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A-146-81
Noury Chemical Corporation et Minerais & Chemicals Ltd. (Requérantes)
c.
Pennwalt of Canada Ltd. (Intimée)
et
Le Tribunal antidumping (Tribunal)
Cour d'appel, les juges Pratte et Le Dain et le juge suppléant Lalande—Montréal, 22 janvier; Ottawa, 16 février 1982.
Examen judiciaire Antidumping Demande d'examen et d'annulation de la décision par laquelle le Tribunal anti- dumping a jugé que le dumping de peroxyde de benzoyle, de peroctoate de butyle tertiaire, de perbenzoate de tert-butyle et de peroxyde de lauroyle causait un préjudice sensible à la production au Canada de marchandises semblables La détermination préliminaire de dumping a distingué quatre catégories de produits Le Tribunal a jugé qu'il était inap- proprié de traiter distinctement chaque catégorie de produits, étant donné leur lien étroit du point de vue de la fabrication et de la commercialisation Il échet d'examiner si le Tribunal a commis une erreur de droit pour ne pas avoir procédé, en matière de préjudice sensible, à une enquête distincte à l'égard de chacune des quatre catégories de marchandises Il faut déterminer si la définition de «marchandises semblables» figu- rant au par. 2(1) de la Loi antidumping , signifie que les marchandises qui ressemblent étroitement aux marchandises sous-évaluées ne peuvent être prises en considération qu'en l'absence de marchandises identiques Demande accueillie Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10, art. 28 Loi antidumping, S.R.C. 1970, c. A-15, art. 2(1), 16.
DEMANDE d'examen judiciaire. AVOCATS:
J. C. Chipman, c.r., pour les requérantes. J. L. Shields pour le Tribunal.
PROCUREURS:
Ogilvy, Renault, Montréal, pour les requéran- tes.
Soloway, Wright, Houston, Greenberg, O'Grady, Morin, Ottawa, pour le Tribunal.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE LE DAIN: La Cour est saisie d'une demande fondée sur l'article 28 et tendant à l'exa- men et à l'annulation de la décision en date du 10 mars 1981, par laquelle le Tribunal antidumping a
pris les conclusions suivantes en vertu de l'article 16 de la Loi antidumping, S.R.C. 1970, c. A-15:
Le Tribunal antidumping, après avoir procédé à une enquête en vertu des dispositions du paragraphe (1) de l'article 16 de la Loi antidumping, suite à la publication d'une détermination préliminaire de dumping datée du 10 décembre 1980, faite par le sous-ministre du Revenu national, Douanes et Accise, con- cernant le dumping au Canada de peroxyde de benzoyle, de peroctoate de butyle tertiaire et de perbenzoate de tert-butyle, originaires ou exportés des États-Unis d'Amérique, et de peroxyde de lauroyle, originaire ou exporté de la République fédérale d'Allemagne, du Royaume-Uni et des Pays-Bas, con- clut, conformément au paragraphe (3) de l'article 16 de la Loi, que le dumping de peroxyde de benzoyle, de peroctoate de butyle tertiaire et de perbenzoate de tert-butyle, originaires ou exportés des États-Unis d'Amérique, et de peroxyde de lau- royle, originaire ou exporté de la République fédérale d'Alle- magne, du Royaume-Uni et des Pays-Bas, mais à l'exception du peroxyde de benzoyle composé à 98% de granules; du peroxyde de benzoyle composé à 78% de poudre humide (eau et silice); du peroxyde de benzoyle composé à 60% de granules (flegmati- seur et eau); du peroxyde de benzoyle composé à 50% de pâte dans l'huile silicone; du peroxyde de benzoyle composé à 50% de granules avec flegmatiseur; du peroxyde de benzoyle com- posé à 40% d'une émulsion de phtalate de diisobutyle; et du peroxyde de benzoyle composé à 35% de poudre flegmatisée avec phosphate de dicalcium, a causé, cause et est susceptible de causer un préjudice sensible à la production au Canada de marchandises semblables.
Les trois motifs de contestation invoqués par les requérantes contre cette décision peuvent se résu- mer comme suit:
1. Le Tribunal a commis une erreur de droit pour ne pas avoir procédé à une enquête distincte, en matière de préjudice sensible, à l'égard de chacune des quatre catégories de marchandises au sujet desquelles le sous- ministre a fait une détermination préliminaire de dumping;
2. Le Tribunal a commis une erreur de droit pour ne pas avoir exclu le peroxyde de ben- zoyle 70% de sa constatation de préjudice sensible;
3. En concluant à la baisse ou à la détériora- tion de la rentabilité de la plaignante Penn- walt of Canada Ltd. en raison du dumping, le Tribunal a fondé sa décision sur une constata- tion erronée des faits, sans tenir compte des éléments de preuve produits devant lui.
Par détermination préliminaire de dumping faite en application du paragraphe 14(1) de la Loi antidumping, le sous-ministre du Revenu national, Douanes et Accise, a distingué quatre catégories de marchandises—peroxyde de benzoyle, peroctoa-
te de butyle tertiaire, perbenzoate de tert-butyle et peroxyde de lauroyle—à l'égard desquelles il a établi comme suit les pourcentages moyens pondé- rés de dumping:
1979 1980
Peroxyde de benzoyle 10.51% 13.36%
Peroctoate de butyle tertiaire 15.91% 14.73%
Perbenzoate de tert-butyle 19.58% 17.67%
Peroxyde de lauroyle 30.68% 30.68%
La requérante Noury Chemical Corporation, exportatrice des trois premières catégories de pro- duits, et la requérante Minerals & Chemicals Ltd., importatrice de toutes les quatre catégories de produits, avaient fait valoir au Tribunal qu'il était tenu, en matière de préjudice sensible, de procéder à une enquête à l'égard de chacune des quatre catégories de produits. Le Tribunal a rejeté cet argument par les motifs suivants:
Le procureur de Minerals & Chemicals Ltd. et de Noury Chemical Corporation a soutenu que chacune des quatre caté- gories de produits sur lesquelles portait la détermination préli- minaire du Sous-ministre devrait être traitée distinctement. Bien que la détermination préliminaire désigne quatre catégo- ries distinctes de produits qui ne sont pas règle générale, substituables, le Tribunal conclut que l'argument n'est pas persuasif. Il existe une usine qui fabrique des marchandises en cause au Canada. Le profil de la production dépend essentielle- ment de la demande. L'interdépendance d'un produit par rap port à un autre détermine l'efficience globale de l'usine et, si l'on cesse de fabriquer un produit, le reste de la production devra supporter le fardeau des frais généraux fixes. Il semble inapproprié et injustifiable de faire une distinction, aux fins de l'évaluation du préjudice, entre des activités de production qui sont si étroitement interdépendantes. En outre, dans son examen des éléments de preuve touchant la concurrence sur le marché et la réduction des prix, le Tribunal semble d'avis que les principaux fournisseurs et les principaux acheteurs ont le même comportement sur le marché des quatre catégories de produits.
A mon avis, le Tribunal a commis une erreur de droit pour avoir tenu ce raisonnement; il n'a donc pas procédé à l'enquête requise par la Loi. Le Tribunal est tenu par l'article 16 de faire enquête pour savoir si le dumping des marchandises aux- quelles s'applique la détermination préliminaire de dumping a causé, cause ou est susceptible de causer un préjudice sensible à la production au Canada de marchandises semblables. Comme le montre le passage précédent de son exposé des motifs, le Tribunal a conclu que la détermination préliminaire de dumping s'appliquait aux «quatre catégories distinctes de produits qui ne sont pas règle générale, substituables». Il lui incombait
donc de faire enquête pour savoir si le dumping de chaque catégorie de marchandises, pour lesquelles des marges distinctes de dumping avaient été éta- blies, avait causé, causait ou était susceptible de causer un préjudice sensible à la production au Canada de marchandises qu'on pouvait qualifier de semblables pour ce qui était de cette catégorie; il ne lui appartenait pas d'examiner si le dumping causait un préjudice sensible à la production d'au- tres catégories de marchandises produites par le même fabricant, lesquelles, peu importe leur lien étroit du point de vue de la fabrication et de la commercialisation, n'étaient pas des marchandises semblables au sens de la Loi. Celle-ci ne vise que les effets du dumping sur la production de mar- chandises semblables et non sur la production d'autres marchandises.
Cette conclusion suffit à elle seule pour trancher la demande, mais puisque l'affaire sera renvoyée devant le Tribunal, je me propose d'examiner briè- vement les deux autres motifs de recours.
Selon le deuxième argument des requérantes, le Tribunal aurait exclure le peroxyde de benzoyle 70% de sa constatation de préjudice sensible pour la même raison que celle qui l'aurait amené à exclure certains autres produits de peroxyde de benzoyle, savoir que Pennwalt ne fabrique pas ce produit au Canada mais a choisi d'en importer le peu dont elle a besoin pour le marché canadien. Les requérantes soutiennent que les produits les plus proches du peroxyde de benzoyle 70%, et que fabrique Pennwalt, par exemple du peroxyde de benzoyle 78%, ne pouvaient être considérés comme marchandises semblables aux fins de l'évaluation du préjudice sensible, puisqu'elle importait des produits identiques. Elles concluent de la définition de «marchandises semblables» figurant au paragra- phe 2(1) de la Loi que les marchandises qui res- semblent étroitement aux marchandises sous-éva- luées ne peuvent être prises en considération qu'en l'absence de marchandises identiques. Cette défini- tion porte:
2.(1)...
«marchandises semblables., par rapport à toutes marchandises, désigne
a) des marchandises qui sont identiques à tous égards auxdi- tes marchandises, ou
b) en l'absence de toutes marchandises décrites au sous-ali- néa a), des marchandises dont les caractéristiques res- semblent étroitement à celles desdites marchandises;
Les requérantes insistent sur la forme disjonctive de la définition et sur l'expression «en l'absence de toutes marchandises décrites au sous-alinéa a)». Bien que les caractéristiques ci-dessus de la défini- tion donnent du poids à cet argument, j'estime que telle ne saurait être l'intention du législateur, puis- que le but de la Loi doit être de protéger la production de marchandises qui, étant donné qu'el- les sont identiques ou ressemblent étroitement aux marchandises sous-évaluées, subissent la concur rence de ces dernières. Accueillir pareil argument reviendrait à dire qu'un fabricant qui a produit les deux catégories de marchandises ne serait protégé que contre le préjudice sensible causé aux mar- chandises identiques. Si cette définition devait être interprétée de cette façon, le Tribunal aurait pu conclure à juste titre que le dumping de peroxyde de benzoyle 70% ne causait pas de préjudice sensi ble à la production au Canada de marchandises semblables; mais il s'agit d'une question de fait, et rien ne permet de conclure que faute de l'avoir fait, le Tribunal a commis une erreur sus ceptible de contrôle judiciaire par application de l'article 28.
Pour ce qui est de leur troisième motif de recours, les requérantes soutiennent qu'il n'existait aucune preuve permettant au Tribunal de conclure au préjudice sensible en constatant que la «rentabi- lité» de la Division Lucidol de Pennwalt a connu une baisse ou une détérioration en 1979 et pour les huit premiers mois de 1980, et ce, en raison de la «réduction des prix» occasionnée par la concur rence des marchandises sous-évaluées. Toujours selon les requérantes, la seule preuve touchant la rentabilité de Pennwalt au cours de ces périodes consistait dans des états financiers non vérifiés qui indiquaient une augmentation des frais généraux, imputable dans une certaine mesure à un change- ment en 1979 de la méthode comptable de ventila tion de ces frais. Elles soutiennent qu'étant donné ce changement dans la ventilation des frais géné- raux, il était impossible de comparer la rentabilité enregistrée pour 1979 et pour les huit premiers mois de 1980 avec celle des années antérieures. Je trouve cet argument fort défendable dans la mesure il est centré sur les états financiers, mais je ne saurais conclure que ces derniers fussent la seule preuve produite sur laquelle le Tribunal ait pu se fonder pour conclure à une baisse ou à une détérioration de la rentabilité équivalente à un
préjudice sensible. Il y avait d'autres preuves dont le Tribunal a fait état dans ses motifs qui établis- saient la «réduction des prix» et la perte de com- mandes, et qui permettaient au Tribunal de con- clure à une baisse ou à une détérioration de la rentabilité. Que ce dernier état de choses équivaille ou non au préjudice sensible, voilà une question de fait qu'il appartient au Tribunal de trancher. J'es- time donc qu'il y a lieu de rejeter le troisième moyen invoqué par les requérantes.
Par ces motifs, la demande fondée sur l'article 28 sera accueillie, la décision du Tribunal infir- mée, et l'affaire renvoyée devant ce dernier pour nouvelle enquête par ce motif qu'il doit examiner la question de savoir si le dumping de chaque catégorie de marchandises, auxquelles s'applique la détermination préliminaire de dumping, a causé, cause ou est susceptible de causer un préjudice sensible à la production au Canada de marchandi- ses semblables dans cette catégorie.
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LE JUGE PRATTE: Je souscris aux motifs ci-dessus.
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LE JUGE SUPPLÉANT LALANDE: Je souscris aux motifs ci-dessus.
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