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A-665-80
Eduardo Saraos (Requérant) c.
Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration du Canada et la Commission d'appel de l'immigration (Intimés)
Cour d'appel, les juges Pratte et Urie et le juge suppléant MacKay—Winnipeg, 10 mars; Ottawa, 15 avril 1981.
Examen judiciaire Immigration Demande d'examen et d'annulation de la décision par laquelle la Commission d'ap- pel de l'immigration a statué que le requérant n'est pas un réfugié au sens de la Convention En rendant sa décision, la Commission a tenu compte de l'interrogatoire dl; beau-frère du requérant par l'avocat de celui-ci devant un agent d'immi- gration supérieur Il échet d'examiner si la Commission pouvait tenir compte de ce témoignage Demande rejetée Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10, art. 28 Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, c. 52, art. 45, 70, 71.
Arrêts mentionnés: Tapia c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration [1979] 2 C.F. 468; Leiva c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration, A-251-79; Brannson c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration, A-161-80; Colima c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration, A-286-80; Brempong c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration [1981] 1 C.F. 211; Mensah c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration [1982] 1 C.F. 70; Le procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat of Canada [1980] 2 R.C.S. 735.
DEMANDE d'examen judiciaire. AVOCATS:
D. Matas pour le requérant. B. Hay pour les intimés.
PROCUREURS:
David Matas, Winnipeg, pour le requérant. Le sous-procureur général du Canada pour les intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE PRATTE: La présente demande, fondée sur l'article 28, tend à l'examen et à l'annulation de la décision par laquelle la Commission d'appel de l'immigration a, en application du paragraphe 71(1) de la Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, c. 52, statué que le requérant n'était pas un réfugié au sens de la Convention.
Nous avons affirmé à l'audition qu'à notre avis, un seul des nombreux arguments avancés pour le compte du requérant méritait d'être pris en consi- dération. Il s'agit de celui voulant que la décision attaquée soit mal fondée du fait qu'elle repose sur des éléments de preuve dont la Commission n'avait pas le droit de tenir compte pour statuer en appli cation du paragraphe 71(1).
Les parties reconnaissent que, durant l'interro- gatoire sous serment du requérant prévu au para- graphe 45(1), l'agent d'immigration supérieur a permis à l'avocat du requérant d'interroger le beau-frère de ce dernier. Son témoignage ayant été joint à la transcription de l'interrogatoire sous serment du requérant qui, conformément au para- graphe 70(2), devait être déposée devant la Com mission, il faisait partie des pièces déposées devant la Commission. Les motifs donnés par la Commis sion pour refuser que la demande de réexamen suive son cours prouvent qu'elle a pris ce témoi- gnage en considération.
L'avocat du requérant soutient que la Commis sion n'aurait pas tenir compte du témoignage du beau-frère du requérant et que cette irrégula- rité a vicié sa décision. Il a invoqué trois juge- ments' od cette Cour a infirmé des décisions ren- dues par la Commission en application du paragraphe 71(1) pour le simple motif que cette dernière avait, pour statuer, tenu compte d'élé- ments de preuve autres que les documents énumé- rés au paragraphe 70(2).
Ces affaires ont évidemment été jugées selon les faits particuliers à chacune et elles reflètent l'inter- prétation donnée par la Cour aux paragraphes 70(2) et 71(1)à partir desdits faits. Cependant, à cause des nombreuses situations de fait qui peu- vent se présenter, je pense que la question exami née dans ces affaires exige d'être approfondie.
Il faut d'abord se rappeler les principales dispo sitions de la Loi sur l'immigration de 1976 concer- nant la reconnaissance du statut de réfugié qui,
1 Tapia c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration [1979] 2 C.F. 468; Leiva c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration, dossier A-251-79, en date du 24 juillet 1979. [Motifs du jugement non fournis—l'arrêtiste.] Brannson c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration, dossier A-161-80, en date du 9 octobre 1980. Ces décisions ont été suivies dans: Colima c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration, dossier A-286-80, en date du 23 février 1981.
comme chacun le sait, peut comporter deux étapes: une décision du Ministre et un réexamen par la Commission d'appel de l'immigration.
Les principales dispositions relatives à la déci- sion du Ministre se trouvent aux paragraphes 45(1), (2), (3), (4) et (5):
45. (1) Une enquête, au cours de laquelle la personne en cause revendique le statut de réfugié au sens de la Convention, doit être poursuivie. S'il est établi qu'à défaut de cette revendi- cation, l'enquête aurait abouti à une ordonnance de renvoi ou à un avis d'interdiction de séjour, elle doit être ajournée et un agent d'immigration supérieur doit procéder à l'interrogatoire sous serment de la personne au sujet de sa revendication.
(2) Après l'interrogatoire visé au paragraphe (1), la revendi- cation, accompagnée d'une copie de l'interrogatoire, est trans- mise au Ministre pour décision.
(3) Une copie de l'interrogatoire visé au paragraphe (1) est remise à la personne qui revendique le statut de réfugié.
(4) Le Ministre, saisi d'une revendication conformément au paragraphe (2), doit la soumettre, accompagnée d'une copie de l'interrogatoire, à l'examen du comité consultatif sur le statut de réfugié institué par l'article 48. Après réception de l'avis du comité, le Ministre décide si la personne est un réfugié au sens de la Convention.
(5) Le Ministre doit notifier sa décision par écrit, à l'agent d'immigration supérieur qui a procédé à l'interrogatoire sous serment et à la personne qui a revendiqué le statut de réfugié.
Si le Ministre décide qu'une personne n'est pas un réfugié, celle-ci peut alors demander à la Com mission d'appel de l'immigration de réexaminer sa revendication. Les procédures devant la Commis sion comportent deux étapes: la Commission doit en premier lieu examiner la demande et décider s'il y a lieu de la rejeter sommairement. Si la demande n'est pas rejetée lors de la première étape, la Commission doit alors passer à la seconde étape des procédures en tenant une audition et en sta- tuant sur la demande à partir de la preuve présen- tée lors de cette audition. Les dispositions qui régissent les procédures devant la Commission se trouvent aux articles 70 et 71 de la Loi:
70. (1) La personne qui a revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention et à qui le Ministre a fait savoir par écrit, conformément au paragraphe 45(5), qu'elle n'avait pas ce statut, peut, dans le délai prescrit, présenter à la Commission
une demande de réexamen de sa revendication.
(2) Toute demande présentée à la Commission en vertu du paragraphe (1) doit être accompagnée d'une copie de l'interro- gatoire sous serment visé au paragraphe 45(1) et contenir ou être accompagnée d'une déclaration sous serment du deman- deur contenant
a) le fondement de la demande;
b) un exposé suffisamment détaillé des faits sur lesquels repose la demande;
c) un résumé suffisamment détaillé des renseignements et des preuves que le demandeur se propose de fournir à l'audition; et
d) toutes observations que le demandeur estime pertinentes.
71. (1) La Commission, saisie d'une demande visée au para- graphe 70(2), doit l'examiner sans délai. A la suite de cet examen, la demande suivra son cours au cas la Commission estime que le demandeur pourra vraisemblablement en établir le bien-fondé à l'audition; dans le cas contraire, aucune suite n'y est donnée et la Commission doit décider que le demandeur n'est pas un réfugié au sens de la Convention.
(2) Au cas où, conformément au paragraphe (1), la Commis sion permet à la demande de suivre son cours, elle avise le Ministre des date et lieu de l'audition et lui donne l'occasion de se faire entendre.
(3) La Commission, après s'être prononcée sur le statut du demandeur, en informe par écrit le Ministre et le demandeur.
(4) La Commission peut et, à la requête du demandeur ou du Ministre, doit motiver sa décision.
Une lecture attentive de ces dispositions m'ins- pire les remarques suivantes:
1. L'interrogatoire sous serment prévu au para- graphe 45(1) est seulement un interrogatoire de la personne revendiquant le statut de réfugié. Ce n'est pas une enquête sur le bien-fondé de la demande. Par conséquent, l'agent d'immigration supérieur menant l'interrogatoire agit illégalement s'il fait plus que simplement interroger le requé- rant. Par exemple, il ne peut interroger une autre personne que le requérant, pas plus qu'il ne peut produire des documents pour réfuter les affirma tions de ce dernier.
2. Les procédures réglementées par l'article 45 sont de nature purement administrative 2 ; elles ne sont ni judiciaires ni quasi judiciaires. De plus, le Ministre peut prendre en compte tout témoignage
2 Brempong c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration [1981] 1 C.F. 211.
ou toutes pièces obtenus de n'importe quelle source, et rendre sa décision en se basant sur ceux-ci sans donner au requérant l'occasion de se défendre 3 . D'où il suit que même si l'interrogatoire sous serment a été mené de façon irrégulière, si bien que la transcription de l'interrogatoire con- tient un témoignage autre que celui obtenu du requérant, cela ne vicie pas la décision du Ministre.
3. Lorsqu'une personne demande un réexamen de sa revendication à la Commission, celle-ci ne peut qu'apprécier, en application de l'article 71, si le requérant est un réfugié au sens de la Conven tion. La Commission n'a pas le pouvoir de se prononcer sur la régularité des procédures qui ont conduit à la décision du Ministre, et elle ne peut annuler cette décision qu'en rendant elle-même sa décision.
4. Bien que les procédures menant à la décision du Ministre soient purement administratives, celles devant la Commission sont au contraire judiciai- res. Cela est vrai pour les deux étapes de ces procédures. Cependant, le caractère spécial de la décision qui doit être rendue en vertu du paragra- phe 71(1), lors de la première étape, doit être souligné. Cette décision est rendue sans qu'il y ait eu d'audition, à un moment personne ne s'op- pose à la demande du requérant et alors que la Commission n'a habituellement devant elle que la demande de réexamen et les autres documents déposés par le requérant conformément au para- graphe 70(2). Le rôle de la Commission à ce stade des procédures n'est pas d'apprécier et de compa- rer les preuves contradictoires fournies par des parties dont les intérêts sont divergents, mais seu- lement d'examiner la preuve écrite déposée à l'ap- pui de sa demande par le requérant conformément au paragraphe 70(2), et de se former une opinion sur les chances de réussite de la demande.
3 Mensah c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration [1982] 1 C.F. 70. Lorsqu'on lit attentivement l'article 45, il devient évident, à mon avis, que le Parlement n'avait pas l'intention d'obliger le Ministre, avant de rejeter une demande, à informer le requérant des motifs sur lesquels il se propose de rendre sa décision. Cela ne veut pas dire que le Ministre n'est pas tenu d'agir avec justice. Cependant, déterminer ce que sont dans chaque cas les exigences de «justice» est affaire d'interpré- tation statutaire (voir: Le procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat of Canada [1980] 2 R.C.S. 735).
J'en reviens maintenant au point de savoir si la décision de la Commission de rejeter sommaire- ment une demande en application du paragraphe 71(1) doit être annulée si elle a été rendue à partir de documents autres que ceux mentionnés au para- graphe 70(2). Il n'y a pas de solution simple à ce problème. Des distinctions doivent être faites:
1. Que la Commission ait tenu compte d'élé- ments de preuve autres que les documents men- tionnés au paragraphe 70(2) n'a certainement aucun effet sur la validité de sa décision si les éléments en question n'étaient pas préjudiciables au requérant. Il serait absurde d'annuler une décision de la Commission pour ce seul motif.
2. Même si les preuves considérées sont préjudi- ciables au requérant, la validité de la décision de la Commission n'est à mon avis nullement affec- tée lorsque le requérant a lui-même demandé ou accepté que la Commission tienne compte de ces preuves 4 . Dans ces circonstances, le requérant ne peut se plaindre de ce que la Commission a agi à sa demande ou avec son consentement.
3. Toutefois, la décision de la Commission doit être annulée si la preuve est préjudiciable au requérant et si la Commission l'a prise en consi- dération sans son consentement.
En l'espèce, il ne fait pour moi aucun doute que l'irrégularité commise par la Commission ne vicie pas sa décision. Le requérant reproche à la Com mission d'avoir tenu compte du témoignage de son beau-frère devant l'agent d'immigration supérieur lors de son propre interrogatoire sous serment. Or, le témoin a été interrogé par l'avocat du requérant et à la demande expresse de ce dernier. De plus, c'est le requérant qui, assisté d'un avocat, a déposé devant la Commission, sans réserve ni objection, le témoignage dont il soutient maintenant qu'elle n'aurait pas tenir compte. J'estime qu'il s'agit manifestement d'un cas le requérant a accepté, ou doit être présumé avoir accepté, que le témoi- gnage en question soit versé au dossier.
Par ces motifs, je rejetterais la demande.
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^ Il appartient à la Cour d'apprécier dans chaque cas la question de fait de savoir si le requérant a demandé ou accepté que la Commission tienne compte des preuves dont il s'agit.
LE JUGE URIE: Je souscris.
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Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE SUPPLÉANT MACKAY: J'ai lu les motifs de mon collègue le juge Pratte et je suis d'accord avec ces derniers, avec ses conclusions et avec la décision qu'il se propose de rendre sur la demande fondée sur l'article 28.
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