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T-2423-81
La République fédérale socialiste de Yougoslavie (Requérante)
c. -
Svetislav Rajovic (Intimé)
Division de première instance, le juge Mahoney— Toronto, 11 mai; Ottawa, 13 mai 1981.
Brefs de prérogative Certiorari Extradition Con clusion par la requérante à un bref de certiorari en annulation de l'ordonnance d'un juge d'une cour de comté (siégeant à titre de juge d'extradition) accordant à l'intimé la liberté sous caution Conclusion par l'intimé à un bref de certiorari en annulation du mandat d'amener émanant d'un autre juge d'une cour de comté Condamnation de l'intimé en Yougo- slavie pour fraude et viol Il échet d'examiner si le juge d'extradition est compétent en matière de libération sous cau tion Il échet d'examiner si l'intimé a été «convaincu» ou s'il n'est qu'un «prévenu» aux termes de l'art. 2 de la Loi sur l'extradition Il échet d'examiner si la fraude donne lieu à l'extradition Rejet des requêtes Loi sur l'extradition, S.R.C. 1970, c. E-2I, art. 2, 13, 19, 18.
Arrêt mentionné: Re Di Stefano (1977) 30 C.C.C. (2') 310.
REQUÊTES. AVOCATS:
C. A. Amerasinghe et C. Kobernick pour la
requérante.
G. P. Johnstone et G. Shortliffe pour l'intimé.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour la
requérante.
Gregory P. Johnstone, Toronto, pour l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE MAHONEY: La requérante, représentée par le procureur général du Canada, conclut à un bref de certiorari en annulation de l'ordonnance d'un juge d'une cour de comté de l'Ontario qui, siégeant à titre de juge d'extradition, a accordé à l'intimé la liberté sous caution. La requête est fondée sur la conclusion qu'un juge d'extradition n'est pas compétent pour accorder la liberté sous caution. La requérante conclut également à l'an- nulation d'une seconde ordonnance par laquelle le juge a retenu sa compétence pour revoir sa pre-
mière ordonnance, même si, en fin de compte, il a refusé de la modifier. La requérante soutient que, à supposer même que le juge fût compétent pour accorder la liberté sous caution, il a, de ce fait même, épuisé sa compétence en la matière. Comme ce dernier argument n'a pas été développé au cours des débats, je ne me prononcerai pas là-dessus.
De son côté, l'intimé conclut, dans une requête entendue immédiatement après la requête ci-haut, à un bref de certiorari en annulation de son mandat d'amener délivré par un autre juge d'une cour de comté de l'Ontario. Selon ce mandat d'amener, l'intimé [TRADUCTION] «a été déclaré coupable des crimes de fraude et de viol». Il sou- tient, à la lumière des documents produits devant ce juge, qu'en premier lieu, la fraude dont il a été déclaré coupable n'est pas une infraction donnant lieu à extradition, et qu'en second lieu, l'intimé ayant été déclaré coupable des deux infractions par contumace, il n'en a pas été, juridiquement parlant, déclaré coupable, mais seulement accusé.
Je me prononcerai, dans les présents motifs, sur les deux requêtes, en commençant par celle de l'intimé parce qu'elle requiert le rappel des faits de la cause. L'intimé arriva au Canada en 1968. Entre 1971 et 1973, il exerça sa profession en Afrique du Sud. Rentré au Canada et devenu par la suite citoyen canadien, il a été autorisé à pour- suivre sa profession en Ontario. Il continue à l'exercer jusqu'à présent et possède des affaires d'une certaine importance, témoin l'obligation qui lui a été faite de consigner entre les mains de la Couronne des avoirs d'une valeur de $400,000, à titre de cautionnement pour sa liberté provisoire.
Le 23 mai 1968, l'intimé fut jugé en Yougosla- vie sous les deux chefs d'accusation précités. Il ressort du dossier qu'il comparut avec l'assistance d'un avocat. Sur chacun de ces deux chefs d'accu- sation, il fut déclaré coupable et condamné à [TRA- DUCTION] «deux ans de réclusion». Le 11 février 1974, le même tribunal le jugea une seconde fois sur les mêmes chefs d'accusation. Il ne comparut pas mais fut représenté par un [TRADUCTION] «avocat désigné d'office». Il fut de nouveau déclaré coupable sur ces mêmes chefs et condamné à [TRADUCTION] «une peine cumulative majorée» de 3 ans et 6 mois de «réclusion». Je n'ai pu trouver, dans les documents produits, rien qui justifie le
second procès. Selon la demande d'extradition adressée par la requérante, au Canada, l'intimé sera jugé à nouveau [TRADUCTION] «parce qu'il a été jugé par contumace».
La fraude, dont il a été déclaré coupable, consis- tait à obtenir un logement pour son usage person nel. D'après le paragraphe 12 de l'article II du traité d'extradition entre le Canada et la Yougo- slavie, l'infraction suivante donne lieu à extradi tion:
Fraude commise par un dépositaire, banquier, agent, facteur, fiduciaire, ou par un administrateur, membre ou fonctionnaire d'une compagnie, laquelle fraude est déclarée criminelle par quelque loi alors en vigueur.
L'intimé soutient qu'il ressort des documents pro- duits devant le juge délivrant le mandat qu'en s'assurant un logement pour son usage personnel, l'intimé n'agissait pas à titre de dépositaire, ban- quier, agent, courtier, fiduciaire ou administrateur, membre ou fonctionnaire d'une compagnie, que, par conséquent, la fraude dont il a été déclaré coupable ne constitue pas, en droit, une infraction donnant lieu à extradition, et que le juge n'avait nulle compétence pour délivrer le mandat.
En ce qui concerne le second moyen de défense pris contre le mandat d'amener, la Loi sur l'extra- dition' porte, en son article 2:
2. Dans la présente loi
«déclaration de culpabilité» ou «convaincu» ne comprend pas les cas de condamnation par contumace en vertu d'une loi étrangère; mais le terme «prévenu» comprend un individu ainsi condamné;
La requérante soutient qu'il ressort du dossier qu'il a été condamné par contumace, et que le juge_ n'avait pas compétence pour délivrer un mandat d'amener pour le faire arrêter à titre de personne «convaincu [e]» plutôt qu'à titre de «prévenu». Cette distinction est importante. Il ressort de l'article 18 que, pour obtenir un mandat d'incarcération contre l'intimé à titre de personne condamnée, la requérante doit établir qu'il a été déclaré coupable d'une infraction entraînant l'extradition, et que pour obtenir un mandat contre l'intimé à titre de personne prévenue, la requérante doit produire une preuve qui, d'après la loi canadienne, justifierait son incarcération préventive, si le crime avait été commis au Canada. La procédure d'extradition d'un fugitif déclaré coupable est donc moins oné- reuse que celle d'un fugitif prévenu.
' S.R.C. 1970, c. E-21.
L'intimé a présenté sa requête trop tôt. Il y a soulevé des points de fait et de droit dont le juge d'extradition pourra être saisi à l'audition de la requête en mandat d'incarcération prévu à l'article 18 de la Loi. L'article 14 lui prescrit expressément de recevoir, à l'audition, le témoignage offert par la requérante, ce qui implique manifestement d'au- tres témoignages que celui visant à la délivrance du mandat d'amener.
Je ne me prononcerai pas sur tous les arguments présentés pour ou contre la requête en annulation de l'ordonnance de mise en liberté sous caution. J'ai toutes les raisons de croire qu'il y aura bientôt une décision faisant jurisprudence en la matière, et c'est ce que j'espère en l'espèce. Il suffit de dire qu'il existe à ce sujet de nombreuses décisions contradictoires, dont aucune ne lie cette Cour. Il appert qu'à l'heure actuelle, les juges d'extradition de l'Ontario s'estiment compétents en la matière 2 , alors que ceux du Québec penchent pour la solu tion opposée 3 . Certains juges des cours supérieu- res, siégeant à titre de juges d'extradition, con- cluent qu'ils ont compétence naturelle pour accorder la liberté sous caution 4 , alors que pour d'autres, cette compétence ne leur appartient pas 5 , et surtout pas aux juges de comté et de district. Ce serait contre toute logique si un fugitif avait droit à la liberté sous caution parce qu'il comparaît devant un juge d'une cour supérieure, mais non devant un juge d'une cour de comté. Et je présume que les fugitifs n'ont voix au chapitre pour ce qui est du choix de leurs juges d'extradition.
L'article 13 de la Loi sur l'extradition porte:
13. Le fugitif doit être amené devant un juge, qui, sous réserve de la présente Partie, entend la cause, de la même manière, autant que possible, que si le fugitif était traduit devant un juge de paix sous accusation d'un acte criminel commis au Canada. [C'est moi qui souligne.]
L'article 2 de la Déclaration canadienne des droits 6 porte:
2 Re Armstrong and State of Wisconsin (1978) 37 C.C.C. (2°) 397.
3 Re Cotroni, décision non publiée rendue le 21 novembre 1973 par le juge en chef adjoint Hugessen (C.S. Qué.).
4 Re Di Stefano (1977) 30 C.C.C. (29 310.
5 Re Cotroni, précité.
6 S.C. 1960, c. 44 [S.R.C. 1970, Appendice III].
2. Toute loi du Canada, à moins qu'une loi du Parlement du Canada ne déclare expressément qu'elle s'appliquera nonobs- tant la Déclaration canadienne des droits, doit s'interpréter et s'appliquer de manière à ne pas supprimer, restreindre ou enfreindre l'un quelconque des droits ou des libertés reconnus et déclarés aux présentes, ni à en autoriser la suppression, la diminution, ou la transgression, et en particulier, nulle loi du Canada ne doit s'interpréter ni s'appliquer comme
f) privant une personne accusée d'un acte criminel du droit à la présomption d'innocence jusqu'à ce que la preuve de sa culpabilité ait été établie en conformité de la loi, après une audition impartiale et publique de sa cause par un tribunal indépendant et non préjugé, ou la privant sans juste cause du droit à un cautionnement raisonnable; ... [C'est moi qui souligne.]
Un fugitif peut se fonder sur le libellé de l'arti- cle 13 de la Loi sur l'extradition pour se prévaloir de l'alinéa 2f) de la Déclaration canadienne des droits, à moins que l'on n'adopte la conclusion du jugement Re Cotroni, selon laquelle
[TRADUCTION] l'art.. 13 vise uniquement l'audition d'extradi- tion, c'est-à-dire la manière dont le juge conduit l'audition.
Quoi qu'il en soit, le juge Morrow de la 'Cour suprême des territoires du Nord-Ouest, siégeant au titre de juge d'extradition, a décidé dans Re Di Stefano la page 312] que l'alinéa 2f) est
[TRADUCTION] une garantie du droit au cautionnement raison- nable en l'absence de toute disposition contraire expresse ....
On ne peut trouver aucune disposition contraire expresse dans la Loi sur l'extradition. Cette con clusion n'est en rien liée à la condition que l'article 13 soit applicable en l'espèce, et c'est elle que j'adopte.
Les deux requêtes seront rejetées sans dépens: Il sera ordonné qu'un exemplaire des présents motifs soit versé dans le dossier de la requête de l'intimé.
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