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A-392-80
La Reine (Appelante) (Défenderesse)
c.
87118 Canada Ltd. (Intimée) (Demanderesse)
Cour d'appel, les juges Pratte et Heald et le juge suppléant Lalande—Montréal, 26 mars; Ottawa, 29 avril 1981.
Couronne Contrats Constitution de société Appel de la décision par laquelle la Division de première instance a accordé à la société intimée des dommages-intérêts pour pertes subies par suite du changement de dénomination sociale Le ministère de la Consommation et des Corporations a approuvé le nom envisagé par l'intimée sauf à celle-ci à assumer la responsabilité du risque de confusion avec tous noms d'affaires et toutes marques de commerce existants Par la suite, le Ministère a ordonné à l'intimée de changer de dénomination, après avoir découvert un nom commercial qu'on risquait de confondre avec celui de l'intimée Le juge de première instance a conclu que les préposés de l'appelante avaient commis, par négligence, une faute en donnant des renseignements erronés en réponse à la demande de recherche relative à la dénomination sociale, et que l'expression „noms d'affaires» n'embrassait pas les noms corporatifs Il échet d'examiner si l'appelante était tenue à une responsabilité délictuelle ou contractuelle à l'égard du préjudice subi par l'intimée Appel accueilli Loi sur les sociétés commercia- les canadiennes, S.C. 1974-75-76, c. 33, art. 11, 12, 254 Règlement sur les corporations commerciales canadiennes, DORS/75-682, modifié par DORS/76-665, art. 82(1), annexe 2.
APPEL. AVOCATS:
Ben Bierbrier pour l'appelante (défenderesse). Norton Segal pour l'intimée (demanderesse).
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour l'appelante (défenderesse).
Lech ter & Segal, Montréal, pour l'intimée (demanderesse).
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE PRATTE: Sa Majesté fait appel de la décision par laquelle la Division de première ins tance [[1981] 1 C.F. 96] a accordé à la société intimée des dommages-intérêts de $4,000 pour la perte que cette dernière a subie lorsque la dénomi- nation sous laquelle elle avait été constituée a être changée.
Le 26 avril 1977, les statuts constitutifs d'une société devant s'appeler «Mondial Ceramic & Marble Ltd.» ont été présentés au ministère de la Consommation et des Corporations conformément à la Loi sur les sociétés commerciales canadien- nes'. Une somme de $210 accompagnait les sta- tuts, en paiement du droit de constitution prescrit, soit $200, et des frais de vérification de la disponi- bilité de la dénomination de la société à être constituée 2 , soit $10. Par une lettre datée du 18 mai 1977, un examinateur agissant pour le compte du Directeur informait les avocats du fondateur que la dénomination «Mondial Ceramic & Marble Ltd.» semblait disponible. Cette lettre disait notamment ceci:
[TRADUCTION] Ces lignes répondent à votre récente demande d'information concernant la disponibilité du (des) nom(s) ci-après:
[1] MONDIAL CERAMIC & MARBLE LTD.
' S.C. 1974-75-76, c. 33, S.C. 1978-79, c. 9.
2 L'article 254 de la Loi sur les sociétés commerciales cana- diennes permet au gouverneur en conseil, par règlement, d'«éta- blir les droits à payer et en fixer le montant, pour le dépôt, l'examen ou la reproduction de documents ou pour les mesures que peut ou doit prendre le Directeur aux termes de la présente loi». Le paragraphe 82(1) du Règlement sur les corporations commerciales canadiennes, DORS/75-682, modifié par DORS/76-665, a été adopté en vertu de ces dispositions. Il prévoit que:
82. (1) Le droit à l'égard du dépôt, de l'examen ou de la reproduction d'un document, ou à l'égard de mesures que le Directeur doit prendre ou est autorisé à prendre en vertu de la Loi est le droit indiqué à l'annexe 2 et, à l'exception du droit exigible selon l'article 1 de l'annexe 2, est payé au Directeur lors du dépôt, de l'examen ou de la reproduction du document ou avant que le Directeur ne prenne les mesures à l'égard desquelles le droit est exigible.
Les deux premiers paragraphes de l'annexe 2 sont ainsi conçus:
1. Chaque demande au Directeur qui contient un maximum de trois noms alternatifs pour recherches concernant la disponibilité d'un nom corporatif, y compris la réservation
du nom $ 10.00
2. Délivrance par le Directeur
a) d'un certificat d'incorporation en vertu de l'article
8 200.00 La Loi ne contient aucune disposition ayant trait ou faisant référence aux «recherches concernant la disponibilité d'un nom corporatif». Elle contient toutefois, au paragraphe 11(1), des dispositions relatives à la réservation des dénominations sociales:
11. (1) Le Directeur peut, sur demande, réserver pendant quatre-vingt-dix jours une dénomination sociale à la société dont la création est envisagée ou qui est sur le point de changer de dénomination sociale.
Le nom corporatif nous semble être disponible en autant que les requérants assument toute la responsabilité de risque de confusion avec tous noms d'affaires et toutes marques de commerce existants (y compris ceux et celles qui sont cités dans notre rapport de recherches du ....
ci-annexé ).
En plus du rapport de recherches qui consistait en un imprimé d'ordinateur contenant quelque 37 noms, étaient annexés à cette lettre un avis énon- çant que la Direction des Corporations du minis- tère de la Consommation et des Corporations [TRADUCTION] «effectuait désormais toutes ses recherches de dénominations à l'aide d'un système automatisé de recherche» et le certificat de consti tution de l'intimée.
L'intimée exerçait ses activités depuis environ un an lorsque, à la fin de mars 1978, elle reçut une lettre du ministère de la Consommation et des Corporations l'avisant qu'on venait tout juste de découvrir l'existence d'une société appelée «Mon- deal Ceramics Ltd.» qui avait été constituée en 1974. Comme cette dénomination prêtait à confu sion avec celle de l'intimée, «Mondial Ceramic & Marble Ltd.», la lettre ordonnait à l'intimée de changer de dénomination dans les 60 jours, en application de l'article 12 de la Loi. L'intimée n'ayant pas obtempéré, le Directeur délivra un certificat modificateur changeant sa dénomination en celle de «87118 Canada Ltd.»
A la suite de cette modification, l'intimée a intenté une poursuite en dommages-intérêts contre Sa Majesté, prétendant qu'elle avait changer de dénomination à cause de la négligence des employés du ministère de la Consommation et des Corporations, qui n'avaient pas découvert, lors de leurs recherches concernant le nom «Mondial Ceramic & Marble Ltd.», qu'il existait déjà une société canadienne du nom de «Mondeal Ceramics Ltd.»
Il ressort de la preuve qu'après la réception des statuts constitutifs de l'intimée, les employés du Ministère ont effectué des recherches, à l'aide d'un ordinateur, pour découvrir parmi les 1,200,000 noms commerciaux et marques de commerce ins- crits au fichier les noms susceptibles de porter à confusion avec «Mondial Ceramic & Marble Ltd.» L'ordinateur n'a pas repéré le nom «Mondeal
Ceramics Ltd.», qui n'était donc pas mentionné dans le rapport de recherches envoyé aux avocats du fondateur le 18 mai 1977. Le résultat aurait cependant été différent si les recherches avaient été effectuées quelques mois plus tard. En août 1977, le Ministère commença en effet à utiliser un système automatisé de recherche amélioré. Il est reconnu qu'une recherche de la dénomination «Mondial Ceramic & Marble Ltd.» avec ce nou- veau système aurait permis de trouver celle de «Mondeal Ceramics Ltd.»
Le juge de première instance s'est prononcé en faveur de l'intimée. Il a jugé que les préposés de l'appelante avaient fait preuve de négligence en ne trouvant pas et en ne révélant pas, à la suite de leurs recherches sur la dénomination «Mondial Ceramic & Marble Ltd.», l'existence d'une société appelée «Mondeal Ceramics Ltd.» En conséquence, il a statué que l'appelante était responsable tant délictuellement que contractuellement du dom- mage subi par l'intimée en raison de cette négli- gence. Il a évalué ce dommage à $4,000.
Le juge a conclu à l'existence d'une responsabi- lité délictuelle parce qu'il a estimé que les préposés de l'appelante avaient, par négligence, donné des renseignements erronés en réponse à la demande de recherche relative à la dénomination proposée de l'intimée. Mais quels étaient ces renseignements donnés par les préposés de l'appelante? Il s'agit de ceux contenus dans la lettre du 18 mai 1977:
Ces lignes répondent à votre récente demande d'information concernant la disponibilité du (des) nom(s) ci-après:
[1] MONDIAL CERAMIC & MARBLE LTD.
Le nom corporatif nous semble être disponible en autant que les requérants assument toute la responsabilité de risque de confusion avec tous noms d'affaires et toutes marques de commerce existants (y compris ceux et celles qui sont cités dans notre rapport de recherches du .
ci-annexé ).
L'interprétation du juge de première instance a été que cette lettre indique que la dénomination sociale proposée ne prête à confusion avec aucune autre dénomination sociale existante, bien qu'elle puisse prêter à confusion avec des noms d'affaires ou des marques de commerce existants. Il a estimé que l'expression «noms d'affaires» utilisée dans la lettre n'incluait pas les «noms corporatifs». Je ne puis accepter cette interprétation. Il semble que
l'expression «noms d'affaires» est utilisée dans la lettre comme synonyme de «nom commercial», expression du Règlement que l'article 12 définit comme étant «le nom sous lequel une entreprise est exploitée, qu'il s'agisse du nom d'une personne morale, d'une fiducie, d'une société, d'un droit de propriété ou d'un particulier». 'A mon avis, les termes de la lettre signifient simplement que le Directeur ne s'objecte pas au nom proposé, mais qu'il ne garantit pas qu'il ne prête pas à confusion avec un nom commercial ou une marque de com merce existants. Par conséquent, j'estime que la lettre ne donnait pas de renseignements erronés et, pour cette raison, je ne partage pas l'opinion du juge qu'en l'absence de contrat, l'appelante était délictuellement responsable du préjudice subi par l'intimée.
Cependant, le fondement de la décision attaquée est que la demande de l'intimée découlait d'un contrat. Selon le juge, l'appelante était tenue par contrat d'effectuer une recherche et de déterminer si la dénomination sociale proposée prêtait à con fusion avec une autre dénomination sociale exis- tante; cette recherche, toujours selon le premier juge, a été effectuée de façon négligente et, pour cette raison, a produit des résultats incomplets et trompeurs. D'après le juge, le préjudice subi par l'intimée est donc imputable à l'exécution né- gligente par l'appelante de ses obligations contrac- tuelles. Je n'admets pas cette conclusion. Je doute que le Directeur ait jamais conclu de contrat de recherche quant à la dénomination proposée de l'intimée, et s'il l'a fait, j'estime que ce contrat n'a pas été passé avec l'intimée mais avec le fondateur. Je doute également que la preuve autorise le juge à conclure à la négligence. Je n'ai cependant pas à me prononcer sur ces points puisque, à mon avis, les termes de la lettre du 18 mai 1977 3 écartent clairement toute responsabilité contractuelle pour le dommage pouvant résulter de l'existence d'un nom commercial ou d'une marque de commerce prêtant à confusion. Le premier juge a statué autrement à cause du sens qu'il a donné à l'expres- sion «noms d'affaires». Comme je l'ai déjà dit, je ne partage pas son avis sur ce point.
7 a... en autant que les requérants assument toute la respon- sabilité de risque de confusion avec tous noms d'affaires ... existants ...».
Par ces motifs, j'estime qu'il y a lieu d'accueillir l'appel avec dépens, d'infirmer le jugement de la Division de première instance et de rejeter l'action de l'intimée avec dépens.
* * *
LE JUGE HEALD: Je souscris.
* * *
LE JUGE SUPPLÉANT LALANDE: Je souscris.
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