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T-361-81
Raymond Armand Perras (demandeur)
c.
La Reine (défenderesse)
Division de première instance, juge Cattanach— Ottawa, 22 février et 11 mars 1982.
Fonction publique Postier en congé de maladie reconnu coupable d'infractions criminelles Condamnation à une peine d'emprisonnement Renvoi pour incapacité à remplir ses fonctions Renvoi jugé déraisonnable par le Comité d'appel de la Commission de la Fonction publique Déclara- tion d'abandon de poste pour absence non autorisée par la législation En cause: absence de l'employé pour des raisons indépendantes de sa volonté ou absence autorisée par une loi du Parlement En cause: l'obligation générale d'équité En cause: son exécution, le cas échéant Analyse des quatre conditions qu'énonce l'art. 27 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique et qui justifient le sous-chef de déclarer un poste abandonné Non-équivalence d'un emprisonnement en vertu du Code criminel à l'absence autorisée d'un employé Règle d'interprétation législative exigeant une interprétation non absurde Sens des termes «incompétent» et «incapable„ Ne porte pas atteinte à l'obligation de l'Administration d'agir équitablement le recours par le sous-chef à la procédure fondée sur l'art. 27 de la Loi après que la voie de l'art. 31 ait été fermée par décision adverse de la Commission Refus d'accorder à l'employé un jugement déclaratoire confirmant son statut d'employé ou l'illégalité d'y avoir mis fin Loi sur l'emploi dans la Fonction publique, S.R.C. 1970, c. P-32, art. 27, 31, 32(3).
Action en jugement déclaratoire disant que l'emploi du demandeur n'a pas pris fin, que celui-ci est toujours au service de la défenderesse, que celle-ci a illégalement mis fin à l'emploi du demandeur, et conclusion à des dommages-intérêts. Le demandeur a été reconnu coupable d'infractions criminelles et condamné à 15 mois d'emprisonnement alors qu'il était au service du ministère des Postes. Le demandeur fut subséquem- ment renvoyé conformément à l'article 31 de la Loi sur l'em- ploi dans la Fonction publique, au motif qu'il était incapable de remplir ses fonctions. Le Comité d'appel de la Commission de la Fonction publique saisi a jugé que la recommandation de la défenderesse de renvoyer le demandeur était injustifiée et il a accueilli l'appel formé par celui-ci. Par la suite, sans demander le contrôle judiciaire de la décision de la Commission en vertu de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale, le sous-chef a déclaré, se fondant sur l'article 27 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique, que le demandeur avait abandonné son poste. Le demandeur soutient que c'est à tort que le sous-chef a conclu que les raisons de l'absence du demandeur n'étaient pas indépendantes de sa volonté. La défenderesse a fait valoir que l'incarcération du demandeur, raison de son absence, découlait directement d'actes que celui-ci avait accomplis de propos délibéré, commettant par l'infraction dont il avait été reconnu coupable. Le demandeur soutient aussi que le sous- chef n'avait pas agi équitablement en ne demandant pas le contrôle judiciaire, par la Cour fédérale de la décision du Comité d'appel, préférant exercer le pouvoir discrétionnaire que
lui attribue l'article 27. Il échet d'examiner si les conditions de l'article 27, préalables à son application, sont présentes et si l'obligation générale d'équité de l'Administration a été respectée.
Arrêt: l'action est rejetée. L'article 27 prévoit qu'un fonction- naire perd son emploi lorsque les conditions qui y sont énoncées sont réunies. Ces conditions sont au nombre de quatre. D'abord, l'employé doit avoir été absent de son poste pendant au moins une semaine. Cette condition s'est réalisée. Ensuite, le sous-chef doit être d'avis que les raisons motivant l'absence de l'employé n'étaient pas indépendantes de sa volonté. La troi- sième condition est que l'absence de l'employé ne doit pas avoir été autorisée ni prévue par une loi du Parlement ou sous son régime. La quatrième condition consiste en l'envoi à la Com mission par le sous-chef d'un écrit déclarant que l'intéressé a abandonné le poste qu'il Gccupait, ce qui a été fait. Les deuxième et troisième conditions s'excluent mutuellement. Lorsque l'absence de l'employé n'est ni autorisée ni prévue par une loi du Parlement ou sous son régime, le demandeur ne peut alors invoquer aucune excuse; il n'est pas nécessaire de décider si l'opinion du sous-chef était absolument incompatible avec la preuve soumise ou si ce dernier s'est trompé après avoir appli- qué les mauvais critères juridiques. Les dispositions du Code criminel en vertu desquelles le demandeur a été incarcéré n'autorisent pas, ni ne prétendent autoriser, l'absence de celui-ci de son travail. La situation du demandeur est précisé- ment l'une de celles visées par l'article 27 de la Loi. Le sous-chef s'est conformé en tout point aux trois conditions préalables. Les règles de procédure qu'énumère l'article 27 ont été respectées. On peut en déduire que le sous-chef a agi équitablement sur le plan de la procédure. Le sous-chef n'a pas contrevenu à l'obligation incombant à l'Administration d'agir équitablement. Les conditions préalables à l'application de l'article 27 étaient remplies. Cela étant, le sous-chef a exercé le pouvoir que lui conférait l'article 27 en stricte conformité des dispositions de cet article. En conséquence, on ne peut pas dire que le sous-chef a exercé de façon irrégulière le pouvoir admi- nistratif qui lui était dévolu, ni qu'il l'a fait de façon injustifiée.
Jurisprudence: arrêts appliqués: Morin c. La Reine [1981] 1 C.F. 3; Emms c. La Reine [1979] 2 R.C.S. 1148, modifiant [1977] 1 C.F. 101. Arrêts approuvés: Bates c. Lord Hailsham of St. Marylebone [1972] 1 W.L.R. 1373; Grey c. Pearson [1857] 6 H.L. Cas. 61; Cinnamond c. British Airports Authority [1980] 2 All E.R. 368. Arrêts cités: Martineau c. Le Comité de discipline de l'Institution de Matsqui (N° 2) [1980] 1 R.C.S. 602; Nicholson c. Haldimand-Norfolk Regional Board of Commissioners of Police [1979] 1 R.C.S. 311; Inuit Tapirisat of Canada c. Léger [1979] 1 C.F. 710; Francis c. Municipal Councillors of Kuala Lumpur [1962] 3 All E.R. 633.
ACTION. AVOCATS:
John B. West pour le demandeur.
E. A. Bowie, c.r. et D. J. Rennie pour la
défenderesse.
PROCUREURS:
Perley-Robertson, Panet, Hill & McDougall, Ottawa, pour le demandeur.
Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE CATTANACH: Les avocats des deux parties ont convenu, avant l'audition de la présente cause, de présenter un exposé conjoint des faits et des questions en litige fait le 10 décembre 1981. Il convient de citer cet exposé:
[TRADUCTION] EXPOSÉ CONJOINT DES FAITS
Dans le but de rendre le présent litige plus facile à trancher, les parties ont convenu des faits suivants. Il est en outre convenu que cette entente n'a pas pour effet d'empêcher l'une ou l'autre des parties de présenter à l'audition une preuve compatible avec le présent exposé.
I. FAITS
1. Le demandeur a occupé un poste de manieur de dépêches au ministère des Postes du gouvernement du Canada, d'abord à titre temporaire au bureau de poste d'Ottawa pendant diverses périodes entre le 25 novembre 1971 et le 9 juin 1975, et ensuite, à partir de cette dernière date, comme employé permanent à ce même Ministère, par suite de sa nomination à ce titre en application de l'art. 8 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique, S.R.C. 1970, chapitre P-32.
2. Le 28 février 1980, alors qu'il était toujours employé de la défenderesse, le demandeur a obtenu un congé de maladie sans traitement. Durant son congé, le 21 mars 1980, il a été reconnu coupable de deux infractions punissables en vertu du Code criminel du Canada et condamné, pour chacune d'elles, à une peine de 15 mois d'emprisonnement assortie d'une ordonnance de probation d'un an, les deux peines devant être purgées simultanément. Le demandeur n'a pas interjeté appel des décla- rations de culpabilité, et a commencé à purger sa peine le 21 mars 1980.
3. Le 21 mars 1980, l'épouse du demandeur a sollicité pour ce dernier un congé sans traitement de 15 mois, mais sans exposer les raisons de cette requête. La demande a été refusée, et le demandeur ne s'est pas présenté, par la suite, à son lieu de travail.
4. Par une lettre en date du 3 avril 1980, un préposé de Sa Majesté a avisé le demandeur que son sous-chef avait recom- mandé son renvoi en conformité de l'article 31 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique, au motif qu'il était incapa ble de remplir ses fonctions.
5. En application de l'article 31 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique, le demandeur a porté cette décision de la défenderesse en appel devant le Comité d'appel de la Commis sion de la Fonction publique. Le 16 mai 1980, le Comité d'appel a jugé que la recommandation de la défenderesse de
renvoyer le demandeur était injustifiée, et a accueilli l'appel du
demandeur.
Voir la décision de la
Direction générale des
appels et enquêtes à
l'annexe «A».
6. Le 27 août 1980, le sous-chef, par l'entremise de son représentant dûment mandaté, a exprimé l'opinion que le demandeur avait été absent de façon continue de son poste du 21 mars au 27 août 1980 pour des raisons qui n'étaient pas indépendantes de sa volonté, et que cette absence n'était pas autorisée ni prévue par une loi du Parlement. Il a donc déclaré dans un écrit approprié adressé à la Commission de la Fonction publique (cet écrit porte la date du 8 septembre 1980 et constitue l'annexe B du présent exposé) que le demandeur avait abandonné le poste qu'il occupait. Ce dernier a été avisé de cette démarche le 27 août 1980 (avis produit à l'annexe C).
7. A aucun moment le demandeur n'a-t-il informé la défende- resse de son intention d'abandonner son poste, mais cette dernière a toujours su que le défendeur avait l'intention de reprendre son poste chez la défenderesse dès sa libération.
II. QUESTIONS EN LITIGE
8. Était-ce pour des raisons indépendantes de sa volonté, raisons découlant de sa condamnation et de son incarcération subsé- quente en application du Code criminel du Canada, que le demandeur était absent de son travail au ministère des Postes le 21 mars 1980, date à laquelle il a été décidé qu'il était réputé avoir abandonné son poste?
9. Le 21 mars 1980, date à laquelle il a été mis fin à son emploi avec la défenderesse, le demandeur était-il absent de son poste en conformité de ce qui est autorisé par une loi du Parlement, savoir le Code criminel du Canada, au sens cette expression est employée à l'article 27 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique, rendant ainsi son absence autorisée?
10. Avant de mettre fin à l'emploi du demandeur, la défende- resse devait-elle lui fournir l'occasion d'être entendu, et avait- elle l'obligation d'agir équitablement à son égard?
11. Si la défenderesse était tenue de fournir au demandeur l'occasion d'être entendu et d'agir équitablement à son égard, s'est-elle acquittée de ces obligations?
12. Le demandeur a-t-il droit à ce que la Cour déclare que son emploi auprès de la défenderesse n'a jamais pris fin et à l'autre redressement qu'il demande dans sa déclaration?
13. La défenderesse a-t-elle droit à ce que la Cour déclare que cette dernière a régulièrement mis fin à l'emploi du défendeur en application de l'article 27 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique, comme elle le prétend dans sa demande reconventionnelle?
14. Compte tenu de la décision du Comité d'appel de la Commission de la Fonction publique et des circonstances parti- culières de la situation du demandeur, la défenderesse a-t-elle exercé la discrétion que lui confère l'article 27 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique d'une manière irrégulière, arbitraire ou injustifiée?
La décision du Comité d'appel de la Commis sion de la Fonction publique dont fait mention le paragraphe 5 de l'exposé des faits figure à l'annexe A.
Aucune demande d'examen judiciaire de cette décision n'a été présentée à la Division d'appel de cette Cour en vertu de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10.
Pourquoi en a-t-il été ainsi? Ne le sachant pas, l'avocat de Sa Majesté n'a pu répondre à ma question. Le ministère de la Justice n'a été mis au courant de l'affaire que bien après que le délai pour se prévaloir de ce recours eut été expiré. On peut donc en déduire que les fonctionnaires de Postes Canada (un des quelques exemples du genre de nom que l'on donne par loi à un ministère dont celui en cause, tel qu'il était désigné à l'époque) n'ont pas demandé conseil au ministère de la Jus tice avant d'agir comme ils l'ont fait. On peut voir les conséquences qu'entraînent les initiatives que des profanes jugent à propos de prendre avant d'avoir pris les avis juridiques nécessaires.
Cette omission dont il est logique de présumer l'existence comporte un avantage pratique involon- taire et probablement imprévu par ceux qui l'ont commise: la seule question qui se pose en l'ins- tance, formulée en termes généraux, est de savoir si le renvoi du demandeur en application de l'article 27 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique, S.R.C. 1970, c. P-32, du poste auquel il avait été nommé dans la Fonction publique était licite.
C'est cette question, exprimée de façon plus détaillée, que posent les paragraphes 8 et 9 de l'exposé conjoint des faits, sous la rubrique QUES TIONS EN LITIGE.
Quant aux paragraphes 10 et 11 de l'exposé conjoint, ils portent sur la question de savoir si la défenderesse avait l'obligation, en vertu de l'article 27 de la Loi, de fournir au demandeur l'occasion d'être entendu, et si oui, si elle s'était conformée à cette obligation.
L'avocat du demandeur a admis que la loi n'im- posait pas la tenue d'une audition et a abandonné ce point.
Cependant, les paragraphes 8 et 9 posaient encore deux questions qui n'ont pas été abandon- nées et qui subsistent: la défenderesse avait-elle l'obligation d'agir équitablement envers le deman- deur, et si c'était le cas, cette obligation a-t-elle été respectée?
Dans l'arrêt Bates c. Lord Hailsham of St. Marylebone [1972] 1 W.L.R. 1373, c'est dans les termes suivants que le juge Megarry a énoncé, à la page 1378, les principes applicables:
[TRADUCTioN] ... dans le domaine de ce qu'on appelle le quasi-judiciaire, on applique les règles de justice naturelle, et dans le domaine administratif ou exécutif, l'obligation d'agir équitablement.
Ce principe qu'a formulé le juge Megarry a été largement accepté ici; il est cité avec approbation par la Cour suprême du Canada dans les arrêts Martineau c. Le Comité de discipline de l'Institu- tion de Matsqui (No 2) [1980] 1 R.C.S. 602 et Nicholson c. Haldimand-Norfolk Regional Board of Commissioners of Police [1979] 1 R.C.S. 311 de même que par la Division d'appel de cette Cour dans Inuit Tapirisat of Canada c. Léger [ 1979] 1 C.F. 710.
Il ne fait aucun doute dans le cas qui nous occupe que la mesure que prévoit l'article 27 appartient au domaine administratif, et que l'obli- gation générale d'agir équitablement s'applique.
Comme je l'ai dit plus haut, il s'agit en l'ins- tance de déterminer si la décision de renvoyer le demandeur en vertu de l'article 27 de la Loi a été prise de façon licite.
Pour ce faire, il faut s'assurer que toutes les conditions donnant ouverture à la procédure prévue à l'article 27 ont été remplies. Il faut également vérifier si l'obligation générale d'agir équitablement a été respectée.
Au paragraphe 11 de sa déclaration, le deman- deur pose les conclusions suivantes:
[TRADUCTION] 11. Le demandeur prie la Cour de:
a) Déclarer que son emploi auprès de la défenderesse n'a jamais pris fin et qu'il n'a jamais cessé d'être un employé de la défenderesse;
b) Déclarer que la défenderesse a illégalement mis fin à son emploi en application de l'article 27 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique;
c) Condamner la défenderesse à indemniser le demandeur pour la perte de son salaire et des autres avantages auxquels il aurait eu droit à compter du 21 mars 1980, si la défende- resse n'avait illicitement prétendu mettre fin à son emploi;
d) Condamner la défenderesse aux dépens de la présente action.
Au paragraphe 12 de l'exposé conjoint des faits, lequel figure sous la rubrique QUESTIONS EN LITIGE, le demandeur réitère la conclusion qu'il pose au paragraphe 11a) de sa déclaration.
Dans l'arrêt Emms c. La Reine [1977] 1 C.F. 101, la Cour a prononcé le jugement déclaratoire suivant la page 115]:
... le renvoi du demandeur par Sa Majesté est nul et sans effet et que le demandeur demeure un employé de Sa Majesté.
Si la Cour fait une semblable déclaration, on ne peut alors réclamer de dommages-intérêts.
La Cour suprême du Canada a confirmé la décision du juge de première instance ([1979] 2 R.C.S. 1148); cependant, le jugement déclaratoire a été modifié par la suppression des mots «que le demandeur demeure un employé de Sa Majesté» puisque le redressement approprié était des dommages-intérêts.
Le juge Pigeon [aux pages 1164 et 1165] a cité en l'approuvant le principe énoncé dans l'arrêt Francis c. Municipal Councillors of Kuala Lumpur [1962] 3 All E.R. 633, et portant que lors d'une prétendue cessation de contrat de louage de services, la cour rendra rarement un jugement déclarant que le contrat continue d'exister, à moins que des circonstances spéciales n'exigent le pro- noncé d'un tel jugement, lequel est laissé à la discrétion de la cour.
A mon avis, les circonstances de l'espèce ne justifient pas que la Cour exerce sa discrétion pour rendre le jugement déclaratoire qui lui est demandé au paragraphe 11a) de la déclaration, et conséquemment, la Cour ne prononcera pas ce jugement.
Il en va tout autrement cependant pour les paragraphes 11b) et 11c) de la déclaration. A mon avis, il aurait été plus logique, au plan de la procédure, de présenter les paragraphes 11b) et 11c) comme conclusions subsidiaires à la conclu sion posée au paragraphe 11a).
Je ne pense pas qu'il soit possible de douter qu'il y a eu renvoi de facto du demandeur par Sa Majesté.
Par son paragraphe 11b), le demandeur cherche à obtenir une déclaration affirmant que Sa Majesté a agi illégalement en mettant fin à son
emploi en application de l'article 27 de la loi. Si la déclaration qu'a faite le sous-chef en conformité de cet article, déclaration selon laquelle le demandeur avait abandonné le poste qu'il occupait, devait être jugée illicite, rien ne s'opposerait alors à ce que la Cour rende un tel jugement déclaratoire.
Prononcer une telle déclaration équivaudrait à mon avis à conclure que le renvoi du demandeur était injuste, d'où il découlerait que le remède approprié consiste à accorder des dommages-inté- rêts. Ceux-ci sont demandés au paragraphe 11c) de la déclaration, lequel constitue l'aboutissement logique du paragraphe 11b).
Ainsi, comme je l'ai dit plus haut, pour que ce litige soit réglé il faudrait que soit tranchée la question de savoir si oui ou non la déclaration du sous-chef, faite en vertu de l'article 27 et voulant que le demandeur ait abandonné son poste et ait, par conséquent, cessé d'être un employé, était licite.
L'article 27 se lit comme suit:
27. Lorsqu'un employé s'absente de son poste pendant une semaine ou davantage, sauf pour des raisons qui, de l'avis du sous-chef, sont indépendantes de sa volonté, ou sauf en confor- mité de ce qui est autorisé ou prévu par une loi du Parlement ou sous son régime, le sous-chef peut, au moyen d'un écrit appro- prié adressé à la Commission, déclarer que l'employé a aban- donné le poste qu'il occupait. Cet employé cesse dès lors d'être un employé.
Cet article prévoit qu'un fonctionnaire perd son emploi lorsque les conditions qui y sont énoncées sont réunies.
Ces conditions sont au nombre de quatre.
D'abord, l'employé doit avoir été absent de son poste pendant au moins une semaine. Cette condi tion s'est réalisée.
Ensuite, le sous-chef doit être d'avis que les raisons motivant l'absence de l'employé n'étaient pas indépendantes de sa volonté.
Nul ne conteste que le sous-chef ait eu cette opinion. Ce que le demandeur soutient, c'est qu'elle était erronée.
Il existe de nombreux cas les tribunaux admi- nistratifs se sont vu attribuer, par la loi, le pouvoir de fixer eux-mêmes les limites de leur propre
compétence relativement aux questions incidentes qui doivent être prouvées. Les lois conférant un tel pouvoir emploient généralement des expressions comme: lorsque le tribunal «est convaincu» ou «est d'avis» ou «lorsqu'il appert» que telle ou telle chose s'est produite. Si la décision portant sur la question incidente ne peut être révisée, cela revient à dire qu'elle porte en fait sur la question fondamentale. Autrement dit, si le texte de loi attribuant sa compétence à l'organisme le fait en termes subjec- tifs, les tribunaux sont réticents à réviser les déci- sions reposant sur les conclusions subjectives de ces organismes.
Toutefois, la Cour acceptera habituellement de réviser ces décisions si le tribunal administratif:
(1) a commis une erreur en ayant recours aux mauvais critères pour résoudre la question, par exemple si un pêcheur est un employé ou un entrepreneur indépendant, ou si l'argile est un minéral, ou
(2) est arrivé à une conclusion absolument incompatible avec la preuve soumise.
Ce que le sous-chef ou son représentant a écrit au demandeur dans une lettre en date du 27 août 1980 qui lui a été envoyée à la prison (annexe C de l'exposé conjoint) correspond en partie à ceci: [TRADUCTION] «Vous avez été incarcéré le 21 mars 1980. Vous êtes réputé avoir abandonné votre poste à partir de cette date .... Cette déci- sion a été prise en conformité de l'article 27 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique.»
Le demandeur est admis à démontrer que l'opi- nion du sous-chef allait nettement à l'encontre des principes fondamentaux de la justice.
C'est d'ailleurs ce que le demandeur a prétendu.
L'avocat de Sa Majesté a soutenu quant à lui que l'incarcération du demandeur (qui était la raison de son absence du travail) découlait directe- ment d'actes que celui-ci avait accomplis de propos délibéré, commettant par des infractions dont il avait été reconnu coupable et pour lesquelles il avait été condamné à-15 mois de prison et à un an de probation. L'avocat prétend donc que le deman- deur a personnellement et volontairement déclen- ché la série d'événements qui pourrait vraisembla- blement conduire à sa découverte, à son
arrestation, à sa mise en accusation, à sa condam- nation et à son emprisonnement, et dont la consé- quence ultime serait son incapacité à se présenter au travail.
La troisième condition que prévoit l'article 27 est que l'absence de l'employé de son travail ne soit pas autorisée ni prévue par une loi du Parlement ou sous son régime.
La quatrième condition prévue à l'article 27 consiste en l'envoi à la Commission par le sous- chef d'un écrit déclarant que l'intéressé a aban- donné le poste qu'il occupait, ce qui a été fait.
Les première et quatrième conditions se sont réalisées.
Quant aux deuxième et troisième conditions, on peut déduire du texte de l'article 27 que l'une exclut l'autre:
... sauf pour des raisons qui, de l'avis du sous-chef, sont indépendantes de sa volonté, ou sauf en conformité de ce qui est autorisé ou prévu par une loi du Parlement ou sous son régime
Le mot «ou», placé tout de suite après les mots «indépendantes de sa volonté» et suivi de l'expres- sion «sauf en conformité de ce qui est autorisé ou prévu», remplit dans ce contexte une fonction disjonctive.
Je ne connais aucune règle qui permette au mot «ou» d'acquérir la signification de «et» à moins que le contexte n'impose cette signification, comme cela se produit parfois, mais ce n'est pas le cas en l'instance.
Nous sommes donc en présence de deux condi tions distinctes, indépendantes et interchangeables qui fournissent chacune à l'employé un motif d'ex- cuse pour son absence du travail dès que l'une ou l'autre est remplie.
Examinons d'abord la troisième condition qui prévoit que l'absence de l'employé peut être autori- sée ou prévue par une loi du Parlement ou sous son régime. Si cette condition n'est pas présente, le demandeur ne peut alors invoquer aucune excuse, et je n'ai pas à considérer la deuxième condition, à savoir si l'opinion du sous-chef était absolument incompatible avec la preuve soumise ou si ce der- nier s'était trompé après avoir appliqué les mau- vais critères juridiques.
Le demandeur a été reconnu coupable d'une infraction prévue par le Code criminel du Canada, S.R.C. 1970, c. C-34, lequel est une loi du Parle- ment. Il a ensuite été condamné à une peine d'emprisonnement qu'il doit purger dans un péni- tencier, une prison ou un autre lieu de détention.
C'est en conséquence des dispositions du Code que le demandeur a été emprisonné, et c'est parce qu'il a été emprisonné qu'il ne pouvait se trouver ailleurs, c'est-à-dire à son lieu de travail, pendant qu'il purgeait sa peine.
C'est en application des dispositions du Code criminel que l'incarcération du demandeur a été autorisée.
Dire que le Code criminel prévoit et autorise l'emprisonnement comme conséquence de la situa tion dans laquelle le demandeur s'est placé est une chose, mais dire que ce Code «prévoit ou autorise» l'absence du demandeur de son poste au sens ces mots sont employés à un temps différent à l'article 27, en est une autre.
On ne trouve nulle part dans le Code criminel de disposition qui autorise ou prévoit l'absence de son lieu habituel de travail d'une personne qui a été reconnue coupable d'une infraction criminelle et condamnée à la prison, bien que l'emprisonnement entraîne inévitablement l'impossibilité pour le pri- sonnier de se présenter à son lieu de travail.
L'application des dispositions du Code criminel est la causa causans de l'emprisonnement du demandeur. Son absence du travail n'est que la causa sine qua non du fait qu'il ait été condamné et emprisonné en vertu du Code criminel.
L'avocat de Sa Majesté a prétendu qu'il serait absurde de conclure autrement.
Ceci est un principe essentiel de l'interprétation des lois qui est posé dans la [TRADUCTION] «règle d'or» que lord Wensleydale a énoncée dans l'arrêt Grey c. Pearson [1857] 6 H.L. Cas. 61 à la page 106. Voici ce qu'il a dit:
[TRADUCTION] ... en interprétant les testaments, et de fait les lois et tous les documents, il faut adhérer au sens grammatical et ordinaire des mots, à moins que cela n'entraîne quelque absurdité, contradiction ou incompatibilité eu égard au reste du texte; dans ce dernier cas, on peut modifier le sens grammatical et ordinaire des mots de façon à éviter cette absurdité ou incompatibilité, mais uniquement dans cette mesure.
Il ne fait aucun doute que le principe général énoncé dans la règle d'or a été universellement reconnu.
A mon avis, ce principe n'est pas d'un grand secours en l'instance. Il n'y a aucune ambiguïté en ce qui concerne la signification ordinaire et gram- maticale des termes utilisés à l'article 27.
Cet article prévoit, comme on l'a dit plus haut, que l'absence du demandeur est pardonnable si elle est «autorisée» ou prévue par une loi du Parlement ou sous son régime. Les dispositions du Code criminel en vertu desquelles le demandeur a été incarcéré n'autorisent pas et ne prétendent pas non plus autoriser l'absence de celui-ci de son travail.
L'avocat de Sa Majesté a cité plusieurs exem- ples de cas la loi autorise ou prévoit une absence du travail: le paragraphe 32(3) de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique elle-même qui prévoit le cas un employé de la Fonction publique se porte candidat à une élection à la Chambre des communes, à une législature provin- ciale, ou au Conseil du territoire du Yukon ou celui des territoires du Nord-Ouest, ou une disposi tion prévoyant qu'un employé peut assister à cer- taines réunions du syndicat dont il est un délégué, ou d'autres dispositions encore, dont aucune ne se rapproche de la condamnation à une peine d'emprisonnement.
Le principe sur lequel s'est fondé l'avocat de Sa Majesté n'est pas celui qui est énoncé dans la règle d'or, mais plutôt la méthode qui consiste, en logi- que, à réfuter un argument en démontrant à quelle conséquence absurde il aboutit. Cette méthode est énoncée dans la maxime latine reductio ad absurdum.
L'avocat de la défenderesse a cité l'exemple d'un employé qui serait condamné à l'emprisonnement à vie. Si on interprétait le Code criminel comme «autorisant ou prévoyant» l'absence de cet employé, il serait impossible de se prévaloir de l'article 27 pour déclarer que cet employé est réputé avoir abandonné son poste. Le simple énoncé de cette proposition en démontre l'absur- dité, absurdité que le Parlement n'a pu avoir l'in- tention de sanctionner quand il a adopté l'article 27 de la Loi. Le même raisonnement peut s'appliquer aux peines d'emprisonnement dont la durée est moindre mais supérieure à une semaine.
Pour ces motifs, je suis d'avis que la situation du demandeur est précisément l'une de celles qui sont visées par l'article 27 de la Loi. Cette conclusion ne met cependant pas fin au litige.
Récemment, dans l'arrêt Morin c. La Reine [1981] 1 C.F. 3, la Division d'appel a eu l'occasion d'examiner l'article 27 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique.
Conformément à cet article, le sous-chef avait mis fin à l'emploi d'un fonctionnaire en déclarant qu'il avait abandonné le poste qu'il occupait.
Le juge de première instance [[1979] 2 C.F. 642] a conclu que le sous-chef avait mal exercé le pouvoir qui lui avait été conféré par l'article 27 en exprimant l'opinion que cet employé avait été absent de son poste pour des raisons qui n'étaient pas indépendantes de sa volonté.
La Division d'appel a eu à déclarer si cette conclusion du juge de première instance était bien fondée.
Le jugement unanime de la Cour a été rendu par le juge Pratte qui a fait la déclaration suivante aux pages 9 et 10 dudit jugement:
Le premier juge semble avoir considéré que le Sous-ministre exerça un pouvoir discrétionnaire en se faisant une opinion sur les motifs de l'absence de l'employé. Cela est inexact, l'article 27 confère au Sous-ministre le pouvoir de déclarer qu'un employé a abandonné son poste. L'opinion du Sous- ministre sur les causes de l'absence de son subalterne est seulement une condition préalable nécessaire à l'exercice de ce pouvoir.
Le premier juge fonda principalement sa décision semble-t-il, sur le principe qu'un pouvoir discrétionnaire doit être exercé de façon juste et équitable. Ce principe, dans la mesure il existe, signifie seulement que les pouvoirs administratifs doivent être exercés d'une façon, c'est-à-dire suivant une procédure, qui soit conforme à la loi et à la justice; il ne signifie pas qu'un pouvoir administratif est irrégulièrement exercé pour le seul motif que son exercice a pour résultat de créer une situation que le juge trouve injuste. La seule question qu'avait à résoudre le juge de première instance était donc celle de savoir si le Sous-ministre avait exercé son pouvoir conformément aux exi- gences de l'article 27 et des principes généraux du droit administratif.
Pour les motifs déjà exprimés, j'ai conclu qu'en l'espèce le sous-chef s'était conformé en tout point aux trois conditions énumérées plus haut, condi tions préalables à la déclaration qu'il doit faire et expédier par écrit à la Commission.
En l'espèce, les règles de procédure qu'énumère l'article 27 ont été respectées. On peut en déduire que le sous-chef a agi équitablement sur le plan de la procédure.
Il reste en conséquence à déterminer si le sous- chef a exercé son pouvoir en conformité «des prin- cipes généraux du droit administratif».
L'expression «des principes généraux du droit administratif» qu'emploie le juge Pratte permet de déduire qu'«on applique ... dans le domaine admi- nistratif ou exécutif, l'obligation d'agir équitable- ment», obligation qui ne coïncide pas nécessaire- ment avec les règles de justice naturelle applicables dans le domaine quasi judiciaire, même s'il peut y avoir chevauchement. Il importe de maintenir un équilibre entre l'obligation d'agir équitablement et les besoins de l'activité adminis trative en question, en tenant compte de l'autorité administrative intéressée, du pouvoir qu'elle exerce, et des conséquences que doit supporter la personne qui est touchée par l'exercice de ce pouvoir.
Ce sont les paragraphes 10 et 14 de l'exposé conjoint, lesquels figurent sous la rubrique QUES TIONS EN LITIGE, qui soulèvent ces questions, et pour plus de commodité, je les cite à nouveau.
Le paragraphe 10 se lit comme suit:
10. Avant de mettre fin à l'emploi du demandeur, la défende- resse devait-elle lui fournir l'occasion d'être entendu, et avait- elle l'obligation d'agir équitablement à son égard?
Comme je l'ai déjà indiqué, l'avocat du deman- deur a admis que le sous-chef n'avait pas l'obliga- tion de fournir au demandeur l'occasion d'être entendu, et je suis d'avis que cela comprend l'audi- tion orale ou l'audition écrite.
J'estime, considérant les circonstances de l'es- pèce, que ce compromis est fondé.
Dans certains cas une autorité administrative décide, dans l'exercice de son pouvoir discrétion- naire, de renvoyer un employé, celui-ci peut béné- ficier d'une audition afin de fournir des explica tions qui, si elles sont valables, peuvent atténuer la
rigueur de la sanction, même s'il apparaissait dès le début qu'une réprimande s'imposait.
Dans l'arrêt Cinnamond c. British Airports Authority [ 1980] 2 All E.R. 368, lord Denning, M.R., a déclaré ce qui suit, à la page 374, au sujet de la possibilité que je viens de mentionner:
[TRADUCTION] Je puis apprécier la solidité de cet argument. Mais il n'a d'application que lorsque l'on peut légitimement s'attendre à être entendu. Si ce n'est pas le cas, on ne peut pas réclamer une audition.
Dans le cas qui nous occupe, les raisons de l'absence du demandeur de son travail étaient bien connues, ainsi que la durée de cette absence, de sorte qu'une audition aurait été inutile.
Quant à la dernière question posée par le paragraphe 10, savoir la défenderesse »avait-elle l'obligation d'agir équitablement à son égard?», j'y ai répondu par l'affirmative.
Les circonstances que le demandeur juge inéqui- tables sont exposées au paragraphe 14, que je répète ici:
14. Compte tenu de la décision du Comité d'appel de la Commission de la Fonction publique et des circonstances parti- culières de la situation du demandeur, la défenderesse a-t-elle exercé la discrétion que lui confère l'article 27 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique d'une manière irrégulière, arbitraire ou injustifiée?
Il est opportun, à ce stade-ci, de présenter dans l'ordre chronologique les événements qui ont eu lieu.
Le 28 février 1980, le demandeur obtient un congé de maladie sans traitement du ministère des Postes.
Le 21 mars 1980, le demandeur est reconnu coupable de deux infractions pour lesquelles il est condamné à 15 mois d'emprisonnement et à un an de probation. Il bénéficie immédiatement d'une remise de peine équivalant à un tiers de la sen tence, raccourcissant la durée de la peine à purger à 10 mois.
Le 21 mars 1980, l'épouse du demandeur solli- cite pour celui-ci un congé sans traitement de 15 mois sans donner d'explications. Elle dit à l'enquêteur de s'adresser à l'avocat de son mari. Ce congé est refusé au motif qu'il va à l'encontre des dispositions de la convention collective.
Le 25 mars 1980, l'enquêteur rejoint l'avocat du demandeur, et apprend que ce dernier a été con- damné à 15 mois d'emprisonnement, sans pour autant que l'avocat lui révèle les raisons de cette sentence. La Direction des services de sécurité et des enquêtes du ministère des Postes est sommée d'effectuer une enquête relativement à cette affaire.
Le l e ` avril 1980, la Direction des services de sécurité et des enquêtes fait rapport et recom- mande le renvoi du demandeur.
Le 3 avril 1980, le sous-chef donne avis au demandeur, conformément au paragraphe 31(2) de la Loi, de la recommandation préconisant son renvoi.
Le 14 avril 1980, le sous-chef, en conformité de l'article 31 de la Loi, recommande à la Commis sion que le demandeur soit renvoyé.
Le 14 mai 1980, le Comité d'appel de la Com mission de la Fonction publique entend l'appel du demandeur.
Le 16 mai 1980, le Comité d'appel, concluant que la décision du sous-chef de recommander le renvoi du demandeur n'était pas fondée, accueille l'appel de ce dernier. Cette décision du Comité d'appel n'a pas fait l'objet de la demande d'exa- men judiciaire prévue à l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale.
Le 27 août 1980, le sous-chef déclare, au moyen d'un écrit adressé à la Commission, que le deman- deur a abandonné le poste qu'il occupait, et ce dernier est dès lors renvoyé.
Le 27 août 1980, le demandeur est informé par lettre que, par suite d'une démarche entreprise en vertu de l'article 27 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique, il est réputé avoir abandonné ses fonctions à partir de cette date. Il ne répond pas à cette lettre.
Le 21 janvier 1981, le demandeur est libéré; il a été emprisonné 10 mois.
Le Zef décembre 1981, il travaille pour une journée, et trouve que le travail ne lui convient pas.
La rémunération que touchait le demandeur au moment il a cessé de travailler, le 28 février 1980, était de $6.30 l'heure pour une semaine de
40 heures de travail, ou de $252 par semaine. Du 15 février 1981 au 27 janvier 1982, il a reçu des prestations d'assurance-chômage d'un montant de $294 par deux semaines, ou de $7,350 pour toute la période visée.
En février 1982, il a reçu $266 en prestations d'aide sociale.
Cette preuve vise à établir le montant des dom- mages-intérêts que la défenderesse pourrait être condamnée à payer.
Pour étayer l'affirmation que l'on n'avait pas agi équitablement à l'égard du demandeur, l'avocat de celui-ci a soutenu que le sous-chef, contrarié du fait que le Comité d'appel de la Commission de la Fonction publique avait rejeté sa décision de ren- voyer le demandeur, avait décidé de ne pas présen- ter de demande d'examen judiciaire de cette déci- sion à la Division d'appel de la Cour fédérale, et de ne rien faire entre le 17 mai 1980 et le 27 août 1980 (un peu plus de trois mois), date à laquelle il a déclaré que le demandeur avait abandonné son poste.
La question que pose le paragraphe 14 de l'ex- posé conjoint est de savoir si, compte tenu de la décision du Comité d'appel, le sous-chef a exercé la «discrétion» que lui confère l'article 27 de la Loi «d'une manière irrégulière, arbitraire ou injusti- fiée».
En vertu de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique, le sous-chef avait à sa disposition deux moyens évidents pour défaire le ministère des Postes de cet employé.
Le premier était prévu à l'article 31 de la Loi, sous la rubrique Incompétence et incapacité. Sui- vant cet article, lorsque le sous-chef est d'avis qu'un employé est incompétent dans l'exercice des fonctions de son poste, ou incapable de remplir ces fonctions, il peut recommander à la Commission que l'employé soit nommé à un poste inférieur ou renvoyé.
C'est cette dernière recommandation que le sous-chef avait faite à la Commission en vertu de cet article.
Conformément à cet article, il a donné au demandeur un avis écrit de cette recommandation.
L'employé a le droit d'interjeter appel de cette recommandation devant un comité d'appel établi par la Commission, et celle-ci, après avoir été informée de la décision de ce comité, doit donner suite ou non à la recommandation du sous-chef selon la décision dudit comité.
La lettre informant le demandeur que son renvoi avait été recommandé invoquait la raison suivante: [TRADUCTION] vous vous trou- vez de vous présenter au travail, à cause de votre condamnation pour une infraction criminelle et de la sentence de 15 mois d'emprisonnement qui vous a été imposée».
Le demandeur a interjeté appel. Le Comité a jugé que le sous-chef avait agi de façon prématu- rée et injustifiée. Le Comité est arrivé à cette conclusion [TRADUCTION] cause du caractère temporaire de l'incapacité et du fait qu'elle n'est pas susceptible de se reproduire», et parce qu'il n'y avait pas de raison de ne pas attendre qu'un appel de la sentence ait été rejeté. Le Comité a exprimé l'opinion qu'il se pouvait fort bien que le deman- deur retourne au travail bien avant que la sentence de 15 mois soit purgée.
Je crois savoir qu'aucun appel n'a été interjeté, mais s'il y avait eu un tel pourvoi, il est fort possible qu'il se serait soldé par une augmentation de la sentence plutôt que par une réduction.
Une remise de peine équivalant à un tiers la peine s'applique automatiquement à une sentence à durée déterminée. En conséquence, la durée de l'emprisonnement serait d'au plus 10 mois.
C'est effectivement une peine de 10 mois que le demandeur a purgée, savoir du 21 mars 1980 au 21 janvier 1981. Il n'y avait qu'une vague possibi- lité que celui-ci purge une sentence moindre.
Je ne suis pas sûr que dans la situation se trouvait le demandeur, le sous-chef ait choisi la bonne procédure en ayant recours à l'article 31.
La rubrique Incompétence et incapacité remplit la même fonction pour l'interprétation d'un article que le préambule pour une loi. Le rôle interprétatif de la rubrique consiste à clarifier ce qui peut être ambigu dans les articles; elle peut restreindre ou étendre la portée d'un article selon ce qui est le plus conforme à l'intention du législateur. Il n'y a pas d'incompatibilité entre les mots employés dans
la rubrique et les mots «incompétent» et «incapa- ble» qui figurent dans le libellé du para- graphe 31(1).
Aucun de ces mots n'a un sens technique ou n'est employé dans un sens technique en rapport avec une science ou un art. Comme ce sont des mots qui font partie du vocabulaire ordinaire, ils doivent recevoir leur signification ordinaire.
Personne ne prétend que le demandeur était incompétent dans l'exercice des fonctions de son poste, mais plutôt qu'il était incapable de les accomplir. Le sous-chef a jugé que le demandeur était «incapable» parce qu'il était incarcéré.
Dans son sens ordinaire, le mot «incapable» signifie qui n'a pas le pouvoir d'accomplir une tâche particulière, ou qui n'en a pas les aptitudes, les qualités ou la faculté.
Les mots Incompétence et incapacité figurent dans la rubrique. La maxime de lord Hale, nosci- tur a sociis porte que lorsque des mots sont employés en association, leur signification est limi- tée à cette même association.
Les mots «incompétence» et «incapacité» sont souvent employés comme synonymes et chacun d'eux a une connotation mentale.
Ainsi, ce n'était pas en raison d'une incapacité mentale que le demandeur n'était pas en mesure de remplir ses fonctions mais plutôt à cause de l'ab- sence à laquelle son incarcération le contraignait.
C'est pourquoi je ne suis pas sûr que l'on ait eu recours à la bonne procédure en suivant celle que prévoit l'article 31 de la Loi; mais il ne m'appar- tient pas de décider si l'article 31 est applicable ou non en l'instance, et je ne le fais pas.
Après avoir passé en revue toutes les circons- tances du cas, la Direction des services de sécurité et des enquêtes a recommandé, le ler avril 1980, le renvoi du demandeur. Les différents paliers du Ministère ont alors agi avec célérité. Le 21 mars 1980, le demandeur était condamné à une peine d'emprisonnement de 15 mois. Le 3 avril 1980, il recevait un avis écrit l'informant que l'on se prépa- rait à présenter à la Commission une recomman- dation préconisant son renvoi, laquelle a effective-
ment été présentée le 14 avril 1980. Il est à espérer que Postes Canada fasse preuve d'autant d'em- pressement pour la livraison du courrier.
Le demandeur a fait valoir le droit d'appel que lui confère le paragraphe 31(3). Le Comité d'appel a accueilli son pourvoi le 16 mai 1980, au déplaisir manifeste de l'employeur, comme on peut en juger des événements qui ont suivi.
L'employeur pouvait aussi faire valoir ses droits en présentant une demande de révision et d'annu- lation de la décision du Comité d'appel de la Commission de la Fonction publique en vertu de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale.
Aucune demande n'a été présentée.
Le sous-chef a plutôt eu recours à l'article 27 de la Loi, et a déclaré, le 27 août 1980, au moyen d'un écrit approprié, que le demandeur avait aban- donné le poste qu'il occupait.
Cette démarche que le ministère des Postes a faite quelque trois mois après la décision du Comité, peut être interprétée comme une expres sion de mépris envers le Comité et son fonctionne- ment, et c'est cette interprétation que l'avocat du demandeur en a donnée, non sans raison appa- rente, en qualifiant la démarche en question d'ar- rogante, d'arbitraire, mais plus pertinemment d'in- juste. Le sous-chef avait agi de façon déloyale.
Effectivement, c'est ce qu'avait fait le sous-chef. Il avait emprunté la voie de l'article 31 de la Loi, jusqu'à ce que la décision défavorable du Comité vienne y faire obstacle. Il n'a pas tenté d'éliminer cet obstacle en employant les moyens qui s'of- fraient à lui.
Il a laissé cette voie, préférant emprunter celle de l'article 27 de la Loi. Peut-être faisait-il fausse route la première fois et que la deuxième voie était la bonne.
Il échet de déterminer si le sous-chef a dérogé à l'obligation qui incombe à l'administration d'agir équitablement en agissant comme il l'a fait, ou comme le disent les parties au paragraphe 14 de l'exposé conjoint, si la discrétion que confère l'article 27 de la Loi a été exercée d'une manière irrégulière, arbitraire ou injustifiée, propre à cons-
tituer une violation du devoir de l'administration d'agir équitablement.
Je ne crois pas que, par son action, le sous-chef ait ainsi contrevenu à cette obligation.
Pour les raisons que j'ai déjà exprimées, les conditions préalables à l'application de l'article 27 de la Loi étaient remplies; les faits n'étaient pas contestables, et à mon avis, l'absence du deman- deur n'était autorisée ou prévue par aucune loi du Parlement.
Cela étant, le sous-chef a exercé le pouvoir que lui conférait l'article 27 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique en stricte conformité des dispositions de cet article.
En conséquence, on ne peut pas dire que le sous-chef a exercé de façon irrégulière le pouvoir administratif qui lui était dévolu, ni qu'il l'a fait de façon injustifiée. On ne peut pas dire non plus qu'il a agi de manière arbitraire. Il a respecté les limites que lui imposait l'article 27 de la Loi. L'avocat du demandeur a admis que la loi n'imposait pas la tenue d'une audition. Quoi qu'il en soit, tous les faits pertinents étaient connus, et le demandeur ne pouvait légitimement s'attendre à être entendu. Il aurait été difficile de tenir une audition en pré- sence du demandeur, et une audition n'a pas besoin d'être orale. Le demandeur a été informé par une lettre en date du 27 août 1980 de la démarche qu'entreprenait le sous-chef. Cette lettre constituait un avis, et n'avait pas pour but d'inviter le demandeur à venir présenter ses observations. Mais elle a effectivement servi à avertir ce dernier de la démarche du sous-chef sans qu'il décide de présenter d'observations à l'encontre de cette démarche.
Pour les motifs que j'ai exprimés oralement à la clôture de l'audition et que j'ai repris ici, le deman- deur n'a pas droit à la conclusion recherchée au paragraphe 11a) de sa déclaration, conclusion dans laquelle il prie la Cour de déclarer que son emploi auprès de la défenderesse n'a jamais pris fin et qu'il n'a jamais cessé d'être un employé de Sa Majesté.
Le demandeur n'a pas droit non plus, pour les motifs susdits, à la conclusion énoncée au paragraphe 11b) de sa déclaration, savoir que la
Cour déclare que la défenderesse a illégalement mis fin à son emploi en application de l'article 27 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique.
Comme le demandeur n'a pas droit à la conclu sion recherchée au paragraphe 1lb) de sa déclara- tion, il s'ensuit qu'il n'a pas été injustement ren- voyé et qu'il n'a donc pas droit aux dom- mages-intérêts réclamés au paragraphe 11c) de sa déclaration.
En conséquence, l'action est rejetée et le deman- deur n'a droit à aucune des conclusions deman- dées.
Sa Majesté pourra recouvrer ses dépens taxés.
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