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A-47-79
Miida Electronics, Inc. (Appelante) c.
Mitsui O.S.K. Lines Ltd. et ITO—International Terminal Operators Ltd. (Intimées)
Cour d'appel, les juges Pratte et Le Dain et le juge suppléant Lalande—Montréal, 2 et 5 décembre 1980; Ottawa, 22 mai 1981.
Droit maritime Responsabilité délictuelle Contrats Connaissement Appel du rejet de l'action intentée pour vol de cargaison commis au hangar de transit après déchargement En vertu du contrat de manutention, le transitaire devait fournir les services de surveillance et de garde sous réserve des limitations de responsabilité prévues au connaissement Le transitaire n'a pas effectué une des vérifications de sécurité prescrites par les règlements Il échet d'examiner si la Cour a compétence Il échet d'examiner si le transitaire a été négligent dans l'exécution de ses obligations Il échet d'exa- miner si le connaissement décharge le transitaire de sa respon- sabilité pour négligence Appel accueilli en partie Code civil du Québec, art. 1053, 2388 Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2» Supp.), c. 10, art. 2.
Appel du rejet de l'action intentée par l'appelante contre le transporteur et le transitaire pour vol de cargaison après déchargement. Les marchandises emmagasinées dans un hangar de transit exploité par l'ITO furent volées. Les règle- ments du Conseil des ports nationaux exigent que chaque hangar soit visité au moins une fois à toutes les deux heures. L'ITO n'a pas fait effectuer de ronde de sécurité par un gardien pendant une période de cinq heures. D'après le contrat conclu avec le transporteur, l'ITO devait fournir «des ... services de transit nécessaires» notamment les «services de surveillance et de garde». L'ITO s'est engagée à fournir ces services sous bénéfice des «droits, exonérations et limitations de responsabi- lité» que prévoyait le connaissement. Les clauses 4 et 7 du connaissement confèrent à l'ITO le bénéfice des droits et exonérations, des exemptions et limitations de responsabilité prévus par les Règles de La Haye. L'action de l'appelante était fondée sur l'inexécution du contrat et sur la responsabilité délictuelle. Le juge de première instance a décidé que puisque la totalité de la perte était survenue après le déchargement des marchandises, le connaissement exonérait le transporteur de sa responsabilité, que la demanderesse n'avait pas prouvé faute an sens du droit commun, et que le connaissement déchargeait l'ITO de la responsabilité pour négligence après le déchargè- ment. Il échet d'examiner si le connaissement exonérait le transporteur de sa responsabilité pour une perte découlant du défaut de prendre les mesures propres à assurer la sécurité des marchandises; si la Cour a compétence pour connaître de l'action; s'il y a eu négligence de la part de l'ITO dans l'exécution de ses obligations; et si le connaissement exonère celle-ci de la responsabilité pour négligence.
Arrêt: l'appel est accueilli à l'égard de l'ITO (le juge Pratte étant dissident) et rejeté à l'égard de la Mitsui O.S.K. Lines Ltd. (le juge Le Dain étant dissident).
Le juge Pratte dissident à l'égard de l'ITO: L'appelante n'a pas rapporté la preuve que l'ITO, société de manutention, avait l'obligation de prendre soin des marchandises. En l'absence d'une telle obligation, le défaut par l'ITO de faire plus qu'elle a fait pour protéger les marchandises de l'appelante ne constitue pas une faute au sens de l'article 1053 du Code civil. J'estime quand même qu'il n'y a pas lieu d'accueillir l'action de l'appe- lante, puisque l'ITO est protégée par la clause Himalaya figurant dans le connaissement. Mais la raison déterminante pour laquelle l'action de l'appelante ne saurait être accueillie, c'est qu'une telle action ne relève pas de la compétence de la Cour fédérale. C'est à bon droit que le juge de première instance a rejeté l'action intentée contre le transporteur, parce que le connaissement l'exonérait de l'obligation de prendre soin des marchandises après leur déchargement.
Le juge Le Dain dissident à l'égard de la Mitsui O.S.K. Lines Ltd.: L'action intentée par le propriétaire de la cargaison contre le transitaire est une question maritime, et la Cour est compétente pour connaître de l'action. Le transitaire recevait de l'armateur le paiement des services exécutés. Le transitaire était donc un sous-dépositaire rémunéré. En tant que tel, il avait envers le propriétaire de la cargaison l'obligation de prendre les mesures raisonnables propres à assurer la sécurité des marchandises. Le degré de soin exigé d'un dépositaire dépend des circonstances dans lesquelles, et des buts pour lesquels, les marchandises lui ont été confiées. Le transitaire avait une obligation de soin qui comprenait le maintien d'un système adéquat de sécurité. Ceci découle de la nature des fonctions et responsabilités assumées par le transitaire, ainsi qu'il ressort du contrat de manutention et de transit et des règlements du Conseil des ports nationaux. Le défaut de faire l'inspection constitue une négligence dans la garde de la cargai- son. La clause Himalaya prévoit que les diverses catégories des personnes mentionnées bénéficient «exactement des mêmes» exemptions, exonérations et limitations de responsabilité que celles accordées au transporteur. Les clauses 8 et 18 n'écartent pas la responsabilité pour négligence. Il n'y est pas fait expres- sément mention de la négligence. L'expression «à quelque titre que ce soit» ne constitue pas une telle mention. Pour ce qui est de l'action intentée contre le transporteur, l'appel devrait être accueilli. Puisque les clauses 8 et 18 du connaissement ne déchargent pas le transporteur de ses obligations contractuelles de livrer la cargaison et d'en prendre soin jusqu'à sa livraison, le transporteur ne pouvait se soustraire à ces obligations en en confiant l'exécution à un tiers. Du reste, le transitaire agissait comme mandataire du transporteur dans la prestation des services de transit. Dans une hypothèse comme dans l'autre, la négligence qui a causé la perte de la cargaison engage la responsabilité du transporteur.
Le juge suppléant Lalande: C'est à bon droit que l'action a été rejetée à l'égard du transporteur, en application de la clause 8 du connaissement. Il y a eu négligence de la part de l'ITO dans l'exécution des services de «surveillance et de garde», et la faute commise par cette dernière donne matière à procès. En vertu de la clause Himalaya, l'appelante a accepté que le transporteur engage un transitaire pour l'exécution de son contrat de livraison des marchandises. L'ITO s'engageait à exécuter ces services sous bénéfice des «droits, exonérations et limitations de responsabilité» que prévoyait le connaissement. L'ITO était dépositaire des marchandises. L'action intentée par le propriétaire de la cargaison peut être considérée comme
contractuelle. La clause Himalaya et la clause 7 n'ont rien à voir avec la négligence survenue après le déchargement. Ces clauses confèrent au transitaire le bénéfice des droits et exoné- rations, des exemptions et limitations de responsabilité prévus par les Règles de La Haye. Aucune disposition de ces Règles n'exonère le transporteur de la responsabilité pour la perte de marchandises par vol du fait de la négligence dans la garde des marchandises après leur déchargement. La Cour fédérale est en l'espèce compétente pour connaître de l'action intentée par la demanderesse contre le transitaire, parce qu'il s'agit d'une question se rattachant à «la navigation et à la marine» et relevant de la Cour de l'Échiquier du Canada.
Arrêt critiqué: R. c. Domestic Converters Corporation A-247-77, jugement rendu le 29 octobre 1980. Arrêts mentionnés: Gilchrist Watt & Sanderson Pty. Ltd. c. York Products Pty. Ltd. [1970] 1 W.L.R. 1262; [1970] 3 All E.R. 825; National Gypsum Company Inc. c. Northern Sales Limited [1964] R.C.S. 144; Associated Metals & Minerals Corp. c. L'..Evie [1978] 2 C.F. 710; Inver- ness Railway and Coal Co. c. Jones (1908) 40 R.C.S. 45; Building and Civil Engineering Holidays Scheme Mana gement Ltd. c. Post Office [1966] 1 Q.B. 247; Moyer Stainless & Alloy Co. Ltd. c. Canadian Overseas Shipping Ltd. [1973] 2 Lloyd's Rep. 420; Executive Jet Aviation, Inc. c. City of Cleveland, Ohio 1973 A.M.C. 1; Morris c.
C. W. Martin & Sons, Ltd. [1965] 2 All E.R. 725; [1966] 1 Q.B. 716; British Road Services, Ltd. c. Arthur V. Crutchley & Co., Ltd. [1968] 1 All E.R. 811; Canada Steamship Lines Ld. c. Le Roi [1950] R.C.S. 532; [1952] A.C. 192; Smith c. South Wales Switchgear Ltd. [1978] 1 All E.R. 18; Tropwood A.G. c. Sivaco Wire & Nail Co. [1979] 2 R.C.S. 157. Arrêts analysés: Scrutions Ltd. c. Midland Silicones Ltd. [1962] A.C. 446; New Zealand Shipping Co. Ltd. c. A. M. Satterthwaite & Co. Ltd. (L'..Eurymedon») [1975] A.C. 154; Port Jackson Steve- doring Pty. Ltd. c. Salmond & Spraggon (Australia) Pty. Ltd. (Le ..New York Star„) [1980] 3 All E.R. 257. Arrêts examinés: Canadian General Electric Co. Ltd. c. Pickford & Black Ltd. (Le ..Lake Bosomtwe») [1971] R.C.S. 41; Greenwood Shopping Plaza Ltd. c. Beattie [ 1980] 2 R.C.S. 228. Arrêt appliqué: La Compagnie Robert Simp- son Montréal Liée c. Hamburg-Amerika Linie Nord- deutscher [1973] C.F. 1356.
APPEL. AVOCATS:
Marc Nadon pour l'appelante.
R. Cypihot pour l'intimée Mitsui O.S.K.
Lines Ltd.
D. F. H. Marler pour l'intimée ITO—Inter- national Terminal Operators Ltd.
PROCUREURS:
Martineau, Walker, Allison, Beaulieu, Mac- Kell & Clermont, Montréal, pour l'appelante.
Brisset, Bishop, Davidson & Davis, Montréal, pour l'intimée Mitsui O.S.K. Lines Ltd. Chauvin, Marier & Baudry, Montréal, pour l'intimée ITO—International Terminal Oper ators Ltd.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE PRATTE (dissident): Le 14 septembre 1973, un vol fut commis dans le port de Montréal. Tôt dans la soirée, un grand nombre de calculatri- ces de bureau emmagasinées au hangar 50 furent volées. Les marchandises volées appartenaient à l'appelante, Miida Electronics, Inc.; elles venaient d'arriver du Japon à bord du Buenos Aires Maru, un navire de l'intimée Mitsui O.S.K. Lines Ltd. (la Mitsui), et avaient été déchargées et placées au hangar 50 par l'autre intimée, International Ter minal Operators Ltd. (l'ITO). La plupart de ces marchandises ne furent jamais retrouvées.
A la suite de cette perte, l'appelante poursuivit à la fois la Mitsui, le transporteur qui avait trans porté les marchandises volées du Japon à Mont- réal, et l'ITO, le transitaire à qui la Mitsui avait confié la garde des marchandises après leur déchargement. L'action contre la Mitsui était fondée sur le contrat de transport. La demande- resse faisait valoir que le défaut par la Mitsui de livrer les marchandises à Montréal constituait une inexécution du contrat dont faisait foi le connaisse- ment délivré par la Mitsui relativement aux mar- chandises volées. L'action contre l'ITO était fondée sur la prétendue négligence dont celle-ci avait fait preuve en ne prenant pas les mesures propres à prévenir le vol des marchandises dont la garde lui avait été confiée. La Division de première instance a rejeté l'action contre les deux défende- resses [[1979] 2 C.F. 283]. C'est de ce jugement que l'appelante interjette appel.
1. L'action contre la Mitsui
Ayant conclu que la totalité de la perte était survenue après le déchargement des marchandises et leur emmagasinage au hangar 50, le juge de première instance rejeta l'action à l'égard de la Mitsui au motif que la clause 8 du connaissement délivré à l'égard des marchandises de l'appelante exonérait la Mitsui de sa responsabilité. Cette clause est ainsi rédigée:
[TRADUCTION] 8. Le transporteur ne saurait être tenu res- ponsable, à quelque titre que ce soit, du retard de livraison, du défaut de livraison, de la livraison défectueuse, ou de la perte ou de l'avarie causée aux marchandises ou les concernant, qui se produit avant le chargement ou après le déchargement, ou les deux, que ces marchandises soient en attente d'expédition, placées à terre ou emmagasinées, chargées à bord d'embarca- tions, chalands, allèges ou autres appartenant ou non au trans- porteur, ou qu'elles soient en voie de transbordement au cours du voyage. Le «chargement» visé au présent connaissement commence dès l'accrochage au palan du navire ou, si celui-ci n'est pas utilisé, dès la réception des marchandises sur le pont ou dans les cales ou, en cas de liquide en vrac, dans les citernes du navire. Le «déchargement» visé aux présentes prend fin lorsque les marchandises ont été libérées du palan du navire ou déchargées du pont ou de la cale, ou des citernes du navire.
Lors de l'instruction de l'appel, l'avocat de l'ap- pelante n'a pas contesté le fait que la perte subie par sa cliente découlait entièrement du vol commis lorsque les marchandises étaient emmagasinées au hangar 50. Il a toutefois fait valoir que la clause 8 du connaissement ne déchargeait pas le transpor- teur de sa responsabilité, puisqu'en l'espèce, la perte provenait du défaut de prendre les mesures propres à assurer la sécurité des marchandises. Les clauses de non-responsabilité, dit l'avocat, doivent être strictement interprétées et ne mettent ceux au profit desquels elles ont été stipulées à l'abri de la responsabilité pour dommage causé par négligence que si les parties ont exprimé clairement leur intention d'écarter ce type de responsabilité; à l'appui de cette thèse, il invoque la décision du Conseil privé dans l'affaire Canada Steamship Lines Ld. c. Le Roi'.
A mon avis, la clause 8, surtout lorsqu'on la combine à la clause 18 2 , a pour effet d'écarter la responsabilité du transporteur dans un cas où, comme en l'occurrence, la perte est survenue après le déchargement sans qu'il y ait faute ou négli- gence de la part du transporteur. On ne saurait reprocher à la Mitsui de n'avoir pas pris les mesu- res propres à assurer la sécurité des marchandises
' [1952] A.C. 192.
2 Cette clause prévoyait entre autres ce qui suit:
[TRADUCTION] En toute hypothèse, la responsabilité du transporteur prend fin dès le moment les marchandises sont déchargées du navire, et, nonobstant tout usage con- traire du port, l'expéditeur ou le consignataire, ou les deux, assument tous les risques et frais (notamment les frais de déchargement, de chalandage, d'emmagasinage, de camion- nage, les droits portuaires, etc.) encourus pour livraison autre qu'au navire.
puisque, selon moi, les clauses 8 et 18 la déchar- geaient de l'obligation de prendre soin des mar- chandises après leur déchargement. Le fait que la perte ait pu, comme l'a prétendu l'appelante, être causée par la négligence ou la faute de l'ITO n'est pas pertinent, puisque celle-ci était une entreprise indépendante et n'a jamais agi à titre de préposée de la Mitsui. La décision du Conseil privé dans l'affaire Canada Steamship Lines Ld. c. Le Roi (précitée) ne s'applique pas à l'espèce; il a simple- ment été jugé dans cette affaire que la clause de non-responsabilité n'exonère pas normalement la_ partie au profit de laquelle elle a été stipulée de la responsabilité découlant de sa négligence et de celle de ses préposés.
J'estime donc que c'est à bon droit que le juge de première instance a rejeté l'action intentée par l'appelante contre la Mitsui.
2. L'action contre l'ITO
L'ITO est une entreprise de manutention qui s'occupe aussi pour ses clients des opérations de transit. En 1973, elle occupait, dans le port de Montréal, divers hangars que le Conseil des ports nationaux lui avait loués, dont le hangar 50. En avril 1973, l'ITO a conclu avec la Mitsui un contrat aux termes duquel elle s'engageait à char ger et décharger tous les navires de cette dernière, et s'occuper, au port de Montréal et à d'autres ports canadiens déterminés, des opérations de tran sit. En exécution de ce contrat, l'ITO a déchargé les marchandises de l'appelante et les a emmagasi- nées dans le hangar 50 en attendant que leur propriétaire vienne les enlever.
Selon l'avocat de l'appelante, l'action contre l'ITO est purement délictuelle. Il prétend que l'ap- pelante n'a jamais contracté avec l'ITO et, n'étant pas partie au contrat intervenu entre celle-ci et la Mitsui, ne saurait s'en prévaloir. Par conséquent, il n'a pas contesté la conclusion du juge de première instance selon laquelle l'action intentée contre l'ITO ne pouvait être accueillie sur une base contractuelle.
Le seul argument de l'avocat sur cet aspect de la cause est que l'action intentée par l'appelante contre l'ITO, vue sous un angle purement délic- tuel, devrait, que ce soit sous l'empire du droit québécois ou du droit anglais, être accueillie, puis-
que la perte de l'appelante a été causée par le défaut par l'ITO de prendre les mesures propres à assurer la sécurité des marchandises.
Pour saisir cet argument, il est nécessaire de se rappeler les circonstances du vol des marchandises de l'appelante au hangar 50. Ces circonstances, ainsi que quelques-unes des déductions que l'appe- lante en tire, sont résumées avec précision dans le passage suivant extrait du jugement de la Division de première instance [aux pages 293 et 294]:
Le vol a eu lieu dans la soirée du 14 septembre. Un employé de la firme utilisée par la défenderesse pour satisfaire aux mesures nécessaires de sécurité, surprit les voleurs sur le fait en faisant sa tournée. En fait, à cause de la noirceur et de la distance il ne put voir que des ombres qui fuyaient vers l'eau et disparurent en descendant à l'extrémité de la plate-forme du quai. Les voleurs s'étaient évidemment servis d'une embarcation qu'ils avaient amarrée le long du quai, face au hangar les mar- chandises avaient été entreposées. En prenant la fuite, ils laissèrent même à mi-chemin entre la porte du hangar et le bord du quai une palette chargée de cartons. La police du port alertée se rendit aussitôt sur les lieux. On constata vite qu'un trou de 6 ou 8 pouces de diamètre avait été pratiqué dans la paroi de l'entrepôt, le long d'une de ses larges portes de façade, à travers lequel il avait été possible de rejoindre avec le bras la chaîne sans fin qui, à l'intérieur, sert à actionner un levier et à lever la porte.
Ce scénario cependant laisse en plan un certain nombre de questions et c'est dans les réponses à ces questions que la demanderesse entend tirer la preuve des fautes qu'elle reproche à la défenderesse. Les voici. Premièrement, combien de temps les voleurs ont-ils pu opérer sans être dérangés? Normalement, à compter de 17.30 heures, les rondes des gardes de sécurité se succèdent au moins à toutes les deux heures, ce que suggèrent d'ailleurs les règlements du Conseil des Ports nationaux de qui la défenderesse était locataire. Ce soir-là, cependant, comme l'un des deux gardes en devoir avait été retenu dans un autre hangar le travail s'était poursuivi après les heures normales et que l'autre avait rester à la guérite, il n'y avait pas eu de ronde à 19.30 heures. La première ronde fut celle au cours de laquelle les voleurs furent surpris. Deuxièmement, suffisait-il aux voleurs de rejoindre la chaîne pour actionner la porte; n'y avait-il pas un verrou de sécurité sur cette porte? Effective- ment, ces portes se verrouillent normalement à l'aide d'un cadenas qui immobilise les deux cordons de la chaîne à un anneau de métal fixé au mur, mais le cadenas ce soir-là ne faisait que lier ensemble les deux cordons, ce qui laissait une possibilité de jeu de deux à trois pieds permettant de lever la porte suffisamment pour y pénétrer. Troisièmement, les voleurs pouvaient-ils opérer en manipulant les caisses sans l'aide d'ou- til? On constata qu'un souleveur de charge motorisé (lifter) avait été laissé à l'intérieur du hangar ce soir-là, ce qui était exceptionnel, et son moteur était encore chaud peu après le vol. Quatrièmement, ne maintient-on donc pas sur les lieux un certain éclairage qui soit susceptible de gêner des opérations du genre, la nuit? Quelques lumières, en fait, sont laissées allu- mées, mais elles sont peu nombreuses et ce soir-là, dans le
hangar, il y en avait encore moins, des ampoules brûlées n'ayant pas encore été remplacées.
Le vol, plaide la demanderesse, a incontestablement, on le voit, été facilité par des failles dans les mesures de sécurité adoptées en vue de la garde des effets: rondes des gardes insuffisamment nombreuses; verrouillage non pleinement effi- cace, présence d'un souleveur de charge dans le hangar, illumi nation faible. Il n'en faut pas plus, prétend-elle, pour conclure à une faute de la part de la défenderesse, donc à sa responsabilité.
L'avocat de l'appelante fait valoir en premier lieu que l'action devrait être accueillie sous l'em- pire du droit québécois. D'après lui, le défaut par l'ITO de prendre les mesures propres à assurer la sécurité des marchandises constitue une faute qui la rend responsable sous le régime de l'article 1053 du Code civil du Québec. Pour déterminer la validité de cet argument, il faut se rappeler que l'appelante ne saurait se prévaloir des dispositions du contrat de transit intervenu entre l'ITO et la Mitsui. En ce qui concerne l'appelante, ces disposi tions sont «res inter alios acta». Il s'ensuit que le fait que l'ITO ait peut-être manqué à son obliga tion contractuelle de diligence envers la Mitsui n'est d'aucun secours à l'appelante. Pour que l'ac- tion soit accueillie, il aurait fallu établir que même si le contrat de transit n'imposait à l'ITO aucune obligation quant à la sécurité des marchandises après leur déchargement, cette société avait quand même l'obligation de prendre soin des marchandi- ses de la manière que prétend l'appelante. Or, l'appelante n'a pas rapporté une telle preuve. Si le contrat de transit n'avait imposé aucune obligation quant à la sécurité des marchandises après leur déchargement, l'ITO, dans les circonstances de l'espèce, n'aurait eu aucune obligation juridique ou morale de prendre des mesures particulières pour assurer la sécurité de ces marchandises. En l'ab- sence d'une telle obligation, le défaut par l'ITO de faire plus qu'elle a fait pour protéger les marchan- dises de l'appelante ne constitue pas une faute au sens de l'article 1053 du Code civil.
L'avocat de l'appelante fait valoir aussi que l'action n'est pas régie par le droit du Québec, mais bien par la common law de l'Angleterre, qui s'appliquerait en tant que partie du «droit mari time canadien» et en vertu de l'article 2388 du Code civil du Québec. Sous le régime du droit anglais, la Mitsui était dépositaire des marchandi- ses de l'appelante, alors que l'ITO en était sous- dépositaire. La décision de la Cour d'appel anglaise dans l'affaire Morris c. C. W. Martin &
Sons, Ltd. ([1966] 1 Q.B. 716) et celle du Conseil privé dans l'affaire Gilchrist Watt and Sanderson Pty. Ltd. c. York Products Pty. Ltd. ([ 1970] 1 W.L.R. 1262) autorisent à soutenir qu'un sous- dépositaire de biens, quoiqu'il n'existe aucune rela tion contractuelle entre lui-même et le proprié- taire, est tenu envers le propriétaire de prendre convenablement soin de ses biens. Il s'ensuit, selon l'avocat, que l'ITO, à titre de sous-dépositaire des marchandises de l'appelante, avait une obligation de diligence envers cette dernière. Toujours selon l'avocat, il s'ensuit aussi que l'ITO doit être tenue responsable de la perte, puisque celle-ci ne serait pas survenue si l'ITO avait fait preuve d'un soin raisonnable.
A supposer que le droit anglais s'applique en la matière (ce dont je doute fort), j'estime quand même qu'il n'y a pas lieu d'accueillir l'action de l'appelante, puisque l'ITO est alors protégée par la clause Himalaya figurant dans la clause 4 du connaissement délivré par la Mitsui relativement aux marchandises de l'appelante. Cette clause est ainsi conçue:
[TRADUCTION] 4. Il est expressément convenu entre les parties au présent connaissement que le capitaine, les officiers, les membres de l'équipage, entrepreneurs, manutentionnaires, débardeurs, mandataires, représentants, employés ou autres, utilisés, engagés ou employés par le transporteur pour l'exécu- tion du présent contrat, bénéficient exactement des mêmes exemptions, exonérations et limitations de responsabilité que celles accordées au transporteur par le présent connaissement, que ce soit sous forme de clause imprimée, écrite à la main, apposée par cachet ou incorporée par renvoi. Le capitaine, les officiers, les membres d'équipage et autres personnes susmen- tionnées sont à cet égard réputés être parties au contrat dont fait foi le présent connaissement, le transporteur étant réputé être leur mandataire ou fiduciaire.
Si la validité d'une telle clause est encore discutée en droit canadien, elle ne fait plus, à mon avis, aucun doute en droit anglais lorsque cette clause a été stipulée par le transporteur avec l'autorisation de ceux qu'elle est destinée à protéger. (Voir les décisions du Conseil privé dans les affaires New Zealand Shipping Co. Ltd. c. A. M. Satterthwaite & Co. Ltd. (L'«Eurymedon») [1975] A.C. 154 et Port Jackson Stevedoring Pty. Ltd. c. Salmond & Spraggon (Australia) Pty. Ltd. (Le New York Star) [1980] 3 All E.R. 257.) En l'espèce, il ressort du libellé du second paragraphe de la clause 7 du contrat de transit que l'ITO avait conféré à la Mitsui le pouvoir de stipuler une clause Himalaya dans le connaissement:
[TRADUCTION] 7. Responsabilité en cas d'avarie ou de perte. Il est expressément convenu que la responsabilité de l'entrepre- neur en cas d'avarie ou de perte se limite strictement à l'avarie au navire et à son équipement, ainsi qu'à l'avarie à la cargaison ou la perte de la cargaison, imputables à la négligence de l'entrepreneur ou de ses employés. Lorsque survient une telle avarie ou perte, les officiers du navire ou autres représentants doivent en informer l'entrepreneur au moment de l'accident. La Compagnie s'engage à indemniser l'entrepreneur au cas celui-ci serait tenu de réparer une avarie ou perte non prévue ci-dessus.
Il est en outre expressément convenu que la Compagnie désignera expressément l'entrepreneur comme bénéficiaire, dans la prestation des services prévus aux présentes, de toutes les dispositions prévoyant des droits, exonérations et limitations de responsabilité, contenues dans les contrats d'affrètement dont font foi les connaissements types et les billets de transport émis par la Compagnie durant la durée de validité de cet accord. Dans tous les cas la Compagnie renonce aux droits, aux exonérations et limitations de responsabilité d'usage, ou omet de s'en prévaloir, comme en cas de cargaison soumise au fret ad valorem, la Compagnie s'engage à faire de l'entrepre- neur un coassuré dans ses contrats d'assurance et à veiller à ce que ce dernier soit protégé contre tout accroissement de respon- sabilité tenant à ce fait.
Mais la raison déterminante pour laquelle l'ac- tion intentée par l'appelante contre l'ITO, qu'elle soit régie par le droit québécois ou par le droit anglais, ne saurait être accueillie, c'est qu'une telle action, comme l'a statué la Cour de céans dans l'affaire La Reine c. Domestic Converters Corpo ration 3 , ne relève pas de la compétence de la Cotir , fédérale.
Pour ces motifs, j'estime qu'il y a lieu de rejeter
l'appel avec dépens.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE LE DAIN: Les faits et les points liti- gieux dans le présent appel sont exposés dans les motifs de mes collègues Pratte et Lalande, motifs dont j'ai pris connaissance.
Étant donné que ma décision sur l'appel inter- jeté du jugement rejetant, à l'égard du transpor- teur Mitsui O.S.K. Lines Ltd., l'action intentée par l'appelante propriétaire de la cargaison diffère de celle de mes collègues, il convient que je statue en premier lieu sur l'appel du jugement rejetant l'action à l'égard du transitaire ITO. Je suis d'ac-
3 du greffe A-245-77; cet arrêt a été rendu le 29 octobre 1980, après le jugement de la Division de première instance dans la présente affaire.
cord avec la déduction, tirée des éléments de preuve par le juge de première instance, selon laquelle la perte est survenue après le décharge- ment, alors que la cargaison était sous la garde du transitaire. L'appel relatif à l'action intentée contre le transitaire soulève trois questions: a) la Cour a-t-elle compétence pour connaître de l'ac- tion? b) la perte de la cargaison est-elle imputable à la négligence de l'ITO? et c) l'ITO est-elle déchargée de sa responsabilité pour négligence en vertu de la clause Himalaya prévue au connaisse- ment?
Pour ce qui est de la question de la compétence, j'estime maintenant que j'ai eu tort dans la déci- sion que j'ai rendue dans l'affaire Domestic Con verters (précitée) 4 . Toutefois, j'estime toujours, pour les motifs invoqués dans cette affaire, que l'action intentée par le propriétaire de la cargaison contre le transitaire ne repose sur aucun fonde- ment contractuel. Je ne vois pas comment pn peut prétendre que le contrat de manutention et de transit intervenu entre l'armateur et la Logistec Corporation (qui, de l'accord des parties, doit être assimilée à l'ITO aux fins de la cause) a été conclu par le premier pour le compte de l'expéditeur ou propriétaire de la cargaison considérée, ou qu'il contient une stipulation pour autrui au profit de ce dernier. Il s'agissait d'un contrat de transit général conclu par l'armateur en sa qualité de commettant et pour son propre compte, et ne visant aucun contrat de transport en particulier. Il n'a créé aucun lien contractuel entre le transitaire et un expéditeur ou propriétaire de cargaison donné. C'est en vertu de ce contrat général, et non d'un accord avec le propriétaire de la cargaison, que le transitaire a pris possession de la cargaison. Après analyse d'autres arguments et plis ample réflexion, j'en suis venu à la conclusion que la question de la compétence doit être appréciée en tenant pour acquis que si l'action intentée par le propriétaire de la cargaison contre le transitaire était régie par le droit maritime canadien, elle serait fondée sur la responsabilité extra-contrac- tuelle de common law d'un sous-dépositaire, comme dans l'affaire Gilchrist Watt & Sanderson Pty. Ltd. c. York Products Pty. Ltd. [1970] 3 All E.R. 825, et qu'étant donné la nature particulière de la responsabilité en matière de dépôt, il n'y a pas lieu d'appliquer à celle-ci le critère du lieu qui
4 Domestic Converters Corporation c. Arctic Steamship Line, du greffe A-247-77, jugement rendu le 29 octobre 1980.
s'applique traditionnellement à la compétence d'amirauté en matière de responsabilité délictuelle. Si la responsabilité du transitaire vis-à-vis du pro- priétaire de la cargaison devait être regardée comme une question maritime, au sens de la défi- nition que donne l'article 2 de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2 e Supp.), c. 10, du «droit maritime canadien», en raison du rapport étroit existant en pratique entre le transit et l'exécution du contrat de transport, le droit applicable devrait être uniforme partout au Canada. Voir National Gypsum Company Inc. c. Northern Sales Limited [1964] R.C.S. 144, aux pages 153 et 163; Asso ciated Metals & Minerals Corporation c. L'«Evie [1978] 2 C.F. 710, à la page 717. Mon opinion se trouve confirmée par le fait que les règles de la common law en matière de dépôt constituent, pour déterminer les obligations et la responsabilité du transitaire, un fondement plus cohérent et plus solide que les principes de la responsabilité délic- tuelle du droit civil. Cela est dans l'intérêt du commerce maritime et ne va certainement pas à l'encontre de l'esprit du droit civil québécois, comme le montre l'article 2388 du Code civil, qui semble avoir été considéré comme ayant une portée générale dans l'arrêt rendu par le juge Girouard dans l'affaire Inverness Railway and Coal Company c. Jones (1908) 40 R.C.S. 45, la page 55. En présumant, donc, que la responsabilité du transitaire vis-à-vis du propriétaire de la cargai- son, à supposer qu'elle soit régie par le droit maritime canadien, est la responsabilité extra-con- tractuelle de common law d'un sous-dépositaire, je ne pense pas qu'elle tombe sous le coup de la distinction ou dichotomie classique, aux fins de la compétence, entre les contrats et les délits mariti- mes, vu le grand nombre de ceux qui ont qualifié la responsabilité en matière de dépôt de sui generis ou d'indépendante de tout contrat ou délit. Voir Winfield, The Province of the Law of Tort, 1931, chapitre V; Building and Civil Engineering Holi days Scheme Management Ltd. c. Post Office [1966] 1 Q.B. 247, lord Denning, M.R., à la page 261; Palmer, «The Application of the Torts (Inter- ference with Goods) Act 1977 to Actions in Bail- ment» (1978) 41 M.L.R. 629, la page 630. De plus, dans la mesure la responsabilité extra-con- tractuelle en matière de dépôt doit être considérée, selon quelques autorités (voir Winfield and Jolo- wicz on Tort, 11e éd., 1979, aux pages 9 et 10) comme essentiellement délictuelle, je ne pense pas
que le critère du lieu détermine la compétence, du fait du rapport étroit entre le transit et le com merce maritime. . On doit se rappeler que, en plus des services qu'il fournit après déchargement, le transitaire reçoit les marchandises à expédier et délivre, pour le compte du transporteur, un reçu provisoire, qui est soumis aux conditions du con- naissement type du transporteur et qui est échangé contre le connaissement lors de l'expédition. Cet aspect des services du transitaire est rendu néces- saire par l'article 657 de la Loi sur la marine marchande du Canada, S.R.C. 1970, c. S-9, comme l'a souligné Madame le juge Rejane Colas dans l'affaire Moyer Stainless & Alloy Co. Ltd. c. Canadian Overseas Shipping Ltd. [1973] 2
Lloyd's Rep. 420, la page 426. Je suis certain que la réglementation du transit relève de la com- pétence législative fédérale en matière de naviga tion et de transport maritime. Pour ce qui est du lieu comme critère servant à déterminer ce qui devrait être considéré comme un délit maritime, l'avocat du propriétaire de la cargaison a souligné dans le présent appel que ce critère a fait l'objet d'importantes réserves de la part de la Cour suprême des États-Unis dans l'affaire Executive Jet Aviation, Inc. c. City of Cleveland, Ohio 1973 A.M.C. 1. Bien que le litige dans cette affaire portât sur le point assez particulier de savoir si les tribunaux fédéraux avaient compétence maritime pour juger une action délictuelle découlant de la chute d'un avion dans le lac Érié peu de temps après son décollage d'un aéroport de Cleveland, et eût essentiellement trait à la constatation que le vol était étranger à l'activité maritime classique, la remarque générale suivante du juge Stewart la page 10], qui prononçait la décision, est impor- tante pour l'application du critère du lieu pour déterminer la compétence maritime: [TRADUC- TION] «Bref, les tribunaux, le législateur et la doctrine ont, au cours des années, reconnu que pour déterminer s'il y a compétence maritime sur un délit ou une catégorie de délits donné, le recours au rapport du fait dommageable avec l'ac- tivité maritime classique est souvent plus sensé et s'accorde mieux avec les objectifs du droit mari time qu'une application automatique du critère du lieu.» Pour ces motifs, j'estime que l'action intentée par le propriétaire de la cargaison contre le transi- taire est une question maritime au sens de la définition que donne du droit maritime canadien l'article 2 de la Loi sur la Cour fédérale, et que,
par conséquent, la Cour est compétente pour con- naître de l'action.
En vertu du contrat de manutention et de tran sit, le transitaire recevait de l'armateur le paie- ment des services exécutés. Le transitaire était donc un sous-dépositaire rémunéré. En tant que tel, il avait envers le propriétaire de la cargaison l'obligation de prendre les mesures raisonnables propres à assurer la sécurité des marchandises; en cas de perte, il lui incombait de rapporter la preuve que la perte n'était pas due à sa négligence, à sa faute ou à son inconduite, ou à celles de ceux qu'il s'était substitués dans l'exécution de, son obliga tion: Morris c. C. W. Martin & Sons, Ltd. [1965] 2 All E.R. 725, la page 731; Gilchrist Watt & Sanderson Pty. Ltd. c. York Products Pty. Ltd. précitée, à la page 829. Le degré de soin exigé d'un dépositaire dépend des circonstances dans lesquel- les, et des buts pour lesquels, les marchandises lui ont été confiées: Morris c. C. W. Martin & Sons, Ltd., précitée, à la page 734.
En l'espèce, le transitaire avait une obligation de soin qui comprenait le maintien d'un système adé- quat de sécurité. Ceci découle de la nature des fonctions et responsabilités assumées par le transi- taire, ainsi qu'il ressort des termes du contrat de manutention et de transit, qui impose des [TRA- DUCTION] «Services de surveillance et de garde», et en application de l'article 54A des [TRADUC- TION] «Règlements régissant l'occupation et l'utili- sation des hangars de transit pour la manutention des marchandises» du Conseil des ports nationaux, qui prévoit notamment: [TRADUCTION] «Il doit y avoir un garde de faction à l'intérieur de tout hangar ouvert. Lorsqu'un hangar est fermé, à moins que, selon le maître de port, la nature de la marchandise exige qu'il y ait toujours un garde de faction, une surveillance continue n'est pas requise; chaque hangar sera visité fréquemment (au moins à toutes les deux heures) afin de s'assurer que la marchandise est en sécurité et qu'il n'existe aucun danger de feu.» Le fondement de l'obligation et de la responsabilité d'un dépositaire réside dans l'ac- ceptation volontaire de la possession ou de la garde des biens d'autrui dans certaines circonstances et pour certaines fins. C'est ce fondement qui, à mon avis, permet d'apprécier à partir de la condition de sécurité prévue dans le contrat de manutention et de transit et les «règlements» du Conseil l'étendue
de l'obligation de diligence incombant au transi- taire. Toutefois, même si la question doit être envisagée du point de vue de la relativité des contrats, j'estime qu'il existe une distinction importante à faire pour ce qui est des «règlements» du Conseil. Bien que ces «règlements» ne soient pas à proprement parler des règlements ou des disposi tions législatives, mais plutôt des conditions du permis d'occupation, ils sont imposés aux occu pants des hangars de transit par le Conseil, qui agit à titre d'autorité publique dans l'exercice de ce qui constitue essentiellement un pouvoir de réglementation. En tant que tels, j'estime qu'ils doivent être considérés comme touchant l'étendue de` l'obligation de diligence et de garde dont le transitaire était tenu envers le propriétaire de la cargaison.
Compte tenu de l'exigence selon laquelle chaque hangar doit être visité au moins toutes les deux heures, le défaut de faire une inspection du hangar 50 le 14 septembre 1973, entre 19 h 30 et 22 h 30, constitue une négligence dans la garde de la car- gaison confiée au transitaire. Je suis d'accord avec le juge Lalande lorsqu'il affirme que si l'inspection nécessaire avait été faite, la perte ne serait proba- blement pas survenue. Le transitaire ne peut être dégagé de cette responsabilité du seul fait qu'il avait chargé un entrepreneur indépendant d'assu- rer le service de surveillance: British Road Servi ces, Ltd. c. Arthur V. Crutchley & Co., Ltd. [1968] 1 All E.R. 811.
Ce qui nous amène à la question de savoir si le transitaire est déchargé de sa responsabilité pour négligence par l'effet de la clause 4 (la clause Himalaya) du connaissement, laquelle est ainsi rédigée:
4. Il est expressément convenu entre les parties au présent connaissement que le capitaine, les officiers, les membres de l'équipage, entrepreneurs, manutentionnaires, débardeurs, man- dataires, représentants, employés ou autres, utilisés, engagés ou employés par le transporteur pour l'exécution du présent con- trat, bénéficient exactement des mêmes exemptions, exonéra- tions et limitations de responsabilité que celles accordées au transporteur par le présent connaissement, que ce soit sous forme de clause imprimée, écrite à la main, apposée par cachet ou incorporée par renvoi. Le capitaine, les officiers, les mem- bres d'équipage et autres personnes susmentionnées sont à cet égard réputés être parties au contrat dont fait foi le présent connaissement, le transporteur étant réputé être leur manda- taire ou fiduciaire.
S'appuyant sur cette clause, le transitaire invo- que la limitation ou exonération de responsabilité prévue à la clause 8 du connaissement, laquelle prévoit notamment que «Le transporteur ne saurait être tenu responsable, à quelque titre que ce soit, du retard de livraison, du défaut de livraison, de la livraison défectueuse, ou de la perte ou de l'avarie causée aux marchandises ou les concernant, qui se produit avant le chargement ou après le décharge- ment, ou les deux, que ces marchandises soient en attente d'expédition, placées à terre ou emmagasi- nées, chargées à bord d'embarcations, chalands, allèges ou autres appartenant ou non au transpor- teur, ou qu'elles soient en voie de transbordement au cours du voyage», et à la clause 18 qui prévoit notamment qu'«En toute hypothèse, la responsabi- lité du transporteur prend fin dès le moment les marchandises sont déchargées du navire, et, nonobstant tout usage contraire du port, l'expédi- teur ou le consignataire, ou les deux, assument tous les risques et frais (notamment les frais de déchargement, de chalandage, d'emmagasinage, de camionnage, les droits portuaires, etc.) encou- rus pour livraison autre qu'au navire».
Dans deux décisions, le Conseil privé a, sur la base des conditions suggérées par lord Reid dans l'affaire Scruttons Ltd. c. Midland Silicones Ltd.
[1962] A.C. 446, la page 474, décidé qu'une forme de clause Himalaya pouvait être invoquée par les manutentionnaires. Dans la première de ces causes, New Zealand Shipping Co. Ltd. c. A. M. Satterthwaite & Co. Ltd. (L'«Eurymedon») (préci- tée), la perte était survenue au cours du décharge- ment et l'exonération retenue fut la prescription annale de l'article III, paragraphe 6, des Règles de La Haye. Dans la deuxième cai'se, Port Jackson Stevedoring Pty. Ltd. c. Salmond & Spraggon (Australia) Pty. Ltd. (Le New York Star) (préci- tée), la perte était survenue après le déchargement alors que les marchandises étaient sous la garde des manutentionnaires en attendant d'être livrées à leurs propriétaires, et, de nouveau, l'exonération appliquée fut la prescription annale.
La Cour suprême du Canada n'a pas eu l'occa- sion de statuer, à la lumière de ces décisions, sur l'effet d'une clause Himalaya. Dans l'affaire Canadian General Electric Company Limited c. Pickford & Black Limited (Le «Lake Bosomtwe») [1971] R.C.S. 41, la page 43, le juge Ritchie, qui
rendait le jugement de la Cour suprême du Canada, a cité et approuvé la décision de la Cham- bre des lords dans l'affaire Midland Silicones, précitée, et dit que «l'arrimeur n'étant aucunement partie au contrat de transport, n'est touché par aucune disposition tendant à limiter la responsabi- lité ou autrement contenue dans les connaisse- ments», quoique la nature de la disposition invo- quée ne soit pas claire. Dans l'affaire Greenwood Shopping Plaza Limited c. Beattie [1980] 2 R.C.S. 228, aux pages 237 et 238, le juge McIn- tyre, qui rendait le jugement de la Cour suprême du Canada, a souligné l'adoption dans l'affaire Le Lake Bosomtwe de la règle de l'effet relatif des contrats, telle qu'elle a été confirmée et appliquée dans l'affaire Midland Silicones, et renvoyé, sans faire de commentaires, à la décision rendue par le Conseil privé dans l'affaire L'Eurymedon à titre d'exemple de l'«exception du mandat».
Devant cet état du droit, j'estime que les déci- sions du Conseil privé dans les affaires L'Euryme- don et Le New York Star devraient être considé- rées comme ayant fait une juste application des conditions de la théorie du mandat indiquées par lord Reid dans l'affaire Midland Silicones et, par conséquent, comme ayant à raison permis aux manutentionnaires d'invoquer les clauses Hima- laya. J'estime du reste que cette conclusion ne va pas à l'encontre de ce qui a été dit par la Cour suprême du Canada sur cette question.
En l'espèce, les conditions de la théorie du mandat semblent nettement réunies, en particulier par l'entente figurant dans la clause 7 du contrat de manutention et de transit conclu entre l'arma- teur et le manutentionnaire et transitaire; selon cette entente, l'armateur «désignera expressément l'entrepreneur comme bénéficiaire, dans la presta- tion des services prévus aux présentes, de toutes les dispositions prévoyant des droits, exonérations et limitations de responsabilité, contenues dans les contrats d'affrètement dont font foi les connaisse- ments types .... »
La question, selon moi, est de savoir si la clause 4 du connaissement—la clause Himalaya—vise l'exonération de responsabilité en cas de perte après déchargement prévue aux clauses 8 et 18 du connaissement et, dans l'affirmative, si ces derniè- res écartent la responsabilité pour négligence.
Il est vrai qu'aucune des décisions reconnaissant que la clause Himalaya peut être invoquée par le manutentionnaire ou le transitaire n'a considéré comme une des exemptions par elle visées la clause exonératoire de responsabilité après le décharge- ment. Mais j'estime toutefois que les termes «béné- ficient exactement des mêmes exemptions, exoné- rations et limitations de responsabilité que celles accordées au transporteur par le présent connaisse- ment» sont assez larges pour comprendre en l'es- pèce l'exonération de responsabilité en cas de perte après le déchargement prévue dans les clauses 8 et 18 du connaissement. Selon moi, ces termes s'ap- pliquent à toutes exemptions, exonérations et limi tations de responsabilité prévues par le connaisse- ment, et non seulement à celles prévues aux Règles de La Haye et rendues applicables par la clause paramount. La clause exonératoire de responsabi- lité en cas de perte après le déchargement tombe dans la catégorie des dispositions expressément permises par l'article VII des Règles de La Haye, lequel est ainsi conçu: «Aucune disposition de la présente convention ne défend à un transporteur ou à un chargeur d'insérer dans un contrat des stipulations, conditions, réserves ou exonérations relatives aux obligations et responsabilités du transporteur ou du navire pour la perte ou les dommages survenant aux marchandises, ou con- cernant leur garde, soin et manutention, antérieu- rement au chargement et postérieurement au déchargement du navire sur lequel les marchandi- ses sont transportées par eau.»
Dans l'affaire Le New York Star, il fallait déter- miner si l'exonération qui faisait l'objet du litige— la prescription d'un an—s'appliquait à un cas de perte après le déchargement. Le Conseil privé, en se fondant surtout sur la clause 5 du connaisse- ment, qui définissait la nature de la responsabilité du transporteur après le déchargement, si respon- sabilité il y avait, a décidé que l'exonération du transporteur couvrait la période de responsabilité à l'égard de la marchandise après le déchargement, et que, par conséquent, l'exonération du manuten- tionnaire couvrait la même période. En l'espèce, il n'existe pas dans le connaissement de clause com parable à la clause 5 du connaissement dans l'af- faire Le New York Star, qui prévoie expressément que le transporteur, à titre de dépositaire, peut avoir une responsabilité déterminée lorsque la livraison ne s'effectue pas au temps et au lieu du
déchargement. La clause 4 (la clause Himalaya) du connaissement s'applique aux personnes enga gées ou employées par le transporteur «pour l'exé- cution du présent contrat»—c'est-à-dire pour l'exé- cution du contrat de transport dont fait foi le connaissement. Le connaissement prévoit que les marchandises doivent être transportées au port de débarquement et [TRADUCTION] «y être livrées ou transbordées», et que [TRADUCTION] «Sur demande, un connaissement signé et dûment endossé doit être remis en échange des marchandi- ses ou d'un ordre de livraison.» A mon avis, la clause 8 du connaissement ne prétend pas détermi- ner les obligations du transporteur aux termes du contrat de transport, obligations qui comportent celle de livrer les marchandises au consignataire ou autre détenteur du connaissement et celle de pren- dre soin des marchandises tant que celles-ci n'ont pas été livrées. Voir Carver, Carriage by Sea, 12° éd., 1971, vol. 2, par. 1018, la page 865 et par. 1022 et 1023, la page 869. La clause 8 a pour objet de décharger le transporteur de sa responsa- bilité pour inexécution de ces obligations. Cela résulte clairement du passage «ne saurait être tenu responsable, à quelque titre que ce soit, du retard de livraison, du défaut de livraison, de la livraison défectueuse, ou de la perte ou de l'avarie causée aux marchandises ou les concernant, qui se produit avant le chargement ou après le déchargement, ou les deux .... » Il ressort de cette clause que le transporteur devrait normalement répondre de l'inexécution des obligations de livraison et de garde. A la lumière de la clause 8, les termes «En toute hypothèse, la responsabilité du transporteur prend fin dès le moment les marchandises sont déchargées» de la clause 18 ne visent pas, à mon avis, à déterminer la portée ou la durée du contrat de transport, mais plutôt à limiter ou à exclure la responsabilité. La clause 18 précise le droit du transporteur de décharger les marchandises, mais déchargement n'est pas synonyme de livraison. Le lieu de déchargement des marchandises est norma- lement celui le consignataire ou autre détenteur du connaissement doit prendre livraison (Carver,
op. cit., par. 1004, la page 855; par. 1008, aux pp. 857 et 858); toutefois, il est prévu dans la clause 18 du connaissement que les marchandises peuvent être déchargées dans un entrepôt choisi par le transporteur, et qu'il peut y avoir «livraison autre qu'au navire», et il découle du contrat de manutention et de transit, de l'occupation et de
l'utilisation du hangar de transit et des témoigna- ges en l'espèce que, règle générale, il était pris livraison auprès du transitaire. Ce cas révèle donc un mode d'opération ou un processus essentielle- ment identique à celui décrit par le juge en chef Barwick de la Haute Cour d'Australie dans l'af- faire Le New York Star [ 1979] 1 Lloyd's Rep. 298, à la page 308, et par lord Wilberforce du Conseil privé, qui dit à la page 264: [TRADUC- TION] «Ces dispositions doivent être interprétées à la lumière de la pratique selon laquelle les consi- gnataires prennent rarement livraison de la mar- chandise au navire; ils en prennent normalement livraison après quelque temps d'emmagasinage sur le quai ou près de celui-ci. Les parties doivent, par conséquent, avoir prévu que le transporteur, s'il ne s'occupait pas lui-même de l'emmagasinage des marchandises, engagerait quelqu'un d'autre pour le faire.» J'estime donc qu'en l'espèce, le connaisse- ment prévoyait nécessairement que les obligations contractuelles du transporteur s'étendaient au-delà du déchargement, et que la limitation ou exonéra- tion de responsabilité du transporteur devait cou- vrir la période entre le déchargement et la livrai- son, ce qui fait que ce qui a été dit par le Conseil privé dans l'affaire Le New York Star relativement à la question appelée la question de [TRADUC- TION] «capacité» s'applique en l'espèce.
Il importe donc de déterminer si la clause 8 et la partie précitée de la clause 18 écartent la responsa- bilité pour négligence. Il doit être noté que la clause 4 (la clause Himalaya) prévoit que les diverses catégories des personnes mentionnées bénéficient «exactement des mêmes» exemptions, exonérations et limitations de responsabilité que celles accordées au transporteur par le connaisse- ment. Il convient donc de déterminer l'effet de ces exemptions, exonérations et limitations sur la res- ponsabilité du transporteur. A la lumière des prin- cipes confirmés par le Conseil privé dans l'affaire Canada Steamship Lines Ld. c. Le Roi (précitée), à la page 208, j'estime que la clause 8 et la partie précitée de la clause 18 n'écartent pas la responsa- bilité pour négligence. Il n'y est pas fait expressé- ment mention de la négligence. L'expression «à quelque titre que ce soit» ne constitue pas une telle mention: Smith c. South Wales Switchgear Ltd. [1978] 1 All E.R. 18, aux pages 22 et 26. Dans la mesure cette expression peut être considérée comme assez large pour englober la négligence,
elle ne vise pas la responsabilité qui ne serait fondée que sur la négligence; elle pourrait toutefois être destinée à exclure la responsabilité du trans- porteur à titre de garant de la sécurité des mar- chandises, en dehors de toute négligence. Dans l'affaire Canada Steamship Lines [ 1950] R.C.S. 532 aux pages 560 et seq., le juge Locke a, dans sa dissidence, examiné les précédents autorisant cette distinction à l'égard des transporteurs. J'estime donc que, dans la présente cause, la clause Hima- laya n'a pas pour effet de décharger le transitaire de sa responsabilité pour la perte de la cargaison.
Comme je l'ai indiqué au début de mes motifs, je ne saurais me rallier à l'opinion de mes collègues sur la décision à rendre sur l'appel formé contre le jugement rejetant l'action intentée contre le trans- porteur Mitsui O.S.K. Lines Ltd. A mon avis, cet appel devrait être accueilli. Puisqu'à mon avis, les clauses 8 et 18 du connaissement ne déchargeaient pas le transporteur de ses obligations contractuel- les de livrer la cargaison et d'en prendre soin jusqu'à sa livraison, le transporteur ne pouvait pas se soustraire à ces obligations en en confiant l'exé- cution à un tiers, même si ce tiers était un entre preneur indépendant. Du reste, j'estime qu'en tout état de cause, le transitaire agissait comme man- dataire du transporteur dans la prestation des ser vices de transit. Cela ressort de la clause 2 des conditions types annexées au contrat de manuten- tion et de transit passé entre l'armateur (qui y est désigné comme la «Compagnie») et la Logistec Corporation (qui y est désignée comme l'«Entre- preneur»), aux termes de laquelle [TRADUCTION] «Au cas des services de réception, de livraison, de vérification ou de surveillance seraient requis, il est expressément convenu que l'Entrepreneur veil- lera à faire assurer ces services à titre de simple mandataire de la Compagnie .... » Dans une hypothèse comme dans l'autre, la négligence qui a causé la perte de la cargaison engage la responsa- bilité du transporteur.
Pour ces motifs, j'estime qu'il y a lieu d'accueil- lir l'appel, d'infirmer le jugement de la Division de première instance, de déclarer les intimées solidai- rement tenues de verser à l'appelante la somme de $26,656.37 avec intérêts au taux de 8% à compter du 14 septembre 1973, et de mettre les dépens tant devant la présente Cour qu'en première instance à leur charge.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE SUPPLÉANT LALANDE: La Cour statue sur l'appel interjeté du jugement de la Division de première instance [précité] rejetant l'action inten- tée par la demanderesse (maintenant l'appelante), pour perte de cargaison, à la suite d'un vol commis après le déchargement dans le port de Montréal. Les marchandises avaient été transportées sous connaissement à bord du navire Buenos Aires Maru de Kobe, au Japon, à Montréal [TRADUC- TION] «où leur livraison devait être faite» au consi- gnataire. Le 14 septembre 1973, des voleurs ont forcé un hangar pour les marchandises en transit exploité par l'intimée ITO. Celle-ci avait déchargé une cargaison de 250 caisses contenant 500 calcu- latrices électroniques de bureau, dont 169 furent volées et ne furent pas livrées.
L'action, fondée sur l'inexécution du contrat et sur la responsabilité délictuelle, a été intentée à la fois contre le transporteur et le transitaire (para- graphe 12 de la déclaration).
L'action intentée contre le transporteur a été rejetée en application de la clause [TRADUCTION] «palan à palan» (clause 8) du connaissement. Je souscris à ce jugement.
Pour ce qui est du transitaire, un entrepreneur indépendant, le juge de première instance a cons- taté qu'il y avait des «failles» dans ses mesures de sécurité la nuit de l'effraction, mais a conclu que si l'affaire devait être tranchée sur «le plan stricte- ment délictuel», la demanderesse, à son avis, «n'a pas prouvé faute, au sens du droit commun» (loc. cit. page 295), c'est-à-dire sous le régime de l'arti- cle 1053 du Code civil du Québec.
La surveillance de la cargaison a été surtout jugée défectueuse en ce qu'aucun gardien n'avait visité le hangar pendant une période de quelque cinq heures, alors qu'une ronde aurait être effectuée au moins toutes les deux heures 5 .
Par conséquent, et contrairement à ce qui se serait produit si une ronde avait été effectuée plus tôt, on ne s'aperçut pas qu'une porte du hangar n'était pas bien fermée à clef et verrouillée. En
5 Le transitaire occupait et exploitait le hangar en vertu de règlements exigeant que ce dernier soit «visité» au moins à toutes les deux heures (article 54A des Règlements du Conseil des ports nationaux régissant l'occupation et l'utilisation des hangars de transit pour la manutention des marchandises).
faisant un petit trou dans le mur du hangar près de la porte, les voleurs ont pu atteindre et tirer une chaîne, soulever la porte de quelques pieds, péné- trer dans le hangar et transporter les marchandises sur le quai pour les charger dans deux petites embarcations. Ils ont été interrompus par la pre- mière ronde, qui a eu lieu à 23 h 30 environ. Si la ronde de 19 h 30 n'avait pas été annulée, le cade- nas sur la porte se trouvant du côté du quai et à l'intérieur du hangar 50 aurait été vérifié, et la porte verrouillée tôt dans la soirée, ce qui aurait vraisemblablement empêché les voleurs de dépla- cer la porte comme ils l'ont fait, de pénétrer dans le hangar, et de s'enfuir avec les marchandises.
En vertu du contrat passé avec le transporteur, la défenderesse ITO s'engageait à fournir [TRA- DUCTION] «les ... services de transit nécessaires» notamment les «services de surveillance et de garde». A mon avis, il y a eu négligence de la part de l'ITO dans l'exécution de ces services, et la faute commise par cette dernière autorise une personne lésée telle que la demanderesse, à agir contre elle sur la base de l'article 1053.
Toutefois, le juge de première instance a vu la possibilité pour la demanderesse de se placer sur un «terrain autre que purement délictuel» puisque, comme il l'a dit à la page 301:
... elle peut se prévaloir de ce contrat de services que le transporteur a conclu avec ITO, en partie à son bénéfice à elle propriétaire [des marchandises] et avec son autorisation expresse.
J'en déduis que la demanderesse, en tant que détentrice du connaissement, doit être considérée comme ayant accepté, par la clause 4 de ce con- naissement, que le transporteur engage un transi- taire pour l'exécution de son contrat de livraison des marchandises au consignataire à Montréal. En vertu du second paragraphe de la clause 7 du contrat conclu avec le transporteur, l'ITO s'enga- geait à exécuter ces services sous bénéfice des «droits, exonérations et limitations de responsabi- lité» que prévoyait le connaissement.
Je déduis de ces arrangements que l'ITO était dépositaire des marchandises et qu'elle est poursui- vie pour inexécution de son obligation de garde de celles-ci. Je conviens avec le premier juge que l'action intentée par le propriétaire de la cargaison peut être considérée comme contractuelle, dans la mesure elle résulte, quoiqu'il n'existe aucun lien
contractuel direct ou immédiat entre la demande- resse et la défenderesse ITO, d'une faute dans l'exécution d'un contrat.
Le juge de première instance a par la suite considéré la question de savoir si l'ITO pouvait bénéficier de la clause 4 du connaissement et être exonérée, en vertu de cette clause, de la responsa- bilité pour négligence après le déchargement. A la lumière de la jurisprudence, il en est arrivé à la conclusion que l'ITO était fondée à demander le rejet de l'action en invoquant cette clause, et, pour ce motif, il a rejeté l'action dans la mesure elle reposait sur des bases autres que délictuelles.
Je ne saurais malheureusement me rallier à l'opinion du juge de première instance sur l'appli- cabilité â l'espèce de la clause 4 du connaissement et du second paragraphe de la clause 7 du contrat de manutention. J'estime que ces clauses ne sont pas pertinentes, parce qu'elles n'ont rien à voir avec la négligence survenue après le déchargement dont il s'agit en l'espèce.
La clause 4 du connaissement est ainsi conçue:
Il est expressément convenu entre les parties au présent connaissement que le capitaine, les officiers, les membres de l'équipage, entrepreneurs, manutentionnaires, débardeurs, man- dataires, représentants, employés ou autres, utilisés, engagés ou employés par le transporteur pour l'exécution du présent con- trat, bénéficient exactement des mêmes exemptions, exonéra- tions et limitations de responsabilité que celles accordées au transporteur par le présent connaissement, que ce soit sous forme de clause imprimée, écrite à la main, apposée par cachet ou incorporée par renvoi. Le capitaine, les officiers, les mem- bres d'équipage et autres personnes susmentionnées sont à cet égard réputés être parties au contrat dont fait foi le présent connaissement, le transporteur étant réputé être leur manda- taire ou fiduciaire.
Le second paragraphe de la clause 7 figurant dans les clauses imprimées du contrat de manuten- tion intervenu entre la Mitsui et l'ITO est ainsi rédigé 6 :
Il est en outre expressément convenu que la Compagnie désignera expressément l'entrepreneur comme bénéficiaire, dans la prestation des services prévus aux présentes, de toutes les dispositions prévoyant des droits, exonérations et limitations de responsabilité, contenues dans les contrats d'affrètement. dont font foi les connaissements types et les billets de transport émis par la Compagnie durant la durée de validité de cet accord. Dans tous les cas la Compagnie renonce aux droits, aux exonérations et limitations de responsabilité d'usage, ou
6 Je ne cite pas le premier paragraphe parce qu'il porte sur la négligence survenue au cours dés opérations de déchargement et non sur la garde de la cargaison après le déchargement.
omet de s'en prévaloir, comme en cas de cargaison soumise au fret ad valorem, la Compagnie s'engage à faire de l'entrepre- neur un coassuré dans ses contrats d'assurance et à veiller à ce que ce dernier soit protégé contre tout accroissement de respon- sabilité tenant à ce fait.
Ces clauses confèrent au transitaire le bénéfice des droits et exonérations et des exemptions et limitations de responsabilité prévus par les Règles de La Haye, auxquelles est assujetti le connaisse- ment en vertu de la clause 1 (clause Paramount). Aucune disposition de ces Règles n'exonère le transporteur de la responsabilité pour la perte de marchandises par vol du fait de la négligence dans la garde des marchandises après leur décharge- ment.
En l'espèce, nous ne nous intéressons ni à la limitation de responsabilité sous le régime de l'arti- cle IV, paragraphe 5 des Règles de La Haye (limitation par colis), ni à l'exemption ou exonéra- tion de responsabilité prévue au paragraphe 6 si l'action n'est pas intentée dans le délai d'un an, ni à la perte résultant de l'une quelconque des causes énumérées à l'article IV, paragraphe 2.
Estimant que la défenderesse ITO a été négli- gente et qu'elle n'est exonérée de sa responsabilité pour cette négligence par aucune disposition du contrat qu'elle a passé avec le transporteur et du connaissement, j'en arrive à la conclusion que l'ap- pel interjeté contre l'International Terminal Oper ators Ltd. devrait être accueilli avec dépens et cette dernière être condamnée à verser à la deman- deresse, comme il a été convenu dans une telle éventualité, la somme de $26,656.37 avec intérêts au taux de 8% à compter du 14 septembre 1973, les dépens en première instance étant à sa charge.
L'appel devrait être rejeté avec dépens en ce qui concerne la Mitsui O.S.K. Lines Ltd.
La question de la compétence de la présente Cour n'a pas été soulevée en première instance', mais elle a été débattue devant nous du fait de la décision rendue par la présente Cour le 29 octobre 1980 dans l'affaire La Reine c. Domestic Convert ers Corporation (précitée).
A mon avis, la Cour fédérale est en l'espèce compétente pour connaître de l'action intentée par la demanderesse contre le transitaire, parce qu'il
7 Voir le renvoi 2 en bas de page 292 (loc. cit.).
s'agit d'une question «[se] rattachant» à la naviga tion et à la marine aux termes de la loi canadienne intitulée Acte de l'Amirauté, 1891 du Canada, S.C. 1891, c. 29, et relevant, par conséquent, de la compétence de la Cour de l'Echiquier du Canada
en vertu de cet Acte 8 .
De plus, je me range à l'opinion exprimée par le juge Thurlow (tel était alors son titre) dans l'af- faire La Compagnie. Robert Simpson Montréal Limitée c. Hamburg-Amerika Linie Nord- deutscher [1973] C.F. 1356. Il y renvoie à la définition que donne du «droit maritime canadien» l'article 2 de la Loi sur la Cour fédérale, et dit ceci
à la page 1369:
... si la Cour de l'Échiquier avait eu, en sa juridiction d'ami- rauté, compétence illimitée en matière de droit maritime, elle aurait manifestement eu compétence pour mettre en applica tion le droit régissant les rapports entre les transporteurs mari- times et les entreprises de manutention, notamment l'exécution par l'entreprise de manutention pour le compte des transpor- teurs maritimes des obligations de ces derniers de décharger la cargaison, d'en prendre soin et de la livrer aux personnes ayant qualité pour la recevoir. Cette situation me semble tout autant relever du domaine maritime qu'un contrat portant sur le transport de marchandises par mer. Les accords conclus entre ces parties portent sur l'exécution d'une partie de ce contrat et les activités de l'entreprise de manutention aux termes de ces accords forment [TRADUCTION] «partie intégrante des activités nécessaires au transport des marchandises par voie maritime». (Re la Loi sur les relations industrielles et sur les enquêtes visant les différends du travail [1955] R.C.S. 529, le juge Locke à la page 578.)
Dans l'affaire Robert Simpson, le litige était entre un transporteur et un transitaire, alors qu'en l'espèce, le litige oppose un propriétaire de cargai- son à un transitaire, les accords sur la garde après le déchargement et la livraison de la cargaison étant toutefois les mêmes dans les deux cas. A mon avis, il n'y a pas lieu de faire la distinction entre les deux affaires.
Si le fondement de l'action de la demanderesse était purement délictuel, je me trouverais con fronté à l'opinion que j'ai exprimée sur la compé- tence dans l'affaire Domestic Converters, opinion qui n'était qu'incidente et qu'il y aurait lieu de réexaminer.
8 Le juge en chef Laskin rendant le jugement de la Cour dans l'affaire Tropwood A.G. c. Sivaco Wire & Nail Company [1979] 2 R.C.S. 157, aux pages 162, 163.
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