Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

A-777-77
La Reine (Appelante) (Demanderesse)
c.
Gilbert A. Smith (Intimé) (Défendeur)
Cour d'appel, les juges Urie et Le Dain et le juge suppléant Kelly—Fredericton, 7 et 8 novembre 1979; Ottawa, 24 juin 1980.
Indiens Dénonciation par la Couronne Terres de réserve Appel d'une décision de la Division de première instance rejetant une action intentée par la Reine pour que lui soit reconnu le droit de possession d'une terre cédée située dans une réserve indienne, terre jamais vendue, au motif que l'intimé a acquis la propriété de l'immeuble en vertu d'une possession acquisitive non interrompue d'au moins soixante ans Il échet de déterminer, si, indépendamment de la question de la possession acquisitive, l'appelante a le droit à la possession Il échet de déterminer si le droit de possession revendiqué par l'appelante peut être éteint par possession acquisitive Il échet de déterminer s'il y a effectivement eu possession acquisitive non interrompue pendant au moins soixante ans Il est fait droit à l'appel Loi sur les Indiens, S.R.C. 1970, c. I-6, art. 2, 31, 53(1), 88 Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867, 30 & 31 Vict., c. 3 (R.-U.) /S.R.C. 1970, Appendice II, 51, art. 91(24) Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10, art. 38(2).
Appel d'un jugement de la Division de première instance rejetant une action intentée par la Reine pour que lui soit reconnu le droit de possession d'une terre cédée située dans une réserve indienne, terre qui n'a jamais été vendue ou autrement aliénée, au motif que l'intimé a acquis la propriété de l'immeu- ble en vertu d'une possession acquisitive non interrompue d'au moins soixante ans. L'immeuble faisait partie d'une région mise de côté par la province pour en faire une réserve indienne. Les Indiens le louèrent à Travis à compter de 1838. En 1841, il présenta sans succès à la Couronne une demande de concession relativement à l'immeuble. En 1867, la compétence relative- ment aux réserves indiennes du Nouveau-Brunswick fut donnée au gouvernement du Dominion par l'article 91(24) de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867. L'immeuble fut cédé au gouvernement du Dominion en 1895. Vers 1898, l'immeuble fut occupé par le petit-fils de Travis qui, en 1901, fit faire un arpentage pour servir de fondement à une concession. Cet arpentage excluait l'immeuble. Il ressort de la preuve qu'en 1904 ou 1905, l'immeuble était occupé par Mutch, mais il n'y a rien qui suggère un quelconque lien ou une continuité entre l'occupation du petit-fils de Travis et l'occupation subséquente de Mutch. Jusqu'en 1960, Mutch ou les membres de sa famille y avaient leur résidence et y faisaient de la culture et de la coupe des arbres. Mutch écrivit au ministère des Affaires indiennes en 1919 pour obtenir la concession de l'immeuble, mais elle ne lui fut pas octroyée. L'intimé acheta l'immeuble de Mutch sans faire faire d'examen des titres et sans avoir con- naissance d'aucune revendication indienne relativement à l'im- meuble. Il y construisit un chalet et y vendit du gravier extrait de la carrière de gravier qui s'y trouve. En 1958, les gouverne- ments fédéral et provincial conclurent une convention transfé- rant au gouvernement fédéral tous les droits de la province dans
les terres de réserve. La présente procédure fut introduite en 1973. Dans la dénonciation, il est allégué que l'immeuble fait partie de la réserve indienne Red Bank, qu'il est dévolu à Sa Majesté sous réserve seulement des conditions de la cession de l'immeuble faite en 1895, que jamais l'immeuble ne fut vendu à la suite de cette cession et qu'il est une «terre cédée» au sens de la Loi sur les Indiens, que Sa Majesté a le droit de possession de cet immeuble, et que la bande fait valoir que l'intimé, un non-Indien, prétend avoir acquis le droit de possession de l'immeuble en vertu d'une possession acquisitive mais qu'il n'a aucun droit à la possession. La dénonciation conclut en deman- dant un jugement déclaratoire portant que l'appelante a droit à la libre possession de l'immeuble. L'intimé déclare que si l'immeuble faisait partie de la réserve, il fut dévolu à la Couronne du chef de la province, libre de tout intérêt indien, par suite de la cession de 1895 et que la propriété de l'immeu- ble lui est acquise en vertu d'une possession acquisitive non interrompue. L'intimé nie que l'immeuble soit une «terre cédée». Subsidiairement, l'intimé réclame une indemnité pour les améliorations faites par lui sur cet immeuble. Il s'agit de déterminer si, indépendamment de la question de la possession acquisitive, l'appelante a le droit à la possession de l'immeuble, si le droit de possession revendiqué par l'appelante peut être éteint par possession acquisitive et s'il y a effectivement eu possession acquisitive non interrompue de l'immeuble pendant au moins soixante ans.
Arrêt: il est fait droit à l'appel et l'appelante a droit à la libre possession de l'immeuble moyennant paiement d'une indemnité pour les améliorations. Le recours de l'appelante ne peut se fonder sur l'article 31, d'une part parce que l'immeuble ne fait pas partie de la réserve au sens de la Loi, et d'autre part parce que la bande n'a pas le droit à l'occupation ou à la possession de cet immeuble. Il ressort de la preuve que l'immeuble faisait partie de la réserve qui, au moment de la Confédération, est passée sous la compétence du gouvernement fédéral à titre de terre réservée aux Indiens au sens de l'article 91(24) de l'A.A.N.B. Le gouvernement fédéral était d'avis, lorsqu'il demanda la cession de 1895, que les lots non cédés des deux côtés de la rivière faisaient toujours partie de la réserve. Après la cession de 1895 les Indiens ne pouvaient plus revendiquer le droit d'occuper l'immeuble. A compter de cette date, leur intérêt dans l'immeuble était dans sa vente et dans l'affectation du produit à leur profit. La définition de «terres cédées» s'appli- que à l'immeuble. Lorsque la Loi sur les Indiens emploie le mot «réserve» seul, comme dans l'article 31, on ne veut pas viser à la fois les terres cédées et la partie non cédée d'une réserve. Le titre de l'immeuble ne fut pas touché par la convention de 1958. Par conséquent, une action revendiquant la possession de l'im- meuble par la Couronne du chef du Canada ne peut être fondée sur le titre de l'immeuble. Peu importe si les terres cédées demeurent partie de la réserve au sens de la Loi sur les Indiens, elles demeurent, jusqu'à leur aliénation finale, des terres réser- vées aux Indiens au sens de l'article 91(24) de l'A.A.N.B. et, en tant que telles, continuent de relever de la compétence législa- tive fédérale. A cause de la responsabilité continue du gouver- nement fédéral pour le contrôle et l'administration de ces terres jusqu'à leur aliénation finale conformément aux termes d'une cession, les terres cédées doivent continuer de relever des compétences législative et administrative fédérales. Ce sont des terres qui sont possédées pour le bénéfice des Indiens bien qu'ils aient convenu d'accepter le produit de la vente en contrepartie
du renoncement à leur droit d'occupation. La Couronne du chef du Canada a, accessoirement à son pouvoir de contrôle et d'administration, le droit d'intenter une action pour recouvrer la possession de terres cédées. Puisque ces terres demeurent des terres réservées aux Indiens au sens de l'article 91(24) de l'A.A.N.B. et qu'elles continuent d'être détenues par la Cou- ronne pour le bénéfice des Indiens à cause de leur intérêt pécuniaire dans celles-ci, l'application de la loi provinciale sur la prescription de façon à ce qu'un non-Indien puisse acquérir par prescription la propriété de ces terres détruirait le régime spécial prévu pour ces terres dans la Loi sur les Indiens et irait à l'encontre des conditions de la fiducie auxquelles elles auraient été cédées. De toute façon, la preuve n'établit pas une possession acquisitive non interrompue d'au moins soixante ans. Il y a un intervalle entre l'occupation des Travis et l'occupation de Mutch. La preuve relative à l'occupation réunie d'Ebenezer
Travis et de son petit-fils de 1838 1901 n'établit pas claire- ment quand elle est devenue une occupation ou possession acquisitive. Aucun des documents mentionnés n'établissant l'étendue de l'occupation de Travis et de son petit-fils, il n'est pas clair qu'il y ait eu possession réelle. Les activités de Mutch et de sa famille sur l'immeuble constituent une occupation du genre requis pour la possession acquisitive mais la lettre qu'il écrivit en 1919 pour demander la concession de l'immeuble pose un problème. La lettre constitue une reconnaissance par Mutch du titre de la Couronne. L'appelante a donc droit à la possession de l'immeuble. Il s'agit d'un cas la Couronne, par suite de sa longue période d'inaction, particulièrement à comp- ter de 1919, alors qu'elle savait que l'immeuble était occupé par des non-Indiens, doit être considérée comme étant demeurée passive et comme ayant acquiescé aux améliorations faites par l'intimé et son prédécesseur en occupation. Aussi, l'intimé se croyait propriétaire de l'immeuble au moment il a fait les améliorations. Il serait inadmissible de permettre à la Couronne de recouvrer la libre possession de l'immeuble sans être tenue de verser une indemnité pour les améliorations. Le montant de l'indemnité est l'augmentation de la valeur de l'immeuble due aux améliorations durables.
Arrêts mentionnés: Doe dem. Burk c. Cormier (1890) 30 N.B.R. 142; Warman c. Francis (1959-60) 43 M.P.R. 197; R. c. Isaac (1976) 13 N.S.R. (2e) 460; St. Catherine's Milling and Lumber Co. c. La Reine (1889) 14 App. Cas. 46, (1887) 13 R.C.S. 577; Le procureur général du Domi nion du Canada c. Le procureur général de l'Ontario [1897] A.C. 199; Ontario Mining Co., Ltd. c. Seybold (1900) 31 O.R. 386, [1903] A.C. 73; Dominion du Canada c. La province de l'Ontario [1910] A.C. 637; Le procureur général de la province de Québec c. Le procu- reur général du Dominion du Canada [1921] 1 A.C. 401; R. c. Devereux [1965] R.C.S. 567; Les parents naturels c. Le Superintendent of Child Welfare [1976] 2 R.C.S. 751; Sherren c. Pearson (1888) 14 R.C.S. 581; Hamilton c. Le Roi (1917) 54 R.C.S. 331; Ramsden c. Dyson (1886) L.R. 1 H.L. 129; Montreuil c. The Ontario Asphalt Co. (1922) 63 R.C.S. 401; McBride c. McNeil (1913) 27 O.L.R. 455. Arrêt suivi: R. c. Lady McMaster [1926] R.C.E. 68. Arrêts appliqués: Easterbrook c. Le Roi [1931] R.C.S. 210, confirmant [1929] R.C.E. 28; Corporation of Surrey c. Peace Arch Enterprises Ltd. (1970) 74 W.W.R. 380; Cardinal c. Le Procureur général de l'Alberta [1974] R.C.S. 695; Construction Montcalm Inc. c. La Commis-
sion du salaire minimum [1979] 1 R.C.S. 754; Four B Manufacturing Ltd. c. Les Travailleurs unis du vêtement d'Amérique [1980] 1 R.C.S. 1031; Attorney -General ta His Highness the Prince of Wales c. Collom [1916] 2 K.B. 193. Distinction faite avec l'arrêt: St. Ann's Island Shoot ing and Fishing Club Ltd. c. Le Roi [1950] R.C.E. 185, [1950] R.C.S. 211. Arrêt examiné: Le procureur général du Canada c. Giroux (1916) 53 R.C.S. 172. Arrêts approuvés: Mowat, le procureur général du Dominion du Canada & Casgrain, le procureur général de la province de Québec (1897) 6 C.B.R. 12; Fahey c. Roberts arrêt non publié de la D.B.R. (C.S.N.-B.).
ACTION. AVOCATS:
E. Neil McKelvey, c.r. et Robert R. Anderson pour l'appelante (demanderesse).
Horace R. Trites, c.r., William J. McNichol et James E. Anderson pour l'intimé (défen- deur).
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour l'appelante (demanderesse).
Anderson, MacLean, Chase, McNichol & Blair, Moncton, pour l'intimé (défendeur).
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE LE DAIN: Il s'agit d'un appel formé contre un jugement de la Division de première instance [[1978] 1 C.F. 653] rejetant une action intentée par Sa Majesté la Reine pour que lui soit reconnu le droit de possession d'une terre cédée située dans une réserve indienne, terre qui n'a jamais été vendue ou autrement aliénée, au motif que l'intimé a acquis la propriété de la terre en vertu d'une possession acquisitive non interrompue d'au moins soixante ans.
Conclusions des parties
L'action a été introduite par la production d'une dénonciation par le sous-procureur général du Canada au nom de Sa Majesté la Reine par suite d'une allégation faite par la bande d'Indiens Red Bank sous le régime de l'article 31 de la Loi sur les Indiens, S.R.C. 1970, c. I-6 dont voici le libellé:
31. (1) Sans préjudice de l'article 30, lorsqu'un Indien ou une bande prétend que des personnes autres que des Indiens
a) occupent ou possèdent illégalement, ou ont occupé ou possédé illégalement, une réserve ou une partie de réserve,
b) réclament ou ont réclamé sous forme d'opposition le droit d'occuper ou de posséder une réserve ou une partie de réserve, ou
c) pénètrent ou ont pénétré, sans droit ni autorisation, dans une réserve ou une partie de réserve,
le procureur général du Canada peut produire à la Cour fédérale du Canada une dénonciation réclamant, au nom de l'Indien ou de la bande, le soulagement ou le redressement désiré.
(2) Une dénonciation produite sous le régime du paragraphe (1) est réputée, à toutes fins de la Loi sur la Cour fédérale, une procédure engagée par la Couronne, au sens de ladite loi.
(3) Rien au présent article ne doit s'interpréter comme atténuant, diminuant ou atteignant d'autre façon un droit ou recours qui, sans le présent article, serait accessible à Sa Majesté, ou à un Indien ou une bande.
Dans l'allégation faite le 15 février 1973, la bande déclare que l'intimé, qui n'est pas Indien, prétend avoir acquis, en vertu d'une possession acquisitive, le droit de possession des terres et bâtiments faisant partie du lot 6 situé dans la «partie cédée» de la réserve indienne Red Bank numéro 7, comté de Northumberland, province du Nouveau-Brunswick, et demande [TRADUCTION] «au procureur général du Canada de produire à la Cour fédérale du Canada une dénonciation récla- mant au nom de la bande d'Indiens Red Bank la possession de ces terres et bâtiments».
Les terres et bâtiments (ci-après appelés «l'im- meuble») sont décrits comme suit dans l'allégation et dans la dénonciation:
[TRADUCTION] Dans la province du Nouveau-Brunswick, dans le comté de Northumberland, dans la partie cédée de la réserve indienne Red Bank 7, la partie du lot 6 dont la description suit:
Commençant à un point situé à l'intersection de la ligne de division entre le lot 5A (lettre patente 18726) et le lot 6 avec la rive nord de la rivière Little Southwest Miramichi. Ce point se trouvant à une distance de quatre cent huit (408) pieds selon une orientation astronomique reportée sur le méridien passant par la borne-signal IR 1 tel qu'indiqué dans le plan 52894 du Registre d'arpentage des terres du Canada de cent soixante- deux degrés, cinquante-quatre minutes, dix-huit secondes (162° 54' 18"), d'un poteau A.T.C. régulier marqué L5, L6, 191, 1964, posé sur ladite ligne de division par W.D. McLellan, N.B.L.S. en 1964.
De là, le long de ladite ligne de division en suivant une orientation astronomique de trois cent quarante-deux degrés, cinquante-quatre minutes, dix-huit secondes (342° 54' 18") jusqu'à un point distant de quatre cent huit (408) pieds se trouve ledit poteau A.T.C.
De là, en continuant le long de ladite ligne de division en suivant une orientation de trois cent quarante-deux degrés,
cinquante-quatre minutes, dix-huit secondes (342° 54' 18") jusqu'à un point distant de mille quatre cent quatre-vingt-dix- sept pieds et vingt-neuf centièmes (1,497.29') se trouve un ancien poteau de fer A.T.C. marqué de la lettre R à la limite sud du grand chemin entre Littleton et Halcomb.
De là, le long de ladite limite en suivant une orientation de cent onze degrés, quatre minutes, zéro seconde (111° 04' 00") sur une distance de cent soixante-six pieds et vingt-six centièmes (166.26'), jusqu'à un ancien poteau de fer A.T.C. marqué de la lettre R.
De en continuant le long de ladite limite, en suivant, vers la gauche, une courbe ayant un rayon de cinq cent cinquante-qua- tre pieds et soixante-sept centièmes (554.67') sur une distance de quatre cent neuf pieds et trente-quatre centièmes (409.34') jusqu'à un poteau A.T.C. «69» portant le numéro 23.
De là, en continuant le long de ladite limite en suivant une orientation de soixante-huit degrés, quarante-sept minutes, zéro seconde (68° 47' 00") sur une distance de sept pieds et vingt- deux centièmes (7.22') jusqu'à un poteau A.T.C. «69» portant le numéro 40.
De là, en suivant une orientation de cent soixante-trois degrés, dix-neuf minutes, huit secondes (163° 19' 08") sur une distance de cent soixante-cinq pieds et cinquante-deux centièmes (165.52') jusqu'à un poteau A.T.C. «69» portant le numéro 41.
De là, en suivant une orientation de soixante-huit degrés, quarante-sept minutes, zéro seconde (68° 47' 00") sur une distance de cent trente-deux pieds et zéro centième (132.00') jusqu'à un poteau A.T.C. «69» portant le numéro 39.
De là, en suivant une orientation de cent soixante-trois degrés, dix-neuf minutes, huit secondes (163° 19' 08") sur une distance de deux cent soixante et un pieds et dix centièmes (261.10') jusqu'à un poteau A.T.C. «69» portant le numéro 35.
De là, en suivant une orientation de cent cinquante-neuf degrés, quarante-deux minutes, trente-deux secondes (159° 42' 32") sur une distance de sept cent vingt-quatre pieds et cinquante- neuf centièmes (724.59') jusqu'à un poteau A.T.C. «69» portant le numéro 33.
De là, en suivant une orientation de cent soixante-deux degrés, seize minutes, trente secondes (162° 16' 30") sur une distance de quatre cent soixante-dix-sept pieds et vingt-deux centièmes (477.22') jusqu'à un poteau A.T.C. «69» portant le numéro 31. De là, en suivant une orientation de cent soixante-deux degrés, seize minutes, trente secondes (162° 16' 30") sur une distance de onze (11) pieds jusqu'à la rive nord de la rivière Little Southwest Miramichi.
De là, en direction sud-ouest le long de la rive nord de la rivière Little Southwest Miramichi jusqu'au point de départ.
Tel qu'indiqué dans le plan 57932 du Registre d'arpentage des terres du Canada.
Dans la dénonciation, il est allégué que l'immeu- ble fait partie de la réserve indienne Red Bank numéro 7, qu'il est dévolu à Sa Majesté sous réserve seulement des conditions de la cession de l'immeuble faite en 1895, que l'immeuble n'a jamais été vendu à la suite de cette cession et qu'il est une «terre cédée» au sens de la Loi sur les
Indiens; que Sa Majesté a le droit de possession de cet immeuble, que la bande a fait l'allégation mentionnée ci-dessus, et que l'intimé, un non- Indien, prétend avoir acquis le droit de possession de l'immeuble en vertu d'une possession acquisitive mais qu'il n'a aucun droit à la possession. Les conclusions de la dénonciation sont ainsi libellées:
[TRADUCTION] a) un jugement déclaratoire portant que Sa Majesté la Reine a le droit de possession de ces terres et bâtiments;
b) libre possession de ces terres et bâtiments au nom de la bande d'Indiens Red Bank ou subsidiairement, libre posses sion de ces terres et bâtiments;
Dans sa défense, qui fut modifiée avec permis sion en septembre 1976 et de nouveau avec permis sion au cours de l'instruction en mai 1977, l'intimé déclare que si l'immeuble faisait partie de la réserve indienne Red Bank, ce qui n'est pas admis mais plutôt nié, il fut, par suite de la cession de 1895, dévolu à la Couronne du chef de la province du Nouveau-Brunswick, libre de tout intérêt indien, et que l'intimé a acquis la propriété de l'immeuble en vertu d'une [TRADUCTION] «posses- sion acquisitive publique, notoire et non interrom- pue» de cet immeuble par lui-même et ses auteurs, tant avant qu'après la cession. L'intimé nie que l'immeuble soit une «terre cédée» au sens de la Loi sur les Indiens.
Dans sa réplique, l'appelante déclare qu'avant la cession, le droit de propriété de Sa Majesté la Reine n'était [TRADUCTION] «sujet qu'au droit personnel et d'usufruit de la bande d'Indiens Red Bank et qu'après cette cession et son acceptation, le droit de propriété de Sa Majesté la Reine était et continue d'être sujet uniquement aux conditions de ladite cession», et l'appelante nie que l'immeu- ble fût, avant ou après la cession, en la possession publique, non interrompue, acquisitive et notoire de l'intimé ou de ses prétendus auteurs.
Outre sa défense fondée sur la possession acqui sitive, l'intimé réclame, à titre subsidiaire, une indemnité pour les améliorations faites par lui sur cet immeuble.
Les questions en litige
A part la question de l'indemnité, les questions soulevées par l'appel peuvent se résumer comme suit:
1. Indépendamment de la question de la posses sion acquisitive, l'appelante a-t-elle le droit à la possession de l'immeuble?
2. En principe, le droit de possession revendiqué par l'appelante peut-il être éteint par possession acquisitive?
3. Y a-t-il effectivement eu possession acquisi tive non interrompue de l'immeuble pendant au moins soixante ans?
Les faits
Il ressort de la preuve que l'immeuble, d'une superficie de vingt-cinq acres et sur lequel l'intimé a fait des améliorations, faisait partie d'une région, des deux côtés de la rivière Little Southwest Mira- michi dans le comté de Northumberland, reconnue par le gouvernement du Nouveau-Brunswick au début des années 1800 comme ayant été mise de côté pour en faire une réserve à l'usage de la tribu des Indiens Micmacs, connue sous le nom de la tribu Julien ou «Julian», d'après le nom de leurs chefs. La région, divisée par la rivière, couvrait dix mille acres ou cinq milles carrés; c'est pourquoi les gens de l'endroit l'appelaient «Five Mile Block».
La date et le fondement précis de l'établisse- ment de la réserve sur la rivière Little Southwest Miramichi ne sont pas sûrs, mais elle fut sans aucun doute reconnue comme étant une réserve avant le début, qu'on prétend fixer vers 1838, de l'occupation de l'immeuble par des non-Indiens, occupation sur laquelle l'intimé fonde en partie sa défense.
La Couronne ne s'appuie pas, pour ce qui con- cerne l'établissement de la réserve, sur la Procla mation royale du 7 octobre 1763 (S.R.C. 1970, Appendice II, 1). Il y a controverse sur la question de savoir si la Proclamation, pour ce qui concerne les droits des Indiens, s'applique au terri- toire qui fut séparé de la Nouvelle-Ecosse pour devenir la province du Nouveau-Brunswick en 1784. Voir Doe dem. Burk c. Cormier (1890) 30 N.B.R. 142, la page 148, le juge en chef Sir John C. Allen se dit d'avis qu'elle ne s'applique pas; Warman c. Francis (1959-60) 43 M.P.R. 197, aux pages 205 et 211, le juge Anglin déclare qu'elle s'applique; La Forest, Natural Resources and Public Property under the Canadian Consti tution, c. 7, «Property in Indian Lands», aux pages 111, 125 et 126, qui dit ne pas être d'accord avec
ce point de vue; et R. c. Isaac (1976) 13 N.S.R. (2e) 460, aux pages 478 et 497, le juge en chef de la Nouvelle-Ecosse MacKeigan et le juge d'ap- pel Cooper de la Cour d'appel de la Nouvelle- Ecosse déclarent tous deux que la Proclamation s'applique à la Nouvelle-Écosse. En l'espèce, le savant juge de première instance exprime un avis contraire. J'entends étudier cette question plus tard, dans la mesure il semble nécessaire de le faire pour statuer sur le présent appel.
D'après les dossiers du gouvernement du Nou- veau-Brunswick datant du début du 19e siècle, comme nous le verrons, le 13 août 1783 serait la date à laquelle fut établie une réserve de quelque dix mille acres, des deux côtés de la rivière Little Southwest Miramichi. La preuve ne permet pas d'établir exactement ce qui fut fait en 1783 bien que le professeur W. D. Hamilton, reconnu par le juge de première instance comme un expert sur l'histoire de la région de la Little Southwest Mira- michi et de ses habitants, ait déclaré dans son témoignage, apparemment au sujet de l'année 1783, qu'il y avait une [TRADUCTION] «liste d'oc- cupation» sans arpentage ni détermination des limites. Il est possible que ce soit la réserve que mentionne le juge Anglin dans l'arrêt Warman c. Francis, précité, à la page 202, il dit, relative- ment à la situation à l'époque de la création de la province du Nouveau-Brunswick en 1784: [TRA- DUCTION] ((A cette époque, une seule réserve avait été établie pour les Micmacs sur l'embranchement nord-ouest de la rivière Miramichi par l'octroi, en 1783, d'un `permis d'occupation' par le gouverneur de la Nouvelle-Écosse, M. Parr.» A noter que dans sa correspondance relative à l'immeuble en 1973, le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien mentionne que la réserve fut créée vers la fin du 18e siècle.
Quoi qu'il en soit, le 27 septembre 1804, Dugald Campbell, arpenteur-géomètre adjoint, certifiait (pièce Pa-2) avoir effectué pour [TRADUCTION] «Francis Julien et les Indiens de la rivière Little Southwest» l'arpentage d'une [TRADUCTION] «région commençant à l'embouchure de ladite rivière et s'étendant en amont sur une distance de cinq milles». Le plan accompagnant le rapport d'arpentage (pièce Pa-1) porte l'inscription sui- vante: [TRADUCTION] «Terres réclamées par la tribu d'Indiens dont Francis Julien est le chef». Au
bas du certificat de l'arpenteur-géomètre adjoint figure la déclaration suivante faite par George Sproule, arpenteur général, le 10 septembre 1805: [TRADUCTION] «Nul ne pourra empiéter sur la région décrite ci-dessus ni présenter de demande qui s'y rapporte avant que l'attribution proposée de terres aux Indiens ne soit faite et confirmée en conseil.» Par une déclaration inscrite le 13 juillet 1806 sur le même document, Francis Julien exprime le vœu qu'à sa mort, la région soit trans- mise à ses deux fils, Mitchell et Barnaby. Ceci peut représenter un point de vue que le professeur Hamilton dit avoir existé de 1783 jusqu'au début des années 1840, quant à savoir si le droit d'occu- pation avait été octroyé à la famille Julien ou à l'ensemble des Indiens de Little Southwest.
Le 28 février 1807, l'arpentage fait par Dugald Campbell fut soumis au Conseil exécutif et approuvé (pièce Pa-3) et le 24 septembre 1808, le Conseil exécutif (pièce Pa-4) approuva le rapport de l'arpenteur général relativement aux terres indiennes sur la rivière Miramichi et ordonna qu'un permis d'occupation soit délivré aux Indiens, conformément au rapport, pour la région se trou- vant sur la rivière Little Southwest. Cet acte du gouvernement du Nouveau-Brunswick peut n'avoir été qu'une confirmation, fondée sur l'arpentage de Campbell, d'une revendication tirant son origine d'une forme quelconque de reconnaissance faite en l'année 1783, mais cet acte semble être celui par lequel la réserve, avec des limites précises, fut officiellement créée.
Le 24 janvier 1838, l'assemblée législative du Nouveau-Brunswick adopta la résolution suivante (pièce Pa-5): [TRADUCTION] «Que soit fournie à la présente assemblée la documentation pour qu'elle ait les renseignements pertinents relatifs à toutes les régions réservées à l'usage des Indiens dans la province, l'endroit ces réserves se trouvent, la date de leur création, leur nature et les tribus d'Indiens pour lesquelles elles furent respective- ment créées.» Par suite de cette résolution, un [TRADUCTION] «Inventaire des réserves indiennes au Nouveau-Brunswick» daté du 31 janvier 1838 (pièce Pa-6) qui avait été préparé par le commis- saire des terres de la Couronne et arpenteur géné- ral fut déposé devant l'assemblée et joint en annexe aux Journals of the House of Assembly pour la période du 28 décembre 1837 au 9 mars
1838. L'inventaire décrit notamment les réserves suivantes du comté de Northumberland: [TRADUC- TION] «10,000 acres de chaque côté de la rivière Little South West, au confluent de celle-ci et de la rivière North West Miramichi, le 13 août 1783; 3,033 acres du côté nord de la North West Miramichi, commençant à l'opposite du point le plus bas de Beobcar's point et remontant la rivière; le 10 janvier 1789; pour John Julian et la tribu d'Indiens Miramichi.» A la fin de l'inventaire se trouve la note suivante: [TRADUCTION] «Nature des réserves—A occuper et posséder jusqu'à révocation.»
Il semblerait que quelques années après avoir reçu le permis d'occupation pour la région sur la rivière Little Southwest, la famille Julien ait conclu divers contrats pour tirer des revenus de la terre. Le 10 août 1820 (pièce D-39), Francis Julien et d'autres louèrent pour le fourrage vert [TRADUCTION] «les terres attribuées aux Indiens sur la rivière Little South West» à Richard McLaughlin pour une période de six ans, moyen- nant un loyer annuel de £50. Les Julien prétendi- rent également vendre ou louer des lots de la grandeur d'une exploitation rurale de chaque côté de la rivière à des colons non indiens. Ce qu'on a plus tard appelé le lot 5 sur la rive nord de la rivière (et dans lequel l'immeuble en litige se trouvait jusqu'à ce que la limite des lots 5 et 6 soit modifiée vers 1904) fut occupé par un dénommé Ebenezer Travis, avec le consentement des Indiens, à compter de 1838 ou à peu près.
Travis paya un loyer aux Indiens pendant quel- que temps, mais le 25 octobre 1841, il présenta à la Couronne une demande de concession relative- ment au terrain qu'il occupait. La requête (pièce D-20) est ainsi rédigée:
[TRADUCTION] A Son Excellence le lieutenant colonel Sir William McBean George Colebrook, lieutenant gouverneur de la province du Nouveau-Brunswick
Dans la requête d'Ebenezer Travis de Northesk dans le comté de Northumberland, fermier, il est très humblement déclaré:
Que votre requérant est un sujet britannique natif de la province du Nouveau-Brunswick qui réside sur une partie de la réserve indienne se trouvant sur la rive nord de la rivière Little South West entre des terres louées par la bande d'Indiens à John McAllister et Robert Emerson et s'étendant à l'arrière jusqu'à la limite de ladite réserve indienne et contenant environ deux cents acres.
Que votre requérant s'est installé sur lesdites terres sans bail mais avec le consentement exprès desdits Indiens, qu'il a payé un loyer annuel de 40 shillings argent à la tribu Julien et qu'il y a érigé une maison et une petite grange et défriché environ quatre acres de ladite terre.
Que votre requérant est un homme très pauvre, qu'il a une femme et six enfants et qu'il travaille très fort pour les suppor ter et en même temps pour améliorer ladite terre ainsi obtenue desdits Indiens et qu'il désire ardemment obtenir la confirma tion de son titre de propriété relativement à ladite terre.
Votre requérant prierait humblement son Excellence de pren- dre son cas en considération et d'ordonner qu'une concession lui soit octroyée ou d'autoriser votre requérant à faire sur ces lieux ce que son Excellence jugera juste et bon et aux conditions que votre requérant pourra être en mesure de remplir.
Et votre requérant ne cessera de prier.
Ebenezer Travis
En 1841, Moses H. Perley, commissaire des affaires indiennes fit plusieurs rapports sur les conditions des Indiens au Nouveau-Brunswick, dont certains extraits furent publiés en annexe (pièce D-21) au Journal of the Legislative Assem bly en 1842. Aux pages xcviii â xcix de l'annexe, on trouve les passages suivants:
[TRADUCTION] Le 30, nous remontâmes la rivière North West Miramichi jusqu'à Red Bank, à l'embouchure de la rivière Little South West. Quelques familles sont établies à Red Bank, d'autres, dans la réserve sur la rive opposée: 50 âmes en tout.
Barnaby Julien réside à Red Bank il possède maison et grange passables. Il succéda à son frère André Julien au titre de chef de la nation Micmac et obtint une commission en bonne et due forme, portant la signature de Son Excellence Sir Archi- bald Campbell ainsi que le contreseing du secrétaire provincial, daté du 20 septembre 1836, le nommant chef des Indiens Micmacs de Miramichi et de ses écarts et leur enjoignant d'obéir à leur chef. En vertu de cette commission, Barnaby Julien s'appropria le droit de vendre et de louer la plus grande partie de la réserve de 10,000 acres sur la Little South West et, dois-je avouer à regret, d'après les meilleurs renseignements que j'ai pu obtenir, il a depuis reçu presque 2,000 livres en argent et en biens de diverses personnes en considération d'ac- tes et de baux et pour rentes. Ces loyers pour l'année représen- tent une somme très importante; pourtant je le trouve tellement gêné par ses affaires pécuniaires, qu'il n'ose pas venir à New- castle, sauf le dimanche, par crainte d'être arrêté par le shérif. Les membres de sa famille sont les seuls à avoir bénéficié de l'argent qu'il a recueilli, aucun des autres Indiens n'en recevant la plus petite partie. En conséquence de cette mauvaise gestion, les Micmacs destituèrent solennellement Barnaby Julien de sa charge de grand chef à leur dernière assemblée annuelle à Burnt Church Point le jour de la Sainte-Anne (le 26 juillet) et déclarèrent qu'il n'avait plus aucune autorité en tant que chef. Nicholas Julien, qui venait au second rang après son frère Barnaby, devint le principal chef des Micmacs mais il exerçait cette fonction depuis si peu de temps lors de ma visite qu'il n'avait encore fait aucun changement dans la gestion des affaires.
A la page cxi de l'annexe, il est dit, relativement
à la [TRADUCTION] «Réserve sur la rivière Little South West Miramichi», que le rapport déclare être une étendue de quelque 10,000 acres divisée par la Little South West:
[TRADUCTION] C'est la région dont Barnaby Julien dispose à sa guise depuis plusieurs années, vendant et louant la quasi- totalité de celle-ci, et gaspillant l'argent, tel qu'il est dit dans la première partie du présent rapport. Il y a un grand nombre de personnes dans cette réserve, des locataires qui paient leur loyer régulièrement, qui ont fait d'importantes améliorations qui ont accru la valeur de leur terre. Elles ont en général jugé que si leur titre de propriété n'était pas absolu, il leur donnait néan- moins contre le gouvernement une bonne réclamation en accord avec les principes de l'équité, et que toutes les améliorations qu'elles pourraient faire leur seraient acquises. Elles se situent en général bien au-delà des colons sans titre de la dernière région mentionnée, tant par leur caractère que par leur situa tion. Il était très étrange de comparer ces personnes, qui croyaient avoir un bon titre, avec celles qui n'avaient pas l'ombre d'un droit et de remarquer la différence entre le colon sans titre, désordonné, et le colon honnête et travailleur. L'air et le comportement extérieur de ces derniers, le niveau supé- rieur de confort dans leur maison, et l'apparence respectable de leur famille étaient des preuves évidentes des avantages d'une vie en conformité avec les lois et de la grande supériorité morale et sociale de ceux qui vivaient ainsi sur ceux qui vivaient en marge de la légalité.
Un rapport de l'arpenteur général sur les réser- ves indiennes (pièce D-21) daté du 29 juin 1841 et reproduit à la page cxxvi de l'annexe contenant le rapport Perley décrit la réserve sur la rivière Little Southwest Miramichi en ces termes: [TRADUC- TION] «10,000 acres de chaque côté de la rivière Little South West, au confluent de celle-ci et de la rivière North West Miramichi-13 août 1783.» Sous le titre [TRADUCTION] «Relevé du nombre de personnes qui se sont établies et habitent dans des parties des réserves indiennes dans la province du Nouveau-Brunswick, 1841», le rapport indique le nombre 49 pour la [TRADUCTION] «Réserve Little South West». Un [TRADUCTION] «Inventaire des terres indiennes réservées dans la province du Nouveau-Brunswick» (pièce Pa-8), daté du 19 avril 1842 et joint en annexe aux Journals of the House of Assembly pour la période du 31 janvier 1843 au 11 avril 1843 indique une réserve dans le comté de Northumberland d'une superficie de 10,000 acres de [TRADUCTION] «chaque côté de la rivière Little South West Miramichi, à son embouchure».
En 1844, l'assemblée législative adopta une loi-7 Vict., c. 47—«An Act to regulate the man-
agement and disposa! of the Indian Reserves in this Province». La raison pour laquelle cette Loi fut adoptée est énoncée dans son préambule dont voici le libellé: [TRADUCTION] «Attendu que la grande superficie des étendues de terres de valeur réservées à l'usage des Indiens dans diverses par ties de cette province tend à retarder considérable- ment la colonisation du pays, alors que de grandes parties de ces terres ne produisent, dans leur état d'abandon actuel, aucun bénéfice pour le peuple auquel leur usage était réservé: Et attendu qu'il est souhaitable que ces terres soient mises en état de les rendre non seulement productives pour les Indiens mais également aptes à favoriser la coloni sation du pays ...». La Loi prévoyait l'arpentage des réserves et la vente ou la location de parties de celles-ci, pour la colonisation ainsi que la nomina tion de commissaires dans chaque comté se trouvaient des réserves [TRADUCTION] «pour s'oc- cuper des réserves dans leur comté respectif et pour surveiller l'arpentage et présider à la vente de celles-ci, ou de parties de celles-ci, si le lieutenant- gouverneur en ordonnait la vente en vertu des dispositions de la présente Loi, et en outre pour protéger de façon générale les intérêts des Indiens des comtés se trouvent des réserves, et pour empêcher qu'on empiète sur celles-ci.» La Loi de 1844 fut remplacée par le chapitre 85 des Revised Statutes of New Brunswick de 1854 intitulé «Of Indian Reserves» et dont l'objet était essentielle- ment le même.
Il semble que ce soit par suite de la Loi de 1844 qu'en 1845 et en 1847, David Sadler, arpenteur- géomètre adjoint, procéda à l'arpentage de la partie de la réserve se trouvant sur la rive nord de la rivière Little Southwest Miramichi. Le plan et le rapport de l'arpentage sont cotés pièce Pa-9. Une autre version du plan est cotée pièce Pa-10. Le plan indique 21 lots sur la rive nord de la rivière. Le lot 5 est décrit comme étant «inoccupé», 35 chaînes de largeur et d'une superficie de 323 acres. Dans le rapport intitulé [TRADUCTION] «Plan et arpentage d'une partie de l'étendue de terre réservée pour la tribu d'Indiens Julian située sur la rive nord de la Little South West, un bras de l'embranchement nord-ouest de la rivière Mirami- chi», on trouve la description suivante du lot 5:
[TRADUCTION] Le lot numéro 5 est inoccupé, le sol de la partie avant de cette terre est de très pauvre qualité et dans l'ensemble impropre à la culture—de ces 323 acres environ 3 sont exploi tés, occupés par Ebinezer Travis qui y a construit un chalet dans ,lequel il demeure.
Dans les années qui suivirent l'arpentage de Sadler, il semble que des mesures aient été prises pour que les colons achètent les lots qu'ils occu- paient dans les réserves. Le professeur Hamilton a témoigné que la terre fut [TRADUCTION] «mise aux enchères à Newcastle en 1849». Le dossier semble indiquer que certains lots furent vendus mais que des lettres patentes ne furent pas émises: on attendait le parfait paiement du prix. Une lettre du secrétaire du ministère des Affaires indiennes datée du 16 septembre 1898 (pièce Pa-19) con- firme que plusieurs des lots dans la réserve sur la rive nord et sur la rive sud de la rivière Little Southwest Miramichi avaient fait l'objet de l'oc- troi de [TRADUCTION] «lettres patentes» par le gouvernement du Nouveau-Brunswick dans les années 1850 et 1860. Le lot 5 sur la rive nord de la rivière ne fut jamais concédé à Ebenezer Travis. Ce n'est qu'en 1901 ou peu de temps après qu'une partie du lot 5 original fut concédée à son petit- fils, Ebenezer A. Travis, mais l'immeuble ne fut pas inclus dans cette concession.
Dans les résultats des recensements au Nou- veau-Brunswick en 1851, 1861 et 1871 (pièce D-27), il existe des données relativement à Ebene- zer Travis durant cette période. Le recensement de 1851 indique qu'il résidait dans la région mais n'indique pas la terre qu'il occupait. L'annexe agriculture jointe au recensement de 1861 sous le titre [TRADUCTION] «Acres de terre possédée ou occupée», indique qu'Ebenezer Travis avait 8 acres de terre exploitée et 300 acres de terre non exploi- tée. L'annexe 3 du recensement de 1871, sous le titre [TRADUCTION] «Total global d'acres de terre possédée», indique un total de 325 acres pour Ebenezer Travis.
En 1867, la compétence relativement aux réser- ves indiennes au Nouveau-Brunswick fut donnée au gouvernement du Dominion par l'article 91(24) de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867, 30 & 31 Vict., c. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, 5] qui attribuait au Parlement la compétence législative relativement aux «Indiens et [aux] terres réservées pour les Indiens». En 1868, le Parlement adopta la première loi sur les Indiens, 31 Vict., c. 42, intitulée «Acte pourvoyant à l'orga- nisation du Département du Secrétaire d'Etat du Canada, ainsi qu'à l'administration des Terres des Sauvages et de l'Ordonnance». Elle attribuait au
Secrétaire d'État, en sa qualité de Surintendant- Général des affaires des Sauvages, le contrôle et l'administration des terres réservées à l'usage des Indiens. L'article 32 de cette loi abrogeait la loi du Nouveau-Brunswick relative aux réserves indien- nes (L.R.N.-B. 1854, c. 85) et prévoyait le trans- fert de la compétence sur les terres et deniers possédés au nom des Indiens du Nouveau-Bruns- wick. En voici le libellé:
32. Le quatre-vingt-cinquième chapitre des Statuts Revisés du Nouveau-Brunswick concernant les réserves des Sauvages, est par le présent révoqué; et les commissaires nommés en vertu du même chapitre, devront immédiatement remettre tous les deniers entre leurs mains, et provenant de la vente ou location des terres des Sauvages, ou autrement perçus sous l'autorité du même chapitre, au Receveur-Général du Canada, qui les por- tera au crédit des Sauvages du Nouveau-Brunswick; et tous les deniers provenant de cette source et actuellement entre les mains du Trésorier du Nouveau-Brunswick, devront être remis au Receveur-Général du Canada et portés au crédit des dits Sauvages; et toutes les terres et propriétés des Sauvages, admi- nistrées par les commissaires ci-haut mentionnés, ou par toute autre personne quelconque, pour l'usage des Sauvages, seront à l'avenir transférées à la Couronne et placées sous le contrôle du Secrétaire d'Etat.
En réponse à une lettre datée du 26 octobre 1867 le Secrétaire d'État demandait certains renseignements relativement aux terres indiennes du Nouveau-Brunswick, notamment la partie des terres dans les réserves qui avait été concédée ou vendue et les sommes dues sur les prix de vente, le bureau des terres de la Couronne de la province, dans une lettre datée du 2 décembre 1867 (pièce Pa-11), déclarait qu'il fournissait un [TRADUC- TION] «Inventaire de toutes les terres non concé- dées qui sont possédées pour les Indiens, et un inventaire indiquant quels lots ont été vendus mais non encore concédés». L'inventaire comprenait une liste de [TRADUCTION] «terres indiennes au Nou- veau-Brunswick» datée du 12 novembre 1867, qui indiquait que la réserve sur les deux rives de la rivière Little Southwest Miramichi comprenait alors 8,124 acres. Au bas de la liste, qui indique un total de 58,594 acres pour toutes les réserves, il est écrit [TRADUCTION] «3,235 1 / 2 acres du total pré- cité ont été vendues à des colons `blancs' mais n'ont pas encore été concédées (voir l'inventaire ci-inclus)». Une liste semblable de réserves datée du 19 mai 1870 (pièce Pa-12) indique que la réserve compte le même nombre d'acres de chaque côté de la Little Southwest.
En 1895, il y eut deux cessions portant censé- ment sur des lots se trouvant dans les réserves Big Hole, Indian Point et Red Bank, l'une, le 10 avril 1895 (pièce Pa-15) et l'autre le 6 juin 1895 (pièce Pa-14). Leur teneur est pratiquement identique, à l'exception des signataires. On peut également les trouver dans Indian Treaties and Surrenders, vol.
III, n°s 366A et 366B, aux pages 156 160. Les affidavits attestant la conformité avec les formali- tés requises pour une cession par l'article 39 de l'Acte des Sauvages, S.R.C. 1886, c. 43, indi- quent—et cela était même reconnu aux fins de
l'appel—que la cession du 6 juin 1895 était celle aux termes de laquelle les lots de la réserve Red Bank furent cédés. La cession comprenait le lot 5 sur la rive nord de la rivière Little Southwest Miramichi dans lequel, les témoins experts en conviennent, l'immeuble se trouvait alors. La ces sion relative aux lots de la réserve Red Bank est libellée comme suit:
[TRADUCTION] FAISONS ASSAVOIR PAR CES PRÉSENTES QUE NOUS, soussignés chef et dirigeants des Indiens propriétai- res des réserves Big Hole, Indian Point et Red Bank, résidant dans nos réserves ci-dessus mentionnées dans le comté de Northumberland dans la province du Nouveau-Brunswick et Dominion du Canada, pour et au nom de tout le peuple de nosdites bandes en conseil assemblés, par les présentes cédons, transférons, abandonnons, renonçons et transmettons à Notre Souveraine, la Reine, ses héritiers et successeurs, à tout jamais, TOUS ET CHACUN, une certaine région ou étendue de terre, avec bâtiments, sise dans la paroisse de North Esk dans le comté de Northumberland et dans la province du Nouveau- Brunswick comprenant, après mesure
, plus ou moins, et étant composé des lots numéros trois, six, sept, quatorze, seize, dix-huit, vingt, vingt- deux et vingt-trois sur la rive sud de la rivière Little South West Miramichi et des lots un, deux, trois, cinq, six, sept et dix-sept sur la rive nord de la rivière Little South West Miramichi, tous ces lots se trouvant dans la réserve indienne Red Bank (ainsi appelée) ....
POUR QUE Sa Majesté la Reine, ses héritiers et successeurs possèdent et détiennent lesdites terres en fiducie pour les vendre à la personne ou aux personnes et aux conditions que le gouvernement du Dominion du Canada jugera les plus favora- bles pour notre bien-être et celui de notre peuple.
ET à la condition que la totalité du produit de leur vente, après déduction du pourcentage usuel pour frais de gestion, soit déposée à notre compte et l'intérêt versé à nous-même et à nos descendants, comme il semblera juste au ministère des Affaires indiennes.
ET NOUS lesdits chef et dirigeants desdites bandes d'Indiens, au nom de notre peuple et en notre nom, ratifions et confirmons et promettons de ratifier et de confirmer tout ce que ledit gouvernement pourra faire ou pourra faire faire légitimement relativement à la vente desdites terres et à la disposition desdits montants d'argent.
La cession fut acceptée par le gouverneur en conseil le 25 juillet 1895. Une comparaison du numéro des lots figurant dans la cession avec ceux qui, d'après la lettre du 16 septembre 1898 (pièce Pa-19), avaient fait l'objet de l'octroi de lettres patentes par le gouvernement du Nouveau-Bruns- wick avant la Confédération démontre qu'on avait l'intention de céder les lots non concédés le long de la rivière dans la réserve Red Bank. Le rapport du comité du Conseil privé qui recommandait l'accep- tation des cessions (pièce Pa-15) déclare que les lots cédés étaient [TRADUCTION] «occupés par des colons sans titre, la cession ayant pour but de permettre au ministère des Affaires indiennes de vendre les lots aux parties qui les occupent».
En 1898, W. D. Carter, un représentant du ministère des Affaires indiennes agissant sur les directives dudit ministère, fit une enquête sur la question des [TRADUCTION] «colons sans titre de la réserve indienne Red Bank» et il ressort de son rapport au Secrétaire de ce ministère, daté du 15 juillet 1898 (pièces Pa-17 et Pa-18), que des lots sur les deux rives de la rivière Little Southwest Miramichi étaient occupés par des non-Indiens. Le rapport contient la déclaration suivante relative- ment au lot 5 sur la rive nord de la rivière:
[TRADUCTION] Lot 5. Occupé par Stephen Johnson (absent) et Ebenezar Travis. M°" Travis m'affirme qu'ils ont eu leur propriété de Jared Tozer qui l'avait eue des Indiens il y a soixante ans. Ils prétendent qu'elle leur appartient de droit.
Ledit Ebenezer Travis, mentionné dans cette déclaration, serait Ebenezer A. Travis, le petit-fils d'Ebenezer Travis qui le premier eut la possession de ce lot vers 1838 et dont il tient la possession.
Il semble qu'à cette époque le ministère des Affaires indiennes faisait pression pour que les «colons sans titre» achetassent la terre qu'ils habi- taient. La lettre du Secrétaire, datée du 16 septem- bre 1898, adressée à W. D. Carter (pièce Pa-19) contient la déclaration suivante:
[TRADUCTION] Pour ce qui concerne le prix qu'on devrait demander aux colons sans titre pour les terres qu'ils habitent dans cette réserve, qu'il me soit permis de vous apprendre que par suite d'une forte pétition de ces colons et de votre rapport relativement au prix à demander, le ministère a consenti à réduire le prix à 80 cents l'acre et je vous prierais de bien vouloir en aviser ces colons sans titre et de leur demander de faire un versement, dès cet automne, d'au moins un cinquième du prix d'achat.
Une lettre datée du 5 juillet 1901 (pièce Pa-20) que le Secrétaire du ministère adressait au sous- ministre de la Justice contient le passage suivant:
[TRADUCTION] On me demande d'inclure un exposé des faits concernant les colons sans titre de la réserve indienne Red Bank, comté de Northumberland (N.-B.), et d'exiger que des mesures soient prises pour les forcer à payer les terres.
En 1901, William E. Fish, arpenteur-géomètre adjoint, effectua l'arpentage du lot 5 pour Ebene- zer A. Travis, pour servir de fondement à une concession en sa faveur. Le [TRADUCTION] «Plan du lopin de terre arpenté pour Ebeneazer Travis dans la réserve indienne de Little South West Miramichi» daté du 28 novembre 1901 (pièce Pa-21) qui fut préparé par lui montre un lot de 140 acres, d'une largeur de 15 chaînes, délimité pour Travis, et un lopin adjacent, à l'est, dans laquelle l'immeuble se trouvait, portant l'inscrip- tion [TRADUCTION] «Terre indienne inoccupée».
En 1904, Fish effectua l'arpentage des lots des deux côtés, nord et sud, de la rivière à la suite duquel il y eut une rectification des limites des lots 5 et 6 du côté nord pour former trois lots qui devinrent les lots 5, 5A et 6. Les nouvelles limites figurent sur le [TRADUCTION] «Plan d'arpentage des terres revendiquées par des colons sans titre dans la réserve indienne de Little South West Miramichi» daté du 13 avril 1904 (pièce Pa-24). Sur ce plan, les lots se trouvant entre les lots 4 et 8 du côté nord de la rivière ne sont pas numérotés. Les numéros sont marqués sur le [TRADUCTION] «Plan de la réserve indienne Red Bank» daté du 4 mars 1905 (pièce Pa-26), qui semble fondé sur l'arpentage de Fish. Sur ces deux plans, il est indiqué que le nouveau lot 5, d'une largeur de 10 chaînes, est occupé par Stephen Johnston et que le nouveau lot 5A, d'une largeur de 15 chaînes et d'une superficie de 144 acres, est occupé par Ebe- nezer Travis et que le nouveau lot 6 est «inoccupé». Le résultat de l'arpentage de Fish de 1904 se résume comme suit: les 10 premières chaînes de la partie ouest de l'ancien lot 5 qui, d'après le plan Sadler de 1845-1847, avait une largeur de 35 chaînes, est devenu le nouveau lot 5 occupé par Stephen Johnston; les 15 chaînes du milieu de l'ancien lot 5 sont devenues le nouveau lot 5A, d'une superficie de 144 acres, qui fut concédé à Ebenezer A. Travis; et les 10 dernières chaînes de la partie est de l'ancien lot 5 qui, sur le plan de 1901 (pièce Pa-21) portait l'inscription «Terre
indienne inoccupée», devint la partie ouest du nou- veau lot 6. C'est ainsi que l'immeuble, qui avait d'abord fait partie du lot 5, est devenu partie du lot 6.
Il faut maintenant examiner l'occupation du lot 6 par la famille Mutch. Dans le rapport Carter de 1898 (pièce Pa-17), il est indiqué que l'ancien lot 6 du côté nord de la rivière est «revendiqué» par James Mutch. Il y est également inscrit comme occupant des lots 7 et 8 du côté sud, on dit qu'il a vécu. En 1904 ou 1905, Isaac Mutch, son petit- fils, déménagea une vieille école sur la moitié ouest du nouveau lot 6, du côté nord de la route princi- pale entre Red Bank et Halcombe; c'était pour en faire sa maison. Le fils d'Isaac et d'autres person- nes qui l'avaient connu pendant plusieurs années ont présumé qu'il avait reçu la propriété qu'il occupait de son père, Edmund, qui était censé l'avoir reçue de James. Selon la tradition locale, James obtint la propriété qu'il occupait dans l'an- cien lot 6 d'un dénommé «Moses». Il est clair toutefois qu'en 1898, James ne pouvait avoir occupé la bande de 10 chaînes, puisqu'elle faisait toujours partie de l'ancien lot 5 et que ce n'est qu'en 1901 qu'elle fut exclue par le plan Fish de la terre qui devait être concédée à Ebenezer A. Travis. C'est la propriété qui fut occupée par Isaac Mutch à compter de 1904 ou de 1905. La moitié est du nouveau lot 6 fut plus tard occupée par son frère William Mutch. La moitié est aurait fait partie de l'ancien lot 6 d'après le plan Sadler de 1847 et probablement de la terre revendiquée par James Mutch selon le rapport Carter. Le professeur Hamilton exprima l'opinion que la pro- priété d'Isaac Mutch avait été créée par l'arpen- tage de Fish de 1901. C'est sans doute vrai d'une certaine façon mais la preuve est muette pour ce qui concerne l'occupation de cette terre entre 1901, lorsqu'elle fut exclue, par l'arpentage de Fish, de la terre devant être concédée à Travis, et 1904 ou 1905, lorsque Isaac Mutch y est démé- nagé. Il n'y a rien qui suggère un quelconque lien ou une continuité entre l'occupation de cette terre par Ebenezer A. Travis et l'occupation subsé- quente d'Isaac Mutch.
Il y eut de nombreux témoignages sur la nature de l'occupation par Isaac Mutch de la moitié ouest du nouveau lot 6 et particulièrement de l'immeu- ble, soit la partie de la moitié ouest du lot 6 se
trouvant entre la grande route et la rivière. Parmi les témoins il y avait son fils, Weldon, le fils de son frère William, Vaughan, et plusieurs doyens de la localité qui ont connu Isaac Mutch pendant pres- que toute la période il a occupé le lot 6. Il ressort de la preuve qu'Isaac Mutch était un fer- mier et un marchand de bois. Il faisait un peu de culture et de coupe d'arbres sur la terre qu'il occupait au nord de la grande route. La partie de la terre se trouvant entre la grande route et la rivière était en grande partie boisée mais il y avait un «interval» ou clairière, que l'on appelait parfois un pré, près de la rivière et juste au-dessus de l'emplacement actuel du chalet de l'intimé. Une route, que l'on dit avoir été pratiquée par Mutch, traversait la terre depuis la grande route jusqu'à la rivière et donnait accès à Hay Island qui se trouve à l'opposé de l'immeuble. Mutch faisait de la culture dans cette île ainsi que dans l'«interval» ou clairière. Ces deux endroits étaient clôturés. Sa famille et lui coupaient, sur l'immeuble, des arbres qu'il vendait pour la pulpe de bois ou sous forme de bûches; il se faisait aussi du bois de chauffage pour son propre usage. Ses fils coupaient égale- ment des arbres de Noël. A une certaine époque, la route qui traversait l'immeuble était utilisée pour mener des chevaux jusqu'à la rivière des radeaux étaient halés jusqu'à Red Bank. Dans les années 1940, Mutch et sa famille exploitèrent une petite scierie du côté nord de la grande route dans le cadre de leurs activités de coupe de bois. Il ressort de la preuve qu'Isaac Mutch a payé des taxes pour la partie du lot 6 qu'il occupait.
Le 24 février 1919, Isaac Mutch écrivit la lettre suivante (pièce Pa-27) au ministère des Affaires indiennes:
[TRADUCTION]
Messieurs,
Je vis sur une parcelle de terre indienne située entre le côté nord de la rivière Lyttle South West, le côté est du lot 6, mesurant 42 perches de largeur, bornée à l'ouest par une terre réclamée par Ebenezar Traviss
Et j'aimerais en obtenir la concession.
Veuillez agréer, Messieurs, l'expression de mes sentiments distingués.
Isaac N. Mutch
C.P. Lyttleton south Esk
Comté de Northumberland (N.-B.)
J'aimerais l'obtenir le plus tôt possible, s'il vous plaît.
Une note de service datée du 14 mars 1919 (pièce Pa-28) de H. J. Bury, inspecteur forestier, à un certain M. Orr du ministère des Affaires indiennes relativement à [TRADUCTION] «la demande ci-jointe présentée par Isaac Mutch pour acheter la moitié est du lot 6 du côté nord de la rivière Little South West Miramichi dans la réserve Redbank», recommandait que l'on offre à Mutch la possibilité d'acheter cette terre au prix de $2 l'acre et concluait en ces termes: [TRADUC- TION] «J'estime que cette demande est une des conséquences de l'enquête récente sur l'empiéte- ment de blancs sur la réserve et que ces colons se rendent maintenant compte qu'ils doivent restrein- dre leurs activités de coupe de bois à leurs propres terres.»
On demanda à Mutch de fournir une description des limites de la terre pour laquelle il demandait une concession et un arpentage fut fait et un plan préparé par William E. Fish. Le plan (pièce Pa-33) est daté du 6 juin 1919 et s'intitule comme suit:
[TRADUCTION] R.I. 7 (Partie de Red Bank)
Réserve indienne de la rivière Little South
West Miramichi (N.-B.)
Rapport d'arpentage de 107.64 acres dans ladite réserve
Fait pour Isaiah N. Mutch
Dans sa lettre au ministère, Isaac Mutch avait mentionné le «côté est» du lot 6 mais il ressort clairement du plan Fish que ce qui était visé et ce qui fut arpenté pour lui, c'est le côté ouest du lot 6, borné à l'ouest par le lot arpenté pour Ebenezer A. Travis en 1901 et du côté est par l'autre moitié du lot 6 occupé par William Mutch.
Isaac Mutch exprima l'opinion (pièces Pa-31 et Pa-32), fondée, semble-t-il, sur quelque chose que lui avait dit Bury, que $2 l'acre était un prix trop élevé et que $1.50 l'acre serait un prix raisonnable. De toute façon, il n'obtint jamais la concession pour la terre.
Mutch vécut dans la maison qu'il avait cons- truite sur le lot 6 jusque vers le début des années 1920. Par la suite, jusqu'en 1960, il vécut dans une propriété appelée Summers' Farm qu'il avait ache- tée dans les environs. Pendant cette période, la maison du lot 6 fut occupée par des membres de sa famille mais il continua à se servir de sa propriété, y compris l'immeuble, pour la culture et la coupe de bois.
Isaac Mutch et sa femme ont transféré la pro- priété de l'immeuble à l'intimé en trois lopins, par des actes de vente datés du 26 septembre 1952, du 8 septembre 1958 et du 16 juillet 1959. L'intimé a versé à Mutch un total de $1,600 pour l'immeuble. Lors de l'achat, il n'était au courant d'aucune revendication indienne relativement à l'immeuble, mais il ne fit pas faire d'examen des titres. En 1953, il construisit sur l'immeuble un chalet de plus de $8,000. Il comprend un bâtiment principal relié à une cuisine par un passage couvert. L'in- timé y passait la belle saison avec sa famille et le louait parfois à d'autres. Pendant plusieurs années, l'intimé a vendu du gravier extrait de la carrière de gravier qui se trouve sur l'immeuble. Il n'est pas improbable que la vente de gravier ait pu provo- quer la prise des procédures par l'appelante.
Le 25 mars 1958, les gouvernements du Canada et du Nouveau-Brunswick ont conclu une conven tion relativement aux réserves indiennes de la pro vince, convention qui fut ratifiée et confirmée par des lois fédérale et provinciale: L.N.-B. 1958, c. 4 et S.C. 1959, c. 47. Son objet est énoncé dans le préambule dont voici le libellé:
CONSIDÉRANT que, depuis l'adoption de l'Acte de l'Améri- que du Nord britannique (1867), certaines terres dans la province du Nouveau-Brunswick, mises à part pour les Indiens, ont été cédées à la Couronne par les Indiens qui y avaient droit;
CONSIDÉRANT que des lettres patentes, censées transférer lesdites terres à diverses personnes, ont été, de temps à autre, délivrées sous le Grand Sceau du Canada;
ET CONSIDÉRANT que deux décisions du Comité judiciaire du Conseil privé, relatives à des terres indiennes dans les provinces d'Ontario et de Québec, amènent à conclure que lesdites terres n'auraient pu être transférées légalement que sous l'autorité du Nouveau-Brunswick, en conséquence de quoi les cessionnaires desdites terres détiennent des titres défectueux et subissent des privations et inconvénients en l'espèce;
A CES CAUSES, LA PRÉSENTE CONVENTION FAIT FOI QUE les parties aux présentes, en vue de régler tous les problèmes en cours relatifs aux réserves indiennes dans la province du Nou- veau-Brunswick, et de permettre au Canada de prendre à l'avenir des mesures efficaces à l'égard des terres faisant partie desdites réserves, sont convenues, sauf approbation du Parle- ment du Canada et de la Législature de la province du Nou- veau-Brunswick, de ce qui suit:
Les paragraphes 2, 3 et 6 de la convention sont ainsi rédigés:
2. Toutes les concessions de terres visées par lettres patentes sont par les présentes confirmées, sauf dans la mesure ces concessions sont censées transférer des minéraux aux cession- naires. Lesdits minéraux sont par les présentes reconnus comme étant la propriété de la province.
3. Le Nouveau-Brunswick transfère par les présentes au Canada tous les droits et intérêts de la province dans les terres de réserve, sauf celles qui se trouvent sous les routes publiques, et les minéraux.
6. (1) Le Canada doit aussitôt notifier au Nouveau-Brunswick toute cession, et le Nouveau-Brunswick peut, dans les trente jours de la réception d'un tel avis, choisir d'acheter les terres cédées à un prix dont on devra convenir.
(2) Si le Nouveau-Brunswick n'exerce pas son choix dans ledit délai de trente jours, le Canada peut disposer des terres cédées sans se référer davantage au Nouveau-Brunswick.
(3) Quand une cession est faite à la condition que les terres cédées soient vendues à une personne nommée ou désignée, selon un certain prix ou moyennant une certaine cause ou considération, le Nouveau-Brunswick doit exercer son choix sous réserve dudit prix ou de ladite cause ou considération.
(4) Sous réserve de l'alinéa (3) du présent paragraphe, si le Canada et le Nouveau-Brunswick sont incapables, dans les trente jours de la date l'on a opté pour un achat, de s'entendre sur le prix que doit payer le Nouveau-Brunswick pour des terres cédées, la question doit être soumise à des arbitres de la manière suivante:
a) le Canada et le Nouveau-Brunswick désigneront chacun un arbitre, et les deux arbitres ainsi nommés en dési- gneront un troisième;
b) la décision des arbitres sur le prix que doit payer le Nouveau-Brunswick pour les terres cédées sera définitive et péremptoire; et
c) les frais d'arbitrage seront supportés, à parts égales, par le Canada et le Nouveau-Brunswick.
Le paragraphe 1 de la convention définit comme suit les termes «terres de réserve», «terres visées par lettres patentes» et «cession»:
1. ...
b) l'expression «terres de réserve» désigne les réserves, dans la province, dont fait mention l'appendice de la présente convention;
c) l'expression «terres visées par lettres patentes» désigne les étendues de terre dans la province à l'égard desquelles le Canada a accepté, de la part des Indiens fondés à en faire usage et à les occuper, des cessions de leurs droits et intérêts y afférents, et au sujet desquelles des concessions furent faites au moyen de lettres patentes délivrées sous le Grand Sceau du Canada;
f) «cession» signifie la cession en vue de la vente de terres de réserve ou d'une partie de semblables terres, en conformité de la Loi sur les Indiens, mais ne comprend pas une cession des droits et intérêts afférents à ces terres pour des objets autres que la vente;
La liste des réserves dans l'Appendice de la convention inclut la réserve indienne Red Bank 4 et la réserve indienne de Red Bank 7, dont les emplacements respectifs sont décrits en ces termes:
Dans la paroisse de Southesk, à environ un mille à l'ouest du village de Red-Bank, et au sud de la rivière Little Southwest Miramichi près du confluent de cette dernière et de la rivière Northwest Miramichi.
Dans la paroisse de Southesk avec une petite partie dans le coin nord-est de la paroisse de Northesk. Au nord de la rivière Little Southwest Miramichi, en face de la réserve indienne 4 de Red-Bank.
En 1963 et 1964, W. D. McLelland, arpenteur- géomètre du ministère fédéral des Mines et Res- sources effectua un arpentage et prépara un plan (pièce Pa-41) intitulé: [TRADUCTION] «Carnet du nouvel arpentage des limites artificielles d'une partie de la réserve indienne 7 de Red Bank et des lots 6 et 7 (cédés), comté de Northumberland, Nouveau-Brunswick». En février 1973, il prépara une description (pièce Pa-38) et un plan (pièce Pa-43) du lot 6-1 il le décrit comme étant une partie du lot 6 (cédé), réserve indienne 7 de Red Bank. Ces documents furent présentés comme une description et un plan de l'immeuble et ils furent apparemment préparés aux fins des procédures engagées par l'appelante. M. McLelland a témoi- gné relativement à la situation de l'immeuble sur les divers plans préparés au cours des ans. Il confirma que l'immeuble se trouvait dans le coin sud-est de l'ancien lot 5 figurant sur le plan Sadler de 1847 et dans le coin sud-ouest du nouveau lot 6 figurant sur les plans Fish de 1904 et de 1919.
L'intimé déclara dans son témoignage que per- sonne ne lui avait mentionné que l'immeuble était une terre indienne lorsqu'il construisit son chalet en 1953. Il semble qu'il apprit que d'autres pour- raient avoir des droits dans l'immeuble lorsque McLelland effectua son arpentage en 1964, mais il n'en a plus entendu parler. En 1971, la bande Red Bank s'opposa à l'exploitation de la carrière de gravier et menaça d'obtenir une injonction. L'in- timé consentit à fermer la carrière dès qu'il aurait rempli les commandes courantes et à placer dans un compte en fiducie le produit de la vente du gravier jusqu'à ce que soit réglée la revendication des Indiens. A une rencontre avec l'intimé vers cette époque, des représentants du gouvernement fédéral lui proposèrent de prendre à bail l'immeu- ble que le gouvernement lui louerait, mais il refusa. Le 15 février 1973, la bande d'Indiens Red Bank allégua que l'intimé revendiquait sous forme d'opposition le droit à la possession de l'immeuble et demanda au procureur général du Canada de
produire une dénonciation à la Cour fédérale pour réclamer la possession de l'immeuble au nom de la bande. Le 23 février 1973, l'intimé fut sommé au nom de la Couronne de leur rendre la libre posses sion de l'immeuble. L'intimé refusa. La procédure de l'appelante fut introduite le 11 mai 1973.
Le jugement de la Division de première instance
La Division de première instance rejeta l'action au motif que le titre de la Couronne relativement à l'immeuble, de même que les droits et les intérêts des Indiens dans celui-ci, avaient été éteints par une possession acquisitive continue de plus de soixante ans et que l'intimé avait donc le droit à la possession de l'immeuble. Les conclusions du savant juge de première instance relativement à la question de la possession acquisitive se trouvent dans les passages suivants [aux pages 670 et 671] de ses motifs:
En bref, après la création de la province du Nouveau-Bruns- wick en 1784, la province a accordé aux Indiens en 1808 un permis d'occupation, qu'ils ont négligé d'exercer sur le lopin de terre longeant la rivière Little Southwest Miramichi. De 1830 jusqu'à la cession de 1895, les Indiens ont perdu leur droit d'occupation en raison de la possession acquisitive. La cession de 1895 ne pouvait évidemment pas transférer à la Couronne du chef du Canada ce que les cédants avaient déjà perdu et la possession acquisitive au cours de cette période jouait contre la Couronne du chef de la province, la personne alors en titre, jusqu'à la convention de 1958. Cette convention ne pouvait pas porter préjudice à une possession acquisitive déjà établie. La loi fédérale interdisant la prescription, la Loi sur les concessions de terres publiques, ne pouvait bien sûr s'appliquer à la terre en question avant la convention de 1958 et, à ce moment-là, la possession acquisitive avait été établie et les droits des proprié- taires antérieurs étaient éteints.
Sur cette lisière de terrain longeant la rivière Little South west Miramichi se trouve l'agglomération non indienne actuelle de Lyttleton se situe le lopin de terre que possédait Ebenezer Travis en 1838. En 1898, James Mutch occupait manifestement le lot 6 de ce lopin. Son petit-fils Isaac a construit sur ce lot en 1904 et, en 1952, 1958 et 1959, en a vendu au défendeur les parties qui composent la propriété maintenant réclamée dans la présente dénonciation.
Pendant toute cette période, de 1838 à la date de cette dénonciation en 1973, soit pendant 135 ans, la possession acquisitive n'a été effectivement interrompue par aucune des parties ayant droit de le faire, soit la province du Nouveau- Brunswick de 1838 à 1958, le gouvernement du Canada de 1958 à 1973 et la bande Red Bank pour ce qui touche leur propre droit d'occupation pendant la période.
Je conclus donc que le défendeur et ses prédécesseurs ont établi la possession acquisitive sur la propriété en question à l'encontre de tous et je rejette l'action de la demanderesse avec dépens.
Moyens d'appels
L'attaque de ce jugement par l'appelante se fonde sur deux moyens: a) la loi provinciale rela tive à la prescription ne peut valablement s'appli- quer de façon à éteindre le droit de possession revendiqué par l'appelante; et b) de toute façon, la preuve ne justifie pas une conclusion qu'il y eut possession acquisitive non interrompue d'au moins soixante ans.
Le droit de possession de l'appelante
Il est tout d'abord nécessaire d'examiner la nature et le fondement du droit de possession revendiqué par l'appelante. J'ai trouvé cette ques tion très difficile à cause des circonstances particu- lières de l'espèce, des allégations et conclusions de la dénonciation, des dispositions de la Loi sur les Indiens relatives aux terres se trouvant dans des réserves et aux terres cédées, et à cause des déci- sions judiciaires sur la nature de l'intérêt des Indiens et sur les droits des gouvernements fédéral et provinciaux relatifs à ces terres. Un examen de cette question initiale est essentiel pour deux rai- sons: a) elle a un rapport évident avec la question de savoir si la loi provinciale sur la prescription d'actions en recouvrement de terres s'appliquait, durant la période importante, au droit de posses sion revendiqué par l'appelante; et b) elle a un rapport évident avec la prétention de l'intimé por- tant que, indépendamment de la question de l'ap- plication de la loi provinciale durant la période importante, l'action de l'appelante devrait être rejetée parce qu'elle ne peut démontrer un droit supérieur de possession. Elle comporte en particu- lier un examen de l'effet de la cession de 1895 et de la convention de 1958 sur les divers droits et intérêts dans la terre.
Il semble opportun de commencer en mention- nant certains principes généraux concernant la nature des divers droits et intérêts dans les terres se trouvant dans des réserves indiennes, principes consacrés par les tribunaux, notamment dans les décisions du Conseil privé dans les affaires suivan- tes: St. Catherine's Milling and Lumber Company c. La Reine (1889) 14 App. Cas. 46; Le procureur général du Dominion du Canada c. Le procureur général de l'Ontario [ 1897] A.C. 199; Ontario Mining Company, Limited c. Seybold [ 1903] A.C. 73; Dominion du Canada c. La province de l'On- tario [1910] A.C. 637; Le procureur général de la province de Québec c. Le procureur général du
Dominion du Canada (l'affaire Star Chrome) [1921] 1 A.C. 401. Le titre juridique des terres se trouvant dans une réserve indienne appartient à la Couronne, la propriété réelle de ces terres, en l'absence d'un accord semblable à celui qui fut conclu en l'espèce en 1958, appartient à la pro vince les terres se trouvent, en vertu de l'article 109 de 1'A.A.N.B. Le titre de la Couronne est assujetti au droit ou intérêt indien (parfois appelé «titre indien») qu'on a défini comme étant un droit personnel et usufructuaire. Lorsque le titre indien est éteint, la propriété réelle de la terre retourne à la province à défaut d'un accord qui aurait trans- féré cette propriété au Canada. La compétence législative exclusive sur «les Indiens et les terres réservées pour les Indiens» attribuée au fédéral par l'article 91(24) de 1'A.A.N.B. ne confère pas au gouvernement du Canada un droit de propriété dans la réserve ni le pouvoir de s'approprier le droit de propriété provincial dans les terres se trouvant dans une réserve; elle comporte toutefois implicitement un pouvoir de contrôle et d'adminis- tration des réserves. Le maintien de la compétence du gouvernement fédéral sur les terres cédées, dont le titre continue d'appartenir à la Couronne, est une question quelque peu incertaine, qui requerra plus ample examen en prenant en considération les faits de l'espèce; mais il ressort des décisions du Conseil privé dans les affaires St. Catherine's Milling et Star Chrome, précitées, que le gouver- nement fédéral ne pourrait, sans l'intervention des autorités provinciales, faire en sorte que la Cou- ronne transfère un titre valable à une terre cédée. Il s'agit évidemment des décisions et de la difficulté d'ordre pratique mentionnées dans le préambule de la convention fédérale-provinciale de 1958.
Il s'agit donc de déterminer, à la lumière des divers droits, intérêts et liens, la nature et le fondement du droit de possession revendiqué par l'appelante. Il est présumé que l'action de l'appe- lante est fondée, du moins en partie, sur l'article 31 de la Loi sur les Indiens, cité au commence ment des présents motifs. C'est une déduction qui s'impose, compte tenu du fait que les procédures furent engagées à la demande de la bande par suite d'une allégation présentée comme étant faite sous le régime de l'article 31, que la dénonciation se rapporte à l'allégation de la bande et que dans les conclusions, on revendique la libre possession au
nom de la bande. Dans son mémoire, l'avocat de l'appelante dit que la dénonciation fut produite à la Cour fédérale en vertu de l'article 31 et, à l'audition, en réponse à une question du tribunal, il réaffirma que l'action était fondée sur l'article 31. Toutefois les allégations et les conclusions de la dénonciation ne sont pas, selon moi, sans ambi- guïté quant à savoir dans quelle mesure l'action doit être considérée comme étant entièrement fondée sur l'article 31. La dénonciation allègue que l'immeuble appartient à Sa Majesté et que Sa Majesté a le droit à la possession de celui-ci. Elle n'allègue pas que la bande a le droit à la posses sion. Elle conclut en demandant un jugement déclaratoire portant que Sa Majesté a le droit de possession et, bien qu'elle revendique la libre pos session au nom de la bande, subsidiairement, elle revendique la libre possession purement et simple- ment. A la lecture de ces allégations et conclu sions, en tenant compte de la cession de 1895 et de la convention de 1958, il se pose sérieusement la question de savoir si en plus de la revendication de possession- au nom de la bande, il n'y a pas une revendication de possession par Sa Majesté en son propre nom.
Dans la mesure l'action doit être considérée comme étant fondée sur l'article 31, il est néces- saire d'examiner les conditions essentielles ainsi que la nature d'une telle action. L'article prévoit que lorsqu'un Indien ou une bande allègue qu'un non-Indien fait un empiétement, du genre men- tionné dans l'article, sur une réserve ou une partie de réserve, le procureur général du Canada peut, au moyen d'une dénonciation produite à la Cour fédérale, réclamer un redressement au nom de l'Indien ou de la bande. L'article 31 prévoit un droit d'action à la demande d'un Indien ou de la bande. Il s'agit d'une action pour faire valoir les droits de l'Indien ou de la bande. La nature de l'intérêt protégé par ce recours spécial était énon- cée de façon plus explicite dans les dispositions correspondantes de l'article 39 de la Loi sur les Indiens, S.R.C. 1927, c. 98 (prévu à l'origine dans l'article 37A de la Loi des sauvages, S.R.C. 1906, c. 81, par S.C. 1910, c. 28, art. 1 et modifié par S.C. 1911, c. 14, art. 4). Voici le libellé de cet article 39:
39. Si quelque personne retient la possession de terres réser- vées ou prétendues réservées pour les Indiens, ou de terres dont les Indiens ou un Indien ou une bande ou tribu d'Indiens
réclame la possession ou un droit de possession, ou si quelqu'un occupe ou revendique l'une de ces terres, ou qu'il y ait violation du droit de propriété, la possession peut en être recouvrée pour les Indiens, ou pour quelque Indien ou bande ou tribu d'Indiens, ou les revendications des parties adverses peuvent être jugées et déterminées, ou les dommages être recouvrés, au moyen d'une instance formée par Sa Majesté au nom des Indiens, ou de l'Indien ou de la bande ou tribu d'Indiens qui y ont droit ou qui en revendiquent la possession ou le droit de possession, ou qui sont fondés, dans la déclaration, la réparation ou les dommages qu'ils réclament.
2. La cour compétente pour connaître de cette action et statuer sur l'espèce est la cour de l'Echiquier du Canada.
3. Cette instance peut être formée par voie de dénonciation faite par le procureur général du Canada d'après les instruc tions du surintendant général des affaires indiennes.
4. Rien dans le présent article ne doit atténuer, restreindre ni en aucune façon affecter un recours existant ou un mode de procédure prévu pour les espèces, ou l'une d'entre elles, aux- quelles s'applique le présent article.
La nature du recours prévu par l'article 31 fut étudiée par la Cour suprême du Canada dans l'affaire La Reine c. Devereux [1965] R.C.S. 567. Une action pour recouvrer possession d'une terre se trouvant dans une réserve fut intentée au nom d'une bande qui avait fait l'allégation nécessaire conformément à l'article. Dans [1965] 1 R.C.É. 602, la Cour de l'Échiquier du Canada rejeta l'action au motif que la bande n'avait pas le droit à la possession de la terre en cause parce que la possession en avait été allouée, en conformité avec les dispositions de la Loi sur les Indiens, à un Indien en particulier. Appliquant les principes généraux régissant l'action en recouvrement de la possession de terres, le juge Thurlow (tel était alors son titre) déclara que la question était de savoir [aux pages 604 et 605] [TRADUCTION] «si la bande d'Indiens Six nations, au nom de laquelle l'action était intentée, avait le droit à la possession revendiquée en son nom». Dans sa conclusion il dit la page 611]:
[TRADUCTION] On a également prétendu que l'art. 31(1) confère à la bande un droit statutaire au redressement demandé dans une action intentée par le procureur général par suite de la demande faite par celle-ci sous le régime de cet article. D'après moi cependant, ce paragraphe ne confère aucun droit matériel nouveau mais prévoit simplement une procédure pour la sauve- garde des droits existants d'un Indien en particulier ou d'une bande. En l'espèce, l'action tend à la sauvegarde d'un droit de possession revendiqué par la bande. D'après les faits, toutefois, il n'a pas été démontré que la bande ait pareil droit dans les terres en cause.
Ce jugement fut infirmé par la Cour suprême du Canada. Dans ses motifs dissidents, le juge Cart-
wright (tel était alors son titre) se dit d'accord avec le juge Thurlow. Il dit à la page 574: [TRA- DUCTION] «A noter que la possession n'est pas revendiquée par Sa Majesté en son nom mais au nom de la bande. Ceci est conforme aux disposi tions de l'art. 31 de la Loi sur les Indiens ...»; et, après avoir cité l'article, il dit: [TRADUCTION] «Je ne trouve aucune ambiguïté dans cet article. Il prévoit, comme plusieurs autres dispositions de la Loi, que le droit à la possession d'un lopin de terre dans une réserve peut appartenir à la bande ou à un Indien en particulier. La revendication de la possession peut être faite soit au nom de la bande si elle a droit à la possession ou au nom de l'Indien en particulier si c'est lui qui y a droit.» Le juge Judson, prononçant les motifs du jugement de la majorité, dit aux pages 571 et 572:
[TRADUCTION] En rejetant l'action, la Cour de l'Échiquier décida en fait que, pour ce qui concerne des terres attribuées à un Indien en particulier, une action ne pouvait être intentée en vertu de l'art. 31 qu'à la demande de l'Indien titulaire d'un billet de location et non à la demande de la bande. J'estime cette décision erronée. Je ne crois pas que l'art. 31 exige qu'une action en vue d'expulser un non-Indien de la réserve ne soit intentée, relativement aux terres attribuées à un Indien en particulier, qu'au nom de cet Indien. Les dispositions de cet article me semblent claires. L'action peut être intentée par la Couronne au nom de l'Indien ou de la bande, selon celui des deux qui allègue la possession illégale ou la pénétration dans la réserve sans droit ni autorisation.
Le jugement dont il est fait appel comporte une importante modification des dispositions de l'art. 31(1). Au lieu de «lors- qu'un Indien ou une bande» allègue la possession illégale par un non-Indien, le texte devrait être compris comme suit: «Lors- qu'un Indien, relativement à des terres attribuées â lui, ou une bande, relativement à des terres non attribuées», allègue posses sion illégale. Je suis d'avis que cette interprétation est erronée et que l'accepter saperait toute l'application de la Loi en permettant à un Indien de conclure avec un non-Indien un accord non autorisé et, en refusant ensuite de porter une plainte individuelle, de permettre au non-Indien d'y demeurer indéfiniment.
L'objet de la Loi sur les Indiens est de conserver intactes pour des bandes d'Indiens les réserves mises de côté pour elles sans tenir compte du désir d'un Indien en particulier d'aliéner pour son propre bénéfice une partie quelconque de la réserve pour laquelle il peut détenir un billet de location. C'est ce que prévoit l'art. 28(1) de la Loi. Si le recours prévu par l'art. 31 était limité, pour ce qui concerne les terres possédées par le titulaire d'un billet de location, à des actions intentées à la demande de ce titulaire, des accords, nuls en vertu de l'art. 28(1), conclus entre le titulaire d'un billet de location et un non-Indien pour l'aliénation de terres de réserve, produiraient leurs effets et l'objet de la Loi serait contrecarré.
Dans l'affaire Devereux, l'action visait à la reprise de possession de terres non cédées se trou-
vaut dans une réserve. L'intimé fait valoir en l'espèce que si l'immeuble était une terre réservée aux Indiens au sens de l'article 91(24) de l'A.A.N.B. au moment de la Confédération, ce qui n'est pas admis, il cessa, par suite de la cession de 1895, de faire partie de la réserve au sens de la Loi sur les Indiens, et le droit de la bande à l'occupa- tion ou à la possession de l'immeuble fut, dans la mesure il pouvait toujours exister, éteint par la cession. Il est maintenant nécessaire d'examiner ces prétentions en ce qu'elles se rapportent au droit d'action conféré par l'article 31.
La preuve m'a convaincu que l'immeuble faisait partie de la réserve qui, au moment de la Confédé- ration, est passée sous la compétence du gouverne- ment fédéral à titre de terre réservée aux Indiens au sens de l'article 91(24) de l'A.A.N.B. Il fut identifié par le témoignage d'experts comme étant le lot 5 sur la rive nord de la rivière qui, dans le plan Sadler, faisait partie de la réserve. Même si les Indiens n'avaient pas exercé ou même revendi- qué leur droit d'occuper l'immeuble pendant plu- sieurs années, leur droit d'occupation n'avait pas été éteint. Leur consentement à l'occupation d'Ebenezer Travis ne pouvait avoir cet effet. En présumant que la Proclamation royale de 1763 s'appliquait au territoire du Nouveau-Brunswick, ce qui d'après moi semble être la conclusion appuyée par les décisions judiciaires que j'ai men- tionnées plus haut dans ces motifs, un tel accord serait nul en vertu des dispositions suivantes de la Proclamation (S.R.C. 1970, Appendice II, 1, aux pages 127 et 128):
Nous défendons aussi strictement par la présente à tous Nos sujets, sous peine de s'attirer Notre déplaisir, d'acheter ou posséder aucune terre ci-dessus réservée, ou d'y former aucun établissement, sans avoir au préalable obtenu Notre permission spéciale et une licence à ce sujet.
Et Nous enjoignons et ordonnons strictement à tous ceux qui en connaissance de cause ou par inadvertance, se sont établis sur des terres situées dans les limites des contrées décrites ci-dessus ou sur toute autre terre qui n'ayant pas été cédée ou achetée par Nous se trouve également réservée pour lesdits sauvages, de quitter immédiatement leurs établissements.
C'est en se fondant sur ces dispositions que la Cour de l'Échiquier du Canada décida dans l'af- faire Le Roi c. Lady McMaster [1926] R.C.É. 68, qu'un contrat de location de terres de réserve conclu par des Indiens en 1817 était nul et que la Couronne du chef du Canada avait le droit de
recouvrer possession de ces terres. Dans l'affaire Easterbrook c. Le Roi [1931] R.C.S. 210, confir- mant [1929] R.C.É. 28, il fut décidé, en se fondant sur les mêmes dispositions de la Proclamation, qu'un contrat de location conclu par la même tribu en 1821 était nul et que la Couronne fédérale avait le droit de recouvrer possession des terres en cause.
Il est vrai que la question de l'application de la Proclamation est difficile, mais j'estime que ses dispositions, même si certains passages ne sont pas sans ambiguïté, sont dans l'ensemble assez larges pour inclure le territoire qui devint le Nouveau- Brunswick. La Proclamation réservait à l'usage des Indiens «toutes les terres et tous les territoires non compris dans les limites de Nos trois gouver- nements ni dans les limites du territoire concédé à la Compagnie de la baie d'Hudson, ainsi que toutes les terres et tous les territoires situés à l'ouest des sources des rivières qui de l'ouest et du nord-ouest vont se jeter dans la mer.» Dans l'af- faire St. Catharine's Milling, le juge Strong était d'avis ((1887) 13 R.C.S. 577, à la page 628) que les mots [TRADUCTION] «toutes les terres et tous les territoires» employés dans ces dispositions doi- vent, étant donné les termes du préambule de la Proclamation, viser le territoire «cédé et assuré» par le Traité de Paris. Même si cette interprétation restrictive des mots «toutes les terres et tous les territoires» était applicable, deux observations doi- vent être faites relativement à la Nouvelle-Écosse: premièrement, bien que la Nouvelle-Écosse ait été une colonie britannique, la France, aux termes de l'article IV du Traité de Paris (Shortt & Doughty, Documents relating to the Constitutional History of Canada, Partie I, p. 115) renonçait expressé- ment à tout droit qu'elle pouvait avoir à la Nou- velle-Écosse, ce qui semble l'inclure dans le terri- toire «assuré» à la Grande-Bretagne par ledit traité. Le Cap-Breton, la partie de la Nouvelle- Écosse dont il était question dans l'affaire Isaac précitée, fut cédé par le Traité; par conséquent, l'opinion exprimée dans cette affaire pour ce qui concerne l'application de la Proclamation à la Nouvelle-Écosse était, pour ce qui concerne le Cap-Breton, solidement fondée sur les termes de la Proclamation même si on adopte l'interprétation restrictive des mots «toutes les terres et tous les territoires». La deuxième observation pour ce qui concerne la Nouvelle-Écosse est qu'une partie du territoire qui fut cédé par le Traité fut placée à
l'extérieur des frontières du nouveau gouverne- ment de Québec et jointe à la Nouvelle-Écosse (Shortt & Doughty, op. cit., pages 127 et suivantes et 149). J'ai l'impression que c'est le territoire qui devint plus tard le Nouveau-Brunswick. En outre, plusieurs des dispositions de la Proclamation mentionnent, en termes très généraux, les colonies britanniques en Amérique du Nord et le territoire sous souveraineté britannique, de même que les Indiens sous protection britannique. Dans l'affaire St. Catherine's Milling, précitée, lord Watson dit la page 54] que la Proclamation établit les droits de [TRADUCTION] «toutes les tribus indien- nes vivant alors sous la souveraineté et la protec tion de la Couronne britannique». Ces autres dis positions visant la protection des droits des Indiens reflètent ce que devait vouloir accomplir la décla- ration de réserve dans la Proclamation. Elles con- tiennent des expressions comme: «Nos autres colo nies ou de Nos autres plantations en Amérique», «la sécurité de Nos colonies» (et non «desdites colonies»), «nations ou tribus sauvages qui sont en relations avec Nous et qui vivent sous Notre pro tection», «la possession entière et paisible ... de Nos possessions et territoires qui ont été ni concé- dées ni achetées et ont été réservées pour ces tribus ou quelques-unes d'entre elles comme territoires de chasse», «celles qui ont été ni cédées ni achetées par Nous, tel que susmentionné, et ont été réser- vées pour les tribus sauvages susdites ou quelques- unes d'entre elles». De ces dispositions, je conclus que la Proclamation voulait reconnaître les droits des Indiens dans tous- les territoires sous souverai- neté britannique en Amérique du Nord qui n'avaient été ni cédés ni achetés par la Couronne, sous réserve des exceptions spécifiées, soit le terri- toire inclus dans les limites des nouveaux gouver- nements de Québec, de la Floride Orientale et de la Floride Occidentale, et le territoire concédé à la Compagnie de la baie d'Hudson. En plus de tout le territoire spécifié comme étant sujet aux droits indiens à l'est, il y avait «toutes les terres et tous les territoires situés à l'ouest des sources des riviè- res qui de l'ouest et du nord-ouest vont se jeter dans la mer», plus précisément désignés comme suit dans un passage précédent du texte: «les terres situées au-delà de la tête ou source de toutes les rivières qui vont de l'ouest et du nord-ouest se jeter dans l'océan Atlantique».
De toute façon, comme on le faisait remarquer dans les affaires Lady McMaster et Easterbrook, les dispositions de la première loi fédérale sur les Indiens, adoptée en 1868 (31 Vict., c. 42), essen- tiellement de même portée que celles de la Procla mation que j'ai citées, étaient en fait de nature déclaratoire. L'article 17 de la loi de 1868 pré- voyait que «tous les baux, contrats et conventions passés ou apparemment passés (purporting to be made) par des Sauvages ou personnes mariées à des Sauvages, en vertu desquels il serait permis à d'autres qu'à des Sauvages de résider sur ces terres, seront absolument nuls et de nul effet.» L'article 6 de la Loi prévoyait que «ces terres ne pourront être vendues, aliénées ou affermées avant d'avoir été cédées à la couronne pour les objets prévus au présent acte», et l'article 10, que «Rien de contenu dans le présent acte n'aura l'effet de ratifier une cession qui, d'ailleurs, aurait été nulle et de nul effet si le présent acte n'eût pas été passé; et nulle cession des terres en question ne sera valide si elle est consentie en faveur de quelque partie autre que la couronne.»
Le droit des Indiens d'occuper l'immeuble, qui était un droit d'occupation pendant le bon plaisir de la Couronne, aurait sans aucun doute avoir pu être éteint par la Couronne, mais je ne trouve rien dans les lois adoptées par le gouvernement du Nouveau-Brunswick avant la Confédération qui aurait cet effet. Une concession aurait indubitable- ment eu cet effet, comme c'est le cas relativement à plusieurs des lots sur les rives nord et sud de la rivière, mais la simple adoption de la politique que reflète la loi de 1844 et selon laquelle les terres de la réserve devraient être vendues à des colons n'éteindrait pas de ce fait le droit d'occupation des Indiens dans les cas où, comme c'est le cas pour l'immeuble, il n'y a pas eu de vente ni d'octroi de lettres patentes. Il n'y a rien dans les documents contemporains qui suggère que toutes les terres de la réserve qui n'avaient pas été concédées, y com- pris l'ancien lot 5 sur la rive nord de la rivière, ne soient pas passées sous la compétence du gouverne- ment du Dominion au moment de la Confédération en vertu de l'article 91(24) de l'A.A.N.B. à titre de terres réservées aux Indiens et en vertu de l'article 6 de la loi de 1868 qui prévoyait: «Toutes les terres réservées pour les Sauvages, ou pour toute nation, tribu ou peuplade de Sauvages, ou possédées en leur nom (held in trust) pour leur bénéfice, seront
censées être réservées et possédées pour les mêmes fins qu'avant la passation du présent acte, tout en restant assujéties à ses dispositions....» La corres- pondance entre le Secrétaire d'État et le bureau des terres de la Couronne de la province en 1867 témoigne d'une revendication de la compétence fédérale relativement à toutes les terres de la réserve non cédées. Le dossier n'indique pas pour- quoi l'étendue originale de 10,000 acres fut réduite à 8,124 acres, mais il est raisonnable de présumer que c'est à cause des concessions faites de chaque côté de la rivière. De toute façon le gouvernement fédéral était manifestement d'avis, lorsqu'il demanda la cession de 1895, que les lots non cédés des deux côtés de la rivière faisaient toujours partie de la réserve. A noter que lorsqu'il est fait mention de la réserve sur la rivière Little South west Miramichi dans la cession, il est question d'une réserve—«La réserve indienne Red Bank (ainsi appelée)».
L'effet de la cession de 1895
Il est maintenant nécessaire d'examiner l'effet de cette cession sur les intérêts des Indiens et sur le statut de l'immeuble en tant que terre réservée aux Indiens.
La cession devint nécessaire à cause des disposi tions de l'article 38 de l'Acte des Sauvages, S.R.C. 1886, c. 43 (sa portée est la même que celle de l'article 6 de la loi de 1868) qui prévoit que: «Nulle réserve ou partie de réserve ne pourra être vendue, aliénée ou affermée avant d'avoir été cédée ou abandonnée à Sa Majesté pour les objets prévus au présent acte ....» Tel qu'indiqué dans le rapport recommandant l'acceptation de la cession, le but était de permettre la vente des lots cédés aux «colons sans titre» qui les occupaient. La cession fut faite sous le régime de l'article 39 de la Loi qui prévoyait les modalités de l'expression de la volonté de la bande. Le respect de ces modalités n'est pas en cause. La question est de savoir quel est l'effet d'une cession de ce genre sur le titre indien à l'immeuble et sur le statut de l'immeuble sous le régime de la Loi sur les Indiens.
Le juge de première instance décida que la cession de 1895 était conditionnelle et que, par conséquent, elle n'aurait pas éteint le titre indien à l'immeuble même si, tel qu'il ressort de l'extrait de ses motifs de jugement précités, il était d'avis que
le titre indien avait déjà été éteint par possession acquisitive. Il résume ainsi l'argument de l'intimé sur l'effet de la cession la page 657]: «Le défendeur allègue que l'arrêt St. Catherine's s'ap- plique en l'espèce et est une autorité du plus haut ordre pour dire qu'au moment de la cession des terres par la bande Red Bank en 1895, la propriété réelle et le titre du bien en question ont été dévolus
à la Couronne du chef de la province du Nouveau- Brunswick, libre de tout intérêt ou obligation des Indiens. Le défendeur prétend donc que la Reine du chef du Canada n'a pas qualité pour agir dans cette action.» Après un examen de la jurisprudence
applicable, il conclut en ces termes la page 660]: «A mon avis la cession de 1895 n'était pas une cession définitive, finale consentie par la bande Red Bank à la Couronne, mais simplement une cession conditionnelle qui ne devenait absolue qu'après la vente et le dépôt de l'argent au crédit de la bande.»
La conclusion du juge de première instance sur ce point se fonde essentiellement sur les motifs du juge Rand et du juge Estey, prononcés par le juge Rand, dans l'affaire St. Ann's Island Shooting and Fishing Club Limited c. Le Roi [1950] R.C.S. 211 et sur les motifs du jugement de la Cour d'appel de la Colombie-Britannique, prononcés par le juge d'appel Maclean, dans l'affaire Corporation of Surrey c. Peace Arch Enterprises Ltd. (1970) 74 W.W.R. 380. Dans ces deux affaires, il s'agissait
d'une cession de terre dans une réserve indienne à des fins de location plutôt que de vente. Dans l'affaire St. Ann's, la question était de savoir si un contrat de location conclu par le surintendant général des affaires des Sauvages était nul à défaut de l'approbation du gouverneur en conseil requise par l'article 51 de la Loi des sauvages, S.R.C. 1906, c. 81. Au niveau de la Cour de l'Échiquier [1950] R.C.É. 185, le juge Cameron s'était dit d'avis que la cession était absolue. Sur cette ques tion, le juge Rand dit à la page 219:
[TRADUCTION] Je ne puis être d'accord que la cession était totale et définitive. On voulait faire une cession qui permette une location valide à des fiduciaires «aux termes et conditions» que pourrait approuver le surintendant général. Il s'agissait tout au plus d'une cession pour permettre que leur soit consenti un bail conforme à ce que pouvaient consentir et proroger, quoique sous réserve de l'approbation du surintendant général, ceux qui avaient le pouvoir de ce faire. Ce n'était pas un engagement définitif et irrévocable à louer la terre pour le bénéfice des Indiens, encore moins à la louer au Club à
perpétuité, ou selon le jugement du surintendant général. Pour le conseil, le surintendant général agissait au nom du gouverne- ment dont il était le représentant. A l'expiration du bail du Club, les Indiens recouvraient leurs privilèges originaux.
Qu'il puisse y avoir une cession partielle des «droits person- nels, de la nature d'un usufruit» dont jouissent les Indiens est confirmée par l'arrêt St. Catherine's Milling Company Limited c. La Reine ((1888) 14 App. Cas. 46), était retenu le privilège de chasse et de pêche; et compte tenu de la nature de l'intérêt des Indiens et de l'objet de la législation, je ne vois certainement aucune distinction en principe entre la cession d'une partie d'un ensemble de droits à perpétuité et une cession de tout un ensemble de droits pour un temps limité.
Mais je suis d'accord que l'art. 51 exige l'approbation du gouverneur en conseil pour la location valide de terres indiennes.
Dans l'arrêt Peace Arch, des terres de réserve étaient cédées en 1963 par la bande à la Couronne «en fiducie» à des fins de location, et ces terres furent effectivement louées à Peace Arch Enter prises Ltd. Il s'agissait de déterminer si les règle- ments municipaux sur le zonage et la construction de même que les règlements provinciaux sur la santé s'appliquaient aux terres louées. Le juge de première instance décida que par suite de la ces sion et de la location, les terres avaient cessé de faire partie de la «réserve» au sens de l'article 2 de la Loi sur les Indiens, S.R.C. 1952, c. 149, et, par conséquent, avaient également cessé d'être des «terres réservées pour les Indiens» au sens de l'arti- cle 91(24) de l'A.A.N.B. Il conclut donc que les règlements municipaux et les règlements provin- ciaux sur la santé s'appliquaient aux terres. Lors de l'appel porté devant la Cour d'appel de la Colombie-Britannique, le juge d'appel Maclean, se fondant en partie sur ce que dit le juge Rand dans l'arrêt St. Ann's et sur l'article 38(2) de la Loi sur les Indiens, qui prévoit que: «Une cession peut être absolue ou restreinte, conditionnelle ou sans condi tion», décida que la cession était restreinte ou conditionnelle, qu'elle n'éteignait pas le titre indien et qu'elle n'avait pas pour effet de faire que les terres cessaient d'être des terres réservées aux Indiens au sens de l'article 91(24) de l'A.A.N.B. Il statua que puisque les règlements municipaux sur le zonage et les règlements provinciaux sur la santé restreindraient l'usage des terres réservées aux Indiens, ils ne pouvaient valablement s'appliquer à de telles terres.
En définissant les effets de la cession, le juge d'appel Maclean insista sur les mots «en fiducie»
ainsi que sur l'objet particulier de la cession. Il dit aux pages 384 et 385:
[TRADUCTION] A mon avis la cession en l'espèce, une cession à Sa Majesté «en fiducie pour les louer à la personne ou aux personnes et aux conditions que le gouvernement du Canada jugera les plus favorables pour notre bien-être et celui de notre peuple» tombe dans la catégorie des cessions restreintes ou conditionnelles.
En vertu de cette forme de cession, «en fiducie» et pour un objet particulier, soit «les louer», il me semble qu'on ne peut dire que l'intérêt de la tribu dans ces terres s'est éteint. En toute déférence, je suis d'avis que le savant juge de première instance a commis une erreur en concluant que la cession était «sans condition».
Après avoir cité l'extrait des motifs du jugement du juge Rand dans l'arrêt St. Ann's, extrait déjà cité ci-dessus, il ajoute, à la page 385:
[TRADUCTION] A mon avis la «cession» en vertu de la Loi sur les Indiens n'est pas une cession au sens l'entendrait un notaire. On interdit en effet aux Indiens de louer ou de céder les terres de la réserve indienne, et, le cas échéant, seul un fonctionnaire du gouvernement peut le faire: voir l'art. 58(3) de la Loi sur les Indiens. Par là, on vise manifestement la protec tion des Indiens. De plus, il faut remarquer que la cession est en faveur de Sa Majesté «en fiducie». Cela signifie manifestement en fiducie pour les Indiens. Le titre que Sa Majesté la Reine reçoit en vertu de cette entente est vide.
Se disant d'avis que la terre demeurait une terre réservée aux Indiens au sens de l'article 91(24) de l'A.A.N.B., il dit à la page 386:
[TRADUCTION] Cette terre fut réservée aux Indiens en 1887, et les Indiens conservent toujours un droit de réversion dans celle-ci.
On trouve le passage suivant à la page 387:
[TRADUCTION] Il se pourrait fort bien (mais ii n'est pas nécessaire que j'en décide) que si les Indiens ont effectué une cession absolue en vertu de la Loi sur les Indiens et que cette cession ait été suivie d'un transfert par le gouvernement du Canada à un acheteur, la terre cesserait d'être une réserve en vertu de la Loi sur les Indiens et cesserait également d'être «une terre réservée aux Indiens» en vertu de l'art. 91(24) de l'A.A.N.B., 1867, mais ce n'est pas le cas ici.
S'il est vrai que cette question me laisse plutôt perplexe, je doute fort que la conclusion dans l'arrêt Peace Arch sur l'effet de la cession sur le titre indien soit applicable à une cession en fiducie à des fins de vente plutôt que de location. L'objet même d'une telle cession est de permettre un transfert de la propriété de la terre, libre de la charge du titre indien. Alors qu'il est possible de parler d'un droit de réversion dans le cas d'une cession à des fins de location, puisqu'à l'expiration
du bail le droit d'occupation des Indiens renaîtra, j'estime qu'on ne peut dire la même chose d'une cession à des fins de vente. Après la cession de 1895, je ne vois pas comment les Indiens auraient pu, à quelque moment que ce soit, revendiquer le droit d'occuper l'immeuble. A compter de cette date, leur intérêt dans l'immeuble était dans sa vente et dans l'affectation du produit à leur profit. C'était un intérêt financier. La cession de 1895 semble avoir été la forme de cession à des fins de vente généralement employée dans les années 1880 et 1890: voir Indian Treaties and Surrenders, vol. II, pages 96, 122, 170, 229, 258, 264; vol. III, pages 31, 163, 175, 180, 209, 227, 250 et 303 pour des exemples de cession «en fiducie» à des fins de vente et d'affectation du produit au profit de la bande. Si cette forme de cession n'avait pas pour effet d'éteindre le titre indien, alors je suis incapa ble d'en concevoir une qui aurait cet effet. L'élé- ment essentiel qui ressort des décisions du Conseil privé dans les arrêts St. Catherine's Milling et Star Chrome c'est que la cession avait pour effet d'éteindre le titre indien avant tout autre aliéna- tion de la propriété. Ce n'était pas l'aliénation subséquente, dont la validité était en cause, qui éteignait l'intérêt des Indiens.
Dans l'arrêt St. Catherine's Milling, la cession fut effectuée par traité moyennant une certaine contrepartie pécuniaire et des engagements de la Couronne, y compris un engagement de mettre de côté certaines réserves et une entente portant que les Indiens continueraient d'avoir le droit de chasse et de pêche dans les terres cédées, à certaines conditions. C'est la réserve du privilège de chasse et de pêche qui a apparemment amené le juge Rand dans l'arrêt St. Ann's à considérer la cession comme une cession partielle mais, sauf cette réserve, il ne faisait aucun doute que le Conseil privé avait décidé que la propriété réelle de la terre avait été dévolue à la province. Comme le dit lord Watson à la page 55: [TRADUCTION] «la Couronne a toujours eu un droit fondamental et suprême, sous-jacent au titre indien, et qui est devenu un plenum dominium dès que le titre indien a été cédé ou autrement éteint.» La question était de savoir si le gouvernement du Dominion avait le droit de s'approprier la propriété réelle des arbres se trou- vant sur la terre cédée, et le lord Watson dit à la page 60: [TRADUCTION] «Le traité ne laisse aux Indiens absolument aucun droit sur les arbres qui
poussent sur les terres auxquelles ils ont renoncé, dont la propriété est maintenant complètement dévolue à la Couronne, tout revenu provenant de la vente d'une partie des arbres qui se trouvent à l'intérieur des limites de la province de l'Ontario étant la propriété de cette province. Le fait que le gouvernement du Dominion possède toujours le pouvoir exclusif de régir le privilège de chasse et de pêche des Indiens ne peut conférer au Dominion le pouvoir de disposer, par l'émission de permis ou autrement, de la propriété réelle des arbres qui est maintenant dévolue à l'Ontario.»
Dans l'arrêt Star Chrome, il y avait une cession [TRADUCTION] «Dans le but de vendre les terres en question pour le profit de notre dite bande, le produit de cette vente devant être employé pour l'achat d'une terre à un endroit plus propice, ou l'argent autrement, placé pour notre profit». Voir Indian Treaties and Surrenders, vol. II, page 108. Le juge Duff qui prononça les motifs du jugement du Conseil privé, dit à la page 406: [TRADUCTION] «D'autre part, si l'on accepte la thèse soumise par la province relativement à la nature du titre indien, il s'ensuit, d'après le principe établi par la décision de ce Conseil dans St. Catherine's Milling and Lumber Co. c. La Reine ... qu'avec la cession de l'intérêt indien en 1882, le titre des terres visées par la cession était dévolu à la Couronne du chef de la province libre de la charge de cet intérêt.» Étant donné que la prétention provinciale fondée sur l'arrêt St. Catherine's Milling fut retenue, le gouvernement du Dominion ne pouvait transférer un titre valide à la terre cédée. La cession de 1882 ne contenait pas les mots «en fiducie», mais je ne peux concevoir, étant donné son but déclaré, qui était essentiellement le même que celui de la ces sion de 1895, que cela puisse faire une différence.
Dans l'arrêt Seybold (précité) qui décida que l'article 91(24) de l'A.A.N.B. ne conférait pas au gouvernement du Dominion le pouvoir de s'appro- prier des terres provinciales aux fins d'une réserve, lord Davey dit à la page 79 que dans l'arrêt St. Catherine's Milling, il avait été décidé: [TRADUC- TION] «qu'avant cette cession, la province de l'On- tario avait un droit de propriété sur cette terre, en vertu des dispositions de l'art. 109 d e l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867, sous réserve de la charge du droit d'usufruit des
Indiens, et qu'avec l'extinction de ce droit par la cession, la province acquérait le plein droit de propriété sur la terre, assujetti uniquement aux privilèges restreints de chasse et de pêche qui étaient réservés aux Indiens dans le traité.» Une partie de la réserve indienne 38B qui avait été mise de côté par le gouvernement du Dominion en application des dispositions du traité avait subsé- quemment été cédée par les Indiens à la Couronne en fiducie à des fins de vente et pour que le produit soit affecté au profit des Indiens. Dans la Haute Cour de l'Ontario, (1900) 31 O.R. 386, le chance- lier Boyd avait exprimé l'opinion que cette cession avait, de nouveau, éteint le titre indien relatif à la terre. Il dit aux pages 395 et 396: [TRADUCTION] «En l'espèce, la terre visée par le traité fut réservée par le Dominion à même le territoire cédé: c'est-à- dire, le titre indien étant éteint au profit de la province, le Dominion se réserva le droit de pren- dre les terres provinciales pour établir pour les Indiens une réserve visée par le traité. Admettons que cela pouvait se faire; pourtant lorsque la ces sion subséquente d'une partie de cette réserve fut effectuée par le traité en 1886, l'effet fut encore une fois de libérer la partie en litige des privilèges spéciaux prévus par le traité relativement à la terre et de laisser le droit de propriété exclusif et actuel à la Couronne du chef de la province de l'Ontario. Telle est la situation pour ce qui concerne le titre des terres.» Au Conseil privé, lord Davey dit à la page 84, relativement à cette opinion: [TRADUC- TION] «Compte tenu de l'opinion exprimée sur les droits des deux gouvernements, il n'est pas néces- saire que Leurs Seigneuries discutent de l'effet de la seconde cession en 1886. Toutefois, Leurs Sei- gneuries ne s'opposent pas à l'opinion exprimée par le chancelier de l'Ontario sur cette question.»
Dans l'arrêt Le procureur général du Canada c. Giroux (1916) 53 R.C.S. 172, la question était de savoir si une terre dans une réserve qui avait été cédée pouvait valablement être vendue à un Indien. La Cour suprême du Canada jugea que oui. La cession avait été faite à la Couronne en fiducie pour que la terre soit vendue et que le produit soit affecté au produit de la bande. Le juge Duff, le juge Anglin souscrivant à ses motifs, dit à la page 197: [TRADUCTION] «La cession de ce droit de propriété en fiducie en conformité des termes de l'acte de 1868 ne peut, sans aller com- plètement à l'encontre de son objet, être déclarée
avoir pour effet de détruire le droit de propriété réelle des Indiens.» Mais cette conclusion était fondée sur l'opinion voulant que sous le régime des lois relatives aux réserves indiennes applicables dans le Bas-Canada avant la Confédération, l'inté- rêt des Indiens dans la réserve consistait en un droit à la propriété réelle. Le juge Duff établit une distinction entre cet intérêt et le droit conféré par la Proclamation royale de 1763 qui avait été défini dans l'arrêt St. Catherine's Milling comme un droit personnel, de la nature d'un usufruit, dépen- dant du bon plaisir de la Couronne. Cette opinion sur la nature de l'intérêt indien créé par la législa- tion antérieure à la Confédération au Bas-Canada semble avoir été rejetée par le Conseil privé dans l'affaire Star Chrome. Pour ce qui concerne la nature du droit créé par la législation antérieure à la Confédération, le Conseil privé dit: [TRADUC- TION] «Leurs Seigneuries jugent bien fondée la prétention de la province en ce sens que le droit reconnu par la loi est un droit d'usufruit seulement et un droit personnel en ce sens qu'il est de par sa nature même inaliénable à moins d'être cédé à la Couronne.» A mon humble avis, il découle mani- festement de la décision dans l'arrêt Star Chrome que ce que dit le juge Duff dans l'arrêt Giroux relativement à la nature de l'intérêt des Indiens et relativement à l'effet de la cession sur cet intérêt ne doit pas être considéré comme exprimant le droit.
Étant donné la conclusion dans l'arrêt Star Chrome, je ne vois pas comment il est possible de prétendre que la cession de 1895 n'a pas eu pour effet d'éteindre le droit d'occupation ou de posses sion des Indiens relativement à l'immeuble. S'il est vrai qu'en appel, l'appelante adopta, évidemment, l'avis du juge de première instance sur cette ques tion, on se rappellera qu'en réplique à la défense, la position prise était qu'avant la cession, le titre de la Couronne n'était assujetti qu'au droit person nel, de la nature de l'usufruit, de la bande d'In- diens de Red Bank «et qu'après une telle cession et son acceptation, le titre de Sa Majesté la Reine était et continue d'être assujetti uniquement aux conditions de ladite cession ...». Finalement, j'en conclus que dans la mesure l'action de l'appe- lante entend faire valoir le droit de la bande à la possession de l'immeuble, elle est sans fondement.
Par suite de l'application de l'article 31 de la Loi sur les Indiens, j'estime qu'il n'est pas du tout clair si l'immeuble demeure partie de la réserve au sens de la Loi, ou en d'autres termes, si le mot «réserve» à l'article 31 comprend des «terres cédées» au sens de la Loi. La pertinence de cette question vient de ce que l'article 31 vise un empiétement sur la «réserve» et, par conséquent, le recouvrement de la possession de terres dans une réserve.
Depuis 1876, la législation fédérale sur les Indiens a établi une distinction entre la «réserve», telle que définie par la loi, et des terres cédées dans une réserve, autrefois appelées «terres des Sauva- ges» et maintenant appelées «terres cédées». Les définitions de «réserve» et de «terres des Sauvages», dans l'Acte des Sauvages, 1876, S.C. 1876, c. 18, article 3(6) et (8) sont ainsi rédigées:
3....
6. L'expression «réserve» signifie toute étendue ou toutes étendues de terres mises à part, par traité ou autrement, pour l'usage ou le bénéfice d'une bande particulière de Sauvages, ou qui lui est concédée, dont le titre légal reste à la Couronne, mais qui ne lui sont pas transportées, et comprend tous les arbres, les bois, le sol, la pierre, les minéraux, les métaux ou autres choses de valeur qui s'y trouvent, soit à la surface, soit à l'intérieur;
8. L'expression «terres des Sauvages» signifie toute réserve ou partie de réserve qui a été transportée par cession à la Couronne;
Telles étaient les définitions de «réserve» et de «terres des Sauvages» dans l'Acte relatif aux Sau- vages, 1880 (43 Vict., c. 28, article 2(6) et (8)). Dans l'Acte des Sauvages, S.R.C. 1886, c. 43, en vigueur lors de la cession de 1895, l'exclusion expresse de terres cédées fut retranchée de la définition de «réserve» à l'article 2(k.) dont voici le libellé:
2....
(k.) L'expression «réserve» signifie toute étendue de terre mise à part, par traité ou autrement, pour l'usage ou le profit d'une bande particulière de sauvages, ou concédée à cette bande et dont le titre légal est attribué à la Couronne, mais qui fait encore partie de la réserve, et elle comprend les arbres, le bois, la terre, la pierre, les minéraux, les métaux ou autres choses de valeur qui se trouvent à la surface ou à l'intérieur du sol;
L'exclusion expresse de terres cédées fut réinsérée dans la définition de «réserve» dans la Loi des sauvages, S.R.C. 1906, c. 81, article 2(i) dont voici le libellé:
2....
(i) «réserve» signifie toute étendue de terre mise à part, par traité ou autrement, pour l'usage ou le profit d'une bande particulière de sauvages, ou concédé à cette bande, et dont le titre légal est attribué à la Couronne, mais qui fait encore partie de la réserve, et comprend les arbres, le bois, la terre, la pierre, les minéraux, les métaux, ou autres choses de valeur qui se trouvent à la surface ou à l'intérieur du sol;
Telle était la définition de «réserve» dans la Loi des Indiens, S.R.C. 1927, c. 98, article 2j), qui est demeurée en vigueur jusqu'à ce que l'actuelle Loi sur les Indiens soit adoptée en 1951.
L'opinion exprimée expressément ou implicite- ment, dans l'arrêt Giroux précité, aux pages 176, 199 et 201, selon laquelle la terre cédée avait cessé de faire partie de la réserve était fondée sur la définition de «réserve» dans la loi de 1876. Dans l'arrêt St. Ann's, aux pages 212 et 215, il y a une opinion semblable fondée sur la définition de «réserve» dans la Loi de 1906.
Les définitions de «réserve» et «terres cédées» à l'article 2 de la Loi actuelle sont ainsi libellées:
2. (1) ...
«réserve» signifie une parcelle de terrain dont le titre juridique est attribué à Sa Majesté et qu'Elle a mise de côté à l'usage et au profit d'une bande;
«terres cédées» signifie une réserve ou partie d'une réserve, ou tout intérêt y afférent, dont le titre juridique demeure attri- bué à Sa Majesté P que la bande à l'usage et au profit de laquelle il avait été mis de côté a abandonné ou cédé.
Il ne fait aucun doute que la définition de «terres cédées» s'applique à l'immeuble. A noter que la définition de «réserve» n'exclut pas expressément les terres cédées comme elle le faisait jusqu'en 1951. Ceci pourrait sembler suffire pour trancher la question. En outre, la définition de réserve pourrait être interprétée comme signifiant que, si la terre a dans le passé été mise de côté à l'usage et au profit d'une bande et que le titre juridique demeure attribué à Sa Majesté, elle demeure partie de la réserve au sens de la Loi. Les «terres cédées» définies comme étant «une réserve ou partie d'une réserve ... dont le titre juridique demeure attribué à Sa Majesté ...» ne seraient en somme qu'une partie particulière d'une réserve selon la définition de la Loi. Cette interprétation est toutefois exclue d'après moi par les autres dispositions de la Loi qui indiquent que lorsque la
Loi emploie le mot «réserve» seul, comme dans l'article 31, on ne veut pas viser à la fois les terres cédées et la partie non cédée d'une réserve. Je tire cette conclusion des dispositions de la Loi les mots «terres cédées» sont employés en plus des mots «réserve» ou «terres de réserve». Voir par exemple l'article 2(2)—«L'expression `bande', en ce qui concerne une réserve ou des terres cédées, signifie la bande à l'usage et au profit de laquelle la réserve ou les terres cédées ont été mises de côté»; l'article 4(2)b)---«à une réserve ou à des terres cédées, ou à une partie y afférente»; l'article 57a)—«autorisant le Ministre à accorder des permis de couper du bois sur des terres cédées ou, avec le consentement du conseil de la bande, sur des terres de réserve»; l'article 59a)—«réduire ou ajuster le montant payable à Sa Majesté en ce qui concerne la vente, location ou autre aliénation de terres cédées ou la location ou autre aliénation de terres situées dans une réserve ...»; l'article 64b)—«... cours d'eau dans des réserves ou sur des terres cédées»; l'article 64i)—«... la gestion de terres situées sur une'réserve, de terres cédées et de tout bien appartenant à la bande»; l'article 87a)— «l'intérêt d'un Indien ou d'une bande dans une réserve ou des terres cédées....» La gestion des réserves d'une part et la gestion des terres cédées d'autre part font l'objet de dispositions distinctes dans la Loi: voir les articles 18 et 53. L'article 21, sous la rubrique «Possession de terres dans des réserves», prévoit: «Il doit être tenu au ministère un registre, connu sous le nom de Registre des terres de réserve, sont inscrits les détails concernant les certificats de possession et certificats d'occupa- tion et les autres opérations relatives aux terres situées dans une réserve.» L'article 55(1), sous la rubrique «Administration des réserves et des terres cédées» prévoit: «Il est tenu au ministère un regis- tre, appelé Registre des terres cédées, dans lequel sont inscrits tous les détails relatifs à la location ou autre aliénation de terres cédées par le Ministre, ou à tout transfert qui en est fait.» Compte tenu de cet emploi des termes «réserves» et «terres cédées» dans la Loi, j'estime qu'on ne peut que conclure que lorsque la Loi emploie le terme «réserves» à l'article 31, elle n'inclut pas les terres cédées.
Par conséquent, le recours de l'appelante ne peut se fonder sur l'article 31, d'une part parce que l'immeuble ne fait pas partie de la réserve au sens de la Loi, et d'autre part parce que la bande n'a
pas le droit à l'occupation ou à la possession de cet immeuble. Il reste à déterminer si, indépendam- ment de cet article, un recours est ouvert à l'appe- lante. L'article 31 n'a pas pour objet de limiter les recours de la Couronne relativement aux terres régies par la Loi, comme en fait foi le paragraphe (3) de cet article qui prévoit: «Rien au présent article ne doit s'interpréter comme atténuant, diminuant ou atteignant d'autre façon un droit ou recours qui, sans le présent article, serait accessible à Sa Majesté, ou à un Indien ou une bande.»
La dénonciation allègue que l'immeuble est dévolu à Sa Majesté. J'interprète ceci non pas comme une indication que l'action est fondée sur ce que l'immeuble appartiendrait à la Couronne du chef du Canada, mais comme une indication que l'immeuble remplit une des conditions essentielles des définitions de «réserve» et «terres cédées» dans la Loi—que son titre juridique demeure attribué à Sa Majesté. Mais dans la mesure l'action pour- rait être fondée sur le titre de l'immeuble, il fau- drait qu'elle soit fondée sur l'effet de la convention de 1958 entre le Nouveau-Brunswick et le Canada. Il faut maintenant examiner l'effet de cette con vention, pour ce qui concerne l'immeuble.
L'effet de la convention de 1958
La convention a un rapport non seulement avec le fondement de l'action de l'appelante mais égale- ment avec la question de savoir si la propriété de l'immeuble pouvait être acquise par possession acquisitive après 1958. Si la convention a transféré les droits et intérêts de la province dans l'immeu- ble au Canada, il serait une «terre publique» au sens de l'article 2 de la Loi sur les concessions de terres publiques, S.R.C. 1970, c. P-29 et serait assujetti à l'article 5 de la Loi qui prévoit:
5. Nul n'acquiert par prescription un droit, titre ou intérêt dans des terres publiques.
Les dispositions importantes de la convention ont été citées plus haut dans ces motifs. La ques tion est de savoir si on voulait, dans le paragraphe 3, transférer tous les droits et intérêts de la province dans les terres de réserve qui avaient été cédées à des fins de vente mais n'avaient jamais été vendues ou autrement aliénées. Le paragraphe transfère les droits et intérêts de la province dans les «terres de réserve», qui sont définies comme suit dans la convention: «les réserves, dans la province,
dont fait mention l'appendice de la présente con vention». L'Appendice, comme il a déjà été dit plus haut, mentionne la réserve indienne Red Bank 4, dont l'emplacement est décrit comme suit: «au sud de la rivière Little Southwest Miramichi», et la réserve indienne Red Bank 7, dont l'emplace- ment est décrit en ces termes: «Au nord de la rivière Little Southwest Miramichi». L'intimé fait remarquer que ces descriptions indiquent que les deux réserves ne sont pas bornées par la rivière et ne sont pas contiguës. Il fait également remarquer que ces descriptions sont généralement conformes à l'emplacement des réserves d'après les cartes gouvernementales de l'époque, telle la pièce D-1. Ce que M. McLelland a admis dans son témoi- gnage. L'intimé fait ressortir le contraste entre les descriptions de l'emplacement des deux réserves Red Bank et les descriptions de l'emplacement d'autres réserves dans l'Appendice il est indiqué qu'une de leurs limites est la rivière: 3—Rivière Eel; 10—St-Basile; 15—Richibucto; 16— Buctouche; 2—Eel Ground; 8—Big-Hole- Tract; 9—Tabusintac; 14—Burnt-Church; et 12—Renous. En se fondant sur ces éléments, l'intimé prétend que la réserve indienne Red Bank numéro 7, visée par la déclaration de transfert de droits et intérêts de la province, ne comprenait pas les lots qui s'étendent jusqu'à la rivière, et en particulier le lot 6, qui comprend l'immeuble. J'es- time que cet argument est assez fort.
Il est manifeste qu'à un moment donné, la réserve originale, qui était divisée par la rivière et que la cession de 1895 désignait comme une seule réserve—«La réserve indienne Red Bank (ainsi appelée)»—devint deux réserves distinctes et sépa- rées: la réserve indienne Red Bank numéro 4 et la réserve indienne Red Bank numéro 7. Les terres se trouvant entre les deux, les lots qui avaient été occupés par des colons des deux côtés de la rivière, avaient fait l'objet de concessions ou étaient des terres cédées qui n'avaient pas été vendues. La limite sud de ce qu'on a plus tard appelé la réserve indienne Red Bank numéro 7 était la limite nord des lots se trouvant du côté nord de la rivière, connue des résidents de l'endroit sous le nom [TRA- DUCTION] «lignes indiennes» ou «bases». La terre cédée qui n'avait pas été vendue est devenue, entre 1895 et 1951, «terre indienne» au sens de la défini- tion et après, «terre cédée» au sens de la définition dans la Loi sur les Indiens. Même si elle faisait
partie de ce qui avait à l'origine été mis de côté à titre de réserve, et par conséquent, à certaines fins, toujours considérée comme faisant partie de la réserve (comme dans le rapport Carter de 1898 et dans les plans d'arpentage de Fish de 1901, 1904 et 1919), elle ne faisait plus partie d'une «réserve» au sens de la Loi.
L'objet de la convention de 1958 était double: confirmer la propriété de terres cédées qui avaient été concédées par des lettres patentes fédérales dans le passé; et permettre au gouvernement fédé- ral de transférer à l'avenir les terres cédées avec titres incontestables. La convention visait égale- ment à résoudre le problème pratique qu'avaient créé les décisions du Conseil privé dans St. Cathe- rine's Milling et Star Chrome. Selon les termes de la convention, les parties l'ont conclue «en vue de régler tous les problèmes en cours relatifs aux réserves indiennes dans la province du Nouveau- Brunswick, et de permettre au Canada de prendre à l'avenir des mesures efficaces à l'égard des terres faisant partie desdites réserves....» C'est cet objet reconnu qui a mené le savant juge de première instance à conclure qu'on avait l'intention de transférer les droits et intérêts provinciaux dans les terres cédées qui n'avaient pas été vendues.
D'un point de vue pratique, cette position a évidemment beaucoup de poids. Par contre, la convention prévoit expressément au paragraphe 6 l'aliénation de terres cédées. Il est clair qu'on vise les terres cédées après la signature de la conven tion puisque la province doit avoir le droit d'ache- ter ces terres. Les terres cédées que la province pourrait choisir d'acheter sont nécessairement des terres dans lesquelles les droits et intérêts provin- ciaux ont été transférés par la convention. Étant donné ces dispositions spéciales et limitées relatives à l'aliénation de terres cédées à des fins de vente, je ne peux inférer des termes de la convention dans son ensemble une intention de prévoir l'aliénation des terres qui avaient été cédées à des fins de vente mais qui n'avaient pas été vendues avant la signa ture de la convention. D'après moi, on peut raison- nablement conclure des termes de la convention et de la description des réserves Red Bank, ainsi que des circonstances de l'espèce, que les gouverne- ments n'avaient pas l'intention de prévoir dans la convention l'aliénation des lots donnant sur la rivière qui furent cédés en 1895 mais qui n'avaient
pas encore été concédés à l'époque de la signature de la convention. L'aliénation future de ceux-ci, le cas échéant, était laissée, en fait, à un accord ou à une collaboration spéciale entre les deux gouverne- ments. Effectivement, rien ne permet de conclure des circonstances de l'espèce qu'à l'époque de la convention en 1958, les deux gouvernements se préoccupaient de l'aliénation de terres qui avaient été cédées en 1895 mais jamais vendues. J'estime donc que le titre de l'immeuble ne fut pas touché par la convention de 1958. Par conséquent, une action revendiquant la possession de l'immeuble par la Couronne du chef du Canada ne peut être fondée sur le titre de l'immeuble.
Il reste à déterminer si la Couronne du chef du Canada peut intenter une action revendiquant la possession de terres cédées en se fondant sur la compétence et la responsabilité continues du gou- vernement fédéral relativement à ces terres en vertu de la Loi sur les Indiens. D'après moi, la réponse à cette question doit être affirmative. Je suis d'accord avec la conclusion de la Cour d'appel de la Colombie-Britannique dans l'affaire Peace Arch que, peu importe si les terres cédées demeu- rent partie de la réserve au sens de la Loi sur les Indiens, - elles demeurent, jusqu'à leur aliénation finale, des terres réservées aux Indiens au sens de l'article 91(24) de l'A.A.N.B., et en tant que telles, continuent de relever de la compétence législative fédérale. La catégorie terres cédées est une catégo- rie créée par le Parlement dans l'exercice de sa compétence législative exclusive relativement aux terres réservées aux Indiens. A cause de la respon- sabilité continue du gouvernement fédéral pour le contrôle et l'administration de ces terres jusqu'à leur aliénation finale conformément aux termes d'une cession, les terres cédées doivent continuer de relever des compétences législative et adminis trative fédérales. Ce sont des terres qui sont tou- jours possédées pour le bénéfice des Indiens bien qu'ils aient convenu d'accepter le produit de la vente en contrepartie du renoncement à leur droit d'occupation. Le contrôle et l'administration conti- nus du fédéral relativement aux terres cédées ont, depuis 1876, été reflétés dans les dispositions de la législation sur les Indiens. L'article 41 de l'Acte des Sauvages, S.R.C. 1886, c. 43, qui s'appliquait à la cession de 1895, est ainsi libellé:
41. Toutes les terres des sauvages qui sont des réserves ou des parties de réserves cédées ou qui seront cédées à Sa Majesté,
seront réputées possédées aux mêmes fins qu'avant la sanction du présent acte, et seront administrées, affermées et vendues selon que le Gouverneur en conseil le prescrira, sauf les condi tions de la cession et les dispositions du présent acte.
L'article 53(1) de la Loi sur les Indiens actuelle- ment en vigueur prévoit ce qui suit:
53. (1) Le Ministre ou une personne nommée par lui à cette fin peut administrer, vendre, louer au autrement aliéner les terres cédées en conformité de la présente loi et des conditions de la cession.
Je ne crois pas que l'on puisse mettre en doute la constitutionnalité de l'article 53, du moins pour ce qui concerne le contrôle et l'administration conti- nus du gouvernement fédéral. Les dispositions cor- respondantes de l'article 51 de la Loi des sauvages, S.R.C. 1906, c. 81, furent appliquées par la Cour suprême du Canada dans l'affaire St. Ann's, préci- tée. La question se pose évidemment quant à la validité du prétendu pouvoir de vendre lorsqu'il n'y a pas eu un transfert au Canada de l'intérêt prc , vincial dans la terre. Parlant de l'arrêt St. Cathe- rine's Milling, lord Davey dit, dans Ontario Mining Company, Limited c. Seybold, précité, à la page 79: [TRADUCTION] «Leurs Seigneuries sont d'avis qu'il convient d'ajouter que le droit d'aliéner la terre peut seulement être exercé par la Cou- ronne sur l'avis des ministres du Dominion ou de la province, selon le cas, à laquelle l'usage bénéfi- ciaire de la terre ou son produit a été attribué, et par un instrument marqué du sceau du Dominion ou de la province.» Mais cette question ne porte pas atteinte à l'existence et à la validité du pouvoir continu de contrôle et d'administration des terres qui ont été cédées à des fins de vente, mais qui n'ont pas encore été vendues, et de l'affectation du produit au bénéfice de la bande.
Il existe des précédents à l'appui de la conclu sion selon laquelle la Couronne du chef du Canada a, accessoirement à son pouvoir de contrôle et d'administration, le droit d'intenter une action pour recouvrer la possession de terres cédées. Ce principe a été posé dans des décisions concernant des terres dans des réserves au sens de la Loi sur les Indiens mais, selon moi, il faut logiquement qu'il soit également applicable à des terres cédées au sens de la Loi, puisque ce sont essentiellement le même pouvoir et la même responsabilité fédé- rale qui sont concernés.
Le principe général selon lequel la Couronne du chef du Canada a le droit de poursuivre relative- ment à des terres dans des réserves bien que la Couronne du chef d'une province en soit proprié- taire fut énoncé par la Cour d'appel du Québec dans Mowat, le procureur général du Dominion du Canada & Casgrain, le procureur général de la province du Québec (1897) 6 C.B.R. 12. Dans cette affaire, il était question d'une action intentée par le procureur général du Canada pour recouvre- ment d'arriérés de loyer seigneurial dus relative- ment à des terres réservées aux Indiens. Le procu- reur général du Québec est intervenu pour faire valoir que le loyer ne pouvait être réclamé que par la province. Le juge Wurtele, qui prononça les motifs du jugement de la Cour d'appel, dit à la page 24: [TRADUCTION] «le pouvoir et le droit de légiférer relativement aux Indiens (Sauvages) et aux terres réservées aux Indiens confient au gou- vernement du Dominion l'administration et le con- trôle des affaires ainsi que des terres et des pro- priétés des Indiens», et il dit à la page 26:
[TRADUCTION] La question à trancher ne concerne pas la propriété de ces rentes seigneuriales constituées mais consiste plutôt à déterminer à qui il appartient de poursuivre en recou- vrement des arriérés, de les recouvrer et de les percevoir? L'Acte d'Union confiait au gouvernement du Dominion l'admi- nistration des affaires et des propriétés des Indiens au Canada et, en vertu de l'Acte des Sauvages, le contrôle et l'administra- tion de leurs terres et de leurs propriétés sont confiés au département des Affaires des sauvages, sous la direction du Surintendant-général des affaires des Sauvages, qui est auto- risé, comme l'était le commissaire des terres des Sauvages avant la Confédération, à percevoir et recevoir les rentes ou loyers et toutes autres formes de revenus afférents aux terres et aux propriétés attribuées aux Indiens et à les appliquer à leur usage. Le gouvernement auquel est confié ce contrôle et cette administration doit nécessairement, à titre accessoire, avoir le droit d'intenter des poursuites lorsque les affaires de la fiducie le requièrent.
Dans l'arrêt Le Roi c. Lady McMaster, précité, le juge Maclean dit à la page 75:
[TRADUCTION] Le pouvoir de la Couronne d'administrer les terres indiennes et de légiférer relativement à celles-ci implique sûrement le droit d'intenter une action pour recouvrer ou protéger tout intérêt des Indiens dans ces terres. La Loi des Sauvages, S.R.C. 1906, c. 81, art. 4, prévoit que le ministre de l'Intérieur est le surintendant général des affaires des sauvages et qu'il a le contrôle et l'administration des terres et des propriétés des Indiens au Canada. La loi correspondante en vigueur à l'époque la défenderesse est entrée en possession de Thompson's Island contenait des dispositions semblables. L'action en recouvrement de la possession des terres en ques tion, que l'on croit être en la possession non fondée des défende- resses, est accessoire au contrôle et à l'administration de ces
terres et ne doit pas, je crois, être confondue avec une réclama- tion de la Couronne revendiquant, soit du chef du Dominion soit du chef d'une province, la propriété de ces terres. Mowatt, le procureur général c. Casgrain, le procureur général ... .
Pour conclure donc, je suis d'avis que le droit à la possession de l'immeuble que revendique de son propre chef la Couronne du chef du Canada est fondé sur le pouvoir de contrôle et d'administra- tion de l'immeuble, pouvoir qui appartient au gou- vernement du Canada en vertu de la compétence législative conférée par l'article 91(24) de l'A.A.N.B. et des dispositions de la Loi sur les Indiens. Il faut maintenant examiner si le droit à la possession peut valablement être touché par une loi provinciale relative à la prescription d'actions en recouvrement de biens-fonds.
Application de la loi provinciale sur la prescription
L'intimé invoque les dispositions de la loi du Nouveau-Brunswick relative à la prescription d'ac- tions en recouvrement de biens-fonds par la Cou- ronne, soit les articles 1 et 26 du chapitre 139 des Revised Statutes of New Brunswick de 1854 inti- tulé «Of the Limitation of Actions in Real Prop erty» qui sont ainsi libellés:
[TRADUCTION] 1. Aucune demande de biens-fonds ou de loyers ne peut être faite ni aucune action intentée par Sa Majesté après une possession acquisitive non interrompue de soixante ans.
26. L'expiration du délai que le présent chapitre accorde à toute personne pour prendre possession d'un biens-fonds ou pour intenter une action ou une poursuite provoque l'extinction du droit et du titre de propriété de cette personne sur ce biens-fonds pour le recouvrement duquel on aurait pu avoir recours, pendant cette période, à la prise de possession, à l'action ou à la poursuite.
La numérotation de ces articles fut changée à un moment donné mais les dispositions sont demeu- rées inchangées au cours de toute la période en question et on peut retracer leur évolution dans les refontes successives des lois du Nouveau-Bruns- wick: L.R.N.-B. 1877, c. 84, art. 1 et 26; L.R.N.-B. 1903, c. 139, art. 1 et 26; L.R.N.-B. 1927, c. 145, art. 1 et 26; L.R.N.-B. 1952, c. 133, art. 30 et 60; L.R.N.-B. 1973, c. L-8, art. 30 et 60. Avant 1854, une Loi de 1836 (6 William IV, c. 43) établissait un délai de prescription de vingt ans pour l'action en recouvrement de biens-fonds mais elle ne s'appliquait pas aux actions engagées par la Couronne. L'avocat de l'appelante a prétendu que
la Nullum Tempus Act de 1769 (9 Geo. III, c. 16), qui prévoyait un délai de prescription de soixante ans relativement aux actions engagées par la Couronne pour le recouvrement de biens-fonds, n'était pas en vigueur au Nouveau-Brunswick. D'après la date que les cours du Nouveau-Bruns- wick ont considérée comme date de l'entrée en vigueur des lois anglaises dans la province, c'est-à- dire 1660, il semblerait bien que ce soit le cas. Voir Scott c. Scott (1970) 2 N.B.R. (2 e ) 849. Pour ce qui concerne la controverse qui a existé relative- ment à la date exacte d'entrée en vigueur au Nouveau-Brunswick, voir Bell, «A Note on the Reception of English Statutes in New Brunswick» (1979) 28 U.N.B.L.J. 195. Je remarque que dans Emmerson c. Maddison [1906] A.C. 569, Sir Alfred Wills, prononçant les motifs du jugement du Conseil privé, parle de la «Nullum Tempus Act» comme étant la loi sur la prescription applica ble au Nouveau-Brunswick, mais il semblerait que ce n'ait été qu'une allusion à la nature de la loi. Il ne fait aucun doute, comme cet arrêt l'indique, que la loi antérieure relative au recouvrement de biens-fonds par la Couronne, 21 Jac. 1, c. 14, fût en vigueur dans la province, mais cette loi n'est pas en cause dans la présente affaire.
Je devrais également faire remarquer qu'aucune mention n'est faite dans la plaidoirie de l'article 38(2) de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10, qui prévoit que sauf disposition contraire de toute autre Loi, les règles de droit relatives à la prescription des actions en vigueur entre sujets dans une province s'appliquent à toute procédure engagée par la Couronne. En somme, l'intimé prétend que l'application de la législation provinciale a enlevé le fondement de l'action de l'appelante longtemps avant que l'article 38 de la Loi sur la Cour fédérale ne prenne effet le ler juin 1971.
L'intimé prétend qu'il est propriétaire de l'im- meuble en vertu d'une possession acquisitive non interrompue d'au moins soixante ans par lui-même et par ses prédécesseurs en titre. Ceci revient à prétendre que le droit de propriété de la Couronne du chef de la province a été éteint par une posses sion acquisitive et, de ce fait, le titre indien et le droit de possession de la Couronne du chef du Canada qui sont fondés sur le statut de l'immeuble comme terre de réserve ou terre cédée relevant de
la compétence fédérale. Si le titre de la Couronne fut éteint, alors l'immeuble a nécessairement cessé d'être une «terre de réserve» ou une «terre indienne» ou «terre cédée» assujettie à la Loi sur les Indiens. La question est donc de savoir si cela pourrait valablement résulter de l'application de la loi provinciale sur la prescription.
La question de savoir jusqu'à quel point les lois provinciales d'application générale peuvent s'appli- quer à l'intérieur de réserves indiennes a fait l'ob- jet d'observations par la Cour suprême du Canada au cours des dernières années, même si le droit à la possession de terres dans une réserve n'était pas en cause. Dans l'arrêt Cardinal c. Le Procureur géné- ral de l'Alberta [1974] R.C.S. 695, le juge Mart - land, prononçant les motifs du jugement majori- taire de la Cour, dit à la page 703:
Une législature provinciale ne saurait légiférer relativement aux Indiens ou relativement aux réserves indiennes, ce qui est loin de dire que le par. (24) de l'art. 91 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867, avait pour effet de créer des enclaves dans une province à l'intérieur des limites desquelles la législation provinciale ne pourrait pas s'appliquer. A mon avis, le critère concernant l'application de la législation provinciale dans une réserve est le même que celui qui concerne son application dans la province, c'est-à-dire, que la législation doit s'inscrire dans le cadre des pouvoirs énumérés à l'art. 92 et non porter sur des sujets exclusivement assignés au Parlement du Canada en vertu de l'art. 91. Deux de ces sujets sont les Indiens et les réserves indiennes, mais si une législation provinciale dans les limites de l'art. 92 n'est pas interprétée comme étant une législation relative à ces catégories de sujets (ou tout autre sujet visé par l'art. 91), elle est applicable partout dans la province, y compris les réserves indiennes, même si elle peut toucher les Indiens et les réserves indiennes. Le point que j'avance est que le par. (24) de l'art. 91 énumère des catégories de sujets à l'égard desquelles le Parlement fédéral a le pouvoir exclusif de légiférer, mais il ne vise pas à définir des secteurs d'une province dans lesquels le pouvoir d'une province de légiférer, qui serait autrement de sa compétence, doit être exclu.
En faisant la revue de la jurisprudence relative à l'application de lois provinciales à des activités à l'intérieur d'une réserve, le juge Martland cite la décision de la Cour d'appel de la Colombie-Britan- nique dans l'affaire Peace Arch, précitée. Il dit aux pages 704 et 705:
Dans l'affaire Corporation of Surrey v. Peace Arch Enter prises Ltd. ((1970), 74 W.W.R. 380), la situation était diffé- rente. Il s'agissait de terres situées dans une réserve indienne qui avaient été «cédées» en fidéicommis à la Couronne fédérale à des fins de louage. La question était de savoir si les terres étaient sujettes, dans leur utilisation par les locataires, qui étaient des non-Indiens, à certains règlements municipaux et aux règlements établis en vertu de la loi dite Provincial Health Act. La Cour a conclu que les terres en question étaient
toujours «des terres réservées aux Indiens» et, puisqu'il en était ainsi, seul le Parlement fédéral pouvait légiférer quant à l'usage auquel elles pouvaient être destinées. L'arrêt Morley n'a pas été mentionné dans le jugement et je présume qu'il en a été ainsi parce que les affaires n'étaient pas considérées comme compa- rables. Dès lors qu'on avait décidé que les terres restaient des terres réservées aux Indiens, la législation provinciale concer- nant leur usage n'était pas applicable.
Le juge Laskin (tel était alors son titre) dit dans la même affaire à la page 715:
Indépendamment du pouvoir exclusif dont le Parlement du Canada est investi pour faire des lois relatives aux Indiens, le pouvoir exclusif qu'il possède également en ce qui concerne les réserves indiennes place de telles étendues de terre, bien qu'elles soient physiquement comprises dans les limites intérieures d'une province, en dehors de la compétence provinciale lorsqu'il s'agit de réglementer leur usage ou de contrôler les ressources qui s'y trouvent. Cela n'est pas à un droit de propriété quelconque dont le Parlement du Canada ou la Couronne du chef du Canada se trouvent investis, mais au fait que, quel que soit le droit en cause, c'est seulement le Parlement qui peut faire des lois concernant les réserves une fois que celles-ci ont été reconnues ou réservées comme telles.
Dans l'affaire Les parents naturels c. Le Super intendent of Child Welfare [1976] 2 R.C.S. 751, le juge en chef Laskin, en parlant du genre de cas la compétence législative exclusive du fédéral relative à un sujet en particulier exclura l'applica- tion de lois provinciales d'application générale, dit aux pages 759 et 760:
Personne n'a contesté devant cette Cour le principe général depuis longtemps acquis, énoncé dans Union Colliery Co. of British Columbia Ltd. v. Bryden ([1899] A.C. 580), la p. 588, selon lequel [TRADUCTION] «le fait que le Parlement du Dominion s'abstient de légiférer dans la plénitude de ses pou- voirs ne saurait avoir pour effet de transférer à une législature provinciale la compétence législative conférée au Dominion par l'art. 91 de l'Acte de 1867». Par conséquent, on ne peut prétendre qu'une loi provinciale peut embrasser des matières relevant exclusivement de la juridiction fédérale simplement parce que cette loi est d'application générale, c'est-à-dire que sa portée n'est pas expressément restreinte aux matières de juri- diction provinciale. Ainsi, par exemple, cette Cour a décidé qu'une loi provinciale portant sur le privilège foncier des cons- tructeurs est inapplicable à un pipe-line interprovincial: Camp- bell-Bennett Ltd. c. Comstock Midwestern Ltd. ([1954] R.C.S. 207). De même, on a jugé inapplicable aux employés d'une entreprise interprovinciale de communications une loi provin- ciale du salaire minimum: voir Commission du salaire mini mum c. Bell Canada ([1966] R.C.S. 767), et, dans la même veine, aux employés d'un maître de poste local: voir Renvoi relatif au Saskatchewan Minimum Wage Act ([1948] R.C.S. 248). S'il en est ainsi, c'est parce qu'interpréter une loi provin- ciale de façon qu'elle embrasse de telles activités équivaut à la faire empiéter sur un domaine de juridiction exclusivement fédérale. D'autre part, une loi provinciale portant sur les heures de travail a été déclarée applicable aux employés d'un hôtel qui
appartenait à une compagnie' ferroviaire et était exploité par elle, mais ne faisait pas partie de son réseau de transport: voir La Compagnie de chemin de fer canadien du Pacifique c. Le procureur général de la Colombie-Britannique ([1950] A.C. 122).
Dans la même affaire, le juge Martland expose une opinion semblable aux pages 774 et 775:
On a statué dans certains arrêts que des lois provinciales de portée générale ne s'appliquaient pas à une compagnie ou une institution assujettie au contrôle exclusif du Parlement fédéral. Dans Campbell-Bennett Limited c. Comstock Midwestern Limited ([1954] R.C.S. 207), il a été décidé qu'une compagnie constituée en vertu d'une loi fédérale dont l'objet était le transport du pétrole par des pipe-lines interprovinciaux ou internationaux, par conséquent un ouvrage ou entreprise rele vant de la compétence exclusive du Parlement, n'était pas assujettie à un privilège de constructeur enregistré en vertu d'une loi provinciale, parce que celle-ci aurait permis la vente d'une partie de l'entreprise, ce qui aurait eu pour effet d'empê- cher la réalisation de l'objet visé par sa constitution en corporation.
Dans l'arrêt Commission du salaire minimum c. Bell Canada ([1966] R.C.S. 767), l'on a statué que la réglementa- tion des relations du travail des employés d'une compagnie déclarée entreprise à l'avantage général du Canada, n'était pas touchée par une loi provinciale relative au salaire minimum. On a de même déclaré dans l'arrêt Reference Saskatchewan Mini mum Wage Act ([1948] R.C.S. 248), que les dispositions de la loi provinciale sur le salaire minimum ne pouvaient pas s'appli- quer à un employé qui faisait partie du service postal.
Dans McKay c. Sa Majesté la Reine ([1965] R.C.S. 798) il a été décidé qu'un règlement municipal de zonage relatif à l'érection d'enseignes sur les propriétés résidentielles ne pouvait empêcher d'ériger une enseigne en faveur d'un candidat à une élection fédérale.
Chacun de ces arrêts se rapportait à une loi particulière qui avait pour effet d'imposer des restrictions à une entreprise ou à une activité qui relève exclusivement de la compétence fédérale. L'Adoption Act n'est pas une loi du même genre. Elle n'impose aucune restriction aux droits des Indiens.
Dans des décisions subséquentes, la Cour a insisté sur le fait que les réserves indiennes ne sont pas des enclaves fédérales l'application des lois provinciales est totalement exclue. Dans l'arrêt Construction Montcalm Inc. c. La Commission du salaire minimum [1979] 1 R.C.S. 754, le juge Beetz, prononçant les motifs du jugement majori- taire, dit aux pages 777 et 778:
L'énumération, à l'art. 91 de la Constitution, des pouvoirs exclusifs du fédéral, y compris le pouvoir de faire des lois relativement à la dette et à la propriété publiques, a pour effet de limiter la compétence ratione materiae de la province et non sa compétence territoriale. Les dispositions contestées n'ont trait ni à la propriété fédérale ni à aucune autre matière fédérale, mais aux droits civils et, à mon avis, elles régissent les droits civils de Montcalm et de ses employés sur la propriété fédérale. Les terrains de la Couronne fédérale ne sont pas des
enclaves extra-territoriales à l'intérieur des limites de la pro vince, pas plus que les réserves indiennes. Ce qu'a dit le juge Martland au nom de la majorité de cette Cour dans Cardinal c. Procureur général de l'Alberta ([1974] R.C.S. 695), au sujet des réserves indiennes s'applique également aux terrains de la Couronne fédérale la p. 703):
A mon avis, le critère concernant l'application de la législa- tion provinciale dans une réserve est le même que celui qui concerne son application dans la province, c'est-à-dire, que la législation doit s'inscrire dans le cadre des pouvoirs énumérés à l'art. 92 et non porter sur des sujets exclusivement assignés au Parlement du Canada en vertu de l'art. 91. Deux de ces sujets sont les Indiens et les réserves indiennes, mais si une législation provinciale dans les limites de l'art. 92 n'est pas interprétée comme étant une législation relative à ces catégo- ries de sujets (ou tout autre sujet visé par l'art. 91), elle est applicable partout dans la province, y compris les réserves indiennes, même si elle peut toucher les Indiens et les réser- ves indiennes. Le point que j'avance est que le par. (24) de l'art. 91 énumère des catégories de sujets à l'égard desquelles le Parlement fédéral a le pouvoir exclusif de légiférer, mais il ne vise pas à définir des secteurs d'une province dans lesquels le pouvoir d'une province de légiférer, qui serait autrement de sa compétence, doit être exclu.
Dans l'arrêt Four B Manufacturing Limited c. Les Travailleurs unis du vêtement d'Amérique [ 1980] 1 R.C.S. 1031, le juge Beetz, prononçant les motifs du jugement majoritaire de la Cour, dit aux pages 1049 et 1050:
L'avocat de l'appelante a également fait valoir que les droits civils en question ne sont pas uniquement les droits civils des Indiens, mais les droits civils indiens exercés sur une réserve. Le sens de cette prétention, si je comprends bien, est que le caractère exclusif de la compétence fédérale est d'une certaine façon renforcé parce qu'il découle de deux chefs connexes de compétence fédérale et non d'un seul, la compétence fédérale sur les Indiens et sur les terres réservées aux Indiens.
À mon avis, cette prétention cherche à faire renaître, dans une version modifiée, la théorie de l'enclave des réserves: les lois provinciales ne s'appliqueraient pas aux Indiens sur les réserves bien qu'elles puissent s'appliquer à d'autres. Cette Cour a rejeté la théorie de l'enclave dans l'arrêt Cardinal c. Procureur général de l'Alberta ([1974] R.C.S. 695) et je ne vois aucune raison de la faire renaître même dans une forme limitée. Le paragraphe 91.24 de l'Acte de l'Amérique du Nord britanni- que, 1867 attribue au Parlement compétence sur deux matières distinctes, les Indiens et les terres réservées aux Indiens, non pas les Indiens sur les terres réservées aux Indiens. Le pouvoir du Parlement de faire des lois relatives aux Indiens est le même, que les Indiens soient sur une réserve ou à l'extérieur d'une réserve. Il n'a pas plus de force parce qu'il vise des Indiens sur une réserve qu'il n'est amoindri parce qu'il vise des Indiens à l'extérieur d'une réserve. (Voir Kenneth Lysyk, «The Unique Constitutional Position of the Canadian Indian» (1967), 45 R. du B. Can. 513, à la page 515.)
Aucun de ces arrêts ne porte sur le droit à la possession d'une partie d'une réserve ou de terres cédées au sens de la Loi sur les Indiens: ils ne
règlent donc pas la question en litige. La conclu sion que je tire, en toute déférence, des observa tions que j'ai citées c'est que les lois provinciales d'application générale s'appliquent aux «terres réservées pour les Indiens» au sens de l'article 91(24) de l'A.A.N.B. sauf dans les cas leur application aurait un effet semblable à celui dont il est question dans les arrêts, tel Campbell-Bennett, mentionnés par le juge en chef Laskin et le juge Martland dans l'affaire Les parents naturels ou dans les cas ils seraient incompatibles avec une loi fédérale valide.
Avant d'examiner comment ces principes s'ap- pliquent à la question en litige en l'espèce, il faut citer l'article 88 de la Loi sur les Indiens qui rend applicables aux Indiens les lois provinciales:
88. Sous réserve des dispositions de quelque traité et de quelque autre loi du Parlement du Canada, toutes lois d'appli- cation générale et en vigueur, à l'occasion, dans une province sont applicables aux Indiens qui s'y trouvent et à leur égard, sauf dans la mesure lesdites lois sont incompatibles avec la présente loi ou quelque arrêté, ordonnance, règle, règlement ou statut administratif établi sous son régime, et sauf dans la mesure ces lois contiennent des dispositions sur toute ques tion prévue par la présente loi ou y ressortissant.
On a déjà fait remarquer que dans ses termes mêmes cette disposition s'applique aux Indiens et non aux terres réservées aux Indiens: voir par exemple, le juge Laskin (tel était alors son titre) dans l'arrêt Cardinal, précité, à la page 727; Lysyk, op. cit., à la page 518; R. c. Isaac, précité. Puisque la question en litige en l'espèce est le droit à la possession d'une terre régie par la Loi sur les Indiens, elle se rapporte aux terres réservées aux Indiens au sens de l'article 91(24) de l'A.A.N.B. plutôt qu'aux Indiens en tant que tels et il n'est donc pas besoin de tenir compte de l'article 88.
Le droit à la possession de terres qui font partie d'une réserve ou de terres cédées au sens de la Loi sur les Indiens relève selon moi de la compétence exclusive du fédéral de légiférer relativement aux terres réservées aux Indiens aux termes de l'article 91(24) de l'A.A.N.B. C'est l'essence même de ce pouvoir. Le prétendu titre indien ou droit d'occu- pation est en réalité un droit de possession. Ceci est reconnu par les dispositions de la Loi sur les Indiens (actuellement les articles 20 et suivants sous la rubrique: «Possession de terres dans des réserves») qui prévoient la façon dont la «posses-
sion» de terres dans une réserve peut être accordée à un Indien en particulier ainsi que les circons- tances dans lesquelles le droit à la possession d'une terre peut retourner à la bande. Le droit de la Couronne du chef du Canada de revendiquer la possession d'une terre qui fait partie d'une réserve et de terres cédées au sens de la Loi sur les Indiens existe, à titre d'accessoire du pouvoir de contrôle et d'administration attribué au gouvernement fédéral relativement à ces terres, pour la protection des intérêts des Indiens dans ses terres. Tant que la terre relève des compétences législative et adminis trative du fédéral, c'est la Couronne du chef du Canada qui doit veiller à la protection de ces intérêts, qu'il s'agisse du droit d'occupation ou de la possession même, ou des «deniers des Indiens» (voir l'article 62 de la Loi) qui doivent être accep tés en contrepartie d'une cession. Il semblerait même que tant que la terre relève des compétences législative et administrative du fédéral, la Cou- ronne du chef de la province à laquelle est dévolu le titre juridique sous-jacent de la terre n'aurait pas le droit d'en revendiquer la possession. Par conséquent, je suis d'avis que la loi provinciale relative à la prescription d'actions en recouvrement de biens-fonds ne pourrait, compte tenu de la Constitution, s'appliquer pour donner à l'intimé ou à ses prédécesseurs en occupation un droit de possession opposable au droit d'occupation des Indiens ou au droit de la Couronne fédérale de revendiquer la possession pour la protection des intérêts des Indiens.
Ce dont il s'agit vraiment c'est l'existence de terres en tant que partie d'une réserve ou de terres cédées au sens de la Loi sur les Indiens. Si la législation provinciale relative à la prescription d'actions pouvait s'appliquer pour éteindre le titre indien ou le droit de la Couronne fédérale de recouvrer la possession de la terre pour la protec tion des intérêts des Indiens, cela pourrait avoir pour effet d'entraîner le démembrement de la réserve, effet semblable à ce qui, dans l'arrêt Campbell-Bennett, fut jugé au-delà de la compé- tence législative provinciale. Cela aurait pour effet de détruire ou d'éliminer une partie de la matière même relevant de la compétence fédérale. Si la législation provinciale d'application générale ne peut, compte tenu de la Constitution, s'appliquer pour restreindre l'usage de terres réservées aux Indiens au sens de l'article 91(24) de l'A.A.N.B.,
comme il a été décidé dans l'arrêt Peace Arch (conclusion qui semble avoir été approuvée impli- citement par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Cardinal), alors, à plus forte raison cela doit-il être vrai de la législation qui a pour effet d'éteindre le droit à la possession de ces terres.
Un tel effet serait également contraire à l'objet de la législation qui existe depuis la toute première loi fédérale pour la protection des intérêts des Indiens. Cet objet comprend trois éléments essen- tiels: la disposition qui prévoit que le droit de l'Indien à l'occupation ou à la possession ne peut valablement être cédé ou perdu que par cession à la Couronne en conformité avec les modalités pres- crites par la Loi sur les Indiens; la disposition qui prévoit que tout accord conclu par les Indiens pour permettre l'occupation de terres indiennes par des non-Indiens est nulle; et la défense faite aux non- Indiens d'occuper des terres indiennes sans autori- sation ou d'empiéter sur celles-ci, avec recours spéciaux pour faire cesser les contraventions. Ces dispositions varient quelque peu dans leur forme ou dans leur formulation dans les différentes ver sions de la Loi sur les Indiens mais elles demeu- rent en substance un élément central de la Loi. Elles prévoient un régime spécial pour la protec tion des intérêts des Indiens contre l'effet du droit commun des obligations et des choses. Il n'est pas permis aux Indiens de céder leurs droits dans une réserve par les moyens juridiques ordinaires ouverts aux autres individus. Le juge Judson a souligné cette caractéristique de la Loi dans l'arrêt Devereux précité lorsqu'il dit la page 572]: [TRADUCTION] «L'objet de la Loi sur les Indiens est de conserver intactes pour des bandes d'Indiens les réserves mises de côté pour elles sans tenir compte du désir d'un Indien en particulier d'alié- ner pour son propre bénéfice une partie quelcon- que de la réserve pour laquelle il peut détenir un billet de location.»
Dans Fahey c. Roberts, jugement non publié de la Division du Banc du Roi de la Cour suprême du Nouveau-Brunswick daté du P r décembre 1916, le juge en chef McKeown statua que ces dispositions dans la loi de 1868 (31 Vict., c. 42), plus particu- lièrement les articles 6 et 17, empêchaient la loi provinciale sur la prescription d'actions d'opérer de façon à permettre à un non-Indien d'acquérir le titre d'une terre dans une réserve par possession acquisitive. Les articles 6 et 17 sont ainsi rédigés:
6. Toutes les terres réservées pour les Sauvages, ou pour toute nation, tribu ou peuplade de Sauvages, ou possédées en leur nom (held in trust) pour leur bénéfice, seront censées être réservées et possédées pour les mêmes fins qu'avant la passation du présent acte, tout en restant assujéties à ses dispositions; et ces terres ne pourront être vendues, aliénées ou affermées avant d'avoir été cédées à la couronne pour les objets prévus au présent acte.
17. Nulle personne autre que les Sauvages et ceux qui sont mariés à des Sauvages, ne s'établira ni ne résidera sur les terres ou chemins, ou réserves de chemins traversant les terres appar- tenant à toute nation, tribu ou peuplade de Sauvages, ou occupées par elle, ni ne les occupera; et toutes les hypothèques exécutées ou consenties par des Sauvages ou personnes mariées à des Sauvages, ainsi que tous les baux, contrats et conventions passés ou apparemment passés (purporting to be made) par des Sauvages ou personnes mariées à des Sauvages, en vertu des- quels il serait permis à d'autres qu'à des Sauvages de résider sur ces terres, seront absolument nuls et de nul effet.
Le juge en chef McKeown statua que l'acquisi- tion d'un droit de possession en vertu de la loi provinciale sur la prescription serait contraire à l'interdiction pour un non-Indien d'occuper sans autorisation une terre dans une réserve. Il dit en outre: [TRADUCTION] «les dispositions des lois du Nouveau-Brunswick sur la prescription ne s'appli- quent pas à la Couronne agissant par l'intermé- diaire du gouvernement du Dominion pour ce qui concerne l'administration de ces terres indiennes» et que: [TRADUCTION] «les Indiens eux-mêmes étant frappés de certaines incapacités et ne pou- vant transmettre ni même céder la terre si ce n'est en conformité avec les dispositions de la loi, aucune possession acquisitive ne peut leur être opposable.»
Ces observations s'appliquent également selon moi à une terre dans une réserve qui a été cédée à la Couronne en fiducie à des fins de vente et pour que le produit soit affecté aux bénéfices de la bande, mais qui n'a pas été vendue. Puisque ces terres demeurent des terres réservées aux Indiens au sens de l'article 91(24) de l'A.A.N.B. et qu'elles continuent d'être détenues par la Couronne pour le bénéfice des Indiens à cause de leur intérêt pécu- niaire dans celles-ci, l'application de la loi provin- ciale sur la prescription de façon à ce qu'un non- Indien puisse acquérir par prescription la propriété de ces terres détruirait le régime spécial prévu pour ces terres dans la Loi sur les Indiens et irait à l'encontre des conditions de la fiducie auxquelles elles auraient été cédées.
Y a-t-il effectivement eu possession acquisitive non interrompue de soixante ans
La conclusion qui précède suffit à décider l'ap- pel, mais même en admettant que la loi provinciale sur la prescription pourrait valablement s'appli- quer pour éteindre le droit de l'appelante à la possession de l'immeuble, je suis d'avis que de toute façon la preuve n'établit pas une possession acquisitive non interrompue d'au moins soixante ans.
Il y a premièrement, tel qu'indiqué ci-dessus dans l'énoncé des faits, un intervalle ou une discon- tinuité entre la prétendue occupation de l'immeu- ble par Ebenezer Travis et son petit-fils Ebenezer A. Travis, et l'occupation de l'immeuble par Isaac Mutch et l'intimé. Par conséquent, l'occupation de Travis ne peut être ajoutée ou jointe à celle de Mutch pour établir la période de soixante ans. Voir Robinson c. Osborne (1913) 27 O.L.R. 248. L'occupation réunie de Travis et de son petit-fils a duré de 1838 à 1901, époque à laquelle, il est permis de conclure, le petit-fils a cessé d'occuper l'immeuble puisqu'il a été exclu par l'arpentage de Fish en 1901 de la propriété qui devait lui être concédée. De toute façon, la preuve ne révèle aucun lien entre l'occupation de l'immeuble par Ebenezer A. Travis et son occupation par Isaac Mutch à compter de 1904 ou 1905. Pour les raisons déjà mentionnées plus haut, il n'est pas logique non plus de conclure que l'occupation de l'immeuble par Isaac Mutch était la continuation de l'occupation de l'ancien lot 6 commencée par son grand-père James. D'après moi, le juge de première instance a fait erreur en présumant qu'il y avait une continuité dans l'occupation de l'im- meuble en raison du fait que dans le rapport Carter de 1898, il était indiqué que James Mutch revendiquait l'ancien lot 6. Il semble avoir oublié ou mal compris le lien entre les anciens lots 5 et 6 et les nouveaux lots 5A et 6, pour ce qui concerne l'emplacement de l'immeuble. La conclusion du juge de première instance selon laquelle l'occupa- tion de l'immeuble par Travis et son successeur a été continuée sans interruption par la famille Mutch n'est pas corroborée par la preuve. Il n'exis- te aucune preuve de l'existence d'un lien entre l'occupation par Ebenezer A. Travis de la bande de dix chaînes qui, à l'origine, se trouvait du côté est de l'ancien lot 5 mais qui est devenue partie du
côté ouest du nouveau lot 6 d'une part et l'occupa- tion de l'ancien lot 6 par la famille Mutch d'autre part. Il n'existe aucune preuve que la famille Mutch ait occupé la bande de dix chaînes entre 1901 et 1904 ou 1905. Les plans d'arpentage de 1904 et 1905 (pièces Pa-24 et Pa-26) indiquent même que le nouveau lot 6 n'était pas occupé. Il ressort des témoignages que James Mutch et son fils Edmund ne vivaient pas sur l'ancien lot 6 mais de l'autre côté de la rivière. D'après les mêmes témoignages, Isaac ne faisait pas remonter son occupation à Travis mais plutôt à son père Edmund et à son grand-père James. L'intervalle entre l'occupation de Travis et celle de Mutch fut admis par l'avocat de l'intimé à l'audition de l'ap- pel. Il a admis que l'allégation de possession acqui sitive devait se fonder sur deux périodes d'occupa- tion distinctes.
La preuve relative à l'occupation réunie d'Ebe-
nezer Travis et de son petit-fils de 1838 1901 n'établit pas qu'il s'agissait d'une possession acqui sitive non interrompue d'au moins soixante ans. Les éléments de preuve n'établissent pas claire- ment quand elle est devenue une occupation ou possession jouant contre la Couronne ainsi que contre le droit d'occupation indien. Elle commença vers 1838 en vertu d'un genre de bail ou de permission consenti par les Indiens, en contrepartie duquel Travis paya un loyer pendant quelques années. Une telle occupation ne pouvait manifeste- ment pas être acquisitive. La pétition faite par Travis en 1841 pour obtenir la concession de la terre qu'il occupait était une reconnaissance à la fois du droit d'occupation des Indiens et du titre de la Couronne. Bien que Travis ait déclaré qu'il voulait obtenir «la confirmation de son titre de propriété relativement à ladite terre», il ne pouvait évidemment pas à cette époque prétendre avoir acquis la propriété de l'immeuble par prescription. La pétition est incompatible avec la conclusion qu'il était à l'époque en possession de la terre à titre de propriétaire ou qu'il prescrivait contre la Couronne. Il ressort des résultats des recensements de 1851, 1861 et 1871 que Travis a continué de résider, et d'occuper une terre, dans la paroisse de Northesk, mais ils n'établissent pas la nature de son droit dans la terre qu'il occupait. Le fait que dans le résultat de 1871, le nombre d'acres qu'il occupait soit inscrit sous la rubrique générale: «Total global d'acres de terre possédée» ne suffit
pas d'après moi à établir que son occupation lui permettait de prescrire contre la Couronne. Ce n'est que dans le rapport Carter de 1898 que les dossiers indiquent que le petit-fils de Travis reven- diquait la propriété de l'ancien lot 5 en vertu d'une possession acquisitive. La preuve n'établit donc pas clairement une période non interrompue de soixante ans au cours de laquelle l'occupation par Travis et son petit-fils était susceptible de leur permettre de prescrire contre la Couronne.
J'estime en outre que la preuve ne démontre pas qu'il y ait eu possession réelle de l'immeuble par Travis et son petit-fils, par opposition à d'autres parties de l'ancien lot 5. Il en ressort que Travis occupait une partie du lot 5, mais elle ne permet pas de déterminer l'étendue de cette occupation. Plus particulièrement, elle n'établit pas que Travis ait occupé la partie sud-est du lot qui se trouve entre la route et la rivière. Aucun des documents dans lesquels il est fait mention de l'occupation par Travis—la pétition de 1841 en vue d'obtenir une concession, le rapport d'arpentage de Sadler de 1845 et de 1847, les résultats des recensements de 1851, 1861 et 1871, le rapport Carter de 1898 et l'arpentage de Fish en 1901—n'indique l'étendue de l'occupation de l'ancien lot 5 par Travis et son petit-fils. Tant dans son affidavit que dans son témoignage oral, le professeur Hamilton déclare que l'immeuble faisait partie du lot occupé par Travis depuis 1838 ou à peu près, mais comme son opinion est fondée sur les documents mentionnés, son témoignage ne permet pas davantage de déter- miner l'étendue de la terre effectivement occupée par Travis et plus particulièrement, s'il y avait occupation physique réelle par lui de toute la terre à l'égard de laquelle il allègue possession acquisi tive. En se reportant au rapport d'arpentage de Sadler, dans lequel il est dit que Travis occupait dans l'ancien lot 5 trois acres de terre exploitée, le professeur Hamilton a déclaré qu'il ne pouvait déterminer l'emplacement de la maison de Travis sur le lot.
Pour ces motifs, je suis d'avis que la preuve n'établit pas une possession acquisitive non inter- rompue d'au moins soixante ans de l'immeuble par Ebenezer Travis et son petit-fils, Ebenezer A. Travis, qui pourrait éteindre le titre de la Couronne.
La preuve est plus claire quant à la nature et
l'étendue de l'occupation de l'immeuble par Isaac Mutch. L'appelante prétend que l'activité de
Mutch sur l'immeuble consistait simplement en des actes isolés d'empiétement qui ne pouvaient fonder une possession acquisitive en vertu de laquelle un titre pourrait être acquis. Elle cite Doe d. Des Barres c. White, 1 Kerr N.B. 595, et
Sherren c. Pearson (1888) 14 R.C.S. 581, on a étudié la nature de l'occupation requise pour cons- tituer une possession acquisitive de terres sauvages. Dans l'arrêt Sherren, la décision Doe d. Des Barres fut approuvée, le juge en chef Ritchie dit à la page 586:
[TRADUCTION] Le simple fait d'aller sur une terre sauvage de temps à autre en l'absence du propriétaire et d'y couper des billots ou du bois pour en faire des perches ne sont pas des actes qui, en soi, priveraient le propriétaire de sa possession. De tels actes ne constituent qu'une intrusion illicite sur la terre du véritable propriétaire, quel qu'il soit, que n'importe quel autre intrus pourrait commettre. ... Le fait de pénétrer sur une terre et d'y couper un chargement de perches ou beaucoup de bois n'étant en soi que simple acte d'intrusion illicite, il ne peut être étendu au-delà des limites de l'acte même, et la simple posses sion de fait ne peut être étendue par le jeu de présomptions au-delà des limites de l'occupation réelle. En d'autres termes, un contrevenant ne peut revendiquer rien relativement à sa possession par le jeu de présomptions.
Selon moi, les activités d'Isaac Mutch et de sa famille sur l'immeuble, soit l'agriculture et l'ex- ploitation forestière, ou la coupe de bois, activités décrites ci-dessus dans les présents motifs, étaient plus que de simples actes d'intrusion illicite et constituaient une occupation du genre requis pour la possession acquisitive. Je suis d'accord avec la conclusion suivante du juge de première instance sur ce point la page 667]: «Les actes accomplis par Mutch avant la vente de .la propriété en ques tion au défendeur me paraissent être le type d'ac- tes qu'accomplirait normalement et convenable- ment un marchand de bois fermier à cette époque sur la rivière Miramichi.» L'appelante n'admet pas que Mutch ait été un marchand de bois mais je ne vois pas comment on peut nier, étant donné la preuve, qu'il ait effectué des opérations de draye, qu'il ait coupé et vendu des billots et du bois pour la pulpe de bois et qu'à un moment donné il ait eu une scierie. La preuve n'est pas trop claire quant à l'étendue et à la régularité de la coupe de bois mais il semblerait qu'on en ait fait beaucoup au cours des années. Il semble que le juge de première instance ait accepté le témoignage de Weldon
Mutch quant à l'étendue des activités de coupe et d'agriculture sur l'immeuble, et je ne vois aucun motif pour ne pas être d'accord avec cette conclusion.
Le problème le plus sérieux qui se pose relative- ment à l'occupation de Mutch provient de la lettre qu'il a écrite au ministère des Affaires indiennes le 24 février 1919. Il s'agit de déterminer si la lettre constituait une reconnaissance du titre de la Cou-
ronne sur l'immeuble qui interrompait la posses sion acquisitive en vertu de l'article 14 de 1'Act
Respecting Limitation of Actions in respect to Real Property, L.R.N.-B. 1903, c. 139, qui est ainsi libellé:
[TRADUCTION] 14. Lorsqu'une reconnaissance écrite du titre de propriété d'une personne ayant droit à tout biens-fonds lui a été donnée, à elle-même ou à son représentant et signée par la personne qui se trouve en possession du biens-fonds ou en reçoit les profits, la possession ou la perception des profits par la personne qui a donné cette reconnaissance est alors réputée, conformément au sens du présent chapitre, avoir été celle exercée ou effectuée par la personne à laquelle, ou au représen- tant de laquelle, cette reconnaissance a été donnée à la date de sa remise, et le droit de cette dernière personne ou de tout ayant droit de cette dernière de prendre possession du biens- fonds et d'intenter une action en recouvrement de ce biens- fonds est réputé avoir initialement pris naissance exactement à la date à laquelle la reconnaissance, ou la dernière de ces reconnaissances, s'il en a plusieurs, a été donnée.
Dans la lettre qui a été citée ci-dessus, Mutch dit qu'il «[vivait] sur une parcelle de terre indienne située entre le côté nord de la rivière Lyttle South West, le côté est du lot 6, mesurant 42 perches de largeur, bornée à l'ouest par une terre réclamée par Ebenezar Traviss» et qu'il «[aimerait] en obte- nir la concession.» L'avocat de l'intimée insiste sur le fait que la lettre mentionne le «côté est» du lot 6, alors que l'immeuble était situé du côté ouest, mais, comme je l'ai indiqué plus tôt, il ressort du plan daté du 6 juin 1919 préparé pour Mutch par l'arpenteur Fish que c'est la moitié ouest du lot 6 qu'on voulait arpenter et qui fut effectivement arpentée pour lui pour servir de fondement à la concession qu'il voulait obtenir. C'était la partie du lot 6 qui était occupée par Isaac Mutch. Elle était bornée à l'ouest par le lot qui avait été arpenté pour Ebenezer A. Travis en 1901 et à l'est par l'autre moitié du lot 6 qui était occupée par Wil- liam, le frère d'Isaac.
Le juge de première instance a décidé que la lettre n'interdisait pas la défense fondée sur la
possession acquisitive. Il semble avoir réglé cette question, du moins dans une certaine mesure, en présumant qu'un titre avait déjà été acquis par possession acquisitive lorsque la lettre fut écrite et que, par la lettre, il voulait simplement obtenir une concession pour confirmer ce titre. Sur cette ques tion, il dit la page 6691:
En l'espèce, la Couronne ayant attendu plus de 50 ans après la prétendue reconnaissance pour intenter cette action peut difficilement établir maintenant ce que la lettre de 1919 signi- fiait. En gardant à l'esprit que la terre en question est située dans une agglomération non indienne, la description «terre indienne» utilisée par le colon signifiait probablement une terre située à l'extérieur de la réserve indienne, terre sur laquelle il vivait et pour laquelle il désirait «obtenir» une concession de la Couronne, un document officiel confirmant son propre titre. La preuve montre qu'il n'a pas payé pour ce titre, donc on peut présumer qu'il n'attachait pas beaucoup de valeur à ce document.
Je ne peux accepter que la lettre de Mutch est une reconnais sance suffisante pour éteindre la possession acquisitive déjà accumulée à l'époque, soit quelque 15 ans par Isaac Mutch sur ce lopin de terre précis et au moins un demi-siècle par ses prédécesseurs sur toute la région, y compris le lot. 6. De plus la lettre n'était pas adressée à la province, la personne alors en titre, mais à un ministère fédéral.
En toute déférence, j'estime qu'on ne peut consi- dérer la lettre autrement que comme une recon naissance par Mutch du titre de la Couronne sur la terre qu'il occupait. Il ne fait aucun doute que si la propriété de l'immeuble avait été acquise par pres cription par suite de l'occupation par Ebenezer Travis et son petit-fils, une reconnaissance de titre postérieure n'aurait pu redonner effet au titre de la Couronne, comme il a été décidé dans l'arrêt Hamilton c. Le Roi (1917) 54 R.C.S. 331, cité par le juge de première instance. Mais, pour les motifs que j'ai déjà mentionnés on ne peut conclure que la propriété en a été acquise par prescription par suite de l'occupation de Travis et de son petit-fils, ni que leur occupation peut être jointe à celle de Mutch. Comme je l'ai déjà fait remarquer, rien dans la preuve ne suggère qu'Isaac Mutch ait prétendu à quelque moment que ce soit être le successeur d'Ebenezer A. Travis dans l'occupation de l'immeuble. Rien dans la lettre de 1919 ni dans les circonstances de l'époque n'indique que Mutch ait revendiqué la propriété de l'immeuble fondée sur la prescription et n'ait demandé une concession que pour confirmer ce titre. Bien que la preuve n'indique pas clairement ce qui l'a poussé à écrire la lettre, dans son mémoire, H. J. Bury, inspecteur forestier, déclare que d'après lui la «demande est
une des conséquences de l'enquête récente sur l'empiétement de blancs sur la réserve». On peut raisonnablement conclure de ces documents que si Mutch n'a pas obtenu la concession qu'il désirait c'est à cause d'une différence d'opinion sur le prix à payer pour la terre et non parce qu'il n'attachait aucune importance à la concession. Le témoignage de son fils Weldon tend à confirmer l'impression qu'à l'époque il écrivit la lettre, il ne croyait pas avoir le titre de l'immeuble. Voici ce témoignage:
[TRADUCTION] Q. Cette lettre est datée du 24 février 1919.
Avez-vous déjà vu cette lettre auparavant?
R. Non.
Q. Votre père ne vous en a jamais parlé?
R. Il a mentionné que lui et M. Irving avaient discuté du terrain.
Q. Quel genre de discussion?
R. Bien, marchandage pour le terrain.
Q. En d'autres termes, vous saviez qu'on se posait des ques tions quant au titre de la terre?
Q. En d'autres mots, vous étiez conscient qu'il y avait des problèmes quant au titre?
R. Il faut qu'il y ait un titre.
Q. Ce n'est pas ce que je vous ai demandé. Savez-vous, avec certitude, s'il y a eu des problèmes relativement au titre des terres?
R. Oh! certainement, oui.
Q. Et vous le savez depuis assez longtemps; n'est-ce pas?
R. Bien, je sais que nous n'avions pas un acte notarié.
LE JUGE: Ne venez-vous pas tout juste d'affirmer que vous aviez l'impression que votre père avait obtenu la terre de votre grand-père?
LE TÉMOIN: Oui.
LE JUGE: Si tel était le cas, pourquoi se poserait-il un problème relativement aux terres indiennes?
LE TÉMOIN: Bien, j'entendais des histoires qui circulaient de temps à autre et je sais qu'ils n'avaient pas de titre.
La lettre est adressée au ministère des Affaires indiennes, qui était chargé du contrôle et de l'ad- ministration de l'immeuble et qui agissait au nom de la Couronne en détenant l'immeuble en tant que partie des terres indiennes assujetties aux con ditions de la cession de 1895. Tant que les terres indiennes relevaient de la compétence fédérale, c'étaient les autorités fédérales qui avaient le droit de prendre possession de l'immeuble ou d'intenter une action pour en recouvrer la possession. Pour ce motif, je suis d'avis que la lettre constituait une reconnaissance de titre faite à un agent de la personne ayant droit à l'immeuble au sens de l'article 14 de la loi provinciale sur la prescription.
Étant donné que la possession acquisitive d'Isaac Mutch a été interrompue en 1919, l'intimé ne peut alléguer une position acquisitive non interrompue de l'immeuble d'une durée d'au moins soixante ans avant la prise des procédures par l'appelante de 1973.
L'appelante a donc droit à la possession de l'immeuble. Il faut maintenant examiner la demande d'indemnité faite par l'appelante pour les améliorations de l'immeuble.
La demande d'indemnité
La question du droit à une indemnité est soule- vée à l'alinéa 11 de la défense il est déclaré que l'intimé a apporté des améliorations à l'immeuble et que l'appelante bénéficierait d'un «enrichisse- ment injuste» s'il lui était donné libre possession de l'immeuble. En réplique, l'appelante déclare que si l'intimé a apporté des améliorations à l'immeuble, il l'a fait à ses propres risques et qu'il savait ou aurait savoir que le titre de l'immeuble était en tout temps dévolu à Sa Majesté la Reine. A l'ali- néa 14 de sa défense, l'intimé réclame la valeur marchande de l'ensemble de la propriété et, subsi- diairement, la valeur des améliorations. En pre- mière instance, des éléments de preuve ont été présentés relativement à la valeur marchande de la propriété et, dans ses motifs de jugement, le juge de première instance est arrivé aux conclusions suivantes quant à la valeur la page 671]:
Les deux parties ont fait témoigner des experts pour établir la valeur marchande de la propriété en question. Dans l'éven- tualité mes conclusions sur la question deviendraient utiles dans des procédures ultérieures, voici mes conclusions sur la valeur marchande de la propriété de Gilbert A. Smith: terre et améliorations de l'emplacement $12,000; constructions $16,000; carrière de gravier $8,000. Total $36,000.
Bien que cette conclusion ne fasse pas partie du jugement proprement dit, elle fait l'objet d'un contre-appel par l'intimé qui demande que la valeur de la propriété soit augmentée à $62,600, soit la valeur à laquelle conclut le témoin expert de l'intimé.
La question est de savoir si, en l'espèce, l'appe- lante devrait être tenue, pour obtenir libre posses sion de l'immeuble, d'indemniser l'intimé pour les améliorations qu'il a apportées à l'immeuble, et dans l'affirmative, comment la valeur de ces amé- liorations doit être déterminée.
La législation du Nouveau-Brunswick ne con- tient aucune disposition relativement à l'indemnité pour améliorations apportées à des biens-fonds par suite d'une erreur de titre, comme dans l'article
38(1) de The Conveyancing and Law of Property Act de l'Ontario, S.R.O. 1970, c. 85 dont voici le libellé:
[TRADUCTION] 38. (1) Lorsqu'une personne apporte à un biens-fonds des améliorations durables en croyant qu'il lui appartient, elle-même et ses ayants droit ont droit à un privi- lège sur celui-ci jusqu'à concurrence de l'augmentation de la valeur du biens-fonds due aux améliorations, ou ont le droit de garder le biens-fonds ou peuvent être tenus de le garder si la Cour est d'avis ou exige que cela soit fait, selon ce qui est plus équitable compte tenu de toutes les circonstances de l'espèce, en versant une indemnité pour le biens-fonds, s'il est gardé, selon que la Cour l'ordonne.
Il existe cependant un principe général d'équité appelé fin de non-recevoir par acquiescement, qui régit la question des améliorations apportées au biens-fonds d'un autre, qui est énoncé comme suit dans Halsbury's Laws of England, 4e éd., vol. 16, par. 1475, page 997:
[TRADUCTION] De même, lorsqu'une personne qui croit par erreur avoir un intérêt dans un biens-fonds et, ignorante de son manque de titre, y dépense des sommes notamment en y construisant des édifices ou en y faisant d'autres améliorations, et que le véritable propriétaire, étant au courant de l'erreur et des dépenses, ne soulève aucune objection, l'equity protégera la personne qui fait ces dépenses en confirmant le titre présumé de cette personne ou en exigeant qu'il soit indemnisé pour ses déboursés ou en grevant le biens-fonds d'une charge ou d'un privilège en sa faveur. Ces redressements d'equity peuvent être obtenus contre la Couronne.
Cet énoncé de principe est fondé en partie sur l'affaire Ramsden c. Dyson (1866) L.R. 1 H.L.
129, le lord chancelier Cranworth dit, aux pages 140 et 141:
[TRADUCTION] Si un étranger commence à construire sur mon terrain en présumant qu'il lui appartient et que, m'étant aperçu de son erreur, je ne fais rien pour le lui dire et le laisse persévérer dans son erreur, une Cour d'equity ne me permettra pas plus tard de faire valoir mon droit de propriété dans le terrain sur lequel il a dépensé des sommes en présumant que le terrain était le sien. Elle considère que lorsque je me suis aperçu de son erreur, il m'incombait de prendre l'initiative et de déclarer mon titre contraire; et que ce serait malhonnête de ma part de demeurer sciemment passif dans ce cas afin de profiter subséquemment de l'erreur que j'aurais pu prévenir.
Mais il faut remarquer que pour se prévaloir de ces règles d'equity, deux choses sont requises: premièrement, que la per- sonne qui fait les dépenses croie construire sur son propre terrain; et, deuxièmement, que le véritable propriétaire à l'épo- que des dépenses sache que le terrain lui appartient et non à la personne qui dépense des sommes en croyant qu'il est le pro- priétaire. Car si un étranger construit sur mon terrain sachant
qu'il m'appartient, aucun principe d'equity ne m'interdirait de revendiquer la propriété du terrain et de bénéficier de toutes les dépenses faites pour l'améliorer. Il n'y aurait rien dans ma conduite, active ou passive, qui ferait que ce serait inéquitable de revendiquer mes droits.
Le même principe est exprimé en ces termes par lord Wensleydale à la page 168:
Si un étranger construit sur mon terrain en présumant qu'il lui appartient et que moi, sachant qu'il m'appartient, je n'inter- viens pas mais le laisse continuer, l'equity considère cela mal- honnête de ma part de demeurer passif et de n'intervenir que plus tard pour m'approprier le profit.
L'application de ce principe à une action inten- tée par la Couronne pour recouvrer la possession de terres dans une réserve indienne a été examinée dans l'affaire Easterbrook, précitée. Il y fut décidé que puisque le défendeur et son prédécesseur avaient occupé la terre en vertu d'un bail qu'ils avaient obtenu des Indiens, ils ne pouvaient avoir cru que la terre leur appartenait, et il fut en outre décidé que la Couronne ne leur avait donné aucun motif, par des actes ou des déclarations, pour justifier chez eux une telle croyance. Le juge Audette de la Cour de l'Échiquier jugea que la doctrine de l'acquiescement ne s'appliquait pas à la Couronne mais ce point de vue ne semble pas avoir été adopté par la Cour suprême du Canada. Tel qu'indiqué dans l'extrait tiré de Halsbury cité ci-dessus, il fut décidé dans l'affaire Attorney - General to His Highness the Prince of Wales c. Collom [1916] 2 K.B. 193, que la doctrine d'equity de fin de non-recevoir par acquiescement s'applique à la Couronne. Selon moi, la Cour suprême ne prend pas une position contraire sur cette question dans l'arrêt Easterbrook. Ce serait plutôt le contraire qui ressort des motifs du juge Newcombe, qui dit, à la page 219: [TRADUCTION] «Je suis d'accord avec le savant juge que le défen- deur n'a pas du tout réussi à prouver quelque acte ou déclaration, dont la Couronne est responsable, qui l'ait trompé et induit à croire qu'il avait un titre qu'il pourrait revendiquer contre celui de la Couronne.» Et le juge Newcombe examine plus loin la question de savoir si des déclarations auraient été faites au prédécesseur en titre du défendeur par la Couronne ou en son nom. Je conclus des motifs du juge Newcombe que la doctrine d'equity de fin de non-recevoir par acquiescement fut considérée comme étant appli cable dans les cas appropriés à une demande d'in- demnité pour la valeur des améliorations apportées à une terre dans une réserve indienne.
L'avocat de l'appelante prétend que cette doc trine n'est pas applicable à un cas le demandeur ne demande pas un redressement en equity mais fait valoir ses droits, et il cite à l'appui de cette prétention la décision de la Cour suprême du Canada dans Montreuil c. The Ontario Asphalt Company (1922) 63 R.C.S. 401. Dans les motifs de cette affaire et plus particulièrement dans les motifs du jugement majoritaire rédigés par le juge Anglin, aux pages 433 436, une distinction est établie entre le cas celui qui apporte les amélio- rations se fie à une attitude «passive», ou à ce qui équivaut à un acquiescement par le propriétaire, et le cas il ne le fait pas. Dans ce dernier cas, à part la loi, la défense d'equity ne peut être soulevée que si le propriétaire lui-même invoque l'equity.
En espèce, l'intimé se croyait propriétaire de l'immeuble au moment il a apporté les amélio- rations. Dans le premier titre, daté du 26 septem- bre 1952, qu'il obtint d'Isaac Mutch, il est déclaré dans le préambule que: [TRADUCTION] «Les cédants ont été en possession publique et non contestée des terres et bâtiments décrits dans les présentes pendant plus de vingt (20) ans», soit la période ordinairement requise pour l'acquisition d'un droit de propriété par prescription. Comme il l'a déclaré dans son témoignage, l'intimé n'avait connaissance d'aucune revendication de l'immeu- ble par les Indiens ou en leur nom. L'intimé n'a pas fait faire l'examen des titres de l'immeuble mais, bien que cela aurait sans aucun doute été plus prudent, le défaut de ce faire ne peut à mon avis justifier le rejet de sa demande en equity pour les améliorations. Dans l'arrêt Montreuil, précité, à la page 429, le juge Anglin dit:
[TRADUCTION] Et le fait qu'ils aient certainement été impru- dents en faisant de telles dépenses sans faire faire une vérifica- tion appropriée du titre de leur locateur ne les empêche pas de demander un tel redressement. Pourvu que l'erreur ait été de bonne foi, le fait qu'elle ait pu être imputable en partie à l'imprudence ne prive pas les défendeurs du droit de demander ce redressement.
J'estime qu'il s'agit en l'espèce d'un cas il doit être décidé que la Couronne, par suite de sa longue période d'inaction, particulièrement à compter de 1919, alors qu'elle savait que l'immeu- ble était occupé par des non-Indiens, est demeurée passive et a acquiescé aux améliorations apportées par l'intimé et son prédécesseur en occupation. La Couronne, représentée et conseillée par le gouver- nement provincial ou par le gouvernement fédéral,
avait connaissance de l'occupation de l'immeuble par des non-Indiens à compter de 1838 mais n'a jamais pris de mesure pour régulariser la situation d'une façon ou d'une autre. Etant donné la con- duite de la Couronne, il serait inadmissible de lui permettre de recouvrer la libre possession de l'im- meuble sans être tenue de verser une indemnité pour les améliorations. S'il y avait le moindre doute au sujet de l'application du principe d'equity de fin de non-recevoir par acquiescement en l'es- pèce, je serais prêt à fonder le droit de l'intimé à une indemnité pour ses améliorations sur le prin- cipe général d'enrichissement sans cause ou de restitution.
Le montant de l'indemnité dans un cas comme celui-ci est l'augmentation de la valeur de l'im- meuble due aux améliorations durables. Voir Montreuil, précité, aux pages 433 et 434; McBride c. McNeil (1913) 27 O.L.R. 455, la page 457. Tel que mentionné ci-dessus, les éléments de preuve présentés visaient à permettre de détermi- ner la valeur marchande de l'ensemble de la pro- priété et la division de première instance est arri vée à une conclusion sur cette valeur. En l'espèce, il n'est pas possible à cette Cour de déterminer le montant de l'augmentation de valeur de l'immeu- ble due aux améliorations.
J'accueillerais l'appel, déclarerais que l'appe- lante a droit à la libre possession de l'immeuble lorsqu'elle aura payé à l'intimé le montant de l'augmentation de la valeur de l'immeuble due aux améliorations apportées par l'intimé et ses prédé- cesseurs en occupation et renverrais la question à la Division de première instance pour déterminer ce montant, avec le pouvoir d'ordonner un renvoi à un arbitre à cette fin si elle le jugeait approprié, à moins que dans l'intervalle les parties ne puissent convenir de cette somme. A cause des circons- tances très spéciales de l'espèce, il n'y aura pas d'adjudication des frais en cette Cour ni en Divi sion de première instance.
* * *
LE JUGE URIE: Je souscris à ces motifs.
* * *
LE JUGE SUPPLÉANT KELLY: Je souscris à ces motifs.
 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.