Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

T-2515-80
Usarco Limited et Frank Levy (Demandeurs) c.
La Reine et le procureur général du Canada (Défendeurs)
Division de première instance, le juge Mahoney— Toronto, 20 août; Ottawa, 26 août 1980.
Pratique Requête en radiation des plaidoiries Les demandeurs sollicitaient un jugement déclarant qu'un certifi- cat délivré en vertu de l'art. 244(4) de la Loi de l'impôt sur le revenu était frauduleux et nul et de nul effet Les deman- deurs sollicitaient aussi de la Cour un jugement déclarant prescrite une dénonciation déposée contre eux pour évasion fiscale Les défendeurs demandaient que soit radiée la déclaration Les demandeurs faisaient valoir qu'en mai 1978, les éléments de preuve étaient réunis, et qu'un fonction- naire autorisé à remplir les fonctions du Ministre sous le régime de l'art. 244(4), agissant à la place de ce dernier, ne pouvait pas sincèrement attester que ces éléments de preuve étaient venus à la connaissance du Ministre en juin, ce qui rendait son attestation mensongère frauduleuse Il y avait à déterminer si la Cour était compétente pour déclarer invalide cette dénonciation Il y avait également lieu de déterminer si la déclaration révélait une cause raisonnable d'action II convenait en outre de trancher la question de savoir si l'action était futile ou vexatoire La Cour n'est pas compétente pour accorder le redressement se rapportant à la dénonciation La déclaration restera sans changement Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, c. 63, art. 244(4).
Arrêts mentionnés: Lazarus Estates, Ltd. c. Beasley [1956] I All E.R. 341; Medicine Hat Greenhouses Ltd. c. La Reine 79 DTC 5091. Distinction faite avec les arrêts: Fee c. Bradshaw 76 DTC 6279; Samuel Varco Ltd. c. La Reine 87 D.L.R. (3') 522; Imperial Tobacco Ltd. c. Le procureur général [1980] 2 W.L.R. 466. Arrêt suivi: Le Conseil de la Radio- Télévision canadienne c. Telepromp- ter Cable Communications Corp. [1972] C.F. 1265.
REQUÊTE. AVOCATS:
Geoffrey J. R. Dyer pour les demandeurs.
W. J. A. Hobson, c.r. et Roger E. Taylor pour
les défendeurs.
PROCUREURS:
McDonald & Hayden, Toronto, pour les demandeurs.
Le sous-procureur général du Canada pour les défendeurs.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE MAHONEY: Les défendeurs sollicitent la radiation de la déclaration au motif que la présente Cour n'a pas compétence pour accorder le redressement demandé, que la déclaration ne révèle aucune cause raisonnable d'action et que l'action est futile ou vexatoire. Les demandeurs sollicitent un jugement déclarant qu'un certificat délivré en vertu du paragraphe 244(4) de la Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, c. 63,' et daté du 16 avril 1980 [TRADUCTION] «manque de base factuelle» et est, par conséquent, nul et de nul effet. L'avocat des demandeurs prétend que le choix des termes était [TRADUCTION] «une ques tion de goût» et qu'il modifierait, le cas échéant, la demande de redressement en y substituant ou y ajoutant l'expression [TRADUCTION] «établi frau- duleusement». Je statuerai sur cette demande comme si cette modification avait été faite. Les demandeurs sollicitent aussi la Cour de rendre un jugement déclarant prescrite, et par conséquent nulle, une dénonciation déposée le 22 juin 1979 contre eux pour évasion fiscale.
Les demandeurs font valoir qu'ils ne disposent d'aucune autre voie de recours contre cette dénon- ciation, puisque le certificat constitue une preuve concluante devant une autre juridiction. Il m'est difficile de croire que quelque tribunal puisse en décider ainsi si le certificat se révélait effective- ment frauduleux. A propos de fraude, le lord juge Parker s'est, dans des circonstances à peu près semblables, exprimé en ces termes:
[TRADUCTION] ... cet élément, une fois établi, vicie tout acte juridique quelque solennel qu'il puisse être.'
' 244... .
(4) Une dénonciation ou une plainte en vertu des dispositions du Code criminel relative aux déclarations sommaires de culpa- bilité à l'égard d'une infraction à la présente loi peut être déposée ou faite au plus tard 5 ans après la date le sujet qui a donné lieu à la dénonciation ou à la plainte a pris naissance, ou dans l'année qui suit le jour une preuve suffisante, de l'avis du Ministre, pour justifier une poursuite relative à l'in- fraction, est venue à sa connaissance, et le certificat du Minis- tre quant au jour cette preuve est venue à sa connaissance en est une preuve concluante.
2 Lazarus Estates, Ltd. c. Beasley [ 1956] 1 All E.R. 341 à la p. 351.
Cette conclusion, le lord juge Denning, tel était alors son titre, la fait sienne à la page 345:
[TRADUCTION] La fraude vicie tout.
Dans une décision, applicable en l'espèce, de la Cour suprême d'appel d'Alberta 3 , le juge d'appel Lieberman a dit ceci:
[TRADUCTION] ... j'aimerais faire des observations sur l'ex- pression «preuve concluante», telle qu'elle est utilisée dans l'art. 244(4). 11 importe de souligner qu'en traitant de cette question, je tiens pour acquis qu'il n'y a pas eu intention frauduleuse ou motif illicite dans l'indication de la date contenue dans les certificats.
Je conviens que la présente Cour n'a nullement compétence pour statuer sur cette dénonciation, qui relève d'un autre tribunal à l'égard de la procédure duquel elle n'est investie d'aucun pou- voir de contrôle. Un jugement déclaratoire qui ferait inévitablement et directement obstacle au déroulement de la procédure devant cette juridic- tion ne peut être sollicité devant la présente Cour. Il n'en est pas de même pour le certificat. Il ne s'agit pas d'une procédure intentée devant une autre juridiction. Il s'agit plutôt d'un document produit comme preuve devant cette juridiction.
Dans l'arrêt Fee c. Bradshaw 4 , la présente Cour a, dans des circonstances apparemment sembla- bles, décidé qu'elle n'avait pas le pouvoir de véri- fier la véracité des faits énoncés dans le certificat prévu au paragraphe 244(4). Cette décision fut rendue à l'issue d'une audition relativement à une procédure engagée au moyen d'un avis introductif de requête. Les contribuables avaient eu l'occasion de produire des preuves. La fraude n'était, semble- t-il, pas expressément alléguée. Il n'en est pas de même dans la présente demande de radiation de la déclaration. La fraude est alléguée. Aucun élément de preuve ne peut être admis à ce moment-ci. Je me vois dans l'obligation de présumer que la pré- tention des demandeurs dans la déclaration est véridique et qu'elle sera éventuellement prouvée lors de l'instruction de l'action.
3 Medicine Hat Greenhouses Ltd. c. La Reine 79 DTC 5091 à la p. 5097.
4 76 DTC 6279.
En appel, la Cour d'appel fédérale s, dans un arrêt prononcé à l'audience mais qui, malheureuse- ment, ne semble pas avoir été publié, a confirmé la décision Fee en ces termes:
[TRADUCTION] Même en admettant que la Division de pre- mière instance ait eu le pouvoir d'examiner l'exactitude du certificat du Ministre en l'espèce, nous estimons que la demande de l'appelant devait néanmoins être rejetée, puisqu'il est clair que, à notre avis, l'article 244(4) de la Loi de l'impôt sur le revenu fait référence à la connaissance personnelle du Ministre et non à celle des préposés de son ministère.
Le pourvoi formé contre cette décision devant la Cour suprême du Canada est en cours.
Bien que la Cour d'appel n'ait pas jugé utile de trancher la question de compétence, elle n'a pas, à l'évidence, voulu fonder sa décision sur le défaut de compétence. Je vois en ce refus une certaine confirmation de mon point de vue selon lequel l'action ne devrait pas être sommairement rejetée pour défaut évident de compétence pour accorder le redressement demandé. La raison pour laquelle la Cour d'appel a rejeté la demande ne doit pas s'appliquer au cas la fraude est établie. Si elle devait l'être, la protection contre les poursuites dilatoires fournie par le paragraphe 244(4) serait, bien qu'il y ait eu fraude, illusoire, lorsque le Ministre ne prend pas lui-même la décision de poursuivre. Or, telle ne peut avoir été l'intention du législateur.
Je sais que dans de nombreuses affaires les tribunaux civils ont refusé d'exercer leur compé- tence pour rendre un jugement déclaratoire lors- que des procédures pénales étaient en cours 6 . Ces précédents ne s'appliquent pas toutefois à la ques tion de savoir s'il y aurait lieu de radier une déclaration. Voici, à ce sujet, le critère adopté par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Le Conseil de la Radio-Télévision canadienne c. Teleprompter Cable Communications Corp. 7 :
... la question soumise à la Cour au sujet de la déclaration demandée n'est pas non plus de savoir si, d'après ces faits, la déclaration demandée doit être accordée, mais si, d'après les faits avancés, une déclaration accordée, lors du procès, à la discrétion de la Cour serait valide.
5 du greffe: A-210-76. Décision rendue le 5 avril 1978. Copie des motifs prononcés à l'audience annexée au compte rendu de l'audition.
6 P. ex Samuel Varco Ltd. c. La Reine (C.F.D.P.I.) (1978) 87 D.L.R. (3') 522. Imperial Tobacco Ltd. c. Le procureur général (C.L.) [1980] 2 W.L.R. 466.
7 [1972] C.F. 1265 à la page 1270.
En outre, d'après les faits avancés ... il n'est pas inconve- nable, à mon avis, que la Cour accorde une déclaration du genre de celle qui est demandée, dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire d'un magistrat ...
J'estime, par conséquent, qu'il ne faut pas mettre un terme à cette instance pour le moment en radiant la déclaration ...
Voici les faits importants avancés, dans l'ordre chronologique:
1. Donald R. Banks, un fonctionnaire du minis- tère du Revenu national, chargé des enquêtes spéciales, commença, en mai 1974, son enquête sur les affaires des demandeurs.
2. En décembre 1975, il avisa les demandeurs qu'il comptait finir l'enquête en trois mois et qu'il n'avait pas l'intention de recommander de poursuite relativement à la construction, en 1972, d'une piscine par Usarco pour Levy.
3. Banks poursuivit son enquête sur d'autres questions n'ayant aucun rapport avec cette dernière.
4. En avril 1978, les demandeurs furent infor més par J. R. Giles, directeur-impôt, Hamilton, que Banks avait fini son enquête sur leur entre- prise et que ale Ministère» était disposé à discu- ter, avec eux, en mai 1978, des résultats de l'enquête.
5. Le 22 juin 1979, Banks dénonça l'évasion fiscale découlant uniquement de l'avantage con- féré à la suite de la construction de la piscine.
6. Sur la base de cette dénonciation, le procu- reur général choisit la poursuite par voie de déclaration sommaire de culpabilité.
7. Le 16 avril 1980, Giles signa, conformément au paragraphe 244(4), un certificat énonçant qu'une preuve suffisante, de l'avis du Ministre, pour justifier une poursuite relative à l'infrac- tion en question était venue à la connaissance du Ministre le 26 juin 1978.
A l'époque en cause, Giles était un fonctionnaire nommé en vertu de l'alinéa 900(2)b) du Règle- ment de l'impôt sur le revenu 8 , pris conformément
8 C.R.C. 1978, Vol. X, c. 945.
à l'alinéa 221(1)f) de la Loi, pour exercer les pouvoirs et remplir les fonctions du Ministre sous le régime du paragraphe 244(4) de la Loi. En tenant, comme je dois le faire, pour vrais tous les faits allégués dans la déclaration, il s'ensuivrait, selon les déductions des demandeurs, qu'en pre mier lieu, Giles doit avoir été en possession de tous les éléments de preuve qu'il a pu réunir pas plus tard qu'en mai 1978, et qu'en second lieu, agissant à la place du Ministre, il ne pouvait pas sincère- ment attester que ces éléments de preuve étaient venus à la connaissance de ce dernier en juin ce qui rend son attestation mensongère frauduleuse. Bien que l'avocat s'indigne de ce que ces allégations puissent être faites par les demandeurs et enten- dues par la Cour, je ne saurais, à la lumière des faits avancés, accueillir l'argument voulant que ces conclusions soient si excessives qu'il y aurait lieu de statuer sommairement que la déclaration doit être rejetée pour absence de cause raisonnable d'action.
Comme indiqué plus haut j'ai, pour statuer sur la présente action, considéré que la modification promise faisant expressément état de fraude avait été apportée à la déclaration. Il est clair que cette modification enlève à l'action tout caractère futile ou simplement vexatoire. Je ne me suis pas demandé ce qu'aurait été l'issue de l'action à défaut de cette modification. Peut-être la question sera-t-elle tranchée par la Cour suprême du Canada lorsqu'elle statuera sur l'affaire Fee. Je m'abstiens de toute opinion sur la possibilité que la présente Cour se prévale de son pouvoir souverain pour rendre le jugement déclaratoire sollicité. Tou- tefois, j'espère que le fait que la présente action soit en cours ne retardera pas les procédures crimi- nelles si le tribunal de juridiction criminelle se trouve en mesure de statuer sur l'allégation de fraude, pourvu que le point soit soulevé devant lui.
ORDONNANCE
Le paragraphe 10b) de la déclaration, qui se rapporte à la dénonciation, sera radié. Les deman- deurs ont jusqu'au 15 septembre 1980 au plus tard pour modifier le paragraphe 10a) de la déclaration en y ajoutant ou substituant une mention expresse portant que le certificat a été frauduleusement établi et toute autre modification qu'ils pourront juger utile, faute de quoi la déclaration sera radiée et l'action rejetée avec dépens. Les procédures
seront entre-temps suspendues. Si ladite modifica tion est apportée, la déclaration, à l'exception du paragraphe 10b), restera sans changement et les dépens de la présente demande suivront l'issue de la cause.
 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.