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T-2954-80
384238 Ontario Limited et Maple Leaf Lumber Company Limited (Demanderesses)
c.
La Reine du chef du Canada (Défenderesse)
Division de première instance, le juge Cattanach— Ottawa, 12 et 20 mars 1981.
Impôt sur le revenu Saisie des biens du débiteur d'un jugement en vertu d'un certificat déposé sur le fondement de l'art. 223 de la Loi de l'impôt sur le revenu Les demande- resses actionnent la défenderesse en saisie et en possession irrégulières de biens leur appartenant Production d'actes reliés au transfert des biens postérieure au dépôt de la défense Demande par la défenderesse de réviser sa défense et de faire valoir les art. 2 et 3 de The Fraudulent Conveyances Act comme défense et d'articuler certains détails des transactions dites frauduleuses 11 échet d'examiner si une loi peut être invoquée comme moyen de défense Requête accueillie Rien n'interdit d'invoquer une loi provinciale en défense dans une affaire dont cette Cour est saisie Similairement, rien n'empêche de plaider la loi comme défense si les faits sont tels qu'elle s'applique aux aliénations Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, c. 63, art. 223 The Fraudulent Conveyances Act, S.R.O. 1970, c. 182, art. 2 et 3.
Arrêt mentionné: McNamara Construction (Western) Ltd. c. La Reine [1977] 2 R.C.S. 654.
REQUÊTE. AVOCATS:
R. Reynolds pour les demanderesses. M. Kelen pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Reynolds, Hunter, Sullivan and Kline, Belle- ville, pour les demanderesses.
Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE CATTANACH: Le ministre du Revenu national a certifié, conformément à l'article 223 de la Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1952, c. 148, modifiée par S.C. 1970-71-72, c. 63, que Kenneth Allen n'a pas payé sa cotisation d'impôt; il . a produit devant la Cour un certificat à cet effet, lequel, sur dépôt, sera enregistré et, sur enregistre- ment, des voies d'exécution pourront être ouvertes sur son fondement, comme s'il s'agissait d'un juge- ment de la Cour, quoique ce n'en soit pas un.
L'enregistrement n'a pas été contesté et le Ministre a obtenu des brefs d'exécution qu'il a remis au shérif du comté de Hastings et à celui du comté de Grey, pour exécution du certificat enre- gistré, à même les biens, meubles et immeubles, du débiteur.
C'est ce que les shérifs ont fait. Le principal actif du patrimoine saisi consistait en des chevaux élevés à des fins d'exposition ou pour être vendus à ces fins. Certains des chevaux saisis avaient été enregistrés auprès de la Division de la production animale du ministère de l'Agriculture, Kenneth Allen étant donné comme propriétaire. D'autres chevaux saisis n'avaient pas été enregistrés.
Par leur déclaration révisée en date du 4 novem- bre 1980, dont les allégations qui nous importent sont en substance les mêmes que dans les actes antérieurs, les demanderesses agissent contre la défenderesse, notamment en dommages-intérêts, pour saisie et possession irrégulières de leurs biens, et réclament un jugement déclaratoire selon lequel les biens saisis sont les leurs et non la propriété de Kenneth Allen et en conséquence ne peuvent faire l'objet d'une saisie de la part d'un créancier d'Allen.
Ainsi le fait crucial sur lequel le litige en cause doit être résolu est la propriété des biens saisis. Les demanderesses en sont-elles propriétaires ou est-ce Allen, le débiteur du jugement de la défenderesse?
Dans sa défense, en date du 13 novembre 1980, la défenderesse prétend fausse l'allégation de la déclaration disant que les biens saisis appartien- nent aux demanderesses et soutient qu'ils apparte- naient au débiteur du jugement et qu'ils ont été saisis comme tels.
Postérieurement au dépôt de la défense, certains actes reliés au transfert de la propriété ont été produits notamment un acte de gage et un billet à ordre comme contrepartie de la vente.
En conséquence la défenderesse demande main- tenant de réviser sa défense pour invoquer les articles 2 et 3 de The Fraudulent Conveyances Act, S.R.O. 1970, c. 182, comme moyen de défense et prétend frauduleux trois actes: (1) une
vente d'actifs, en juin 1978, de Mm° Emily Allen à la compagnie demanderesse, celle identifiée par un
numéro en lieu et place d'un nom, comme n'étant pas une aliénation faite de bonne foi envers un acheteur contre une contrepartie valable; (2) un contrat de gage conclu entre Emily Allen et Ken Allen and Sons Limited parce que sans contrepar- tie, dans l'unique but de frauder les créanciers et (3) le don d'un tracteur à un fils mineur du débiteur du jugement et la vente subséquente par le mineur à la demanderesse innomée, affectée d'un numéro, comme étant une aliénation faite dans le but de frauder les créanciers.
La défenderesse demande aussi la révision de sa défense afin d'invoquer le paragraphe 3(6) de la Loi sur la responsabilité de la Couronne, S.R.C. 1970, c. C-38, lequel sauvegarde l'immunité de la Couronne tant légale qu'en vertu de la prérogative.
A la clôture du débat en l'espèce, j'ai accordé la révision demandée relativement à la Loi sur la responsabilité de la Couronne mais j'ai pris en délibéré la demande d'autorisation d'invoquer The Fraudulent Conveyances Act, étant soulevée la question de savoir si cette loi peut constituer un moyen de défense et être plaidée comme tel.
Si je comprends bien l'argument de l'avocat des demanderesses à cet égard, en voici la teneur:
(1) une aliénation frauduleuse et nulle à l'égard des créanciers n'est qu'annulable et il est bien établi qu'elle est valable entre les parties;
(2) si on accepte comme prémisse que l'aliéna- tion n'est qu'annulable, et non nulle ab initio, il faut une déclaration, un acte positif, que l'alié- nation annulable a bien été annulée;
(3) si on accepte cette deuxième prémisse, la demande de jugement déclaratoire (sur le fonde- ment de l'effet combiné des Règles 400 et 603 des Règles de la Cour fédérale, voir Doucette c. Le ministre des Transports T-975-79, 27 mars 1979, juge Mahoney [ [ 1979] 2 C.F. 431]) doit être engagée par voie de déclaration, devant la Cour fédérale en tout cas;
(4) une déclaration demandant qu'un jugement déclare nulle une aliénation frauduleuse n'est pas de la compétence de la Cour parce qu'il ne s'agit pas de droit canadien au sens de l'arrêt
McNamara Construction (Western) Ltd. c. La Reine [1977] 2 R.C.S. 654.
Je conçois bien l'effet des articles 2 et 3 de The Fraudulent Conveyances Act comme étant qu'une aliénation frauduleuse et nulle relativement aux créanciers ne l'est pas absolument mais est annula- ble et demeure valide entre les parties. D'après l'article 3, l'article 2 (qui dispose qu'une aliénation faite dans le but de frauder les créanciers est nulle à leur égard et à l'égard de leurs ayants cause) ne s'applique pas aux biens aliénés pour contrepartie valable, de bonne foi, à un tiers qui ignore, au moment de l'aliénation, l'intention dolosive.
Ainsi, lorsqu'une aliénation est faite contre con- trepartie valable, il faut démontrer l'intention dolosive des deux parties à l'aliénation. Lorsqu'elle est à titre gratuit, il suffit de démontrer l'intention dolosive de l'aliénateur uniquement.
L'objet manifeste de la défenderesse en deman- dant la révision de sa défense, comme elle le fait, en concluant à la pertinence de The Fraudulent Conveyances Act, est de se servir de cette conclu sion comme véhicule ouvrant à des conclusions de faits lui permettant d'administrer une preuve qui démontrera les faits susceptibles d'amener le juge du fond à conclure que la propriété des biens n'a pas été réellement transmise aux demanderesses.
La défenderesse ne demande pas un jugement déclaratoire.
J'ai laissé entendre au cours du débat qu'il n'y avait pas nécessité vitale de conclure à l'applica- tion de cette loi en tant que telle mais qu'on pouvait se borner à plaider les faits de façon à ce que joue et s'applique la loi provinciale. Je ne vois rien qui interdise d'invoquer une loi provinciale en défense dans une affaire dont notre juridiction est saisie et je pense par exemple aux lois sur le dol et sur la prescription. De même si, comme je crois que c'est le cas, les faits sont tels que The Fraudu lent Conveyances Act s'applique aux aliénations, rien n'empêche de plaider la loi elle-même comme défense.
En outre la révision de la défense proposée allègue plus particulièrement que les biens n'ont pas été aliénés contre contrepartie valable par les transactions, comme le révèle l'examen de la chaîne de titres (deux maillons seraient défec-
tueux) et que ces aliénations n'ont pas été faites de bonne foi, ce qui exclut à leur égard l'application de l'exception de l'article 3 et, en conséquence, l'article 2, selon lequel l'aliénation d'un bien en fraude des créanciers est nulle quant à eux, demeure.
Il y a des motifs satisfaisants qui expliquent pourquoi ce moyen de défense particulier n'a pas été invoqué auparavant plutôt qu'une dénégation générale; des pièces ont été trouvées et produites par les demanderesses alors qu'on les disait aupa- ravant introuvables (soit le billet à ordre et l'acte de gage) et, en conséquence, la révision proposée n'est pas sans fondement; elle est essentielle pour permettre au juge du fond de connaître de tout le litige.
C'est pourquoi j'accorde la requête de la défen- deresse et l'autorise à réviser sa défense en conséquence.
Ce faisant on ne devrait pas m'interpréter comme m'étant prononcé sur les arguments qu'ont fait valoir les demanderesses; leur avocat garde le loisir de les répéter devant le juge du fond et celui-ci n'est nullement lié par les remarques faites en l'instance.
L'avocat des demanderesses a proposé, si je devais en arriver à la conclusion à laquelle j'arrive, que la défenderesse soit soumise à certaines condi tions relativement aux dépenses subies en raison de la saisie, etc.
Je ne pense pas. Les demanderesses veulent des dommages exemplaires avec frais comme entre avocat et client advenant qu'elles aient gain de cause.
Pour moi, imposer des conditions serait, à mon avis, usurper la fonction du juge du fond sans bénéficier de la preuve qui sera administrée de vive voix devant lui, aussi je m'y refuse.
Toutefois, le procureur de la défenderesse a consenti à ce que les dépens de la requête soient ceux des demanderesses, indépendamment qu'elle ait ou non gain de cause, en conformité de la pratique suivie dans de semblables instances. J'or- donne donc qu'il en soit ainsi.
ORDONNANCE
Autorisation est accordée à la défenderesse de réviser sa défense conformément à l'acte de défense révisé annexé à la requête en l'espèce.
Étant donné que des assurances devraient suivre de la part des avocats des parties selon lesquelles d'autres interrogatoires ne seront pas nécessaires, aucune condition à cet égard ne sera imposée.
Les demanderesses auront droit aux dépens de cette requête quelle que soit l'issue de la cause.
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