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A-167-80
Juan Antonio Perez (Requérant)
c.
Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration (Intimé)
Cour d'appel, les juges Heald et Urie, le juge suppléant Kelly—Toronto, 28 et 30 juillet 1980.
Examen judiciaire Immigration La Commission d'ap- pel de l'immigration a décidé que le requérant n'était pas un réfugié au sens de la Convention La Cour a annulé la décision de la Commission au motif que la conclusion de la Commission allait à l'encontre de la preuve produite et qu'elle s'est fondée sur la traduction erronée de la preuve La Commission a confirmé sa décision antérieure ainsi que les motifs y afférents en se fondant à la fois sur la traduction exacte et sur la traduction erronée de la preuve Demande accueillie Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10, art. 28 Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, c. 52, art. 70(2).
Arrêts suivis: Leiva c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration, A - 251 - 79; Garcia c. Le ministre de l'Em- ploi et de l'Immigration, A - 123 - 79; Tapia c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration [1979] 2 C.F. 468.
DEMANDE d'examen judiciaire. AVOCATS:
Nancy Goodman et Barbara Jackman pour le
requérant.
B. Segal pour l'intimé.
PROCUREURS:
Knazan, Jackman & Goodman, Toronto, pour le requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE HEALD: A mon avis, il faut annuler la décision en date du 6 mars 1980 de la Commission
d'appel de l'immigration, qui a rejeté la demande du requérant après avoir conclu qu'il n'était pas un réfugié au sens de la Convention. Dans son juge- ment en date du 26 octobre 1979, la Cour de céans avait annulé la décision initiale de la Commission en cette matière, rendue le 13 mars 1979 dans le
même sens que la décision entreprise du 6 mars 1980, et lui avait renvoyé l'affaire par ces motifs
que:
a) La conclusion tirée par la Commission que le requérant n'avait pas informé les services d'im- migration, avant décembre 1976, [TRADUC- TION] «qu'il ne pouvait rentrer dans son pays natal» allait à l'encontre de la preuve produite; et
b) La Commission s'est fondée sur la traduction erronée des deux lettres adressées en espagnol au requérant par son avocat; la traduction cor- recte de ces lettres est annexée, à titre de pièces A et B, à l'affidavit de traduction en date du 12 octobre 1979 de Beatriz Tabak, versé au dossier de la Cour le 19 octobre 1979.
Il appert que, dans sa décision du 6 mars 1980, la Commission n'a pas déféré aux directives sus- mentionnées de la Cour.
Je traiterai en premier lieu de la non-observa tion de la directive a) de la Cour. Dans ses motifs de la décision du 6 mars 1980, la Commission s'est prononcée en ces termes (annexe I, à la page 8): [TRADUCTION] «... la Commission confirme sa décision antérieure ainsi que les motifs y afférents; elle déclare la demande irrecevable et confirme que le requérant n'est pas un réfugié au sens de la Convention.» Dans les motifs afférents à la déci- sion antérieure, on trouve cette constatation: [TRA- DUCTION] «c'est seulement en décembre 1976 qu'il a informé les services d'immigration qu'il ne pour- rait rentrer dans son pays natal» la page 62 du dossier conjoint). En adoptant ces motifs, la Com mission n'a pas déféré aux conclusions de la Cour telles qu'elles figurent dans la directive a) supra. Il ressort des preuves administrées que dès le 11 février 1976, le requérant a informé les services d'immigration qu'il ne pouvait rentrer dans son pays natal (voir la page 7 du dossier conjoint, aux lignes 1 à 12). A la date du 11 février 1976, le requérant ne se trouvait au Canada que depuis 18 jours. A la page 5 de l'annexe I, la Commission s'est prononcée en ces termes: [TRADUCTION] «La Commission est d'avis qu'en ce qui concerne la revendication faite par le requérant du statut de réfugié, il importe peu de savoir s'il l'a faite le 26 août 1976 ou en décembre 1976, ou encore sept ou onze mois après son arrivée au Canada.» Il ressort de cette énonciation que la Commission n'a pas
tenu compte du fait que le 11 février 1976, le requérant avait informé les services d'immigration qu'il ne pouvait rentrer dans son pays natal. S'il est vrai qu'au point de vue strictement technique, il n'y a eu une revendication formelle du statut de réfugié que plusieurs mois plus tard, il appert que la communication du 11 février 1976 contient un élément dont il y a lieu de tenir compte pour la solution du présent litige, et dont, d'après le dos sier de l'instance, la Commission n'a pas tenu compte.
En ce qui concerne la directive b) de la Cour, la Commission a cité, dans les motifs de sa décision du 6 mars 1980, la fois la traduction erronée et la traduction correcte des lettres du 24 mars 1976 et du 30 juillet 1976. Après avoir reproduit ces lettres, la Commission déclare (annexe I, à la page 8): [TRADUCTION] «Ayant minutieusement étudié le contenu de ces lettres, la Commission conclut qu'elles transmettent essentiellement le même mes sage, et que les traductions versées au dossier de la Cour fédérale ne sont pas telles que la Commission doit modifier sa décision initiale.» Dans son ordon- nance du 26 octobre 1979, la Cour de céans a conclu que la Commission s'était fondée sur la traduction erronée des lettres en question. En dépit de cette conclusion, la Commission a, sur «renvoi», fait fond à la fois sur les traductions erronées et sur les traductions correctes. Ce faisant, la Com mission a, à mon avis, violé les dispositions de l'article 70(2) de la Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, c. 52, ainsi que la jurisprudence de la Cour de céans'. D'après cette jurisprudence, la Commission, saisie d'une demande de nouvelle instruction, ne peut faire fond que sur la transcrip tion des témoignages rendus sous serment, ce qui s'entend naturellement des pièces produites au cours de l'interrogatoire et des déclarations faites sous serment. L'original des lettres dont il s'agit a été produit au cours de l'interrogatoire. Il appert que l'agent d'immigration supérieur ne les a fait traduire que plus tard. Les «traductions correctes» ont été portées à la connaissance de la Cour à
'Voir Leiva c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration, A-251-79, en date du 24 juillet 1979. [Motifs du jugement non fournis—l'arrêtiste.] Voir aussi Garcia c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration, A-123-79, en date du 26 juillet 1979. [Motifs du jugement non fournis—l'arrêtiste.] Voir aussi Tapia c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigra- tion [1979] 2 C.F. 468.
l'occasion d'une demande de modification du con- tenu de l'exposé des faits et des arguments, seule procédure possible en l'espèce pour contester les traductions obtenues par l'agent d'immigration supérieur. Comme elles proviennent des pièces pro- duites au cours de l'interrogatoire sous serment, la Commission est tenue de les prendre en considéra- tion, dans une requête en nouvelle instruction. A mon avis, la Commission n'avait pas le droit, après renvoi fait par la Cour, de faire fond sur les traductions erronées. Celles-ci étaient inadmissi- bles car il n'était nullement établi qu'elles étaient des traductions fidèles et exactes. Les «traductions correctes» étaient certifiées par l'affidavit du tra- ducteur. A mon avis, cette seule erreur de la Commission suffisait pour justifier le renvoi de l'affaire devant elle. Mais, à supposer même que la Commission puisse faire fond sur les deux traduc- tions à la fois, je ne saurais souscrire à sa conclu sion que celles-ci «transmettent le même message». En ce qui concerne tout d'abord la lettre du 24 mars 1976, il ressort du troisième paragraphe de la traduction correcte que, sous le nouveau régime militaire, le requérant était dans une situation plus précaire et plus dangereuse que par le passé à cause de sa participation active dans le parti dit Union Civica Radical Party. Cette traduction cor- recte indique de manière explicite que cette parti cipation active [TRADUCTION] «met votre vie en danger». La traduction erronée fait état d'une recommandation de prolongation de séjour au Canada, mais n'est pas tout aussi explicite. A mon avis, elle est considérablement différente de la traduction correcte.
En ce qui concerne la lettre du 30 juillet 1976, j'ai également conclu à l'existence d'une différence importante au moins entre ces deux traductions. Dans son troisième paragraphe, la traduction erro- née fait état d'une promesse de [TRADUCTION] «possibilité d'amnistie politique plus ou moins immédiate», faite par le Président de la Républi- que, alors que la traduction correcte parle de [TRADUCTION] «libéralisation plus ou moins immédiate.» A mon avis, la traduction correcte fait ressortir un ton moins optimiste et moins catégori- que que la traduction erronée.
Par ces motifs, j'accueillerais la demande fondée sur l'article 28, annulerais la décision en date du 6 mars 1980 de la Commission d'appel de l'immigra-
tion, et renverrais l'affaire devant la Commission pour décision conforme à ces motifs de jugement.
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LE JUGE URIE: Je souscris aux motifs ci-dessus.
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LE JUGE SUPPLÉANT KELLY: Je souscris aux motifs ci-dessus.
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