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T-4656-75
Delbert Guerin, Joseph Becker, Eddie Campbell, Mary Charles, Gertrude Guerin et Gail Sparrow en leur nom propre et au nom de tous les autres membres de la bande indienne Musqueam (demandeurs)
c.
La Reine (défenderesse)
Division de première instance, le juge Collier- Vancouver, 18, 19, 20, 21, 24, 25, 26 et 27 septem- bre, 1°r, 2, 3, 4, 9, 10, 11, 12, 15, 16, 17, 18, 19, 22 et 23 octobre et 5, 7, 8, 9, 13 et 14 novembre 1979, 31 janvier et 14, 24 et 25 mars 1980 et 3 juillet 1981.
Couronne - Indiens - Manquement aux responsabilités d'une fiducie - Cession d'un terrain de 162 acres par une bande indienne à la Couronne fédérale en fiducie à des fins de location aux personnes et aux conditions que le gouvernement du Canada jugerait appropriées - Notification à la bande indienne, lors d'une assemblée relative à la cession, du projet de location des 162 acres à un club de golf - Différence entre les conditions du bail réellement conclu avec le club de golf et celles acceptées lors de l'assemblée de cession - En cause: manquement par la défenderesse à ses responsabilités de fidu- ciaire - En cause: statut de fiduciaire de la défenderesse - En cause: obligation de la défenderesse d'obtenir l'approbation de la bande indienne au sujet des conditions du bail finalement conclu - En cause: prescription statutaire de l'action des demandeurs ou manque de diligence - En cause: exonération de responsabilité personnelle de la défenderesse - En cause: droit des demandeurs à des dommages-intérêts d'indemnisa- tion ainsi qu'à des dommages-intérêts exemplaires - Loi sur les Indiens, S.R.C. 1952, c. 149, art. 2(1)a),h),o), 18, 37, 38(2), 39(1)a),6), 61(1) - Statute of Limitations, S.R.C.-B. 1960, c. 370 - Trustee Act, S.R.C.-B. 1960, c. 390, art. 93, 98 Laws Declaratory Act, S.R.C.-B. 1960, c. 213, art. 2(11) Limitation Act, S.R.C.-B. 1979, c. 236, art. 6 - Trustee Act, S.R.C.-B. 1979, c. 414, art. 98.
Dans cette action, la bande indienne Musqueam demande un jugement déclaratoire disant que la Couronne fédérale a manqué à sa responsabilité de fiduciaire lors du louage, le 22 janvier 1958, de 162 acres d'un fonds de terre de la réserve indienne 2 Musqueam, sise en Colombie-Britannique. Le 6 octobre 1957, par vote majoritaire, les membres de la bande ont approuvé la cession à la Couronne de 162 acres de terrain u... en fiducie pour être louées à celui ou à ceux, et aux conditions ...» jugées appropriées par le gouvernement du Canada. Mais, lors de l'assemblée de cession, un représentant de la Direction des affaires indiennes déclara à la bande que le terrain serait loué à un club de golf pour la construction d'un nouveau terrain de golf. Effectivement un bail, en bonne et due forme, fut signé le 22 janvier 1958. Les demandeurs soutien- nent que certaines des conditions du bail diffèrent de ce que leur avaient dit les fonctionnaires de la Direction des affaires indiennes avant le vote sur la cession; on ne leur aurait jamais
communiqué certaines des conditions. Voici quelles furent les conditions convenues lors de l'assemblée relative à la cession: a) une durée globale de 75 ans; b) un loyer pour les premiers 15 ans de $29,000 l'an; c) reconduction renégociée tous les 10 ans, sans clause d'arbitrage et sans aucune restriction sur la façon d'évaluer le terrain; d) aucun plafonnement de 15% des hausses de loyer pour la deuxième reconduction de 10 ans; e) à l'arrivée du terme, retour à la Couronne de toutes les améliorations apportées au bien-fonds. Voici les conditions essentielles du bail signé le 22 janvier 1958: a) pour les quatre reconductions consécutives de 15 ans, le loyer annuel sera fixé par accord mutuel ou, à défaut, par arbitrage. Le loyer devrait être établi comme si les lieux n'étaient toujours pas défrichés ni améliorés et servaient de terrain de golf; b) la hausse maximale du loyer pour les seconds 15 ans est limitée à 15%; c) le club de golf a le droit de résilier le bail au terme de toute période de 15 ans en donnant un préavis de six mois; d) toutes les améliorations, à tout moment en cours de bail et jusqu'à six mois après l'arrivée de son terme, retournaient au club de golf. Sont en cause les points litigieux suivants: (1) La défenderesse était-elle, dans tous les cas et à tout moment, fiduciaire? (2) Dans l'affirma- tive, les conditions de la fiducie que stipule l'acte de cession autorisaient-elles la défenderesse à louer à n'importe qui et aux conditions jugées par elle les meilleures, sans obligation de louer au club de golf, aux conditions discutées lors de l'assem- blée de cession, et sans aucune obligation d'obtenir l'approba- tion de la bande au sujet des conditions du bail finalement conclu? (3) S'il y a eu manquement à la fiducie, l'action des demandeurs était-elle prescrite par la loi ou y a-t-il eu manque de diligence? L'action a été engagée le 22 décembre 1975. La défenderesse soutient que le manquement à la fiducie, s'il a eu lieu, s'est produit 1e22 janvier 1958. Elle invoque la Statute of Limitations de Colombie-Britannique, en vigueur avant le 1»' juillet 1975; l'action aurait alors être engagée dans les six ans de la première date. La défenderesse soutient aussi que les demandeurs ont trop tardé; leur retard à poursuivre lui porte- rait préjudice; (4) La défenderesse peut-elle être exonérée de toute responsabilité personnelle pour le manquement à la fidu- cie conformément à l'article 98 du Trustee Act de Colombie- Britannique, lequel autorise une telle exonération s'il paraît au tribunal que le fiduciaire a agi honnêtement et raisonnable- ment? (5) Les demandeurs ont-ils droit à des dommages-inté- rêts d'indemnisation et, outre ceux-là, à des dommages-intérêts punitifs ou exemplaires?
Arrêt: l'action est accueillie. Une fiducie légale ou une «fiducie au sens étroit» («true trust»), à laquelle les tribunaux donnent effet, a existé entre la défenderesse et la bande. La Couronne est devenue fiduciaire le 6 octobre 1957 des 162 acres; la bande indienne était bénéficiaire. Les actes de cession eux-mêmes énoncent expressément que les 162 acres seront cédées à la Couronne «... définitivement, en fiducie, pour location ...». La Loi sur les Indiens prévoit que la défen- deresse peut devenir fiduciaire, au sens juridique, des bandes indiennes. Les articles 2(1)a), h), o), 18 et 61(1) disposent que les réserves et les deniers des Indiens sont détenus par la Couronne pour l'usage et le profit des Indiens ou des bandes. La défenderesse, par le biais de ceux qui se sont occupés de cette affaire à la Direction des affaires indiennes, savait dès le début qu'elle pourrait se trouver dans une position de fiduciaire pour tout terrain éventuellement loué au club de golf. La résolution adoptée par le conseil de bande approuvant la sou-
mission à la bande des actes de cession, en vue de la location du terrain de 162 acres, ne parle pas d'une cession sans condition pour location à qui l'on voudra. L'ensemble de la résolution sous-entend que la cession est faite pour location, à certaines conditions, au club de golf. A compter de la date de la résolution, toutes les discussions avec le conseil de bande se rapportent à la location envisagée de ces terrains au club de golf. La défenderesse, par son personnel et les fonctionnaires de la Direction des affaires indiennes, a manqué à ses obligations de fiduciaire. Les 162 acres n'ont pas été louées au club de golf aux conditions que la bande indienne avait autorisées. Des changements substantiels ont été faits. L'approbation de la bande indienne aurait être obtenue pour ces changements. La défenderesse avait l'obligation de l'obtenir. Il est plus que probable que les membres de la bande indienne n'auraient pas, s'ils avaient connu toutes les conditions du bail du 22 janvier 1958, cédé les 162 acres. La conduite du personnel de la Direction des affaires indiennes équivalait en l'espèce à une fraude d'équité. Il n'y a pas eu fraude au sens de dol, de malhonnêteté ou de turpitude morale de la part de ces fonction- naires. Mais le fait de ne pas revenir devant la bande ni devant son conseil après le 6 octobre 1957 pour faire avaliser les conditions proposées du bail constituait une conduite «... fort peu scrupuleuse de la part de l'une envers l'autre». Il n'y a pas eu non plus absence de diligence raisonnable de la part de la bande et de son conseil dans leur évaluation des conditions du bail du club de golf. La bande n'avait aucune raison de croire qu'un bail comportant des conditions différentes de celles qu'on leur avait laissé croire avait été conclu. La première reconduc- tion n'arrivait qu'en 1973. Ce n'est qu'en mars 1970 que la bande a découvert le véritable état des affaires et obtenu copie du bail du 22 janvier 1958. Les demandeurs sont parvenus à se placer dans le champ que couvre le paragraphe 6(3) de la Limitation Act de Colombie-Britannique qui suspend le cours de la prescription, en faveur du demandeur, dans une action pour manquement à une fiducie. Le prétendu préjudice qu'au- rait subi la défenderesse du fait que la poursuite n'a pas été intentée avant 1975 est sans fondement. Il n'y aurait pas nécessairement eu une autre version des faits si le témoin de la défenderesse qui a joué un rôle-clé dans les tractations avait été vivant. La défense de manque de diligence échoue donc pour les motifs précités. Il n'y a aucune iniquité à faire droit à la demande des demandeurs. La défenderesse n'a pas été incitée, par quelque retard, à changer d'attitude. La demande d'exoné- ration de toute responsabilité personnelle de la défenderesse ne saurait être accueillie. La juridiction en cause dans l'article 98 du Trustee Act, c'est la Cour suprême de Colombie-Britanni- que; la disposition ne peut donc conférer à la présente Cour cette compétence de grâce. Les demandeurs, par suite du manquement à la fiducie de la défenderesse, ont subi un préjudice considérable, évalué à $10,000,000. Mais les deman- deurs n'ont pas droit à des dommages-intérêts exemplaires. Qu'il ait été jugé que le personnel de la Direction des affaires indiennes n'ait pas eu le droit de négocier les conditions finales du bail sans avoir à consulter la bande indienne ne fait pas de leur action une conduite oppressive ou arbitraire justifiant, comme sanction, l'allocation de dommages-intérêts exemplai- res.
Arrêt suivi: Kitchen c. Royal Air Force Association [1958] 1 W.L.R. 563. Arrêts examinés: Tito c. Waddell (N° 2) [1977] 3 All E.R. 129; Frigidaire Corp. c. Steedman
[1934] O.W.N. 139; Penvidic Contracting Co. Ltd. c. International Nickel Co. of Canada, Ltd. [1976] 1 R.C.S. 267; Rookes c. Barnard [1964] A.C. 1129. Arrêts men- tionnés: Massie & Renwick Ltd. c. Underwriters' Survey Bureau, Ltd. [1940] R.C.S. 218; Nesbitt, Thomson & Co. Ltd. c. Pigott [1941] R.C.S. 520; Taylor c. Davies [1920] A.C. 636 (C.J.C.P.); Eddis c. Chichester Constable [1969] 2 Ch. 345 (C.A.); Joncas c. Pennock (1962) 32 D.L.R. (2e) 756 (C.S., 1 6 " instance et appel, Alb.); Zbryski c. La ville de Calgary (1965) 51 D.L.R. (2e) 55 (C.S. 1è"e instance, Alb.); Fales c. Canada Permanent Trust Co. [1977] 2 R.C.S. 302; Toronto-Dominion Bank c. Uhren (1960) 32 W.W.R. 61 (C.A. Sask.); Joyce c. Yeomans [1981] 1 W.L.R. 549 (C.A. Royaume-Uni); Cassell & Co. Ltd. c. Broome [1972] A.C. 1027; St. Ann's Island Shoot ing and Fishing Club Ltd. c. Le Roi [1950] R.C.S. 211.
ACTION. AVOCATS:
M. R. V. Storrow, S. R. Schachter et J. I. Reynolds pour les demandeurs.
G. O. Eggertson, A. D. Louie et C. J. Pepper pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Davis & Company, Vancouver, pour les demandeurs.
Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE COLLIER: Cette action a été engagée par le chef et les conseillers de la bande indienne Musqueam en leur nom propre et, en fait, pour l'ensemble de la bande. L'instance a été engagée le 22 décembre 1975. La bande demande un juge- ment déclaratoire disant que la Couronne fédérale a manqué à [TRADUCTION] «sa responsabilité de fiduciaire» au sujet du louage, le 22 janvier 1958, d'environ 162 acres d'un fonds de terre de la réserve indienne 2 Musqueam. Des dommages- intérêts fort importants sont demandés.
Aux époques en cause, la Loi sur les Indiens' constituait la législation régissant les Indiens, leurs bandes et leurs terres. Voici quelle était la hiérar-
' S.R.C. 1952, c. 149, modifiée par S.C. 1952-53, c. 41; S.C. 1956, c. 40; S.C. 1958, c. 19.
chie aux affaires indiennes dans les années 50: au sommet il y avait le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, puis un sous-ministre, un direc- teur des affaires indiennes et, sous ce dernier, deux surintendants: celui des agences et celui des réser- ves et fidéicommis. Ces fonctionnaires se trou- vaient à Ottawa.
En Colombie-Britannique, il y avait un commis- saire aux Indiens pour la Colombie-Britannique. Aux époques pertinentes en l'espèce, c'est William S. Arneil qui occupait ce poste. Il est mort en 1971. Sous ses ordres, il y avait un surintendant de district. L'un des principaux acteurs dans les évé- nements qui ont suscité l'instance fut Frank Earl Anfield. Il succéda à un certain H. E. Taylor comme surintendant de district vers 1954 ou 1955. On a parfois décrit le poste d'Anfield comme celui de responsable de l'agence de Vancouver. Il est mort le 23 février 1961.
La Loi sur les Indiens disposait que la Couronne du chef du Canada détenait les réserves pour l'usage et le profit des bandes indiennes respectives pour lesquelles elles ont été instaurées (paragraphe 18(1)). Les terres dans une réserve ne pouvaient être aliénées ni louées, et on ne devait pas autre- ment en disposer, à moins qu'elles n'aient été d'abord cédées à la Couronne par la bande indienne (article 37). Les cessions pouvaient être absolues ou restreintes, conditionnelles ou sans condition (paragraphe 38(2)). Pour être valide, une cession devait être faite à la Couronne et sanctionnée par une majorité des électeurs de la bande lors d'une assemblée (alinéas 39(1)a) et b)). Toute cession devait être acceptée par le gouver- neur en conseil.
La réserve indienne 2 Musqueam (la «réserve») était, comme la bande indienne qui l'oc- cupait, de la compétence de l'agence de Vancou- ver. En 1955, la réserve avait une superficie de 416.53 acres. A l'époque, la bande indienne se composait de 235 personnes.
La Direction des affaires indiennes de Vancou- ver avait reconnu la valeur de la réserve et son potentiel. Anfield envoya un rapport à Arneil le 11 octobre 1955 (pièce 5), il dit, notamment:
[TRADUCTION] L'avenir de cette réserve dont la valeur est incontestable, située comme elle est dans les limites de la ville de Vancouver, est de la plus haute importance pour les Indiens comme pour les tiers. Les dossiers recèlent de nombreuses
demandes d'achat et de location de larges superficies, utilisées ou non, de cette réserve, mais il est pratiquement impossible d'engager des négociations qui aient un sens tant que la ques tion de la propriété individuelle du bien-fonds ne sera pas définitivement réglée.
Le Ministère ne peut à la légère refuser de louer des terrains aux membres de la bande individuellement. C'est leur droit. Mais autoriser l'appropriation privée de larges superficies inuti- lisées, avec droit de louer sur une base individuelle, ne peut que conduire au désastre économique pour l'ensemble de la bande. La réglementation de zonage du secteur interdit actuellement l'implantation d'industries, n'autorisant que l'agriculture, mais elle pourrait facilement être modifiée de façon à permettre certaines utilisations comme les clubs de golf et même, éven- tuellement, l'occupation résidentielle: ces usages, naturelle- ment, ne seraient possibles qu'après aliénation de la réserve par vente ou location. Le développement à long terme de la réserve pour le plus grand profit de la bande devrait se faire par la location de larges superficies aux meilleures conditions.
Dans un rapport ultérieur, adressé à Arneil, le 17 septembre 1956 (pièce 9), Anfield suggère de procéder à une étude détaillée des terrains de la réserve requis par les individus, par la bande (salles communautaires, écoles, etc.) et de l'impor- tance des terrains non nécessaires. Il recommande non seulement de demander l'évaluation par un expert des terrains mais aussi une étude de planifi- cation foncière [TRADUCTION] «... visant un amé- nagement qui, à long terme, maximisera les reve- nus de la bande ...». Il poursuit:
[TRADUCTION] Il me semble que ce qu'il faut surtout ici, ce sont les services d'un expert en planification foncière coura- geux, visionnaire et prenant à cœur tant l'avenir des Indiens Musqueam que le revenu que pourraient générer les terrains dont les Indiens n'ont pas besoin. Il est essentiel que tout nouveau village soit un village modèle. Le personnel actuel ou futur de l'agence n'est pas à même de gérer un projet sembla- ble; il importe de faire au plus tôt des plans on ne peut plus pratiques pour réaliser la volonté expresse des Musqueams, faire le meilleur usage et le meilleur aménagement possible, à leur profit, de ce qui constitue sans doute les 400 acres ayant, potentiellement, la plus grande valeur dans le grand Vancouver d'aujourd'hui.
Il parla alors du louage éventuel de certaines basses terres à la ville de Vancouver à des fins de remblaiement sanitaire. Il poursuivait:
[TRADUCTION] Une telle opération aurait pour effet de rem- blayer environ 150 acres de basses terres à un niveau compara ble au reste de la réserve. Si on implantait un nouveau village à l'extrémité ouest de la réserve, les loyers, s'ils étaient payés à l'avance, couvriraient une portion considérable du coût du déménagement. Seraient alors disponibles pour location, 300 acres de terrain nivelé: une autre «propriété britannique» poten- tielle tout aussi adjacente, et ne craignant pas la réserve indienne, que son pendant fameux de West Vancouver. Voici quelle devrait être la marche à suivre pour obtenir ce résultat:
1. Faire en sorte que la bande approuve, à ses frais, la constitu tion, par un expert, d'un plan directeur d'aménagement conju- gué à une évaluation foncière. (On peut concevoir qu'elle soit entreprise, à ses frais, par l'Université de la Colombie-Britanni- que ou par quelque autre société foncière importante).
2. Obtenir de la bande une résolution proposant: a) le choix d'un nouveau site pour le village, d'environ une centaine d'acres, et son aménagement; b) les papiers nécessaires à une cession pour la location de tous les terrains que ne nécessiterait pas ce site du village, environ 316 acres, tout le revenu devant être versé dans le fonds de la bande.
3. Notifier toutes les parties actuellement intéressées à utiliser les terrains de cette réserve de ce que les superficies non requises, une fois délimitées et cédées, seront publiquement offertes en location, cette annonce ne devant probablement pas être faite avant douze mois.
J'examine à ce stade-ci un bref résumé des faits qu'articulent les demandeurs dans leur action. Le 6 octobre 1957, par vote majoritaire, les membres de la bande ont approuvé la cession à la Couronne de 162 acres de terrain de première qualité. La cession a été faite:
[TRADUCTION] ... en fiducie pour être louées à celui ou à ceux, et aux conditions, que le gouvernement du Canada jugera les plus aptes à favoriser notre bien-être et celui de notre peuple.
Mais, lors de l'assemblée de cession, Anfield déclara à la bande que le terrain serait loué, à long terme, au Shaughnessy Heights Golf Club, qui envisageait la construction d'un nouveau terrain de golf sur les lieux. Effectivement la défenderesse et le club de golf signèrent un bail, en bonne et due forme, le 22 janvier 1958. La bande soutient que certaines des conditions du bail ne sont pas ce qu'on leur avait dit avant le vote sur la cession; on ne leur aurait jamais communiqué certaines des conditions. Ces faits sont articulés contre la défen- deresse pour soutenir une réclamation pour manque à exercer le degré de soin requis comme administrateur et fiduciaire. On soutient en outre que la défenderesse, en tant que fiduciaire, n'a pas pris en compte les alternatives possibles à la loca tion comme terrain de golfe. Tout cela, sou- tient-on, aurait privé les demandeurs d'une hausse de revenu par le passé, et les en privera dans l'avenir, tant que le bail demeurera en vigueur.
2 La déclaration et les détails supplémentaires fournis en cours d'instance, imputent d'autres fautes à la défenderesse en tant que fiduciaire.
Je reviens aux faits qui ont précédé la cession.
J'ai déjà mentionné les deux rapports d'Anfield (pièces 5 et 9).
En 1956, le club s'est mis à la recherche de terrains pour un nouveau site pour son golf. Celui-ci se trouvait situé à l'époque au carrefour de la 33e Avenue et de la rue Oak à Vancouver. Ce site lui était loué par le Canadien Pacifique. Le bail arrivait à son terme en 1960. Tout semblait indiquer qu'il ne serait pas reconduit. Le terrain était trop cher pour penser à l'acheter. Le club de golf commença à s'intéresser, entre autres éventua- lités, à la possibilité d'obtenir un terrain sur la réserve Musqueam.
D'autres aussi étaient intéressés par l'acquisition d'un bien-fonds sur la réserve. - Le représentant d'une firme immobilière bien connue de Vancouver entreprit, en février 1956, des démarches auprès des fonctionnaires des affaires indiennes à Ottawa. La firme déclara s'intéresser à la location à long terme de certains terrains de la réserve indienne 5 Capilano de West Vancouver ainsi qu'à l'acquisi- tion de certains terrains de la réserve Musqueam. La firme savait aussi que le club de golf s'était dit intéressé. (Voir pièces 7 et 8.) La firme continua à songer à une certaine forme de lotissement tout au long de l'année 1956. Anfield et Arneil savaient cela. (Voir pièces 15 et 16.)
Le témoin C. E. Kelly a déposé. J'accepte son témoignage comme avéré. De 1955 à 1957, il a cherché à négocier un arrangement quelconque avec les fonctionnaires des affaires indiennes, avec Anfield en particulier, pour lotir, à des fins d'habi- tation, une partie de la réserve. Il proposait des arrangements locatifs à long terme. Lorsqu'il parla de discuter l'affaire avec les conseillers de la bande, Anfield lui dit de n'en rien faire et de traiter uniquement avec le personnel des affaires indiennes.
Les témoins membres de la bande appelés à déposer au nom des demandeurs ont tous déclaré qu'on ne leur a jamais parlé de quelque intérêt ni d'aucun projet d'aménagement autre que celui du club de golf. Je considère ces témoignages comme avérés.
Je vais, à ce stade, traiter de la question de la crédibilité et du poids à accorder aux témoignages des divers membres de la bande. Je pense tout particulièrement à leur témoignage quant à ce qui a été dit ou, tout aussi important, ce qui n'a pas été dit, par Anfield et par d'autres, en 1955, 1956, 1957 et 1958, au sujet des propositions Shaugh- nessy, des conditions du bail, etc. Je pense aussi à leurs dépositions au sujet de leurs diverses tentati- ves pour obtenir des copies du bail et quant à l'époque à laquelle la bande a pris, pour la pre- mière fois, connaissance des véritables conditions du bail conclu avec le club de golf. L'avocat de la Couronne a soutenu que ces témoignages devaient être soigneusement scrutés. M. Anfield est mort; il était l'acteur principal en ce qui concerne la Direc tion des affaires indiennes. Sans doute, les mem- bres de la bande s'étaient, avec les années, con- vaincus eux-mêmes que certains faits s'étaient réellement passés; c'était de l'après coup; plus personne en défense ne peut réfuter les témoins des demandeurs.
J'ai, en vérité, soigneusement scruté et examiné le témoignage des membres de la bande, des con- seillers, des chefs et même des anciens chefs. J'ai gardé à l'esprit que M. Anfield n'est plus pour offrir ce qui est, selon la Couronne, une version contraire mais je ne suis pas certain qu'il en aurait nécessairement été ainsi si MM. Anfield et Arneil avaient été encore en vie. Les membres de la bande m'ont paru des témoins honnêtes et francs. Ils n'ont pas, selon mon analyse, inventé la matière probante que conteste la défenderesse. Leur témoi- gnage n'est pas non plus, à mon avis, fondé sur de l'après coup ou de la reconstitution. Sur certains sujets, dont je parlerai plus loin, les dépositions des membres de la bande sont, l'analyse le montre, corroborées par d'autres preuves.
J'accepte donc comme avérée la preuve adminis- trée par les demandeurs, soit les témoignages des divers membres de la bande appelés à la barre.
Je reviens maintenant aux faits.
Vers octobre 1956, la bande semble accepter l'idée générale de louer les terrains non utilisés. (Voir pièces 9 et 11.) Le conseil de bande autorise une évaluation foncière, qui sera payée à même les fonds de la bande. La Direction des affaires indiennes demande que l'évaluation soit faite par
le personnel de l'administration de la Loi sur les terres destinées aux anciens combattants. Le surintendant des réserves et fidéicommis écrit (pièce 13):
[TRADUCTION] Cette réserve a une superficie de quelque 416 acres et est située dans le sud-ouest de la ville de Vancouver, directement en face des terrains appartenant à l'Université de la Colombie-Britannique. On réalisera en conséquence que la réserve est située dans un secteur les terrains ont, relative- ment, une grande valeur et que, sans doute, elle pourra générer éventuellement un revenu considérable pour la bande si elle est bien administrée.
Un certain Alfred Howell procéda à l'évalua- tion. Son rapport date du 28 décembre 1956. Howell était un évaluateur compétent en matière de terrain, mais n'était pas expert en aménage- ment, comme l'avait recommandé Anfield dans la pièce 9. Aucune copie du rapport Howell ne fut remise à la bande. Ils n'ont pu en prendre connais- sance qu'après que la présente instance fut enga gée. Une partie du contenu du rapport Howell fut cependant divulguée aux conseillers de la bande et à la bande elle-même. J'en parlerai plus loin.
Howell, pour fin d'évaluation, partagea la réserve en quatre secteurs. Une superficie de 220 acres (incluant les 162 acres finalement louées au club de golf) fut classée [TRADUCTION] «Superfi- cie résidentielle, première classe». L'autre grande superficie était constituée par les basses terres, soit environ 157.5 acres. Il n'est pas nécessaire de la décrire, ni les deux autres. Howell a eu recours à la méthode comparative pour les 220 acres de plus grande valeur. Il obtint le chiffre de $5,500 l'acre, soit un total de $1,209,120. Les basses terres furent évaluées à $625 l'acre.
Déjà, avant que l'on procède à l'évaluation, Arneil et Anfield avaient rencontré les fonctionnai- res de la ville de Vancouver pour s'entendre au sujet de la location des basses terres à la ville. Arneil et Anfield, lors de cette rencontre, pen- saient aussi louer 150 acres au club de golf pour [TRADUCTION] s... un prix, disons, de $20,000 à $25,000 l'an». (Voir pièce 12.) Dans une lettre subséquente, du 5 février 1957, Arneil parle d'une rencontre [TRADUCTION] «envisagée» entre les res- ponsables de la ville et ceux du club de golf au sujet de la location à long terme des terrains.
Le rapport d'évaluation d'Howell est daté du 28 décembre 1956. Il semble que ni M. Arneil ni M. Anfield ne purent en obtenir copie avant février
1957. Arneil écrivit à la Direction des affaires indiennes d'Ottawa le 5 février 1957 (pièce 18). Il dit qu'Howell lui avait montré lui, Arneil) une copie de l'évaluation. Il demanda à Ottawa de lui envoyer d'autres copies [TRADUCTION] «... avec tout commentaire que vous jugerez bon de faire avant que je ne considère le rapport comme offi- ciel». Voici le dernier paragraphe de la lettre:
[TRADUCTION] J'ajoute qu'une rencontre est prévue avec les fonctionnaires de l'hôtel de ville, laquelle désire louer à long terme une large superficie de terrain, ainsi qu'avec les responsa- bles du club de golf Shaughnessy semblablement intéressés eux aussi.
Les preuves littérales produites à l'instruction montrent qu'effectivement des rencontres et des discussions eurent lieu entre Anfield et MM. R. T. Jackson et E. L. Harrison. Jackson fut président du club de golf en 1956 ainsi qu'au début de 1957. Harrison siégeait au conseil d'administration et succéda à Jackson comme président au cours de 1957.
Voici un résumé de ces rencontres et discussions:
La pièce 19 est la copie d'une lettre datée du 13 février 1957 qu'Anfield adressa à Jackson. On y accuse réception du rapport d'évaluation. La superficie qui intéresse le club de golf est une zone résidentielle; elle est évaluée à plus de $5,000 l'acre. Pour une location virtuelle de 150 acres, à un minimum de 5%, le loyer annuel serait de $37,500. Une note, de la main d'Anfield, datée de deux jours plus tard, montre que la lettre a été retirée. En lieu et place, cette question, y inclus les évaluations, a fait l'objet de discussion entre Jack- son, Harrison et le Directeur de la Loi sur les terres destinées aux anciens combattants. Une partie de la note me paraît se lire: [TRADUCTION] «examen des valeurs d'évaluation—le club de golf Shaughnessy réexaminera la situation et avisera».
Je note ici que le club de golf possédait, à ce stade, des informations quant à la valeur du bien- fonds alors que la bande, d'après ses membres, dont j'ai accepté le témoignage, n'obtint aucune information à l'époque.
La pièce 20 est constituée par une note de service d'Anfield, datée du 13 mars 1957. En haut, on a inscrit [TRADUCTION] «M. Harrison»; en
dessous, il y a une note: [TRADUCTION] «loyer minimum prévu pour les 150 acres serait dans le voisinage de $40,000 l'an». Le reste de la note dit qu'on a notifié à la ville de Vancouver que le prix de la location d'une partie des basses terres serait voisin de $16,560 l'an.
Le ler avril 1957, Anfield écrivit à Jackson (pièce 21). Voici le paragraphe liminaire:
[TRADUCTION] Nous avons examiné la suggestion faite, lors de notre dernière rencontre, de chercher d'un commun accord à donner une valeur relative aux trois superficies délimitées sur le croquis reçu récemment de M. Harrison.
Le reste de la lettre d'Anfield parle d'une discus sion avec M. Howell au sujet de certaines des superficies du croquis de Harrison. Anfield pré- tend que la valeur moyenne, $5,500 l'acre, ne saurait être réduite. Il dit: [TRADUCTION] «. . (Howell) ... pense que nous serions bien avisés de nous en tenir à $5,500 l'acre comme valeur, capita lisée à 6%, afin de fixer la valeur locative de part et d'autre de la ligne.» Voici l'avant-dernier paragraphe:
[TRADUCTION] J'ai pensé porter à votre connaissance cette information car je sais fort bien que l'aspect financier de cette affaire constituera sans doute pour vous le facteur déterminant. J'espère que ces renseignements vous aideront, vous et votre comité, à considérer toute offre que le club de golf Shaughnessy pourrait faire au Ministère au nom des Indiens Musqueam auxquels, évidemment, l'offre devra être présentée et dont la décision sera déterminante.
Le 4 avril 1957, Harrison, devenu président du club de golf, écrivit à, Anfield. C'est une pièce fort importante; la voici reproduite en entier: [TRADUCTION] Monsieur,
Objet: Réserve indienne 2 Musqueam
Suite à notre discussion d'hier, je vous écris pour énoncer les conditions que je serais prêt à soumettre à nos membres comme offre pour la location d'une partie de la réserve indienne précitée. Voici ces conditions:
1. La superficie à louer devra comprendre environ 160 acres de la réserve indienne et être située comme indiquée lors de notre discussion d'hier.
2. Nous aurons le droit d'aménager sur le terrain loué un terrain de golf, un club et les autres bâtiments et installations que nous considérerons appropriés pour nos membres.
3. Nous aurons besoin d'un droit de passage sur une partie de la réserve entre la rue Marine et la superficie louée afin d'avoir l'accès dont nous avons besoin.
4. La durée initiale du bail sera de quinze ans à compter du le' mai 1957, mais le club pourra opter pour quatre reconductions de quinze ans chacune, soit une durée globale de soixante- quinze ans.
5. Le loyer pour les premiers «quinze ans» s'élèvera à $25,000.00 l'an, payable d'avance chaque année à la date anniversaire de la signature du bail, le premier paiement de $25,000.00 devant être fait dès le bail rédigé, signé et remis.
6. Le loyer pour chaque reconduction de quinze ans sera fixé de gré à gré entre votre Ministère et le club ou, à défaut d'accord, par arbitrage conformément à la «Arbitration Act» de la pro vince de Colombie-Britannique, mais ce loyer, pour toute reconduction de quinze ans, ne saurait en aucun cas être haussé ou abaissé par rapport aux précédents quinze ans, de 15% environ du loyer initial stipulé au point 5 ci-dessus.
7. Le loyer de chaque reconduction successive de quinze ans devra être convenu avant que nous ayons à exercer notre option de reconduire ou non.
8. Nous paierons toutes les taxes grevant la superficie louée.
9. Nous paierons le coût raisonnable de relocalisation sur la réserve des maisons des Indiens sises actuellement sur la super- ficie louée.
10. A tout moment au cours du bail, et pour six mois après l'arrivée du terme définitif, nous conserverons le droit d'enlever tout bâtiment et autre structure construits ou érigés par nous sur la superficie louée et toute amélioration et autres installations.
Vous seriez bien aimable de me notifier votre approbation de ces conditions générales lundi, le 8 avril, de façon que je puisse faire en sorte que nos administrateurs convoquent une assem blée générale de nos membres dans un avenir proche.
Le 7 avril 1957, eut lieu une assemblée du conseil de bande. D'après la preuve dont je suis saisi, c'est M. Anfield qui organisait pratiquement toutes les assemblées du conseil de bande et les assemblées de l'ensemble des membres de la bande Musqueam. Anfield avait l'habitude de présider aux assemblées. Fréquemment, il dressait le pro- cès-verbal. Dans le cas de cette assemblée particu- lière, il y eut deux procès-verbaux. On doit le premier procès-verbal, manuscrit, à Andrew Char- les Jr. (pièce 23), un membre de la bande, âgé de 25 ans à cette époque. L'autre a été dressé par Anfield. Il avait l'habitude, semble-t-il, de les faire dactylographier par après.
J'ai comparé les deux procès-verbaux. Celui d'Anfield donne un peu plus de détails mais les deux couvrent essentiellement de la même manière le même ordre du jour qui a été discuté au sujet de la réserve. Charles Jr. a noté qu'Anfield avait annoncé que la plus haute valeur de vente sur le marché de la réserve, d'après l'évaluation, était de $1,346,000. Charles Jr. a aussi noté qu'Anfield avait [TRADUCTION] «soumis» une pollicitation formelle du club de golf de louer 160 acres. La
durée initiale du bail serait de 15 ans à compter du 1e" mai 1957. Le club pourrait reconduire quatre fois, successivement, pour 15 ans. Le procès-verbal de Charles Jr. ne mentionne pas le montant du loyer annuel proposé.
Voici le texte du procès-verbal d'Anfield (pièce 24):
[TRADUCTION] 2. Le surintendant déposa alors devant le con- seil l'offre du club de golf Shaughnessy de Vancouver pour la location à long terme d'environ 160 acres de terrain délimitées à peu près comme dans le plan McGuigan, pour un loyer, pour les premiers 15 ans, de $25,000.00 l'an, avec quatre reconduc- tions optionnelles additionnelles de 15 autres années chacune, aux conditions qui seront convenues. [C'est moi qui souligne.]
Les deux procès-verbaux rapportent que le conseil a adopté une résolution approuvant la location des terres non utilisées au club de golf Shaughnessy et la soumission à l'ensemble de la bande d'un acte de cession relativement à ces 160 acres.
La preuve qu'ont administrée les demandeurs tend à démontrer que toutes les conditions de l'offre Shaughnessy n'ont pas été fournies au con- seil de bande au cours de cette assemblée. William Guerin a déclaré qu'aucune copie de l'offre ne leur avait été donnée. Il ne se souvient pas qu'on ait mentionné un loyer de $25,000 l'an. Il décrit l'as- semblée comme une présentation fort vague on se référait à des durées de 15 ans. Le chef Edward Sparrow a dit ne pas se rappeler que l'offre du club de golf ait été lue en entier.
J'accepte comme avéré le témoignage de Wil- liam Guerin et du chef Sparrow à cet égard. Les procès-verbaux de Charles Jr. et d'Anfield me portent à croire qu'on a donné que des renseigne- ments généraux sur l'offre du club de golf de louer environ 160 acres, pour une durée initiale de 15 ans, avec des reconductions optionnelles addition- nelles de 15 ans. Je note que le procès-verbal de Charles Jr. rapporte les termes exacts du qua- trième paragraphe de l'offre du club de golf. Si les autres stipulations, dont celles relatives aux loyers, avaient été lues, je suis sûr que Charles Jr. en aurait pris note. Je remarque que le procès-verbal Anfield à ce sujet conclut comme suit: «. .. aux conditions qui seront convenues».
Le 11 avril 1957, Arneil écrivit à W. C. Bethune, le surintendant des réserves et fidéicom- mis, à Ottawa. Cette lettre n'a pu être retrouvée. Mais la réponse du surintendant à Arneil, datée du
24 avril 1957, est devenue la pièce 26. Bethune met en cause le bien-fondé d'un loyer annuel de $25,000 pour les premiers 15 ans. Pour un rende- ment de cinq à six pour cent, aurait-il dit, la valeur
locative à l'acre serait de $250 $300 environ. Selon les chiffres de Bethune, on obtiendrait une
valeur locative d'environ $40,000 $48,000 l'an pour les premiers 15 ans. L'offre du club de golf, pour 150 acres, signifiait un rendement d'environ 3% de l'investissement. Bethune suggérait à Arneil de discuter de la question avec Howell et d'obtenir son opinion sur ce que la Direction des affaires indiennes pouvait s'attendre à obtenir en louant à long terme cette superficie comme le voulait le club de golf.
Anfield discuta de l'affaire avec Howell. Il lui remit des copies de la lettre de Bethune. Anfield écrivit officiellement à Howell le 16 mai 1957. Il lui demandait son opinion écrite, à savoir si des loyers de $25,000 l'an, pour les premiers 15 ans, étaient [TRADUCTION] «justes et équitables». Il faisait remarquer que pour une location à long terme, de 75 ans, il était concevable que le taux de rendement ne dépasse pas 5%.
On n'a pas fourni à Howell tous les détails de l'offre Shaughnessy. Il ne connaissait pas le para- graphe 6 qui limitait les hausses et les baisses de loyer pour les reconductions de 15 ans à 15% du loyer initial de $25,000, soit à $3,750. On ne lui dit pas non plus que le club de golf voulait obtenir le droit, à tout moment au cours du bail, et même jusqu'à 6 mois après l'arrivée du terme, d'enlever tout bâtiment ou toute amélioration se trouvant sur le terrain.
Je fais une légère digression. L'offre Shaugh- nessy initiale prévoyait que le loyer pour chaque période successive de 15 ans devrait être fixé d'un commun accord. A défaut d'accord, la question serait portée à l'arbitrage. Il n'y avait aucune stipulation dans la proposition du 4 avril, comme dans le bail finalement conclu, prévoyant que, lors de l'arbitrage, le loyer serait fixé comme si le terrain n'avait été ni défriché ni amélioré et ne pouvait servir que de terrain de golf. L'offre Shaughnessy stipulait, si je lis bien, que le loyer ne pourrait être haussé ni abaissé de plus de $3,750 l'an pour chaque reconduction de 15 ans.
Howell répondit à Anfield le 23 mai 1957 (pièce 33). Il avait vérifié les valeurs qu'il avait attribuées aux hautes terres de la réserve. Le véritable test de cette valeur consisterait à offrir la superficie en lotissement sur le marché; on verrait alors quelles offres il en résulterait. Un bail de 75 ans, modifia ble tous les 15 ans, conclu avec un locataire solva ble, éliminait tout facteur de risque. En ce cas, le taux d'alors des obligations gouvernementales, 3.75%, était le mieux que l'on pouvait attendre. Il tentait ensuite de justifier la réduction du taux de rendement à 3%. Il avait parlé au secrétaire du club de golf. On lui avait dit que le club songeait à dépenser $1,000,000 en bâtiments et améliora- tions. Il écrivit: [TRADUCTION] «Ces améliorations reviendront avec le bien-fonds à la fin du bail:. Un club de golf rehaussait la valeur des propriétés environnantes de la réserve. Il ajoutait:
[TRADUCTION] Toutefois, si leur offre est acceptée, le Minis- tère sera dans une position beaucoup plus favorable pour négocier une hausse de loyer dans quinze ans, lorsque le club aura investi un capital considérable, dont il devra assurer la protection, dans la propriété.
Il concluait en exprimant l'avis que le plus sage était d'accepter l'offre du club de golf.
Howell a témoigné au procès. Il a déclaré avoir approuvé en 1957 le taux de rendement de 3% pour les motifs donnés dans sa lettre: le taux des obligations d'alors était de 3.75%; le club de golf ne constituait pas un risque financier; les améliora- tions reviendraient à la bande. En contre-interro- gatoire, il a admis que s'il avait su que les amélio- rations ne reviendraient pas à la bande, il aurait recommandé un taux de rendement de 4 à 6%. Il avait présumé, en donnant son opinion aux fonc- tionnaires locaux des affaires indiennes, que la renégociation du loyer serait fondée sur la condi tion améliorée du terrain et sur le principe du meilleur et du plus rentable usage possible. Il s'est dit choqué de la clause limitative de 15% que l'on retrouvait dans le bail signé.
Howell s'est révélé, à mon avis, un témoin hon- nête. Je considère comme avéré son témoignage tel que rapporté au paragraphe précédent. Je suis convaincu qu'il n'aurait pas exprimé l'avis donné en pièce 33 s'il avait connu tous les faits.
La lettre d'Howell fut envoyée à Ottawa con- jointement avec une demande de préparer les actes
de cession, pour fin de location, qu'on soumettrait à la bande Musqueam. Le 13 juin 1957, le direc- teur des affaires indiennes à Ottawa recommenda au sous-ministre d'accepter l'offre du club de golf. Le directeur était d'avis que le loyer annuel était satisfaisant mais aucun bail ne serait conclu tant qu'une cession acceptable ne serait pas faite par la bande Musqueam. Le sous-ministre donna son approbation.
Le 3 juillet 1957, Bethune envoya les actes de cession et d'autres pièces à Arneil, lui disant qu'il aimerait voir la limite de 15%, stipulée dans l'offre du club de golf, supprimée. Il suggérait de prévoir la fixation des loyers des reconductions de gré à gré ou, à défaut, par arbitrage.
Le 12 juillet, le chef Sparrow et Anfield eurent une conversation. Le chef avait voulu connaître certains chiffres relatifs à l'évaluation de la réserve. Le 16 juillet 1957, Anfield répondit au chef Sparrow (pièce 38). Anfield lui disait que la valeur totale de la réserve était de $1,360,000. Il énonçait les valeurs des différentes catégories de terrains de la réserve et poursuivait:
[TRADUCTION] Les gens du club de golf veulent 162 acres de hautes terres. Cela, à $5,500.00 l'acre, donne une valeur de $891,000.00; or, l'offre de $25,000.00 l'an comme loyer pour les premiers dix ans, au cours desquels le club devra dépenser presque un million de dollars en capital, donne un rendement pour l'investissement de 3%, ce que l'évaluateur considère comme fort élevé pour un tel usage de l'immeuble.
A titre de renseignement, la valeur d'investissement d'un bien- fonds sur lequel on érige de vastes structures varie entre 5 et 6%. Notre évaluateur est formel; un investissement de 3% pour un club de golf, si on se souvient que le terrain alors amélioré reviendra finalement à la bande, constitue un rendement fort satisfaisant.
La mention d'une durée de 10 ans était incor- recte. Lors d'une assemblée du conseil de bande, le 26 juillet, le chef Sparrow fit remarquer que l'offre Shaughnessy était pour une durée de 15 ans. Anfield écrivit une lettre l'erreur était corrigée.
A mon avis, Anfield a exagéré en rapportant l'opinion d'Howell sur le taux de rendement. La bande n'obtint jamais copie de la lettre d'Howell du 23 mai 1957, pas plus qu'elle n'apprit, à l'épo- que, que le club exigeait d'avoir le droit d'enlever les améliorations.
Il y eut une assemblée du conseil de bande le 25 juillet 1957 dans la réserve. M. Anfield présidait.
Au conseil siégeaient le chef Sparrow et la conseil- lère Gertrude Guerin. Il s'agit de la mère du chef actuel, Delbert Guerin. Charles Jr., secrétaire du conseil, était en retard. Anfield dressa le procès-verbal.
Le louage des 162 acres fut discuté en long et en large. Une question épineuse se posait: plusieurs membres de la bande prétendaient avoir construit des améliorations sur la superficie ou ailleurs sur la réserve. Aucun certificat de possession ne leur avait été délivré. C'était une question manifeste- ment épineuse. Plusieurs solutions alternatives furent discutées. Le conseil adopta comme résolu- tion qu'une assemblée générale des électeurs de la bande aurait lieu le 23 août 1957 (cette date fut changée ultérieurement), avec pour objet d'étudier et de voter sur une éventuelle cession à la Cou- ronne des 162 acres.
On discuta encore du projet de bail du club de golf. Les deux conseillers de bande étaient d'avis que les reconductions devraient avoir un terme de 10 ans plutôt que de 15.
Le 9 septembre 1957, le conseil de bande adopta une résolution selon laquelle l'évaluation de la valeur locative, dans le cas du bail proposé, devrait être [TRADUCTION] «révisée et renégociée» avec le club de golf.
Le 27 septembre 1957 eut lieu une autre assem blée du conseil de bande dans la réserve. Le chef Edward Sparrow et les conseillers Gertrude Guerin et William Guerin étaient présents. Repré- sentaient le ministère des Affaires indiennes: Anfield et William Edward Grant. Grant aurait été «responsable de l'agence de Vancouver». Il a témoigné à l'instruction. Il est entré au service de la Direction des affaires indiennes en 1950, à Vanderhoof (C.-B.). A la fin de juin 1957, il a été muté au bureau régional de Vancouver. Il y occu- pait un nouveau poste, celui de directeur suppléant des affaires indiennes. Ces fonctions consistaient à remplacer d'autres surintendants de Colombie-Bri- tannique lorsqu'ils tombaient malades ou partaient en vacances ou s'absentaient pour quelque autre raison. A peu près à la même époque (juillet 1957), M. Anfield a été promu commissaire adjoint des Indiens pour la Colombie-Britannique. Un autre membre du ministère des Affaires indiennes, W. A. Anderson, était lui aussi présent à l'assemblée du conseil.
MM. Harrison et Jackson du club de golf Shaughnessy, ainsi que leur secrétaire, M. Heina, assistèrent aussi à l'assemblée.
Andrew Charles Jr. a pris des notes au cours de l'assemblée.
En présence des représentants du club de golf, le chef Sparrow a demandé un rendement de 5% de la valeur des 162 acres; cela équivalait à environ $44,000 l'an. Le conseiller William Guerin avait effectivement calculé un montant de $44,000 ou $44,550. Les représentants du club de golf s'oppo- sèrent à ce chiffre. On fit lecture de certains extraits de la lettre de M. Howell du 23 mai 1957. D'après les souvenirs de Grant, les paragraphes 4, 5 et 6 furent les seuls extraits lus.
A un moment donné au cours de l'assemblée, on demanda aux représentants du club de golf de sortir. Le conseil de bande et le personnel des affaires indiennes eurent alors une discussion privée. Anfield exprima l'avis que les $44,550 demandés étaient déraisonnables. Après une longue discussion, le conseil de bande accepta le chiffre proposé de $29,000; il recommanderait ce prix à l'ensemble de la bande. On invita les repré- sentants du club de golf à réintégrer l'assemblée. On leur fit part de ce chiffre de $29,000. Ils déclarèrent qu'ils le recommanderaient à leur con- seil d'administration.
Dans son témoignage, William Guerin a déclaré que les conseillers acceptèrent ces $29,000 parce qu'ils croyaient comprendre que la durée du pre mier bail serait de 10 ans et que le loyer serait renégocié tous les 5 ans; le conseil pensait pouvoir obtenir un loyer de 5% sur la valeur subséquente des terrains.
Les souvenirs de Grant de cette assemblée cor respondent pour l'essentiel à la version que je viens de donner. Il y a quelques incompatibilités mineu- res. Il croit se souvenir que le chiffre de $29,000 fut proposé par Anfield. Anfield aurait conseillé au conseil de conclure le bail et, dans 10 ans, d'exiger du club de golf une hausse substantielle. On aurait discuté aussi, d'après lui, d'un plafonnement quel- conque des hausses de loyer, à la demande du club de golf. Le conseil de bande s'y serait opposé; Anfield aurait dit qu'il signalerait leur opinion à ce sujet au ministère des Affaires indiennes. Le
témoignage de Grant, que je reconnais avéré, affirme donc que le conseil de bande a accepté à regret le chiffre de $29,000.
Le dimanche après-midi du 6 octobre 1957, il y eut à la réserve assemblée des membres de la bande. Ce fut ce qu'on a appelé [TRADUCTION] «l'assemblée de la cession». Je ferai ci-après moi aussi usage de cette expression.
Les officiels de la bande présents étaient le chef Edward Sparrow et les conseillers Gertrude Guerin et William Guerin. Anfield présida l'as- semblée. Grant y assistait et prenait des notes. Ses notes auraient été ultérieurement revues par Anfield puis dactylographiées. Charles Jr. a aussi pris des notes au cours de l'instance. Les notes de Charles Jr. et de Grant sont, pour l'essentiel, semblables.
Avant l'assemblée, Anfield avait lui aussi rédigé quelques notes, pour son propre usage semble-t-il, afin de pouvoir mieux expliquer les choses aux membres de la bande.
D'après Grant, Anfield possédait, lors de l'as- semblée, une copie du projet de bail à conclure entre la Couronne et le club de golf. Il croit se souvenir qu'Anfield aurait annoté le projet de bail au cours de l'assemblée. Le projet n'a pas été produit à l'instruction. Il se peut que Grant se soit trompé. Le premier projet de bail produit comme pièce est daté du 17 octobre 1957. Il aurait, sem- ble-t-il, été préparé par les avocats du club de golf. Mais Mc McIntosh, l'avocat en cause, a dit dans son témoignage avoir rédigé un bail en août ou septembre 1957 qui, pensait-il, pourrait servir de base de discussion. Il en aurait discuté soit avec Anfield, soit avec Arneil.
La lecture des notes de Grant et de Charles Jr., ainsi que les témoignages du chef Sparrow, de Charles Jr., de William Guerin et de Grant per- mettent de dire que les renseignements fournis à cette assemblée au sujet des projets de cession et de bail furent les suivants: Le club de golf désirait louer 162 acres d'un terrain dont la valeur était de $5,500 l'acre. L'offre initiale consistait en un bail de 150 acres, à $25,000 l'an; mais comme le club désirait du terrain supplémentaire, une hausse à $29,000 l'an fut obtenue. Le bail durerait 75 ans et serait renouvelable tous les 15 ans. Les propriétai- res de terrains améliorés sis serait situé le
terrain de golf proposé recevraient 50% des loyers; le reste serait partagé entre tous les membres de la bande. Au cours des 10 premières années, les montants s'élèveraient ainsi à $132,400 pour les propriétaires de terrains améliorés et à un montant semblable pour la bande globalement. On fit con- naître à l'assemblée le plafond proposé de 15% sur les hausses de loyer.
Les notes de Charles Jr. indiquent que les recon- ductions proposées devraient être réduites de 15 à 10 ans. Les notes de Grant ne comportent pas d'indications semblables mais elles parlent de mon- tants de $132,400 [TRADUCTION] «au cours des premiers 10 ans» [c'est moi qui souligne].
Les notes de Charles Jr. mentionnent, au sujet du plafonnement à 15% des hausses de loyer, que: [TRADUCTION] «... le gouvernement ne voulait pas de clause d'échelle mobile (limitant la hausse des loyers)». Grant a dit dans son témoignage que les clauses stipulant une durée de 15 ans et le plafonnement de la hausse des loyers ont fait l'objet d'une forte opposition lors de l'assemblée de la cession.
A mon avis, les faits suivants sont clairs; je les considère donc comme avérés:
a) Avant que les membres de la bande ne votent, ceux qui étaient présents ont présumé ou cru comprendre que le bail du club de golf serait, le premier terme excepté, d'une durée de 10 ans, non de 15.
Cela ressort clairement des témoignages du chef Sparrow, de William Guerin, de Charles Jr. et de Grant. Les notes de Charles Jr. et de Grant le corroborent. Les propres notes d'Anfield, antérieu- res à l'assemblée (pièce 50), indiquent: [TRADUC- TION] «... le conseil a demandé des reconductions de 10 ans au lieu de 15». Deux articles dans les journaux publiés le jour qui suivit l'assemblée de la cession, parlent d'un [TRADUCTION] «contrat de 10 ans» (pièce 54) et de [TRADUCTION] «$29,000 pour les premiers 10 ans» (pièce 55). Le chef Sparrow a affirmé dans son témoignage que ce que disaient les journaux, qui lui attribuaient le rensei- gnement, était exact.
Le premier projet de bail produit en preuve (pièce 60), et qui provient des papiers de la défen- deresse, comporte des annotations qui seraient de
la main d'Anfield. On y stipule que le premier terme sera de 15 ans. Annoté dans la marge, on trouve le chiffre «10». Une autre clause parle de reconductions de 15 ans. Une note dans la marge parle de [TRADUCTION] «6 reconductions de 10 ans».
Enfin, à ce sujet, et McIntosh et Harrison se rappellent qu'à un moment donné, au cours d'une discussion avec les fonctionnaires des affaires indiennes, il a été question de reconductions de 10 ans au lieu de 15.
b) Avant que les membres de la bande ne votent, ceux qui étaient présents ont présumé ou cru comprendre qu'il n'y aurait aucun plafonnement à 15% des hausses de loyer.
Les notes d'Anfield antérieures à l'assemblée affirment: [TRADUCTION] «... le Ministère ne désire pas que cela soit inclus . ..». J'ai déjà mentionné les notes de Charles Jr. et le témoi- gnage de Grant à ce sujet. Sur le projet de bail (pièce 60), on lit cette annotation d'Anfield au sujet du plafond de 15%: [TRADUCTION] «ne satis- fait ni le Ministère ni les Indiens».
Aucun renseignement n'a été donné sur le mode de négociation des futures hausses de loyer. La proposition initiale du club de golf (pièce 22), prévoyait simplement que les loyers ultérieurs seraient fixés de gré à gré ou par arbitrage.
Je suis convaincu qu'au moment du vote le personnel des affaires indiennes et la bande s'oppo- saient à tout plafonnement du loyer à 15%; la bande a voté parce qu'elle croyait qu'il n'y aurait pas de plafond.
c) Il n'a pas été divulgué à l'assemblée que le club de golf proposait d'avoir le droit, à tout moment au cours du bail et, après son terme, pendant six autres mois, d'enlever tout bâtiment ou structure et toute amélioration et installation y érigés.
Le chef Sparrow, William Guerin et Charles Jr. ont tous déclaré dans leur témoignage qu'ils croyaient avoir compris d'après ce que leur avait dit Anfield, soit lors de l'assemblée de la cession, soit lors d'une assemblée du conseil, que toutes les améliorations, à l'arrivée du terme du bail, revien- draient à la bande. Grant a déclaré dans son
témoignage qu'on avait affirmé à l'assemblée de la cession que la bande pouvait conserver toutes les améliorations apportées au terrain de golf.
Je passe maintenant à un autre sujet.
On a aussi dans les témoignages mentionné deux autres conditions qui se retrouvèrent dans le bail finalement signé le 22 janvier 1958 (pièce 78).
La première concernait la fixation des loyers futurs. A défaut d'accord, la question devait être soumise à l'arbitrage. Le nouveau loyer serait le juste loyer du terrain comme s'il n'avait été ni défriché ni amélioré et servait comme club de golf. L'autre condition accordait au club de golf un droit de résiliation du bail au terme de chaque période de 15 ans sous la simple condition d'un préavis de six mois. Aucune clause semblable n'était stipulée en faveur de la Couronne.
Ces deux points n'ont pas été, je le constate comme avéré, commentés lors de l'assemblée de la cession. Ils n'apparaissent pas dans le projet initial du club de golf (pièce 22). On les trouve pour la première fois dans les projets de baux rédigés après l'assemblée de la cession. Mais ces deux conditions n'ont pas été, par la suite, soumises au conseil de bande, ni à la bande elle-même, afin d'obtenir ses commentaires ou son aval.
Je reviens maintenant à ce qui s'est passé lors de l'assemblée de la cession.
Les actes de cession (pièce 53) furent lus. On stipulait d'abord cession à la Couronne des 162 acres. On stipulait ensuite:
[TRADUCTION] CÉDÉ ledit bien-fonds à Sa Majesté la Reine, ses hoirs et successeurs, définitivement, en fiducie, pour loca tion à celui ou à ceux, et aux conditions, que le gouvernement du Canada jugera les plus favorables à notre bien-être et à celui de notre peuple.
ET sous la condition supplémentaire que tous les loyers perçus pour cette location seront versés à notre crédit dans notre compte en fidéicommis à Ottawa.
Et nous, lesdits chefs et conseillers de ladite bande indienne Musqueam, au nom de notre peuple et en notre nom propre, par la présente, avalisons et donnons notre agrément, et pro- mettons d'avaliser et de consentir, à tout ce que ledit gouverne- ment pourra faire, ou verra à faire faire, licitement, au sujet de ladite location.
Il y a eu vote. Quarante-trois des membres votè- rent. Il y eut 41 votes pour la cession et 2 contre. Il y eut un autre vote au sujet du versement de 50%
du revenu généré aux propriétaires individuels. Vingt-cinq membres votèrent pour et 3 contre.
On remarquera que l'acte de cession (pièce 53), est en termes forts généraux. Les mots importants sont: «en fiducie, pour location». Il n'y a aucune mention du projet de location au club de golf. La position de la Couronne défenderesse, lors de l'in- terrogatoire préalable (Gordon A. Poupore, ques tions 351 à 353) a été qu'une fois les actes de cession signés, la Couronne pouvait louer à qui et aux conditions qui lui semblaient bons. L'avocat de la défenderesse, dans sa plaidoirie, a réitéré cette position.
Le 24 octobre 1957, Anfield écrivit au nom d'Arneil (pièce 63) à Ottawa. Il annexait un projet de bail préparé par les avocats du club de golf. Le projet stipulait 5 reconductions de 15 ans chacune. Anfield disait:
[TRADUCTION] A été discutée avec les Indiens la réduction de cette durée, à 10 ans peut-être. A ce sujet, on doit dire qu'il faudra 3 ans pour aménager les lieux et par la suite le club devra investir un million de dollars en bâtiments et en aména- gements et améliorations du terrain de golf. Il ne semble guère juste d'exiger une révision des loyers, présumément à la hausse, dans un aussi court espace de temps que 10 ans; aussi sommes- nous enclins à recommander une durée de 15 ans comme juste et équitable.
Au sujet de la limite de 15% sur les hausses de loyer, il écrivit:
[TRADUCTION] On remarquera que le projet de bail comporte une clause d'échelle mobile limitant les hausses et les réduc- tions de loyer à 15% du loyer antérieur. Le Ministère, dans sa lettre du 3 juillet 1957, n'est manifestement pas satisfait de l'inclusion de cette clause. Aussi l'affaire fut-elle discutée lon- guement l'été dernier avec les administrateurs du club de golf Shaughnessy. Ceux-ci font remarquer qu'ils ne forment pas une entreprise commerciale mais bien un club, dont le nombre de membres est limité; il est de la plus haute importance que la charge financière globale en cours de bail soit raisonnablement déterminée. Ils s'opposent formellement à la suggestion du Ministère dans la lettre précitée de procéder à la révision des loyers de consentement mutuel et si nécessaire d'avoir recours à l'arbitrage. Une telle façon de faire détruirait, pensent-ils, leur planification globale. Ayant cela à l'esprit, ils produisent l'avis de M. Douglas W. Reeve, que le club a obtenu; copie de ce document est annexée. Ce rapport présenterait les vues de M. Reeve et des administrateurs du club; il mentionne notamment l'importance d'inclure la clause d'échelle mobile, avec le pla- fond de 15%, dans le bail. Les administrateurs insistent dans leur demande au Ministère pour que ce plafond de 15% soit conservé: ils rendront à la bande indienne Musqueam une propriété d'une valeur immense avec ses nombreuses améliora- tions et, rappellent-ils, un facteur primordial de tout le projet
demeure la stabilité financière globale du club qui l'entreprend.
Me McIntosh a dit dans son témoignage que ce plafonnement à 15% des hausses de loyer a été la pierre d'achoppement des négociations avec la Direction des affaires indiennes. La Direction ne voulait pas de cette clause. Le club la désirait pour toutes les reconductions. On arriva à un compro- mis: le plafond de 15% ne jouerait que lors de la première reconduction. Ce compromis, d'après Me McIntosh, fut le résultat d'une rencontre entre Harrison, Jackson et Arneil.
Ni les commentaires apparaissant dans la lettre d'Anfield (pièce 63), ni une copie de la lettre les contenant, ni enfin aucune copie du projet de bail n'ont été remis au conseil de bande ou à la bande.
A dire vrai, les membres de la bande, hormis l'historique des tractations et l'information limitée fournie lors de l'assemblée de la cession, n'ont jamais été consultés.
C'était pourtant leur terrain. C'était leur inves- tissement et leur revenu; leur avenir.
Le 25 novembre 1957 Bethune écrivit à Arneil (pièce 66). Il annexa deux copies d'un projet de bail rédigé à Ottawa. Voici le troisième paragra- phe de la lettre:
[TRADUCTION] Il y a toutefois un point que je voudrais vous voir sérieusement étudier: la stipulation du troisième paragra- phe l'on prévoit la résiliation du bail au terme de chaque période de quinze ans. Cette clause a été retenue simplement pour fin de discussion. Il semble paradoxal qu'un club désirant un bail de soixante-quinze ans insère une clause lui permettant de le résilier après quinze ans. A l'examen, vous vous rendrez compte que les Indiens n'ont rien à perdre même si le bail est résilié après les premiers quinze ans.
La preuve administrée montre qu'une copie de cette lettre fut remise à M. Grant et à Me McIn- tosh, l'avocat du club de golf, mais pas à la bande.
Je me permettrai, à ce stade-ci, le commentaire suivant. La preuve qu'ont administrée les deman- deurs cherche à établir qu'Anfield n'a eu aucune discussion avec le conseil de bande, ni avec la bande, après l'assemblée de la cession. Aucune des pièces ou des lettres échangées entre le club et les affaires indiennes n'a été remise au conseil de bande ou à la bande elle-même. Il y eut des rencontres entre Anfield, Arneil et les dirigeants du club, y compris leurs avocats, au sujet des
conditions du bail. L'avocat supposa que tout ce qui se passait était communiqué à la bande. Ni le chef ni le conseil de bande n'ont été partie à cette discussion ni n'en ont été notifiés.
Je considère fondée la preuve administrée au nom des demandeurs.
Il y a, je pense, trois explications à cela. Aucune n'est disculpatoire. La cession ne stipulait pas expressément qu'on devait louer au club de golf; elle ne précisait pas non plus que le bail ultime, quel que fût le cocontractant, devait être approuvé par la bande ou le conseil de bande. Fort probable- ment aux affaires indiennes, on était d'avis, vu les conditions de la cession, qu'on était libre de négo- cier aux conditions jugées les meilleures, sans avoir à consulter la bande.
Je me permettrai ici une digression pour opposer à la procédure suivie dans le cas des terrains Musqueam les démarches que fit Anfield en 1955 et 1956 dans le cas de la réserve indienne 5 Capilano. Cette réserve appartenait aux Indiens Squamish. Ils cédèrent 67 acres de la réserve. Voici le dispositif de l'acte de cession (pièce 112):
[TRADUCTION] CÉDÉ ledit bien-fonds à Sa Majesté la Reine, ses hoirs et successeurs, définitivement, en fiducie, pour loca tion à celui ou à ceux, et aux conditions, que le gouvernement du Canada jugera les plus favorables à notre bien-être et à celui de notre peuple.
Sous réserve toutefois des conditions suivantes:
Que tous les baux conclus sous le régime de la présente cession seront en contrepartie d'un loyer et aux conditions que le conseil de bande pourra, de moments en moments, approuver par résolution.
Dans ce cas-là, pour louer, on procéda par appels d'offres. La bande rejeta les premières offres. Elle approuva finalement le bail qui fut conclu avec Park Royal Shopping Centre Limited. L'histoire du louage de ces terrains de la réserve indienne 5 Capilano est rapportée dans une note de service de M. Letcher du 13 mai 1960 (pièce 136). Sur ces terrains est aujourd'hui érigé le centre commercial Park Royal bien connu.
On se rappellera au sujet des appels d'offres de location, l'un des premiers rapports d'Anfield au sujet du développement de la réserve Musqueam (pièce 9, par. 3, cité à la p. 391 des présents motifs).
La seconde explication de l'ignorance dans laquelle furent maintenus les Indiens de la bande
après l'assemblée de la cession serait qu'Anfield, en raison d'une promotion, avait assumer des fonctions plus lourdes. La vacance de son ancien poste n'était pas encore comblée. Cela n'eut lieu qu'en décembre 1957, date à laquelle M. J. C. Letcher fut nommé.
La troisième explication est reliée à la première. A cette époque, depuis des années, un grand nombre de fonctionnaires des affaires indiennes entretenait à l'égard des Indiens et de leurs bandes, avec les meilleures intentions du monde, une attitude paternaliste. Les Indiens étaient des enfants, leurs pupilles; on connaissait mieux qu'eux ce qui était bon pour eux. Grant a dit d'Anfield, d'après ce qu'il avait observé de son comporte- ment, qu'il avait cette attitude.
La pratique aujourd'hui, depuis les dix dernières années, contraste avec celle des années 50 et 60; elle a été énoncée dans les témoignages de Poupore et d'autres. On encourage maintenant les bandes à obtenir leurs propres évaluations foncières et avis juridiques; ce n'était pas le cas auparavant. D'après certains des témoignages entendus, que je reconnais fondés, le conseil de la bande Musqueam aurait demandé de pouvoir avoir recours à ses propres évaluateurs et avocats mais Anfield leur aurait dit de laisser cela à la Direction des affaires indiennes. Aujourd'hui, on encourage les Indiens à insérer dans les actes de cession des conditions importantes. Ce n'était pas l'habitude autrefois. On remet maintenant les projets de baux aux bandes indiennes pour étude; ce n'était pas la pratique autrefois. Aujourd'hui, on fournit aux bandes copies des actes intéressant leurs biens- fonds. A l'époque d'Anfield et de Letcher, on n'avait pas l'habitude de remettre aux bandes copies de ces documents; ce n'était pas non plus la pratique de leur donner accès aux archives du Ministère.
Je reviens au louage des terrains de la réserve Musqueam.
La défenderesse accepta par décret, daté du 6 décembre 1957, la cession des terrains. Eurent alors lieu d'autres discussions, qui portèrent sur certaines conditions du bail, entre les avocats du club de golf et le bureau du commissaire aux Indiens de Colombie-Britannique.
Le 9 janvier 1958, il y eut une assemblée du conseil de bande. Le surintendant Letcher était présent; représentaient la bande: le chef Sparrow et les conseillers Gertrude Guerin et William Guerin. Charles Jr. dressa le procès-verbal.
Letcher fit lecture d'une lettre relative au bail du club de golf. Elle indiquait que les reconduc- tions seraient de 15 ans au lieu de 10. Le chef Sparrow fit remarquer que la bande avait demandé des reconductions de 10 ans. Selon Wil- liam Guerin, le conseil fut abasourdi d'apprendre
que la reconduction serait de 15 ans. William Guerin a dit dans son témoignage que Letcher déclara alors que la bande était [TRADUCTION] «prise» avec les reconductions de 15 ans. J'accepte comme avéré le témoignage de Guerin. Le conseil de bande adopta alors une résolution par laquelle il acceptait la première période de 15 ans mais insis- tait pour que les reconductions subséquentes soient de 10 ans. Le bail fut finalement signé le 22 janvier 1958. Aucune copie ne fut donnée à la bande Musqueam ni au conseil.
Voici ci-après les conditions essentielles du bail du 22 janvier 1958:
1. La durée du bail est de 75 ans sauf résiliation antérieure.
2. Le loyer pour les premiers 15 ans est de $29,000 l'an.
3. Pour les 4 reconductions suivantes de 15 ans,
le loyer annuel devra être fixé par accord mutuel ou, à défaut, par arbitrage
[TRADUCTION] ... ce loyer devant être égal au juste loyer des lieux fournis s'ils étaient toujours non défrichés et non améliorés à la date de chaque fixation respective du loyer et en considérant que l'usage que le locataire peut en faire selon le bail est restreint ....
4. La hausse maximale du loyer pour les seconds 15 ans (du 1" janvier 1973 au ler janvier 1988), est limitée à 15% de $29,000, soit $4,350 l'an.
5. Le club de golf peut résilier le bail au terme de toute période de 15 ans en donnant un préavis de 6 mois.
6. Le club de golf peut, à tout moment en cours de bail, et jusqu'à 6 mois après l'arrivée de son terme, enlever tout bâtiment ou autre structure et toute amélioration et installation.
Grant a déclaré que les conditions du bail finale- ment conclu ne ressemblaient que fort peu à celles qui avaient été discutées à l'assemblée de la cession.
Je partage cette opinion.
Le chef Edward Sparrow, William Guerin et Andrew Charles Jr. étaient présents et votèrent à l'assemblée de la cession du 6 octobre 1957. Ils ont déclaré dans leur témoignage qu'ils n'auraient pas voté la cession des 162 acres s'ils avaient connu les conditions définitives du bail intervenu entre la défenderesse et le club de golf.
J'accepte leur témoignage. J'ai constaté qu'il s'agissait de témoins honnêtes et dignes de foi. Leur témoignage n'a pas été sérieusement entaché, à mon avis, par l'après coup.
J'ai déjà énoncé mes constatations au sujet de ce que la bande savait et ne savait pas à l'époque du vote sur la cession. La prépondérance de preuve montre, je pense, que la majorité de ceux qui votèrent le 6 octobre 1957 n'auraient pas consenti à la cession des 162 acres s'ils avaient connu toutes les conditions du bail du 22 janvier 1958.
Je constate qu'il en est ainsi.
Se pose maintenant la question de l'effet en droit des diverses constatations que je viens de faire.
Les demandeurs fondent leur demande sur un breach of trust, ou manquement à une fiducie. Ils soutiennent que la défenderesse était, dans tous les cas et à tout moment, fiduciaire. La défenderesse prétend n'être jamais devenue en fait ni en droit fiduciaire.
Le droit en matière de trusts en général, de fiducies, est succinctement, mais non complète- ment, énoncé dans Underhill's Law of Trusts and Trustees (12e éd. 1970), à la page 3:
[TRADUCTION] Un trust [fiducie] consiste en une obligation d'equity par laquelle une personne (appelée trustee [fidu- ciaire]) doit administrer un bien dont elle assume la garde (qu'on appelle le bien du trust [le bien en fiducie]) au profit de tiers (qu'on appelle bénéficiaires ou cestuis que trust) au nombre desquels elle peut être, et dont tous et chacun peuvent obtenir l'exécution de l'obligation. Tout acte ou négligence de la part du trustee [du fiduciaire] qui n'est pas autorisé ou que n'excusent ni les termes de l'acte de trust [de fiducie] ni la loi, constitue un manquement au trust la fiducie].
La Couronne peut, si elle le désire, agir comme fiduciaire ou trustee. Le vice-chancelier Megarry, dans l'espèce Tito c. Waddell (No 2) 3 a traité de cette question, et de la situation de la Couronne en tant que fiduciaire (trustee) comme suit, aux pages 216 et 217:
[TRADUCTION] Je propose d'examiner immédiatement la situation de la Couronne lorsqu'elle est fiduciaire [trustee], et de laisser de côté la question de savoir ce que l'on entend par la Couronne en ce cas; je dois aussi considérer ce que l'on entend par `trust' [`fiducie']. Le terme est d'usage courant en anglais et, quelle que puisse être la position de la cour, on doit reconnaître qu'il est souvent utilisé dans un sens différent de celui d'une obligation d'equity que sanctionnent les tribunaux. Il peut fort bien arriver souvent qu'on soit dans une position de confiance [trust] sans être fiduciaire [trustee] au sens de l'equity; des expressions telles que 'brains trust' `anti-trust' et `territoires sous tutelle' ['trust territories] qui quoique d'usage fréquent, ne sont pas comprises comme se rapportant à la fiducie que sanctionne une juridiction d'equity. Néanmoins, on peut difficilement nier qu'une fiducie [trust] puisse être créée sans que l'on ait employé le terme lui-même. Il faut à chaque fois s'assurer que dans les faits de l'espèce, selon la bonne interprétation de ce qui a été dit et écrit, une intention suffi- sante de créer une véritable fiducie s'est manifestée.
Lorsqu'on prétend que la Couronne agit comme fiduciaire, les pouvoirs gouvernementaux et les obligations de la Couronne sont un élément d'importance spéciale dont il faut tenir compte; ceux-ci fournissent aussitôt une autre explication que la fiducie. Si de l'argent ou quelque autre bien est dévolu à la Couronne puis est utilisé pour le bénéfice d'un tiers, une explication plausible est que la Couronne est véritablement fiduciaire pour ce tiers. Mais il y a une autre explication; sans avoir la fiducie véritable de ces biens, la Couronne peut néanmoins administrer les biens dans l'exercice de ses fonctions gouvernementales. Cette dernière explication fort possible, qui n'existe pas dans le cas d'un individu ordinaire, rend nécessaire d'examiner avec un plus grand soin les termes et les circonstances qui auraient généré la fiducie [le trust].
En l'espèce, l'avocat du procureur général n'a pas cherché à soutenir que la Couronne ne pouvait jamais être fiduciaire. Il a reconnu entièrement fondé l'arrêt Civilian War Claimants Association Ltd. e. R. ([1932] AC 14, [1931] All ER Rep 432) notamment le commentaire de lord Atkin. Lord Atkin avait dit en cette espèce ([ 1932] AC 14 la p. 27, [1931] All ER Rep 432 la p. 436): `Il n'y a rien que je sache, qui interdise à la Couronne d'agir comme mandataire ou fiduciaire si délibéré- ment elle choisit d'ainsi agir': et, dans l'arrêt Le procureur général c. Nissan ([1969] 1 All ER 629 la p. 647, [1970] AC 179 la p. 223), lord Pearce, fait sien ce commentaire.
Dans l'arrêt Tito, le vice-chancelier Megarry jugea, sur les faits et les pièces de l'espèce, que la Couronne n'était pas vraiment fiduciaire au sens propre, et il cita l'arrêt Kinloch c. The Secretary
3 [1977] 3 All E.R. 129.
of State for India in Council 4 . De cette espèce, il déclara aux pages 220 et 221:
[TRADUCTION] Les faits de cette espèce, évidemment, étaient fort différents de ceux de celle dont je suis saisi. Néan- moins, elle corrobore certains principes et considérations per- tinentes et importantes. D'abord, l'emploi d'un membre de phrase comme `en fiducie pour' [`in trust for'] même dans un acte officiel, tel un mandat royal, ne crée pas nécessairement une fiducie [un trust] que sanctionneront les tribunaux. Comme lord O'Hagan a dit (7 App Cas 619 la p. 630): `Il n'y a rien de magique dans le terme «fiducie» [»trusta]'. En second lieu, le terme `fiducie' [`trust'] peut servir à décrire non seule- ment l'institution que sanctionnera la juridiction compétente en equity mais aussi d'autres relations comme l'exécution, sous les directives de la Couronne, des devoirs ou fonctions attribuables à la prérogative et à l'autorité de la Couronne. Les fiducies [trusts] de la première espèce, familières dans notre Division, sont décrites par le lord Chancelier Selborne, comme des `fiducies au sens figuré' [`trusts in the lower sense']; les fiducies de la dernière espèce, que ne connaît pas notre Division, il les a appelées `fiducies au sens propre' [`trusts in the higher sense'].
Je m'arrête ici. Cette classification des fiducies me semble avoir eu que peu d'impact en doctrine: voir, par exemple, Lewin on Trusts (16' éd. (1964), pp. 10, 13), Underhill on Trusts and Trustees (12e éd. (1970), p. 51), et Halsbury's Laws of England (38 Halsbury's Laws (3e éd.), p. 180). Il y a en vérité une certaine bizarrerie à décrire comme fiducie [trust] une relation que ne sanctionnent pas les tribunaux bien que les prétendues fiducies imparfaites [trusts of imperfect obligation] puissent peut-être fournir un parallèle. Certainement, communément dans les milieux juridiques, on parle de `fiducie' [`trust] pour signifier la relation d'equity que sanctionnent les tribunaux et non quelque relation gouvernementale qu'ils ne sanctionnent pas. J'emploierai donc le terme `fiducie' [`trust'] purement et simplement (ou, pour insister, `fiducie au sens étroit' ['true trust']) pour décrire ce qui, par convention, constitue une fiducie [trust] que sanctionnent les tribunaux ou, pour repren- dre les termes du lord Chancelier Selborne `fiducie au sens propre' [`trust in the higher sense'] pour exprimer l'obligation gouvernementale qu'il a décrite.
Je juge qu'en l'espèce a existé une fiducie légale ou une «fiducie au sens étroit> («true trust») entre la défenderesse et la bande. La Couronne, à mon avis, est devenue fiduciaire le 6 octobre 1957 des 162 acres. La bande indienne était bénéficiaire.
Les actes de cession (pièce 53) eux-mêmes énon- cent expressément que les 162 acres seront cédées à la Couronne «... définitivement, en fiducie, pour location ...». La Loi sur les Indiens prévoit, selon mon interprétation, que la défenderesse peut deve- nir fiduciaire, au sens juridique, des bandes indien- nes. Elle mentionne que la Couronne possède cer- tains biens-fonds pour l'usage et le profit des bandes indiennes et certaines sommes d'argent
4 (1882) 7 App. Cas. 619.
pour leur usage et profit. (Voir les alinéas 2(1)a), h) et o).) L'article 18, par exemple, dispose que les réserves sont détenues pour l'usage et au profit des bandes indiennes. De même, le paragraphe 61(1) mentionne les «deniers des Indiens» que la Cou- ronne détient pour l'usage et le profit des Indiens ou des bandes indiennes. Tout ce qui précède, à mon avis, va dans le sens de l'existence d'une fiducie, que sanctionnent les tribunaux.
En plaidoirie, l'avocat de la défenderesse a tenté de soutenir que s'il existait une fiducie, ce ne pouvait être qu'une [TRADUCTION] «fiducie politi- que» («political trust») que seul le législateur pour- rait sanctionner. Je ne comprends pas exactement ce que l'on entend par «fiducie politique». Le juge Rand, dans l'arrêt St. Ann's Island Shooting and Fishing Club Limited c. Le Roi 5 , se référant à la Loi sur les Indiens, a employé l'expression [TRA- DUCTION] «obligation politique» (»political trust»); à la page 219, il dit:
[TRADUCTION] Je conviens cependant que l'art. 51 requiert un ordre du gouverneur en conseil pour valider une concession de terre indienne. Le libellé de la loi consacre le principe acquis que les autochtones sont, en fait, des pupilles de l'État, dont la subsistance et le bien-être constituent une obligation politique du niveau le plus élevé. Pour cette raison, tout acte qui affecte leurs privilèges doit être marqué au coin de l'approbation gouvernementale, et le gouverneur en conseil commettrait un excès de pouvoir s'il déléguait cette responsabilité au surinten- dant général.
L'avocat des demandeurs s'est opposé à toute argumentation à ce sujet, motif pris que rien n'avait été articulé en ce sens dans les écritures. J'ai autorisé la défenderesse, selon des termes bien précis, à modifier sa défense pour soulever cette question. Mais s'il y avait modification, les deman- deurs devenaient alors en droit d'interroger au préalable le ministre de la Couronne responsable au sujet des faits sur lesquels la défenderesse fonde son argument. La défenderesse a en conséquence choisi de ne pas se prévaloir de cette possibilité de modifier la défense.
Je ne traiterai donc pas plus avant de la défense de «fiducie politique».
Le deuxième point en litige concerne les condi tions de la fiducie.
La défense soutient, s'il y a fiducie légale exécu- toire, que ses conditions sont celles que stipule
5 [1950] R.C.S. 211.
l'acte de cession (pièce 53); la fiducie autoriserait la défenderesse à louer les 162 acres à n'importe qui, pour quelque fin que ce soit et aux conditions que le gouvernement juge les plus favorables au bien-être de la bande indienne. Il n'y aurait aucune obligation de louer au club de golf aux conditions discutées lors de l'assemblée de la cession; la défenderesse n'aurait non plus aucune obligation d'obtenir l'approbation de la bande au sujet des conditions du bail finalement conclu.
Je ne reconnais pas fondé cet argument.
La défenderesse, par le biais de ceux qui se sont occupés de cette affaire à la Direction des affaires indiennes, savait dès le début qu'elle pourrait se trouver dans une position de fiduciaire pour tout terrain éventuellement loué au club de golf. A son assemblée du 7 avril 1957, le conseil de bande adopta la résolution (rédigée présumément par M. Anfield) que voici:
[TRADUCTION] Que nous approuvons la location des terrains non requis de notre réserve indienne 2 Musqueam et, au sujet de la demande du club de golf Shaughnessy, que nous approuvons la soumission à notre bande indienne Musqueam d'actes de cession pour la location de 160 acres environ telles que délimitées, grosso modo, par l'arpentage McGuigan au crayon rouge et que, en outre, nous autorisons la présence de ladite requérante, pour fins d'arpentages uniquement, en vue de ladite cession, lesdits arpentages devant être aux frais et risques de la requérante entièrement.
Comme je l'ai dit, la Couronne savait, à ce stade, qu'elle pouvait devenir fiduciaire. Elle savait que la bande avait l'intention de céder les terrains. La résolution précitée ne parle pas d'une cession sans condition pour location à qui l'on voudra. L'ensemble de la résolution sous-entend que la cession est faite pour location, à certaines condi tions, au club de golf.
La Direction des affaires indiennes, à compter de ce moment, n'a pas, d'après la preuve adminis- trée devant moi, examiné réellement la possibilité de louer les 162 acres à quelque autre partie intéressée. A compter du 7 avril 1957, toutes les discussions avec le conseil de bande se rapportent à la location envisagée de ces terrains au club de golf.
A mon avis, la cession du 6 octobre 1957 a imposé à la défenderesse, en tant que fiduciaire, l'obligation, à compter de cette date, de louer au club de golf Shaughnessy aux conditions suivantes:
a) Une durée globale de 75 ans.
b) Un loyer pour les premiers 15 ans de $29,000.
c) La division des 60 années restantes du bail en six périodes de 10 ans.
d) La renégociation des hausses futures de loyer à chaque reconduction sans clause d'ar- bitrage ni mode d'évaluation du bien-fonds.
e) Aucun plafond de 15% sur les hausses de loyer.
f) Le retour à la Couronne de toutes les améliorations apportées au bien-fonds à l'arri- vée du terme.
La défenderesse, par son personnel et les fonc- tionnaires de la Direction des affaires indiennes, a manqué à ses obligations de fiduciaire. Les 162 acres n'ont pas été louées au club de golf aux conditions que la bande indienne avait autorisées. Des changements substantiels ont été faits comme le montre l'acte de bail définitif. Pour ces change- ments, la défenderesse n'a cherché à obtenir, comme fiduciaire, aucune instruction ni autorisa- tion de la bande indienne bénéficiaire, la cestui que trust. L'approbation de la bande indienne aurait être obtenue. La défenderesse avait l'obligation, par son personnel, de l'obtenir.
J'ai déjà jugé qu'il est plus que probable que les membres de la bande indienne n'auraient pas, s'ils avaient connu toutes les conditions du bail du 22 janvier 1958, cédé les 162 acres.
La défenderesse est donc responsable d'un man- quement à la fiducie.
LES DÉFENSES DE PRESCRIPTION ET DE MANQUE DE DILIGENCE
La défenderesse plaide la défense, si manque- ment à une fiducie il y a, que l'action est tardive; elle serait prescrite par la législation pertinente et par le principe d'équité dit du manque de diligence.
Les demandeurs ont tenté de démontrer que ni la bande indienne ni ses conseillers n'ont connu les conditions véritables du bail du club de golf avant mars 1970.
Andrew Charles Jr. dit dans son témoignage qu'il a demandé au surintendant Letcher, à plu-
sieurs reprises, une copie du bail du club de golf. On lui avait dit que la bande indienne n'avait pas l'autorisation d'obtenir une copie du bail. A cette époque, et jusque vers la fin des années 60, ce n'était pas la pratique à la Direction des affaires indiennes, comme je l'ai rapporté, de fournir copies de ces documents au conseil de bande. Tout ce que le surintendant Letcher a pu dire a été qu'il ne se rappelait pas qu'on lui ait demandé une copie du bail.
Je reconnais comme avérée la preuve adminis- trée par les demandeurs selon laquelle en dépit des demandes de fourniture de copies du bail, ils ne purent en obtenir aucune avant mars 1970. Ce mois-là, le conseiller Delbert Guerin (aujourd'hui chef) aurait discuté généralement du bail du club de golf Shaughnessy avec M. W. G. Allen, un agent préposé à l'utilisation des terres du Minis- tère. M. Allen examina le bail et, le 17 mars 1970, écrivit à Guerin, portant à sa connaissance certai- nes des conditions. Ces conditions, particulière- ment le plafond de 15% sur les hausses de loyer
pour 1973 1988, laissèrent Guerin et les autres incrédules. Plus tard, la bande indienne obtint une copie intégrale.
La défenderesse a tenté d'établir que certains des chefs ou des conseillers de la bande connais- saient, ou auraient connaître, les conditions du bail au moins dès 1963 ou 1964. Il s'agit du témoignage de John F. Ellis.
En 1960, Ellis était dans l'immobilier. Il repré- sentait un consortium qui ultérieurement devint Musqueam Recreations Ltd. Il cherchait à acqué- rir des terrains pour aménager un champ d'exer- cice dit driving range et un terrain de golf à normale 3. Ellis connaissait le chef Edward Spar row depuis plusieurs années. Il s'entretint avec lui. Le chef renvoya Ellis à l'un de ses fils, Willard Sparrow. Ce dernier était à l'époque membre du conseil de bande. Willard Sparrow fut élu chef pour les années 1963 et 1964.
Les négociations entre la bande et Musqueam Recreations Ltd. durèrent plus de trois ans. La bande indienne, à un moment donné, décida de céder le terrain voulu. Étaient en cause (en dernier ressort) approximativement 58 acres. A la de- mande de la Direction des affaires indiennes, on eut recours à des soumissions publiques pour la
location du terrain. D'après Ellis, les appels d'of- fres prévoyaient des reconductions de 10 ans; le loyer serait renégocié à chaque reconduction comme si le terrain n'avait été ni défriché ni amélioré.
En 1963, Ellis et ses conseillers rédigèrent un projet de bail. Auparavant Ellis avait visité le club de golf Shaughnessy. Il obtint une copie du bail du club de golf pour y jeter un coup d'oeil. Il en copia les conditions essentielles. Il assista alors à deux assemblées du conseil de bande, en mars et en avril 1963, au cours desquelles le projet de bail de Musqueam Recreations Ltd. fut discuté par le conseil de bande. Il apporta les projets de baux à ces assemblées.
Ellis estime qu'on discuta, à l'une de ces assem blées, du pourquoi des reconductions de 15 ans du club de golf Shaughnessy alors que la proposition en cause, comme l'énonçaient les avis publics, prévoyait des périodes de 10 ans. Il a admis fran- chement, si on avait vraiment discuté la chose, que cette connaissance des reconductions de 15 ans pouvait fort bien provenir des extraits qu'il avait faits du bail du club de golf Shaughnessy et non de l'un des membres du conseil. Mes notes indiquent qu'il a fait une pause suffisante pour qu'on la remarque avant de répondre à la question qui lui était posée. Je comprends cela. Ces événements se sont passés il y a plusieurs années. Il connaissait les conditions du bail Shaughnessy. Je suppose qu'il a présumé, à l'époque, que la bande indienne et son conseil connaissaient les conditions du bail Shaughnessy. En fait, ils ne les connaissaient pas.
Dans le bail définitif avec Musqueam Recrea tions Ltd., les loyers sont fixés comme suit:
a) Des loyers annuels fixes pour les première, deuxième et huit autres des 10 premières années.
b) Des loyers annuels fixes pour les reconduc- tions décennales subséquentes à négocier; à défaut d'entente, les loyers sont fixés selon les dispositions de la Loi sur la Cour de l'Échiquier.
c) A tout moment, le loyer annuel payable ne saurait jamais être inférieur à 10% du revenu brut du locataire.
Une autre disposition prévoit qu'aucune hausse ou baisse de loyer, pour une nouvelle reconduction
décennale, ne doit dépasser 15% du loyer annuel fixe des 10 années précédentes.
Ellis se souvenait que le conseil de bande avait exigé un plafond de 15% sur les hausses de loyer; selon lui, cela devait aller dans les deux sens; la stipulation précitée fut alors convenue.
Le projet de bail contenait une clause, semblable à celle du bail Shaughnessy, relative à l'enlève- ment des améliorations. Le conseil de bande s'y opposa. Le bail définitif stipule que les améliora- tions reviennent à la Couronne.
En contradiction du témoignage d'Ellis, les demandeurs ont cité Gertrude Guerin, qui a été chef de la bande en 1962, et Robert Point, qui fut conseiller en 1962 et secrétaire en 1963. Le chef Willard Sparrow et John Sparrow (ce dernier, d'après Ellis, avait assisté à certaines des rencon- tres avec Willard) sont morts il y a quelques années. Madame Guerin et Point ont dit dans leurs témoignages qu'au cours des discussions relatives au bail Musqueam Recreations Ltd., aucune men tion n'a été faite par qui que ce soit des conditions du bail Shaughnessy.
J'accepte leur déposition.
M. Ellis a cherché à être honnête dans son témoignage. Mais il a manifestement été influencé par sa connaissance des termes réels du bail Shaughnessy. Le conseil de bande, comme je l'ai dit, n'avait pas cette connaissance. Je ne crois pas que M. Ellis soit exact lorsqu'il se souvient que le conseil de bande a proposé un plafond de 15% sur les hausses de loyer [TRADUCTION] «parce que cela apparaissait dans le bail Shaughnessy». Cette proposition ne pouvait servir leur intérêt. C'était ce à quoi la bande s'était vigoureusement objectée lorsque la proposition Shaughnessy avait été discu- tée à l'assemblée de la cession du 6 octobre 1957 et aux assemblées du conseil de bande qui l'avaient précédée. Je crois que c'est le groupe Musqueam Recreations Ltd. qui proposa le plafonnement des hausses et la bande, le plancher des baisses.
Les demandeurs ont cité d'autres témoins pour tenter de repousser les implications du témoignage de M. Ellis. Certains de ceux-ci avaient été con- seillers et avaient discuté du bail Shaughnessy avec Willard Sparrow avant qu'il ne meure, à la fin des années 60. D'autres siégèrent au conseil de bande
ultérieurement. Tous ont affirmé ignorer la clause de 15%, les reconductions de 15 ans et le droit d'enlever les améliorations, stipulés dans le bail Shaughnessy.
Cette fois encore, je considère fondé le témoi- gnage de ces témoins.
Si les conseillers, au cours des négociations du bail Musqueam Recreations Ltd. avaient appris d'Ellis, ou de quelqu'un d'autre, les conditions du bail Shaughnessy, je suis convaincu que cette information aurait été transmise au fil des ans.
Le témoignage de M. Ellis est, cela se com- prend, vague et imprécis. Je ne puis l'accepter comme preuve qu'en 1963 la bande et les conseil- lers connaissaient les conditions attaquées du bail Shaughnessy.
Je juge que la bande indienne et ses membres n'ont pas connu les véritables conditions du bail Shaughnessy et, en conséquence, le manquement à la fiducie, avant mars 1970.
L'action n'a été engagée que le 22 décembre 1975. Le chef Delbert Guerin, de mars 1970 jus- qu'au moment l'instance a été autorisée, a cherché à obtenir de plus amples informations ainsi que des avis juridiques sur ce qui pouvait se faire. J'accepte cette explication.
Voici la teneur de la défense qui veut que l'ac- tion soit prescrite par la loi: s'il y a eu manque- ment, ou manquements, à la fiducie, cela s'est passé le 22 janvier 1958; l'action devait être enga gée dans les six ans de cette date. La défenderesse invoque la Statute of Limitations de Colombie- Britannique en vigueur avant le l er juillet 1975 6 .
On doit aussi avoir recours au paragraphe 2(11)
de la Laws Declaratory Act 7 :
[TRADUCTION] 2. .. .
(11) Sous réserve de la Trustee Act, toute demande du bénéficiaire d'une fiducie (cestui que trust), contre le fiduciaire, relative à tout bien expressément confié en fiducie, est imprescriptible:
et voici l'article 93 de la Trustee Act 8 :
6 S.R.C.-B. 1960, c. 370.
' S.R.C.-B. 1960, c. 213. Cette loi fut largement modifiée
ultérieurement. Le paragraphe 2(11) n'existe plus dans la
nouvelle loi: la Law and Equity Act, S.R.C.-B. 1979, c. 224.
8 S.R.C.-B. 1960, c. 390.
[TRADUCTION] Protection des fiduciaires
93. (1) Dans toute demande ou autre instance engagée contre un fiduciaire ou son fondé de pouvoir, à moins que la demande ne soit fondée sur le dol ou un manquement frauduleux à la fiducie auquel le fiduciaire est partie, ou qu'il connaît, ou ne soit en répétition des biens confiés en fiducie, ou du produit de leur disposition encore entre les mains du fiduciaire, ou reçus antérieurement par le fiduciaire et détournés à son usage, les dispositions suivantes s'appliquent —
a) Il y a jouissance de tous les droits et privilèges que confère toute législation sur la prescription de la même manière et dans la même mesure que dans le cas le fiduciaire ou son fondé de pouvoir n'aurait été, dans l'action ou l'instance, ni fiduciaire ni fondé de pouvoir:
b) Dans le cas d'une action ou instance en répétition d'une somme d'argent ou de quelque autre bien, en l'absence de prescription légale applicable, le fiduciaire ou son fondé de pouvoir profite, à son gré, dans la même mesure et de la même manière, de la prescription extinctive dont dispose le défendeur à l'action pour enrichissement sans cause mais, néanmoins, la prescription court contre la femme mariée ayant droit à une possession exclusive, avec ou sans restric tion quant à l'éventuel, mais pas contre le bénéficiaire tant que, ou à moins que, son droit n'est pas, ou ne soit, un droit de possession.
(2) Aucun bénéficiaire, auquel on pourrait opposer une bonne défense en vertu du présent article ne saurait obtenir un plus grand ou autre avantage d'un jugement ou ordonnance rendu en faveur d'un autre bénéficiaire que l'avantage qu'il aurait pu obtenir s'il avait engagé l'action ou l'instance et que le présent article ait été invoqué.
(3) Le présent article ne s'applique qu'aux actions ou instan ces postérieures au 1" janvier 1906 et ne prive aucun exécuteur testamentaire ni administrateur des droits ou défenses que lui confère toute législation sur la prescription.
L'article 93 fut abrogé, avec prise d'effet le l et juillet 1975 lorsque la nouvelle Limitation Act de Colombie-Britannique 9 entra en vigueur.
Je rejette le moyen de défense selon lequel l'ac- tion est prescrite.
Lorsqu'il y a dol ou qu'on a frauduleusement caché l'existence d'un droit d'action, la prescrip tion ne commence à courir qu'à compter de la découverte du dol, ou du moment où, avec dili gence raisonnable, on aurait le découvrir: Massie & Renwick Ltd. c. Underwriters' Survey Bureau, Ltd.'°; Nesbitt, Thomson & Co. Ltd. c.
9 S.R.C.-B. 1979, c. 236.
10 [1940] R.C.S. 218, le juge en chef Duff, à la p. 244. Voir aussi le commentaire du juge Maclean au procès: [1938] R.C.É. 103 aux pp. 126à 128.
Pigott"; Taylor c. Davies 12 ; Eddis c. Chichester Constable".
La fraude invoquée pour interrompre le cours de la prescription n'a pas à être équivalente au dol du
droit civil au sens de tromperie ou de fraude
morale. La fraude d'équité suffit. Dans Kitchen c. Royal Air Force Association 14 , la mort du mari de la demanderesse lui procurait un droit d'action. Elle constitua procureur. Ils n'engagèrent pas l'ins-
tance avant que la prescription extinctive applica ble n'ait été acquise. Subséquemment, la compa-
gnie défenderesse en l'instance effectua un paiement ex gratia. Les avocats ne déclarèrent pas à la demanderesse ce paiement. Ils ne lui dévoilè- rent pas non plus leur conduite. Elle ne découvrit le fond de l'affaire que quelques années plus tard. Elle engagea alors une action contre les avocats pour négligence, six ans après la perpétration des prétendus actes de négligence des avocats. Les avocats invoquèrent la prescription extinctive.
Lord Evershed, M.R., en confirmant le juge- ment du juge du fond, lequel disait que la dissimu lation ou la non-révélation des faits avait suspendu le cours de la prescription, déclara aux pages 572 et 573:
[TRADUCTION] Une conséquence logique de la dissimulation fut, comme ils auraient le comprendre s'ils avaient songé à la question ne fût-ce qu'un instant, que cela constituait une dissimulation aussi à l'égard de la demanderesse de l'effet réel d'avoir jeté aux orties j'utilise cette expression à dessein—le droit d'action que lui conférait la Fatal Accidents Acts en mai dernier. Cette dissimulation équivaut-elle à un dol? Je répète qu'on ne constate aucune et que rien ne justifie de constater qu'il y a eu malhonnêteté au sens ce terme est habituelle- ment entendu. Mais il est maintenant clair que le terme «dol» qu'emploie l'article que je viens de lire n'est nullement limité à la fraude ou au dol de common law. De même, il est clair, quand on a à l'esprit l'espèce Beaman c. A.R.T.S. Ltd. ([1949] 1 K.B. 550; 65 T.L.R. 389; [1949] 1 All E.R. 465, C.A.; infirmant 64 T.L.R. 285; [1948] 2 All E.R. 89), qu'aucun élément de turpitude morale n'est nécessaire pour démontrer qu'il y a dol aux termes de l'article. Ce qui s'entend par fraude d'équité, lord Hardwicke n'a pas tenté de le définir il y a 200 ans, aussi ne tenterai-je certainement pas de le faire mainte- nant, mais il est, je pense, clair que le terme vise une conduite qui, lorsqu'une relation spéciale s'est établie entre les parties concernées, est fort peu scrupuleuse de la part de l'une envers l'autre.
" [1941] R.C.S. 520 aux pp. 523 et 530.
12 [1920] A.C. 636 aux pp. 648 653 (C.J.C.P.).
13 [1969] 2 Ch. 345 (C.A.), lord Denning, M.R., aux pp. 355 et 356.
14 [1958] 1 W.L.R. 563.
et, à la page 574:
[TRADUCTION] Présumant, comme je le fais, que la deman- deresse était la cliente des appelants, elle avait droit de s'en remettre à eux pour voir à ses intérêts et je pense que c'est en surprenant cette confiance qu'ils ont fait ce qu'ils ont fait en octobre et en novembre, lui dissimulant les faits qui, une fois connus sans doute, auraient mis en lumière quels étaient ces véritables droits contre eux. Donc, quoique j'aie fort hésité sur cet aspect de l'affaire, tout compte fait, j'en suis venu à la conclusion que la demanderesse est parvenue, de justesse, à établir en l'espèce ce qu'il fallait pour permettre de constater une dissimulation frauduleuse de la part des appelants, ce qui leur interdit de lui opposer la prescription extinctive.
Les principes de l'espèce Kitchen ont été approu- vés dans l'affaire Joncas c. Pennock 15 et Zbryski c. La ville de Calgary 16 .
La conduite du personnel de la Direction des affaires indiennes en l'espèce équivaut, à mon avis, à une fraude d'équité. Il n'y a pas eu, comme le soutiennent les demandeurs, fraude au sens de dol, de malhonnêteté ou de turpitude morale de la part d'Anfield, d'Arneil et d'autres. Mais le fait de ne pas revenir devant la bande ou le conseil après le 6 octobre 1957 pour faire avaliser les conditions proposées du bail a constitué, compte tenu de tout ce qui s'était passé, une conduite «... fort peu scrupuleuse de la part de l'une envers l'autre». Il y a eu dissimulation équipollente à la fraude d'équité. Quant aux explications données de cette carence à ne pas revenir devant la bande indienne, j'en ai déjà traité. Je répète toutefois mon com- mentaire: «Aucune n'est disculpatoire».
Je constate aussi qu'il n'y a pas eu, dans les circonstances, absence de diligence raisonnable de la part de la bande et de son conseil dans leur évaluation des conditions du bail du club de golf. J'ai déjà décrit l'attitude paternaliste et protection- niste de la Direction des affaires indiennes par le passé et sa pratique à l'égard des papiers et archi ves relatifs aux affaires des bandes indiennes. En l'espèce, la bande Musqueam n'avait aucune raison de croire qu'un bail comportant des condi tions différentes de celles qu'on leur avait laissé croire avait été conclu. La première reconduction n'arrivait qu'en 1973. C'est une discussion, due semble-t-il au hasard, entre Delbert Guerin et Allen qui jeta la lumière, en 1970, sur le véritable état des affaires.
15 (1962) 32 D.L.R. (2') 756 (C.S., l ère instance et appel, Alb.).
16 (1965) 51 D.L.R. (2 e ) 55 (C.S., 1 ère instance, Alb.).
La défenderesse fait valoir la Limitation Act de Colombie-Britannique (précitée) entrée en vigueur le 1°" juillet 1975. L'avocat de la défenderesse, au cours de sa plaidoirie, a exprimé l'avis que l'an- cienne loi, et non la loi de 1975, s'appliquerait. Mais la plaidoirie ne fut pas retirée.
Si la nouvelle loi s'applique, la prescription, à mon avis, ne commence à courir en vertu de l'article 6 que beaucoup plus tard. Voici les dispo sitions pertinentes:
[TRADUCTION] 6. (1) Contre le bénéficiaire, la prescription prévue par la présente loi court
a) dans le cas d'une action fondée sur la fraude ou un manquement frauduleux à une fiducie à laquelle le fiduciaire a été partie ou complice; ou
b) dans le cas d'une action en répétition de biens en fiducie, ou du produit de leur disposition, en possession d'un fiduciaire, ou qu'un fiduciaire a reçus préalablement et a convertis à son propre usage,
du moment celui-ci a connaissance de la fraude, du manque- ment frauduleux à la fiducie, de la conversion ou des autres agissements du fiduciaire qui fondent l'action.
(2) Dans le cas du paragraphe (1), c'est au fiduciaire qu'il appartient d'établir le moment à compter duquel la prescription commence à courir.
(3) Contre le demandeur, la prescription que prévoit la présente loi ne court
h) dans le cas d'une action pour manquement à une fiducie non prévu au paragraphe (1),
qu'une fois connue l'identité du défendeur et reconnu que les faits, qu'il a les moyens de connaître, sont tels que l'homme raisonnable les connaissant, et ayant obtenu les avis que son pareil chercherait à obtenir à leur égard, considère qu'ils montrent que
i) une action sur ce fondement aurait, mise à part la prescription extinctive, de bonnes chances de succès; et
j) celui dont les moyens de connaître sont en cause devrait, dans son propre intérêt, et prenant cette circonstance en compte, être à même d'engager une action.
(4) Pour les fins du paragraphe (3),
a) «avis» quant aux faits, s'entend de l'avis de personnes compétentes dans leur domaine respectif que ce soit quant à leur aspect médical, juridique ou autre, selon le cas;
b) sont assimilés à des «faits»,
(i) l'existence d'une obligation dont le défendeur est débiteur envers le demandeur; et
(ii) l'inexécution d'une obligation qui a causé un préju- dice ou un dommage au demandeur;
c) celui qui se fonde sur le droit ou le titre d'un ayant cause est réputé avoir les connaissances ou les moyens de
connaître qu'avait cet ayant cause avant de transmettre ce droit ou ce titre;
d) la cour tient compte, à son gré, de la conduite et des déclarations du de cujus dont la connaissance ou les moyens de connaître sont en cause.
(5) C'est celui qui invoque la suspension de la prescription qui a la charge d'établir qu'elle n'a couru que comme le prévoit le paragraphe (3).
D'après la preuve qui m'a été administrée au sujet de la dissimulation, de la découverte de la fraude, des moyens de la connaître et de la dili gence exercée (que j'ai déjà soulignée), les deman- deurs sont, à mon avis, parvenus à se placer dans le champ que couvre le paragraphe 6(3).
Reste la conclusion de manque de diligence.
Les demandeurs, dit-on, ont trop tardé; ils con- naissaient, ou sont présumés avoir connu, dès 1958, ou peu après, leur dommage; leur retard à poursuivre porte préjudice à la défenderesse. Ce préjudice, c'est d'abord et avant tout, a-t-on sou- tenu au nom de la défenderesse, les conséquences de la mort de M. Anfield. On ne peut plus par son témoignage réfuter les prétentions des deman- deurs.
Anfield mourut le 23 février 1961. Les deman- deurs auraient pu, si le 23 janvier 1958 ils avaient connu les faits véritables, attendre au moins jus- qu'en janvier 1964 pour engager l'action. L'argu- ment du préjudice causé par la mort d'Anfield perd de ce fait une grande part de sa force. M. Arneil mourut en 1971. Il aurait sans doute été cité comme témoin si l'action avait été instruite avant sa mort. Mais il n'a pas joué le rôle-clé qu'a joué Anfield lors des tractations avec la bande indienne et le conseil. Comme je l'ai déjà dit auparavant dans les présents motifs, j'ai gardé à l'esprit qu'Anfield n'est plus pour présenter ce que la Couronne appelle l'autre version des faits. Mais je ne considère pas comme avéré, si Anfield et Arneil avaient été vivants, qu'ils auraient effec- tivement donné une autre version.
Cette médaille a son revers; certains membres de la bande indienne, que j'ai mentionnés, sont eux aussi morts avant l'instruction. Nul doute, d'autres membres de la bande, morts aussi depuis janvier 1958, auraient pu apporter leur témoignage.
Le droit, quant à l'opération et à l'effet de la doctrine de l'obligation de diligence est, je pense, adéquatement énoncé dans Halsbury's Laws of England 17 , au paragraphe 1476:
[TRADUCTION] 1476. Défense de manque de diligence. L'équité exige du demandeur qu'il engage sa demande sans retard indu. C'est le principe que sous-tend la notion de prescription extinctive: vigilantibus et non dormientibus lex succurrit. Une juridiction d'equity ne ranime pas la demande quand le demandeur a dormi sur son droit et a acquiescé pendant longtemps. On dit alors que son manque de diligence le lui interdit.
et, au paragraphe 1477:
[TRADUCTION] Pour décider si le retard équivaut à un manque de diligence, les principaux points à considérer sont (1) l'acquiescement de la part du demandeur, et (2) tout change- ment intervenu dans la situation du défendeur. Acquiescer en ce sens ne signifie pas ne pas s'opposer à la violation d'un droit mais donner son agrément une fois qu'a eu lieu la violation et que le demandeur en a eu connaissance.
et encore, au paragraphe 1478:
[TRADUCTION] 1478. L'acquiescement en tant qu'élément du manque de diligence. Le principal élément du manque de diligence, c'est l'acquiescement, aussi parfois celui-ci a-t-il été décrit comme la seule fin de non-recevoir d'equity due à l'écoulement du temps. L'acquiescement implique que celui qui acquiesce connaît ses droits et est à même de se plaindre de leur violation.
Ainsi l'acquiescement est fonction de la connaissance, de la capacité et de la liberté que l'on a. Quant à la connaissance que l'on a, on ne peut acquiescer aux prétentions des autres à moins de connaître parfaitement son droit de les contester. Le deman- deur qui ignore son droit d'action par la fraude du défendeur, ne manque de diligence que lorsqu'il découvre la vérité ou est présumé l'avoir découverte. Il n'est pas nécessaire toutefois que le demandeur ait connu le recours exact dont il jouissait; il suffit qu'il ait eu connaissance des faits générateurs du recours. Quant à la capacité, le mineur ou l'aliéné mental ne peuvent acquiescer ni manquer de diligence.
et, au paragraphe 1480:
[TRADUCTION] 1480. Modification de la situation du défen- deur. Doit aussi être pris en compte tout changement de situation du défendeur intervenu par suite du retard du deman- deur à engager l'action. Cela peut se produire, par exemple, parce que le retard a fait qu'il ne dispose plus des preuves nécessaires pour se défendre de la demande. La juridiction d'equity ne permettra pas qu'on fasse valoir une créance inac tive alors que les moyens de s'en défendre, si d'aventure elle se révélait sans fondement, n'existent plus.
et enfin, au paragraphe 1481:
[TRADUCTION] Outre la prescription légale, le temps par lui-même ne saurait être opposé à l'action mettant en cause une
17 Vol. 16 (4' éd.). Voir aussi Snell's Principles of Equity (27' éd. 1973), p. 35.
fiducie expresse. Le temps ne peut être opposé à certains cas de manquement à une fiducie, quoique, lorsqu'il n'y a pas pres cription extinctive légale, à l'action pour manquement à une fiducie, comme à tout autre recours d'equity, on puisse opposer l'acquiescement, qu'il s'agisse de l'assentiment donné au man- quement ou d'une ratification subséquente, ou encore de cir- constances autres qui, ajoutées au retard, rendent inéquitable d'accueillir l'action.
J'ai déjà jugé que la conduite du personnel de la Direction des affaires indiennes équivalait à une fraude en equity et que les demandeurs n'ont eu connaissance, effectivement ou par interprétation, des conditions véritables de location du terrain de golf qu'en mars 1970; on ne peut dire des deman- deurs, d'après la preuve administrée et les faits de l'espèce, qu'ils ont manqué de diligence en ne parvenant pas à découvrir plus tôt les conditions du bail. J'ai aussi traité du prétendu préjudice qu'aurait subi la défenderesse du fait que la pour- suite n'a pas été intentée avant 1975. J'ai jugé non fondé ce moyen.
Tout cela, à mon avis, fait que les demandeurs échappent à la doctrine d'equity du manque de diligence. Je ne vois ici aucune iniquité à faire droit à la demande des demandeurs. La défende- resse—en pratique les concitoyens des deman- deurs—n'a pas été incitée, par quelque retard, à changer d'attitude.
La défense de manque de diligence échoue donc.
Dans sa plaidoirie, l'avocat de la défenderesse a demandé que celle-ci soit, vu les faits, exonérée de toute responsabilité personnelle pour le manque- ment à la fiducie. L'article 98 de l'ancienne Trus tee Act a été cité ' 8 . Cet article reprend essentielle- ment les termes de l'actuelle Trustee Act 19 , que voici:
[TRADUCTION] 98. Le tribunal, s'il est d'avis que le fidu- ciaire, indépendamment de son mode de nomination, est ou pourrait être tenu personnellement responsable du manquement à la fiducie, alors que l'opération qu'on prétend qualifier de manquement à la fiducie a eu lieu, bien qu'il ait agi honnête- ment et raisonnablement, et qu'on doive en toute justice ne pas lui tenir rigueur de ce manquement ni de n'avoir pas cherché à obtenir des directives du tribunal à ce sujet, peut, en tout ou en partie, ne pas retenir la responsabilité personnelle du fiduciaire.
La juridiction en cause ici, dans la nouvelle loi comme dans l'ancienne législation, c'est la Cour
18 S.R.C.-B. 1960, c. 390.
19 S.R.C.-B. 1979, c. 414.
suprême de Colombie-Britannique. Cette disposi tion ne peut donc attribuer à notre juridiction cette compétence de grâce.
Même si notre juridiction avait cette compé- tence, dans les circonstances, je n'accorderais pas, ne fût-ce qu'en partie, ce moyen à la défenderesse. Le personnel de la Direction des affaires indiennes, en contractant le bail du club de golf, a agi, à mon avis, honnêtement. Il n'y a pas eu malhonnêteté délibérée ni volontaire envers la bande indienne. Mais le personnel et, en dernier ressort, la défende- resse, n'ont pas agi en bon père de famille en signant un bail sans se représenter d'abord devant la bande indienne. Je ne puis voir ce qui, en toute justice, pourrait excuser la défenderesse.
LES DOMMAGES
Je juge donc qu'il y a eu, de la part de la défenderesse, un manquement à la fiducie qu'elle avait acceptée.
J'ai aussi jugé qu'il est probable que la bande indienne, si elle avait connu les conditions du bail du 22 janvier 1958, n'aurait pas voté le 6 octobre 1957 pour céder les terrains en location au club de golf.
Ce qui pose la question extrêmement difficile des dommages-intérêts. De nombreuses preuves, au cours de cette instruction fort longue, ont été administrées à ce sujet. La plupart l'ont été par des experts en différents domaines.
La mesure du dommage, c'est la perte réelle que les actes ou omissions ont causé au patrimoine confié en fiducie: Fales c. Canada Permanent Trust Co. 20 Les demandeurs ont:
[TRADUCTION] ... droit d'être replacés dans la même situa tion, autant que faire se peut, que s'il n'y avait pas eu manque- ment à la fiducie. Tout mode de preuve portant sur cette question est admissible. 21
L'un des points les plus difficiles de l'espèce se pose, compte tenu des faits constatés, au début même de l'instruction sur le dommage. Si les demandeurs n'avaient pas accepté le bail du 22 janvier 1958, que se serait-il passé?
20 [1977] 2 R.C.S. 302, le juge Dickson à la p. 320.
21 Toronto-Dominion Bank c. Uhren (1960) 32 W.W.R. 61 (C.A. Sask.), le juge d'appel Gordon à la p. 66. Voir aussi le juge d'appel Culliton à la p. 73.
Plusieurs éventualités étaient possibles; certaines ont été esquissées dans la preuve administrée, d'autres, dans les plaidoiries; d'autres encore sont possibles.
Ainsi, bien qu'on n'en ait pas parlé, ni lors de l'administration de la preuve, ni en plaidoiries, les Indiens, par l'intermédiaire de la Direction des affaires indiennes, et le club de golf auraient pu poursuivre les négociations pour finalement en arriver à un accord. La défenderesse a cité MM. McIntosh, Jackson, Harrison, Pipes et Gillespie. J'appellerai ces témoins, comme groupe, les témoins du club de golf. Je conclus de leurs témoi- gnages qu'il est fort peu probable que le club de golf ait accepté la suppression du plafond de 15% imposé aux hausses de loyer pour la seconde recon- duction de 15 ans, ou toute réduction de durée de 15 à 10 ans. Je crois qu'il est aussi fort peu probable, d'après le témoignage de McIntosh, que le club de golf ait abandonné la clause lui donnant le droit d'enlever les améliorations au terme, quel qu'il soit, du bail. Je ne crois pas non plus que le club de golf aurait accepté une renégociation du bail, ou un arbitrage, sur la base du meilleur et plus rentable usage du terrain.
J'écarte donc toute évaluation du dommage qui serait fondée sur le genre de location au club de golf qu'aurait jugée favorable la bande indienne, par opposition au bail actuellement en vigueur.
Le principal témoin des demandeurs au sujet du dommage fut M. A. G. Oikawa. Il est évaluateur foncier et conseiller en matière d'évaluation fon- cière, d'études de marché et de faisabilité.
La défenderesse, au sujet de l'évaluation des 162 acres, a cité MM. W. Palmer, K. W. Behr et D. D. Davis.
M. Palmer est directeur de la division de l'éva- luation foncière de Vancouver de A. E. Lepage Western Limited. Il est aussi vice-président princi pal et évaluateur en chef pour les opérations nationales d'évaluation de cette organisation. Behr est un évaluateur au service de cette même organi sation. Davis est un évaluateur foncier d'expé- rience. Il est dans l'immobilier au service de Ker & Ker Ltd. depuis plus de quarante ans. Cette société est une des sociétés immobilières les plus impor- tantes de Vancouver.
Oikawa, Palmer, Behr et Davis ont été tous du même avis sur un point fort important: les 162 acres étaient, en 1957 et 1958, et sont encore, un immeuble résidentiel de la ville de Vancouver de premier ordre. Tous les quatre s'entendent pour dire que le meilleur usage, l'usage le plus rentable de cet immeuble, en 1958 comme maintenant, serait d'en faire un terrain résidentiel, non un terrain de golf.
Mais Oikawa et les trois autres cessent de s'en- tendre lorsqu'il s'agit de la mise sur le marché de l'immeuble en 1958, si on garde à l'esprit que le terrain ne pouvait qu'être loué et non vendu.
D'après Oikawa, le terrain aurait être loti pour recevoir des habitations résidentielles unifa- miliales louées d'avance pour 99 ans. Il envisageait environ 438 lots. Il pensait qu'on aurait pu les commercialiser en cinq ans. Il reconnaissait qu'il ne se faisait aucune location de ce genre à Vancou- ver en 1958. Le concept d'un bail payable d'avance de 99 ans n'était pas toutefois inconnu. Mais pas dans l'immobilier à Vancouver en 1958. Oikawa pensait, d'après ses recherches, d'après aussi les conditions économiques et la demande de lots rési- dentiels, que ces 162 acres auraient pu être loties à partir de 1958 de la façon que je viens de décrire brièvement.
Les trois évaluateurs cités par la défense ne partageaient pas cette opinion. Ceux-ci pensaient que le terrain ne pouvait être loti et loué à l'avance pour 99 ans. A leur avis, le bail intervenu avec le club de golf était à l'époque ce que l'on pouvait faire de mieux; la Direction des affaires indiennes avait eu raison de conclure le bail en vigueur.
D'après certaines des preuves administrées devant moi, certaines personnes s'étaient dites intéressées en 1957 et en 1958 par les terrains de la bande indienne pour faire un lotissement domi- ciliaire, même si c'était pour louer seulement. Le témoin Kelly avait préparé un plan pour le terrain des Musqueams pour le personnel de la Direction des affaires indiennes. J'ai déjà mentionné ce témoignage. Toutefois, ces plans n'avaient pas l'envergure que leur donne Oikawa dans son témoignage. Il y a eu quelques propositions, au cours de ces mêmes années, pour un aménagement domiciliaire et l'érection de maisons à apparte- ments lorsque des appels d'offres ont été faits pour
la location du terrain de la réserve indienne 5 Capilano.
Les University Endowment Lands (U.E.L.) étaient, et sont encore, pour ainsi dire contigus à la réserve Musqueam. En 1956, un rapport, appelé le rapport Turner, avait été rédigé et soumis, vers la fin de l'année, au gouvernement de Colombie-Bri- tannique de l'époque. Des extraits de ce rapport ont été produits (pièce 179). Il recommandait le lotissement d'une grande portion des U.E.L. pour des habitations unifamiliales ou d'usage divers, avec des centres commerciaux et d'autres installa tions. L'aménagement proposé devait reposer sur la location à long terme.
Robert P. Murdoch a témoigné pour les deman- deurs. Il est maintenant président directeur géné- ral des U.E.L. Il est entré au service de l'organisa- tion le 1" juillet 1956 comme président directeur adjoint. Après la parution du rapport Turner, un grand nombre de personnes intéressées à acquérir des lots ou des habitations se sont adressées à lui et à son personnel. La plupart ignoraient le concept de location à long terme mais, lorsqu'on leur a expliqué, elles ont persisté à se dire intéressées. Le personnel a conservé les noms de ceux qui, si le rapport Turner devenait réalité, avaient laissé entendre qu'ils pourraient se porter acquéreurs. Malheureusement, ce dossier a été égaré. Murdoch prétend qu'il y avait un nombre important de locataires éventuels. C'est dans la deuxième moitié et vers la fin des années 50 qu'on manifesta le plus d'intérêt à cet égard. Il n'y aurait eu aucune difficulté, si le rapport Turner s'était matérialisé, à lotir deux à trois cents lots par an jusqu'à épuise- ment des terrains.
J'ai déjà jugé qu'un bail avec le Shaughnessy Heights Golf Club n'aurait pu être conclu aux conditions approuvées par la bande indienne en octobre 1957:
a) $29,000 l'an pour la première période de location;
b) reconduction renégociée tous les 10 ans sans aucune restriction sur la façon d'évaluer le terrain;
c) aucun plafonnement de 15% des hausses de loyer pour la deuxième reconduction de 10 ans;
d) retour à la bande indienne en cas de résilia- tion ou au terme du bail de toutes les améliorations.
Trois études de rentabilité, prenant pour base une location comme terrain de golf, m'ont été fournies: par Oikawa, par Davis et par Behr.
Oikawa a d'abord fixé la valeur sur le marché des 162 acres, à diverses époques, en fonction d'un lotissement pour location résidentielle, payable d'avance, de 99 ans. D'après ses travaux, 6% cons- tituait, en 1958, un taux de rendement raisonna- ble. Il obtenait un rendement économique, pour le 22 janvier 1958, de $97,080 l'an. Les demandeurs évidemment opposent ce chiffre aux $29,000 effec- tivement versés pour les premiers 15 ans.
Davis a suivi une démarche quelque peu diffé- rente. Elle est, comme il l'a dit, théorique, cela se comprend. D'après lui, le terrain n'aurait pu être loué à long terme sur le marché. Pour arriver à ces chiffres, il calcula la valeur, à différentes dates, des propriétés. Il réduisit alors ce chiffre puisque les terrains devaient être loués et non vendus. Pour 1958, il eut recours au même pourcentage de rendement économique qu'Oikawa: 6%. Cela don- nait, selon sa méthode, $61,460 l'an.
Davis procéda à une autre évaluation. Il estima la valeur sur le marché des 162 acres, à différentes époques, en considérant que le meilleur et le plus rentable usage était comme terrain de golf. Il débuta avec le loyer initial de $29,000 l'an du bail en vigueur. Il évalua la valeur annuelle du loyer, comme terrain de golf, à différentes dates comme suit:
1958: $ 29,000
1968: 99,630
1973: 194,820
1978: 372,000
Voici les estimations de loyers d'Oikawa fondées sur sa méthode, décrite ci-dessus:
1958: $ 97,080
1968: 231,750
1973: 615,740
1978: 1,428,300
Behr a reconnu valide le loyer de $29,000 l'an pour 1958. Il s'est servi du taux d'intérêt selon la Loi nationale sur l'habitation, de l'indice des prix à la consommation, de l'indice synthétique des salaires hebdomadaires des industries et des salai- res de l'industrie de la construction pour démon- trer la tendance à la hausse dans les prix de 1958 à 1978. Il a calculé les hausses pondérées en fonction
de l'année de base et s'en est alors servi pour établir le rendement économique normal des années subséquentes. Voici ces résultats:
1958: $ 29,000
1968: 63,800
1973: 69,310
1978: 103,440
Toutes ces évaluations indiquent une même con clusion, que Davis a décrite ainsi:
[TRADUCTION] Sachant, ce que nous savons aujourd'hui, la hausse considérable des terrains et les taux d'intérêt élevés, nous pouvons démontrer, en nous fondant sur les années 1968, 1973 et 1978, que le loyer convenu avec le Shaughnessy Heights Golf Club était beaucoup trop bas. Toutefois, en 1958, nous ignorions ces faits; aussi l'auteur est-il forcé de conclure, dans l'optique de 1958, qu'il s'agissait d'un bail raisonnable.
Malheureusement, il ne s'agit pas de savoir si le bail du club de golf en vigueur est raisonnable ou non, mais bien de connaître l'ampleur de la perte subie, compte tenu que le bail du club de golf n'aurait probablement pas été conclu. J'ai résumé la preuve administrée à ce sujet de la valeur uniquement pour illustrer, entre autres choses, la hausse considérable du prix des terrains, celui en cause comme les autres, depuis 1957 et 1958.
Avant de donner mes conclusions, je vais expo- ser maintenant, dans un tableau, les diverses éva- luations fournies par les évaluateurs.
Valeur
sur le Valeur
marché, sur le Valeur Valeur du loyer
pleine 1 marché, du loyer à l'acre comme
propriété location à l'acre terrain de golf
Howell 890,000
I Oikawa 1,540,000 1,618,000 97,080 6%
9 Palmer
5 & Behr 1,625,000 81,250 6% 29,000 (Behr)
8 Davis 1,687,500 1,024,300 61,460 6% 29,000
I Oikawa 2,916,000 3,090,000 231,750 7 1 / 2 %
9 Behr 3,907,000 280,900 7.19% 63,800
6 Davis 4,725,000 2,578,400 219,160 8 1 / 2 % 99,600
8
1 Oikawa 7,244,000 615,740 8 1 / 2 %
9 Behr 9,414,200 712,650 7.57% 69,300
7 Davis 9,450,000 4,867,000 438,030 9% 194,800
3
1 Oikawa 15,870,000 1,428,300 9%
9 Behr 17,854,000 1,535,440 8.6% 103,440
7 Davis 16,875,000 8,173,800 858,250 10 1 / 2 % 372,000
1 Oikawa 19,837,500 1,884,600 9 1 / 2 % Oikawa ajoute 5%
9 l'an à compter de
8 1978 pour obtenir la
3 valeur sur le marché
Oikawa 23,805,000 2,380,500 10% Oikawa ajoute 5%
9 l'an à compter de
8 1983 pour obtenir la
8 valeur sur le marché
Notes: I. Les valeurs des loyers de Behr sont calculées en fonction de la valeur du droit de propriété sur le marché.
2. Oikawa et Davis se sont servis de leur valeur de location pour le calcul de leur valeur des loyers.
Il est surprenant de constater qu'il y a peu de différences entre ces évaluations. Lorsqu'on com pare les valeurs sur le marché d'Oikawa pour ces différentes années, calculées en fonction d'une location, et celles de Behr et Davis, calculées en fonction du droit de propriété, les différences ne sont pas si importantes que cela. Mais la valeur sur le marché que donne Davis, en fonction d'une location, est considérablement inférieure à celle d'Oikawa, particulièrement pour les dernières années. Je considère les évaluations d'Oikawa comme plus réalistes. Il les a préparées en fonction du coût du lotissement. Davis, lui, a cherché à obtenir la valeur du droit de propriété puis, en réduisant d'un certain pourcentage somme toute arbitraire, à obtenir la valeur de location.
Une différence est perceptible: la valeur du droit de propriété d'Howell en 1956 par rapport à celle que donnent les autres pour 1958. Je ne juge pas qu'il y a eu manquement à la fiducie, et responsa- bilité à cet égard, de la défenderesse. Je suis convaincu qu'Howell a fait de son mieux en décembre 1956. En 1958, la valeur des terrains avait augmenté. En 1978 et en 1979, lorsque Oikawa, Palmer, Behr et Davis ont fait leur recherche, ils venaient après coup et disposaient de meilleures techniques et de meilleurs outils de recherche.
Mais de plus, ce qui est tout aussi remarquable, ces évaluations s'accordent. Selon la recherche et les conclusions de chacun, la valeur des 162 acres a à peu près décuplé entre 1958 et 1978.
Après avoir considéré soigneusement la preuve administrée, je conclus que les 162 acres auraient, à un moment donné, pu être mises sur le marché, loties et louées pour 99 ans, d'avance, pour des habitations unifamiliales et, éventuellement, multi- familiales. A cet égard, je préfère l'opinion d'Oi- kawa à celle des autres.
Mais je ne suis pas convaincu que la superficie aurait été nécessairement lotie dès 1958, ou aussi- tôt que le pense Oikawa. Il faut se rappeler que la bande indienne, en 1957 et 1958, cherchait à commercialiser, pour location à long terme, au- delà des 162 acres. Étaient disponibles d'après Howell, 220 acres de terrain résidentiel, de pre mier ordre.
Certains de ces terrains, mises à part les 162 acres, ont depuis été lotis pour location de 99 ans. Un lotissement de 40 acres, connu sous le nom de Musqueam Park, a commencé à être aménagé à l'extrémité nord-est du terrain de golf en 1965. Il s'est agi de location à long terme, de 99 ans, non payable à l'avance cependant. La majorité des habitations furent construites en 1967 et en 1968.
En 1971 et en 1972, une autre superficie, le Salish Park, fut lotie. Les terrains sont loués pour 99 ans, à l'avance.
Je ne doute pas que si le lotissement des parcs Musqueam et Salish s'est révélé un succès, dans une certaine mesure, cela est à la présence du terrain de golf. Je ne crois pas cependant les vues de la Couronne et de certains de ses témoins selon lesquels le club aurait été le premier responsable de la réussite des deux lotissements. Je ne crois pas non plus, comme l'ont soutenu dans leur témoi- gnage certains des experts de la défenderesse, que des superficies aussi grandes (220 acres) n'aient pu être loties avec succès, pour location résidentielle à long terme, sans que n'existe quelque installation du genre d'un terrain de golf, ou autre.
Comme je vois les choses, le terrain, n'avait été de la location par le club de golf, n'aurait pu être aménagé que quelques années après 1958. Vrai- semblablement de la publicité aurait été faite. On aurait procédé à un appel d'offres afin de lotir et de louer à long terme. Je suis convaincu qu'il y aurait eu des offres et que des baux de 99 ans auraient été conclus. Le lotissement aurait pu, au début, n'être que limité, expérimental en quelque sorte. A mon avis, la superficie aurait bel et bien été sur la voie du lotissement complet, à vocation résidentielle, pour location à long terme, aux envi
rons de 1968 1971. J'ai choisi cette période quelque peu arbitraire en fonction du témoignage d'Oikawa sur les tendances économiques et finan- cières, les mouvements de population, les valeurs foncières, la demande de logements et le manque de terrains de 1958 1973.
J'en viens maintenant au montant des domma- ges.
Les demandeurs font valoir, dans leur plaidoirie, quatre moyens de calculer le dommage.
Le premier consisterait à déterminer la perte de rendement économique, raisonnable, pour la bande indienne depuis 1958 jusqu'à l'arrivée du terme du bail en 2033. Je ne me propose pas d'énoncer par le menu détail ce calcul. On a parlé d'une perte minimale d'environ $45,000,000. Cette méthode présuppose, comme revenu de loyers, celui d'Oi- kawa, de $97,080 l'an pour 1958, et ceux qu'il prévoyait pour 1968, 1973 et 1978. Le calcul (fort simplifié ici) fait alors appel aux différences entre ces chiffres et ceux des loyers du club de golf à la date de l'instruction. On évalue alors la perte future.
Cette méthode n'est pas d'un grand secours. Elle présuppose que le terrain aurait pu produire sur le marché le rendement locatif trouvé pour 1958 et pour les années suivantes. Mais je constate, comme je l'ai déjà dit, qu'il est fort peu probable que ce rendement ait pu être atteint dès 1958. Cette démarche présuppose aussi que le bail du club de golf demeurera en vigueur jusqu'en 2033, ce qui n'est pas réaliste.
La seconde méthode est une variation de la première, certains autres facteurs étant pris en compte. Le chiffre total, selon celle-ci, est à nou- veau d'environ $45,000,000. Les mêmes commen- taires que dans le cas de la première s'appliquent.
Le troisième moyen d'évaluer le dommage est fondé sur la perte subie par la bande indienne en présumant que le terrain aurait être, et aurait été, en 1958, loti pour une location de 99 ans, payable d'avance. Le droit de retour est lui aussi évalué. Le dommage calculé s'élève à environ 53 millions de dollars.
Le quatrième moyen consiste à [TRADUCTION] «... déterminer la perte pour la bande indienne de la possibilité de lotir le bien-fonds ...v à la date du procès. Il s'agit de la différence entre ce que la bande a reçu en vertu du bail actuel et ce qu'elle recevra à compter de la date d'instruction du procès jusqu'en 2033, selon le meilleur et plus rentable usage qu'on pourrait en faire comme l'a dit Oikawa. Y serait ajoutée la valeur du droit de retour. Ce moyen présume que le terrain n'avait pas, à la date du procès, encore été loti. Le dom- mage évalué, selon ce moyen, s'élèverait à 71 millions de dollars.
On me permettra ce commentaire. Aucune des méthodes suggérées n'est entièrement irréaliste. Les calculs fondés sur l'acceptation de l'ensemble de la preuve des demandeurs relatifs au dommage me paraissent, à tout prendre, prudents.
Mais, comme je l'ai dit, aucun de ces modes ne prend en compte une éventualité des plus plausi- bles: en 1988, ou au moment d'une reconduction ultérieure, le club de golf peut fort bien décider, vu, évidemment, les loyers élevés qui s'annoncent, de résilier le bail. Le contrat lui donne ce droit.
Je ne puis accepter l'évaluation du dommage selon les calculs des demandeurs.
Les évaluations avancées sont fondées en réalité sur mon acceptation de tous les postulats d'Oi- kawa. Ses connaissances, sa recherche et son savoir-faire m'ont fort impressionné. Mais, comme je l'ai dit, je suis moins optimiste que lui quant aux possibilités du marché en 1958. Par ailleurs, je ne souscris pas aux vues des experts de la défense selon lesquels, en 1958, le bail conclu avec le club de golf était le seul possible.
Mes vues se situent en fait quelque part entre celles des demandeurs et celles de la défenderesse. Mais je ne doute nullement que les demandeurs, par suite du manquement à la fiducie de la défen- deresse, ont subi un préjudice considérable.
L'avocat de la défenderesse a soutenu que le dommage des demandeurs, si on accepte le témoi- gnage d'Oikawa tel quel, n'aurait pas dépassé $1,618,000. C'était la valeur de location, pour 99 ans, payable d'avance, des 162 acres en 1958. Cet argument ignore plusieurs faits. Je n'en men- tionnerai que deux. Il ne tient pas compte de la valeur de retour des améliorations à la fin des baux. Il ne tient pas compte non plus du rende- ment des investissements possibles avec les loyers payés d'avance.
L'avocat de la défenderesse a aussi soutenu que, d'après l'ensemble de la preuve administrée, les demandeurs n'avaient subi aucun dommage; il se pourrait même, de quelque façon, qu'ils se soient enrichis. Je n'ai ni suivi le développement ni com- pris cet argument lorsqu'il a été soutenu. Après réexamen, je ne comprends toujours pas.
Même si le dommage peut se révéler difficile, ou même pratiquement impossible, à calculer, si le tribunal est convaincu qu'il y a eu effectivement préjudice, il doit l'évaluer au mieux de sa possibi- lité même si cela implique une part de conjecture.
Dans l'espèce Frigidaire Corporation c. Steed- man 22 , le juge d'appel Masten aurait dit:
[TRADUCTION] Lorsque, comme en l'espèce, on a finalement démontré qu'il y a responsabilité, la Cour ne se laissera pas arrêter dans son évaluation du dommage par la difficulté de réunir les preuves suffisantes ni par l'impossibilité d'appliquer une mesure mathématique précise pour en établir le montant. Voir Carson c. Willits (1930), 65 O.L.R. 456 et la jurispru dence qui y est citée. En l'espèce, la question difficile qui se pose c'est d'établir le montant du préjudice, à la crise économique, à l'insolvabilité des locataires ou à des causes similaires, que la demanderesse aurait probablement subi si le contrat avait été exécuté selon ses stipulations et si l'on avait donné à la demanderesse possession des billets des locataires comme il avait été stipulé. Évaluer ce qui aurait pu se produire dans des circonstances qui ne se sont pas produites relève de la pure conjecture, mais la jurisprudence et la doctrine sont formelles: c'est le devoir de la Cour. Le docte juge de la juridiction d'appel a dit qu'il souscrivait à l'évaluation de 15 pour cent et acceptait l'arrêt de la Cour dans les termes proposés par le juge d'appel Middleton.
Sur le même sujet, le juge Spence, dans l'arrêt Penvidic Contracting Co. Ltd. c. International Nickel Co. of Canada, Ltd. 23 a dit, alors qu'il prononçait l'arrêt de la Cour:
La difficulté à déterminer le montant des dommages-intérêts a été envisagée dans la célèbre cause anglaise Chaplin v. Hicks ([1911] 2 K.B. 786), qui a été suivie en Division d'appel de la Cour suprême de l'Ontario dans l'affaire Wood v. Grand Valley Railway Company ((1913), 30 O.L.R. 44), le juge en chef Meredith a dit aux pp. 49 et 50:
[TRADUCTION] Il existe sans aucun doute des causes il est impossible de convenir de l'existence d'un préjudice réparable par l'adjudication de dommages-intérêts à la suite d'une rupture de contrat, mais les cours ont maintes fois répété que la difficulté à déterminer l'étendue du préjudice ne constitue pas un motif pour refuser d'accorder des dommages-intérêts considérables, et la décision la plus extrême dans ce domaine est peut-être celle de Chaplin v. Hicks, (1911) 2 K.B. 786. Dans cette affaire, le jury avait conclu, à la suite de la rupture du contrat par le défendeur, que la demanderesse avait perdu la chance d'être choisie par ce dernier parmi cinquante jeunes filles comme une des douze à qui il avait promis, si elles étaient choisies, des emplois comme actrices pour une période et un salaire déterminés, et l'action a été intentée en vue de recouvrer des dommages-intérêts pour la rupture du contrat, et le jury a fixé à £100 le montant de ces dommages-intérêts. Le défendeur a allégué que les domma- ges étaient beaucoup trop indirects et qu'ils étaient indéter-
22 [1934] O.W.N. 139 la p. 144.
23 [1976] I R.C.S. 267 aux pp. 279 et 280.
minables. La première prétention a été déclarée irrecevable par la Cour et a donc été rejetée. Quant à la seconde, on a déclaré que «lorsqu'une perte réelle résultant de la rupture d'un contrat n'est pas douteuse mais difficile à estimer en argent, le jury doit faire pour le mieux; il n'est pas nécessaire qu'il y ait dans chaque cas une mesure absolument précise des dommages»: le lord juge Fletcher Moulton à la page 795. Lorsque l'affaire Wood v. Grand Valley Railway Company,
précitée, a été plaidée devant la Cour suprême du Canada, la
décision a été rendue par le juge Davies et elle fut publiée à 51
R.C.S. 283, le savant juge a dit à la p. 289:
[TRADUCTION] A la lumière des faits de cette cause, c'était vraiment impossible d'évaluer avec grande précision le préju- dice subi par la demanderesse, mais il me semble que les savants juges ont clairement établi qu'une telle impossibilité ne «décharge pas pour autant l'auteur du préjudice de l'obli- gation de payer des dommages pour la rupture du contrat» et que d'autre part, le tribunal doit évaluer le préjudice même si, en pareilles circonstances, le jury ou le juge doit «agir au mieux», et sa conclusion ne sera pas infirmée même si le montant accordé n'est en fait que le fruit de conjectures.
On doit au lord juge Waller 24 le commentaire récent, visant, cependant, je pense, l'évaluation du dommage d'un cas d'espèce:
[TRADUCTION] Je reconnais avec le juge que l'évaluation des dommages est conjecturale.
J'évalue les dommages des demandeurs à $10,000,000e
Pour décider du montant à accorder, j'ai tenté de suivre au cours de mes délibérations, plusieurs méthodes. J'ai agi ainsi dans l'espoir que je pour- rais parvenir à établir, même vaguement, un fon- dement mathématique pour justifier ce montant. Mais je me suis trouvé incapable d'établir une raison précise ou un mode précis, mathématique ou autre, à cet égard. Les dommages-intérêts pécu- niaires consistent, évidemment, en une somme glo- bale. Il s'agit d'une réaction éduquée, fondée sur la preuve administrée, les opinions fournies, les moyens soulevés et, finalement, mes conclusions quant aux faits.
Je vais toutefois énoncer, pour le bénéfice des parties, les facteurs et événements que j'ai eus à l'esprit. La liste n'est pas exhaustive:
a) La difficulté de déterminer le moment du lotissement des 162 acres, la manière d'y procé- der et leur rendement pécuniaire, le tout, en présumant que le bail actuel n'aurait jamais été conclu.
24 Joyce c. Yeoman [1981] 1 W.L.R. 549 (C.A. Royaume- Uni) à la p. 555.
b) La possibilité que la superficie aurait pu, jusqu'à aujourd'hui même, n'être lotie d'aucune manière satisfaisante ni n'avoir fourni aucun rendement économique normal.
c) La hausse incroyable de la valeur des ter rains, la montée de l'inflation et des taux d'inté- rêt depuis 1958 et l'impossibilité, en 1958, de les prévoir.
d) La réciproque de c), soit que ces fameuses hausses doivent être prises en compte dans toute attribution de dommages-intérêts.
e) La possibilité que le bail en cours reste en vigueur jusqu'à son terme, en 2033.
f) La possibilité non moins réelle, à mon avis, que le bail soit résilié à la prochaine re- conduction.
g) Les loyers perçus par les demandeurs à ce jour en vertu du bail en vigueur et ce qu'ils pourront percevoir à l'avenir si le bail demeure.
h) La valeur de retour des améliorations tant à l'arrivée du terme des baux résidentiels de 99 ans payés à l'avance qu'à l'arrivée de celui du bail du club de golf.
J'ajouterai ceci. Je n'ai pas ignoré les déposi- tions des autres experts cités par les parties pour établir le dommage, quoique je ne me sois pas référé à eux. Pour les demandeurs, il y a eu MM. Collisbird, Frizzell, Jefferson, Wheeler et Tatters - field; pour la défenderesse, il y a eu M. Goldberg et M. Boyle a effectué certains calculs. Je n'ai pas jugé nécessaire de mentionner leurs témoignages mais cela ne signifie pas que je n'en ai pas tenu compte.
DOMMAGES-INTÉRÊTS PUNITIFS OU EXEMPLAI- RES
Les demandeurs exigent, outre les dommages- intérêts d'indemnisation, des dommages-intérêts punitifs ou exemplaires. Il y a lieu à des dommages exemplaires lorsque la conduite d'un défendeur a été suffisamment outrageante pour justifier une sanction 25 . Les juridictions britanniques ont res -
25 Voir McGregor on Damages (14e éd. 1980) par. 309 sqq.
treint les cas d'attribution de dommages punitifs 26 .
Mais elles ont établi certains cas dans lesquels on peut accorder des dommages-intérêts exem- plaires 27 :
[TRADUCTION] La première catégorie c'est l'action oppres sive, arbitraire ou inconstitutionnelle des fonctionnaires du gouvernement. Je n'élargirai pas cette catégorie je dis cela en fonction expresse des faits de l'espèce—aux actions oppressives des personnes morales ou physiques, privées. Lorsqu'un homme est plus puissant qu'un autre, il est inévitable qu'il cherche à faire usage de son pouvoir pour arriver à ses fins et si ce pouvoir est de beaucoup supérieur à celui des autres, il peut, peut-être, être taxé de s'en servir oppressivement. S'il se sert de son pouvoir illégalement, il doit bien sûr payer pour cette illégalité de la manière habituelle, mais il n'est pas puni simplement parce qu'il est le plus puissant. Dans le cas du gouvernement, c'est différent car les fonctionnaires, les serviteurs du gouverne- ment, sont aussi les serviteurs du peuple et leur pouvoir, quand ils en font usage, doit toujours être subordonné à leur obligation de servir.
Je ne peux qualifier les actes d'Anfield et d'Ar- neil, et des fonctionnaires d'Ottawa, d'oppressifs, d'arbitraires ou de tyranniques. J'ai déjà jugé non fondées les allégations de malhonnêteté, de fraude morale et de dissimulation délibérée ou malicieuse. Le personnel de la Direction des affaires indiennes a cru avoir le droit de négocier les conditions finales du bail sans avoir à consulter la bande indienne. J'ai jugé en fait qu'il n'avait pas ce droit. Cela ne fait pas de leur action une conduite oppressive ni arbitraire, justifiant la sanction des dommages-intérêts exemplaires.
Voilà qui clôt mes motifs relatifs aux domma- ges-intérêts.
RÉSUMÉ
Il y a lieu à jugement déclaratoire disant que la défenderesse a commis un manquement à une fiducie et que les demandeurs en ont subi un préjudice en conséquence.
Le dommage est évalué à $10,000,000.
Je ne joindrai pas un dispositif formel aux pré- sents motifs. Les demandeurs ont réclamé l'intérêt en cas d'attribution de dommages-intérêts. Ce point n'a pas été débattu. Demeure aussi en litige la question des frais judiciaires, y inclus certains arguments que l'on pourrait soutenir au sujet de
26 Voir Rookes c. Barnard [1964] A.C. 1129. Voir aussi Cassel! & Co. Ltd. c. Broome [1972] A.C. 1027.
27 Lord Devlin dans l'affaire Rookes (précitée) à la p. 1226.
leur montant et du fondement de la taxation ou de leur attribution. Il sera donc loisible aux deman- deurs de présenter une requête pour jugement dans laquelle ces questions, et toute autre question liti- gieuse, pourront être traitées. Les parties convien- dront d'une date d'audition avec l'administrateur de district; à défaut d'entente, je fixerai cette date.
En terminant, j'offre mes excuses pour le retard mis à rendre cette décision°
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