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A-687-78
Affaire intéressant la Loi sur les chemins de fer et la Loi nationale sur les transports et affaire de la décision prononcée le 17 novembre 1978 et de l'ordonnance en date du 22 novembre 1978 du Comité de révision de la Commission canadienne des transports, numérotée 1978-5, révisant la déci- sion du Comité des transports par chemin de fer, en date du 24 novembre 1977, et l'ordonnance numérotée R-25960, en date du 14 décembre 1977 (modifiée par les ordonnances numérotées R-26029, R-26226 et R-26836)
Cour d'appel, les juges Pratte et Heald et le juge suppléant Verchere—Vancouver, 2 et 3 décembre; Ottawa, 21 décembre 1981.
Chemins de fer Ordonnance du Comité de révision disant que le service ferroviaire de passagers en cause n'était pas rentable mais ne devait pas être interrompu Incompétence selon l'appelante de la Commission canadienne des transports de rendre une décision de ce genre sur une demande fondée sur l'art. 260 de la Loi sur les chemins de fer vu l'existence de deux lois spéciales interdisant l'interruption du service Appel rejeté Loi nationale sur les transports, S.R.C. 1970, c. N-17, art. 63, 64(2) Loi sur les chemins de fer, S.R.C. 1970, c. R-2, art. 3(1 )b), 260.
Appel, formé par la province de Colombie-Britannique, d'une décision du Comité de révision de la Commission canadienne des transports. Le Canadien Pacifique Limitée a demandé à la Commission, sur le fondement de l'article 260 de la Loi sur les chemins de fer, l'autorisation de mettre fin au service ferro- viaire de passagers entre Victoria et Courtenay. Le Comité des transports par chemin de fer statua que le service ferroviaire n'était pas rentable et ordonna d'y mettre fin. Le Comité de révision, après une nouvelle audience, rescinda la décision du Comité des transports par chemin de fer, statuant que le service ferroviaire de passagers n'était pas rentable mais ordonnant de ne pas y mettre fin. L'alinéa 3(1)b) de la Loi sur les chemins de fer porte que les dispositions des lois spéciales qu'adopte le Parlement du Canada prévalent sur celles de la Loi sur les chemins de fer dans la mesure nécessaire pour donner effet à cette disposition. L'appelante soutient que la Commission cana- dienne des transports n'a pas la compétence de statuer sur une demande selon l'article 260 lorsqu'il existe deux lois spéciales qui prévoient que ce service ne doit pas être abandonné. Une loi fédérale de 1884 a avalisé le contrat de construction du chemin de fer, incorporant, selon l'interprétation de l'appelante, les conditions du contrat, de sorte que l'obligation que le contrat imposait aux entrepreneurs d'exploiter le chemin de fer sans interruption devenait imposée par la loi elle-même. L'appelante fait aussi valoir qu'une loi fédérale adoptée en 1905 préservait l'obligation de la compagnie ferroviaire, qu'imposait la Settle ment Act de 1883 (une loi provinciale), d'exploiter le chemin de fer «sans interruption«. L'Acte de 1905 serait la seconde loi spéciale. Il échet d'examiner si la Commission était compétente pour connaître de la demande fondée sur l'article 260.
Arrêt: l'appel est rejeté. Conformément à l'alinéa 3(1)b) de la Loi sur les chemins de fer, les dispositions des deux lois spéciales prévalent sur celles de la Loi sur les chemins de fer, y compris l'article 260, «dans la mesure nécessaire pour donner effet» à cette disposition. Pour atteindre cet objet, il serait nécessaire de refuser à la Commission le pouvoir d'ordonner d'interrompre le service ferroviaire. La décision du Comité de révision dit toutefois que le service ferroviaire de passagers n'est pas rentable, mais elle ordonne néanmoins de le maintenir. Pour donner effet aux dispositions articulées des lois spéciales, soit que le service ferroviaire ne soit pas interrompu, il n'est pas nécessaire de dénier à la Commission le pouvoir, que lui confère l'article 260, de constater que l'exploitation d'un service ferro- viaire de passagers n'est pas rentable, puisque l'existence de ce pouvoir n'entre nullement en conflit avec l'obligation du chemin de fer d'en continuer l'exploitation. Il n'est pas nécessaire non plus, pour donner effet aux lois spéciales, de refuser à la Commission le pouvoir d'ordonner que le service ferroviaire en question ne soit pas interrompu. Que la Commission détienne ce pouvoir ne provoque aucun conflit avec les lois spéciales; au contraire, il paraît utile, sinon nécessaire, pour donner effet à la prescription contenue dans ces lois.
APPEL. AVOCATS:
L. F. Lindholm et P. Pearlman pour l'appelante.
N. D. Mullins, c.r., pour l'intimé le Canadien Pacifique Limitée.
J. K. Allen pour l'intimée Via Rail Canada Inc.
G. Nadeau, c.r., pour l'intimée la Commission canadienne des transports.
W. B. Scarth, c.r., pour l'intimé le procureur général du Canada.
PROCUREURS:
Pearlman & Lindholm, Victoria, pour l'appe- lante.
Contentieux, Canadien Pacifique Limitée, Calgary, pour l'intimé le Canadien Pacifique Limitée.
Contentieux, Via Rail Canada Inc., Montréal, pour l'intimée Via Rail Canada Inc.
Contentieux, Commission canadienne des transports, Hull, pour l'intimée la Commis sion canadienne des transports.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé le procureur général du Canada.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE PRATTE: La province de Colombie-Bri- tannique a formé appel, sur le fondement des paragraphes 64(2) et suivants de la Loi nationale sur les transports, S.R.C. 1970, c. N-17, d'une décision du Comité de révision de la Commission canadienne des transports relative à une demande du Canadien Pacifique Limitée (au nom de la Compagnie du chemin de fer d'Esquimalt à Nanaïmo), décision rendue le 17 novembre 1978 et incorporée dans une ordonnance en bonne et due forme datant du 22 novembre 1978.
La demande du Canadien Pacifique Limitée à la Commission canadienne des transports fut faite le 11 septembre 1974 sur le fondement de l'article 260 de la Loi sur les chemins de fer, S.R.C. 1970, c. R-2. Il s'agissait d'une demande d'autorisation de mettre fin au service ferroviaire de passagers entre Victoria et Courtenay, une ligne de chemin de fer construite par la Compagnie du chemin de fer d'Esquimalt à Nanaïmo, lui appartenant et exploitée par le Canadien Pacifique Limitée con- formément à une location à long terme remontant au Z ef juillet 1912. La province de Colombie-Bri- tannique s'est opposée à la demande. Elle a com- paru devant le Comité des transports par chemin de fer de la Commission soutenant, premièrement, que la Commission n'était pas compétente en la matière et deuxièmement, que, de toute façon, le Comité devrait décider qu'il ne faut pas mettre fin au service en cause. Le Comité rejeta l'exception déclinatoire de la province et, par ordonnance en date du 14 décembre 1977, statua que le service ferroviaire de passagers entre Victoria et Courte- nay n'était pas rentable et ordonna d'y mettre fin. La province demanda à la Commission la révision de cette décision conformément à l'article 63 de la Loi nationale sur les transports, prétendant que la Commission n'était pas compétente en la matière et que, de toute façon, des faits nouveaux démon- treraient, si administrés en preuve, l'inexactitude de la décision du Comité des transports par chemin de fer. Le 30 octobre 1978, le Comité de révision rejeta l'exception déclinatoire opposée à la Com mission mais ordonna une nouvelle audience afin de permettre à tous les intéressés d'administrer de nouvelles preuves. Cette audience close, le Comité de révision rescinda la décision du Comité des
transports par chemin de fer et statua que le service ferroviaire de passagers en cause n'était pas rentable et vraisemblablement ne le deviendrait pas, ordonnant cependant au Canadien Pacifique Limitée la Compagnie du chemin de fer d'Es- quimalt à Nanaïmo) de ne pas mettre fin au service. C'est la décision prononcée le 17 novem- bre 1978 dont appel, par la province . , pour le seul et unique motif que le Comité, en la prononçant, est sorti de sa compétence.
Avant d'étudier l'exception déclinatoire de l'ap- pelante quant à la compétence du Comité, il faut d'abord examiner une question préliminaire.
L'avocat du Canadien Pacifique Limitée a sou- tenu que l'appel devrait être rejeté motif pris qu'il s'agirait d'une hypothèse d'école visant plutôt les motifs du Comité que sa décision, qui est favorable à l'appelante. A mon avis, ces deux arguments ne sont pas fondés. Autant que je puisse en inférer des pièces dont je suis saisi, la décision du Comité de révision existe toujours et rien n'est survenu qui en supprime l'effet. Pour ce motif, l'appel n'est pas une simple hypothèse d'école. D'ailleurs, ce ne sont pas les motifs du Comité qui sont entrepris puisque ce que conteste l'appelante c'est la légalité de l'ordonnance effectivement prononcée par le Comité. En vérité, ce que la province cherche à obtenir en l'espèce, c'est de faire dire que le Comité est incompétent pour déclarer non rentable le service ferroviaire de passagers entre Victoria et Courtenay ou ordonner son maintien. Il y a toute- fois une autre exception préliminaire plus sérieuse que l'on pouvait soulever en l'espèce. La province n'aurait pas d'intérêt direct et immédiat à contes- ter la validité de la décision du Comité puisque cette décision ne porte pas préjudice aux intérêts de la province, soit le maintien du service ferro- viaire de passagers entre Victoria et Courtenay. Cette exception, sérieuse, a certainement été prise en compte par la Cour lorsque la province demanda l'autorisation d'appeler; comme la Cour a fait droit à cette demande, il faut présumer qu'elle n'a pas considéré l'exception comme fondée et a estimé l'appelante, quoique atteinte indirecte- ment par la décision du Comité, suffisamment touchée néanmoins pour avoir qualité d'appelante. Je ne crois pas que nous devrions, en cet état avancé de la cause, adopter un autre point de vue.
Il est nécessaire d'esquisser un bref historique pour comprendre les motifs de la province de Colombie-Britannique de décliner la compétence de la Commission en la matière'.
La colonie de la Colombie-Britannique fut unie au Canada le 20 juillet 1871. Dans les années qui suivirent, une tension considérable se développa entre la nouvelle province et le gouvernement fédé- ral par suite de ce que cette première percevait comme l'inexécution par le gouvernement des obli gations contractées par l'accord d'Union, dont la construction d'un chemin de fer sur l'île de Van- couver. Ce différend fut réglé en 1883 par un arrangement entre les deux gouvernements concer nés et un groupe d'hommes d'affaires, MM. Duns- muir et al., qui se déclarèrent prêts à construire le chemin de fer. Selon cet arrangement, le gouverne- ment provincial devait donner au gouvernement fédéral une large bande de terre sur l'île qu'em- prunterait le chemin de fer projeté; le gouverne- ment provincial constituerait aussi une compagnie ayant pour objet la construction et l'exploitation du chemin de fer. Dès que la construction serait terminée, le gouvernement fédéral remettrait à cette compagnie le fonds de terre acquis du gou- vernement provincial et, en plus, comme subside supplémentaire, il verserait à la compagnie $750,- 000. Des divers actes et lois nécessaires à l'exécu- tion de cet arrangement, il faut en citer trois:
(1) un contrat, en date du 20 août 1883, inter- venu entre le gouvernement fédéral et MM. Dunsmuir et al. (les entrepreneurs) pour la construction du chemin de fer. Les paragraphes 3 et 9 de ce contrat stipulent que les entrepre neurs devront construire et exploiter le chemin de fer:
3. Les dits entrepreneurs s'engagent à bien et fidèlement tracer, construire, achever, équiper, entretenir et exploiter sans interruption une ligne de chemin de fer, d'une largeur de voie uniforme de quatre pieds huit pouces et demi, depuis Esquimalt jusqu'à Nanaïmo, dans l'île de Vancouver,
' Ceux qui connaissent bien l'avis du Conseil privé dans Le procureur général de la Colombie-Britannique c. La Compa- gnie du chemin de fer d'Esquimalt à Nanaïmo [[1950] A.C. 87] s'apercevront que dans la brève esquisse historique qui suit, j'ai plus ou moins plagié l'avis du Comité judiciaire.
Colombie-Britannique, les points, la direction et le dévelop- pement approximatif de la ligne étant indiqués sur la carte ci-annexée cotée B; et aussi à construire, entretenir et exploi ter sans interruption une ligne télégraphique sur tout le parcours et le long de la dite ligne de chemin de fer; à fournir tous appareils télégraphiques nécessaires pour équi- per convenablement cette ligne télégraphique, et à exécuter tous services de génie, soit en opérant sur le terrain, soit en préparant les plans ou faisant tout autre travail de bureau, à l'entière satisfaction du Gouverneur en conseil.
9. Les dits entrepreneurs, après avoir achevé et équipé les dits chemins de fer et dépendances, les entretiendront de bonne foi en état effectif de service et d'exploitation, de même que le matériel de roulement nécessaire, et devront sans interruption et de bonne foi exploiter le dit chemin, ainsi que la dite ligne télégraphique, qu'ils tiendront avec ses dépendances en bon état de service.
Le paragraphe 13 stipule que le gouvernement fédéral devra donner aux entrepreneurs comme subside $750,000 ainsi que le fonds de terre que la province lui a cédé;
(2) une loi de la Colombie-Britannique, sanc- tionnée le 19 décembre 1883, 47 Vict., c. 14, intitulée la Settlement Act. Cette loi incorpore les termes de l'accord intervenu entre la pro vince et le gouvernement fédéral en règlement des litiges existants entre eux et, entre autres choses, constitue «La Compagnie du chemin de fer d'Esquimalt à Nanaïmo». Voici les articles 8, 9 et 27 de cette loi:
[TRADUCTION] 8. Afin de faciliter la construction du chemin de fer d'Esquimalt à Nanaïmo, il est par la présente édicté que les personnes, ci-après appelées la «compagnie» que pourra constituer le gouverneur général en conseil de concert avec toutes les personnes physiques et morales qui en deviendront actionnaires, seront et sont par les présentes constituées en une personne morale dénommée «La Compa- gnie du chemin de fer d'Esquimalt à Nanaïmo.»
9. La compagnie, ses mandataires et préposés cons- truiront, équiperont et entretiendront une voie ferrée conti nue, double ou simple, du même écartement que la voie ferrée du Canadien Pacifique, ainsi qu'une ligne télégraphi- que, avec tous ses accessoires, d'un point près du port d'Esquimalt, en Colombie-Britannique, à un port ou lieu près de Nanaïmo sur la côte est de l'île de Vancouver, avec autorisation de prolonger cette ligne principale jusqu'à Comox et Victoria et de construire des voies secondaires vers les concessions de la côte est et aussi de prolonger ledit chemin de fer, au moyen de ferry-boats, jusqu'à la Colom- bie-Britannique continentale pour y rejoindre toutes les lignes de chemin de fer en exploitation ou en cours de construction. La compagnie détiendra aussi le pouvoir et l'autorité de construire, d'être propriétaire et d'exploiter les vapeurs et autres navires auxiliaires aux chemins de fer dans les baies, golfes, et eaux intérieures de la Colombie-Britanni- que.
27. Ladite Compagnie du chemin de fer d'Esquimalt à Nanaïmo sera liée par tout contrat ou toute convention pour la construction du chemin de fer qui reliera Esquimalt à Nanaïmo, éventuellement conclu entre les personnes ainsi constituées en compagnie et Sa Majesté, représentée par le ministre des Chemins de fer et des Canaux, et aura droit à l'entière exécution à son profit de ce contrat ou de cette convention, que l'on interprétera et appliquera comme si cette compagnie y était partie contractante au lieu de ces personnes et comme si l'acte avait été dûment signé par la compagnie et portait son sceau.
(3) une loi fédérale [Acte concernant le chemin de fer de l'Ile de Vancouver, le bassin de radoub d'Esquimalt, et certaines terres de chemin de fer de la province de la Colombie-Britannique cédées au Canada], sanctionnée le 19 avril 1884, 47 Vict., c. 6, qui énonce et avalise l'accord conclu entre le gouvernement fédéral et la pro vince. L'article 2 de cette loi ratifiait dans les termes suivants le contrat intervenu entre le gouvernement fédéral et MM. Dunsmuir et al. pour la construction du chemin de fer:
2. La convention, dont copie est reproduite, avec le devis qui l'accompagne, comme annexe, conclue pour la construc tion, l'équipement, l'entretien et l'exploitation d'une ligne de chemin de fer continue, d'une largeur de voie uniforme de quatre pieds huit pouces et demi, entre Esquimalt et Nanaïmo, dans l'île de Vancouver, Colombie-Britannique, et aussi pour la construction, l'équipement, l'entretien et l'ex- ploitation d'une ligne de télégraphe sur le parcours du dit chemin de fer, est par le présent approuvée et ratifiée, et le Gouverneur en conseil est autorisé à en mettre les stipula tions à effet suivant leur teneur.
Le chemin de fer fut construit comme stipulé et la Compagnie du chemin de fer d'Esquimalt à Nanaïmo reçut du gouvernement fédéral les $750,000 promis ainsi que le fonds de terre obtenu du gouvernement provincial.
Il reste à mentionner, avant d'en venir au moyen que fait valoir l'appelante, qu'en 1905 le Parle- ment fédéral adopta une loi [Acte concernant la Compagnie du chemin de fer d'Esquimalt à Nanaïmo] déclarant que la Compagnie du chemin de fer d'Esquimalt à Nanaïmo était un ouvrage à l'avantage général du Canada. Voici les articles 1 et 4 de cette loi, 4-5 Edw. VII, c. 90:
1. Le chemin de fer de la Compagnie du chemin de fer d'Esquimalt à Nanaïmo, ci-après désignée sous le vocable «la Compagnie», est déclaré être une entreprise «à l'avantage général du Canada».
4. Rien en la présente loi ne saurait porter atteinte aux droits et obligations qui existent aujourd'hui pour la province de la Colombie-Britannique et pour la Compagnie, ou qui existaient ci-devant pour elles en vertu des dispositions de l'acte de la législature de la dite province, 47 Victoria, chapitre 14.
L'article 260 de la Loi sur les chemins de fer attribue à la Commission canadienne des trans ports la compétence de faire droit ou non à une demande d'abandon de service ferroviaire de pas- sagers. Toutefois, les diverses dispositions de la Loi sur les chemins de fer, y inclus l'article 260, ne s'appliquent aux compagnies de chemins de fer qui, comme la Compagnie du chemin de fer d'Es- quimalt à Nanaïmo, sont de la compétence législa- tive du Parlement fédéral, que si elles n'entrent pas en conflit avec une loi spéciale 2 fédérale portant sur le même sujet. C'est ce que dispose l'alinéa 3(1)b) de la Loi sur les chemins de fer:
3. Sauf dispositions contraires de la présente loi,
b) lorsque les dispositions de la présente loi et celles de quelque loi spéciale du Parlement du Canada se rapportent aux mêmes matières, les dispositions de la loi spéciale doivent être considérées comme l'emportant sur ies dispositions de la présente loi, dans la mesure nécessaire pour donner effet à cette loi spéciale.
L'argument de l'appelante, c'est que la Commis sion canadienne des transports n'a pas la compé- tence de statuer sur une demande, selon l'article 260 de la Loi sur les chemins de fer, d'abandon du service ferroviaire de passagers de la Compagnie du chemin de fer d'Esquimalt à Nanaïmo parce qu'il existe deux lois spéciales du Parlement du Canada qui prévoient que ce service ne doit pas être abandonné. La première de ces lois qui, selon elle, primerait sur l'article 260 de la Loi sur les chemins de fer, serait la loi fédérale de 1884 qui avalisait le contrat de construction du chemin de fer intervenu entre le gouvernement fédéral et MM. Dunsmuir et al. L'appelante interprète l'arti- cle 2 de cette loi comme donnant force de loi aux stipulations du contrat de construction et, notam-
2 II y a à l'article 2 de la Loi sur les chemins de fer une définition de l'expression loi spéciale dont voici un extrait: 2. (1) ...
«loi spéciale», lorsque cette expression est employée relative- ment à un chemin de fer, signifie toute loi en vertu de laquelle la compagnie est autorisée à construire ou à exploiter un chemin de fer, ou qui est édictée spécialement au sujet de ce chemin de fer, et qui a été adoptée dans le passé ou qui le sera à l'avenir ....
ment, aux clauses 3 et 9 qui imposaient aux entre preneurs l'obligation d'«entretenir et exploiter sans interruption une ligne de chemin de fer ... depuis Esquimalt jusqu'à Nanaïmo» et de «sans interrup tion et de bonne foi exploiter le dit chemin». D'après l'appelante, les conditions du contrat de construction du chemin de fer sont incorporées à la loi spéciale de 1884 de sorte que cette obligation que le contrat imposait aux entrepreneurs d'exploi- ter le chemin de fer sans interruption doit être considérée comme imposée par la loi elle-même.
La seconde loi spéciale qui, d'après l'appelante, prévaudrait sur l'article 260 dans la mesure il devrait s'appliquer à la Compagnie du chemin de fer d'Esquimalt à Nanaïmo serait la loi fédérale de 1905 qui déclare que le chemin de fer de cette compagnie constitue un ouvrage à l'avantage général du Canada. Voici ce que prévoit l'article 4 de cet Acte:
Rien en la présente loi ne saurait porter atteinte aux droits et obligations qui existent aujourd'hui pour la province de la Colombie-Britannique et pour la Compagnie, ou qui existaient ci-devant pour elles en vertu des dispositions de l'acte de la législature de la dite province, 47 Victoria, chapitre 14.
La loi de Colombie-Britannique que l'on men- tionne dans cet article est la Settlement Act de 1883 qui, en son article 27, prévoit que la Compa- gnie du chemin de fer d'Esquimalt à Nanaïmo doit être liée par le contrat de construction du chemin de fer intervenu entre MM. Dunsmuir et al. et le gouvernement fédéral de la même manière que si la compagnie était elle-même partie au contrat. D'après l'appelante, l'article 27 de la Settlement Act imposait à la Compagnie du chemin de fer d'Esquimalt à Nanaïmo toutes les obligations des entrepreneurs que stipulait le contrat de construc tion, notamment l'obligation d'exploiter le chemin de fer «sans interruption». L'article 4 de l'Acte fédéral de 1905 doit, toujours d'après l'appelante, être interprété comme disposant qu'indépendam- ment de la déclaration apparaissant à l'article premier, toutes les responsabilités de la compagnie découlant de la Settlement Act, et notamment l'obligation d'exploiter le chemin de fer sans inter ruption, demeurent intactes. L'appelante en con- clut donc que l'article 4 de l'Acte de 1905 est une disposition d'une loi spéciale du Parlement du Canada qui prévoit que le chemin de fer reliant Esquimalt à Nanaïmo doit être exploité sans inter-
ruption, cet article, selon l'alinéa 3(1)b) de la Loi sur les chemins de fer, devant prévaloir sur l'arti- cle 260 de la même Loi.
A mon avis, il n'est pas nécessaire pour statuer sur l'appel de se demander si l'interprétation de l'appelante des deux lois spéciales que je viens de mentionner est la bonne car, même si c'était le cas, l'ordonnance qui fait l'objet de l'appel demeurerait néanmoins une ordonnance que la Commission avait le pouvoir de rendre. Présumons pour un instant, sans en décider, que l'interprétation que propose de donner aux deux lois spéciales l'appe- lante est la bonne. D'après cette interprétation, les deux lois spéciales disposent que le service ferro- viaire entre Esquimalt et Nanaïmo ne doit pas être interrompu. Conformément à l'alinéa 3(1)b) de la Loi sur les chemins de fer, les dispositions de ces deux lois spéciales prévalent sur celles de la Loi sur les chemins de fer, y compris l'article 260, «dans la mesure nécessaire pour donner effet» à cette disposition. Or, pour atteindre cet objet, il serait évidemment nécessaire de refuser à la Com mission et à ses comités le pouvoir d'ordonner d'interrompre le service ferroviaire entre Esqui- malt et Nanaïmo. Toutefois, la décision du Comité de révision entreprise n'est pas en ce sens; c'est une décision qui dit que le service ferroviaire de passa- gers reliant Victoria à Courtenay n'est pas renta- ble mais qui ordonne néanmoins de le maintenir. A mon avis, pour donner effet aux dispositions arti- culées des lois spéciales, soit que le service ferro- viaire en question ne soit pas interrompu, il n'est certainement pas nécessaire de dénier à la Com mission le pouvoir que lui confère l'article 260 de constater que l'exploitation d'un service ferroviaire de passagers n'est pas rentable puisque l'existence de ce pouvoir n'entre nullement en conflit avec l'obligation du chemin de fer d'en continuer l'ex- ploitation. Il n'est pas nécessaire non plus, pour donner effet aux lois spéciales, de refuser à la Commission le pouvoir d'ordonner que le service ferroviaire en question ne soit pas interrompu. Que la Commission détienne ce pouvoir ne provoque aucun conflit avec les lois spéciales; au contraire, l'existence de ce pouvoir paraît utile, sinon néces- saire, pour donner effet à la prescription contenue dans ces lois.
Par ces motifs, je suis d'avis que l'ordonnance du Comité de révision était valide. Je rejetterais l'appel.
* * *
LE JUGE HEALD: Je souscris à ces motifs.
* * *
LE JUGE SUPPLÉANT VERCHERE: Je les partage aussi.
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