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T-6-81
John Helmsing Schiffahrtsgesellschaft M.b.H. (Requérante)
c.
Marechart Limited (Intimée)
Division de première instance, le juge Walsh— Montréal, 2 mars; Ottawa, 6 mars 1981.
Droit maritime Pratique Exécution d'une sentence arbitrale de droit maritime étrangère Choix de l'avis intro- ductif de requête par la requérante pour obtenir l'exécution de la sentence arbitrale prononcée en Angleterre Recours de la requérante à la Règle 5 sur les «lacunes» Il échet d'exami- ner si une sentence de ce genre peut être exécutée par l'institu- tion d'une action devant la Cour plutôt que par un avis introductif de requête Requête accueillie Comme la Cour est compétente tant personnellement, à l'égard de l'inti- mée, que matériellement, à l'égard de la sentence, une simple requête suffit pour l'homologuer Règle 5 de la Cour fédérale Code de procédure civile, art. 950.
Distinction faite avec l'arrêt: Eurobulk Ltd. c. Wood Preservation Industries [1980] 2 C.F. 245.
REQUÊTE. AVOCATS:
Gerald Barry pour la requérante. Philippe M. Gariépy pour l'intimée.
PROCUREURS:
McMaster Meighen, Montréal, pour la
requérante.
David F. H. Marier, Montréal, pour l'intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE WALSH: Le seul litige au sujet de cette requête concerne la procédure qu'a adoptée la requérante pour demander l'exécution d'une sen tence arbitrale prononcée en Angleterre. L'avocat de l'intimée ne décline pas la compétence des arbitres ni le montant de la sentence prononcée mais soutient que son exécution devrait être pour- suivie par une action engagée devant notre juridic- tion, comme ce fut le cas dans l'affaire Eurobulk Ltd. c. Wood Preservation Industries [1980] 2 C.F. 245, il fut jugé que notre juridiction détient la compétence de prononcer un jugement d'exécution d'une telle sentence. L'intimée ne con- teste pas cela.
La requérante en l'instance toutefois poursuit l'exécution de la sentence par le moyen du présent avis introductif de requête, invoquant pour ce faire la Règle 5 sur les [TRADUCTION] «lacunes», puis- que les Règles de la Cour ne disent pas comment une sentence doit être rendue exécutoire. La charte-partie fut conclue au Québec pour des car- gaisons en provenance de la Nouvelle-Ecosse et de l'Île-du-Prince-Édouard. Comme l'article 950 du Code de procédure civile du Québec, l'article 14 de l'Arbitration Act de la Nouvelle-Écosse (S.R.N.-É. 1967, c. 12) et l'article 13 de la Loi au même effet de l'Île-du-Prince-Édouard [Arbitra- tion Act, S.R.Î. P. É. 1974, c. A-14] attribuent tous aux juridictions provinciales le pouvoir de rendre exécutoires les sentences arbitrales, il n'est pas nécessaire de décider à quelle province l'affaire en cause est le plus reliée.
Il échet d'examiner si l'article 950 du Code de procédure civile du Québec ne s'applique qu'aux sentences arbitrales prononcées au Québec. Dans un article intitulé «Quelques questions de procé- dure en droit international privé québécois» ((1971) 31 R. du B. 134), un tiré à part d'un texte préparé sur le droit international privé québécois, J. G. Castel étudie la question et dit que l'ordre public québécois ne s'oppose pas à la reconnais sance des clauses compromissoires valides selon le droit québécois ou la loi étrangère les régissant. D'après l'article 950, le tribunal qui homologue la sentence ne peut s'enquérir du fond de la contesta- tion, contrairement à la procédure, selon l'article 178 du Code de procédure civile, en homologation d'un jugement étranger. Dans un article intitulé «Une réforme urgente: l'exécution des jugements étrangers au Québec» ((1978) 38 R. du B. 127), Ethel Groffier, professeur à l'Université McGill, en arrive à la même conclusion. L'affaire britanni- que de Dalmia Cement Ltd. c. National Bank of Pakistan [1974] 3 All E.R. (Q.B.D.) 189, statuait aussi en faveur de l'exécution en Angleterre, par procédure sommaire, d'une sentence arbitrale étrangère.
En l'espèce, la sentence arbitrale devint défini- tive par sa publication par l'arbitre conformément à la common law anglaise, que confirme l'article 16 de l'Arbitration Act, 1960, une loi britannique.
La requérante, à l'audience, a modifié la requête de sorte qu'au lieu que l'intérêt sur $5,838.24
coure, à compter du 6 janvier 1977, [TRADUC- TION] «à 12.50% l'an», il faut maintenant lire [TRADUCTION] «à 8.00% l'an jusqu'au 15 février 1980 et à 12.50% l'an par la suite» de façon à la faire correspondre aux termes de la sentence.
Étant donné que si la présente demande était rejetée, la requérante n'aurait qu'à engager une action demandant un jugement semblable, tout ce que l'intimée peut gagner à la contester c'est de retarder les choses sans doute au risque de voir les frais s'élever, outre ceux d'avoir eu gain de cause en la présente instance. Ce qui ne veut pas dire que la contestation de l'intimée soit injustifiée ni sans fondement cependant; la question est importante, surtout pour ce qui est du choix de la procédure d'exécution de ces sentences arbitrales, une situa tion pouvant fort bien se représenter assez fré- quemment à l'avenir.
Comme le juge Dubé le fait remarquer dans l'affaire Eurobulk (précitée) la compétence d'ami- rauté en matière d'arbitrage et d'exécution de sentences arbitrales a été attribuée par l'article 23 de The Admiralty Jurisdiction Court Act, 1861, 24 & 25 Vict., c. 10. Cette loi fut adoptée par la Colonial Courts of Admiralty Act, 1890, 53 & 54 Vict., c. 27, et est incorporée, par renvoi à l'article 2, à la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2 e Supp.), c. 10 (voir Tropwood A.G. c. Sivaco Wire & Nail Co. [1979] 2 R.C.S. 157).
Il n'y a pas de loi canadienne sur l'arbitrage. Le juge Dubé dit, aux pages 248 et 249:
La demanderesse a décidé de ne pas épuiser toutes les voies de recours prévues par la loi britannique, mais de saisir un tribunal canadien, étant donné que la défenderesse a des actifs au Canada, alors qu'elle n'en possède probablement pas en Angleterre.
Si une sentence arbitrale était un jugement étranger pro- noncé par une cour de justice, la Cour fédérale du Canada n'aurait pas compétence pour en assurer l'exécution. Contraire- ment à l'Angleterre, le Canada n'est pas un pays unitaire; ses provinces, comme je l'ai souligné plus haut, jouissent d'une compétence exclusive en matière d'exécution des jugements étrangers.
Néanmoins, tel n'est pas le cas en l'espèce. La demande de la demanderesse est née d'une charte-partie que les parties en cause ont conclue. Celles-ci avaient en outre convenu de se soumettre à la sentence arbitrale qui a été rendue et qui est maintenant en suspens. [TRADUCTION] «Une action relative à une sentence arbitrale est au fond une action tendant à l'exécu- tion d'une convention, implicitement contenue dans le fait de recourir à l'arbitrage, selon laquelle les parties s'engagent à payer ou à faire ce que décidera l'arbitre».
Comme il a été dit, le litige entre les parties dans cette affaire n'est pas que la Cour est incom- pétente mais plutôt de savoir si une sentence arbi- trale britannique ne peut être rendue exécutoire que par une action engagée devant la Cour et non par la voie d'un avis introductif de requête. Le jugement Eurobulk se borne à dire pour droit qu'elle peut être rendue exécutoire par une action mais ne pose pas la question de savoir si on pourrait arriver aux mêmes résultats par un avis introductif de requête.
Il y a peu de chose dans les Règles de la Cour qui dise quand une procédure peut être engagée par un avis introductif de requête et c'est pourquoi la requérante demande l'application de la Règle 5, que voici:
Règle 5. Dans toute procédure devant la Cour, lorsque se pose une question non autrement visée par une disposition d'une loi du Parlement du Canada ni par une règle ou ordonnance générale de la Cour (hormis la présente Règle), la Cour déterminera (soit sur requête préliminaire sollicitant des ins tructions, soit après la survenance de l'événement si aucune requête de ce genre n'a été formulée) la pratique et la procé- dure à suivre pour cette question par analogie
a) avec les autres dispositions des présentes Règles, ou
b) avec la pratique et la procédure en vigueur pour des procédures semblables devant les tribunaux de la province à laquelle se rapporte plus particulièrement l'objet des procédures,
selon ce qui, de l'avis de la Cour, convient le mieux en l'espèce.
Certes, il a fréquemment été jugé qu'il s'agit d'une Règle qui ne doit pas être appliquée trop libéralement, afin de ne pas introduire dans les règles de procédure de la Cour le droit judiciaire privé des diverses provinces simplement parce que les Règles de la Cour ne prévoient pas une procé- dure semblable; néanmoins, il est fondamental que les règles de pratique soient destinées à rationaliser et à faciliter le cours des affaires lorsqu'il est nécessaire de statuer. Il ne semble n'y avoir aucun avantage à insister, dans le cas d'une sentence arbitrale qui est de la compétence de la Cour, pour qu'il y ait obligation d'intenter une action pour la rendre exécutoire alors qu'elle peut l'être, comme dans la province de Québec, sur simple requête.
Voici l'article 950 du Code de procédure civile du Québec:
950. La sentence arbitrale ne peut être exécutée que sous l'autorité du tribunal compétent, et sur requête en homologa- tion, pour faire condamner la partie à l'exécuter.
Le tribunal saisi peut entrer dans l'examen des nullités dont la sentence pourrait être entachée ou des autres questions de forme qui peuvent en empêcher l'homologation; il ne peut toutefois s'enquérir du fond de la contestation.
La requérante soutient, à bon droit à mon sens, puisque la Cour est compétente tant ratione perso nae, à l'égard de l'intimée, que ratione materiae, à l'égard de la sentence, qu'une simple requête devrait suffire pour l'homologuer. (Il est intéres- sant de noter qu'en Angleterre, l'Arbitration Act, 1889, 52 & 53 Vict., c. 49, dispose à son article 12 que: [TRADUCTION] «Sur demande, une sentence arbitrale peut, sur autorisation de la Cour ou du juge, être exécutée de la même manière qu'un jugement ou une ordonnance au même effet».)
Cette requête est de droit nouveau mais il me paraît désirable de simplifier la procédure dans la mesure c'est possible sans causer quelque préjudice.
Sera donc lancée une ordonnance comme demandé, sous réserve de la modification apportée, avec dépens.
ORDONNANCE
Autorisation est par la présente donnée d'exé- cuter la sentence arbitrale prononcée en date du 15 février 1980 entre la requérante et l'intimée, pour la somme de $10,694.04, avec intérêt, courant sur $5,838.24, compter du 6 janvier 1977, 8.00% l'an, jusqu'au 15 février 1980, et par la suite à 12.50% l'an, et courant sur $2,020.93, compter du 15 février 1980, et sur $2,834.87, compter du 16 juin 1980, dans les deux cas au taux de 12.50% l'an, courant sur toutes lesdites sommes jusqu'à parfait paiement, tant avant qu'après jugement, le tout avec les dépens de la présente instance, taxés à l'encontre de l'intimée.
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