Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

A-421-80
Sternson Limited (Appelante) (Défenderesse)
c.
CC Chemicals Limited (Intimée) (Demanderesse)
Cour d'appel, les juges Ryan et Le Dain et le juge suppléant MacKay—Toronto, 12 décembre 1980; Ottawa, 4 mai 1981.
Pratique Interrogatoire préalable Appel d'une ordon- nance par laquelle la Division de première instance a interdit à
appelante de poursuivre l'interrogatoire préalable du cédant d'un brevet habitant aux E.-U. Interrogatoire préalable ordonné par un tribunal américain Jugement de première instance selon lequel la Règle 465(5) n'accorde pas à l'appe- lante le droit d'interroger au préalable le cédant d'un brevet demeurant à l'étranger et contre lequel ne peut être lancé de subpoena Est-ce à tort que le premier juge a rendu une ordonnance qui interdit à l'appelante d'exercer un droit décou- lant d'une ordonnance d'une cour étrangère agissant dans les limites de sa compétence? Règle 465 de la Cour fédérale United States Code, Titre 28, art. 1782.
Cet appel est à l'encontre de l'ordonnance par laquelle la Division de première instance a interdit à l'appelante de pour- suivre l'interrogatoire préalable du cédant d'un brevet se trou- vant hors du ressort de la Cour. L'intimée, cessionnaire du brevet, avait intenté une action pour contrefaçon d'un brevet. L'interrogatoire préalable a été ordonné par une Cour de District des États-Unis. L'appelante a allégué que la Règle 465(5), qui prévoit l'interrogatoire préalable du cédant d'un brevet par une partie qui est opposée au cessionnaire, lui donnait le droit d'interroger le cédant. En outre, ce droit a servi de fondement à l'ordonnance américaine. Le juge de première instance a estimé que la Règle 465(5) n'accordait pas à l'appe- lante le droit d'interroger au préalable un cédant demeurant à l'étranger contre qui ne pourrait être délivré de subpoena en vertu de la Règle 465(9). Il échet d'examiner si c'est à tort que le juge de première instance a rendu une ordonnance interdi- sant à l'appelante d'exercer un droit découlant d'une ordon- nance d'une cour étrangère agissant dans les limites de sa compétence, ordonnance qui n'a pas été obtenue à des fins vexatoires.
Arrêt: l'appel est accueilli. Le premier juge a accordé la suspension parce que l'appelante avait «contourné le droit de notre juridiction, le droit applicable en cette espèce», et avait ainsi obtenu un avantage illégitime. Il est vrai que la Division de première instance n'aurait pu ordonner l'interrogatoire préa- lable du cédant parce que, et seulement parce que, il n'aurait pas alors été soumis à un subpoena délivré au Canada. Cela ne devrait pas empêcher l'appelante de se présenter devant un tribunal américain ayant juridiction sur le cédant pour obtenir, en vertu de la loi américaine applicable, le genre d'ordonnance qu'elle pourrait obtenir de la Cour fédérale si le cédant du brevet s'était trouvé au Canada. La procédure à laquelle on a eu recours à l'étranger est une procédure admissible dans l'action dont la Cour fédérale est saisie en ce qui concerne un cédant à qui il est possible de faire une signification au Canada.
L'interrogatoire intervenu à l'étranger n'est évidemment pas celui prévu à la Règle 465. Cela ne signifie pas qu'il soit interdit d'y procéder.
Arrêts mentionnés: Lido Industrial Products Limited c. Teledyne Industries, Inc. [1979] 1 C.F. 310; Ellerman Lines, Limited c. Read [1928] 2 K.B. 144 (C.A.). Distinc tion faite avec l'arrêt: Armstrong c. Armstrong [1892] P. 98.
APPEL. AVOCATS:
Robert Barrigar et John Morrissey pour l'ap- pelante (défenderesse).
Donald H. MacOdrum pour l'intimée (demanderesse).
PROCUREURS:
Barrigar & Oyen, Ottawa, pour l'appelante (défenderesse).
Hayhurst, Dale & Deeth, Toronto, pour l'inti- mée (demanderesse).
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE RYAN: L'appel est à l'encontre de l'ordonnance par laquelle la Division de première instance a, le 18 juin 1980, [[1981] 1 C.F. 541], interdit à l'appelante («la défenderesse») de pour- suivre l'interrogatoire préalable de Solomon J. Rehmar aussi longtemps qu'il se trouvera hors du ressort de la Cour fédérale.
En septembre 1977, l'intimée («la demande- resse») a intenté une action en Cour fédérale, Division de première instance, contre la défende- resse pour contrefaçon d'un brevet. Solomon J. Rehmar serait l'auteur de l'invention décrite dans le brevet. Quant à la demanderesse, elle serait la propriétaire du brevet en vertu d'une cession à elle consentie par M. Rehmar.
L'interrogatoire préalable dont il est question a été ordonné par un juge d'une Cour de District des États-Unis le 10 juin 1980. M. Rehmar demeure dans le ressort judiciaire de la Cour qui a rendu l'ordonnance. Cette dernière a été rendue sur le fondement de l'article 1782, Titre 28 du United States Code. Le 12 juin 1980, la Cour de District des États-Unis assignait M. Rehmar à comparaître à un interrogatoire devant être tenu à Cleveland, Ohio, le 25 juin 1980.
La Division de première instance a rendu l'or- donnance dont il est fait appel, laquelle interdit à la défenderesse de poursuivre l'interrogatoire de M. Rehmar.
Il semble évident qu'en rendant cette ordon- nance, le juge de première instance exerçait un pouvoir discrétionnaire. Néanmoins, l'appelante a allégué (même en admettant l'exercice d'un pou- voir discrétionnaire) que le premier juge s'est trompé dans l'exercice de son pouvoir discrétion- naire en interprétant mal l'alinéa (5) de la Règle 465 des Règles de la Cour fédérale ou, subsidiaire- ment, en rendant une ordonnance interdisant à l'appelante d'exercer un droit découlant d'une ordonnance rendue par une cour étrangère agis- sant dans les limites de sa compétence, ordonnance qui n'a pas été obtenue à des fins vexatoires.
L'alinéa (5) de la Règle 465 prévoit l'interroga- toire préalable du cédant d'un brevet par une partie qui est opposée au cessionnaire. L'alinéa est ainsi conçu:
Règle 465... .
(5) Le cédant d'un brevet d'invention, d'un droit d'auteur, d'une marque de commerce, d'un dessin industriel ou de tout bien, droit ou intérêt peut être interrogé au préalable par une partie qui est opposée à tout cessionnaire. (Lorsque le contexte le permet, la mention faite dans la présente Règle d'un individu qui doit être interrogé ou d'un individu qui est interrogé comprend un tel concessionnaire).
Les alinéas (6) à (9) et l'alinéa (12) sont ainsi rédigés:
(6) Un interrogatoire préalable prévu par la présente Règle peut avoir lieu devant une personne ci-après appelée «l'exami- nateur», qui peut être
a) un protonotaire;
b) une personne agréée par les parties, comme le sténographe par exemple; ou
c) un juge désigné par le juge en chef adjoint, ou quelque autre personne, si la Cour l'ordonne.
(7) Sur demande de la partie qui se propose d'exercer en vertu de la présente Règle un droit d'interrogatoire préalable, toute personne qui est habilitée par l'alinéa (6) pour être l'examinateur et qui a convenu d'agir en cette qualité pour cet interrogatoire particulier doit émettre une convocation signée par elle et fixant les temps et lieu prévus pour l'interrogatoire (Une telle convocation doit indiquer les noms de la partie qui procède à l'interrogatoire préalable, de la partie qui doit être interrogée au préalable et de l'individu qui doit être interrogé).
(8) Une convocation émise en vertu de l'alinéa (7), à laquelle doit être joint le montant approprié des frais de déplacement, doit être signifiée au procureur ou solicitor de la partie qui doit être interrogée dans le cas d'un interrogatoire préalable autre que ceux visés par l'alinéa (1)b) ou l'alinéa (5); et elle doit
également être ainsi signifiée dans le cas d'un interrogatoire préalable visé par l'alinéa (1)b) si la Cour en donne l'ordre avant que la signification ne soit effectuée; et, dans tous les cas auxquels s'applique le présent alinéa, la signification de la convocation au procureur ou solicitor de la partie qui doit être examinée, suffira.
(9) Dans tout cas auquel ne s'applique pas l'alinéa (8), l'individu qui doit être interrogé peut être cité à comparaître (par subpoena ad testificandum ou subpoena duces tecum) de la même façon qu'un témoin cité pour interrogatoire. Dans ce cas, la convocation émise en vertu de l'alinéa (7) doit être signifiée au procureur ou solicitor de la partie qui doit être interrogée au préalable ou de la partie dont l'intérêt est opposé à celui de la partie qui procède à l'interrogatoire, selon le cas.
(12) Lorsqu'un individu qui doit être interrogé au préalable est hors du ressort de la Cour, temporairement ou d'une façon permanente, la Cour pourra ordonner, ou les parties pourront convenir, que l'interrogatoire préalable soit tenu à un endroit, et de telle manière, qui sera considérée comme juste et convenable.
L'appelante allègue que l'alinéa (5) de la Règle 465 donne le droit d'interroger au préalable le cédant du brevet. Ce droit, affirme-t-elle, a servi de fondement à l'ordonnance obtenue du juge de la Cour de District des États-Unis qui, en rendant celle-ci, agissait en application des dispositions de l'article 1782, Titre 28 du United States Code, qui est ainsi rédigé:
[TRADUCTION] § 1782. Assistance aux tribunaux étrangers et internationaux et aux justiciables agissant devant eux.
a) La cour de district du district de résidence d'un individu, ou de celui on le trouve, peut lui ordonner de rendre témoi- gnage, ou de déposer, ou encore de déposer des pièces ou autres objets pouvant servir dans une instance devant un tribunal étranger ou international. L'ordonnance peut être rendue sur le fondement d'une commission ou lettre rogatoire internationale donnée par un tribunal étranger ou international, ou sur requête de tout intéressé; elle peut enjoindre que le témoignage ou la déposition soit faite, ou que la pièce ou autre objet soit déposé devant celui que nomme la cour. La personne ainsi nommée peut faire prêter serment et recevoir le témoignage ou la déposition. L'ordonnance peut stipuler que la réception du témoignage ou de la déposition, ou que la production de la pièce ou de l'objet se feront selon les règles de procédure, en totalité ou en partie, du pays étranger ou du tribunal international. A défaut de stipulation contraire de l'ordonnance, le témoignage ou la déposition sera reçue et la pièce ou l'objet déposé confor- mément aux Règles fédérales de procédure civile.
Une personne ne peut être contrainte à rendre témoignage ou à déposer, ou à déposer des pièces ou autres objets en violation d'un privilège accordé par la loi.
b) Le présent chapitre n'empêche pas une personne se trouvant aux États-Unis de rendre témoignage ou de déposer volontaire- ment, ou de déposer volontairement des pièces, ou autres objets, destinées à servir dans une instance devant un tribunal étranger ou international, devant la personne et de la manière qu'elle juge appropriée.
La Cour de District des États-Unis, accueillant la demande de l'appelante, a autorisé la délivrance d'un subpoena duces tecum ordonnant à M. Rehmar de se présenter à une certaine adresse à Cleveland pour y faire une déposition préalable [TRADUCTION] «... pour servir dans une instance actuellement pendante devant la Cour fédérale du Canada, Division de première instance, intitulée CC Chemicals Limited c. Sternson Limited, T-3587-77.» L'ordonnance stipulait que [TRADUC- TION] «... le témoignage soit consigné conformé- ment aux Règles fédérales de procédure civile.» Il s'agissait évidemment des Règles applicables aux États-Unis.
Le juge de première instance, pour décider d'ac- corder la suspension des procédures découlant de l'ordonnance américaine a, si je comprends bien, estimé que l'alinéa (5) de la Règle 465 n'accordait pas à l'appelante le droit d'interroger au préalable un cédant demeurant à l'étranger contre qui ne pourrait être délivré de subpoena en vertu de l'ali- néa (9) de la Règle 465.
Le premier juge s'est appuyé sur la décision de cette Cour dans Lido Industrial Products Limited c. Teledyne Industries, Inc.' Dans cette affaire, le juge en chef Jackett a déclaré ce qui suit aux pages 313 et 314:
Le Règle 465 prévoit également (Règle 465(5)) une procé- dure rangée sous le vocable d'interrogatoire préalable mais qui ne s'accorde pas avec l'acception commune de cette expression. Il ne s'agit pas d'un interrogatoire préalable d'une partie par une autre, mais d'un interrogatoire, antérieur au procès, d'un témoin potentiel, et la seule personne susceptible d'être interro- gée est le cédant d'un droit qui fait l'objet du litige, cette personne étant susceptible d'être interrogée qu'elle soit ou non un membre de la direction ou un employé de la partie adverse.
La comparution de la personne assujettie à l'interrogatoire prévu à la Règle 465(5) est assurée par subpoena (Règle 465(9)); dans ces conditions, cette personne n'est pas soumise au contrôle de la partie adverse et elle ne risque pas de voir sa défense radiée ou sa demande rejetée pour défaut ou pour refus de répondre ainsi qu'elle en est requise (Règle 465(20).) Il est à croire qu'aux termes de la Règle 465(12), la Cour peut autori- ser un tel interrogatoire à l'extérieur du Canada, mais nulle disposition des Règles n'habilite la Cour à ordonner à une telle personne de comparaître, que ce soit à l'intérieur ou à l'exté- rieur du Canada; un tel pouvoir est exclu si l'on tient compte du fait que le subpoena s'applique à l'intérieur du Canada et que la Cour ne peut rendre des ordonnances ou autres moyens de contrainte exécutoires à l'extérieur de son ressort territorial. En d'autres termes, dans le contexte de la Règle 465, la portée de la Règle 465(5) est implicitement restreinte en ce sens qu'elle
' [1979] 1 C.F. 310.
ne s'applique pas au cas la personne à interroger se trouve à l'extérieur du Canada et ne peut faire l'objet d'un subpoena émanant d'un tribunal canadien. Ceci n'exclut pas la possibilité d'un accord international entre le Canada et un autre pays, dûment ratifié de part et d'autre, qui autorise un interrogatoire dans ces conditions. Je n'ai connaissance d'aucun accord de ce genre qui prévoit l'interrogatoire, antérieur au procès, de témoins potentiels, acte de procédure tout différent de celui qui vise à obtenir des témoignages dans un pays en vue d'un procès dans l'autre pays.
Je me suis longuement étendu sur ce sujet pour faire ressortir qu'à mon avis, l'appelante n'a pas gain de cause non seulement parce qu'elle a mal formulé sa demande mais encore parce qu'elle invoque un recours auquel elle n'a nullement droit, aux termes des Règles ....
A mon avis, le juge de première instance n'a pas commis d'erreur dans son interprétation de la Règle 465 dans la mesure il a conclu, et selon moi il l'a fait, que cette Règle n'accorde pas le droit à une partie dans une poursuite en contrefa- çon dont les intérêts sont opposés à ceux du bre- veté également partie à l'action, d'interroger au préalable le cédant du brevet, celui-ci n'étant pas partie à l'action et refusant d'être interrogé, lors- qu'en raison de son absence du Canada le cédant ne peut faire l'objet d'un subpoena en vertu de l'alinéa (9); et j'ajouterais qu'il ne semble pas exister de convention internationale de nature à servir de fondement à une ordonnance aux termes de l'alinéa 465(12). Selon moi, il n'existe donc pas en vertu de l'alinéa (5) de la Règle 465 de droit d'interroger au préalable M. Rehmar qui puisse servir de fondement à l'ordonnance de la Cour de District des États-Unis. Mais lorsque l'alinéa (5) est mis en corrélation avec les autres alinéas de la Règle, et particulièrement avec l'alinéa (9), sa portée est, pour reprendre. les termes du juge en chef Jackett, implicitement restreinte en ce sens «... qu'[il] ne s'applique pas au cas la personne à interroger se trouve à l'extérieur du Canada et ne peut faire l'objet d'un subpoena émanant d'un tribunal canadien.»
Reste cependant l'autre moyen invoqué par l'ap- pelante à titre subsidiaire, selon lequel la Cour de District des États-Unis aurait agi conformément à la loi américaine et relativement à une personne relevant de sa juridiction en rendant l'ordonnance dont la Division de première instance a interdit à l'appelante de se prévaloir. Il a été allégué que c'est à tort que la Division de première instance a rendu l'ordonnance interdisant l'interrogatoire,
compte tenu de ce que l'exécution de l'ordonnance n'est pas vexatoire et n'affecte nullement le dérou- lement de l'instance engagée en Division de pre- mière instance.
La Division de première instance peut, dans certains cas, ordonner l'exécution, par une partie à une action dont elle est saisie, de l'ordonnance relative à l'objet de l'action rendue par un tribunal étranger 2 . Il s'agit de déterminer s'il s'agit ici de l'un de ces cas.
En l'espèce, l'ordonnance a été rendue par la Cour de District des États-Unis non pas relative- ment à une action distincte devant cette Cour fondée sur la même cause d'action que celle pen- dante devant la Division de première instance, mais aux fins de l'action en Cour fédérale. On conçoit alors facilement que le premier juge se soit appuyé sur Armstrong c. Armstrong 3 , une décision de la Probate Division d'Angleterre. Dans cette affaire, le requérant dans une action en divorce avait obtenu commission de faire interroger des témoins à Vienne. Le coïntimé, qui n'avait com- paru à l'instance en divorce que sous réserve de ses droits, contesta la compétence de la Cour; en attendant qu'il soit statué sur la compétence de la Cour, la commission pour interroger les témoins à Vienne fut suspendue. Entre-temps, par l'intermé- diaire de mandataires à Vienne, le requérant avait assigné les témoins devant un tribunal de cette ville afin de recevoir leurs témoignages et d'en assurer la conservation. Un avocat autrichien déclara dans un affidavit que les tribunaux vien- nois prétendaient tenir d'un article du Code autri- chien le pouvoir d'interroger sous serment les témoins dont le témoignage était requis dans l'ins- tance engagée en Angleterre.
Une requête fut présentée qui tendait à voir interdire au requérant de poursuivre l'interroga- toire des témoins devant le tribunal viennois. Elle fut accueillie. Le juge Jeune souligna dans son jugement que le requérant faisait recueillir des dépositions à Vienne alors même que l'instance en divorce était suspendue. Il s'exprime en ces termes à la page 100:
[TRADUCTION] Est-ce une procédure que le tribunal devrait permettre au requérant? Je ne crois pas, pour deux raisons.
2 Voir Ellerman Lines, Limited c. Read [1928] 2 K.B. 144 (C.A.).
3 [1892] P. 98.
Premièrement, je pense qu'elle est inutile en ce sens que le requérant ne peut en obtenir aucun avantage légitime; deuxiè- mement, je crois qu'elle peut être, ou est, injurieuse pour la procédure régulière dont la Cour est saisie. Il est reconnu que les dépositions ainsi consignées ne pourront servir devant le tribunal. Toute autre considération mise à part, la Loi de 1857, expressément et exhaustivement, dispose des moyens d'obten- tion de preuves et son art. 47 prévoit qu'en certains cas on peut donner une commission pour l'interrogatoire de témoins à l'étranger de la manière qui y sera indiquée. Mais la Cour a statué qu'elle n'est pas autorisée à ordonner de donner sembla- ble commission en l'espèce en l'état la cause se trouve actuellement. Ce qui a été fait à Vienne a été présenté comme accessoire à l'action principale; mais manifestement il ne s'agit pas d'un accessoire en ce sens que les dépositions consignées devant la Cour de Vienne peuvent de quelque façon être administrées en preuve devant la Cour d'ici. L'affaire Peruvian Guano Co. c. Bockwoldt (23 Ch.D. 225) le montre bien, semble-t-il: peu importe que la deuxième instance ait été enga gée devant un tribunal étranger ou devant un tribunal de notre pays, dans les deux cas la règle est qu'une telle instance ne devrait pas être permise lorsqu'on ne peut en obtenir qu'un avantage illusoire. En la présente espèce, je ne crois pas qu'on puisse en obtenir quelque avantage légitime que ce soit. Ce qui m'amène au deuxième motif dont j'ai parlé. Le seul avantage qu'on ait invoqué serait que le requérant pourrait être à même de faire comparaître devant le tribunal viennois des témoins dont il ne connaît pas les dépositions et, sous la contrainte du serment, d'en obtenir la consignation. Il pourra ainsi connaître tout ce que les témoins peuvent prouver sans être dans l'obliga- tion d'administrer cette preuve devant la Cour comme ce serait le cas si c'était en vertu d'une commission qu'il avait pu obtenir ces dépositions. C'est là, me semble-t-il, entraver le cours normal de la justice devant notre juridiction. En outre, nous ignorons quel sera le droit applicable aux témoins interrogés; il pourrait y avoir, et d'après ce qu'a dit M. Ram, je crois qu'il y aura, contrainte des témoins; ils seront soumis pour ainsi dire à l'équivalent d'un contre-interrogatoire par l'avocat du requé- rant et, semble-t-il, par la Cour elle-même; on pourrait leur demander des informations qui sortent du cadre régulier d'un témoignage. Il me semble que c'est une façon de considérer le témoignage que nous ne devrions pas permettre et qui va beaucoup plus loin que toute procédure d'interrogatoire préala- ble reconnue par le droit judiciaire de notre pays. Cela équivaut à interroger les témoins de la partie adverse avant le procès ....
Il me semble exister d'importantes différences entre cette affaire et la présente cause. La plus importante est que les règles du tribunal anglais ne permettaient pas l'interrogatoire préalable forcé et sous serment d'une partie adverse ou d'un témoin. En vertu de nos Règles, un tel interrogatoire est toutefois permis lorsqu'il s'agit d'une partie adverse et d'une partie dans la situation de celle que l'on cherche à interroger dans la présente cause, soit le cédant de l'invention. Il ne fait aucun doute que M. Rehmar ne peut être soumis à l'interrogatoire prévu à la Règle 465(5) parce qu'il se trouve hors du ressort du tribunal. Mais il
pourrait l'être s'il se trouvait au Canada. Cette procédure ne nous semble ni vexatoire ni abusive. C'est une procédure à laquelle nous avons nous- mêmes recours en ce qui concerne les cédants de brevets se trouvant dans notre ressort judiciaire. Le juge Jeune craignait qu'il n'y ait contrainte des témoins à Vienne et qu'ils ne soient soumis à un contre-interrogatoire. Il craignait que la façon de traiter les témoins en Autriche ne soit une façon qui «... va beaucoup plus loin que toute procédure d'interrogatoire préalable reconnue par le droit judiciaire de notre pays.» Mais tel n'est pas le cas en l'espèce.
Il semble également que l'interrogatoire de M. Rehmar pourrait être utile à l'appelante. La dépo- sition ne pourrait peut-être pas être lue à l'au- dience mais elle pourrait être utilisée pour prépa- rer la cause de l'appeIante, ce qui est un des buts de l'interrogatoire préalable.
Une dernière différence est que la présente cause n'en est pas une les procédures à l'étran- ger ont été intentées et seraient poursuivies durant une suspension de l'instance engagée devant la Cour fédérale et risqueraient ainsi d'affecter le déroulement de cette dernière.
Reste, bien entendu, que l'interrogatoire serait mené selon les Règles de procédure civile des États-Unis, Règles dont la teneur n'a pas été éta- blie. Rien cependant ne permet de croire que l'application des Règles des États-Unis pourra donner lieu à des procédures que nous jugerions inacceptables.
Le juge de première instance a fait référence à une affirmation apparaissant dans l'affidavit uti- lisé à l'appui de la demande formée devant le tribunal américain et selon laquelle la Cour fédé- rale du Canada n'aurait pas compétence pour obli- ger M. Rehmar, par voie de subpoena ou autre- ment, à se soumettre à un interrogatoire préalable. Le juge de première instance souscrit à cette affir mation, mais ajoute ceci la page 561]:
Il est contraire au droit que la Cour fédérale du Canada ordonne qu'il ait lieu.
La Cour interdira à un justiciable comparaissant devant elle de poursuivre une instance devant une juridiction étrangère ayant pour fin la recherche de preuve ou d'information, relati- vement à une action dont elle est saisie, quand une telle instance devant le for étranger n'est pas permise selon ses Règles.
Plus loin dans ses motifs, le premier juge, après avoir examiné Armstrong c. Armstrong, dit ce qui suit [aux pages 565 et 566]:
En l'espèce la défenderesse, comme le requérant devant le juge Jeune, ne peut retirer «aucun avantage légitime» de cette procédure. La déposition obtenue dans l'un comme dans l'autre cas ne peut servir devant la juridiction saisie et ni l'une ni l'autre n'aurait rendu l'ordonnance accordée par le tribunal étranger.
L'avantage dont profite la défenderesse en est un auquel, vu les faits et le droit applicable en notre juridiction, elle n'a pas droit. Ce n'est pas un avantage légitime. La défenderesse en s'appuyant sur les voies de droit d'une juridiction étrangère dans une instance qui n'est pas vraiment accessoire (et qui ne peut l'être sans une ordonnance de la Cour) à l'action dont la Cour a été régulièrement saisie et qui donc en constitue une séparée et distincte, a contourné le droit de notre juridiction, le droit applicable en cette espèce.
C'est là, à mon avis, une façon de faire que la Cour ne devrait pas permettre à la défenderesse.
Pour ces motifs, j'ai rendu l'ordonnance prononcée à la clôture de l'instruction.
Il ressort selon moi des motifs du premier juge que celui-ci a accordé la suspension parce qu'à son avis l'appelante avait «... contourné le droit de notre juridiction, le droit applicable en cette espèce», et avait ainsi obtenu un avantage illégi- time. Je ne suis malheureusement pas d'accord avec lui.
Il est vrai que, pour les motifs donnés dans l'arrêt Lido, la Division de première instance de la Cour fédérale n'aurait pu ordonner l'interrogatoire préalable de M. Rehmar. Il en est ainsi parce que, et seulement parce que, M. Rehmar ne serait pas soumis à un subpoena délivré au Canada. Je ne vois cependant pas en quoi cela empêche l'appe- lante de se présenter devant un tribunal américain ayant juridiction sur M. Rehmar pour obtenir, en vertu de la loi américaine applicable, le genre d'ordonnance qu'elle pourrait obtenir de la Cour fédérale si M. Rehmar, le cédant du brevet, se trouvait au Canada. La procédure à laquelle on a eu recours à l'étranger est une procédure admissi ble dans l'action dont la Cour fédérale est saisie en ce qui concerne un cédant à qui il est possible de faire une signification au Canada. L'interrogatoire intervenu à l'étranger n'est évidemment pas celui prévu à la Règle 465. Cela ne signifie cependant pas qu'il soit interdit d'y procéder.
J'estime qu'il y a lieu d'accueillir l'appel avec dépens et d'annuler l'ordonnance attaquée. L'appe- lante aura également droit aux dépens des procé- dures de première instance.
* * *
LE JUGE LE DAIN y a souscrit.
* * *
LE JUGE SUPLEANT MACKAY y a souscrit.
 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.