l'action et ne peuvent être fixés qu'au procès.
Le juge suppléant Sweet a conclu en ces termes la page 769]:
Je suis d'avis que, grâce à l'article 57(1), dont la rédaction est juste et appropriée, le législateur a mis en oeuvre et concré- tisé son intention de créer au profit du titulaire d'une licence non exclusive et relativement à tout ce qui concerne sa licence, le droit de recouvrer de celui qui contrefait le brevet, des dommages-intérêts en compensation des pertes imputables à cette contrefaçon.
Pourvoi en Cour suprême du Canada fut autorisé mais le pourvoi n'a pas été entendu car un règle- ment était intervenu entre-temps.
Dans Flake Board c. Ciba 3 qui portait égale- ment sur une demande en radiation, la Cour d'ap- pel fédérale, par la voix du juge en chef Jackett, a rendu un jugement unanime elle s'est déclarée liée par l'arrêt American Cyanamid Co. c. Novo- pharm Ltd. La Cour suprême du Canada a refusé d'autoriser un pourvoi contre cette décision 4 .
Je ne saurais admettre avec les défenderesses que je ne suis pas lié par l'arrêt American Cyana- mid Co. c. Novopharm Ltd. Il ne s'agit pas d'un jugement qui, comme certains, se borne à déclarer que l'action ne doit pas être rejetée sommairement parce qu'il ne ressort pas à l'évidence qu'il y a lieu de refuser au demandeur la possibilité de porter sa cause devant la Cour. Au contraire, cette décision
3 Jugement rendu le 7 février 1974, du greffe A-191-73, non publié.
4 [1974] R.C.S. viii.
déclare non seulement que la déclaration ne doit pas être radiée mais aussi, et ce très clairement, qu'elle révèle effectivement une cause d'action rai- sonnable. La Cour d'appel a instruit le point liti- gieux, elle l'a jugé, et je suis lié par son jugement.
La question de savoir si, oui ou non, Domco a un droit d'action contre Armstrong, a été posée dans l'exposé conjoint sous la forme de sept questions, qui occupent quatre pages et demie de papier écolier dactylographiées à double interligne et se rapportent aux périodes et activités suivantes:
1. Du 25 juillet 1967, date à laquelle le brevet a été délivré, au 21 avril 1968, date à laquelle Armstrong a commencé à fabriquer le produit au Canada (pendant cette période, Armstrong a importé et vendu le produit au Canada).
2. Du 21 avril 1968 au 8 juillet 1969, date d'expiration de la licence de trois ans délivrée à Domco.
3. Du 8 juillet 1969 au ler janvier 1970, date d'entrée en vigueur de la licence de vente au Canada délivrée à un tiers.
4. Du 1 er janvier 1970 au 8 juillet 1971, date d'expiration de la licence de cinq ans accordée à Domco.
5. Du 8 juillet 1971 au ler janvier 1974, date d'entrée en vigueur de la licence de fabrication au Canada accordée à un tiers.
6. Du ler janvier 1974 au 9 mars 1976, date à laquelle les dirigeants de Congoleum et d'Arm- strong ont signé le protocole.
7. Du 9 mars 1976 au ler septembre 1976, date à laquelle Armstrong a cessé de vendre et de fabriquer le produit au Canada.
Sauf pour la période visée à la septième question, les différences ne changent pas grand chose au résultat. Quelle que soit la qualité de sa licence de fabrication et de vente, Domco a un droit d'action contre Armstrong pour contrefaçon du brevet de Congoleum, qu'il s'agisse de fabrication ou d'im- portation et de vente. Quant à l'octroi d'une licence à un tiers, il n'importe guère si ce n'est pour faire la preuve du dommage subi. Si Domco peut prouver qu'à cause de la contrefaçon de la part d'Armstrong, elle a perdu des ventes qu'elle eût réalisées au Canada, elle a droit à des domma-
ges-intérêts. Je réponds donc par l'affirmative à toutes les questions de la) à 6d) inclusivement.
Quant à question 7, elle se rattache en réalité au troisième point litigieux plutôt qu'au premier. Le règlement intervenu le 9 mars 1976 avait pour effet d'autoriser Armstrong à fabriquer le produit jusqu'au ler septembre et de vendre les stocks en sa possession au 9 mars ou produits par la suite jusqu'au l er septembre. Pour l'utilisation et la vente du produit fabriqué avant le l er septembre, la date limite a été prorogée par la suite jusqu'au 31 décembre 1976. A la date du 9 mars 1976, Domco détenait, à tous les égards, une licence non exclu sive. Elle n'a donc aucun droit d'action contre les défenderesses pour tout ce qui s'est passé après cette date. Je conclus donc qu'il faut répondre par la négative aux questions 7a) et b).
La question 8 est rédigée de la manière suivante:
[TRADUCTION] 8. Au cours de la période du 25 juillet 1967 au ler septembre 1976, les accords figurant aux annexes G et H, les faits exposés à l'alinéa 2k) et le paiement effectué à CONGOLEUM ont-ils pour effet d'exonérer ARMSTRONG de toute action en contrefaçon?
Il faut y répondre par l'affirmative. L'accord figu- rant à l'annexe G, c'est-à-dire le protocole du 9 mars 1976, exonère Armstrong de toute action en contrefaçon pour la période du 9 mars au ler septembre 1976. Si la question avait été posée pour la période qui se termine le 31 décembre 1976, j'aurais aussi répondu par l'affirmative, en me fondant aussi sur l'accord figurant à l'annexe H, c'est-à-dire le second protocole, et ce uniquement parce que ces protocoles autorisent Armstrong à faire ce qui eût constitué une contrefaçon après le 9 mars. Toutefois, Congoleum n'entendait pas libé- rer Armstrong de sa responsabilité envers Domco pour la contrefaçon dont elle s'est rendue coupable avant le 9 mars; tout au contraire, elle envisageait le consentement propre de Domco. Quant au paie- ment, je ne crois pas qu'il soit important dans ce contexte; il fait partie de l'accord de l'annexe G. Les faits énoncés à l'alinéa 2k) se rapportent aux licences des tiers et n'ont rien à voir avec la réponse.
La neuvième et dernière question est la suivante:
[TRADUCTION]
9. a) DOMCO a-t-elle droit au compte rendu des bénéfices pour la ou les périodes pendant lesquelles DOMCO est fondée à intenter cette action?
b) Si la réponse à a) est affirmative, ce droit porte sur quelle période et sur quels produits (fabriqués au Canada ou importés)?
Domco soutient que lorsqu'on reconnaît au déten- teur d'une licence un droit prévu au paragraphe 57(1), il a droit aux mêmes recours que le breveté. Le paragraphe 59(1) de la Loi porte:
59. (1) Dans toute action en contrefaçon de brevet, le tribu nal, ou l'un de ses juges, peut, sur requête du plaignant ou du défendeur, rendre l'ordonnance qu'il juge à propos de rendre
a) pour interdire ou défendre à la partie adverse de continuer à exploiter, fabriquer ou vendre l'article qui fait l'objet du brevet, et pour prescrire la peine à subir dans le cas de désobéissance à cette ordonnance, ou
b) pour les fins et à l'égard d'inspection ou du règlement de comptes,
et généralement, quant aux procédures de l'action.
Les défenderesses soutiennent qu'un compte rendu des bénéfices équivaut à un acquiescement à la contrefaçon 5 et que le détenteur d'une licence non exclusive n'ayant pas le droit d'acquiescement, n'a donc pas droit à un compte rendu des bénéfices. Elles demandent si un contrefacteur est tenu de rendre compte des bénéfices à tous ceux qui, par application du paragraphe 57(1), ont le droit de le poursuivre pour contrefaçon.
La jurisprudence ne nous éclaire pas sur ce point, bien que mon collègue Walsh ait perçu le problème lorsque, statuant sur une demande qui visait dans une action en contrefaçon, à ajouter comme demandeur le détenteur d'une sous-licence non exclusive accordée par le détenteur d'une licence exclusive, il s'est prononcé en ces termes: 6
On doit se rappeler qu'en l'espèce, en plus de dommages-inté- rêts, les demanderesses réclamant la possibilité de choisir subsi- diairement un retour de bénéfices, tout en demandant une injonction et la destruction de tous les produits se trouvant en la possession de la défenderesse et portant atteinte au brevet; il semble que même un détenteur de licence non exclusive aurait tout intérêt à faire valoir ces deux dernières réclamations. [C'est moi qui souligne.]
A part le droit aux dommages-intérêts que le paragraphe 57(1) prévoit expressément, le juge Walsh a écarté de ses conclusions sur le droit
5 Neilson c. Betts (1871-72) L.R. 5 H.L. 1.
6 Ciba Corp c. Decorite ICAV (Canada) Ltd. (1971) 2 C.P.R. (2e) 124, à la p. 127.
exécutoire du détenteur d'une licence non exclu sive, l'option d'un compte rendu des bénéfices.
Aux États-Unis, un détenteur de licence n'a aucun droit d'action pour contrefaçon de brevet: 7
[TRADUCTION] ... quelqu'un qui ne justifie pas de droits exclusifs ne peut pas intenter une action en contrefaçon de brevet.
Même le détenteur d'une licence exclusive n'a pas qualité pour engager conjointement avec le breveté des poursuites pour contrefaçon. 8 En Angleterre, à cet égard, le droit de poursuite est limité au déten- teur d'une licence exclusive et il bénéficie expressé- ment du recours du compte rendu des bénéfices. 9
Le paragraphe 59(1) semble conférer à la Cour le pouvoir discrétionnaire de reconnaître au déten- teur d'une licence non exclusive le droit de choisir un compte rendu des bénéfices à la place de dom- mages-intérêts. A cet égard, il neutralise la force de l'argumentation des défenderesses. Il se peut qu'en certaines circonstances, l'exercice de ce pou- voir discrétionnaire s'impose. Je ne sais pas quelles seraient ces circonstances. En l'espèce, l'argumen- tation des défenderesses m'a convaincu que je dois refuser à Domco l'option d'un compte rendu des bénéfices. Elle a droit aux dommages-intérêts et aux dépens de la part d'Armstrong.
Par l'effet du paragraphe 57(2), Congoleum est devenue défenderesse. Elle a soutenu la position d'Armstrong avec laquelle elle a réglé son diffé- rend. Sauf disposition expresse d'une ordonnance interlocutoire, Congoleum n'est condamnée ni n'a droit aux dépens.
' Rawlings c. National Molasses Co. (1968) 158 USPQ 14, à la p. 16 (Court of Appeals, Ninth Circuit).
8 The Duplan Corp. c. Deering Milliken Research Corp. (1975) 186 USPQ 369 (Court of Appeals, Fourth Circuit).
9 La Patents Act, 1949, 12, 13 & 14 Geo. VI, c. 87, art. 63.
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