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A-689-79
Le Syndicat des employés de production du Québec et de l'Acadie (Requérant)
c.
Le Conseil canadien des relations du travail et la Société Radio-Canada (Intimés)
et
Roger Cuerrier, Francis André, Georges Beau- doin, Serge Chapu, Jean Henquet, Adélard Lavoie, Hervé Ouimet, Denis Paquette, Maurice Poirier, Jean-Claude Rozec, Roland Théberge, Jean-Marie Wuatelet, Charles Boulay et le sous- procureur général du Canada (Mis-en-cause)
Cour d'appel, les juges Pratte et Le Dain et le juge suppléant Hyde—Montréal, 6 et 8 avril 1981.
Examen judiciaire Relations du travail Demande d'examen et d'annulation de la décision par laquelle le Conseil canadien des relations du travail a accueilli la requête intro- duite par la Société Radio-Canada en vertu de l'art. 182 du Code canadien du travail en vue de faire déclarer que le refus par les employés de la Société de faire du travail supplémen- taire constituait une grève illégale Le Conseil a ordonné au Syndicat et à la Société de soumettre le problème du travail supplémentaire à l'arbitrage II échet d'examiner si le Conseil a excédé sa compétence Code canadien du travail, S.R.C. 1970, c. L-1, modifié, art. 121, 122(1), 180, 182, 183, 183.1 Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10, art. 28.
Il s'agit d'une demande d'examen et d'annulation de la décision par laquelle le Conseil canadien des relations du travail a accueilli la requête introduite par la Société Radio-Canada en vertu de l'article 182 du Code canadien du travail. Dans cette décision, le Conseil a jugé que la consigne, donnée par le Syndicat requérant aux employés préposés à la production de la Société, de refuser tout travail supplémentaire constituait une grève illégale au sens du Code, et il a ordonné au Syndicat et à la Société de déférer le problème du temps supplémentaire à l'arbitrage. Selon le Syndicat requérant, le Conseil a excédé sa compétence, parce que le refus de faire du travail supplémen- taire ne constitue pas une grève, et le Conseil n'avait pas le pouvoir d'émettre l'ordonnance relative à l'arbitrage.
Arrêt: la demande est accueillie en partie. En répondant à la question de savoir si le refus concerté des employés d'effectuer du travail supplémentaire constituait une grève au sens de la Loi, le Conseil demeurait dans les limites de sa compétence. De plus, le Conseil s'est appuyé sur une abondante jurisprudence; on ne peut dire que sa décision soit manifestement erronée ou fondée sur une interprétation déraisonnable de la Loi. Même si le Conseil s'était trompé sur ce point, il n'aurait pas, à cause de cela, cessé d'avoir compétence en l'espèce. L'ordonnance enjoi- gnant de déférer le problème du temps supplémentaire à l'arbi- trage n'est pas autorisée par les articles 182 et 183.1 du Code. Plus précisément, l'alinéa 183.1(1)a) permet seulement au
Conseil d'assortir les ordonnances qu'il prononce en vertu des articles 182 et 183 des modalités qu'il juge appropriées. L'arti- cle 121 du Code ne permettait pas au Conseil de prononcer la décision attaquée. Cet article ne concerne tout au plus que les pouvoirs nécessaires à l'exécution des tâches que le Code confie expressément au Conseil. Mais le Code ne confie pas au Conseil la mission de régler les différends ouvriers qui peuvent être cause de grève.
Arrêt appliqué: Le Syndicat canadien de la Fonction publique, section locale 963 c. La Société des alcools du Nouveau-Brunswick [1979] 2 R.C.S. 227.
DEMANDE d'examen judiciaire. AVOCATS:
Michel Robert pour le requérant.
Louis Le Bel pour l'intimé le Conseil canadien
des relations du travail.
Suzanne Thibaudeau pour l'intimée la
Société Radio-Canada.
PROCUREURS:
Robert, Dansereau, Barré, Marchessault & Lauzon, Montréal, pour le requérant.
Grondin, Le Bel, Poudrier, Isabel, Morin & Gagnon, Montréal, pour l'intimé le Conseil canadien des relations du travail.
Heenan, Blaikie, Potvin, Trépanier, Cobbett, Montréal, pour l'intimée la Société Radio- Canada.
Voici les motifs du jugement prononcés en fran- çais à l'audience par
LE JUGE PRATTE: Le Syndicat requérant demande l'annulation, en vertu de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2 e Supp.), c. 10, d'une ordonnance prononcée par le Conseil canadien des relations du travail le 5 décembre 1979.
Le 30 novembre 1979, le Conseil recevait une requête présentée par la Société Radio-Canada en vertu de l'article 182 du Code canadien du travail, S.R.C. 1970, c. L-1, modifié'. La Société alléguait
' Le texte de cet article est le suivant:
182. Lorsqu'un employeur prétend qu'un syndicat a déclaré ou autorisé une grève, ou que des employés ont participé, participent ou participeront vraisemblablement à une grève, et que cette grève a eu, a ou aurait pour effet d'entraîner la participation d'un employé à une grève en violation de la présente Partie, l'employeur peut demander au Conseil de déclarer que la grève était, est ou serait illégale et
que ses employés préposés à la production à Mont- réal, Québec et Moncton, participaient à une grève illégale autorisée par le Syndicat requérant en refusant, à l'instigation du Syndicat, d'effectuer tout travail supplémentaire; elle demandait que le Conseil déclare que ce refus concerté de faire du travail supplémentaire constituait une grève illé- gale, ordonne au Syndicat de revenir sur sa déci- sion d'autoriser cette grève et d'en informer sans délai les employés et interdise aux employés con cernés de poursuivre la grève. Le Conseil fit enquête et entendit les parties. Il constata que les employés concernés n'étaient pas autorisés, suivant l'article 180 du Code canadien du travail, à faire la grève, que le Syndicat avait bel et bien donné à ces employés la consigne de refuser tout travail supplémentaire et, aussi, que cette consigne était plus fidèlement suivie par les employés de Monc- ton et Québec que par ceux de Montréal; il cons- tata enfin que le Syndicat avait donné cette consi- gne dans le but d'amener la Société à reconnaître que, suivant la convention collective en vigueur, elle n'avait pas le droit d'obliger ses employés à faire du travail supplémentaire. Le 5 décembre 1979, le Conseil faisait droit à la requête de la Société Radio-Canada; sa décision est contenue dans les paragraphes 3 et 4 de l'ordonnance qu'il prononça ce jour-là 2 :
3. De plus, l'embargo sur le temps supplémentaire constitue une grève illégale au sens du Code et le Conseil ce déclare.
Cependant, le Conseil a décidé dans les circonstances présentes et pour le moment d'exercer sa discrétion de ne pas faire émaner d'ordonnance à ce sujet en ce qui concerne les employés de la Société à Montréal, mais il ordonne par les présentes que ledit embargo cesse immédiatement à Moncton et à Québec et
le Conseil peut, après avoir donné au syndicat ou aux employés la possibilité de se faire entendre au sujet de cette demande, faire une telle déclaration et, à la demande de l'employeur, rendre une ordonnance pour
a) enjoindre au syndicat de revenir sur sa décision de déclarer ou d'autoriser une grève, et d'en informer sans délai les employés concernés;
b) interdire à tout employé de participer à la grève;
c) ordonner à tout employé qui participe à la grève d'ac- complir ses fonctions; et
d) sommer les dirigeants ou représentants d'un syndicat de porter sans délai à la connaissance de ceux de leurs membres que cela peut viser les interdictions ou les ordres établis en vertu des alinéas b) ou c).
2 Les deux premiers paragraphes de cette ordonnance fai- saient droit à une autre requête que la Société avait présentée en même temps au sujet d'un autre groupe d'employés.
que tous les employés membres de l'unité de négociation et que le syndicat intimé dans ces deux localités doivent se conformer à cette ordonnance immédiatement de même que le syndicat intimé qui devra en informer tous ses membres immédiatement;
4. II est ordonné aux deux parties, le syndicat intimé et la Société Radio-Canada, Division française de soumettre immé- diatement le problème à savoir si le travail supplémentaire est facultatif ou non, selon les dispositions de la convention collec tive en vigueur présentement à un arbitre nommé selon les dispositions de l'article 155(2)c) ou/et d) du Code canadien du travail, en utilisant un des griefs présentement en suspens et portant sur cette même question. Ledit arbitre devra traiter cet arbitrage en priorité et selon la méthode d'arbitrage accéléré et sa décision devrait résoudre ce problème jusqu'à la signature d'une convention collective supplantant la présente qui contien- drait des dispositions différentes à ce sujet.
C'est cette décision qui fait l'objet de ce pourvoi. Le requérant, conscient que le paragraphe 122(1) 3 du Code canadien du travail ne permet pas à cette Cour d'annuler une décision du Conseil pour simple erreur de droit, prétend que le Conseil a excédé sa compétence. Cela pour deux motifs: d'abord, parce que le refus concerté des employés de faire du travail supplémentaire ne constituait pas une grève et, en second lieu, parce que, même s'il y avait grève illégale, le Conseil n'avait pas le pouvoir d'émettre une ordonnance dans les termes du paragraphe 4 de son ordonnance du 5 décembre 1979.
La Société Radio-Canada, par sa requête, demandait au Conseil d'exercer la compétence que lui conférait l'article 182. Dans l'exercice de cette compétence, le Conseil devait recevoir la requête et juger si elle devait être accordée. Entre autres questions, le Conseil devait décider si le refus concerté des employés d'effectuer du travail sup- plémentaire constituait une grève au sens de la Loi. Il appartenait au Conseil de répondre à cette question et, en le faisant, il demeurait dans les limites de sa compétence à moins que sa réponse n'ait été fondée sur une interprétation manifeste- ment déraisonnable de la Loi 4 . En décidant que le
3 Ce paragraphe 122(1) se lit comme suit:
122. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente Partie, toute ordonnance ou décision du Conseil est définitive et ne peut être remise en question devant un tribunal ni revisée par un tribunal, si ce n'est conformément à l'alinéa 28(1)a) de la Loi sur la Cour fédérale.
4 Le Syndicat canadien de la Fonction publique, section locale 963 c. La Société des alcools du Nouveau-Brunswick [1979] 2 R.C.S. 227.
refus d'effectuer du travail supplémentaire cons- tituait une grève, le Conseil s'est appuyé sur une abondante jurisprudence; il m'apparaît évident qu'on ne peut dire que sa décision soit manifeste- ment erronée ou fondée sur une interprétation déraisonnable de la Loi. Il s'ensuit que, même si le Conseil s'était trompé sur ce point, il n'aurait pas, à cause de cela, cessé d'avoir compétence en l'espèce.
Le requérant a aussi soutenu que la décision attaquée excédait la compétence du Conseil en ce que celui-ci n'avait pas le pouvoir de prononcer l'injonction contenue dans le paragraphe 4 de l'or- donnance suivant lequel les parties devaient sou- mettre à l'arbitrage le différend qui les opposait.
Les articles 182 et 183.1 indiquent quelles ordonnances le Conseil peut rendre lorsqu'il est saisi d'une requête lui demandant de déclarer qu'une grève est illégale:
182. Lorsqu'un employeur prétend qu'un syndicat a déclaré ou autorisé une grève, ou que des employés ont participé, participent ou participeront vraisemblablement à une grève, et que cette grève a eu, a ou aurait pour effet d'entraîner la participation d'un employé à une grève en violation de la présente Partie, l'employeur peut demander au Conseil de déclarer que la grève était, est ou serait illégale et le Conseil peut, après avoir donné au syndicat ou aux employés la possibi- lité de se faire entendre au sujet de cette demande, faire une telle déclaration et, à la demande de l'employeur, rendre une ordonnance pour
a) enjoindre au syndicat de revenir sur sa décision de dé- clarer ou d'autoriser une grève, et d'en informer sans délai les employés concernés;
b) interdire à tout employé de participer à la grève;
c) ordonner à tout employé qui participe à la grève d'accom- plir ses fonctions; et
d) sommer les dirigeants ou représentants d'un syndicat de porter sans délai à la connaissance de ceux de leurs membres que cela peut viser les interdictions ou les ordres établis en vertu des alinéas b) ou c).
183.1 (1) Les ordonnances établies en vertu des articles 182 ou 183
a) doivent renfermer les dispositions que, eu égard aux circonstances, le Conseil juge indiquées; et
b) sous réserve du paragraphe (2), sont en vigueur pour la durée qu'elles précisent.
(2) Le Conseil peut, à la demande de l'employeur ou du syndicat qui a demandé l'ordonnance rendue en vertu des articles 182 ou 183 ou de tout employeur, syndicat, employé ou toute autre personne concernée et à condition qu'un avis de la présentation de la demande ait été donné aux parties nommées dans l'ordonnance, par une ordonnance supplémentaire,
a) proroger l'ordonnance, pour une période qu'il précise dans l'ordonnance supplémentaire, sous une forme modifiée s'il y a lieu; ou
b) l'abroger.
Il me paraît clair que l'ordonnance enjoignant de déférer le problème du temps supplémentaire à l'arbitrage n'en est pas une qu'autorise l'article 182. Il suffit de lire les alinéas a),b),c) et d) de cet article pour s'en rendre compte. Cette ordonnance ne me paraît pas, non plus, être autorisée par l'article 183.1. La seule partie de cet article qui soit pertinente à ce débat est l'alinéa 183.1(1)a). Or, cette disposition, à mon avis, ne permet pas au Conseil de rendre des ordonnances autres que celles prévues aux articles 182 et 183; elle permet seulement au Conseil d'assortir les ordonnances qu'il prononce en vertu de ces articles des modali- tés qu'il juge appropriées. Je conclus donc que ni l'article 182 ni l'article 183.1 n'accordait au Con- seil le pouvoir de prononcer l'ordonnance contenue dans le paragraphe 4 de sa décision.
Reste à savoir, cependant, si le Conseil ne pou- vait prononcer cette ordonnance en vertu des pou- voirs généraux que lui confère l'article 121 du Code. Le texte de cet article est le suivant:
121. Le Conseil exerce les pouvoirs et fonctions que lui attribue la présente Partie ou qui peuvent être nécessaires à la réalisation des objets de la présente Partie, et notamment, sans restreindre la portée générale de ce qui précède, il rend des ordonnances comportant obligation de se conformer aux dispo sitions de la présente Partie, de tout règlement pris sous son régime ou de toute décision rendue dans une affaire dont il est saisi.
Les avocats du Conseil et de la Société Radio- Canada ont soutenu que cet article autorisait le Conseil à prendre la décision attaquée. Cette déci- sion a évidemment été prononcée parce que le Conseil la croyait nécessaire au rétablissement de bonnes relations entre la Société Radio-Canada et ses employés. Or, l'établissement de bonnes rela tions industrielles étant l'un des objets de la Partie V du Code, et l'article 121 conférant au Conseil tous les pouvoirs nécessaires à la réalisation de ces objets, il s'ensuit, nous a-t-on dit, que cet article permettait au Conseil de prononcer la décision attaquée. Je ne puis accepter cette prétention. En donnant une pareille portée à l'article 121, on rendait inutiles les nombreuses dispositions de la Loi qui précisent les pouvoirs du Conseil. A mon avis, la portée de l'article 121 est plus modeste. Je crois que cet article ne concerne tout au plus que
les pouvoirs nécessaires à l'exécution des tâches que la Loi confie expressément au Conseil. Mais, la Loi, telle que je la comprends, ne confie pas au Conseil la mission de régler les différends ouvriers qui peuvent être cause de grève.
J'en viens donc à la conclusion que le Conseil n'avait pas la compétence de prononcer l'ordon- nance contenue dans le paragraphe 4 de sa déci- sion. Il s'ensuit que cette ordonnance doit être annulée. Cependant, comme elle est «séparable» («severable») de l'ordonnance contenue dans le paragraphe 3, cette dernière ordonnance, elle, devrait être maintenue.
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LE JUGE LE DAIN y a souscrit.
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LE JUGE SUPPLÉANT HYDE y a souscrit.
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