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A-690-79
Azdo Neessan Azdo (Requérant) c.
Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration (Intimé)
Cour d'appel, les juges Pratte et Ryan, le juge suppléant Kelly—Toronto, 30 janvier; Ottawa, 14 février 1980.
Examen judiciaire Immigration Ordonnance d'expul- sion Requérant âgé de moins de 18 ans à la date de l'enquête Selon la Loi, il devait être représenté par son père, sa mère ou son «guardian» Le représentant du requérant se disait son «guardian» Cette qualité n'est établie par aucun document L'arbitre a conclu que le requérant était repré- senté par son «guardian» et qu'il n'y avait pas lieu d'ajourner l'enquête Il y a lieu d'examiner si l'arbitre a manqué aux prescriptions des par. 29(4) et (5) de la Loi sur l'immigration de 1976 Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, c. 52, art. 29(4),(5) Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10, art. 28 Loi sur les langues officielles, S.R.C. 1970, c. 0-2, art. 8(l ), (2)b).
Demande fondée sur l'article 28 contre une ordonnance d'expulsion rendue contre le requérant conformément à la Loi sur l'immigration de 1976. L'arbitre a appris d'un rapport déposé conformément à l'article 27 de cette Loi que le requé- rant était âgé de moins de 18 ans. En application des paragra- phes 29(4) et (5) de la même Loi, l'arbitre a demandé à savoir si le requérant était représenté par son père, sa mère ou son guardian. Le requérant a déclaré qu'un M. Youkhana qui l'accompagnait et qui le représentait à l'enquête était son guardian bien qu'il n'y eût aucun document légal à cet effet. L'arbitre a conclu que M. Youkhana faisait fonction de guar dian à l'enquête et qu'il n'y avait pas lieu d'ajourner celle-ci. L'avocat du requérant soutient que le mot guardian a, en droit, un sens très précis et que rien ne justifie la conclusion de l'arbitre. L'avocat de l'intimé fait valoir que dans le paragraphe 29(5), ce mot est employé dans son sens large et courant, savoir «celui qui défend, protège ou surveille», et que, selon cette définition plus large, le requérant était effectivement représenté par un guardian.
Arrêt: la demande est accueillie. L'interprétation stricte que le requérant donne du mot guardian doit l'emporter. La version française du paragraphe 29(5), guardian est traduit par «tuteur», indique clairement que le mot guardian est, dans la version anglaise, employé dans son sens juridique étroit puisque le mot français «tuteur» est un terme juridique qui n'a pas le sens général que peut avoir son pendant anglais. Pour décider si une personne est un tuteur, l'arbitre doit se fonder sur la prépondérance des probabilités, compte tenu des éléments de preuve qu'il juge dignes de foi.
Arrêt examiné: R. c. Compagnie Immobilière BCN Ltée [1979] 1 R.C.S. 865.
DEMANDE d'examen judiciaire.
AVOCATS:
M. M. Green, c.r. pour le requérant.
B. Evernden pour l'intimé.
PROCUREURS:
Green & Spiegel, Toronto, pour le requérant. Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE PRATTE: Le requérant sollicite, par sa demande fondée sur l'article 28, l'examen et l'an- nulation de l'ordonnance d'expulsion rendue contre lui aux termes de la Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, c. 52.
Parmi les nombreux arguments avancés au nom du requérant, un seul mérite considération, soit celui selon lequel l'ordonnance d'expulsion en cause est nulle parce que l'arbitre ne s'est pas conformé aux paragraphes 29(4) et (5) de la Loi.'
Au début de l'enquête, après que le requérant eut manifesté le désir d'être représenté par un nommé M. Youkhana, qui l'accompagnait, le représentant du Ministère lut et versa au dossier le rapport dressé sur le requérant en vertu de l'article 27. C'est ainsi que l'arbitre apprit que le requérant n'avait pas encore atteint l'âge de dix-huit ans. Voici le dialogue qui s'ensuivit entre l'arbitre, le requérant et son représentant:
[TRADUCTION] ARBITRE: On m'a fait voir une photocopie du rapport dressé en application du paragraphe 27(2),
auquel est joint un avis de comparution pour enquête. D'après ce rapport, vous êtes le 1°" avril 1961. Est-ce exact?
' Ces paragraphes portent que: 29....
(4) En cas d'enquête au sujet d'une personne âgée de moins de dix-huit ans ou d'une personne qui, de l'avis de l'arbitre, n'est pas en mesure de comprendre la nature de la procédure, cette personne peut, sous réserve du paragraphe (5), être représentée par son père, sa mère ou un tuteur.
(5) Au cas une personne visée au paragraphe (4) n'est pas représentée par son père, sa mère ou un tuteur ou bien au cas l'arbitre qui mène l'enquête estime que le père, la mère ou le tuteur ne représente pas convenablement la personne, l'enquête est ajournée et l'arbitre doit désigner à ladite personne une autre personne pour la représenter, aux frais du Ministre.
M. AZDO: Oui.
ARBITRE: Cela veut dire que, cette année, vous allez avoir
dix-huit ans au 1e" avril?
M. AZDO: OUi.
ARBITRE: Dans ce cas, je vous signale que la Loi sur l'immi- gration exige, en cas d'enquête, qu'une personne âgée de moins de dix-huit ans soit représentée par son père, sa mère ou un guardian («tuteur»). M. Azdo, est-ce que vous avez au Canada votre père, votre mère ou un guardian («tuteur») qui pourrait vous représenter dans cette enquête?
M. AZDO: Oui.
ARBITRE: Est-ce votre père, votre mère ou votre guardian («tuteur»)?
M. AZDO: C'est ce monsieur, ici.
ARBITRE: Vous avez un représentant? Comment s'appelle- t-il? M. Youkhana, c'est votre représentant?
M. AZDO: Oui. David est mon représentant.
ARBITRE: M. Youkhana, quels sont vos liens de parenté avec M. Azdo?
M. YOUKHANA: Eh bien, c'est un parent de mon épouse, son cousin au deuxième ou au troisième degré, je crois. La tante de mon épouse est sa grand-mère.
M. AZDO: C'est exact.
ARBITRE: Êtes-vous son guardian («tuteur») pendant son séjour au Canada?
M. YOUKHANA: Oui, il vit avec moi depuis qu'il est au Canada.
ARBITRE: Légalement, avez-vous autorité sur lui en tant que guardian («tuteur»)?
M. YOUKHANA: Eh bien, oui, il doit m'obéir, tout ce que je lui dis .. .
ARBITRE: De quel droit? Avez-vous un document à cet effet? M. YOUKHANA: Non.
M. AZDO: Je reconnais qu'il est mon guardian («tuteur») et il y a une lettre signée de mes parents.
M. YOUKHANA: Puis-je dire quelque chose?
ARBITRE: Oui.
M. YOUKHANA: Je pense, M. l'interprète, vous savez ... il ne comprend pas ce qui se passe; ses parents, bon, ce n'est pas par une lettre que je suis responsable de lui ... je n'ai signé aucun papier, cela, je le lui ai dit, bon ... je crois que ce garçon n'a pas compris.
ARBITRE: D'accord, voulez-vous interpréter cela? (L'inter- prète s'exécute.)
Pour les fins de la Loi sur l'immigration, je crois qu'on peut vous accepter comme guardian («tuteur») au cours de cette enquête. Autrement dit, vous aurez à jouer deux rôles, celui de représentant et celui de guardian («tuteur»), puisque M. Azdo est âgé de moins de dix-huit ans. Êtes-vous disposé à remplir ces deux rôles au cours de cette enquête?
M. YOUKHANA: Oui.
Il ressort de cet extrait que c'est parce qu'il considérait le requérant comme étant déjà repré- senté par un guardian ((tuteur») que l'arbitre n'a pas jugé nécessaire de respecter les dispositions du
paragraphe 29(5) selon lesquelles il aurait ajourner l'enquête et désigner une personne pour représenter le requérant.
L'avocat du requérant soutient que le mot guar dian («tuteur») a, en droit, le sens très précis de [TRADUCTION] «personne chargée de veiller sur un mineur ou de gérer ses biens ou d'exercer à la fois ces deux fonctions.» 2 Rien, dit-il, ne permettait à l'arbitre de conclure que M. Youkhana était, selon cette définition, le guardian («tuteur») du requé- rant.
L'avocat de l'intimé a avoué au cours des plai- doiries que la demande fondée sur l'article 28 devra être accueillie si l'on interprète strictement le mot guardian («tuteur») consigné au paragraphe 29(5). Toutefois, il fait valoir que ce mot y est utilisé dans son sens large et courant et qu'il signifie, d'après le Shorter Oxford English Dictio nary: [TRADUCTION] «celui qui défend, protège ou surveille». Selon lui, l'extrait que j'ai cité précé- demment nous permettrait de conclure que, selon cette définition plus large, le requérant était effec- tivement représenté par un guardian («tuteur»).
A mon avis, la version française du paragraphe 29(5), guardian est traduit par «tuteur», nous indique clairement que le mot guardian est, dans la version anglaise 3 , employé dans son sens juridi- que étroit puisque le mot français «tuteur» est une expression juridique qui n'a pas le sens général que peut avoir son pendant anglais. Puisque l'article 8 de la Loi sur les langues officielles, S.R.C. 1970, c. O-2, 4 dispose que, dans l'interprétation d'un
2 Black's Law Dictionary, à «GUARDIAN».
3 Voici la version anglaise de la disposition en cause:
29....
(5) Where at an inquiry a person described in subsection (4) is not represented by a parent or guardian or where, in the opinion of the adjudicator presiding at the inquiry, the person is not properly represented by a parent or a guardian, the inquiry shall be adjourned and the adjudicator shall designate some other person to represent that person at the expense of the Minister.
° Cet article se lit en partie comme suit:
8. (1) pans l'interprétation d'un texte législatif, les ver sions des deux langues officielles font pareillement autorité.
(2) Pour l'application du paragraphe (1) à l'interprétation d'un texte législatif,
b) sous toutes réserves prévues à l'alinéa c), lorsque le texte législatif fait mention d'un concept ou d'une chose, la mention sera, dans chacune des deux versions du texte législatif, interprétée comme une mention du concept ou de la chose que signifient indifféremment l'une et l'autre version du texte législatif;
texte législatif, ses versions en langue française et anglaise font pareillement autorité, il me faut con- clure que l'interprétation stricte que donne le requérant au mot «guardian» doit l'emporter.
Je n'ai pas oublié, au moment d'en arriver à cette conclusion, la récente décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire La Reine c. Compagnie Immobilière BCN Limitées la Cour s'est dit d'avis que la règle prescrite par l'alinéa 8(2)b) de la Loi sur les langues officielles n'était qu'un guide parmi plusieurs autres dont il faut se servir pour rechercher le sens d'une loi et que cette règle n'était pas absolue au point d'automatique- ment l'emporter sur tous les autres principes d'in- terprétation. Toutefois, je ne vois rien en l'espèce qui nous permette d'écarter l'application de cette disposition de la Loi sur les langues officielles.
Je dois avouer que je me suis demandé un moment si l'interprétation dont je propose mainte- nant l'adoption devrait être écartée parce qu'elle créerait, pour l'arbitre qui doit se conformer au paragraphe 29(5), trop de problèmes relevant du droit international privé. Toutefois, après mûre réflexion, mes doutes se sont dissipés. En effet, pour se conformer au paragraphe 29(5), un arbitre doit, lorsqu'un mineur n'est représenté ni par son père ni par sa mère, d'abord décider si la personne qui le représente est son tuteur. Il doit prendre cette décision suivant la prépondérance des proba- bilités, compte tenu des éléments de preuve qu'il juge dignes de foi. En général, il suffira que la personne en cause affirme ou nie simplement être le tuteur du mineur pour que l'arbitre puisse rendre une décision.
Pour ces motifs, je suis d'avis d'accueillir la demande et d'annuler l'ordonnance d'expulsion frappant le requérant.
* * *
LE JUGE RYAN: Je suis d'accord.
* * *
LE JUGE SUPPLÉANT KELLY: Je souscris aux motifs ci-dessus.
5 [ 1979] 1 R.C.S. 865.
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