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T-3847-79
La Reine (Demanderesse)
c.
D r Beverley A. Burgess (Défenderesse)
Division de première instance, le juge Cattanach— Toronto, 10 juin; Ottawa, 19 juin 1981.
impôt sur le revenu Calcul du revenu Déductions Appel d'une décision de la Commission de révision de l'impôt, laquelle a autorisé la défenderesse à déduire de son revenu les frais judiciaires que celle-ci a engagés pour obtenir une pen sion alimentaire pour elle-même et pour ses enfants lors d'une requête en divorce La demanderesse soutient que ces frais n'ont pas été subis pour tirer un revenu d'un bien au sens de l'al. 18(1)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu La défende- resse fait valoir que son droit aux aliments est un «bien» au sens de la définition du par. 248(1) II échet d'examiner si les frais judiciaires ont été subis dans le but de gagner un revenu qui appartenait de droit à la défenderesse II échet d'examiner si le droit à une pension alimentaire est du mariage de la défenderesse ou est de l'ordonnance de la Cour Appel accueilli Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, c. 148, modifiée par S.C. 1970-71-72, c. 63, art. 18(1)a), 56(1)b), 606), 248(1) Loi sur le divorce, S.R.C. 1970, c. D-8, art. 11(1)a),b).
Il s'agit de l'appel d'une décision de la Commission de révision de l'impôt, laquelle a autorisé la défenderesse à déduire de son revenu les frais judiciaires que celle-ci a engagés pour obtenir une pension alimentaire pour elle-même et pour ses enfants lors d'une requête en divorce. La demanderesse soutient que ces frais n'ont pas été subis pour tirer un revenu d'un bien ou d'une entreprise, au sens de l'alinéa 18(1)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu. La défenderesse fait valoir que son droit aux aliments est un «bien» au sens de la définition du paragra- phe 248(1). La définition de bien comprend un droit de quelque nature qu'il soit. La défenderesse soutient implicitement que son droit aux aliments est au moment de son mariage et que l'ordonnance alimentaire ne crée pas un droit nouveau mais ne fait que confirmer son droit préexistant aux aliments. Il échet d'examiner si la défenderesse a subi ces frais judiciaires pour recevoir un revenu auquel elle avait droit et si le droit à une pension alimentaire est un droit du mariage de la défende- resse ou du jugement irrévocable de divorce.
Arrêt: l'appel est accueilli. Une pension alimentaire n'est pas un bien au sens strict de ce terme. Toutefois, la définition de bien au paragraphe 248(1) de la Loi comprend «un droit de quelque nature qu'il soit» et cette définition est assez large pour embrasser le droit aux aliments. Le revenu de la défenderesse ne tient pas à un droit du mariage. Le droit du mariage est le droit aux aliments pendant le mariage, et il s'est éteint à la dissolution du mariage. Si les faits le justifient, la Cour qui accorde le divorce peut également accorder, conformément à son pouvoir souverain d'appréciation, un montant raisonnable à titre de pension alimentaire. C'est l'ordonnance de la Cour qui accorde à la défenderesse le droit à une pension alimentaire. Les frais judiciaires représentent une dépense en immobilisa- tions visant à constituer un droit, et non une dépense effectuée
dans le but de forcer le paiement d'un revenu qui est le produit d'un droit préexistant.
Arrêts approuvés: Hyman c. Hyman [1929] A.C. 601 (C.L.); Lilley c. Lilley [1959] 3 All E.R. 283 (C.A.); Vnuk c. Vnuk (1976) 23 R.F.L. 117; Re Freedman (1924) 55 O.L.R. 206; In re Robinson (1884) 27 Ch. D. 160. Distinction faite avec l'arrêt: Evans c. Le ministre du Revenu national [1960] R.C.S. 391 (infirmant [1959] R.C.E. 54).
APPEL en matière d'impôt sur le revenu. AVOCATS:
R. B. Thomas et M. Boris pour la
demanderesse.
R. P. Startek pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour la demanderesse.
Coombs, Woolcott & Startek, Stoney Creek, pour la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE CATTANACH: La Cour a été saisie de l'appel, interjeté pour le compte du ministre du Revenu national, d'une décision de la Commission de révision de l'impôt, en date du 9 avril 1979. A la suite d'un aveu de la défenderesse, la Commis sion a ajouté à son revenu de 1974 la somme de $11,700, que lui avait payée son ancien mari en exécution d'une ordonnance portant paiement d'une pension alimentaire de $75 par semaine, à elle-même et à chacun de ses deux enfants. La Commission l'a par ailleurs autorisée à déduire de son revenu imposable pour la même année, la somme de $4,402.66 au titre des frais judiciaires payés en vue d'obtenir la pension alimentaire dans le cadre de l'action en divorce.
Les avocats des deux parties sont convenus avant le procès de l'exposé des faits suivant:
[TRADUCTION] EXPOSÉ CONJOINT DES FAITS
1. Au cours de l'année d'imposition 1974, le D' Burgess a reçu de son ancien mari la somme de $11,700.00 titre de pension alimentaire pour elle-même et pour ses enfants.
2. Au cours de l'année d'imposition 1973, le D' Burgess a versé quelque $5,900.00 d'honoraires et de frais à ses avocats pour obtenir un jugement irrévocable de divorce et une pension alimentaire pour elle-même et pour ses deux enfants.
3. Ni la requête en divorce ni la demande de garde des enfants n'ont été contestées.
4. La requête en divorce a été entendue pendant deux jours par le juge Stark de la Cour suprême de l'Ontario.
5. Les questions du divorce, de la garde des enfants et du droit de visite ont pris une demi-heure environ, et à peu près une journée et demie des deux journées du procès a été consacrée à la question de la pension alimentaire pour le D' Burgess et pour ses enfants.
6. La Cour a accordé une pension alimentaire de $75.00 par semaine au D" Burgess et une autre pension alimentaire de $75.00 par semaine pour chacun des deux enfants, soit un total de $225.00 par semaine:
7. Par décision en date du 9 avril 1979, la Commission de révision de l'impôt a autorisé l'appelante à déduire de son revenu pour l'année d'imposition 1974, la somme de $4,402.66, c'est-à-dire, ainsi qu'il ressort de la décision de M. Bonner, qui présida l'audition de la Commission, la fraction des $5,900.00 qui a été dépensée par la défenderesse en vue d'obtenir une pension alimentaire pour elle-même et pour ses enfants.
J'ai supprimé des paragraphes 3, 4 et 5 les renvois à la transcription du procès de divorce parce que les faits allégués n'étaient pas contestés.
Je tiens cependant à préciser que le montant de $4,402.66, jugé par la Commission comme étant la fraction des frais judiciaires subis par la défende- resse pour l'obtention de la pension alimentaire est une allégation de fait figurant au paragraphe 5 du
mémoire de défense.
Le principal motif d'appel de la demanderesse est que le montant dépensé par la défenderesse à titre de frais judiciaires n'est pas déductible de son revenu pour l'année d'imposition 1974, puisque ces frais n'ont pas été subis pour tirer un revenu d'un bien ou d'une entreprise au sens de l'alinéa 18(1)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, c. 148, modifiée, qui porte:
18. (1) Dans le calcul du revenu du contribuable, tiré d'une entreprise ou d'un bien, les éléments suivants ne sont pas déductibles:
a) un débours ou une dépense sauf dans la mesure elle a été faite ou engagée par le contribuable en vue de tirer un revenu des biens ou de l'entreprise ou de faire produire un revenu aux biens ou à l'entreprise;
La défenderesse réfute cet argument en faisant valoir que son droit aux aliments est un «bien» au sens du paragraphe 248(1) de la Loi qui porte en partie:
248. (1) ...
«biens» signifie des biens de toute nature, meubles ou immeu- bles, corporels ou incorporels et comprend, sans restreindre la portée générale de ce qui précède,
a) un droit de quelque nature qu'il soit, ...
La défenderesse soutient implicitement que son droit aux aliments est au moment de son mariage et, partant, que l'ordonnance alimentaire ne crée pas un droit nouveau mais ne fait que confirmer son droit préexistant aux aliments. Les frais judiciaires ayant été subis pour faire valoir ou reconnaître ce droit, la déduction réclamée n'est pas défendue par l'alinéa 18(1)a) puisque la
dépense a eu pour objet de protéger un revenu provenant d'un bien, c'est-à-dire son droit aux aliments.
Les paiements reçus à titre de provision ou de pension alimentaire doivent être inclus dans le revenu du bénéficiaire pour l'année d'imposition il les reçoit, conformément à l'alinéa 56(1)b) de la Loi de l'impôt sur le revenu. Par le jeu de l'alinéa correspondant 60b), le contribuable qui paie la provision ou la pension alimentaire peut la déduire de son revenu pour la même année d'imposition.
Les alinéas 56(1)b) et 60b) portent:
56. (1) Sans restreindre la portée générale de l'article 3, sont à inclure dans le calcul du revenu d'un contribuable pour une année d'imposition,
b) toute somme reçue dans l'année par le contribuable, en vertu d'un arrêt, d'une ordonnance ou d'un jugement rendus par un tribunal compétent ou en vertu d'un accord écrit, à titre de pension alimentaire ou autre allocation payable périodiquement pour subvenir aux besoins du bénéficiaire, des enfants issus du mariage ou à la fois du bénéficiaire et des enfants issus du mariage, si le bénéficiaire vivait séparé en vertu d'un divorce, d'une séparation judiciaire ou d'un accord écrit de séparation du conjoint ou de l'ex-conjoint tenu de faire le paiement, à la date le paiement a été reçu et durant le reste de l'année;
60. Peuvent être déduites lors du calcul du revenu d'un contribuable pour une année d'imposition les sommes suivantes qui sont appropriées:
b) toute somme payée dans l'année par le contribuable, en vertu d'un arrêt, d'une ordonnance ou d'un jugement rendus par un tribunal compétent ou en vertu d'un accord écrit, à titre de pension alimentaire ou autre allocation payable périodiquement pour subvenir aux besoins du bénéficiaire, des enfants issus du mariage ou à la fois du bénéficiaire et des enfants issus du mariage, si le contribuable vivait séparé,
en vertu d'un divorce, d'une séparation judiciaire ou d'un accord écrit de séparation, du conjoint ou de l'ex-conjoint à qui il était tenu de faire le paiement, le jour le paiement a été effectué et durant le reste de l'année;
A mon avis, les expressions «provision alimen- taire» et «pension alimentaire» relèvent d'une ter- minologie technique spécialisée. La «provision ali- mentaire» désigne au sens strict une allocation payée avant la dissolution formelle du mariage, alors que la «pension alimentaire» désigne au sens strict l'allocation payée après la dissolution du mariage. En conséquence, l'allocation provisoire, accordée par un jugement conditionnel de divorce en attendant le jugement irrévocable, est une «pro- vision alimentaire» alors que la même allocation, accordée pour valoir après la dissolution du mariage, est une «pension alimentaire». L'alloca- tion accordée en cas de séparation de corps sanc- tionnée en justice (mieux connue sous le nom de séparation judiciaire) est une provision alimen- taire, tout comme les paiements dont les conjoints conviennent dans un accord écrit de séparation.
L'alinéa 56(1)b) prévoit à la fois la «provision alimentaire» et la «pension alimentaire», cette der- nière étant comprise dans les mots «autre alloca tion payable ... pour subvenir aux besoins du bénéficiaire»*.
Les parties ne contestent pas que la pension alimentaire accordée à la défenderesse et à ses deux enfants relève bien de l'alinéa 56(1)b).
Aussi n'ai-je cité ni l'alinéa 56(1)c) ni sa contre- partie, l'alinéa 60c), ces deux dispositions ayant être insérées dans la loi pour régir les cas moins formels, telles les allocations accordées pour com- penser l'absence de soutien, plutôt que les cas plus formels de divorce, de séparation judiciaire ou de séparation par accord écrit qui sont prévus à l'ali- néa 56(1)b). Je n'ai pas à trancher ce point et je ne le ferai pas.
Ni la provision ni la pension alimentaire ne représentait un revenu pour le bénéficiaire ou une somme déductible pour le débiteur d'aliments avant 1942, date à laquelle la loi a accordé un dégrèvement au débiteur d'aliments. Le chapitre
* N.D.T.: Dans la version française de cette disposition, «alimony» a été traduit par «pension alimentaire«, alors qu'il aurait fallu écrire «provision alimentaire«.
28 des lois de 1942-43 accordait à celui qui payait les aliments une déduction à ce titre, cependant que le bénéficiaire devait les inclure dans son revenu et était cotisé en conséquence, bien qu'on voie mal pourquoi les paiements de ce genre cons tituent un revenu, une fois reçus par le bénéfi- ciaire, et une déduction, plutôt qu'une dépense personnelle, du débiteur d'aliments.
Il se trouve cependant que selon la loi, la pension alimentaire accordée constitue un revenu du béné- ficiaire. La défenderesse ne l'a pas nié. La loi ne laisse aucun choix.
Il échet donc d'examiner si la défenderesse a subi les frais judiciaires dont s'agit pour gagner un revenu qui lui appartenait de droit. En d'autres termes, il échet d'examiner si elle a subi ces frais judiciaires pour recevoir un revenu auquel elle avait droit. Si l'on répond à cette question par l'affirmative, ces frais sont dès lors proprement déductibles.
Il ne fait aucun doute que la défenderesse avait droit aux paiements, mais il s'agit de déterminer les faits générateurs de ce droit. Ce droit est celui en vertu duquel la défenderesse reçoit la pension; c'est un «bien» au sens large de la définition sus- mentionnée du paragraphe 248(1).
Il s'agit ensuite de déterminer les faits généra- teurs du droit de la défenderesse à une pension alimentaire. S'agit-il (1) d'un droit lors du mariage de la défenderesse, comme le prétend son avocat? Ou (2) d'un droit du jugement irrévo- cable de divorce qu'a prononcé la Haute Cour de l'Ontario, comme le soutiennent les avocats de la demanderesse?
En d'autres termes, il échet d'examiner si le jugement de la Haute Cour de l'Ontario a créé le droit à la pension alimentaire ou s'il n'a fait que confirmer et quantifier le droit acquis de la défen- deresse aux aliments.
L'article 2 de The Judicature Act, S.R.O. 1970, c. 228, investit la Cour suprême de l'Ontario de la compétence, des pouvoirs et de l'autorité conférés le 31 décembre 1912 son prédécesseur, dont le pouvoir de prévoir une pension alimentaire jugée raisonnable à une épouse dont le mariage a été dissous. La nécessité d'un tel pouvoir est évidente.
Avant 1857, les tribunaux de l'Angleterre n'avaient pas compétence pour dissoudre un mariage. La dissolution du mariage se faisait par Loi du Parlement. C'est en 1857 que les tribunaux ont été investis du pouvoir de dissoudre le lien conjugal par un jugement de divorce. Ce jugement affecte non seulement les rapports entre les deux époux, mais encore le statut de chacun d'eux.
Le divorce se distingue de la séparation judi- ciaire et de toute forme d'accord de séparation. La séparation judiciaire n'est que la sanction par le tribunal d'un accord que les parties, si elles l'avaient voulu, auraient pu tout aussi bien con- clure entre elles. Le droit à une provision alimen- taire, prévu dans cet accord, relève du contrat; il est consacré par un jugement en cas de séparation judiciaire. Le divorce est entièrement différent. Il dissout complètement les liens du mariage. Par suite de ce changement d'état, les cours de justice peuvent accorder par jugement une pension alimentaire.
A ce sujet, lord Atkin s'est prononcé en ces termes dans Hyman c. Hyman [1929] A.C. 601 (C.L.), aux pages 628 et 629:
[TRADUCTION] Tant que subsistent les liens du mariage, le mari est tenu par la loi à une obligation alimentaire envers sa femme. Celle-ci, qui peut forcer l'exécution de cette obligation, a le droit d'engager, à titre de mandataire, le crédit de son mari pour s'assurer les nécessités de la vie si, les deux époux étant séparés ... en vertu d'une ordonnance judiciaire, il ne lui verse pas la provision alimentaire allouée en justice. L'obligation du mari est aussi une obligation d'ordre public, dont l'Etat peut forcer l'exécution en application des Vagrancy Acts et Poor Relief Acts. La dissolution du mariage entraîne la disparition de l'obligation alimentaire tenant aux liens du mariage. En l'absence de tout texte de loi en la matière, la femme divorcée serait dénuée de tout moyen d'existence, sauf le recours à l'assistance sociale. A mon avis, c'est en partie dans l'intérêt public que l'autorité judiciaire a été investie des pouvoirs susmentionnés pour suppléer à l'obligation alimentaire du mari, afin que la femme ne soit pas à la charge de la société.
Le litige dont lord Atkin était saisi portait sur la question de savoir si une femme, qui avait convenu dans un accord formel de séparation, de n'intenter aucune action alimentaire contre son mari et qui avait ensuite obtenu un jugement de divorce, pou- vait, malgré son engagement, demander une pen sion alimentaire en justice. La Chambre des lords a jugé que rien ne l'en empêchait.
La phrase de lord Atkin qui nous intéresse est la suivante:
La dissolution du mariage entraîne la disparition de l'obligation alimentaire tenant aux liens du mariage.
Comme il l'a indiqué un peu plus bas, l'autorité judiciaire a été investie du pouvoir de suppléer à l'obligation alimentaire du mari.
Dans Lilley c. Lilley [1959] 3 All E.R. 283 (C.A.), lord Hodson a exposé, à la page 288, les règles de common law comme suit:
[TRADUCTION] Le droit reconnu en common law n'était pas le droit à une allocation, mais le droit d'être logé et nourri ....
En common law, la femme pouvait engager le crédit de son mari pour s'assurer les nécessités de la vie si son mari ne lui procurait pas ces nécessi- tés, selon le mode de vie auquel elle avait droit. En cas de divorce, le droit aux aliments et le droit d'utiliser le crédit du mari s'éteignent tous deux avec la dissolution du mariage.
Il appartient donc à la Cour de suppléer au droit aux aliments.
A cet égard, elle est investie du pouvoir discré- tionnaire de prévoir des mesures accessoires lors du jugement conditionnel de divorce.
L'article 11 de la Loi sur le divorce, S.R.C. 1970, c. D-8, ne laisse aucun doute à ce sujet. Si elle l'estime juste et approprié compte tenu de la situation respective des deux parties, la Cour peut rendre l'ordonnance visée à l'alinéa 11(1)a) pour enjoindre au mari de contribuer à l'entretien de sa femme ou, à l'inverse, enjoindre par l'alinéa 11(1)b) à la femme de contribuer à l'entretien de son mari.
Le pouvoir discrétionnaire prévu à l'article 11 de la Loi sur le divorce a été analysé par le juge Fulton dans Vnuk c. Vnuk (1976) 23 R.F.L. 117. Pour déterminer les circonstances visées par cet article comme justifiant l'octroi d'une pension ali- mentaire, il estime qu'il faut examiner en premier lieu si l'épouse qui la demande est en mesure de subvenir à ses propres besoins tout en maintenant le même niveau de vie que pendant le mariage. Si elle ne l'est pas, il faut déterminer si l'autre con joint a les ressources nécessaires pour payer la pension. Dans l'affirmative, la Cour doit alors fixer un montant raisonnable pour la pension alimentaire.
Dans cette affaire, la femme n'avait nullement besoin d'une pension alimentaire, mais elle a demandé une ordonnance [TRADUCTION] «préven- tive» portant pension alimentaire d'un montant annuel symbolique de $1, en prévision d'un éven- tuel revers de fortune et en prévision de la répu- gnance des tribunaux à rouvrir la question de la pension alimentaire si celle-ci n'avait pas été accordée au moment du jugement conditionnel de divorce.
Le juge Fulton n'a pas accueilli la demande, par ce motif à la page 122:
[TRADUCTION] Une ordonnance rendue sur cette base serait motivée par la fausse présomption que la femme acquiert, du simple fait de son mariage, le droit viager aux aliments, lequel doit être préservé, même après le divorce et même si à l'époque du divorce, rien ne justifiait une ordonnance de pension alimentaire.
La fausse présomption relevée par le juge Fulton est que la femme acquiert, du simple fait de son mariage, le droit viager aux aliments.
Cette décision est conforme à la règle de droit rappelée par lord Atkin dans Hyman c. Hyman (supra) la page 628]: «La dissolution du mariage entraîne la disparition de l'obligation ali- mentaire tenant aux liens du mariage», et par lord Hodson dans Lilley c. Lilley (supra), lorsqu'il disait que le droit reconnu en common law n'était pas le droit à une allocation, mais seulement le droit d'être logé et nourri. Même ce droit réduit au minimum s'éteint avec le divorce.
Dans Re Freedman (1924) 55 O.L.R. 206, le juge d'appel Ferguson était saisi d'une requête en ordonnance de séquestre, présentée par une femme à titre de créancière, contre son ancien mari qui ne lui payait pas périodiquement une provision ali- mentaire en exécution d'une ordonnance de la Cour.
A la lumière d'une abondante jurisprudence, le juge Ferguson a décidé qu'une provision alimen- taire n'était pas un bien et était incessible.
Il a cité la page 211] le lord juge Cotton qui s'est prononcé en ces termes dans In re Robinson (1884) 27 Ch. D. 160, la page 164:
[TRADUCTION] Une provision alimentaire est une allocation qu'accorde la Cour, compte tenu des ressources du mari et de la femme, si elle estime juste qu'elle soit payée périodiquement.
La Cour peut modifier cette allocation ou y mettre fin comme elle l'entend. Cette allocation n'est pas un bien mais seulement de l'argent payé périodiquement, sur ordre de justice, pour subvenir aux besoins de la femme.
et le lord juge Lindley, qui a tiré cette conclusion à la page 165:
[TRADUCTION] Cela ne constitue pas à proprement parler un bien, mais se rapproche d'une allocation payée par un mari à sa femme ou par un père à son enfant.
Il est indéniable, à la lumière de ces décisions, qu'une pension alimentaire n'est pas un bien au sens strict de ce terme. Toutefois, la définition de bien au paragraphe 248 (1) de la Loi comprend «un droit de quelque nature qu'il soit» et cette défini- tion est assez large pour embrasser le droit aux aliments.
Le distingué membre de la Commission de révi- sion de l'impôt s'est fondé sur l'arrêt Evans c. M.R.N. [1960] R.C.S. 391, de la Cour suprême du Canada pour conclure que la défenderesse pouvait déduire la somme dont s'agit au titre des frais judiciaires qu'elle avait payés pour obtenir un jugement obligeant son mari à lui payer une pen sion alimentaire pour elle-même et pour ses deux enfants.
Dans l'affaire Evans, la Cour suprême du Canada était saisie de l'appel formé contre la décision du juge Cameron, rapportée à [1959] R.C.É. 54, qui avait accueilli un recours contre une décision de la Commission d'appel de l'impôt sur le revenu.
Le juge Cameron, dont le raisonnement et la conclusion étaient partagés par les juges Judson et Fauteux qui exprimaient l'opinion dissidente en Cour suprême, était d'avis que la somme de $11,974.93 dépensée par Mme Evans en frais judi- ciaires pour s'assurer le paiement d'un revenu annuel de $25,000, provenant de la succession de son beau-père, était une somme déboursée à compte de capital, donc non déductible par appli cation de l'alinéa 12(1)b) (actuellement l'alinéa 18(1)b)). Aussi a-t-il jugé inutile de déterminer si cette somme relevait de l'alinéa 12(1)a) (actuelle- ment l'alinéa 18(1)a)), à titre de dépense effectuée dans le but de tirer un revenu de biens.
Le juge Cartwright, dont le jugement était par- tagé par les juges Taschereau et Ritchie, a rejeté
la conclusion du juge Cameron selon laquelle le droit en question était un bien en immobilisations.
En étudiant l'origine du droit à un revenu, il s'est prononcé en ces termes à la page 397:
[TRADUCTION] En l'espèce, l'appelante a acquis le 20 sep- tembre 1953, comme indiqué plus haut, le droit viager de recevoir les revenus provenant d'un tiers du patrimoine. Le fiduciaire demeure le propriétaire en titre de ce tiers, dont le capital reviendra, à la mort de l'appelante, à ceux qui y ont droit conformément au testament de Thomas Alexander Rus- sell. L'appelante n'aura en aucun cas droit à une partie quel- conque du capital; son droit se limite à demander au fiduciaire de lui verser les revenus provenant de sa part; ce droit est exécutoire en equity et tout montant reçu par l'appelante en vertu de ce droit est imposable. Ce n'est pas le paiement des frais judiciaires en question qui a donné naissance à ce droit, ou à quelque autre bien ou avantage. Son droit au revenu ne tient pas au jugement de la Cour, mais à l'effet combiné des testaments de Thomas Alexander Russell et de John Alexander Russell. C'est à tort que le fiduciaire a éprouvé des doutes, probablement suscités par les réclamations de Mme Andersen, quant à la question de savoir s'il fallait verser à l'appelante le revenu auquel elle avait droit et qu'il a refusé de payer quoi que ce soit jusqu'à ce qu'il soit statué par la Cour.
Le droit de l'appelante au revenu provenant des actions est du testament de son beau-père et de la désignation faite au testament de son mari, et non du jugement de la Cour. Ce droit lui était acquis avant l'introduction de l'action.
Pour ce qui est de l'objet des frais judiciaires subis, le juge Cartwright a tiré cette conclusion à la page 398:
[TRADUCTION] A mon avis, la forme sous laquelle l'affaire a été soumise à la Cour n'a pas d'importance; l'appelante a engagé ces frais judiciaires dans le but d'obtenir paiement d'un revenu; il s'agissait de dépenses faites en vue de toucher un revenu auquel elle avait droit, mais dont elle ne pouvait obtenir paiement autrement. Dans cette perspective, on peut difficile- ment douter que les dépenses fussent déductibles du revenu imposable de l'appelante. Voilà, à mon avis, la conclusion à tirer, peu importe que Mme Andersen ait prétendu à tort que l'appelante n'avait droit à aucun revenu.
Ces frais judiciaires ont été subis en vue de s'assurer le paiement d'un revenu auquel elle avait droit.
M. Bonner, de la Commission de révision de l'impôt, a cité dans les motifs de sa décision les mêmes extraits précités de l'arrêt Evans, précédés de cette prémisse:
Si la conclusion ci-dessus, selon laquelle l'appelante a payé dans la présente affaire des honoraires d'avocat afin de produire un revenu d'un droit qui a pris naissance au moment du mariage, est exacte, la décision de la Cour suprême dans l'arrêt Evans fait obstacle à la prétention de l'intimé voulant que les dépenses effectuées par l'appelante dans la présente affaire soient impu- tables au capital.
Sauf le respect que je lui dois, je ne saurais y souscrire.
Le revenu de la défenderesse ne tient pas à un droit du mariage. A mon avis, le droit du mariage est le droit aux aliments pendant le mariage, et il s'est éteint à la dissolution du mariage. Si les faits le justifient, la Cour qui accorde le divorce peut également accorder, con- formément à son pouvoir souverain d'appréciation, un montant raisonnable à titre de pension alimen- taire. C'est l'ordonnance de la Cour qui accorde à la défenderesse le droit à une pension alimentaire.
Puisqu'il en est ainsi, les principes établis par l'arrêt Evans ne s'appliquent pas en l'espèce.
Dans la cause Evans, l'appelante avait un droit acquis au revenu; elle a subi des frais judiciaires pour obtenir paiement de ce revenu qu'on refusait de lui payer. L'action intentée portait sur ce revenu.
En l'espèce, le droit de la défenderesse aux aliments, du mariage, s'est éteint avec le divorce. Son droit à une pension alimentaire subsé- quente est de l'ordonnance de la Cour. L'action intentée était une action en divorce et, accessoire- ment, une action alimentaire.
En conséquence, les frais judiciaires dont s'agit représentent une dépense en immobilisations visant à constituer un droit, et non une dépense effectuée dans le but de forcer le paiement d'un revenu qui est le produit d'un droit préexistant.
L'appel est en conséquence accueilli.
Les avocats des parties m'ont appris que les décisions rendues par les divers membres de la Commission de révision de l'impôt étaient contra- dictoires, mais que le montant de l'impôt payable qui fait l'objet de cet appel interjeté au nom du Ministre ne dépasse pas $2,500.
Conformément au paragraphe 178(2) de la Loi, le Ministre devra payer tous les frais raisonnables et légitimes de la défenderesse dans cet appel.
Avec le consentement des avocats des parties, j'ai fixé, conformément à la Règle 344(1), ces frais à la somme de $1,000 au lieu des frais taxés.
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