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A-231-80
In re un renvoi formé par le Conseil canadien des relations du travail et in re des demandes d'accré- ditation présentées par les Travailleurs en commu nication du Canada et l'Union canadienne des travailleurs en communication à l'égard de cer- tains employés de Northern Telecom Canada Limited
Cour d'appel, le juge en chef Thurlow et les juges Ryan et Le Dain—Ottawa, 9, 10, 11, 12 et 13 mars et 12 mai 1981.
Relations du travail Compétence du Conseil canadien des relations du travail Renvoi formé sous le régime de l'art. 28(4) de la Loi sur la Cour fédérale pour déterminer si le Conseil a la compétence constitutionnelle pour accueillir une demande d'accréditation relativement aux installateurs de la Northern Telecom Canada Limited Il échet de déterminer si, du fait que Bell est une entreprise fédérale, le Parlement a compétence pour légiférer en matière de relations de travail en ce qui concerne les installateurs Code canadien du travail, S.R.C. 1970, c. L-1, art. 108 Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2' Supp.), c. 10, art. 28(4).
Il s'agit d'un renvoi formé sous le régime du paragraphe 28(4) de la Loi sur la Cour fédérale dans lequel le Conseil canadien des relations du travail demande à la Cour s'il a la compétence constitutionnelle pour accueillir une demande d'ac- créditation présentée par les Travailleurs en communication du Canada et l'Union canadienne des travailleurs en communica tion respectivement pour représenter les installateurs de la Northern Telecom Canada Limited («Telecom Canada»). La question est de savoir si le Parlement est compétent, du fait que l'entreprise de télécommunication de Bell est une entreprise fédérale assujettie aux pouvoirs législatifs exclusifs du fédéral, pour légiférer relativement aux relations de travail en ce qui concerne les installateurs de Telecom Canada. Pour trancher la question, il faut prendre en considération des éléments que l'entreprise fédérale principale, soit Bell, l'activité accessoire, soit Telecom Canada, et le lien entre les activités de celle-ci et l'entreprise fédérale principale.
Arrêt: à la question soumise, il faut répondre par l'affirma- tive. L'entreprise fédérale principale (c'est-à-dire Bell) com- prend non seulement la transmission de messages pour les abonnés mais également l'installation de téléphones, de maté riel de transmission et de centraux nécessaires pour fournir le service. Tous les jours, durant 80% de leurs heures de travail, les installateurs participent à une entreprise fédérale dont la nature même exige un programme permanent de réaménage- ment, de rénovation, de mise à jour et d'extension de son système de commutation et de transmission ainsi que l'installa- tion du matériel de télécommunication conçu pour satisfaire à ce besoin. Le fait que 20% du travail des installateurs n'est pas effectué pour Bell ne modifie pas cette conclusion.
Et le juge Le Dain: Les installateurs doivent être considérés comme étant des employés dans le cadre de l'entreprise de Bell parce que leur travail a un effet direct et immédiat sur l'effica- cité du fonctionnement.
Arrêts appliqués: Northern Telecom Ltée c. Les Travail- leurs en communication du Canada [1980] 1 R.C.S. 115; Union des facteurs du Canada c. Syndicat des postiers du Canada [1975] 1 R.C.S. 178. Distinction faite avec l'arrêt: Construction Montcalm Inc. c. La Commission du salaire minimum [ 1979] 1 R.C.S. 754.
RENVOI. AVOCATS:
W. H. Deverell pour le Conseil canadien des relations du travail.
Hélène LeBel et Janet Cleveland pour les Travailleurs en communication du Canada. Philip Cutler, c.r. et Pierre Langlois pour l'Union canadienne des travailleurs en com munication.
W. L. Nisbet, c.r. pour le procureur général du Canada.
W. S. Tyndale, c.r. pour Northern Telecom Canada Limited.
J. Cavarzan, c.r. pour le procureur général de l'Ontario.
Jean-François Jobin et Louis Crête pour le procureur général du Québec.
PROCUREURS:
Deverell, Harrop, Vancouver, pour le Conseil canadien des relations du travail.
Jasmin, Rivest, Castiglio, Castiglio & LeBel, Montréal, pour les Travailleurs en communi cation du Canada.
Robinson, Cutler, . Sheppard, Borenstein, Shapiro, Langlois, Flam & Green, Montréal, pour l'Union canadienne des travailleurs en communication.
Le sous-procureur général du Canada pour le procureur général du Canada.
Ogilvy, Renault, Montréal, pour Northern Telecom Canada Limited.
Le sous-procureur général de l'Ontario, Toronto, pour le procureur général de l'Ontario.
Boissonneault, Roy & Poulin, Montréal, pour le procureur général du Québec.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE EN CHEF THURLOW: Il s'agit d'un renvoi formé sous le régime du paragraphe 28(4) de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e
Supp.), c. 10, dans lequel le Conseil canadien des relations du travail demande à la Cour de trancher la question suivante:
[TRADUCTION] Le Conseil a-t-il la compétence constitution- nelle pour accueillir une demande d'accréditation relativement aux employés que l'on cherche à représenter dans les deux demandes d'accréditation?
Les demandes en question sont des demandes distinctes présentées au Conseil par les Travail- leurs en communication du Canada et l'Union canadienne des travailleurs en communication le 30 mai 1978 et le 19 septembre 1978 respective- ment, pour être accrédités sous le régime de la Partie V du Code canadien du travail, S.R.C. 1970, c. L-1, à titre d'agent négociateur d'une unité composée de tous les installateurs de ce que la Northern Telecom Canada Limited appelle sa région de l'Est. Ces demandes et le présent renvoi constituent de nouvelles étapes dans une longue série de litiges portant sur la compétence du Con- seil canadien des relations du travail, de la Com mission des relations de travail de l'Ontario et de la Commission des relations de travail du Québec relativement aux employés de la Northern Tele- com Limited (ci-après appelée Telecom) et de sa filiale, Northern Telecom Canada Limited (ci- après appelée Telecom Canada).
Le renvoi à la présente Cour fut formé après six jours d'audition de témoignages et d'arguments portant uniquement sur la question de la compé- tence du Conseil et après le dépôt d'un document de soixante-quatorze pages dans lequel le Conseil fait l'historique des litiges et inclut un examen de la question et son opinion sur celle-ci ainsi que ses motifs pour renvoyer la question à la Cour. Le procès-verbal des séances du Conseil, y compris la transcription des témoignages rendus lors des audi tions du Conseil et les copies des documents pré- sentés, constituent le dossier soumis à la Cour sur lequel la question doit être tranchée. Aucune des parties n'a cherché à y ajouter quoi que ce soit. En deux mots, si le Conseil a choisi de renvoyer la question à la Cour, c'est parce que la conclusion à laquelle il est arrivé est contraire à celle de la Haute Cour de l'Ontario et de la Cour d'appel du Québec sur des faits que le Conseil ne considère pas substantiellement différents de ceux qui lui sont soumis.
En cours d'audience devant cette Cour, l'avocat de l'Union canadienne des travailleurs en commu nication a prétendu, même s'il n'avait pas soulevé la question dans son exposé des moyens, qu'avant de répondre à la question soumise par le Conseil, la Cour devrait déterminer si elle-même a compé- tence pour statuer sur celle-ci. Toutefois, l'avocat n'a pas voulu se laisser entraîner à se prononcer sur ce point, préférant, il me semble, simplement le soulever et le laisser en suspens. Aucun autre avocat n'a contesté la compétence de la Cour ni suggéré qu'elle pouvait être mise en doute. En fait, ils se sont même dissociés de cette contestation. Ils désiraient une réponse à la question soumise par le Conseil.
Pour ma part, je n'ai aucun doute quant à la compétence de la Cour pour connaître de ce renvoi en vertu de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale. Le Conseil canadien des relations du travail est un office, commission ou autre tribunal fédéral au sens de l'article 2 de la Loi sur la Cour fédérale. Il est investi des pouvoirs que lui confère le Code canadien du travail. L'étendue de ces pouvoirs dépend de l'étendue des pouvoirs du Par- lement du Canada. Lorsqu'une question particu- lière relative à l'étendue des pouvoirs conférés au Conseil par le Code dépend de l'étendue des pou- voirs du Parlement, il devient nécessaire, pour déterminer les pouvoirs du Conseil, de décider, à titre de question incidente ou qui découle de la première, si les pouvoirs du Parlement compren- nent ce domaine particulier. Le Conseil est auto- risé par le paragraphe 28(4) de la Loi sur la Cour fédérale à demander à cette Cour de statuer sur toute question de compétence. En l'espèce, le Con- seil est saisi de deux demandes d'accréditation sous le régime du Code canadien du travail. Il est compétent à l'égard de celles-ci, en vertu de l'arti- cle 108 et de la Division III de la Partie V du Code, si le Parlement a l'autorité législative voulue pour conférer ce pouvoir au Conseil. La compé- tence du Conseil dépend donc de celle du Parle- ment. L'interprétation et l'application du Code, et plus particulièrement de son article 108, compor- tent donc nécessairement l'examen du pouvoir du Parlement. Obligé de faire face à ce problème, le Conseil aurait pu statuer sur la question et régler les demandes en conséquence. Si le Conseil avait procédé ainsi, la décision aurait pu faire l'objet d'un examen judiciaire devant la présente Cour
sous le régime de l'article 28 pour ce qui concerne la question de la compétence du Conseil. Dans ce cas, je suis d'avis que la Cour aurait eu compé- tence pour trancher la question. Mais le Conseil avait également le choix, pour lequel il a d'ailleurs opté, de renvoyer la question à la présente Cour, et j'estime que la compétence de la Cour pour statuer sur cette question dans le cadre du renvoi fait par le Conseil est exactement la même que s'il avait été présenté une demande fondée sur l'article 28 pour que soit examinée la décision du Conseil. Je suis donc d'avis qu'il n'existe aucun motif pour mettre en doute la compétence de la Cour pour connaître de la question qui lui est soumise par le Conseil et pour statuer sur celle-ci.
Le point de droit constitutionnel soulevé par cette question consiste à déterminer si le Parle- ment possède la compétence législative en matière de relations de travail en ce qui concerne les installateurs employés par Telecom Canada qui sont compris dans le groupe pour lequel les deux syndicats concurrents demandent l'accréditation au Conseil. Les Travailleurs en communication du Canada et le procureur général du Canada préten- dent que la réponse doit être affirmative. Le Con- seil canadien des relations du travail, Telecom Canada, l'Union canadienne des travailleurs en communication, le procureur général de l'Ontario et le procureur général du Québec prétendent le contraire.
Les principes constitutionnels applicables en l'espèce sont exposés dans le jugement de la Cour suprême dont les motifs étaient prononcés par le juge Dickson dans l'arrêt Northern Telecom Limi- tée c. Les Travailleurs en communication du Canada' dans un passage d'environ quatre pages commençant à la page 131. En voici des extraits:
En l'espèce, il faut d'abord se demander s'il existe une entreprise fédérale principale et en étudier la portée. Puis, il faut étudier l'exploitation accessoire concernée, c.-à-d. le ser vice d'installation de Telecom, les «activités normales ou habi- tuelles» de ce service en tant qu'«entreprise active» et le lien pratique et fonctionnel entre ces activités et l'entreprise fédé- rale principale.
En l'espèce, c'est dans le système téléphonique et de télécom- munication qu'il faut trouver l'entreprise fédérale principale. [Page 133.]
' [1980] 1 R.C.S. 115.
A tout le moins, il est établi que l'exploitation de Bell Canada constitue une entreprise fédérale: voir City of Toronto v. Bell Telephone Co. of Canada ([1905] A.C. 52) et Commis sion du Salaire minimum c. Bell Canada ([1966] R.C.S. 767).
Dans le domaine du transport et des télécommunications, il est évident que les subtilités juridiques des structures des sociétés ne sont pas déterminantes. [Pages 133 et 134.]
Un autre facteur, beaucoup plus important aux fins de l'examen de la relation entre des entreprises, est le lien matériel et opérationnel qui existe entre elles. Dans la présente affaire, il faut, comme le souligne le jugement dans Montcalm, étudier la continuité et la régularité du lien sans tenir compte de facteurs exceptionnels ou occasionnels. La simple participation d'em- ployés à un ouvrage ou à une entreprise fédérale n'entraîne pas automatiquement la compétence fédérale. Il est certain que plus on s'éloigne de la participation directe à l'exploitation de l'ouvrage ou de l'entreprise principale, plus une interdépen- dance étroite devient nécessaire.
Sur la base des grands principes constitutionnels exposés ci-dessus, il est clair que certains faits sont décisifs sur la question constitutionnelle. De façon générale, il s'agit notamment:
(1) de la nature générale de l'exploitation de Telecom en tant qu'entreprise active et, en particulier, du rôle du service de l'installation dans cette exploitation;
(2) de la nature du lien entre Telecom et les sociétés avec lesquelles elle fait affaires, notamment Bell Canada;
(3) de l'importance du travail effectué par le service de l'installation de Telecom pour Bell Canada, en comparaison avec ses autres clients;
(4) du lien matériel et opérationnel entre le service de l'installation de Telecom et l'entreprise fédérale principale dans le réseau téléphonique et, en particulier, de l'importance de la participation du service de l'installation à l'exploitation et à l'établissement de l'entreprise fédérale en tant que méthode de fonctionnement. [Pages 134 et 135.]
La position voulant que le Parlement ait compé- tence législative en la matière est fondée sur le lien entre le travail que les installateurs de Telecom Canada effectuent et le réseau de communication de Bell Canada. Il est reconnu que Bell Canada exploite un système de télécommunication en Ontario et au Québec et que cette exploitation est une entreprise fédérale. C'est ce qui a été décidé dans les deux arrêts Bell mentionnés dans le pas sage que j'ai cité. La Newfoundland Telephone Company est une filiale de Bell. La New Bruns- wick Telephone Company et la Maritime Tele graph and Telephone Company, qui exerce ses activités en Nouvelle-Écosse et qui est propriétaire de la Island Telephone Company, qui exerce ses activités dans l'Île-du-Prince -Edouard, sont appe- lées, dans la preuve, sociétés affiliées à Bell. En
1979, sur environ quinze millions de téléphones au Canada, Bell était responsable du service d'environ neuf millions et, ses filiale et sociétés affiliées, d'un million. En tant qu'entreprise de communication fédérale, elle est assujettie aux règlements fédé- raux édictés par le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes et je crois qu'il faut présumer que cette entreprise est une entreprise d'utilité publique et que dans les locali- tés qu'elle dessert, Bell a un devoir légal de fournir un service de téléphone.
L'objet de l'entreprise est de transmettre les messages des abonnés pour un droit ou un tarif. Mais elle ne se limite pas à cela. Pour fournir le service, des téléphones reliés aux lignes doivent être installés dans les locaux des abonnés. L'entre- prise de Bell inclut ce service. Il n'est pas excep- tionnel qu'une compagnie de téléphone se fasse payer pour ce service. Ce travail est pour la plu- part effectué par les techniciens de Bell et per- sonne ne conteste que l'installation et l'enlèvement des téléphones ainsi que les réparations pour en assurer le fonctionnement fassent partie de l'entre- prise de Bell. Des lignes téléphoniques doivent également être installées pour relier les locaux des abonnés au central téléphonique de Bell la ligne d'un abonné demandeur est mise en relation avec celle du demandé. Ce travail est également effec- tué par Bell et encore une fois personne ne conteste que cela fasse partie de l'entreprise de télécommu- nication de Bell.
Le système exige également l'installation de matériel pour les centraux téléphoniques de Bell. Il exige également, sur une base permanente, l'entre- tien, le renouvellement, le réaménagement et la mise à jour du matériel ainsi que des ajouts à celui-ci au fur et à mesure qu'il devient nécessaire de satisfaire aux exigences de plus en plus grandes d'un nombre croissant d'abonnés et de faire en sorte que le système suive les progrès techniques dans le domaine des télécommunications. L'entre- tien quotidien de ce matériel de central téléphoni- que est, si je comprends bien, généralement effec- tué par le personnel technique de Bell. Toutefois, en général, l'installation de matériel additionnel et de matériel de remplacement de même que le réaménagement et la mise à jour du matériel existant sont effectués par les installateurs de Tele- com Canada. L'installation, le réaménagement et
l'amélioration ainsi que le développement de la capacité du matériel de transmission à micro- ondes pour Bell dans des stations relais, pour remplacer les câbles interurbains et en éliminer le besoin, sont également effectués par les installa- teurs de Telecom Canada.
La politique de Bell relativement à la mise en service du matériel de commutation et de trans mission nouveau ou additionnel est de le faire installer et de l'avoir prêt à fonctionner, autant que possible, juste à temps pour répondre aux besoins prévus.
Voilà pour ce qu'on appelle l'entreprise fédérale principale. Selon moi, elle comprend non seule- ment la transmission de messages pour des clients mais également l'installation de téléphones, de matériel de transmission et de centraux nécessaires pour fournir le service.
J'examinerai maintenant les activités accessoi- res, c'est-à-dire le service de l'installation de Tele- com Canada, ses activités normales et habituelles et le lien entre ces activités et l'exploitation du système de télécommunication de Bell.
Telecom Canada, l'employeur des installateurs en cause, est une filiale de Telecom dont 60.5% des actions appartiennent à Bell Canada et qui est contrôlée, au niveau du bureau d'administration, par Bell. Bien qu'elle soit une filiale et même une ramification de l'entreprise de Bell, Telecom est en soi une vaste entreprise avec des filiales dans plu- sieurs pays. Ce groupe constitue le sixième fabri- cant de matériel de télécommunication au monde, le deuxième en importance en Amérique du Nord et le plus important au Canada. Il possède des actifs d'environ 1.3 milliard, dirige environ 56 installations de fabrication réparties à travers le monde et compte environ 32,000 employés. En 1978, ses ventes s'élevaient à 1.5 milliard.
La plus importante filiale de Telecom est Tele- com Canada. Elle compte 15,000 employés, exploite 26 installations au Canada et, en 1978, ses ventes s'élevaient à 1 milliard.
Telecom Canada est un fabricant et un fournis- seur de matériel de télécommunication. Elle ins- talle également ce matériel, qu'il ait été fabriqué par elle-même ou par un autre fabricant. Bell Canada est le client le plus important de Telecom
Canada. Cette dernière vend la plus grande partie de ses produits à Bell, les contrats de vente incluant l'installation du matériel dans les locaux de Bell ou d'abonnés de Bell. Elle installe égale- ment pour Bell du matériel que Bell achète ail- leurs, surtout du matériel fabriqué aux États-Unis par une autre filiale de Telecom.
Bell achète 90% de son matériel de commutation et de transmission à Telecom Canada qui installe pour Bell 95% de tout le matériel de ce genre acheté par celle-ci. Le travail d'installation effec- tué pour Bell compte pour 80% du travail des installateurs de Telecom Canada. La procédure de conclusion de contrats est plus simple pour les contrats conclus entre Telecom Canada et Bell que pour ceux conclus entre Telecom Canada et ses autres clients et, en tant que client le plus impor tant de Telecom Canada, Bell bénéficie de prix réduits. Lorsque Bell a un besoin urgent de servi ces d'installation à court terme, on passe outre à la procédure ordinaire de conclusion de contrats.
Parmi les 15,000 employés de Telecom Canada, 820 sont des installateurs. De ce nombre, 460 sont compris dans l'unité de négociation en cause. Ils exercent leurs fonctions dans ce que la compagnie appelle sa région de l'Est qui comprend la partie est de l'Ontario, la province de Québec et les provinces de l'Atlantique. Les 360 autres installa- teurs exercent leurs activités dans ce que la compa- gnie appelle sa région de l'Ouest.
A l'intérieur même de Telecom Canada, il y a quatre groupes de fabrication appelés [TRADUC- TION] (1) préposés à la commutation (2) préposés à la transmission (3) préposés aux câbles et (4) préposés au matériel d'abonnés. Les installateurs font partie des préposés à la commutation et à la transmission. Le premier groupe fabrique le maté riel de centres de commutation. Il comprend 4,833 employés, dont 665 installateurs. Les préposés à la transmission fabriquent des systèmes à micro- ondes, des systèmes multiplex, des systèmes de transmission par lignes, du matériel de condition- nement de lignes et des systèmes multiplex pour abonnés. Ce groupe compte 2,097 employés, dont 155 installateurs. Bien que faisant partie de l'orga- nisation de la société et du personnel de ces deux groupes, les installateurs ne travaillent jamais dans les locaux de leur employeur. Comme ils s'occu- pent exclusivement de l'installation du matériel qui
doit être utilisé par le client ou par ses abonnés, ils travaillent uniquement dans les locaux des clients ou dans ceux des abonnés du client. Ils n'ont rien à voir avec la fabrication du matériel qu'ils installent et il n'existe aucun contact, au travail, entre les installateurs et le personnel de fabrication du groupe auquel ils appartiennent. Ils constituent une catégorie facilement identifiable et séparable des autres employés des groupes de commutation et de transmission. Dans la mesure leurs fonc- tions comportent des contacts ou une collaboration avec des employés autres que leurs propres surveil- lants, ils travaillent ou collaborent avec des employés de Bell.
Comme le réseau de communication de Bell a été mis sur pied et mis en service sur une longue période, le principal travail que font les installa- teurs pour Bell est un travail d'installation décou- lant de l'extension et de la modernisation continues de l'ensemble du réseau. La plus grande partie de ce travail consiste à réaménager et mettre à jour les installations existantes et à y ajouter d'autres éléments. Ce qui veut dire qu'ils effectuent leur travail, avec la collaboration du personnel de Bell, de façon à permettre de garder autant que possible le système en service au cours des travaux.
Pour ce qui a trait au lien qui existe entre Telecom Canada et les compagnies auxquelles elle fournit des services, j'ai déjà dit que Telecom, qui est propriétaire de 100% des actions de Telecom Canada, est contrôlée par Bell Canada qui est propriétaire de 60.5% de ses actions. Au moment de sa constitution, Telecom s'appelait Northern Electric Company Limited. A un moment donné, 60% de ses actions appartenaient à Bell et 40% à Western Electric. Ensuite, pendant plusieurs années, avant 1973, 100% de ses actions apparte- naient à Bell, mais depuis qu'elle a étendu ses activités dans d'autres pays, une partie de son capital-actions a été vendue au public.
Il est possible que la participation de Bell baisse au-dessous de sa participation actuelle de 60.5% mais Bell a l'intention d'en garder le contrôle. Depuis décembre 1979, le président-directeur général de Bell est également président de Tele- com. Depuis le début de l'année 1980, le président- directeur général de Telecom est un dirigeant de Bell. Il y a un certain va-et-vient entre ces deux sociétés au niveau de la direction. Bell n'intervient
pas dans les activités quotidiennes de Telecom. Il existe une collaboration étroite entre Bell et Tele- com au niveau de la recherche et du développe- ment d'articles nouveaux. Il ne semble y avoir aucun lien entre Telecom Canada ou Telecom et quelque autre client de Telecom Canada.
Les parties qui soutiennent que la réponse à la question soumise par le Conseil devrait être néga- tive insistent sur le fait que l'entreprise de télécom- munication de Bell consiste en la transmission de messages pour les clients moyennant rémunéra- tion, sur le fait que le travail des installateurs doit être considéré comme la dernière étape de l'exécu- tion par Telecom Canada de son contrat de vente de matériel, installation comprise, et, dans une certaine mesure, sur le fait que le travail effectué par les installateurs de Telecom Canada ne consis- tait pas exclusivement à installer le matériel vendu à Bell. Ces façons de voir la situation tendent à suggérer que les relations de travail, en ce qui concerne les installateurs, relèvent de la compé- tence provinciale. Mais je ne crois pas que cela règle les choses que d'insister indûment sur les aspects de la situation qui tendent à démontrer que la compétence est provinciale. La compétence est provinciale—à moins qu'elle ne soit fédérale. La seule question à résoudre est donc de savoir si la compétence est fédérale, c'est-à-dire si le Parle- ment est compétent, du fait que l'entreprise de télécommunication de Bell est une entreprise fédé- rale assujettie aux pouvoirs législatifs exclusifs du fédéral, pour légiférer relativement aux relations de travail en ce qui concerne les installateurs de Telecom Canada.
Selon moi, le lien étroit qui existe entre Bell et Telecom Canada a très peu d'importance. Il s'agit en quelque sorte d'un complément de poids en ce sens que les sociétés sont plus proches que s'il n'y avait pas de tel lien mais, en l'absence des élé- ments suivants, le lien serait compatible avec les deux conclusions. Ce qui revêt un peu plus d'im- portance, c'est le fait que ces installateurs n'ont en réalité aucun rapport avec les autres employés de Telecom Canada mais qu'ils ont des rapports dans leur travail avec le personnel de Bell, qu'ils ne travaillent pas dans les locaux de leur employeur mais qu'ils effectuent la plus grande partie de leur travail dans les locaux de Bell et, enfin, qu'ils constituent une catégorie à part effectuant un
genre de travail différent de celui des employés de Telecom Canada qui effectuent du travail d'ingé- nierie et de fabrication. Leurs seules fonctions consistent dans l'installation de matériel de télé- communication, principalement pour Bell.
Mais l'élément de cette affaire qui me semble revêtir la plus grande importance et qui tend à démontrer de façon concluante que la compétence est fédérale, c'est le fait que les installateurs, tous les jours, durant 80% de leurs heures de travail, participent à une entreprise fédérale dont la nature même exige un programme permanent de réamé- nagement, de rénovation, de mise à jour et d'exten- sion de son système de commutation et de trans mission ainsi que l'installation du matériel de télécommunication conçu pour satisfaire à ce besoin. Compte tenu du fait que 80% du travail effectué par ces installateurs tous les jours est du travail effectué dans l'entreprise de Bell, je suis d'avis que la thèse selon laquelle le fédéral a compétence relativement à leurs relations de tra vail est fondée et que le Conseil devrait l'exercer en conformité avec les dispositions du Code cana- dien du travail. D'après moi, le fait que 20% du travail des installateurs n'est pas effectué pour Bell ne modifie pas cette conclusion 2 .
Je n'entends pas examiner toute la jurisprudence citée. Les arrêts sont tous différents d'une façon ou d'une autre sur le plan des faits et il peut en outre être établi une distinction avec quelques-uns d'en- tre eux parce qu'ils portent sur des domaines de compétence fédérale autre que celle relative à des entreprises fédérales. Je répondrais par l'affirma- tive à la question soumise.
* * *
LE JUGE RYAN: Je suis d'accord.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE LE DAIN: Je suis d'accord pour répon- dre par l'affirmative à la question soumise par le Conseil parce que les installateurs de Northern
2 Comparer avec l'affaire Union des facteurs du Canada c. Syndicat des postiers du Canada [1975] 1 R.C.S. 178. Le fait qu'une partie du travail des employés en cause était effectuée pour des clients autres que les Postes n'a eu aucune influence sur l'issue du litige.
Telecom sont des employés dans le cadre d'une entreprise fédérale au sens de l'article 108 du Code canadien du travail. Les deux positions s'équili- brent, comme l'a mentionné le Conseil, mais je crois que ce qui fait pencher la balance du côté de la compétence fédérale c'est le lien fonctionnel étroit qui existe entre le travail des installateurs et les activités de Bell. Il y a évidemment deux entreprises ou exploitations: l'entreprise de Bell, qui est fédérale, et Northern Telecom, une entre- prise de fabrication dont les relations de travail relèvent de prime abord de la compétence provin- ciale. S'il est vrai que l'entreprise exploitée par Northern Telecom était à l'origine une partie de l'exploitation de Bell, Northern Telecom est deve- nue une entreprise distincte, son capital-actions étant ouvert à la participation du public et une partie importante de son marché étant composée de clients autres que Bell. Manifestement, Bell a dû, à un moment donné, prendre la décision de la laisser se développer au maximum pour devenir une entreprise autosuffisante afin qu'elle puisse fournir à Bell du matériel aux conditions les plus favorables. Bell garde le contrôle de cette société et demeure son client le plus important, mais North ern Telecom est devenue elle-même une très importante entreprise de fabrication. L'installation constitue une partie importante, sinon essentielle, de ses activités. A cause de la nature très techni que du matériel qu'elle fabrique et qu'elle vend, une grande partie de ses contrats de vente inclut l'installation, qui n'est en fait qu'une forme parti- culière de livraison. C'est cet aspect de l'affaire qui constitue un argument important en faveur de la compétence provinciale. Mais l'installation est reliée très intimement et d'une façon très complexe au fonctionnement du matériel de télécommunica- tion qui constitue l'essence même de l'entreprise de Bell. Parce que l'installation a nécessairement un effet sur le fonctionnement, il doit y avoir une collaboration et une coordination étroites entre les installateurs et les techniciens de Bell qui sont responsables du fonctionnement. Afin d'assurer la continuité du service de la façon la plus efficace possible, l'installation est effectuée selon un plan ou un échéancier convenu. Les installateurs et les techniciens de Bell travaillent côte à côte dans le cadre de ce programme permanent qui fait partie de l'effort pour augmenter la capacité du système. Le travail des installateurs a un effet direct et immédiat sur l'efficacité du fonctionnement. Pour
cette raison, je crois qu'ils doivent être considérés comme étant des employés dans le cadre de l'en- treprise de Bell. Leur lien avec le fonctionnement de l'entreprise de Bell est plus important et criti que du point de vue des relations de travail que leur lien avec les aspects fabrication et vente de l'entreprise de Northern Telecom. J'arrive à cette conclusion après avoir appliqué le critère établi par le juge Dickson dans l'arrêt Northern Telecom Limitée c. Les Travailleurs en communication du Canada [1980] 1 R.C.S. 115, à la page 133: le «lien pratique et fonctionnel» entre les activités des installateurs et l'entreprise de Bell.
Ceux qui ont plaidé en faveur de la compétence provinciale ont insisté plus particulièrement sur la signification du jugement de la Cour suprême du Canada dans Construction Montcalm Inc. c. La Commission du salaire minimum [1979] 1 R.C.S. 754. En toute déférence, je ne crois pas qu'il existe quelque analogie que ce soit entre la construction de pistes d'atterrissage par un entrepreneur confor- mément aux normes fédérales et l'installation, sur une base continue ou quasi permanente, de maté riel nouveau ou de matériel de remplacement dans un système de télécommunication en service.
* * *
LE JUGE RYAN: Je suis d'accord.
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