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T-877-76
Antoine Guertin Ltée (Demanderesse)
c.
La Reine (Défenderesse)
Division de première instance, le juge Dubé— Montréal, 9 et 10 décembre 1980; Ottawa, 6 jan- vier 1981.
Impôt sur le revenu Calcul du revenu Déductions Appel de cotisations II échet d'examiner si la portion des primes d'assurance sur la vie donnée en garantie d'un prêt est déductible II échet d'examiner si les salaires versés à deux directeurs sont raisonnables compte tenu des preuves adminis- trées Il échet d'examiner si le recours à une organisation de charité, à qui la demanderesse et ses employés ont fait des dons, constituait un pur simulacre orchestré par la demande- resse aux fins de réduire artificiellement son revenu Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, c. 148, art. 11(1)cb)(ii), S.C. 1970-71-72, c. 63, art. 20(1)e)(ii) et 245(1).
La demanderesse forme appel des cotisations pour les années d'imposition 1970, 1971 et 1972 l'endroit de primes d'assu- rance sur la vie, de salaires et de dons de charité. (1) Les primes d'assurance: il avait été décidé qu'une partie des primes d'une police d'assurance sur la vie—partie qui représentait le coût d'une police temporaire—donnée en garantie d'un prêt, n'était pas déductible pour le motif que ces primes achetaient une assurance permanente et que la demanderesse acquérait un actif de nature capitale. (2) Les salaires: la demanderesse avait versé à la mère et à la soeur du président (toutes deux directri- ces) des salaires; ils furent réduits dans chaque cas parce qu'ils s'avéraient déraisonnables. (3) Les dons de charité: en 1972, la Fondation St-Pie, une organisation de charité créée par le fondateur de la demanderesse, avait reçu de la demanderesse et de ses employés des dons de charité (dont une partie provenait des bonis de cette dernière). Il échet d'examiner si l'utilisation de la Fondation constitue un pur simulacre orchestré par la demanderesse aux fins de réduire artificiellement son revenu.
Arrêt: l'appel est accueilli. (1) Les primes d'assurance: une somme égale au montant de la prime pour l'assurance-vie temporaire (sans valeur de rachat) correspondant à la dette à être remboursée est déductible en vertu de l'article 20(1)e)(ii) de la Loi de l'impôt sur le revenu. C'est une dépense engagée dans l'année à l'occasion d'un emprunt en vue de tirer un revenu d'une entreprise. (2) Les salaires: la preuve administrée démontre que les salaires versés à la mère du président n'étaient pas déraisonnables, contrairement à ceux versés à sa soeur dont la participation et l'expérience étaient infimes. (3) Les dons de charité: il ne s'agit pas en l'espèce d'une série d'opérations fictives. Toutes les transactions entre la demanderesse et la Fondation ont été inscrites dans les livres des deux entités et fidèlement rapportées à l'impôt. La Fondation est enregistrée comme organisation de charité en vertu de l'article 110(1)a) de la Loi, autorisant la déductibilité des dons. L'objectif principal de ces opérations n'était pas de réduire artificiellement le revenu mais plutôt de réaliser à l'intérieur des cadres de la Loi un idéal, à la fois pratique et généreux. S'il y avait présomption d'artifice, elle a été surmontée.
Distinction faite avec l'arrêt: Equitable Acceptance Corp. Ltd. c. Le ministre du Revenu national [1964] R.C.É. 859. Arrêts examinés: Snook c. London & West Riding Invest ments, Ltd. [1967] 1 All E.R. 518; Le ministre du Revenu national c. T. R. Merritt Estate [ 1969] 2 R.C.É. 51.
APPEL en matière d'impôt sur le revenu. AVOCATS:
Claude Desaulniers pour la demanderesse. Roger Roy et Daniel Verdon pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Stikeman, Elliott, Tamaki, Mercier & Robb, Montréal, pour la demanderesse.
Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse.
Voici les motifs du jugement rendus en français par
LE JUGE DUBÉ: La demanderesse, incorporée au Québec en 1946, exploite un moulin pour la fabri cation de moulées ainsi que des fermes à St-Pie.
Elle en appelle des cotisations du Ministre pour les années d'imposition 1970, 1971 et 1972 l'en- droit de primes d'assurance sur la vie du président, Jacques A. Guertin, de salaires payés à la mère du président (madame Antoine Guertin) et à la soeur du président (madame Andrée Gaudreault), et de dons de charité versés par la demanderesse et ses employés à la Fondation St-Pie.
1. Les primes d'assurance
En 1969, la demanderesse a emprunté de la Banque d'Expansion Industrielle la somme de $300,000—pour l'achat et la mise en opération de fermes—en garantie de laquelle somme la Banque a exigé le transport d'une assurance sur la vie du président au montant de $200,000 et du gérant, Emile Cordeau, au montant de $100,000. Le Ministre a accepté la déduction des primes d'assu- rance temporaire pour Émile Cordeau, mais a refusé la déduction des primes de $1,090 sur la vie du président pour le motif que ces primes ache- taient une assurance permanente et que la deman- deresse acquérait ainsi un actif de nature capitale.
Par contre, le comptable de la demanderesse a expliqué au tribunal que sa cliente n'a comptabi- lisé aux dépenses que le coût d'une police tempo-
raire et a porté la différence contre son surplus. Pour une police temporaire de vingt ans au mon- tant de $200,000 en date du 15 juin 1969 pour Jacques Guertin, âgé alors de 34 ans, la prime annuelle se chiffrait à $1,090. L'intention de la compagnie a été de n'imputer aux dépenses que la portion de la prime applicable à l'emprunt. La demanderesse n'a pas imputé la prime annuelle complète de $4,022 laquelle représente une prime sur l'assurance-vie avec valeur de rachat. L'année 1973 confirme cette intention: le montant de $1,090 de prime a été réduit à $1,030.05 vu que l'emprunt de $200,000 était alors rendu à $189,000.
A mon avis, cette partie de la prime ($1,090) doit être considérée comme une dépense engagée dans l'année à l'occasion d'un emprunt d'argent utilisé par le contribuable pour gagner un revenu provenant d'une entreprise, en l'occurrence une entreprise agricole comprenant un terrain, des bâtiments, de la machinerie et de l'outillage. Le transport d'une assurance de $200,000 sur la vie du président, jusqu'au repaiement de la dette, était une condition essentielle du prêt.
Une somme égale au montant de la prime pour l'assurance-vie temporaire (sans valeur de rachat) correspondant à la dette à être remboursée est donc déductible en vertu du sous-alinéa 11(1)cb)(ii) de l'ancienne Loi [Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, c. 148, modifiée] et du sous-alinéa 20(1)e)(ii) de la nouvelle Loi [S.C. 1970-71-72, c. 63, ci-après appelée la Loi], lequel sous-alinéa se lit:
20. (1) ...
e) une dépense engagée dans l'année,
(ii) à l'occasion d'un emprunt contracté par le contribuable et utilisé en vue de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien (autre que l'argent utilisé par le contribuable pour acquérir un bien dont le revenu serait exonéré d'impôt),'
Dans l'affaire Equitable Acceptance Corpora tion Ltd. c. M.R.N. 2 , mon collègue le juge Catta- nach a décidé que des primes de police d'assurance sur la vie du président de la demanderesse
' L'exception entre parenthèses ne s'applique pas ici puisqu'il n'est pas allégué que le revenu de la ferme achetée par la demanderesse serait exonéré d'impôt.
2 [19641 R.C.É. 859.
n'étaient pas déductibles, précisément parce qu'il s'agissait d'assurances permanentes ne se limitant pas à la durée de l'emprunt mais à toute la vie de l'assuré, avec valeur de rachat, et que donc ces polices constituaient un actif durable sur lequel la compagnie pouvait emprunter à nouveau une fois le premier emprunt acquitté.
Une telle prime, bien sûr, n'était pas déductible; mais un montant égal à la prime d'une assurance- vie temporaire couvrant le montant de l'emprunt est déductible aussi bien pour le président d'An- toine Guertin Ltée que pour le gérant, même si dans le premier cas la compagnie s'est procuré une assurance permanente—non pas pour échapper à l'impôt mais pour économiser—et dans le second, une assurance temporaire.
2. Salaires payés à mesdames Guertin et Gaudreault
Pour les années d'imposition en question, la demanderesse déclare avoir versé à mesdames Guertin et Gaudreault les salaires suivants sur lesquels elles ont payé l'impôt:
1970
Madame Guertin $17,681.81
Madame Gaudreault $13,346.83
1971
Madame Guertin $12,631.72
Madame Gaudreault $ 8,911.95
1972
Madame Guertin $12,994.68
Madame Gaudreault $ 9,156.95
Le Ministre a réduit à $3,000 par année les salaires précités alléguant qu'ils s'avèrent dérai- sonnables compte tenu de l'infime participation de ces deux directrices de la compagnie, de leur minime expérience, et de leur absence presque totale des lieux de l'entreprise.
Selon le témoignage de Jacques Guertin, lequel n'a pas été contredit, sa mère a participé à la fondation de l'entreprise aux côtés de son père. Elle y a elle-même investi des fonds en provenance de son héritage. Depuis les débuts, elle voyait au financement et à la gestion de la compagnie. Son mari, Antoine Guertin, s'occupait plutôt de la machinerie du moulin et de la technique. C'est madame Guertin qui rencontrait les fournisseurs, assistait aux conventions.
Après le départ de son mari, madame Guertin a continué à s'intéresser au bon fonctionnement de l'entreprise. A tous les midis, elle rencontrait le nouveau président, son fils, à la table de la de- meure familiale située en face du moulin. C'est que les problèmes de la journée étaient discutés et réglés. Elle assistait à toutes les réunions du con- seil d'administration; elle se rendait au bureau pour vérifier l'état des affaires. C'est elle qui si- gnait les chèques en l'absence du président. Alors que son mari s'était retiré pour cause de sa santé et avait commencé à prendre des vacances de plus en plus longues au Grand Bahama et dans le Maine, l'apport expérimenté de l'épouse gagnait de l'im- portance. Dans les circonstances, je ne considère pas les salaires payés à madame Guertin comme étant déraisonnables et je crois juste qu'ils soient acceptés par le Ministre.
Par contre, la situation me semble différente en ce qui a trait aux salaires payés à madame Gau- dreault. Cette dernière ne vivait même pas à St-Pie, mais en banlieue de Montréal. Elle assistait bien aux réunions du conseil d'administration et rendait certains services quand la compagnie vou- lait transiger à Montréal, soit auprès des fournis- seurs, soit pour effectuer quelques courses au nom de la compagnie. Dans son cas, la preuve démontre que la participation a été en effet très minime. Son expérience des affaires de la demanderesse est également infime. La réduction de son salaire à $3,000 par année aux fins de l'impôt est donc raisonnable et doit être confirmée.
3. Dons à la Fondation St-Pie
La Fondation a été incorporée le 23 décembre 1960 selon la Partie III de la Loi des compagnies de Québec, S.R.Q 1941, c. 276. C'est une organi sation de charité reconnue par le ministère du Revenu national portant le numéro d'enregistre- ment 0133801-03-08. Elle verse tous ses revenus aux missions étrangères.
Antoine Guertin, le fondateur de la compagnie demanderesse, était également le créateur de la Fondation St-Pie. Il appert qu'il était une personne extrêmement religieuse. Il était l'instigateur du «Chapelet en famille», une émission d'un poste de radio de Montréal. Deux de ses filles sont devenues religieuses cloîtrées. Lui-même a tenté de devenir prêtre à l'âge de 65 ans, quelques années avant sa
mort. Profondément intéressé aux missions, il s'est révélé un zélateur généreux, surtout à l'endroit de la Mission de St-Hyacinthe au Brésil, une commu- nauté de son diocèse. C'est cette dernière Mission qui recevait le gros des revenus distribués chaque année par la Fondation. Au cours de l'année 1972, la seule année visée par le présent appel en ce qui a trait aux dons, cette Mission a reçu $5,000 des $7,336 distribués.
Pour l'année d'imposition en question, la deman- deresse a remis à la Fondation un chèque de $12,400 à titre de don de charité. De plus, la demanderesse, au cours de cette période, a remis à ses employés des bonis au montant de $111,653.60 et, à même ces bonis, les employés ont versé une somme totale de $39,155 en don de charité à la Fondation. Au cours des années, la compagnie remettait généralement un seul chèque de boni à chaque employé. Pour l'année 1972, le comptable St-Onge a pris l'initiative de diviser les bonis en trois, une partie pour la Fondation, une autre à titre de prêt à la demanderesse pour être versée à un fonds de pension au bénéfice des employés, et une troisième tranche représentant le solde du boni à être conservée entre les mains des employés. St-Onge a donc remis trois chèques à chaque employé pour cette année-là.
Selon la défense, «l'utilisation de la Fondation St-Pie, alliée à la complicité des employés, consti- tue une pure simulation orchestrée par la deman- deresse aux fins de réduire artificiellement son revenu>. La défense ajoute que les montants de $39,155 et de $12,400 «constituent des déboursés relativement à une affaire ou opération, que s'ils étaient permis, réduiraient indûment ou de façon factice le revenu de la demanderesse, le tout con- trairement à l'article 245 (1) de la Loi». L'article se lit comme suit:
245. (1) Dans le calcul du revenu aux fins de la présente loi, aucune déduction ne peut être faite à l'égard d'un débours fait ou d'une dépense faite ou engagée, relativement à une affaire ou opération qui, si elle était permise, réduirait indûment ou de façon factice le revenu.
D'après son fils, l'idée d'octroyer des bonis était venue à Antoine Guertin à la lecture d'un article du Digest vantant les mérites de cette formule comme encouragement à la participation des employés au progrès d'une entreprise. La pratique de ces bonis continue encore chez la demanderesse. Selon le président actuel, les résultats sont pro-
bants: il n'y a jamais eu de conflit ouvrier au moulin et les bénéfices augmentent chaque année.
La liste des bonis est préparée par le conseil d'administration. Selon le président, les montants individuels du boni reposent sur trois facteurs: l'augmentation du coût de la vie, le nombre d'an- nées de service, et le rendement individuel. La somme totale à être divisée dépend des profits de la compagnie. (L'année 1972 avait été excellente.)
A l'époque, Antoine Guertin prenait la liste et visitait tous les employés. Animé de son ardente ferveur missionnaire, il réussissait à les convaincre de donner généreusement. Il n'est pas impossible, même probable, qu'il leur ait fait miroiter la possi- bilité de bonis plus ou moins intéressants selon la générosité des dons. Pour l'année en cause, une série de chèques d'Antoine Guertin Ltée en date du 30 novembre 1972 (au terme de l'année fiscale de la compagnie) au nom des employés a donc été endossée par ces derniers avec la mention «Dépôt au capital de la Fondation St-Pie». Ces chèques au montant global de $39,155 (ainsi que le chèque de $12,400 de la compagnie) furent remis à cette date au compte de la Fondation St-Pie et encaissés par elle le 22 décembre 1972.
Ces fonds au montant total de $51,555 furent immédiatement prêtés par la Fondation à la demanderesse qui lui remit un nouveau billet pro- missoire au même montant portant intérêt au taux de 7%. Au cours des années précédentes, la Fonda- tion avait ainsi prêté les dons reçus à la demande- resse sur billets promissoires. La pratique s'est continuée d'année en année, au mois de novembre, alors que le total des dons était prêté à la deman- deresse sur billet promissoire. En retour, la deman- deresse paie des intérêts de 7% à la Fondation et ce sont ces revenus qui sont par après distribués aux missions.
La Fondation produit régulièrement les rapports financiers et autres formulaires requis par le ministère du Revenu national. Tout donateur peut devenir membre actif de la Fondation sur accepta- tion du bureau de direction. Les directeurs ne sont pas des employés de la compagnie, à l'exception d'Émile Cordeau qui était auparavant gérant de la demanderesse et maintenant de Jean St-Onge, son successeur à titre de gérant de la demanderesse et
à titre également de secrétaire de la Fondation. Le fondateur Antoine Guertin n'était pas demeuré directeur de la Fondation après son incorporation.
Le capital de la Fondation a atteint les $485,000 en 1977 et il est demeuré stable. Tous ces argents sont encore prêtés à la demanderesse et les intérêts de 7% continuent à être distribués aux missions. Cordeau a quitté la demanderesse en 1972 et la Fondation en 1973. Son successeur a témoigné qu'il a suivi la tradition établie par Cordeau, y compris la pratique des dons et des prêts. Les réunions de la Fondation ont lieu au bureau de St-Onge au moulin de la demanderesse et c'est que les livres de la Fondation sont tenus.
La Fondation n'a ni local, ni bureau, ni employé. Ses seules dépenses se limitent au $10 qu'elle paie chaque année au Ministère des institu tions financières du Québec. Le solde des recettes (les intérêts du prêt à la demanderesse) est distri- bué aux missions.
Selon les témoignages de Jacques Guertin, du comptable agréé et vérificateur de la compagnie Yvon Boyer, ainsi que de Jean St-Onge, les trois seuls témoins à l'audition, le système de bonis aux employés et de dons à la Fondation reflète la pensée du fondateur des deux entités, lequel recherchait à la fois la paix industrielle à l'usine et la réalisation de ses vues spirituelles par le truche- ment de la Fondation.
D'après son fils, Antoine Guertin aurait voulu, vers la fin de sa vie, verser tous les revenus de la compagnie à la Fondation. Jacques Guertin, qui admet volontiers être beaucoup moins religieux que son père, s'est bien gardé de succomber à cette proposition.
Il reste donc à savoir si l'utilisation de la Fonda- tion constitue un pur simulacre orchestré par la demanderesse et ses employés aux fins de réduire artificiellement le revenu, comme le prétend le Ministre, ou si les bonis sont des dépenses couran- tes légitimes, engagées dans le cours des affaires de la compagnie en vue de gagner un revenu, et si les dons à la Fondation sont des déductions permi- ses et déductibles.
Malheureusement, les deux témoins qui auraient le mieux éclairci la situation, en l'occurrence le fondateur et son épouse, sont tous deux décédés. Il
n'en ressort pas moins des témoignages des trois témoins de la demanderesse que les buts essentiels visés par Antoine Guertin ont été atteints: le sys- tème de bonis assure à la compagnie une main- d'oeuvre loyale et efficace et la Fondation détient maintenant un capital constant dont les revenus annuels alimentent les missions. Cette heureuse formule procure également à la demanderesse deux autres résultats bénéfiques. Dans un premier temps, l'octroi de bonis augmente les dépenses de la compagnie et conséquemment diminue l'impôt payable; dans un deuxième temps, la compagnie jouit d'une source d'emprunt à intérêt très favorable.
Aucune des transactions précitées n'est voilée, ni illicite. La Fondation détient des lettres patentes la constituant en corporation dont les objets sont d'administrer des fonds et des contributions pour venir en aide à des institutions de charité. Adve- nant la dissolution de la corporation, ses actifs nets doivent être versés à des organisations ayant des buts similaires. La Fondation est enregistrée comme organisation de charité en vertu de l'alinéa 110(1)a) de la Loi autorisant la déductibilité des dons.
A l'exception de Cordeau en 1972 (et mainte- nant de St-Onge), les directeurs ne sont pas atta- chés à la compagnie. Les donateurs non plus ne proviennent pas exclusivement des rangs de la compagnie: le fondateur avait également sollicité les cultivateurs de la région ainsi que des fournis- seurs et autres clients. Rien n'empêche la Fonda- tion de prêter ses argents ailleurs et elle est libre d'augmenter ses taux une fois le billet expiré. La charte d'incorporation prévoit qu'advenant la dis solution, les actifs ne retournent pas à la compa- gnie mais bien à d'autres organismes dédiés au soutien des missionnaires. L'actif de la Fondation a maintenant atteint un plateau et il n'y a plus de zélateur pour prélever des dons auprès des employés ou ailleurs.
Les argents remis aux employés en 1972 titre de bonis sont entrés dans les livres de la compagnie comme tels et paraissent aux formules T-4 de ces employés comme du revenu. Leurs dons de charité sont également déclarés comme tels. Il appert que le fondateur discutait avec chaque employé, ainsi qu'avec le comptable, le montant maximum déduc- tible que chaque employé pouvait verser à la Fon-
dation. Il n'y a rien, bien sûr, de répréhensible à ce que des contribuables avertis bénéficient au maxi mum de la déductibilité de leurs dons.
Si les dons de la compagnie et de ses employés ont réduit le revenu de la demanderesse, il ne faut pas en conclure pour autant que ces dépenses sont irraisonnables et illégitimes. Analysés à la lumière des objectifs principaux qui ont présidé à l'origine de la compagnie et de la Fondation, ces dons ne m'apparaissent pas comme ayant été effectués dans le but primordial de diminuer le revenu, même si ce résultat a été obtenu, mais en vue surtout de réaliser les objectifs déjà cités. Cette réduction du revenu n'est donc pas nécessairement irréelle et artificielle 3 .
Dans ce contexte il y a lieu de répéter le passage souventefois cité de lord Diplock 4 dans Snook c. London & West Riding Investments, Ltd.:
[TRADUCTION] Quant à la prétention du demandeur que les opérations entre lui-même, Auto-Finance, Ltd., et les défende- resses étaient de la «frime» à mon avis, il est nécessaire d'exami- ner quel concept juridique, s'il en est, met en jeu l'emploi de ce mot populaire et péjoratif. Je crois que, s'il a un sens en droit, il signifie des actes faits ou des documents signés par les parties à la «frime», dans l'intention de faire croire à des tiers ou à la cour qu'ils créent entre les parties des obligations et droits légaux différents des obligations et droits légaux réels (s'il en est) que les parties ont l'intention de créer.
Je ne vois pas qu'il s'agisse en l'espèce d'une série d'opérations fictives, ou de dissimulations, ou d'évasions. Il faut toujours retenir que toutes les transactions entre la demanderesse et la Fondation ont été inscrites dans les livres des deux entités et fidèlement rapportées à l'impôt. L'objectif princi pal de ces opérations, à mon sens, n'était pas de réduire artificiellement le revenu mais plutôt de réaliser à l'intérieur des cadres de la Loi l'idéal, à la fois pratique et généreux, qui animait Antoine Guertin. Il n'a pas été démontré d'ailleurs que la demanderesse y gagne en revenu, puisqu'il ne faut pas oublier que le capital de $485,000 demeure la propriété de la Fondation: la demanderesse devra un jour rembourser son emprunt.
Le savant procureur de la défenderesse a soulevé en outre l'argument que la demanderesse et la Fondation ne traitant pas à distance, il en résulte
3 Vide Sigma Explorations Ltd. c. La Reine [1975] C.F. 624, aux pp. 634 et 635.
4 [1967] 1 All E.R. 518, à la p. 528.
une présomption que ces transactions entre les deux sont artificielles, présomption qu'il apparte- nait à la demanderesse de démolir 5 . Il se réfère plus particulièrement au passage d'un jugement de mon collègue le juge Cattanach dans M.R.N. c. T. R. Merritt Estate 6 :
[TRADUCTION] Selon moi, le principe fondamental sur lequel se fonde la présente analyse est le suivant: lorsque les négocia- tions menées au nom de chacune des deux parties au contrat sont en fait dirigées par le même «cerveau», on ne peut dire que les parties traitent à distance. En d'autres termes, lorsque la preuve révèle que la même personne «dictait» les «conditions de la transaction» au nom de chacune des deux parties, on ne peut dire que les parties traitaient à distance.
Encore une fois, même si, au début, la personne d'Antoine Guertin dominait les deux entités, la situation n'était plus la même pour la période qui nous concerne. En 1972, le seul lien existant vrai- ment entre la compagnie et la Fondation était Émile Cordeau, lequel n'était pas un actionnaire de la demanderesse. Il n'y a sûrement pas lieu de croire que ce dernier dictait les termes d'une entente entre les deux compagnies. D'ailleurs, même s'il y avait présomption d'artifice, elle a été surmontée à ma satisfaction par la preuve, laquelle établit clairement l'existence réelle de dons chari- tables acheminés vers un but précis et légitime.
Dans les circonstances, il y a lieu d'accueillir le pourvoi et d'annuler les nouvelles cotisations émises par le ministère du Revenu national à l'endroit de la demanderesse pour les années 1970, 1971 et 1972, à l'exception de la réduction à $3,000 du salaire versé à dame Andrée Gau- dreault, laquelle réduction est confirmée. Le tout avec dépens.
5 Vide Mulder Bros. Sand & Gravel Ltd. c. M.R.N. 67 DTC 475; Spur Oil Ltd. c. La Reine [1981] 1 C.F. 461; Robson Leather Co. Ltd. c. M.R.N. 77 DTC 5106.
6 [1969] 2 R.C.E. 51, aux pp. 62 et 63.
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