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T-2366-80
Pedro Ernesto Leon Echeverria (Intimé)
(Demandeur)
c.
Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration, le comité consultatif sur le statut de réfugié et le sous-procureur général du Canada (Requérants) (Défendeurs)
Division de première instance, le juge suppléant Smith—Winnipeg, ler décembre 1980 et 22 mai 1981.
Pratique Requête en radiation des plaidoiries Les défendeurs demandent la radiation de la déclaration au motif qu'elle ne révèle aucune cause raisonnable d'action Le demandeur, un ressortissant chilien qui réside maintenant au Canada, s'est vu refuser le statut de réfugié au sens de la Convention Le Ministre et le comité consultatif sur le statut de réfugié ont tenu compte de renseignements et de preuve extrinsèques Le demandeur soutient que l'action soulève des questions de fait et de droit qui ne devraient pas être traitées de manière sommaire sur requête L'obligation d'agir équitablement est soulevée Il échet de déterminer si l'obligation d'agir équitablement s'applique aux décisions sur la reconnaissance du statut de réfugié, prises conformément à l'art. 45 de la Loi sur l'immigration de 1976 II échet de déterminer s'il y a lieu de juger du mérite de l'action au stade de la requête avant dire droit Requête déboutée Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, c. 52, art. 45 Règle 419 de la Cour fédérale.
Arrêts examinés: Le ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration c. Hardayal [1978] 1 R.C.S. 470; Marti- neau c. Le Comité de discipline de l'Institution de Mats- qui [1980] 1 R.C.S. 602. Distinction faite avec l'arrêt: Mensah c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration [1982] 1 C.F. 70.
REQUÊTE. AVOCATS:
Arne Peltz pour l'intimé (demandeur).
Craig Henderson pour les requérants (défen- deurs).
PROCUREURS:
Ellen Street Community Legal Services, Winnipeg, pour l'intimé (demandeur).
Le sous-procureur général du Canada pour les requérants (défendeurs).
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE SUPPLÉANT SMITH: Est en cause une requête des défendeurs sur le fondement de la Règle 419 en radiation de la déclaration en l'es- pèce, motif pris qu'elle ne révèle aucune cause raisonnable d'action. Le demandeur soutient que l'action soulève d'importantes questions de fait et de droit relatives à la procédure canadienne de revendication du statut de réfugié qui gagneraient à être traitées au fond et non avant dire droit, sommairement, sur requête.
Les faits, comme les énonce la déclaration et qui pour les fins de la requête peuvent être considérés comme avérés, se résument comme suit.
Le demandeur est un ressortissant chilien rési- dant présentement à Winnipeg au Canada. Alors qu'il habitait le Chili, entre 1969 et mars 1975, il s'est adonné à des activités politiques et a milité dans des organisations dont, entre autres, les Fren- tes Izquierda. Après le renversement du gouverne- ment chilien par le coup d'État de 1973, il poursui- vit ses activités dans la clandestinité en opposition au gouvernement militaire. Ce qui amena son arrestation en mars 1975 et sa détention sans procès et sans qu'aucune accusation ne soit portée contre lui, jusqu'en août 1975. Alors qu'il était détenu, outre des interrogatoires au sujet de ses activités politiques et des associations dont il était membre, il a été soumis à la torture et a été, notamment, battu, a reçu des chocs électriques et subi d'autres mauvais traitements physiques et psychologiques; il en conserve des cicatrices per- manentes et un traumatisme émotionnel grave.
Libéré, il a fui en Argentine par crainte pour sa sécurité personnelle. Depuis lors, par peur d'être persécuté au Chili pour ses opinions politiques, peur largement fondée, il vit à l'extérieur de son propre pays.
Il a obtenu l'autorisation temporaire de s'établir en Argentine où, en décembre 1977, soupçonné de se livrer à des activités politiques, il fut arrêté par les autorités argentines. Il fut libéré en janvier 1978 et demanda au Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés la confirmation de son statut de réfugié au sens de la Convention. Après enquête le Haut Commissariat lui confirma ce statut. En mars 1979 il était à nouveau arrêté
brièvement par les autorités argentines. Libéré, il a pris ses dispositions pour quitter le pays.
Le 19 mai 1979 il arriva au Canada. A l'aéro- port de Toronto il demanda le statut de réfugié. L'Immigration fit enquête, laquelle fut ajournée conformément à l'article 45 de la Loi sur l'immi- gration de 1976, S.C. 1976-77, c. 52.
Le 4 juin 1979, puis le 20, il fut interrogé sous serment par un agent d'immigration supérieur. Au cours de cet interrogatoire, il mentionna notam- ment qu'il avait obtenu le statut de réfugié au sens de la Convention en Argentine.
Sa revendication du statut de réfugié fut étudiée par le comité consultatif sur le statut de réfugié, défendeur en l'instance, à des dates qu'ignore le demandeur; le comité a alors fait une recomman- dation au Ministre, ou à son mandataire. Subsé- quemment à une date qu'ignore le demandeur, le Ministre, ou son mandataire, a statué qu'il n'était pas un réfugié au sens de la Convention.
La déclaration poursuit alors en disant que dans ces deux cas le comité et le Ministre, ou son mandataire, ont été saisis et ont tenu compte de renseignements et d'une preuve extrinsèques à la transcription de la déposition sous serment du demandeur. Ni la nature ni le contenu de cette preuve et de ces renseignements extrinsèques n'ont jamais été révélés au demandeur et celui-ci n'a jamais eu la possibilité d'expliquer, de réfuter ou de faire valoir quelque observation à ce sujet. Ni le comité, ni le Ministre, ni son mandataire ne l'ont entendu.
A ce stade je dois prendre acte que la déclara- tion se borne à dire que des renseignements et une preuve extrinsèques ont été examinés sans que ne soit donnée aucune indication sur la façon dont on a connu ce fait ni sur la nature des renseignements et de la preuve examinés. Je note aussi que l'article 45 de la Loi qui prescrit la procédure à suivre en cas de réclamation du statut de réfugié ne prévoit nullement que le comité ou le Ministre doit accor- der une audition.
Le 24 avril 1980, le comité a notifié au deman- deur que le Ministre avait rejeté sa revendication du statut de réfugié et lui a fourni les motifs de cette décision.
Le recours que prétend exercer le demandeur en l'espèce est énoncé dans la déclaration (paragra- phe 18) comme suit:
[TRADUCTION] 18. Le demandeur conclut donc à:
a) jugement déclaratoire disant que le demandeur est un réfu- gié au sens de la Convention et a droit à tous les droits et privilèges découlant de ce statut au Canada.
b) Subsidiairement, à jugement déclaratoire que la décision du Ministre, que le demandeur n'est pas un réfugié au sens de la Convention, est nulle pour le ou les motifs suivants:
(i) les défendeurs sont sortis de leur compétence, ou n'avaient pas cette compétence, et ont enfreint la règle de justice naturelle audi alteram partem. (A l'audience de la requête en question, l'avocat du demandeur a déclaré que cette conclusion devait être radiée.)
(ii) Subsidiairement, les défendeurs ont manqué à leur obli gation d'agir équitablement lorsque saisis de la demande de statut de réfugié du demandeur.
(iii) Au vu même du dossier, le Ministre a commis une erreur de droit et exigé une norme de preuve erronée lors de l'évaluation du témoignage sous serment du demandeur.
(iv) Le Ministre a substitué sa propre opinion sur le sens des activités politiques du demandeur au Chili à l'opinion des autorités gouvernementales chiliennes que révèle la preuve, prenant par en compte des facteurs non pertinents.
(y) Le Ministre n'a pas tenu compte de certains facteurs pertinents comme le statut de réfugié du demandeur au sens de la Convention en Argentine et l'opinion du Bureau du H.C.N.U.R. au Canada, qui était que le demandeur avait conservé son statut de réfugié au Canada.
(vi) Le Ministre et le comité ont enfreint leurs obligations d'après la Convention, notamment son Article 35.
c) Outre l'alinéa b) ci-dessus, à une ordonnance de mandamus ou à jugement déclaratoire que le comité réentende la demande de statut de réfugié du demandeur conformément au droit, et que le Ministre décide si le demandeur est ou non un réfugié au sens de la Convention.
d) Aux dépens.
Ayant reconnu que la règle audi alteram partem ne s'applique pas aux décisions purement administratives, l'avocat du demandeur (l'intimé) a fait valoir que pour le reste les conclusions soulèvent d'importantes et difficiles questions de droit et de fait dont on ne devrait pas disposer sommairement sur requête; elles devraient être instruites lors de l'audition au fond de l'action, lorsque tous les faits seront connus. Il a invoqué avec insistance la règle générale voulant qu'un organisme administratif, en rendant ses décisions, doive agir équitablement envers la ou les personnes dont les droits et intérêts seront alors affectés.
L'avocat des défendeurs (les requérants) d'autre part soutient que la règle de l'équité ne s'applique pas aux décisions qui concernent le statut de réfu- gié en vertu de l'article 45 de la Loi sur l'immi- gration de 1976. Cette conception du droit, sou- tient-il, s'appuierait sur l'arrêt de la Cour d'appel fédérale Mensah c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration [1982] 1 C.F. 70. En cette espèce, le juge Pratte, au nom de la Cour, a dit, aux pages 70 et 71:
En premier lieu, le requérant affirme que la décision du Ministre était nulle parce que ce dernier n'avait pas préalable- ment donné au requérant la possibilité de répondre aux objec tions opposées par le Ministre à ses prétentions. En réponse à cet argument, il suffit de dire qu'il ressort d'une lecture atten tive des articles 45 et suivants de la Loi sur l'immigration de 1976 que le législateur n'entendait pas soumettre le Ministre ou le comité consultatif sur le statut de réfugié à l'obligation procédurale d'équité qu'invoque le requérant.
L'avocat du demandeur (l'intimé) soutient qu'un distinguo peut être fait entre l'arrêt Mensah et l'espèce actuelle pour plusieurs raisons. Le re- quérant dans l'arrêt Mensah ne cherchait qu'à obtenir la possibilité de répondre «aux objections opposées par le Ministre à ses prétentions», posté- rieurement donc à la décision du Ministre, alors qu'en l'espèce le demandeur veut [TRADUCTION] «prendre connaissance des informations dont se sont servis le comité et le Ministre» et la possibilité d'y répondre, avant que la décision du Ministre ne soit prononcée. A mon avis, cet argument n'a que peu de poids car l'arrêt Mensah, qui, bien entendu, a été prononcé en fonction des faits de cette espèce, ne dit cependant rien sur la nature que doit avoir l'information demandée mais repose sur la proposition générale selon laquelle «le législateur n'entendait pas soumettre le Ministre ou le comité consultatif sur le statut de réfugié à l'obligation procédurale d'équité qu'invoque le requérant». Quant à moi, ces termes signifient que la Cour a conclu que l'obligation d'équité ne s'applique pas aux affaires relatives à l'article 45 de la Loi sur l'immigration de 1976.
Bien entendu, les arrêts de la Cour d'appel fédérale sont obligatoires pour notre juridiction et si l'affaire Mensah était l'unique arrêt relatif à l'obligation procédurale d'équité, la situation serait claire. Toutefois, cette obligation du tribunal administratif de traiter équitablement les person- nes qui seront affectées par ses décisions a été
l'objet de l'attention des tribunaux à plusieurs occasions récemment, dans certains cas en corréla- tion avec les dispositions de la Loi sur l'immigra- tion. Je pense particulièrement à certains arrêts de la Cour suprême du Canada.
Dans l'arrêt Le ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration c. Hardayal [1978] 1 R.C.S. 470, le litige portait sur les pouvoirs du Ministre selon l'article 8 de la Loi sur l'immigration, S.R.C. 1970, c. I-2, d'accorder, de proroger et plus particulièrement d'annuler un permis autorisant de demeurer au Canada. A la page 478, le juge Spence se dit fortement convaincu qu'il s'agissait d'un pouvoir qu'on avait voulu purement admi- nistratif et non soumis à un processus judiciaire ou quasi judiciaire. Il ajoutait [aux pages 478 et 479]: «... je ne peux conclure que l'intention du législa- teur était d'en assujettir l'exercice au droit à une audition équitable, comme l'a allégué l'intimé». Il était donc d'avis que la décision du Ministre n'en était pas une qui puisse faire l'objet du contrôle de la Cour d'appel fédérale sur le fondement de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2 e Supp.), c. 10. Il admettait cependant que la page 479]:
Il est vrai que dans l'exercice de ce qui constitue, à mon avis, un pouvoir administratif, le Ministre doit agir équitablement et pour des motifs légitimes, et l'omission de ce faire pourrait bien donner le droit à l'intéressé d'entamer des procédures en vertu de l'al. a) de l'art. 18 de la Loi sur la Cour fédérale.
L'action en cause a été engagée sur le fonde- ment de l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale. Ce dernier extrait de l'arrêt du juge Spence dit que le Ministre doit agir équitablement, sans expliquer toutefois ce qu'on entend par «équitablement». Il n'est pas impossible de penser que dans le cas d'une personne revendiquant le statut de réfugié, cela puisse inclure que l'on laisse le requérant prendre connaissance des informations pertinentes à l'espèce que le Ministre a en sa possession et qu'on lui offre la possibilité d'y répondre. L'opi- nion de la Cour suprême voulant que le Ministre doive agir équitablement lorsqu'il décide d'accor- der ou d'annuler un permis autorisant de demeurer au Canada, à mon avis, s'applique aussi dans le cas il doit décider si une personne a droit ou non au statut de réfugié. Peut-être que dans ce dernier cas, la raison d'être de cette obligation se justifie d'autant plus que contrairement au pouvoir d'ac- corder et de refuser un permis de demeurer au
Canada, il n'y a rien dans le droit relatif au statut de réfugié qui dise que ce statut ne doit être accordé que dans des circonstances inhabituelles et exceptionnelles.
Dans l'arrêt Martineau c. Le Comité de disci pline de l'Institution de Matsqui [1980] 1 R.C.S. 602, la Cour suprême était saisie, notamment, de la question de l'obligation d'équité lors d'une audi tion du Comité de discipline intimé. Le juge Dick- son a passé en revue assez longuement la portée grandissante de l'obligation d'équité imposée aux tribunaux administratifs. Dans ses conclusions sur l'état actuel du droit il dit, aux pages 630 et 631:
Le contenu des principes de justice naturelle et d'équité applicables aux cas individuels variera selon les circonstances de chaque cas, comme l'a reconnu le lord juge Tucker dans Russell v. Duke of Norfolk ([1949] 1 All E.R. 109), à la p. 118.
Voici quelle était sa conclusion finale la page 631]:
8. En conclusion, la simple question à laquelle il faut répon- dre est celle-ci: compte tenu des faits de ce cas particulier, le tribunal a-t-il agi équitablement à l'égard de la personne qui se prétend lésée? Il me semble que c'est la question sous-jacente à laquelle les cours ont tenté de répondre dans toutes les affaires concernant la justice naturelle et l'équité.
A mon avis, cette espèce n'en est pas une la déclaration doit être radiée sur requête avant dire droit. Il y a litige entre les parties au sujet du droit applicable, qui, compte tenu de la jurisprudence, notamment de la jurisprudence précitée de la Cour suprême et de la Cour d'appel fédérale, dont les arrêts Mensah, précité, et Brempong c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration [1981] 1 C.F. 211, ne semble pas entièrement certain. Il y a aussi certaines questions de fait. Toutes ces questions gagneraient à être instruites au fond à la lumière de tous les faits qui seront alors révélés plutôt que sur une requête avant dire droit en radiation de la déclaration.
Ayant conclu que la déclaration, pour les motifs qui précèdent, ne doit pas être radiée, j'estime qu'il n'est pas nécessaire de traiter des autres moyens soutenus par les avocats des parties.
La requête est déboutée, les dépens allant à l'intimé (le demandeur).
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