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A-122-80
Rudy Kiist et Donald Robertson, tant en leur nom personnel que pour le compte de tous les autres titulaires d'un livret de permis délivré par la Com mission canadienne du blé en application de l'arti- cle 19 de la Loi sur la Commission canadienne du blé, S.R.C. 1970, c. C-12, modifiée, pour les cam- pagnes agricoles de 1977-78 et 1978-79 (Appe- lants) (Demandeurs)
c.
Canadian Pacific Railway Company, la Compa- gnie des chemins de fer nationaux du Canada et la Commission canadienne du blé (Intimées) (Défen- deresses)
Cour d'appel, les juges Urie et Le Dain et le juge suppléant Maguire—Saskatoon, 18 et 19 novem- bre 1980; Ottawa, 28 avril 1981.
Pratique Requête en radiation des plaidoiries Appel de la décision par laquelle la Division de première instance a ordonné la radiation de la déclaration et rejeté l'action des appelants L'action en dommages-intérêts intentée par les appelants était fondée sur la violation par les compagnies ferroviaires intimées de l'obligation légale de fournir des ins tallations suffisantes pour le transport du grain II échet d'examiner si cette Cour a compétence pour connaître de l'action en dommages-intérêts Il échet d'examiner si cette Cour a compétence pour se prononcer sur la question des installations convenables Il échet d'examiner si les appe- lants sont des personnes lésées II échet d'examiner si cette action est une demande collective Il échet d'examiner si la mise en cause de la Commission canadienne du blé est justifiée Loi sur les chemins de fer, S.R.C. 1970, c. R-2, art. 262(1),(2),(3),(6),(7),(8), 336 Loi sur la Commission cana- dienne du blé, S.R.C. 1970, c. C-12, art. 4(4), 5(1), 17, 18, 19, 21k), 25(1)a),b),c), 26(1),(2),(5), 28(1) Loi sur les grains du Canada, S.C. 1970-71-72, c. 7, art. 97b) Loi nationale sur les transports, S.R.C. 1970, c. N-17, art. 48, 56(3), 58 Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10, art. 23 Règlement sur la Commission canadienne du blé, C.R.C. 1978, Vol. IV, c. 397, art. 12 Décret sur l'affectation des wagons disponibles, DORS/71-92, art. 3 Règle 1711 de la Cour fédérale.
Appel formé contre le jugement par lequel la Division de première instance a ordonné la radiation de la déclaration et rejeté l'action en dommages-intérêts intentée par les appelants contre les compagnies ferroviaires intimées pour prétendue violation de l'obligation, prévue à l'article 262 de la Loi sur les chemins de fer, de fournir des installations suffisantes pour le transport du grain. La Division de première instance a jugé que la déclaration ne révélait aucune cause raisonnable d'action et qu'en tout état de cause, la Cour n'avait pas compétence pour connaître de l'action. Les appelants sont producteurs de grain, titulaires de livrets de permis délivrés par la Commission canadienne du blé et autorisant la livraison du grain aux élévateurs. Les points litigieux sont les suivants: (1) La compé-
tence sur une action en dommages-intérêts pour défaut de se conformer à l'article 262 de la Loi sur les chemins de fer a-t-elle fait de quelque manière l'objet d'une «attribution spé- ciale» à un autre tribunal, c.-à-d. à la Commission canadienne des transports en vertu de l'article 58 de la Loi nationale sur les transports? (2) La Cour a-t-elle compétence pour déterminer si des installations convenables ont été fournies? (3) Les appe- lants sont-ils des personnes lésées au sens de l'article 262(7) de la Loi sur les chemins de fer? (4) L'action a-t-elle été valable- ment intentée comme demande collective en vertu de la Règle 1711? (5) La mise en cause de la Commission canadienne du blé est-elle nécessaire et opportune?
Arrêt: l'appel est rejeté. L'article 58 de la Loi nationale sur les transports n'est pas suffisamment clair pour avoir l'effet de transférer à la Commission le pouvoir, normalement dévolu aux tribunaux, d'accorder des dommages-intérêts pour violation de l'obligation prescrite par l'article 262 de la Loi sur les chemins de fer. Tandis que l'article 262 confère expressément à la Commission diverses sortes de compétence dans ses paragra- phes (3),(6) et (8), il est muet quant à la juridiction devant laquelle doit être exercé «le droit d'intenter une poursuite» en dommages-intérêts prévu au paragraphe (7). De plus, au para- graphe (8), il est fait une distinction entre les «frais», que peut imposer la Commission, et les «dommages-intérêts», dont l'adju- dication n'est pas clairement attribuée à la Commission. La question de savoir s'il y a eu défaut de fournir des installations suffisantes et convenables est une question de fait qui relève, en application de l'article 262(3), de la Commission, et sur laquelle la décision de celle-ci est rendue obligatoire et défini- tive par l'article 56(3) de la Loi nationale sur les transports. L'obligation prévue à l'article 262(1)a) est une obligation envers celui qui présente des marchandises pour le transport. Le grain est vendu et livré par chaque producteur à la Commission aux élévateurs primaires ou wagons, la propriété en est transférée, par l'effet de la loi, à la Commission, et il est mis avec d'autre grain. C'est la Commission qui s'entend avec les compagnies ferroviaires pour le transport du grain vendu par elle. Puisqu'il est impossible pour les compagnies de chemins de fer de prévoir l'effet que produirait sur le producteur individuel un éventuel défaut de fournir des installations suffisantes en vue du transport du grain pour la Commission, il ne saurait y avoir d'obligation envers lui. L'action n'a pas été valablement intentée comme demande collective en vertu de la Règle 1711. Il est clair que le droit du producteur individuel dépendrait des circonstances particulières de son cas, et que diverses justifica tions pourraient être offertes selon ces circonstances. Finale- ment, les appelants ne sont pas fondés à intenter une action dérivée pour exercer les droits de la Commission. La Commis sion n'est pas légalement autorisée, et un tribunal ne saurait l'obliger, à répartir entre les titulaires de livrets de permis les dommages-intérêts qui lui seraient versés.
Arrêts appliqués: Dut hie c. Grand Trunk R. W. Co. (1905) 4 Can. Ry. Cas. 304; Robinson c. Canadian Northern Ry. (1910) 19 Man. L.R. 300; confirmé (1910) 43 R.C.S. 387 et [1911] A.C. 739; The Grand Trunk Railway Co. of Canada c. McKay (1904) 34 R.C.S. 81; The Grand Trunk Railway Co. of Canada c. Perrault (1905) 36 R.C.S. 671; Meagher c. Canadian Pacific Railway Co. (1912) 42 N.B.R. 46. Arrêt analysé: A. L. Patchett & Sons Ltd. c. Pacific Great Eastern Railway Co. [1959] R.C.S. 271. Arrêt examiné: La Compagnie de Téléphone Bell du
Canada c. Harding Communications Ltd. [1979] 1 R.C.S. 395. Arrêts mentionnés: La Compagnie du chemin defer national du Canada c. Harris [1946] R.C.S. 352; Naken c. General Motors of Canada Ltd. (1979) 92 D.L.R. (3e) 100 (C.A. Ont.).
APPEL. AVOCATS:
A. E. Golden, c.r., et D. Starkman pour les appelants (demandeurs).
N. Mullins, c.r., et T. J. Moloney pour l'inti- mée (défenderesse) Canadian Pacific Railway Company.
L. L. Band et G. Poppe pour l'intimée (défen- deresse) la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada.
H. B. Monk, c.r., et D. S. Sagoo pour l'inti- mée (défenderesse) la Commission cana- dienne du blé.
PROCUREURS:
Golden, Levinson, Toronto, pour les appelants (demandeurs).
Service du contentieux de la Canadian Paci fic Railway Company, Montréal, pour l'inti- mée (défenderesse) Canadian Pacific Railway Company.
Service du contentieux de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, Mont- réal, pour l'intimée (défenderesse) la Compa- gnie des chemins de fer nationaux du Canada. Service du contentieux de la Commission canadienne du blé, Winnipeg, pour l'intimée (défenderesse) la Commission canadienne du blé.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE LE DAIN: Il est fait appel du jugement par lequel la Division de première instance [ [ 1980] 2 C.F. 650] a ordonné la radiation de la déclara- tion et rejeté l'action en dommages-intérêts inten- tée par les appelants contre les compagnies ferro- viaires intimées pour prétendue violation de l'obligation, prévue à l'article 262 de la Loi sur les chemins de fer, S.R.C. 1970, c. R-2, de fournir des installations suffisantes pour le transport du grain durant les campagnes agricoles de 1977-1978 et de 1978-1979, aux motifs que la déclaration ne révé- lait aucune cause raisonnable d'action et qu'en
tout état de cause, la Cour n'avait pas compétence pour connaître de l'action.
Il ressort de l'intitulé de la cause et du paragra- phe 1 de la déclaration que cette action se veut une demande collective intentée par les appelants Kiist et Robertson tant en leur nom personnel que pour le compte de tous les autres producteurs de blé et d'orge qui étaient titulaires de livrets de permis délivrés par la Commission canadienne du blé conformément à la Loi sur la Commission cana- dienne du blé, S.R.C. 1970, c. C-12, et qui étaient par suite en droit de livrer du grain durant les campagnes agricoles considérées. Les appelants allèguent comme préjudice subi par la classe, la perte de revenu et les dépenses additionnelles encourues par la Commission du fait du prétendu défaut par les compagnies ferroviaires intimées de fournir des installations suffisantes pour le trans port du grain, et ils demandent que les dommages- intérêts soient versés à la Commission [TRADUC- TION] «qui en disposera», ou autrement dit, qui les leur versera [TRADUCTION] «conformément aux modalités légales qu'elle a établies».
En vertu de la Loi sur la Commission cana- dienne du blé, la commercialisation du grain sur les marchés interprovincial et extérieur doit se faire par l'intermédiaire de la Commission (arti- cles 4(4), 5(1) et 33). La propriété du grain livré par les producteurs est transférée à la Commission (articles 5(1) et 25(1)a)). Les producteurs vendent leur grain à la Commission selon les contingents fixés par celle-ci. Un producteur peut exiger de la Commission un livret de permis ou permis de livraison autorisant la livraison à celle-ci du grain produit sur la terre décrite dans le livret de permis (article 19). La zone exacte d'où le grain peut être livré est désignée sous le nom d'«acres du contin gent» et la quantité de grain dont la livraison est autorisée est déterminée par la Commission sous forme de contingents (articles 2(1) et 21f)). La livraison du grain par les producteurs à la Com mission aux élévateurs et aux wagons de chemins de fer ne doit pas dépasser celle autorisée par les livrets de permis et les contingents (articles 17 et 18).
La délivrance des livrets de permis, l'établisse- ment des contingents, la livraison et les paiements s'effectuent pour une campagne agricole. L'article 2(5) de la Loi sur les grains du Canada, S.C.
1970-71-72, c. 7, définit une campagne agricole comme la période commençant le le' août d'une année et se terminant le 31 juillet de l'année suivante. Cette définition s'applique à la Loi sur la Commission canadienne du blé en vertu de l'arti- cle 2(2) de celle-ci.
Les dispositions des Parties III et IV de la Loi sur la Commission canadienne du blé portent sur le blé, mais en vertu de l'article 9 du Règlement sur la Commission canadienne du blé, C.R.C. 1978, Vol. IV, c. 397, pris par le gouverneur en conseil en vertu de l'article 35 de la Loi, leur application est étendue à l'avoine et à l'orge.
En contrepartie du grain vendu et livré à la Commission à un élévateur ou à un wagon de chemin de fer, le producteur reçoit de la Commis sion une première somme, désignée sous le nom de «somme déterminée» (article 25(1)b)). La Com mission délivre au producteur un certificat qui lui donne droit de participer, après déduction des dépenses, au partage équitable de l'excédent réa- lisé par la Commission lors de la vente du grain dans une campagne agricole. Ce certificat est prévu à l'article 25(1)c):
25. (1) La Commission doit entreprendre le placement, dans le commerce interprovincial et extérieur, du blé produit dans la région désignée et, à cette fin, doit
c) émettre à un producteur, qui vend et livre, à la Commis sion, du blé produit dans la région désignée, un certificat indiquant le nombre de tonnes métriques achetées et livrées et la classe de ce blé, lequel certificat donne droit au produc- teur y mentionné de participer à la distribution équitable de l'excédent, s'il en est, résultant des opérations de la Commis sion à l'égard du blé produit dans la région désignée, vendu et livré à la Commission pendant la même période de livraison en commum.
En vertu de l'article 24 de la Loi, l'expression «période de livraison en commun» désigne une campagne agricole.
La formule de certificat prescrite, en application de l'article 28(1) de la Loi, par l'article 12 du Règlement sur la Commission canadienne du blé et énoncée à l'annexe de ce dernier prévoit notam- ment que:
Si la Commission l'exige, la remise du présent certificat autorise, s'il y a lieu, le producteur qui y est nommé à obtenir une part de la distribution de l'excédent découlant des opéra- tions de la Commission relativement au blé, à l'avoine ou à l'orge dont il est question aux présentes et qui ont été produits
dans la région désignée, vendus et livrés à la Commission durant la période de mise en commun au cours de laquelle le présent certificat a été délivré conformément aux dispositions de la Loi sur la Commission canadienne du blé.
La détermination et la distribution de l'excédent sont prévues à l'article 26 de la Loi. Le paragraphe
(1) de cet article prévoit les retenues à effectuer par la Commission sur le montant total retiré de la vente du grain pendant une période de livraison en commun. Voici ce que prévoient les paragraphes
(2) et (5) pour ce qui est de la distribution de l'excédent qui en résulte:
26....
(2) La Commission doit, le 1" janvier de l'année suivant la fin d'une période de livraison en commun ou ultérieurement, distribuer le solde demeurant à son compte relativement au blé produit dans la région désignée qu'elle a acheté de producteurs pendant cette période de livraison en commun, après en avoir fait les déductions prévues au paragraphe (1), parmi les déten- teurs de certificats émis par la Commission aux termes de la présente Partie pendant la période de livraison en commun, en payant, contre remise à la Commission de chaque certificat susdit, à moins que la Commission, par ordonnance, ne renonce à cette remise, à la personne y mentionnée, la somme appro- priée fixée par la Commission, ainsi que le stipule la présente loi, pour chaque tonne métrique de blé y mentionnée, selon la classe.
(5) La Commission doit, avec l'approbation du gouverneur en conseil, déterminer et fixer les montants auxquels les pro- ducteurs ont droit par tonne métrique selon la classe indiquée dans les certificats émis en conformité de la présente Partie, l'intention et la signification véritables de la présente Partie étant que chaque producteur doit recevoir, à l'égard du blé vendu et livré à la Commission pendant chaque campagne agricole pour la même classe de blé, le même prix selon la base de Thunder Bay ou Vancouver, et que tout semblable prix doit avoir un rapport approprié avec celui de chaque autre classe.
En vertu des lois et Règlements applicables, la Commission est habilitée à affecter les wagons de chemins de fer disponibles pour l'expédition du grain, mais non, semble-t-il, à ordonner aux com- pagnies ferroviaires de fournir des wagons supplé- mentaires. Il convient de se reporter sur le sujet à l'article 21k) de la Loi sur la Commission cana- dienne du blé, à l'article 97b) de la Loi sur les grains du Canada et au Décret sur l'affectation des wagons disponibles ( C.P. 1971-418, 9 mars 1971, DORS/71-92), décret dont l'article 3 est ainsi rédigé:
3. La Commission canadienne du blé doit, pour se faire conseiller dans l'exercice des pouvoirs qui lui sont conférés par le présent décret, constituer un Comité des transports formé de
personnes représentant la Commission canadienne du blé, la Commission canadienne des grains, les transporteurs publics et les producteurs, industriels et commerçants dont l'activité porte sur les grains.
L'action des appelants a pour cause la violation d'une obligation légale et pour fondement les para- graphes (1) et (2) de l'article 262 de la Loi sur les chemins de fer. Ces paragraphes sont ainsi conçus:
262. (1) La compagnie doit, selon ses pouvoirs,
a) fournir, au point de départ de son chemin de fer et au point de raccordement de son chemin de fer avec d'autres, et à tous les points d'arrêt établis à cette fin, des installations suffisantes et convenables pour la réception et le chargement des marchandises et effets présentés à la compagnie pour être transportés sur son chemin de fer;
b) fournir des installations suffisantes et convenables pour le transport, le déchargement et la livraison de ces marchandi- ses et effets;
c) sans retard, et avec le soin et la diligence voulus, recevoir, transporter et livrer ces marchandises et effets;
d) fournir et employer tous les appareils, toutes les installa tions et tous les moyens nécessaires à la réception, au charge- ment, au transport, au déchargement et à la livraison de ces marchandises et effets; et
e) fournir tel autre service, connexe au transport, habituel ou d'usage relativement aux affaires d'une compagnie de chemin de fer, selon que la Commission l'ordonne.
(2) Ces installations complètes et convenables comprennent des facilités raisonnables pour le raccordement de voies latéra- les privées ou d'embranchements privés avec un chemin de fer possédé ou mis en service par la compagnie, et des facilités raisonnables pour la réception, l'expédition et la livraison des marchandises et effets entrant sur ces voies latérales et sur ces embranchements privés ou en débouchant, ainsi que le place ment de wagons et leur traction dans un sens ou dans un autre sur ces voies latérales privées et sur ces embranchements privés.
Les appelants font valoir que, dans les campa- gnes agricoles de 1977-1978 et 1978-1979, les compagnies ferroviaires intimées n'ont pas, pour ce qui est du transport du grain pour le compte de la Commission, respecté les obligations légales que leur imposait l'article 262, ce qui a causé à celle-ci une perte de revenu et des dépenses supplémentai- res, et, par suite, une réduction de l'excédent qui aurait pu faire l'objet d'un partage équitable. Il est allégué que les compagnies ferroviaires intimées ont assuré à la Commission, par l'entremise du Comité des transports, qu'elles fourniraient les installations nécessaires au transport du grain pour le compte de la Commission, mais qu'en raison de leur défaut de le faire pendant les campagnes agricoles de 1977-1978 et 1978-1979, la Commis sion s'est vue dans l'obligation d'accepter d'annu- ler une partie de ses contrats de vente. Plus parti-
culièrement, il est allégué dans la déclaration que la Commission a, pour la campagne agricole de 1977-1978, passé contrat pour la vente à l'exporta- tion de quelque 23 millions de tonnes métriques de grain sur la foi des engagements souscrits par les compagnies ferroviaires intimées, mais qu'en raison de l'inexécution par celles-ci de leur obliga tion légale, la Commission a été forcée d'accepter une annulation de ses contrats de vente de l'ordre de deux millions de tonnes métriques, ce qui a causé à la Commission, pour cette campagne agri- cole, un manque à gagner de $300,000,000. Il est en outre allégué que, du ler août 1978 jusqu'à la date de l'introduction de l'action, la Commission a été, pour la même raison, obligée d'accepter une annulation de ses contrats de vente de l'ordre d'un million de tonnes métriques, ce qui lui a causé une perte de revenu de $150,000,000. Les appelants demandent $25,000,000 pour perte due aux sures- taries pendant la campagne agricole de 1977-1978, $100,000,000 pour perte future de vente due à une nouvelle négociation de contrats pour les campa- gnes agricoles considérées, et une réparation pour perte d'achalandage sur les marchés internatio- naux. Ils réclament en tout quelque $690,000,000.
Le paragraphe 15 de la déclaration donne les détails du prétendu défaut de respecter les exigen- ces de l'article 262:
[TRADUCTION] 15. Durant toute l'époque en cause, les compa- gnies ferroviaires défenderesses ont violé l'obligation légale susmentionnée:
a) en ne fournissant pas un nombre suffisant de wagons pour le transport du grain des élévateurs primaires aux élévateurs terminus, et particulièrement;
(i) en ne maintenant pas les wagons disponibles en état d'utilisation;
(ii) en permettant que des wagons utilisables soient laissés sur des voies de garage;
(iii) en donnant, dans l'établissement du programme de réparation, priorité de révision aux wagons utilisés pour le transport des marchandises autres que le grain;
(iv) en affectant les wagons utilisables non au transport du grain, mais au transport d'autres marchandises en vrac par préférence au grain;
b) en n'investissant pas suffisamment de capitaux pour l'achat de wagons et de locomotives en vue du transport adéquat du grain;
c) en n'entretenant pas et en ne remplaçant pas les voies de raccordement et principales, les embranchements et les ins tallations d'aiguillage et de triage;
d) en détournant, à destination des États-Unis, des wagons utilisables pour le transport du grain et en permettant;
(i) que des compagnies ferroviaires étrangères se servent de ces wagons sans obtenir de wagons de rechange à utiliser au Canada;
(ii) l'utilisation des wagons de chemins de fer canadiens pour expédier du grain pour le compte des producteurs et expéditeurs non canadiens sur des voies ferrées tant cana- diennes qu'américaines;
(iii) l'utilisation des wagons pour emmagasiner du grain aux États-Unis;
e) en ne transportant pas avec soin approprié et sans délai du grain des élévateurs primaires aux élévateurs terminus, et particulièrement;
(i) en n'attribuant pas suffisamment de wagons selon les affectations convenues dans le système de zones d'expédi- tion;
(ii) en ne fournissant pas suffisamment de locomotives pour tirer, à niveau, des trains de wagons de grain, ce qui a causé des périodes d'attente;
(iii) en exigeant que les trains transportant du grain soient anormalement longs, ce qui a réduit leur capacité d'utiliser des voies de raccordement conçues pour des trains plus courts et causé d'importants retards en obligeant les trains transportant du grain à attendre le dégagement de la voie;
(iv) en affectant des équipages aux trains transportant d'autres marchandises en vrac par préférence à ceux trans- portant du grain;
(y) en fournissant des équipages d'aiguillage inadéquats aux trains de grain dans les cours terminus;
(vi) en n'affectant pas les trains de façon qu'ils arrivent aux cours terminus tout au long de la semaine en vue de maintenir un flot continu de grain et d'accélérer le proces- sus de manutention.
Au paragraphe 5 de la déclaration, les appelants énoncent que la Commission est mise en cause à titre de «défenderesse non recherchée en responsa- bilité» («defendant without liability») en vue du règlement efficace et complet de tous les points litigieux. Les paragraphes 17 et 18 de la déclara- tion sont ainsi rédigés:
[TRADUCTION] 17. La Commission canadienne du blé, bien que priée de le faire, n'a pris aucune mesure contre les compa- gnies de chemins de fer défenderesses pour recouvrer les dom- mages-intérêts susmentionnés.
18. Il appartient à la Commission canadienne du blé d'encaisser les dommages-intérêts en cause et les demandeurs demandent expressément qu'ils soient versés, sans défalcation de frais, à la Commission canadienne du blé qui en disposera conformément aux modalités légales qu'elle a établies.
Les appelants font reposer leur droit d'action sur le paragraphe 262(7), qui est ainsi conçu:
262....
(7) Quiconque a été lésé par la négligence ou le refus de la compagnie de se conformer aux exigences du présent article, a, sous réserve de la présente loi, le droit d'intenter une poursuite contre la compagnie; et la compagnie ne peut se mettre à l'abri
de cette poursuite en invoquant un avis, une condition ou une déclaration, si le tort résulte d'une négligence ou d'une omission de la compagnie ou de ses employés.
Ils invoquent aussi l'article 336 de la Loi sur les chemins de fer comme fondement du droit d'ac- tion. Cet article dispose que:
336. Toute personne qui, étant administrateur ou fonction- naire d'une compagnie, ou agissant comme séquestre, fidu- ciaire, locataire, agent ou à d'autres titres pour la compagnie ou étant à son emploi, ou toute compagnie, qui commet, fait commettre ou permet de commettre une chose ou un acte contraire aux dispositions de la présente loi ou de la loi spéciale, aux règlements, ordonnances ou instructions du gouverneur en conseil, du Ministre ou de la Commission, rendues ou données sous l'autorité de la présente loi, ou qui omet d'accomplir une chose ou un acte dont l'exécution est requise de la part de cette compagnie ou personne, est passible, en sus de toute peine prévue d'autre part, envers une personne lésée par cette action ou omission, du montant entier des dommages-intérêts subis de ce fait, et ces dommages-intérêts ne doivent être soumis à aucune autre limitation spéciale que celles que prévoit expressé- ment la présente loi ou une autre loi.
A la suite du dépôt de la déclaration, des requê- tes, fondées sur la Règle 419, ont été introduites par les compagnies ferroviaires intimées et la Commission en vue du prononcé d'une ordonnance portant radiation de la déclaration et rejet de l'action en ce que la déclaration ne révélait aucune cause raisonnable d'action et que l'action n'avait pas été valablement intentée à titre de demande collective en vertu de la Règle 1711 de la Cour. La Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, intimée à l'instance, demande aussi le rejet de l'action au motif que la Cour n'a pas compétence pour connaître de celle-ci. Subsidiaire- ment, l'intimée, la Canadian Pacific Railway Company, sollicite, en application de la Règle 474, une décision sur les questions de droit suivantes: a) la Cour a-t-elle compétence pour connaître de l'action? et b) l'intimée, la Canadian Pacific Rail way Company, devait-elle, en application de l'arti- cle 262 de la Loi sur les chemins de fer, s'acquitter d'un devoir envers les appelants?
La Division de première instance a ordonné que les requêtes soient tranchées en premier lieu sur le fondement de la Règle 419 et, pour le reste, remi- ses jusqu'à ce qu'une décision ait été rendue, sur la base de cette Règle, sur les points litigieux. Toute- fois, en fin de compte, après échange de mémoires écrits sur les questions soulevées par les requêtes, ces questions ont été pleinement débattues, ce qui a amené le juge de première instance à faire, dans
ses motifs, les observations suivantes la page 653] sur la manière dont les requêtes avaient été tranchées:
A la première audition de la requête en juin 1979, j'ai ordonné, avec le consentement des avocats des parties, le dépôt et l'échange de mémoires sur les points de droit en vue d'une argumentation compréhensive. Ce qui fut fait. Il s'ensuit qu'au fond, cette requête équivaut à une requête fondée sur la Règle 474 du fait que «la Cour a accordé, toutes les] parties ... l'occasion d' `une audition relativement longue et approfondie au lieu d'une audition courte et sommaire.'» (Cf Jamieson c.
Carota) ([1977] 2 C.F. 239 la p. 244, le juge en chef Jackett.)
Se fondant sur cet énoncé, les appelants font valoir que la Division de première instance a faus- sement répondu à la - question de savoir si la décla- ration révélait une cause raisonnable d'action en la considérant comme relevant de la Règle 474 plutôt que comme soulevée par une demande de radiation fondée sur la Règle 419. Le critère à appliquer à cette question est celui qui s'applique quelle que soit l'étendue des débats—est-il manifeste que l'ac- tion ne pourra être accueillie? Voir Drummond - Jackson c. British Medical Association [1970] 1 W.L.R. 688; La Reine c. Wilfrid Nadeau Inc. [1973] C.F. 1045. A mon avis, la décision de la Division de première instance sur cette question laisse voir qu'il s'agit du critère appliqué. La Division de première instance a finalement ordonné la radiation de la déclaration et le rejet de l'action intentée contre les défenderesses après que les questions soulevées par les requêtes eurent été pleinement débattues, que ce soit sur le fondement de la Règle 419 ou sur celui de la Règle 474. Ces questions, qui font l'objet de l'appel, peuvent être résumées comme suit:
(1) La Cour fédérale est-elle compétente pour connaître de l'action?
(2) La déclaration révèle-t-elle une cause raison- nable d'action?
(3) L'action a-t-elle été valablement intentée comme demande collective en vertu de la Règle 1711?
(4) La mise en cause de la Commission cana- dienne du blé est-elle nécessaire et opportune?
La compétence de la Cour fédérale pour connaî- tre de l'action des appelants ne peut découler que de l'article 23 de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2» Supp.), c. 10, lequel est ainsi conçu:
23. La Division de première instance a compétence concur- rente en première instance, tant entre sujets qu'autrement, dans tous les cas une demande de redressement est faite en vertu d'une loi du Parlement du Canada ou autrement, en matière de lettres de change et billets à ordre lorsque la Couronne est partie aux procédures, d'aéronautique ou d'ouvrages et entre- prises reliant une province à une autre ou s'étendant au-delà des limites d'une province, sauf dans la mesure cette compé- tence a par ailleurs fait l'objet d'une attribution spéciale.
Bien entendu, la question de savoir si la récla- mation a pour fondement une loi fédérale ne se pose pas, puisque cette réclamation est fondée sur les dispositions de la Loi sur les chemins de fer et de la Loi sur la Commission canadienne du blé. Par contre, le point est de savoir si la compétence sur une action en dommages-intérêts pour défaut, ainsi qu'il est allégué dans la déclaration, de se conformer aux exigences de l'article 262 de la Loi sur les chemins de fer, a fait de quelque manière l'objet d'une «attribution spéciale» à un autre tri bunal. Cette question, relativement aux faits allé- gués dans la déclaration, se pose à cause de la compétence que confère à la Commission cana- dienne des transports le paragraphe 262(3) de la Loi sur les chemins de fer. Ce paragraphe dispose que:
262....
(3) S'il arrive que, de l'avis de la Commission, la compagnie ne fournit pas les installations et les commodités nécessaires, la Commission peut ordonner à la compagnie de les fournir dans un délai ou durant une période qu'elle juge convenable en tenant compte de tous les intérêts légitimes; ou elle peut interdire ou restreindre l'emploi, sur tous les chemins de fer généralement, sur un chemin de fer déterminé ou sur un tronçon de ce chemin de fer, de machines, locomotives, wagons, matériel roulant, appareils, machineries ou dispositifs, ou d'une espèce ou catégorie quelconque, non équipés selon les prescrip tions de la présente loi ou des ordonnances rendues ou des règlements établis par la Commission dans les limites de ses attributions en vertu des dispositions de la présente loi.
Il importe aussi de mentionner la compétence conférée à la Commission par les paragraphes 262(6) et 262(8), lesquels sont ainsi rédigés:
262... .
(6) Pour les fins du présent article, la Commission peut ordonner la construction ou l'exécution d'ouvrages déterminés ou l'acquisition d'immeubles, ou que des wagons, de la force motrice ou d'autres matériels soient attribués, distribués, employés ou déplacés selon que le spécifie la Commission, ou que des mesures, systèmes ou méthodes spécifiés soient adoptés ou suivis par certaines compagnies en particulier ou par les compagnies de chemin de fer en général, et la Commission peut, dans une telle ordonnance, spécifier les frais maximums qui peuvent être imposés par la compagnie ou les compagnies
en ce qui concerne toute chose ainsi ordonnée par la Commission.
(8) La Commission peut édicter des règlements d'une appli cation générale ou particulière à un chemin de fer ou à une partie de ce chemin de fer, ou rendre une ordonnance dans tous les cas elle le juge à propos, imposant des frais à une compagnie qui omet ou tarde de fournir des installations, des appareils ou des facilités, comme il est susdit, ou de recevoir, charger, transporter, décharger ou livrer des marchandises ou effets, et elle peut forcer les compagnies à payer lesdits frais à une personne lésée par cette omission ou ce retard; et toute somme ainsi reçue par une personne est déduite des dommages- intérêts recouvrables ou recouvrés par cette personne pour cette omission ou ce retard; et la Commission peut, par ordonnance ou règlement, déterminer quelles circonstances doivent exemp- ter une compagnie du paiement de ces frais.
Selon les compagnies ferroviaires intimées, il ressort de ces dispositions et, plus particulièrement du paragraphe 262(3), que le pouvoir de juger les questions de fait soulevées par la déclaration des appelants, et dont dépend leur responsabilité, a été spécialement attribué à la Commission canadienne des transports. Les intimées font valoir en outre que, et c'est dans ce sens qu'a statué la Division de première instance, le pouvoir d'accorder des dom- mages-intérêts pour défaut de se conformer aux exigences de l'article 262 a été spécialement attri- bué à la Commission par l'article 58 de la Loi nationale sur les transports, S.R.C. 1970, c. N-17. Cet article est rédigé dans les termes suivants:
58. Sur toute requête présentée à la Commission, cette dernière peut rendre une ordonnance accordant cette requête en totalité ou en partie seulement, ou accorder un redressement plus étendu ou tout autre redressement de griefs, en sus ou au lieu de celui qui a été demandé, selon que la chose lui paraît juste et convenable, aussi amplement à tous égards que si la requête eût été faite pour obtenir ce redressement partiel, différent ou plus étendu.
Le paragraphe 262(7) de la Loi sur les chemins de fer accorde à la personne lésée «le droit d'inten- ter une poursuite» en dommages-intérêts pour négligence ou refus de se conformer aux exigences de l'article. L'expression «le droit d'intenter une poursuite» laisse entendre qu'il s'agit d'une procé- dure judiciaire. Cela fait contraste avec l'emploi des termes «demande» et «plainte» pour ce qui est des procédures devant la Commission sous le régime de la Loi sur les chemins de fer (voir l'article 48 de la Loi nationale sur les transports).
Dans Duthie c. Grand Trunk R. W. Co. (1905) 4 Can. Ry. Cas. 304, le sieur Killam, chef de la Commission des chemins de fer, a statué que
celle-ci n'avait pas compétence pour accorder des dommages-intérêts pour inexécution de l'obliga- tion prévue à l'article 214 de l'Acte des chemins de fer, 1903 (S.C. 1903, c. 58), lequel article corres pond, avec quelques différences, à l'actuel article 262, et qu'une action en dommages-intérêts devait être intentée devant les tribunaux. Ce critère, la Cour d'appel du Manitoba l'a approuvé et appli- qué dans l'affaire Robinson c. Canadian Northern Ry. (1910) 19. Man. L.R. 300, aux pages 307 et 314, pour ce qui est du pouvoir d'accorder des dommages-intérêts pour inexécution de l'obliga- tion, prévue à l'article 253 de l'Acte de 1903, de fournir des facilités raisonnables et convenables en vue du transport des marchandises. Bien que la question de la compétence n'ait pas été expressé- ment abordée dans les décisions de la Cour suprême du Canada, (1910) 43 R.C.S. 387, et du Conseil privé, [1911] A.C. 739, ces dernières ont implicitement confirmé le pouvoir des tribunaux d'accorder des dommages-intérêts, du moins lors- que, comme dans l'affaire Robinson, la Commis sion avait au préalable conclu à un défaut de fournir les installations requises par l'Acte.
Compte tenu de ce principe bien établi quant au pouvoir d'accorder des dommages-intérêts pour violation d'une obligation légale équivalente à celle prévue à l'article 262, j'estime que, pour que ce pouvoir soit transmis à la Commission, il faudrait une disposition expresse de la part du législateur. Une telle disposition expresse se retrouve, par exemple, en Angleterre, l'article 12 de la Rail way and Canal Traffic Act, 1888 (51 & 52 Vict., c. 25), dispose que lorsque les Railway Commis sioners ont compétence pour entendre et juger toute question, [TRADUCTION] «ils peuvent, en sus ou au lieu de tout autre redressement, accorder à une partie lésée demanderesse des dommages-inté- rêts pour le préjudice qu'ils estiment que celle-ci a subi». Je ne crois pas qu'on puisse dire, comme le juge de première instance, que l'article 58 de la Loi nationale sur les transports soit suffisamment explicite ou clair à ce sujet pour avoir l'important effet de conférer à la Commission le pouvoir, normalement dévolu aux tribunaux, d'accorder des dommages-intérêts pour violation de l'obligation prescrite par l'article 262 de la Loi sur les chemins de fer. Tandis que l'article 262 confère expressé- ment à la Commission diverses sortes de compé- tence dans ses paragraphes (3),(6) et (8), il est
muet quant à la juridiction devant laquelle doit être exercé «le droit d'intenter une poursuite» en dommages-intérêts prévu au paragraphe (7). De plus, au paragraphe (8), il est fait une distinction entre les «frais», que peut imposer la Commission, et les «dommages-intérêts», dont l'adjudication n'est pas clairement attribuée à la Commission. A mon avis, il ne ressort pas clairement de l'article 58 de la Loi nationale sur les transports, qui traite en termes généraux des redressements non sollici- tés que peut accorder la Commission, que le légis- lateur ait voulu modifier l'attribution du pouvoir d'accorder des dommages-intérêts qui résulte implicitement des dispositions de l'article 262 de la Loi sur les chemins de fer. J'estime donc que la Cour fédérale a compétence pour accorder des dommages-intérêts pour violation de l'obligation prévue à l'article 262.
Mais la question la plus difficile à trancher est, selon moi, celle de savoir si la Cour a compétence pour déterminer, ainsi qu'il est demandé dans la déclaration, si les compagnies ferroviaires intimées ont, pendant les campagnes agricoles considérées, fourni des installations suffisantes et convenables, ou si la détermination de ce point doit, par l'effet des dispositions de l'article 262, être considérée comme ayant fait l'objet d'une attribution spéciale à la Commission au sens de l'article 23 de la Loi sur la Cour fédérale.
Les allégations du paragraphe 15 de la déclara- tion soulèvent des questions complexes de fait et de politique de réglementation ferroviaire qui, en application des paragraphes 262(3) et 262(6) de la Loi sur les chemins de fer, relèvent de la Commis sion. Le paragraphe 262(3) témoigne particulière- ment de l'intention du législateur qu'il appartienne à la Commission de déterminer ce qui constitue, dans chaque cas, des installations suffisantes et convenables. A mon avis, l'article 262 prévoit que les questions de fait et de politique du genre soulevé dans le paragraphe 15 de la déclaration doivent être tranchées par la Commission plutôt que par les tribunaux.
Ce point de vue et les considérations de politique qui le sous-tendent reposent sur les opinions inci- dentes figurant dans les décisions, tant canadien- nes qu'anglaises, qui ont commenté le rapport, en matière ferroviaire, entre les juridictions respecti- ves des commissions administratives et des tribu-
naux. Trois considérations se dégagent de ces observations judiciaires: (1) l'obligation légale générale de fournir des installations suffisantes et convenables ou des facilités raisonnables ne se précise et ne se matérialise dans un cas particulier que par la détermination, à titre de question de fait, de ce qui constitue de telles installations ou facilités dans ce cas particulier; (2) cette détermi- nation, en raison des divers intérêts et des considé- rations de politique en cause, relève, par la volonté du législateur, de la commission administrative; et (3) il est essentiel qu'il ne puisse y avoir contra- riété de décisions sur ces questions de fait et d'administration.
Les jugements de la Cour suprême du Canada dans les affaires The Grand Trunk Railway Com pany of Canada c. McKay (1904) 34 R.C.S. 81 et The Grand Trunk Railway Company of Canada c. Perrault (1905) 36 R.C.S. 671, et particulière- ment les opinions exprimées par le juge Davies dans ces deux causes, reflètent ces considérations générales. La Cour a statué que les pouvoirs parti- culiers du Comité des chemins de fer du Conseil privé et de la Commission des chemins de fer, qui étaient en discussion dans ces deux causes, devaient être considérés comme exclusifs en raison de leur nature même et des conséquences pratiques d'un autre point de vue. Insistant sur le fondement sur lequel la décision d'une commission adminis trative doit reposer, le juge Davies dit ceci à la page 97 de l'affaire McKay: [TRADUCTION] «L'exercice de ces pouvoirs et fonctions importants exige d'examiner soigneusement de nombreux inté- rêts contradictoires, et pour permettre à ce comité d'examiner ces intérêts et de déterminer tous les faits nécessaires, l'Acte en question lui accorde les plus larges pouvoirs», et dans l'affaire Perrault, à la page 679, il se livre à la même analyse: [TRA- DUCTION] «Beaucoup de considérations doivent être pesées pour parvenir à une conclusion sous le régime de cet article, et quelques-unes d'entre elles ressortissant à ]"intérêt public' peuvent se distin- guer nettement du cadre immédiat.» Pour ce qui est de la nécessité d'éviter des décisions contradic- toires, le juge Sedgewick dit ceci, à la page 92, dans l'affaire McKay: [TRADUCTION] «Y a-t-il ou peut-il y avoir un autre organisme qui puisse passer outre ou déroger à ces décisions ou ordon- nances, ou rendre des décisions additionnelles, sup- plémentaires ou peut-être contradictoires?» A
propos de la même question, le juge Davies, dans l'affaire Perrault, s'exprime en ces termes à la page 679: [TRADUCTION] «Imaginez alors quelle extraordinaire confusion régnerait si deux tribu- naux parvenaient à des conclusions contradictoires à partir de considérations différentes.»
Dans l'affaire Robinson précitée, la Commission des chemins de fer avait constaté le fait que la compagnie ferroviaire n'avait pas fourni de facili- tés raisonnables et convenables comme l'exigeait l'article 253 de l'Acte de 1903, et cette constata- tion de fait, aux termes de l'article 42(3) dudit Acte, liait les tribunaux et servait à déterminer la responsabilité aux fins de l'action ultérieure en dommages-intérêts. Dans l'affaire Meagher c. Canadian Pacifie Railway Company (1912) 42 N.B.R. 46, la Cour suprême du Nouveau-Bruns- wick réunie en audience plénière a, par décision majoritaire, écarté l'affaire Robinson au motif que l'ordonnance sur consentement de la Commission dans l'affaire Meagher n'équivalait pas à la cons- tatation d'un défaut de se conformer aux exigences de l'article 284 (installations suffisantes et conve- nables) ou de l'article 317 (facilités raisonnables et convenables) de la Loi des chemins de fer de 1906 (S.R.C. 1906, c. 37), et qu'en l'absence d'une telle constatation de la part de la Commission, la Cour ne pouvait accorder de dommages-intérêts pour défaut de se conformer à une obligation légale. Le juge en chef Barker, qui représentait la majorité, dit ceci à la page 81:
[TRADUCTION] Je ne voudrais pas être considéré comme statuant qu'en aucun cas, sous le régime de la Loi des chemins de fer, une action ne saurait être accueillie contre une compa- gnie pour violation par celle-ci de son obligation légale sans que les faits aient été au préalable constatés par la Commission des chemins de fer. Il est très possible qu'il existe beaucoup de cas l'obligation est si précieusement et explicitement imposée par le texte que toute décision de la Commission ne servirait à rien.
En l'espèce, l'obligation imposée à la compagnie a trait à une grande variété de conditions et de circonstances mettant en jeu des intérêts tant publics que privés. Le langage général utilisé à cette fin ne peut être précisé, en vue de définir l'obligation dans un cas donné, que par la Commission des chemins de fer, une commission administrative instituée par la Loi des chemins de fer pour les fins de celle-ci. A elle, et à elle seule, la législature a conféré le pouvoir de statuer définitivement sur ces questions, et pour exercer ce pouvoir, la Commission peut apprécier souverainement les droits et demandes respectifs des parties, sa décision n'étant susceptible d'aucun appel.
A mon avis, ces propos décrivent bien la nature de l'appréciation, que la Loi considère comme
devant être faite par la Commission, de ce qui, dans des circonstances particulières, doit être jugé comme des installations suffisantes et convenables eu égard à tous les intérêts et toutes les considéra- tions en cause. Le même caractère se reflète dans les décisions anglaises traitant du pouvoir qu'a une commission administrative de déterminer, à titre de question de fait, ce qui doit être considéré comme des facilités raisonnables pour le transport des marchandises conformément à l'article 2 de The Railway and Canal Traffic Act, 1854 (17 & 18 Vict., c. 31). Voir, par exemple, Perth General Station Committee c. Ross [1897] A.C. 479, lord Watson, à la page 487; John Watson, Limited c. Caledonian Railway Company (1911) 14 Ry. & Can. Tr. Cas. 185, lord Dunedin à la page 191; et Spillers & Bakers, Limited c. Great Western Railway Company [1911] 1 K.B. 386, le lord juge Farwell, à la page 401.
Comme l'a observé le juge en chef Barker dans l'affaire Meagher précitée, il y aura, bien entendu, des cas les tribunaux se chargeront peut-être de déterminer la responsabilité pour violation d'une obligation prévue à l'article 262 de la Loi sur les chemins de fer sans qu'une commission adminis trative ait au préalable statué sur une question de fait. Tel semble avoir été le cas dans l'affaire A. L. Patchett & Sons Ltd. c. Pacific Great Eastern Railway Company [1959] R.C.S. 271, la Cour suprême du Canada s'est déclarée compétente quant à une action en dommages-intérêts pour violation de l'obligation prévue à l'alinéa 203(1)c) de la Railway Act de la Colombie-Britannique, S.R.C.-B. 1948, c. 285, alinéa qui reprend les termes de l'alinéa 262(1)c) de la Loi fédérale, sans que la commission administrative ait rendu une décision préalable. L'article 203 de la loi provin- ciale est inspiré de l'article 262 de la Loi fédérale, sauf que le pouvoir que confère à la Commission l'article 262 est attribué par l'article 203 au minis- tre provincial des Chemins de fer. Le juge Locke, dissident dans l'affaire Patchett, s'exprime en ces termes, à la page 291, propos de l'absence d'une décision préalable de la part de la commission administrative:
[TRADUCTION] Dans l'affaire Robinson c. Canadian North ern Railway ((1909), 19 Man. R. 300), des dommages-intérêts ont été adjugés contre une compagnie ferroviaire pour avoir privé un expéditeur des facilités raisonnables et convenables prescrites par l'Acte de 1903. Le jugement rendu contre cette compagnie a été confirmé par la présente Cour ((1910), 43
R.C.S. 387, 11 C.R.C. 304) et le Comité judiciaire ([1911] A.C. 739, 13 C.R.C. 412, 31 W.L.R. 624). Dans cette affaire, la Commission des chemins de fer avait constaté que, au sens de l'Acte de 1903, les facilités dont la compagnie Robinson avait été privée étaient raisonnables et convenables.
En l'espèce, une telle constatation fait défaut, mais le fait que la voie de raccordement ait été construite sur la propriété de l'appelante et à elle louée, et que des marchandises y aient été reçues et livrées pendant un certain temps, confirme que les facilités étaient de celles auxquelles l'appelante avait droit en vertu des art. 203 et 222 de la Railway Act, et aucune question n'a été soulevée à ce sujet.
Dans l'affaire Patchett, le litige ne portait pas sur le droit à une voie de raccordement, mais sur le défaut par la compagnie ferroviaire, en raison du piquetage lors d'une grève, d'assurer le service sur la voie de raccordement, service auquel l'expédi- teur prétendait avoir droit en vertu de la loi. La majorité a statué que l'obligation qu'imposait l'ar- ticle 203 n'était pas une obligation absolue, mais plutôt une obligation relative, celle de fournir des services dans la mesure du possible, et que cette obligation avait été remplie. La minorité a affirmé qu'il s'agissait d'une obligation absolue et qu'elle aurait retenu la responsabilité de la compagnie ferroviaire. Il n'y avait aucune question de fait, telle que celle soulevée en l'espèce par la déclara- tion, sur laquelle l'autorité administrative avait été dotée d'un pouvoir.
Les appelants s'appuient particulièrement, en ce qui concerne la question de compétence, sur l'arrêt de la Cour suprême du Canada dans l'affaire La Compagnie de Téléphone Bell du Canada c. Harding Communications Limited [1979] 1 R.C.S. 395. Dans cette affaire, la Cour a statué que, dans des procédures tendant à la délivrance d'une injonction, la Cour supérieure du Québec avait compétence pour décider si le paragraphe 5(4) de la Loi constitutive de Bell obligeait celle-ci à prescrire des exigences raisonnables pour le branchement de l'équipement non fourni par elle, et que cette compétence n'était pas exclue par le pouvoir que la Commission tenait des paragraphes (5) et (6) de l'article 5 de déterminer, comme question de fait, le caractère raisonnable de toute exigence de cette nature. La compagnie n'avait prescrit aucune exigence, et la Commission avait posé, dans des décisions antérieures, qu'en l'ab- sence de telles exigences, elle n'avait pas compé- tence pour connaître d'une plainte contre le refus par la compagnie de permettre le raccordement du
matériel autre que le sien. Le juge en chef Laskin, qui rendait le jugement de la Cour, statua que l'interprétation du paragraphe 5(4) de la Loi était une question de droit sur laquelle la décision de la Commission ne pouvait être en dernier ressort et lier les tribunaux en l'absence d'une disposition spéciale à cet effet; il s'agissait d'une question que la Cour supérieure du Québec avait compé- tence pour examiner au cours de procédures ten- dant à la délivrance d'une injonction régulièrement intentées devant elle. Il dit ceci à la page 403:
La décision de la Commission ne lie pas les tribunaux, en l'absence d'une indication claire qu'il lui appartient exclusive- ment de déterminer le sens du par. 5(4), non seulement à ses propres fins mais également aux fins de toute autre procédure dans le cadre de laquelle la question du sens de ce paragraphe se pose. Pareille indication n'existe pas. En fait, la Commission n'est pas le tribunal de dernier ressort pour les questions de droit ou de compétence qui lui sont soumises. La Loi nationale sur les transports prévoit que les décisions de la Commission sur toute question de droit ou de compétence sont susceptibles d'appel à la Cour d'appel fédérale, sur autorisation (voir le par. 64(2), modifié par S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10, item 32) et, de là, il est possible de se pourvoir devant cette Cour. C'est cette Cour qui tranchera en dernier ressort toute question de droit soulevée par le par. 5(4), qu'elle ait d'abord été tranchée par une cour supérieure ou que ce soit la Commission qui en ait d'abord décidé.
Je conclus donc que la Cour supérieure du Québec a compé- tence pour décider si le par. 5(4) impose une obligation à Bell lorsque cette question se pose au cours des procédures judiciai- res régulièrement intentées devant elle. C'est le cas en l'espèce.
A mon humble avis, la décision rendue dans l'affaire Harding Communications ne permet pas de trancher la question de compétence dans le présent appel. Tandis que la question qui devait y être examinée était une question de droit, sur laquelle la décision de la Commission ne saurait être en dernier ressort et lier les tribunaux, la question de savoir s'il y a eu défaut de fournir des installations suffisantes et convenables, comme l'exige l'article 262, est une question de fait qui relève, en application du paragraphe 262(3), de la Commission, et sur laquelle la décision de celle-ci est rendue obligatoire et définitive par le paragra- phe 56(3) de la Loi nationale sur les transports.
En l'espèce, la plainte formulée dans la déclara- tion porte sur beaucoup de choses, savoir la fourni- ture, la répartition et l'utilisation des wagons pour le transport du grain pendant deux campagnes agricoles entières. Il s'agit d'une plainte à laquelle le critère du caractère raisonnable posé dans l'af-
faire Patchett ne saurait être appliqué que par la Commission, eu égard à la demande totale du réseau de chemins de fer durant la période consi- dérée. Pour ce qui est de la possibilité de décisions contradictoires, il importe de souligner que, le 24 avril 1980, le Comité des transports par chemin de fer de la Commission a rendu une décision à la suite d'une demande, datée du 19 février 1979, [TRADUCTION] «sollicitant, en application de l'ar- ticle 262 de la Loi sur les chemins de fer, S.R.C. 1970, chap. R-2, la tenue, par le Comité des transports par chemin de fer, d'une enquête pour déterminer si la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada et la Canadian Pacific Limited s'acquittent de leur obligation de fournir des installations suffisantes et convenables pour le transport du grain». Le Comité a fait état du critère du caractère raisonnable exprimé dans l'af- faire Patchett, de diverses études faites en matière de transport et de manutention du grain, et des efforts déployés par les compagnies ferroviaires, avec l'aide du gouvernement, pour augmenter leur capacité. Il a refusé de tenir l'enquête avec audien ces publiques demandées. Cette décision reflète la nature complexe et évasive de l'appréciation qui doit être faite à l'égard des questions soulevées par la déclaration.
Par ces motifs, j'estime que la Commission s'est vue spécialement attribuer la compétence pour déterminer si les compagnies ferroviaires intimées ont fourni des installations suffisantes et convena- bles en vue du transport du grain pour la Commis sion canadienne du blé pendant les campagnes agricoles de 1977-1978 et de 1978-1979, et qu'en l'absence d'une décision sur ce point de la part de la Commission, la Cour fédérale est incompétente pour connaître de l'action en dommages-intérêts des appelants.
A supposer toutefois que j'aie tort de statuer ainsi, et que la Cour ait compétence pour connaître de cette action, j'estime en outre, par les motifs qui suivent, que la déclaration ne révèle aucune cause raisonnable d'action et que, en tout état de cause, l'action n'a pas été valablement intentée à titre de demande collective en vertu de la Règle 1711.
Savoir si la déclaration révèle une cause raison- nable d'action revient à savoir si, à supposer que toutes les allégations de fait soient avérées, les
appelants sont des personnes lésées au sens du paragraphe 262(7) de la Loi sur les chemins de fer. Puisque l'action a pour fondement le prétendu défaut d'exécuter l'obligation légale de fournir des installations suffisantes et convenables, la question est de savoir si les compagnies ferroviaires avaient une telle obligation envers les appelants. A mon avis, ce n'était pas le cas.
Aux termes de l'alinéa 262(1)a), cette obliga tion consiste à fournir des installations suffisantes et convenables «pour la réception et le chargement des marchandises et effets présentés à la compa- gnie pour être transportés sur son chemin de fer». Il s'agit donc d'une obligation envers celui qui présente des marchandises pour le transport. Il ressort clairement de la déclaration et des disposi tions applicables de la Loi sur la Commission canadienne du blé, dont il a été fait mention, que le surcroît ou le «surplus» de céréales (pour repren- dre l'expression utilisée par le juge de première instance) que la Commission aurait pu vendre et aurait autorisé les producteurs à livrer si les com- pagnies ferroviaires intimées avaient fourni des installations suffisantes, n'a pas été et n'aurait pas pu être présenté par les appelants pour être trans porté par les compagnies intimées. Les allégations contenues dans la déclaration et les dispositions de la Loi font voir clairement que les producteurs ne traitent pas avec les compagnies ferroviaires pour le transport du grain, dont la commercialisation est assurée par la Commission. Le grain est vendu et livré par chaque producteur à la Commission aux élévateurs primaires ou wagons, la pro- priété en est transférée, par l'effet de la loi, à la Commission, et il est mis avec d'autre grain. C'est la Commission qui s'entend avec les compagnies ferroviaires pour le transport du grain vendu par elle. Elle le fait pour son propre compte, à titre de propriétaire du grain et non comme mandataire des producteurs. D'après la déclaration, la Com mission a, par l'entremise du Comité des trans ports, planifié avec les compagnies ferroviaires le transport du grain durant les campagnes agricoles en question, et obtenu de ces compagnies qu'elles confirment leur capacité de transporter le grain vendu par la Commission ou qu'elles s'engagent à fournir cette capacité. Le paragraphe 9 de la déclaration est ainsi rédigé:
[TRADUCTION] 9. Pendant l'époque en cause, la Commission canadienne du blé a confié aux compagnies de chemins de fer
défenderesses le transport de grains, par le biais du Comité des transports pour la prévision des besoins à long terme et au moyen d'un système de zones d'expédition pour ce qui était de la répartition du matériel roulant et des installations connexes par cycle de transport de six semaines. Les compagnies de chemins de fer défenderesses ont participé aux décisions et confirmé leur aptitude à transporter le grain en question.
Il importe de se rappeler en outre que la Commis sion a le pouvoir de répartir les wagons disponi- bles, et qu'elle a forcément participé avec les com- pagnies de chemins de fer aux décisions conjointes relatives à la disposition du matériel roulant dispo- nible. Les compagnies ne traitent pas du tout avec les producteurs individuels au sujet des quantités précises de grain vendues et livrées par ceux-ci à la Commission et plus tard transportées par elles pour le compte de cette dernière. Les compagnies ne sauraient prévoir les conséquences qu'entraîne- raient pour tel ou tel producteur un défaut éven- tuel dans le système tout entier de fournir des installations suffisantes.
Il a été dit à plusieurs reprises que la responsabi- lité d'une compagnie sous le régime de la Loi sur les chemins de fer est essentiellement celle d'un transporteur public: La Compagnie du chemin de fer national du Canada c. Harris [1946] R.C.S. 352, à la page 376. Bien qu'on puisse dire que l'obligation particulière, que prévoit l'article 262, de fournir des installations suffisantes et convena- bles découle de la loi, on n'a certainement pas voulu la créer au profit de personnes envers les- quelles un transporteur public n'a aucune respon- sabilité, puisqu'il n'existe aucun contrat entre elles et le transporteur et qu'elles ne sont pas les pro- priétaires des marchandises présentées pour le transport.
L'avocat des appelants a reconnu qu'une per- sonne ne peut être lésée au sens du paragraphe 262(7) que si l'obligation prévue à l'article lui est due, mais il a prétendu qu'en raison de l'économie de la Loi sur la Commission canadienne du blé, qui oblige les producteurs à vendre leurs produits par l'entremise de la Commission, le producteur individuel devait être considéré comme étant dans la même position que la Commission par rapport aux compagnies de chemins de fer, c'est-à-dire comme expéditeur et propriétaire du grain. Par les motifs déjà mentionnés, et compte tenu particuliè- rement de l'envergure des opérations de commer cialisation de la Commission et de ses relations
avec les compagnies de chemins de fer, il ne s'agit pas là, à mon avis, d'une position défendable. Puisqu'il est impossible pour les compagnies de chemins de fer de prévoir l'effet que produirait sur le producteur individuel un éventuel défaut de fournir des installations suffisantes en vue du transport du grain pour la Commission, il ne sau- rait y avoir d'obligation envers lui.
Par ces motifs, je conviens avec la Division de première instance que les appelants ne sont pas des personnes lésées au sens du paragraphe 262(7) de la Loi sur les chemins de fer, et qu'il est donc manifeste que leur action ne saurait être accueillie.
A supposer même que le producteur individuel ait une cause d'action pour un manque à gagner dont il rapporterait la preuve qu'il est au défaut par les compagnies ferroviaires de fournir des ins tallations suffisantes en vue du transport du grain pour la Commission, l'action n'a pas été, à mon avis, valablement intentée comme demande collec tive en vertu de la Règle 1711. L'alinéa (1) de cette Règle est ainsi conçu:
Règle 1711. (I) Lorsque plusieurs personnes ont le même intérêt dans une procédure, la procédure peut être engagée et, sauf ordre contraire de la Cour, être poursuivie par ou contre l'une ou plusieurs d'entre elles en tant que représentant toutes ces personnes ou en tant que les représentant toutes à l'excep- tion d'une d'entre elles ou plus.
Il ressort de décisions telles que Naken c. Gen eral Motors of Canada Ltd. (1979) 92 D.L.R. (3 e ) 100 (C.A. Ont.), qui ont examiné la condition essentielle que doit rencontrer une demande collec tive sous le régime des règles semblables, que cette action, si elle est accueillie, doit profiter à tous les membres de la classe, ou, comme il est dit quelque- fois, il faut que si les demandeurs gagnent, tous les intéressés gagnent. En l'espèce, les appelants agis- sent à titre de titulaires de livrets de permis pour les campagnes agricoles de 1977-1978 et de 1978- 1979. Cela ne suffirait pas à permettre au produc- teur individuel d'avoir une part dans les domma- ges-intérêts qui pourraient être recouvrés et payés à la Commission pour répartition. Comme il a été dit plus haut, le partage équitable de tout surplus découlant de la vente du grain par la Commission est effectué non pas entre les titulaires de livrets de permis, en tant que tels, mais entre les détenteurs de certificats indiquant le grain qui a été vendu et livré à la Commission pendant une campagne agri-
cole. Le surplus payable aux détenteurs de certifi- cats pour les campagnes agricoles en question leur a été distribué. Ces certificats ne leur donnent pas droit à la distribution de tout surplus additionnel que la Commission aurait pu retirer d'une vente additionnelle de grain sans le prétendu défaut par les compagnies intimées de fournir des installa tions suffisantes. Pour établir son droit à une part des dommages-intérêts payables à la Commission, un producteur individuel aurait à établir la portion du contingent additionnel, si contingent il y a, de grain d'un genre et d'une qualité particuliers à laquelle il aurait eu droit et qu'il aurait pu livrer. Cela dépendrait des demandes supplémentaires de la Commission et du grain additionnel que le producteur individuel aurait pu livrer. Il est clair que le droit du producteur individuel dépendrait des circonstances particulières de son cas, et que diverses justifications pourraient être offertes selon ces circonstances. Les appelants ne sont donc pas fondés à intenter une demande collective.
Les appelants ont tenté de tourner la difficulté d'établir le droit de chaque producteur à des dom- mages-intérêts en exerçant leur recours sous forme d'une action dérivée et en faisant attribuer à la Commission la responsabilité de répartir les dom- mages-intérêts qui lui seraient versés. Ils ne sont pas fondés à intenter une action dérivée pour exercer les droits de la Commission. La Commis sion n'est pas légalement autorisée, et un tribunal ne saurait l'obliger, à répartir les dommages-inté- rêts qui lui seraient versés entre les titulaires de livrets de permis pour les campagnes agricoles considérées selon ce qu'elle croirait être la part de chacun. Le surplus qui proviendrait du paiement de dommages-intérêts à la Commission ne serait pas susceptible de répartition sous le régime de l'article 26 de la Loi sur la Commission cana- dienne du blé ou de toute autre disposition de la Loi (par exemple l'article 30) qui s'applique égale- ment à la répartition du surplus pour ce qui est du grain réellement vendu et livré.
Par ces motifs, j'estime qu'il convient de rejeter
l'appel avec dépens.
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LE JUGE URIE: Je souscris aux motifs ci-dessus.
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LE JUGE SUPPLÉANT MAGUIRE: Je souscris aux motifs ci-dessus.
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