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A-729-80
Vicky E. Silk (Requérante) c.
Le juge - arbitre nommé en vertu de l'article 92 de la Loi sur l'assurance-chômage (Intimé)
Cour d'appel, le juge en chef Thurlow, le juge Heald et le juge suppléant Hyde—St-Jean, 2 sep- tembre; Ottawa, 17 septembre 1981.
Examen judiciaire Assurance-chômage Demande d'examen et d'annulation de la décision du juge-arbitre qui a confirmé la décision par laquelle un conseil arbitral avait rejeté la demande de prestations d'assurance-chômage de la requérante La requérante a travaillé, comme ensacheuse, du 2 février au 6 mars, et comme pêcheuse, du 15 juillet au 2 novembre Le sous-alinéa 85(1)b)(i) du Règlement sur l'as- surance-chômage exige que les vingt semaines d'emploi assu- rable doivent s'inscrire dans une période commençant le der- nier dimanche de mars Il échet d'examiner si le sous-al. 85(1)b)(i) est ultra vires en ce qu'il impose, en matière de période de référence, une condition différente de celle que prévoit la Loi Demande accueillie Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2' Supp.), c. 10, art. 28 Loi de 1971 sur l'assurance-chômage, S.C. 1970-71-72, c. 48, art. 2, 17, 18, 19, 20, 146 Règlement sur l'assurance-chômage, C.R.C. 1978, Vol. XVIII, c. 1576, art. 75, 85.
Demande d'examen et d'annulation de la décision du juge- arbitre qui a confirmé la décision par laquelle le Conseil arbitral avait rejeté la demande de prestations d'assurance-chô- mage de la requérante. La requérante a travaillé, comme ensacheuse, du 2 février au 6 mars; elle a également travaillé comme pêcheuse, du 15 juillet au 2 novembre, soit une période de seize semaines. La demande de prestations a été faite le 6 novembre et rejetée le 21 novembre. Le sous-alinéa 85(1)b)(i) du Règlement sur l'assurance-chômage exige que les vingt semaines d'emploi assurable doivent s'inscrire dans une période commençant le dernier dimanche de mars. La question est de savoir si le sous-alinéa 85(1)b)(i) est ultra vires et invalide en ce qu'il impose, en matière de période de référence, une condi tion différente de celle que prévoit la Loi. L'intimé fait valoir que la Commission était habilitée par l'article 146 de la Loi à établir un système distinct d'assurance-chômage pour les pêcheurs qui autrement ne seraient pas admissibles à recevoir des prestations.
Arrêt: la demande est accueillie. Le paragraphe 146(1) com- porte trois alinéas, qui prévoient chacun un pouvoir distinct de réglementation sur un sujet déterminé. Par ailleurs, on ne peut pas conclure des alinéas a),b) et c), pris séparément ou ensem ble, que la Loi prévoit le pouvoir d'instaurer un régime d'assu- rance-chômage entièrement distinct à l'intention des pêcheurs. Ce que l'alinéa a) veut dire, c'est que des règlements peuvent être pris pour «inclure au nombre des assurés» tout pêcheur, même s'il n'est pas l'employé d'une autre personne. Une fois ce règlement pris, le pêcheur tombe dans la définition que la Loi donne de l'assuré et doit être considéré comme tel, même s'il n'est pas employé. Il en est de même de l'alinéa b). Il ne s'agit pas simplement de règlements visant à assimiler les pêcheurs
aux assurés au sens de la Loi, mais de règlements visant à leur étendre le régime d'assurance-chômage établi par la Loi. La portée de l'alinéa c) est limitée à «toutes les autres questions qu'il est nécessaire de réglementer» pour que les pêcheurs soient couverts par l'assurance-chômage. L'alinéa c) permet de pren- dre d'autres règlements qui peuvent être nécessaires pour placer, à titre d'assurés, les pêcheurs qui ne sont pas des employés, dans le champ d'application de la Loi, qui vise à fournir des prestations d'assurance-chômage aux employés. Cet alinéa n'autorise pas l'institution d'un régime d'assurance-chô- mage distinct et plus restrictif pour les pêcheurs, qui leur impose une autre période de référence que celle imposée par
l'article 18 tout «assuré». Le sous-alinéa 85(1)b)(1) est en conflit avec la loi et est ultra vires et invalide. La période de référence était la période de cinquante-deux semaines précé- dant immédiatement le dépôt de la demande de la requérante.
DEMANDE d'examen judiciaire. AVOCATS:
G. M. Cummins pour la requérante. M. J. Butler pour l'intimé.
PROCUREURS:
George M. Cummins, St-Jean, pour la requérante.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE EN CHEF THURLOW: La Cour est saisie d'une demande, fondée sur l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2» Supp.), c. 10, et tendant à l'examen et à l'annulation de la décision du juge-arbitre nommé en vertu de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage, S.C. 1970- 71-72, c. 48, qui a confirmé la décision par laquelle un conseil arbitral avait rejeté la demande de prestations d'assurance-chômage de la requérante. Cette demande soulève la question de savoir si la condition imposée par l'article 85 du Règlement sur l'assurance-chômage, C.R.C. 1978, Vol. XVIII, c. 1576, en matière de période de référence pour les pêcheurs est ultra vires et invalide en tant qu'il impose une condition différente de celle que prévoit la Loi.
La Loi établit un système par lequel les primes versées par les employés et les employeurs sont perçues et portées au crédit du Compte d'assu- rance-chômage relevant du Fonds du revenu con- solidé, et par lequel les deniers prélevés sur ce
fonds sont payés aux assurés en cas de cessation de paie. La Commission peut, avec l'approbation du gouverneur en conseil, prendre des règlements régissant certaines matières, mais elle n'est pas habilitée à raccourcir la période de référence prévue par la loi. L'admissibilité aux prestations d'assurance-chômage est prévue aux articles 17 à 20 inclusivement, qui portent notamment:
17. (1) Les prestations d'assurance-chômage sont payables, ainsi que le prévoit la présente Partie, à un assuré qui remplit les conditions requises pour recevoir ces prestations.
(2) Un assuré qui est une personne qui devient ou redevient membre de la population active remplit les conditions requises pour recevoir des prestations en vertu de la présente loi
a) s'il a exercé un emploi assurable pendant vingt semaines ou plus au cours de sa période de référence; et
b) s'il y a eu arrêt de la rémunération provenant de son emploi.
18. (1) Sous réserve des paragraphes (2) à (5), la période de référence d'un assuré est la plus courte des périodes suivantes:
a) la période de cinquante-deux semaines qui précède le début d'une période de prestations prévue par le paragraphe (1) de l'article 20, ...
19. Lorsqu'un assuré, qui remplit les conditions requises aux termes de l'article 17, formule une demande initiale de presta- tions, on doit établir à son profit une période de prestations et des prestations lui sont dès lors payables, en conformité de la présente Partie, pour chaque semaine de chômage comprise dans la période de prestations.
20. (1) Une période de prestations débute le dimanche
a) de la semaine au cours de laquelle survient l'arrêt de rémunération, ou
b) de la semaine au cours de laquelle est formulée la demande initiale de prestations si elle est postérieure à celle de l'arrêt de rémunération.
Le mot «assuré» est défini à l'article 2 comme désignant «une personne qui exerce ou a exercé un emploi assurable».
Toutefois, cette définition peut être élargie par voie d'un Règlement pris en application de l'article 146, qui se trouve dans la Partie IX de la Loi. Cet article porte:
146. (1) Nonobstant toute autre disposition de la présente loi, la Commission peut, avec l'approbation du gouverneur en conseil, établir des règlements visant
a) à inclure au nombre des assurés toute personne qui se livre à la pêche (ci-après appelée «pêcheur» au présent article),
même si cette personne n'est pas l'employé d'une autre personne;
b) à inclure au nombre des employeurs, à titre d'employeur d'un pêcheur, toute personne avec laquelle le pêcheur établit des relations contractuelles ou autres relations commerciales en rapport avec son métier de pêcheur; et
c) toutes les autres questions qu'il est nécessaire de réglemen- ter pour que ces pêcheurs soient couverts par l'assurance-chô- mage.
(2) Nonobstant toute autre disposition de la présente loi, les cotisations perçues en application de règlements établis en vertu du présent article doivent être versées et créditées au Fonds du revenu consolidé et les prestations versées en application d'un tel règlement doivent être payées sur le Fonds du revenu consolidé et lui être débitées.
(3) Le présent article sera abrogé à une date qui sera fixée par proclamation.
En application de cet article, un Règlement a été pris, notamment les dispositions suivantes:
75. Toute personne qui est un pêcheur doit être considérée comme assuré et, sous réserve de la présente partie, la Loi et tout règlement établi en vertu de la Loi s'appliquent à cette personne, en tenant compte des modifications qu'imposent les circonstances.
85. (1) Sous réserve du présent article, lorsqu'un prestataire qui n'est pas un pêcheur à longueur d'année présente une demande en vue de faire établir une période de prestations, pendant ou après la semaine dans laquelle tombe le ler novem- bre et avant celle tombe le 15 mai suivant, et qu'il prouve
a) qu'il ne remplit pas les conditions requises, prévues à l'article 17 de la Loi, pour recevoir des prestations, et
b) qu'il a le nombre de semaines d'emploi assurable requis par l'article 17 de la Loi
(i) après le plus récent samedi précédant le 31 mars immédiatement antérieur au dimanche de la semaine il présente sa demande, ou
(ii) depuis le commencement de sa dernière période de prestations,
la plus courte de ces périodes étant prise en considération, une période de prestations doit être établie à son profit.
(2) Des prestations sont payables à un prestataire pour chaque semaine de chômage comprise dans sa période de prestations établie selon le paragraphe (1) en vertu des disposi tions de la Partie II de la Loi, à l'exception des alinéas 17(2)b), (3)b) et (4)b), et de l'article 34, qui s'appliquent aux prestations.
C'est justement la validité de la condition impo sée par le sous-alinéa 85(1)b)(i) qui a été contestée par la demande introduite en l'espèce.
Il est constant qu'en 1979, la requérante devint membre de la population active au sens de la Loi. Elle travailla, comme ensacheuse, dans une entre- prise de conditionnement pendant quatre semaines, du 2 février au 6 mars de cette même année,
période qui était inférieure aux vingt semaines requises par le paragraphe 17(2) pour l'admissibi- lité aux prestations. Il se trouve cependant que du 15 juillet 1979 au 2 novembre 1979,, c'est-à-dire pendant seize semaines, elle a été engagée comme pêcheuse. Les primes ont été payées pour les vingt semaines au cours desquelles elle a travaillé. Sa demande de prestations, fondée sur le fait qu'elle a été une assurée comme ensacheuse puis comme pêcheuse, a été faite le 6 novembre 1979. II s'en- suit que si le paragraphe 85(1) du Règlement est valide, sa demande ne saurait être accueillie.
L'argument avancé à l'appui du Règlement est que la Commission était habilitée par l'article 146 de la Loi à établir, ce qu'elle a fait d'ailleurs, un système distinct d'assurance-chômage pour les pêcheurs qui autrement ne seraient pas admissibles à recevoir des prestations.
Ce n'est apparemment pas ce que pensait l'agent responsable qui a rejeté, le 21 novembre 1979, la demande de la requérante. Il ressort de sa lettre que si les quatre semaines la requérante a travaillé comme ensacheuse avaient été postérieu- res à la période elle a travaillé comme pêcheuse, la combinaison des seize semaines de travail de pêcheuse et des quatre semaines de travail d'ensa- cheuse l'aurait rendue admissible à recevoir des prestations. Qui plus est, il découle de la position adoptée par la Commission que si la requérante avait travaillé comme ensacheuse pendant dix-neuf semaines et puis, après, comme pêcheuse pendant dix-neuf semaines, elle n'aurait pas rempli les con ditions requises pour recevoir des prestations alors qu'elle avait versé les primes pour les trente-huit semaines. Vu l'iniquité de pareille application du Règlement en vigueur et considérant que si le pouvoir de réglementation est aussi étendu et absolu que le soutient l'intimé, des règlements susceptibles d'entraîner des conséquences bien plus iniques pourraient être pris, il est nécessaire d'exa- miner la portée du pouvoir prévu par l'article 146.
Il convient de noter tout d'abord que le paragra- phe 146(1) comporte trois alinéas, qui prévoient chacun un pouvoir distinct de réglementation sur un sujet déterminé. Par ailleurs, on ne peut pas conclure des alinéas a),b) et c), pris séparément ou ensemble, que la Loi prévoit le pouvoir d'instaurer un régime d'assurance-chômage entièrement dis-
tinct à l'intention des pêcheurs. Si telle avait été l'intention du législateur, il n'y aurait pas eu trois alinéas; il aurait suffi de prévoir le pouvoir de prendre des règlements portant assurance-chô- mage pour les pêcheurs, même s'ils n'étaient pas au service d'autrui. Le pouvoir prévu n'est donc pas illimité.
Ce que l'alinéa a) veut dire, c'est, à mon avis, que des règlements peuvent être pris pour «inclure au nombre des assurés» tout pêcheur, même s'il n'est pas l'employé d'une autre personne. Une fois ce règlement pris, le pêcheur tombe dans la défini- tion que la Loi donne de l'assuré et doit être considéré comme tel, même s'il n'est pas employé. Par conséquent, il doit verser les cotisations.
Il en est de même de l'alinéa b), selon lequel des règlements peuvent être pris pour inclure au nombre des employeurs toute personne avec laquelle le pêcheur entretient des relations contrac- tuelles ou commerciales dans le cadre de son métier de pêcheur, même si cette personne n'est pas un employeur. Par conséquent, cette dernière doit aussi payer les cotisations.
Il ressort de ces alinéas qu'il ne s'agit pas sim- plement de règlements visant à assimiler les pêcheurs aux assurés au sens de la Loi, mais de règlements visant à leur étendre le régime d'assu- rance-chômage établi par la Loi à l'intention des employés.
Lorsqu'on arrive à l'alinéa c), la première chose à noter, c'est que la portée en est limitée, non pas à toute autre question concevable, mais à «toutes les autres questions qu'il est nécessaire de réglemen- ter» pour que les pêcheurs soient couverts par l'assurance-chômage. Autres par rapport à quoi? Par rapport aux questions prévues par les alinéas a) et b), mais seulement les questions qu'il est nécessaire de réglementer pour que les pêcheurs soient couverts par l'assurance-chômage.
La question se pose dès lors de savoir quels règlements sont nécessaires pour que ces pêcheurs soient couverts par l'assurance-chômage. L'inter- prétation la plus libérale possible, celle de l'avocat de la Commission, est que cela s'entend de tout ce que l'autorité compétente considère comme néces- saire. Selon l'autre interprétation, qui me paraît
plus conforme au langage de l'alinéa c), celui-ci permet de prendre d'autres règlements qui peuvent être nécessaires pour placer, à titre d'assurés, les pêcheurs qui ne sont pas des employés, dans le champ d'application de la Loi, qui vise à fournir des prestations d'assurance-chômage aux em ployés. Il se peut que les questions qui relèvent de la compétence de la Commission, telle que la prévoit la Loi à l'égard des employés, s'inscrivent dans la conception de ce qui est nécessaire à l'article 146. Même avec pareille interprétation de cet alinéa, il est indéniable que celui-ci n'autorise pas l'institution d'un régime d'assurance-chômage distinct et plus restrictif pour les pêcheurs, qui leur impose une autre période de référence que celle imposée par l'article 18 de la loi elle-même à tout «assuré», c'est-à-dire, dans le cas d'une personne qui devient membre de la population active, vingt semaines d'emploi assurable dans la période de cinquante-deux semaines précédant la demande de prestations. J'estime donc que la condition imposée par le sous-alinéa 85(1)b)(i) du Règlement selon laquelle les vingt semaines d'emploi assurable doi- vent s'inscrire dans une période commençant le dernier dimanche de mars est en conflit avec la loi et, par conséquent, ultra vires et invalide.
Il y a donc lieu d'annuler la décision du juge- arbitre et de lui renvoyer l'affaire pour nouvelle décision par ce motif que la période de référence applicable à la requérante était la période de cin- quante-deux semaines précédant immédiatement sa demande faite le 6 novembre 1979, et que durant cette période, la requérante justifiait du total de vingt semaines d'emploi assurable requis par la Loi.
Pour ce qui est des dépens, la Règle 1408 porte:
Règle 1408. Il n'y aura pas de dépens entre parties à une demande, à moins que la Cour, à sa discrétion, ne l'ordonne pour une raison spéciale.
Des Règles similaires, savoir les Règles 1505 et 1312, prévoient les dépens des renvois prévus au paragraphe 28(4) de la Loi sur la Cour fédérale et les appels formés conformément à la loi, devant la Cour contre les décisions de tribunaux administra- tifs fédéraux. Cette Règle, qui déroge au principe général qui veut, en matière d'appels formés contre les décisions de la Division de première instance, que les dépens suivent l'issue de la cause, à moins
qu'il n'existe des raisons pour en priver la partie qui a gain de cause, vise à assurer à quiconque est défavorablement touché par la décision d'un tribu nal administratif fédéral le droit de la contester devant cette Cour sans courir le risque d'être ruiné par les dépens s'il perd sa cause. La Cour a alloué à l'occasion des dépens lorsqu'elle estimait que l'action devant la Cour était si désespérée que l'introduction en constituait un abus de procédures ou lorsqu'une demande était si manifestement fondée que la partie adverse n'aurait pas y défendre. Le manque d'argent d'une partie n'a jamais été considéré comme une raison spéciale au sens de la Règle, et à mon avis, il ne doit pas être considéré en l'espèce comme une raison spéciale pour l'allocation des dépens.
* * *
LE JUGE HEALD: Je souscris aux motifs ci-dessus.
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LE JUGE SUPPLÉANT HYDE: Je souscris aux motifs ci-dessus.
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