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A-473-80
Dome Petroleum Limited et Canadian Marine Drilling Limited (Requérantes)
c.
Canadian Merchant Service Guild, Canadian Brotherhood of Railway, Transport and General Workers et le Syndicat international des marins canadiens (Intimés)
Cour d'appel, les juges Pratte et Heald et le juge suppléant Kelly—Toronto, 21 novembre; Ottawa, 8 décembre 1980.
Examen judiciaire Relations du travail Demande d'examen et d'annulation d'une ordonnance du Conseil cana- dien des relations du travail accordant aux intimés un droit d'accès aux locaux des requérantes pour y recruter de nou- veaux membres L'ordonnance du Conseil autorise les repré- sentants des intimés à monter à bord de certains navires des requérantes et à rencontrer les employés de ces dernières pendant les heures de travail Il échet d'examiner si le Conseil a excédé sa compétence en permettant aux intimés d'organiser les employés pendant les heures de travail Demande accueillie Code canadien du travail, S.R.C. 1970, c. L-1, modifié, art. 185d), 199(1),(2) Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10, art. 28.
Distinction faite avec l'arrêt: Le Syndicat canadien de la Fonction publique, section locale 963 c. La Société des alcools du Nouveau-Brunswick [1979] 2 R.C.S. 227.
DEMANDE d'examen judiciaire. AVOCATS:
M. Dubinsky, c.r. pour les requérantes.
Allan Black pour l'intimé Canadian Mer
chant Service Guild.
Marshall Bray pour l'intimé le Syndicat
international des marins canadiens.
Bruce Greyell pour le Conseil canadien des
relations du travail.
PROCUREURS:
Murrey Dubinsky, c.r., Calgary, pour les requérantes.
McTaggart, Ellis & Company, Vancouver, pour l'intimé Canadian Merchant Service Guild.
McMaster, Bray, Cameron & Jasich, Van- couver, pour l'intimé le Syndicat international des marins canadiens.
Braidwood, Nuttall, MacKenzie, Brewer, Greyell & Company, Vancouver, pour le Con- seil canadien des relations du travail.
Ce gui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE PRATTE: Il s'agit en l'espèce d'une demande, selon l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10, de contrôle et d'annulation d'une ordonnance du Conseil cana- dien des relations du travail accordant à chacun des syndicats intimés, pour fins de sollicitation de nouveaux membres, un droit d'accès à certains locaux appartenant aux requérantes ou qui sont sous leur dépendance.
L'ordonnance du Conseil fut rendue sur le fon- dement de l'article 199 du Code canadien du travail, S.R.C. 1970, c. L-1, modifié par S.C. 1972, c. 18, art. 1 et S.C. 1977-78, c. 27, art. 69.1, que voici:
199. (1) Lorsque le Conseil
a) reçoit d'un syndicat une demande en vue d'obtenir une ordonnance accordant à un représentant autorisé du syndicat l'accès à des employés vivant dans un lieu isolé dans des locaux dont leur employeur ou une autre personne sont propriétaires ou ont sous leur dépendance, et
b) décide que l'accès aux employés
(i) serait pratiquement impossible ailleurs que dans les locaux dont leur employeur ou cette autre personne sont propriétaires ou ont sous leur dépendance, et
(ii) est raisonnablement nécessaire aux fins de solliciter des adhésions, de négocier ou d'appliquer une convention col lective, de régler un grief ou de fournir aux employés des services syndicaux,
il doit rendre une ordonnance accordant au représentant autorisé du syndicat désigné dans l'ordonnance l'accès aux employés dans les locaux de leur employeur ou de cette autre personne selon le cas, désignés dans l'ordonnance.
(2) Le Conseil doit, dans toute ordonnance rendue en vertu du paragraphe (1), spécifier le mode d'accès aux employés, les moments il sera permis et sa durée.
D'après le paragraphe 122(1) du Code canadien du travail, les seuls motifs qui autorisent la Cour à contrôler l'ordonnance du Conseil sont ceux de l'alinéa 28(1)a) de la Loi sur la Cour fédérale, soit «que le Conseil ... n'a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d'exercer sa compétence».
L'avocat des requérantes entreprend l'ordon- nance du Conseil pour quatre motifs, résumés comme suit à la page 4 de son mémoire:
[TRADUCTION] a) que le Conseil est sorti de la compétence que lui attribue l'article 199 du Code canadien du travail, Partie V, en rendant une ordonnance accordant plus que
l'accès aux locaux des requérantes et en permettant aux intimés de tenter, au cours des heures de travail des salariés des requérantes, d'organiser ces salariés, contrairement aux dispositions de l'article 185d) du Code;
b) que le Conseil a abusé du pouvoir discrétionnaire que lui attribue l'article 199 du Code en refusant de prendre en compte certains faits importants, en tenant compte de fac- teurs non pertinents et en ignorant les buts et l'esprit du Code;
c) que le Conseil a irrégulièrement exercé la compétence que lui attribue l'article 199 du Code en appliquant une politique préétablie enchaînant par son pouvoir discrétionnaire en la matière;
d) que le Conseil a dénié aux requérantes la jouissance de la justice naturelle en ne faisant pas d'enquête approfondie, ni même quelque enquête que ce soit, relativement aux facteurs pertinents implicites dans les requêtes des intimés, en refu- sant toute audition relative à ces requêtes et en attribuant irrégulièrement la charge de la preuve, relativement à ces requêtes, aux requérantes.
Après audition des plaidoiries des requérantes, la Cour a dit conclure que seul le premier des quatre moyens invoqués par les requérantes rele- vait de l'alinéa 28(1)a) de la Loi sur la Cour fédérale. En conséquence, la Cour a fait savoir qu'elle n'avait pas à entendre les intimés sur les trois autres points.
Donc le seul point encore à résoudre est de savoir si le Conseil est sorti de sa compétence en permettant aux intimés de tenter d'organiser les salariés des requérantes au cours des heures de travail.
L'ordonnance du Conseil autorise les représen- tants des syndicats intimés à monter à bord de certains navires appartenant aux requérantes ou sous leur dépendance. C'est au paragraphe 11 de l'ordonnance que s'opposent les requérantes; on doit le rapprocher du paragraphe 8 de la même ordonnance:
8. Que le représentant autorisé de chaque syndicat ne rencontre les employés à bord des navires que pour solliciter leur adhésion au syndicat et qu'il ne gêne l'exploitation d'aucun des navires ni les membres d'équipage dans l'exercice de leurs fonctions, sauf selon les conditions fixées à l'alinéa 11;
11. Que, si le personnel breveté ou non breveté n'a pas au moins deux heures de liberté pendant que le navire à bord duquel il travaille est garé à l'embarcadère et au champ de base et que les syndicats ont été préalablement informés de son arrivée conformément à l'alinéa 10, l'on permette aux représentants autorisés de rencontrer les employés, en l'absence de qui que ce soit d'autre, pendant deux de leurs heures normales de travail;
Les requérantes soutiennent que le paragraphe 11 sort des pouvoirs du Conseil car l'article 199 du Code ne lui attribue pas le pouvoir d'autoriser un représentant du syndicat à contrevenir à l'alinéa
185d) du Code, que voici:
185. Nul syndicat et nulle personne agissant pour le compte d'un syndicat ne doit
d) sauf avec le consentement de l'employeur, tenter, au lieu d'emploi et pendant les heures de travail d'un employé, de persuader l'employé de devenir, de s'abstenir de devenir ou de cesser d'être membre d'un syndicat;
Les intimés fournissent deux réponses à cet argument. D'abord disent-ils le Conseil a bien interprété l'article 199 comme lui attribuant le pouvoir d'autoriser ce qui autrement constituerait une infraction à l'article 185. Ensuite ils se préva- lent de l'arrêt de la Cour suprême du Canada dans Le Syndicat canadien de la Fonction publique, section locale 963 c. La Société des alcools du Nouveau-Brunswick' et disent que, même si le Conseil a mal interprété l'article 199, il n'est pas par le fait même sorti de sa compétence puisque son interprétation de l'article 199 n'est pas «mani- festement déraisonnable».
A mon avis, le Conseil ne possède pas, en vertu de l'article 199, le pouvoir d'autoriser un représen- tant syndical à contrevenir à l'alinéa 185d).
On trouve l'alinéa 185d) sous la rubrique «Prati- ques déloyales». Il interdit à un syndicat ou à un individu agissant au nom d'un syndicat de solliciter un salarié à son lieu de travail au cours des heures de travail. Essentiellement cette disposition inter- dit simplement aux syndicats ou aux personnes agissant en leur nom d'entraver le travail des salariés.
L'article 199 est d'une toute autre nature. Il s'applique lorsque des salariés vivent en un lieu isolé dans des locaux qui appartiennent à leur employeur ou à quelque autre personne, ou que ceux-ci contrôlent, lorsqu'il serait impraticable pour le représentant syndical de rejoindre les sala- riés ailleurs que «dans [des] locaux dont leur employeur ou cette autre personne sont propriétai- res ou ont sous leur dépendance». Dans ces cas-là, le Conseil peut rendre une ordonnance accordant
' [1979] 2 R.C.S. 227.
au représentant syndical l'accès aux employés «dans les locaux de leur employeur ou de cette autre personne». Cette disposition n'attribue pas, ni expressément ni tacitement, au Conseil le pou- voir d'autoriser le représentant d'un syndicat à entraver le travail des salariés; elle permet simple- ment au Conseil d'autoriser un représentant syndi- cal à aller rencontrer les salariés sur les lieux ils vivent.
Je ne vois aucune contradiction ni conflit entre les deux dispositions de la Loi qui, à mon avis, peuvent s'appliquer toutes deux. En outre, contrai- rement à ce qu'ont soutenu les intimés, le paragra- phe 199(2) ne justifie pas de déduire que le Con- seil peut autoriser une infraction à l'article 185. Le paragraphe 199(2) ne confère aucun pouvoir au Conseil. Il indique le mode d'exercice du pouvoir attribué par le paragraphe 199(1) et impose au Conseil l'obligation, lorsqu'il rend une ordonnance sur le fondement du paragraphe 199(1), de spéci- fier «les moments [l'accès] sera permis». Je ne puis déceler dans cette disposition l'intention de donner au Conseil le pouvoir d'autoriser ce qu'in- terdit l'alinéa 185d).
C'est donc à tort que le Conseil a, à mon avis, rendu l'ordonnance entreprise. Je suis aussi d'avis que cette erreur est soumise au contrôle de la Cour en vertu de l'alinéa 28(1)a) de la Loi sur la Cour fédérale. Pour en arriver à cette dernière conclu sion, je n'estime pas nécessaire de décider que l'erreur du Conseil était «manifestement déraison- nable». L'arrêt de la Cour suprême La Société des alcools du Nouveau-Brunswick (précité) ne s'ap- plique pas en l'espèce. Dans cette affaire la Com mission des relations de travail dans les services publics du Nouveau-Brunswick avait instruit une plainte selon laquelle un employeur aurait enfreint une interdiction de la Loi relative aux relations de travail dans les services publics L.R.N.-B 1973, c. P-25 et, ayant constaté que la plainte était fondée, avait ordonné à l'employeur de mettre fin à ses activités illégales. La Loi relative aux relations de travail dans les services publics autorisait claire- ment la Commission à entreprendre une telle enquête et à prononcer ce genre d'ordonnance. Ce qu'on reprochait à la Commission en cette espèce, c'était d'avoir mal interprété une disposition légale créant l'interdiction que l'employeur aurait enfreinte. En l'espèce en cause, la situation est
différente puisque le Conseil a mal interprété l'ar- ticle de la loi qui définit son autorité et précise ses attributions. Si, par suite d'une telle erreur, le Conseil a rendu une ordonnance qu'il n'était pas autorisé à rendre, il est par ce fait même sorti de sa compétence, que son erreur ait ou non été «manifestement déraisonnable«.
La demande doit donc être accordée. Toutefois, comme l'unique portion de l'ordonnance il y a excès de pouvoir de la part du Conseil se trouve au paragraphe 11, et comme ce paragraphe, de toute évidence, peut être séparé du reste de l'ordon- nance, je me contenterais de réformer uniquement celui-ci.
* * *
LE JUGE HEALD: Je souscris à ces motifs.
* * *
LE JUGE SUPPLÉANT KELLY: J'y souscris aussi.
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