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T-518-80
Boris Celovsky (Requérant)
c.
Edmund Peter Newcombe, Commissaire (Intimé)
et
Le procureur général du Canada (Intervenant)
Division de première instance, le juge Cattanach-- Ottawa, 7 et 12 février 1980.
Pratique Requête en ordonnance interdisant à l'intimé de poser au requérant une certaine question dans le cadre d'une enquête sur la conduite du requérant, laquelle conduite a pu nuire au fonctionnement de Statistique Canada et saper la confiance du public à son égard Il échet d'examiner si cette question est pertinente aux fins de l'enquête, dont les limites sont définies par le décret en la matière Requête rejetée Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10, art. 18 Loi sur les enquêtes, S.R.C. /970, c. I-13 Loi sur la statistique, S.C. 1970-7/-72, c. 15, art. 6.
Le requérant demande une ordonnance interdisant à l'intimé de lui demander s'il avait révélé à une personne ne travaillant pas à Statistique Canada des renseignements acquis du fait de son emploi auprès de cet organisme et plus spécialement, les renseignements contenus dans une lettre qu'il avait adressée au statisticien en chef, laquelle lettre a été publiée deux jours plus tard dans un journal. L'intimé a été désigné pour enquêter sur certaines allégations faites par le requérant, lesquelles ont pu nuire au fonctionnement de Statistique Canada et saper la confiance du public à son égard. Une citation à comparaître a été signifiée au requérant, qui a demandé et reçu subséquem- ment communication des questions que le Commissaire se proposait de lui poser. Le requérant s'est opposé à la question susmentionnée par ce motif que le décret dont s'agit autorisait une enquête sur la conduite de quiconque au service de Statisti- que Canada aurait violé le serment prévu à l'article 6 de la Loi sur la statistique par la divulgation non autorisée d'informa- tions et que, par conséquent, la seule question que le Commis- saire pût poser, c'était de savoir s'il y avait eu divulgation de renseignements statistiques recueillis au titre de la Loi sur la statistique. En d'autres termes, les renseignements qu'il est interdit à un employé de divulguer sans autorisation sont ceux qui ont été recueillis par application de la Loi sur la statistique, et c'est bien le sens du serment d'entrée en fonction prévu à l'article 6 de cette Loi; cette interdiction ne porte pas sur les renseignements qu'un employé a pu recueillir du fait de son emploi.
Arrêt: la requête est rejetée. Il faut donner au décret une interprétation large. Considérant le vaste champ de l'enquête que le Commissaire est autorisé à mener dans les limites fixées par le décret, la réponse à la question en cause est pertinente à l'enquête. Ce n'est qu'une fois muni de cette réponse que le Commissaire pourra décider si la divulgation constitue une violation du serment. Ces exemples de politiques peu sages et inutiles, cités par le Dr Celovsky, ont pu être portés à sa connaissance par suite de renseignements recueillis en confor-
mité de la Loi sur la statistique. Le Commissaire est chargé, conformément à son mandat, de faire la lumière sur cette affaire et il n'y arrivera qu'après avoir posé des questions pertinentes et obtenu des réponses satisfaisantes. Il est aussi tenu de faire enquête et rapport sur la conduite de toute personne à la suite d'«allégations de conduite repréhensible ou illégale ... faite par M. Boris Celovsky ou d'autres, qui pour- rait avoir nuit au fonctionnement de l'organisme et ... la confiance du public à son égard». La publication par un employé de Statistique Canada de critiques relatives au fonc- tionnement de cet organisme, critiques qui, même si elles sont justifiées, peuvent fort bien saper la confiance du public à l'égard de ce même organisme, pourrait être considérée comme une conduite répréhensible en ce qu'elle constitue un comporte- ment inconciliable avec les responsabilités d'un fonctionnaire. Cette remarque s'applique à toute déclaration publique faite en ce sens. Aux termes du décret, le Commissaire est tenu de faire enquête et rapport sur cette affaire; par conséquent, la question qu'il se propose de poser au Dr Celovsky est pertinente. Vu cette conclusion, il est inutile de se prononcer sur l'interpréta- tion à donner au serment de secret.
REQUÊTE. AVOCATS:
G. R. Morin, c.r. et J. L. Shields pour le
requérant.
L'intimé n'était pas représenté.
E. R. Sojonky pour l'intervenant.
PROCUREURS:
Soloway, Wright, Houston, Greenberg, O'Grady, Morin, Ottawa, pour le requérant. Le sous-procureur général du Canada pour l'intervenant.
Ce qui suit est la version françrcfi1des motifs du jugement rendus par
LE JUGE CATTANACH: Par avis de requête introductive d'instance daté du 4 février 1980, le requérant a, en vertu de l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10, demandé une ordonnance interdisant à l'intimé de lui demander:
[TRADUCTION] ... s'il a personnellement révélé à la presse ou à des personnes ne travaillant pas pour Statistique Canada, des renseignements ou de l'information (autres que des renseigne- ments recueillis au titre de la Loi sur la statistique, 19-20, Elizabeth Il, c. 15) de quelque nature que ce soit, acquis du fait de son emploi à Statistique Canada; ou de demander audit Boris Celovsky s'il a des renseignements ou de l'information concernant la publication, dans le journal Ottawa Citizen, de sa lettre adressée au Dr Peter Kirkham et datée du 6 novembre 1979.
Me Edmund Peter Newcombe, c.r., a été désigné comme Commissaire, conformément à la Partie II de la Loi sur les enquêtes, S.R.C. 1970, c. I-13, pour faire enquête et rapport sur certaines matiè- res qu'il est plus facile de décrire en reproduisant intégralement le décret du conseil C.P. 1979-3435, daté du 13 décembre 1979:
Le Comité du Conseil privé a reçu du président du conseil du Trésor un rapport dont il ressort que:
Statistique Canada recueille, dresse, analyse, extrait et publie des données statistiques sur la foi desquelles d'importan- tes décisions socio-économiques peuvent être prises tant au sein du gouvernement que dans le secteur privé;
Un haut fonctionnaire de Statistique Canada, M. Boris Celovsky, a fait certaines allégations qui pourraient avoir nuit au fonctionnement de l'organisme et saper la confiance du public à son égard;
Il est dans l'intérêt public que lesdites allégations fassent l'objet d'une enquête.
A ces causes, sur avis conforme du président du conseil du Trésor, le Comité approuve par les présentes la nomination, en vertu de la Partie II de la Loi sur les enquêtes, de M. Edmund Peter Newcombe, c.r., d'Ottawa (Ontario) à titre de commis- saire chargé de faire enquête et rapport sur
I. l'état et la gestion de cette partie des affaires de Statistique Canada et la conduite de toute personne à son service relativement à toute allégation de conduite repréhensible ou illégale ou de négligence faite par M. Boris Celovsky ou d'autres, qui pourrait avoir nuit au fonctionnement de l'orga- nisme et saper la confiance du public à son égard et sans restreindre la portée générale de ce qui précède,
a) tout prétendu cas de négligence dans la collecte d'infor- mations statistiques;
b) tout prétendu cas d'omission de recueillir, de dresser, d'analyser, d'extraire ou de publier en bonne et due forme des données statistiques;
c) tout prétendu cas de personne au service de Statistique Canada qui se serait livré en privé à des activités incompatibles avec l'exercice de ses fonctions officielles ou qui aurait eu un comportement inconciliable avec ses responsabilités en tant que fonctionnaire;
d) tout prétendu cas de favoritisme ou de traitement de faveur dans les nominations ou l'avancement; et 2. la conduite de toute personne au service de Statistique Canada qui pourrait avoir manqué au serment d'office ou déclaration solennelle visé au paragraphe 6 de la Loi sur la statistique en divulguant sans autorisation des informations. Le Comité autorise en outre la délivrance audit commissaire d'une commission prévoyant que:
1. l'enquête sera menée à huis clos, mais que les personnes dont la conduite fait l'objet d'une enquête pourront être présentes aux audiences;
2. le commissaire adoptera au besoin toutes les mesures et règles qui lui sembleront utiles pour la bonne marche de l'enquête et pourra tenir des audiences aux lieux et moments qu'il décidera;
3. le commissaire pourra retenir les services d'un sténographe;
4. le commissaire pourra compter sur les services du personnel et avoir accès aux informations de Statistique Canada et d'autres ministères et organismes du Canada, et disposera de tous les locaux et services de secrétariat dont il a besoin; et
5. le commissaire fera part au président du conseil du Trésor de ses constatations et de ses recommandations d'ici deux mois ou dans tout autre délai que le président du conseil du Trésor pourra lui fixer à cet égard et présentera des rapports intérimaires si ce dernier le demande. [C'est moi qui souligne.]
Dans l'exécution de son mandat, Me Newcombe a fait signifier au requérant un avis l'enjoignant de comparaître le ler février 1980 afin de témoigner sur toutes les questions qui relèvent, selon lui, des matières sur lesquelles la Commission est chargée d'enquêter, et de déposer devant celle-ci tous les documents pertinents qu'il a en sa possession.
L'avocat du requérant a demandé la communi cation des questions que le Commissaire envisa- geait de poser à son client.
A sa réponse, le Commissaire a joint un projet de trois pages traitant des points sur lesquels le D' Celovsky serait questionné.
Ce dernier ne s'est opposé à aucun de ces points, sauf au suivant:
[TRADUCTION] Le paragraphe (2) du mandat de la Commis sion parle de «la conduite de toute personne au service de Statistique Canada, qui pourrait avoir manqué au serment d'office ou déclaration solennelle visé au paragraphe 6 de la Loi sur la statistique en divulguant sans autorisation des informa- tions.. En plus des questions portant sur ce qui est mentionné au paragraphe (1), j'envisage de demander au D' Celovsky s'il connaît, à Statistique Canada, quelque personne ayant révélé des renseignements sans autorisation pertinente.
Dans le même ordre d'idées, j'envisage aussi de demander au Dr Celovsky s'il a personnellement révélé à la presse ou à des personnes qui ne sont pas au service de Statistique Canada, des renseignements ou de l'information, de quelque nature que ce soit, acquis du fait de son emploi à Statistique Canada. A cet égard, je le renverrai spécifiquement à sa lettre du 6 novembre 1979 adressée au D' Peter Kirkham et publiée deux jours plus tard dans un article du Ottawa Citizen du 8 novembre 1979 sous la plume de Frank Howard.
C'est cette partie du second paragraphe (pré- cité) qui est au coeur du litige:
... s'il a personnellement révélé à la presse ou à des personnes qui ne sont pas au service de Statistique Canada, des renseigne- ments ou de l'information, de quelque nature que ce soit, acquis du fait de son emploi à Statistique Canada. A cet égard, je le renverrai spécifiquement à sa lettre du 6 novembre 1979 adres- sée au Dr Peter Kirkham et publiée deux jours plus tard dans un article du Ottawa Citizen du 8 novembre 1979 sous la plume de Frank Howard.
Ce passage a d'ailleurs été reproduit, avec quel- ques légères modifications, dans l'avis de requête.
La veille du jour fixé pour le témoignage du requérant, le Commissaire a entendu une requête de l'avocat de ce dernier, en présence de l'avocat de Statistique Canada.
Si je ne m'abuse, ce dernier a souscrit aux allégations présentées devant le Commissaire pour le compte du requérant; elles seraient d'ailleurs à peu près les mêmes que celles présentées devant la Cour.
En résumé, il est allégué qu'aux termes du paragraphe 2 du décret du conseil C.P. 1979-3435, le Commissaire ne pourrait enquêter auprès du requérant que pour savoir si celui-ci a révélé des renseignements statistiques recueillis au titre de la Loi sur la statistique, S.C. 1970-71-72, c. 15, puisqu'un employé n'est pas censé manqué au serment prêté en vertu de l'article 6 de cette Loi, à moins qu'il n'ait effectivement révélé de tels ren- seignements sans y avoir été dûment autorisé.
Voici en quels termes est libellé ce serment d'office:
6. (I) ...
Je, , jure (ou affirme) solennellement que
j'exercerai fidèlement et honnêtement mes fonctions d'employé de Statistique Canada en conformité des prescriptions de la Loi sur la statistique, ainsi que de toutes règles et instructions établies sous son régime, et que je ne révélerai ni ne ferai connaître, sans y avoir été dûment autorisé, rien de ce qui parviendra à ma connaissance du fait de mon emploi.
J'ai, dès le début, émis des réserves quant à l'opportunité d'examiner cette requête qui est, en fait, sans portée pratique puisque aucune question n'a été posée au témoin.
J'ai les mêmes doutes que le Commissaire quant à l'opportunité de révéler d'avance à l'avocat, sur demande de celui-ci, les points spécifiques sur lesquels il entend questionner un certain témoin qui était d'ailleurs, en l'espèce, le client de cet avocat. Bien que je sois convaincu que le Commis- saire n'était nullement tenu d'obtempérer à cette demande, je souscris néanmoins à son avis que cela pourrait certes avoir pour effet d'accélérer le déroulement de l'enquête. Après avoir acquiescé à la demande de l'avocat, le Commissaire a décidé, pour des raisons pratiques, d'entendre et de tran-
cher à l'avance l'objection soulevée par ce dernier à l'égard de la seule question faisant l'objet du présent litige et qui devait être posée au témoin. Je suis d'accord avec cette façon de procéder.
C'est d'ailleurs pourquoi j'ai entendu la présente requête même si la question envisagée n'avait pas encore été posée au témoin, car le cours des événe- ments à venir est facile à prévoir. En effet, il est presque certain que le Commissaire va poser cette question au témoin et il est tout aussi certain que le témoin, sur recommandation de son avocat, va refuser d'y répondre. Refuser d'entendre aujour- d'hui cette requête n'aurait pour seul effet que de repousser la nécessité de trancher le litige qui y est soulevé jusqu'à ce que la question ait été posée au témoin et que celui-ci ait refusé d'y répondre.
A l'appel de la requête, l'avocat du procureur général du Canada a demandé que son client soit inscrit comme intervenant. Sur consentement de l'avocat du requérant, on acquiesça à cette demande. Le Commissaire n'était pas représenté.
Je souscris entièrement à l'avis de l'avocat du procureur général qui a fait ressortir que le Com- missaire a seulement une fonction administrative consistant à mener une enquête et à recueillir des renseignements en vue de la rédaction d'un rap port. Il n'exerce aucune fonction judiciaire ou quasi judiciaire puisqu'il ne rend aucune décision et ne formule aucune conclusion. A ce titre, il n'est tenu de suivre aucune des règles de justice natu- relle si ce n'est celle d'agir aussi équitablement que possible. Par conséquent, selon l'avocat du procu- reur général, tout bref de prohibition pris contre le Commissaire serait irrecevable.
Dans les circonstances de l'espèce, on ne cherche pas à empêcher le Commissaire d'exécuter son mandat tel qu'il est précisé dans le décret du conseil, mais à lui interdire de poser au témoin la question spécifique précitée. Pour résoudre ce litige, il faut se référer au libellé du décret afin d'y découvrir les limites du mandat confié au Commissaire.
Le but du décret est évident. Le Dr Boris Celovsky, un haut fonctionnaire de Statistique Canada, a fait certaines allégations qui pourraient avoir nuit au fonctionnement de l'organisme et saper la confiance du public à son égard. L'intérêt
public exige donc l'ouverture d'une enquête.
Pour ne pas aller à l'encontre du décret, il ne faut pas l'interpréter à la lettre, mais tenir compte plutôt de son objectif. Je ne dis pas que les disposi tions clairement libellées du décret doivent être régies par un renvoi à son objectif. Ce n'est que lorsque deux interprétations différentes sont possi bles qu'il faut retenir celle qui soit conforme à l'objectif du décret et nécessairement écarter l'autre.
En résumé, il faut donner au décret une inter- prétation large.
Lorsqu'il a précisé les points sur lesquels porte- ront les questions posées au D' Celovsky, le Com- missaire a indiqué qu'il se proposait, en vertu du paragraphe 2 du décret du conseil, de lui deman- der s'il avait personnellement révélé à la presse ou à des personnes ne travaillant pas pour Statistique Canada, des renseignements ou de l'information, de quelque nature que ce soit, acquis du fait de son emploi à Statistique Canada, et plus spécialement dans sa lettre du 6 novembre 1979 adressée au Dr Peter Kirkham, statisticien en chef, et publiée deux jours plus tard dans The Citizen d'Ottawa du 8 novembre 1979.
Pour des raisons de commodité et pour le faire ressortir, je reproduis ci-après hors contexte le paragraphe 2. Introduit par les mots «chargé de faire enquête et rapport sur», il est ainsi rédigé:
2. la conduite de toute personne au service de Statistique Canada, qui pourrait avoir manqué au serment d'office ou déclaration solennelle visé au paragraphe 6 de la Loi sur la statistique en divulguant sans autorisation des informations.
Il est clair que la conduite du D' Celovsky n'est pas exclue du champ d'enquête du Commissaire.
Toutefois, dans son interprétation de l'objet de l'enquête présentement en cause, l'avocat du requérant insiste sur le fait que l'article & de la Loi sur les enquêtes, en vertu duquel la présente Com mission fut créée, parle de la conduite, en ce qui a trait à ses fonctions officielles, de quiconque est un employé de la Fonction publique. Naturellement, l'expression clé est «fonctions officielles». Il est clair qu'on ne peut l'interpréter comme désignant «toute fonction». Les «fonctions officielles» d'un
employé de Statistique Canada, en tant que membre d'un groupe d'employés distinct de la Fonction publique, doivent être celles décrites dans la Loi sur la statistique. L'avocat du requérant déduit de ces principes que les employés de Statis- tique Canada ne doivent pas divulguer sans autori- sation des renseignements recueillis par l'orga- nisme en vertu des dispositions de la Loi sur la statistique et que c'est bien le sens du serment d'office énoncé à l'article 6 de cette Loi. Selon lui, l'interdiction de divulgation ne porte pas sur les autres renseignements que peut avoir recueillis un employé du fait de son emploi.
Pour ma part, je doute que l'interprétation res trictive mise de l'avant par l'avocat du requérant soit justifiée par le libellé du serment prêté par les employés de Statistique Canada. Ceux-ci jure (1) de remplir leurs fonctions en conformité des pres criptions de la Loi sur la statistique et (2) de ne pas révéler ni faire connaître «sans y avoir été dûment autorisé, rien de ce qui parviendra à [leur] connaissance du fait de [leur] emploi». Dans la version anglaise du texte, l'expression «in that behalf» peut se référer soit à des renseignements parvenus à la connaissance d'un employé et por- tant sur certaines matières relevant de l'organisme en vertu de la Loi sous le régime de laquelle celui-ci fonctionne, soit à l'autorisation qui doit être donnée.
La version française, elle, ne laisse aucun doute possible. L'expression «sans y avoir été dûment autorisé» se rapporte exclusivement à l'autorisa- tion. Celle-ci doit être spécifique. Cette clarté nous est très utile pour interpréter la version anglaise de la Loi. En effet, l'expression «in that behalf» doit aussi se rapporter à l'autorisation et non aux renseignements. Ceci étant admis, il s'ensuit que la particule «et» est une conjonction disjonctive. Par conséquent, celui qui prête serment le fait à deux titres différents: il jure de remplir fidèlement et honnêtement ses fonctions et il jure de ne révéler aucune matière ou chose parvenue à sa connais- sance «du fait de [son] emploi», sans y avoir été dûment autorisé. En d'autres termes, la seconde partie du serment est séparable de la première et ce, sans qu'elle en perde sa valeur. Il faut donc, dans ce contexte, donner à l'expression «du fait de mon emploi» son sens habituel.
Compte tenu de ce point de vue, je n'ai plus à décider si l'interprétation restrictive du serment donnée par l'avocat du requérant est celle à laquelle il faut souscrire ou non.
Considérant le vaste champ de l'enquête que le Commissaire est autorisé à mener dans les limites fixées par le décret du conseil, je ne vois pas comment l'on peut affirmer que la réponse à la question en cause ne serait pas pertinente à l'en- quête puisque ce n'est qu'une fois muni de cette réponse que le Commissaire pourra décider si la révélation constitue effectivement une violation du serment.
Quant à la lettre adressée au Dr Kirkham par le D r Celovsky, celui-ci y met tout d'abord sérieuse- ment en doute les normes adoptées pour la dota- tion des hauts fonctionnaires. Il s'agit d'une question interne d'administration ministérielle qui est sans doute parvenue à la connaissance du Dr Celovsky par suite de son emploi.
Ce dernier y cite ensuite en exemple trois projets dont deux constituaient des gaspillages de fonds publics. Ceux-ci n'auraient jamais être lancés mais ils l'ont été sans qu'il ne soit tenu aucun compte des recommandations des économistes du travail de Statistique Canada. Après que l'on eut constaté qu'il s'agissait de projets inutiles, ils furent abandonnés. Quant au troisième exemple, il vise l'indexation périodique du revenu du travail fondée sur des relevés de base peu sûrs, à quoi s'ajoute le fait qu'il n'existe pas de données techni ques constantes pouvant justifier cette indexation rendue nécessaire par suite des erreurs initiales.
Ces trois exemples constituent une critique des politiques et de la gestion de Statistique Canada. Ils sont parvenus à la connaissance du Dr Celovsky par suite de son emploi.
Adressée au statisticien en chef, au président de la Commission de la Fonction publique et peut- être à trois autres personnes (en lice pour une promotion), cette critique n'a rien de répréhensible en elle-même car il s'agit en fait d'une question interne. Toutefois, après révélation de cette lettre à la presse et après sa publication dans les journaux, d'autres considérations peuvent entrer en jeu.
Ces exemples de politiques peu sages et inutiles, cités par le D r Celovsky, peuvent être parvenus à la connaissance de ce dernier par suite de renseigne- ments recueillis en conformité de la Loi sur la statistique.
Le Commissaire est chargé, suivant les termes mêmes de son mandat, de faire toute la lumière sur cette affaire et il n'y arrivera qu'après avoir posé des questions pertinentes et obtenu des répon- ses satisfaisantes.
La question présentement en cause est celle que le Commissaire entend poser au titre du paragra- phe 2 du décret du conseil relativement à la con- duite de toute personne qui pourrait avoir manqué au serment d'office visé à l'article 6 de la Loi sur la statistique en divulguant sans autorisation des informations. Soulignons que le Commissaire est aussi tenu de faire enquête et rapport sur la con- duite de toute personne relativement à «toute allé- gation de conduite repréhensible ou illégale ... faite par M. Boris Celovsky ou d'autres, qui pour- rait avoir nuit au fonctionnement de l'organisme et ... la confiance du public à son égard».
J'interprète l'expression «conduite ... illégale» comme signifiant un manquement au serment d'of- fice, ce qui pourrait entraîner une poursuite crimi- nelle et une peine.
Mais le Commissaire doit aussi faire enquête et rapport sur toute «conduite repréhensible», cette expression étant précisée à l'alinéa 1 c) par les mots «personne ... qui aurait eu un comportement inconciliable avec ses responsabilités en tant que fonctionnaire».
La publication, par un employé de Statistique Canada, de critiques relatives au fonctionnement de cet organisme, même si elles sont justifiées, qui peuvent fort bien saper la confiance du public à l'égard de celui-ci, pourrait être considérée comme une conduite répréhensible en ce qu'elle constitue un comportement inconciliable avec les responsabi- lités d'un fonctionnaire. Cette remarque serait éga- lement applicable à toute déclaration publique faite en ce sens.
Aux termes du décret du conseil, le Commis- saire est tenu de faire enquête et rapport sur cette affaire; par conséquent, la question qu'il envisage de poser au Dr Celovsky est pertinente. Compte
tenu de cette conclusion, je n'ai pas à me pronon- cer sur l'interprétation à donner au serment d'of- fice ni sur ce qui y est spécifiquement prévu comme n'étant pas une matière dont la divulgation sans autorisation expresse constitue un manque- ment à ce serment.
Pour ces motifs, la requête est rejetée.
Compte tenu des circonstances de l'espèce, il n'y aura pas d'adjudication des dépens en faveur ou à l'encontre de l'une des parties, d'autant plus qu'au- cune partie n'a demandé l'adjudication des dépens.
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