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T-5725-81
496482 Ontario Inc. (demanderesse) c.
Le procureur général du Canada, le ministre des Transports du Canada, VIA Rail Canada Inc., le Canadien Pacifique Limitée et les Chemins de fer nationaux du Canada (défendeurs)
Division de première instance, juge Walsh— Toronto, 16 février; Ottawa, 2 mars 1982.
Contrôle judiciaire Recours d'equity Injonctions Injonction interlocutoire Demanderesse constituée en cor poration par les membres d'une association de voyageurs Capacité d'ester de la demanderesse Tendance à autoriser les recours des groupes d'intérêt public même en l'absence de fonds suffisants pour fournir une garantie Pouvoir discré- tionnaire de la Cour en ce qui concerne la capacité d'ester Instruction du litige au fond même si la société demanderesse n'est pas touchée personnellement La demanderesse cherche à obtenir l'interdiction, pour les défendeurs, de donner effet à un décret supprimant un service de trains de banlieue Fin de non-recevoir opposée par les défendeurs motif pris d'ab- sence de cause à la demande Modification par le gouver- neur en conseil, de son propre mouvement, des ordonnances de la Commission canadienne des transports et suppression de certains services de trains de voyageurs Selon la demande- resse, aucune possibilité de suppression de services ferroviaires sur le fondement de l'art. 260 de la Loi sur les chemins de fer sauf à la demande du chemin de fer lui-même, sur preuve de perte financière Y a-t-il excès de pouvoir de la part du gouverneur en conseil? Compétence matérielle de la Com mission en vertu de l'art. 48 de la Loi nationale sur les transports vu la demande antérieure du Canadien Pacifique qui exploitait le service avant VIA Rail, l'exploitant actuel Compétence de la Commission pour supprimer tous les servi ces de trains de passagers sur une ligne donnée Accueil de la fin de non-recevoir sous réserve de l'instruction d'une question de droit portant sur la compétence du gouverneur en conseil d'ordonner qu'une suppression de service prenne effet plus d'un an après le prononcé de l'ordonnance à ce sujet Requête en injonction rejetée quant au procureur général et au ministre des Transports Requête ajournée sine die quant aux autres défendeurs Loi sur les chemins de fer, S.R.C. 1970, c. R-2, art. 260, 261, 262 Loi nationale sur les transports, S.R.C. 1970, c. N-17, art. 3, 48, 64 Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10, art. 23.
La demanderesse conclut à une injonction interlocutoire qui interdirait aux défendeurs de suspendre les services de trains de voyageurs ou de limiter lesdits services suspendus sur la foi du décret C.P. 1981-2171. Les défendeurs opposent une fin de non-recevoir à la déclaration. La demanderesse fait valoir que le décret devait prendre effet plus de 12 mois après son adoption, ce que la loi interdit. Aucune perte économique n'a été établie puisqu'il n'y a eu aucune requête de VIA Rail en suppression du service, ni aucune perte du Canadien Pacifique au cours de l'année précédant le décret de suppression puisque pendant cette période VIA Rail exploitait le service. Le décret
a mis fin à l'ensemble du service de trains de voyageurs de ladite ligne, ce qui, d'après la demanderesse, est contraire à la loi car la suppression du service n'équivaut pas à son abandon. Il s'ensuit, selon cet argument, que la Commission canadienne des transports ne pouvait rendre l'ordonnance en cause, qui serait contraire à la loi, et échapperait donc aussi au pouvoir du gouverneur en conseil.
Arrêt: la fin de non-recevoir est partiellement accueillie et la demande d'injonction interlocutoire ajournée sine die. Le para- graphe 260(2) de la Loi sur les chemins de fer prévoit que si une compagnie désire supprimer un service de trains de voya- geurs, elle doit le demander. Le paragraphe 260(5) dispose que si la compagnie n'a subi aucune perte réelle d'exploitation au cours de la dernière année de comptabilité prescrite, le gouver- neur en conseil doit rejeter la demande. Quant au moyen selon lequel VIA Rail n'a fait aucune demande de cessation de service et le Canadien Pacifique n'a subi aucune perte dans l'année précédant le décret, il faut noter toutefois une demande du Canadien Pacifique de mettre fin au service, demande qui a été rejetée en 1971. Après nouvel examen, en 1976, la demande a de nouveau été rejetée. Après réexamen en 1981, VIA Rail et le Canadien Pacifique se sont vu refuser l'autorisation de mettre fin au service. Le Canadien Pacifique et VIA Rail sont conjointement visés dans l'ordonnance R-32317 qu'abroge le décret C.P. 1981-2171. L'article 48 de la Loi nationale sur les transports porte que la Commission peut, de son propre mouve- ment, ou doit, à la demande du Ministre, instruire toute question qu'elle peut, en vertu de la présente Partie ou de la Loi sur les chemins de fer, instruire sur demande ou sur plainte. Que VIA Rail ait demandé ou non la suspension du service en cause par suite de pertes financières, la Commission pouvait, de son propre mouvement, enquêter à ce sujet. L'argument selon lequel le Comité n'était pas compétent en la matière, puisque VIA Rail n'avait formé aucune demande de mettre fin au service est inacceptable. La demanderesse soutient que les compagnies ferroviaires ont l'obligation, selon l'article 262 de la Loi sur les chemins de fer, d'offrir un espace adéquat pour tout objet de transport, y compris les passagers, et qu'il faut distin- guer la suppression d'un service de trains de voyageurs de la suppression de tout service de transport de passagers sur une ligne particulière. La définition même de service de trains de voyageurs parle de «train ou [de] trains», et le terme «trains» désigne présumément tous les trains d'un tel service. En outre, l'argument de la demanderesse, poussé à l'absurde, amènerait à conclure qu'après la mise en place d'un tel service de trains de voyageurs, la loi en interdirait l'abandon même dans le cas, par exemple, il servirait au transport de 10 passagers seulement par jour et perdrait $1,000,000 par année car, si cet abandon était dans l'intérêt du «public» en général, il ne serait pas dans l'intérêt du public «usager» du service. Le paragraphe 260(7) de la Loi sur les chemins de fer dit que lorsque la Commission décide qu'un service de trains de voyageurs non rentable doit être supprimé, elle doit fixer la date ou les dates «qui lui semblent être d'intérêt public pour l'arrêt de l'exploitation du service ou de parties de celui-ci». L'emploi des termes «ou de parties de celui-ci» rapprochés du terme «service» indique que celui-ci peut non seulement être supprimé en partie mais aussi entièrement. Enfin, il ne fait aucun doute que le gouverneur en conseil, sur le fondement de l'article 64 de la Loi nationale sur les transports, pouvait modifier l'ordonnance R-32317 de la Commission. Mais une question sérieuse se pose: y avait-il, ce
faisant, infraction au paragraphe 260(7) de la Loi sur les chemins de fer, si la suppression ne devait prendre effet que plus d'un an après la prise du décret? Cet alinéa de la déclara- tion ne devrait pas être radié. Devra être décidée une question de droit: la modification des ordonnances en cause par le décret C.P. 1981-2171 est-elle invalide parce que prenant effet plus d'un an après la prise du décret?
Jurisprudence: décisions appliquées: Le procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat of Canada [1980] 2 R.C.S. 735; National Indian Brotherhood c. Juneau (N° l) [1971] C.F. 66; Thorson c. Le Procureur Général du Canada [1975] 1 R.C.S. 138; Le ministre de la Justice du Canada c. Borowski [1981] 2 R.C.S. 575. Décisions mentionnées: City of Melville c. Le procureur général du Canada [1982] 2 C.F. 3; Le ministre des Transports du Québec c. Le procureur général du Canada [1982] 2 C.F. 17; Nicholson c. Haldimand-Norfolk Regional Board of Commissioners of Police [1979] 1 R.C.S. 311; Martineau c. Le Comité de discipline de l'Institution de Matsqui (N° 2) [1980] 1 R.C.S. 602.
REQUÊTE. AVOCATS:
Ian W. Outerbridge, c.r. et Fred A. Platt pour la demanderesse.
E. A. Bowie, c.r., pour les défendeurs le pro- cureur général du Canada et le ministre des Transports du Canada.
Michel Huart pour la défenderesse VIA Rail Canada Inc.
T. Moloney pour la défenderesse Canadien Pacifique Limitée.
L. Band, c.r., pour la défenderesse Chemins de fers nationaux du Canada.
PROCUREURS:
Outerbridge, Toronto, pour la demanderesse.
Le sous-procureur général du Canada pour les défendeurs le procureur général du Canada et le Ministre des Transports du Canada.
Contentieux, VIA Rail Canada Inc., Mont- réal, pour la défenderesse VIA Rail Canada Inc.
Contentieux, Canadien Pacifique Limitée, Montréal, pour la défenderesse Canadien Pacifique Limitée.
Contentieux, Chemins de fer nationaux du Canada, Toronto, pour la défenderesse Che- mins de fer nationaux du Canada.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE WALSH: La demanderesse conclut à une injonction interlocutoire qui interdirait aux défendeurs d'agir sur la foi, ou en exécution, du décret C.P. 1981-2171 [DORS/81-892], et de sus- pendre, supprimer ou limiter par ailleurs les servi ces de trains de voyageurs que prétend suspendre, supprimer ou limiter ce décret. Tous les défen- deurs, y compris la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (incorrectement appelée les Chemins de fer nationaux du Canada) ont, sur le fondement de la Règle 419 des Règles de la Cour fédérale, opposé une fin de non-recevoir à la décla- ration, concluant au rejet de l'action motif pris que cette déclaration ne recèle aucune cause raisonna- ble de demande contre eux ou, subsidiairement, concluant à la prorogation du délai de production de la défense de 30 jours, après qu'il aura été définitivement statué sur la requête. Toutes les requêtes ont été instruites en même temps.
La demanderesse est une société que les mem- bres de la Toronto—Peterborough--Havelock Line Passenger Association of Ontario ont cons- tituée dans le but de promouvoir le transport par chemins de fer. L'injonction à laquelle conclut la demanderesse ne viserait que le service de trains de voyageurs Toronto—Havelock (l'annexe IX du décret) mais ledit décret vise aussi le service de trains de voyageurs Toronto—Stouffville (l'annexe VIII) et celui entre Toronto et Barrie (l'annexe XV du décret). La validité de décrets en substance semblables a été mise en cause dans deux autres espèces qui, je crois comprendre, ont été portées en appel; néanmoins, elles font pour l'instant jurispru dence pour ce qui y a été statué. Il s'agit première- ment du jugement du juge Collier dans City of Melville c. Le procureur général du Canada [1982] 2 C.F. 3, relatif à certains services ferro- viaires de la Saskatchewan, en second lieu, de l'espèce Le ministre des Transports du Québec c. Le procureur général du Canada [1982] 2 C.F. 17, relative à des services ferroviaires de la province de Québec. Les deux jugements étudient l'arrêt Le procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat of Canada' et en citent un nombre important d'ex-
' [1980] 2 R.C.S. 735.
traits. Le jugement québécois mentionne aussi les arrêts Nicholson et Martineau 2 sur l'obligation d'agir équitablement; ce serait se répéter que d'énoncer à nouveau les motifs de ces arrêts ici; les seuls points litigieux dont la Cour est donc saisie par les présentes requêtes concernent les moyens qui n'auraient pas été pris en compte dans ces affaires ou les faits qui pourraient être suffisam- ment différents pour justifier de statuer autrement. L'avocat de la demanderesse a sans difficulté reconnu cela à l'audience et a abandonné tout moyen fondé sur les alinéas a), b), c), d), e), h) et j) du paragraphe 19 de la déclaration révisée. Reste donc à examiner les faits articulés aux ali- néas f), g), et i) ((i) et (ii)). Voici ces alinéas:
[TRADUCTION] f) on a pris en compte certains facteurs non pertinents comme les besoins en capital de Via Rail et le total de ses subsides d'opération sans égard pour l'importance de ces derniers ni pour la manière dont ils étaient reliés aux divers services de trains de voyageurs supprimés: c'est à tort en droit que le gouverneur général en conseil a pris ce facteur en compte.
g) le gouverneur général en conseil n'a pas pris en compte certains facteurs pertinents comme les obligations légales qu'impose aux compagnies ferroviaires l'article 262 de la Loi sur les chemins de fer; subsidiairement, le gouverneur géné- ral en conseil a ignoré l'existence de ces obligations ou; subsidiairement, a cherché par son décret à déroger à l'article 262 de la Loi sur les chemins de fer.
i) le décret ne correspond pas à une ordonnance qu'aurait pu rendre la Commission et en conséquence échappe à la compé- tence du gouverneur général en conseil; aucune ordonnance notamment ne peut être rendue dans le but de supprimer un service de trains de voyageurs
(i) plus d'un an à compter de l'ordonnance, et
(ii) qu'exploite le CP, si le CP n'a pas subi, ou si la Commission n'a pas constaté que le CP avait subi, une perte réelle au cours de l'année précédente en conséquence de l'exploitation du service de trains de voyageurs.
En toile de fond au litige, comme l'énonce la déclaration révisée, on voit le ministre des Trans ports du Canada, à titre de responsable de l'exécu- tion et de la mise en oeuvre des dispositions de la Loi sur les chemins de fer, S.R.C. 1970, c. R-2, et de la Loi nationale sur les transports, S.R.C. 1970, c. N-17, recommander au gouverneur en conseil de modifier, de son propre mouvement,
z Nicholson c. Haldimand-Norfolk Regional Board of Com missioners of Police [1979] 1 R.C.S. 311. Martineau c. Le Comité de discipline de l'Institution de Matsqui (N° 2) [1980] 1 R.C.S. 602.
certaines ordonnances du Comité des transports par chemin de fer de la Commission canadienne des transports et des ordonnances du Comité de révision de la Commission et, en ce qui concerne l'instance en cause, le Plan définitif pour le service de l'Est des trains transcontinentaux de voyageurs de juin 1979. VIA Rail a été constituée afin de fournir un service de passagers national intégré en coopération avec les services du Canadien Pacifi- que Limitée et de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada. La Commission canadienne des transports, constituée en vertu de la Loi natio- nale sur les transports, a l'obligation d'exercer les fonctions que lui attribuent, notamment, la Loi nationale sur les transports, la Loi sur les chemins de fer et la Loi sur les transports, S.R.C. 1970, c. T-14, afin de coordonner les opérations des trans- porteurs de tout genre, et de voir ainsi au maintien d'un système de transport rentable, efficace et adéquat, au moindre coût, dans l'intérêt des usa- gers, et ainsi d'assurer le bien-être économique et la croissance du Canada. Le gouverneur en conseil a la compétence ou le pouvoir dans certains cas de réviser ou de rescinder les ordonnances, décisions, règles ou règlements de la Commission.
La demanderesse soutient que, vu l'article 260 de la Loi sur les chemins de fer, la Commission doit décider qu'un service de trains de voyageurs doit ou ne doit pas être supprimé lorsque la compa- gnie ferroviaire responsable demande d'y mettre fin. Ce faisant, la Commission doit établir la perte réelle, le cas échéant, attribuable au service de trains de passagers pour chaque année comptable prescrite, rejeter toute demande de mettre fin au service si elle constate que la compagnie ferro- viaire n'a subi aucune perte dans cette exploitation lors de la dernière année des années comptables prescrites et, enfin, connaître de tout ce qui, à son avis, est d'intérêt public, y compris ce que prévoit expressément la Loi sur les chemins de fer, avant de constater qu'un service de trains de voyageurs non rentable devrait être, en tout ou en partie, supprimé. Vers le 6 août 1981, le gouverneur en conseil, de son propre mouvement, suivant la recommandation du Ministre, modifia, conformé- ment au paragraphe 64(1) de la Loi nationale sur les transports, certaines ordonnances de la Com mission relatives aux services de trains de voya- geurs partout au Canada par suite de l'adoption du décret C.P. 1981-2171 en cause. On soutient que
trois des services supprimés en Ontario desservent principalement des gens qui font la navette entre certains points du service fourni. Le décret ordon- nant la suppression des services entre Toronto et Havelock fut modifié par ledit décret du 6 août 1981 qui met fin aux services à compter du 7 septembre 1982. On soutient que les banlieu- sards qui empruntent quotidiennement ce service le font pour se rendre à leur travail. On soutient en outre que VIA Rail n'a jamais demandé cette suppression de service.
L'avocat de la demanderesse fait valoir que les causes précitées n'ont pas réglé les quatre points litigieux suivants:
1. Le décret en cause devait prendre effet plus de 12 mois après son adoption, ce que la loi interdit.
2. Aucune perte économique n'a été établie puis- qu'il n'y a eu aucune requête de VIA Rail en suppression du service ni aucune perte économi- que du Canadien Pacifique au cours de l'année précédant le décret de suppression puisqu'alors c'était VIA Rail qui exploitait le service.
3. Le décret a mis fin à tout le service de trains de voyageurs sur ladite ligne, ce qui, d'après la demanderesse, serait contraire à la loi car la suppression d'un service n'équivaut pas à son abandon.
4. Il s'ensuivrait que la Commission canadienne des transports ne pouvait rendre l'ordonnance en cause, laquelle serait contraire à la loi, et échap- perait donc aussi aux pouvoirs du gouverneur en conseil.
Les défendeurs ont soutenu que la demanderesse n'avait pas un intérêt suffisant pour lui permettre d'engager l'actuelle instance puisqu'il s'agissait d'une société qui ne subit elle-même aucun préju- dice par suite de l'annulation du service ferro- viaire. Cet argument a été rejeté. L'objet même de la constitution de cette société était de représenter les navetteurs utilisateurs du service. C'est un recours collectif qui aurait être intenté disent les défendeurs, mais, semble-t-il, cela aurait créé des complications inutiles et retardé l'instance alors que, de par sa nature même, il était urgent de la faire instruire. On a aussi prétendu que fré- quemment l'injonction interlocutoire accordée
comporte des modalités selon lesquelles le requé- rant doit fournir à l'intimé une sûreté ou lui donner quelque assurance d'indemnisation des dommages qui pourraient résulter du rejet éven- tuel de l'injonction après instruction au fond. Or, on pourrait présumer que la demanderesse n'est pas solvable, n'ayant été formée que pour les fins de l'actuelle instance et n'exerçant aucune entre- prise ni n'ayant aucun patrimoine. Il serait mani- festement prématuré de dénier toute capacité d'es- ter à la demanderesse sur ce fondement, cette question ne se posant que si l'injonction interlocu- toire devait être accordée; or, certainement, rien n'autorise à dire que celui qui n'est pas solvable ne peut demander d'injonction interlocutoire parce que, advenant son rejet après instruction au fond, il serait alors incapable d'indemniser les défen- deurs des dommages causés. D'ailleurs, la ten- dance est d'autoriser les groupes d'intérêt public validement constitués à engager le recours pour lequel ils ont été formés (voir, par exemple, l'es- pèce National Indian Brotherhood c. Juneau (N° 1) 3 , laquelle, bien qu'aient été en cause certaines dispositions expresses du paragraphe 19(2) de la Loi sur la radiodiffusion, S.C. 1967-68, c. 25, décida que la National Indian Brotherhood était une personne capable de porter plainte sur ce fondement. En rendant jugement, j'ai dit, aux pages 68 et 69:
Il est fort possible que la «personne» qui présente la plainte doive être quelqu'un ayant un intérêt précis à le faire mais on peut difficilement imaginer une «personne» ayant un plus grand intérêt à agir de la sorte que les requérants qui se plaignent d'avoir été offensés par le film à l'affiche du réseau C.T.V. intitulé «The Taming of the Canadian West» qui, selon eux, est «vulgairement raciste, historiquement inexact et diffamatoire envers la race et la culture indiennes», comme l'a déclaré M. Plain dans son affidavit. Je rejette donc cette objection.).
Une jurisprudence importante a examiné la ques tion de la capacité d'ester, mais les faits de chaque espèce diffèrent substantiellement; je m'en tiendrai donc à certains des principes de base énoncés dans ces espèces, lesquels justifient d'affirmer que la Cour détient à ce sujet un pouvoir discrétionnaire. Toutefois, dans certaines de ces espèces, la partie en cause avait épuisé alors tous ses autres recours, ce qui n'est pas le cas ici. Dans l'arrêt Thorson c.
3 [1971] C.F. 66.
Le Procureur Général du Canada'', le juge Laskin [tel était alors son titre] a dit ; à la page 147:
Je suis d'avis que, dans lès actions interitéés par un contribua- ble, la cour n'a pas moins le droit de régir la qualité pour agir qu'elle n'a le droit de régir l'octroi d'ordonnances déclaratoires demandées dans pareilles actions. Bref, il s'agit pour moi d'une question qui relève du pouvoir discrétionnaire de la cour, et la nature de la loi contestée est pertinente en ce qui concerne ce pouvoir discrétionnaire.
Dans l'arrêt Le ministre de la Justice du Canada c. Borowski [1981] 2 R.C.S. 575, la jurisprudence sur la question est longuement étudiée et, aux pages 580 et 581 de l'opinion du juge en chef Laskin, on commente l'arrêt Thorson comme suit:
En permettant que l'action du contribuable suive son cours dans l'affaire Thorson, cette Cour a souligné qu'elle le faisait dans l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire prépondérant, qui se rapportait à l'efficacité du recours. Elle a poursuivi en disant entre autres que «La question de savoir si la question qu'on cherche à soulever peut être réglée par les tribunaux est au coeur de ce pouvoir discrétionnaire» et que «La nature de la loi dont la validité est contestée est toute aussi pertinente, selon qu'elle comporte des prohibitions ou restrictions à l'égard d'une ou de catégories de personnes qui se trouvent ainsi particulière- ment touchées par ses dispositions en regard du public en général. S'il s'agit d'une loi de ce genre, la Cour peut décider ... qu'une personne faisant partie du public ... est touchée de trop loin pour qu'on lui reconnaisse qualité pour agir» la p. 161).
En l'espèce, il ne fait aucun doute que l'annulation de tous les services de trains de voyageurs sur la ligne Toronto—Havelock touchait personnelle- ment les navetteurs et, bien que techniquement on puisse dire que la société demanderesse n'ait pas été atteinte personnellement, je crois qu'on aurait tort de ne pas autoriser le débat au fond simple- ment parce que l'instance a été intentée par une société formée pour cette fin expresse par les indi- vidus personnellement atteints, plutôt que par l'un ou plusieurs de ceux-ci ou sous forme de recours collectif; j'exerce donc mon pouvoir discrétionnaire en conséquence.
Bien que, suivant l'invitation de la Cour, tous les points litigieux aient été débattus simultanément, non seulement par l'avocat de la demanderesse mais aussi par celui du procureur général du Canada et du ministre des Transports, de VIA Rail, du Canadien Pacifique et des Chemins de fer nationaux du Canada, je crois cependant qu'il serait opportun de traiter d'abord des moyens que
[1975] 1 R.C.S. 138.
soulèvent les fins de non-recevoir excipées par l'ensemble desdits défendeurs puisque, advenant qu'elles soient reconnues fondées, il n'y aura plus alors aucune action sur laquelle asseoir la demande d'injonction interlocutoire de la demanderesse et en conséquence celle-ci sera automatiquement déboutée.
L'argument principal de la demanderesse, lors- qu'elle excipe de ces fins de non-recevoir, se fonde sur l'assertion quelque peu surprenante, que les espèces précédentes n'ont pas été examinées, vou- lant que la Commission canadienne des transports elle-même n'ait pu ordonner la suppression du service de trains de voyageurs en cause. Le premier moyen de la demanderesse à cet égard met en cause l'interprétation de l'article 260 de la Loi sur les chemins de fers, paragraphe (2), que voici:
260... .
(2) Si une compagnie désire supprimer un service de trains de voyageurs, la compagnie doit, en conformité des règles et règlements de la Commission à ce sujet, déposer à la Commis sion une demande de suppression de ce service.
A cet égard, le paragraphe renvoie à la définition de service de trains de voyageurs du para- graphe (1) que voici:
260. (1) Dans le présent article et l'article 261,
«perte réelle», relativement à un service de trains de voyageurs, désigne
a) l'excédent, s'il en est, des frais subis par la compagnie dans le transport des voyageurs par le service de trains de voyageurs
sur
b) les revenus de la compagnie provenant du transport des voyageurs par le service de trains de voyageurs;
«service de trains de voyageurs» désigne le train ou les trains d'une compagnie qui sont capables de transporter des voya- geurs et qui sont déclarés par une ordonnance de la Commis sion, aux fins du présent article et de l'article 261, compren- dre un service de trains de voyageurs.
Les paragraphes (3) et (4) parlent de la fourniture d'états des frais et revenus afin de permettre d'éta- blir la perte réelle. Le paragraphe (5) dispose que si la Commission constate que dans l'exploitation d'un service de trains de voyageurs dont on a demandé la suppression, la compagnie «a subi ... une perte réelle dans une ou plusieurs des années de comptabilité prescrites et notamment, la der- nière de ces années», la Commission peut décider que le service n'est pas rentable, que vraisembla-
5 S.R.C. 1970, c. R-2.
blement il continuera de ne pas l'être et qu'il devrait être supprimé. Mais si la compagnie n'a subi aucune perte réelle d'exploitation au cours de la dernière année de comptabilité prescrite, elle doit rejeter la demande sans préjudice de toute demande qui pourrait subséquemment être faite pour sa suppression. Le paragraphe (6) prévoit que la Commission examinera «toutes les questions qui, à son avis, concernent l'intérêt public». Le paragra- phe (7) porte que si elle constate que l'exploitation d'un tel service non rentable de trains de voyageurs devrait cesser, elle fixera par son ordonnance la ou les dates, «qui lui semblent être d'intérêt public», de suppression du service «ou de parties de celui-ci»; l'arrêt ne devra pas avoir lieu cependant avant le trentième jour suivant la date de l'ordon- nance ni plus d'un an après. Le paragraphe (8) dispose que si la Commission constate que l'exploi- tation ne doit pas cesser, elle doit réexaminer la demande de suppression à des intervalles ne dépas- sant pas cinq ans à compter de la date de la première demande ou de son dernier examen. Le premier moyen par lequel la demanderesse décline la compétence de la Commission est que VIA Rail n'a fait aucune demande de cessation de service et que le Canadien Pacifique n'a subi aucune perte dans l'année précédant le décret; le décret ne remplacerait donc pas simplement une décision de la Commission mais ferait ce que la Commission elle-même ne pourrait faire sans enfreindre la législation. Il existe toutefois une demande du Canadien Pacifique de mettre fin audit service remontant au 31 octobre 1969, demande que le Comité des transports par chemin de fer rejeta le 31 mai 1971 par son ordonnance R-11827. Celle-ci fut réexaminée conformément au paragraphe 260(8) de la Loi sur les chemins de fer et le 31 mai 1976, l'ordonnance R-22892 rejeta à nou- veau la demande de suppression. Il y eut à nouveau réexamen le 29 mai 1981; sur le fondement de l'ordonnance R-32317 et VIA Rail et le Canadien Pacifique se virent refuser l'autorisation de mettre fin audit service. L'ordonnance mentionne la demande du Canadien Pacifique Limitée de mettre fin à son service de trains de voyageurs puis pour- suit en parlant de la «responsabilité qui est mainte- nant partagée par VIA Rail Canada Inc. (VIA Rail) et Canadien Pacifique Limitée, à partir du Zef avril 1979...». La perte réelle pour l'année 1979 a été fixée à $597,599 et celle pour l'année 1980, $888,913, ces deux chiffres étant présentés
comme soumis au Comité sans qu'il les ait approu- vés. Ces chiffres indiquent une diminution réelle des recettes, qui passent de $360,009 en 1979 à $240,066 en 1980. Le Comité constate ensuite que VIA Rail, de concert avec le Comité, est à réfor- mer son système de calcul des frais d'exploitation; tant que le nouveau système ne sera pas en place, on ne pourra garantir les chiffres des pertes réelles. Le Comité ajoute que les chiffres qu'ont soumis VIA Rail Canada et le Canadien Pacifique Limi- tée représentent un estimé raisonnable des pertes subies; il conclut: «Il [le Comité] apportera peut- être, lors de la vérification finale, des rajustements mineurs; toutefois, il est convaincu que ces rajuste- ments n'auront guère d'incidence sur l'importance des pertes subies.» Le Comité exprime l'avis que la ligne Toronto—Havelock «peut comprendre essen- tiellement un service de banlieue pour lequel il ne peut y avoir de subventions» ainsi que son intention d'étudier ce cas afin de décider si oui ou non on doit continuer à désigner ce service comme un service de trains de voyageurs aux termes des articles 260 et 261 de la Loi sur les chemins de fer. L'article 261 est l'article qui prévoit que la Com mission, lorsqu'un service non rentable est exploité, «doit ... certifier le montant de la perte réelle» dont 80%, prélevé sur le Fonds du revenu conso- lidé, peut alors être remis à la compagnie. Le paragraphe (8) dispose que cela ne s'applique pas «en ce qui concerne un service de trains de voya- geurs qui transporte principalement des abonnés ou autres personnes voyageant régulièrement entre des points situés sur le chemin de fer de la compa- gnie assurant le service». Il n'est pas nécessaire, pour les besoins de la cause, de décider si effective- ment ledit service de trains de voyageurs constitue un service de banlieue ou non; cette question ne se poserait que si on devait ordonner à VIA Rail de poursuivre son exploitation en collaboration avec le Canadien Pacifique Limitée par suite de l'annula- tion du C.P. 1981-2171 selon le voeu de la deman- deresse. Il n'est pas sans intérêt de noter que, même si VIA Rail elle-même est une société de la Couronne, une déposition sous serment soumise en son nom indique que jusqu'à présent le gouverne- ment du Canada l'a remboursée de toutes les pertes subies.
Ce qui est évident, et significatif, c'est qu'on peut présumer que le gouverneur en conseil a eu connaissance de ces chiffres qui, bien qu'ils n'aient
pas été définitivement établis, ont été considérés comme suffisamment précis par la Commission; et c'est aussi que le Canadien Pacifique et VIA Rail sont conjointement visés dans son ordonnance R-32317 qu'abroge le C.P. 1981-2171 pour ce qui est de la ligne en cause.
On se reportera aussi à l'article 48 de la Loi nationale sur les transports 6 , qu'il faut rapprocher de la Loi sur les chemins de fer. Voici l'article:
48. La Commission peut, de son propre mouvement, ou doit, à la demande du Ministre, instruire, entendre et juger toute affaire ou question qu'elle peut, en vertu de la présente Partie ou de la Loi sur les chemins de fer, instruire, entendre et juger sur une demande ou sur une plainte, et, à cet égard, elle a les mêmes pouvoirs que la présente loi lui confère pour statuer sur une demande ou sur une plainte.
Indépendamment de toute demande de suspension par VIA Rail du service en cause par suite de pertes financières résultant de son exploitation, la Commission pouvait, elle-même, de son propre mouvement, enquêter à ce sujet.
Je ne reconnais donc pas comme fondé l'argu- ment voulant que, puisqu'il n'y a eu aucune demande de VIA Rail de mettre fin au service et que le Comité a simplement agi sur la demande initiale du Canadien Pacifique, lequel n'exploite plus le service, et ne subit donc aucune perte, il n'est plus compétent en la matière.
Le second moyen qu'invoque la demanderesse pour décliner la compétence de la Commission en matière de suppression du service de trains de voyageurs Toronto—Havelock est tout aussi ténu et inacceptable. La demanderesse distingue la sup pression d'un service de trains de passagers, con- formément au paragraphe 260(2) de la Loi sur les chemins de fer, de la demande d'abandon d'une ligne non rentable, visée aux articles 252 et sui- vants. Certes, la suppression d'un service de trains de voyageurs sur une ligne n'est pas l'abandon de la ligne elle-même qu'on peut toujours utiliser pour le fret. La demanderesse soutient que les compa- gnies ferroviaires ont l'obligation, selon l'article 262 de la Loi sur les chemins de fer, d'offrir un espace adéquat pour tout objet de transport, y compris les passagers; il faudrait distinguer la suppression d'un service de trains de voyageurs de la suppression de tout service de transport de
6 S.R.C. 1970, c. N-17.
passagers sur une ligne particulière, comme fait le décret en cause. On cite l'article 3 de la Loi nationale sur les transports, lequel énonce la poli- tique nationale en matière de transport; en voici le paragraphe liminaire:
3. Il est par les présentes déclaré qu'un système économique, efficace et adéquat de transport utilisant au mieux tous les moyens de transport disponibles au prix de revient global le plus bas est essentiel à la protection des intérêts des usagers des moyens de transport et au maintien de la prospérité et du développement économique du Canada, et que la façon la plus sûre de parvenir à ces objectifs est vraisemblablement de rendre tous les moyens de transport capables de soutenir la concur rence dans des conditions qui assureront, compte tenu de la politique nationale et des exigences juridiques et constitution- nelles ....
Il s'ensuit, fait-on valoir, qu'il faut protéger les usagers des moyens de transport et que, vu le paragraphe (6) de l'article 260 de la Loi sur les chemins de fer: «Lorsqu'elle décide si un service non rentable de trains de voyageurs ou des parties de celui-ci doivent ou non être supprimés, la Com mission doit examiner toutes les questions qui, à son avis, concernent l'intérêt public», l'«intérêt public» étant l'intérêt des membres du public ayant recours à ce moyen de transport.
Il faut dire toutefois qu'on trouve l'article 262 dans la section de la Loi sur les chemins de fer intitulée TRANSPORT, TAXES ET TARIFS, avec comme sous-titre Aménagements pour le trans port, lequel ne fait qu'énoncer les obligations que contracte une compagnie ferroviaire à l'égard du trafic qui emprunte ses lignes. Ce sont les articles 252 258 qui traitent de l'abandon des lignes de chemins de fer; les articles 260 et 261 traitent de la rationalisation des lignes ou des exploitations. On trouve les articles 252 261, inclusivement, sous le titre ABANDON ET RATIONALISATION DE LIGNES OU D'EXPLOITATIONS. L'argument de la demande- resse voulant que si la loi autorise de ne plus mettre en service certains trains utilisés pour le transport de passagers sur une ligne donnée cela n'autorise pas, sur le fondement des articles 260 et 261, de n'affecter aucun train que ce soit à ce service sur ladite ligne, une telle ordonnance échappant à la compétence de la Commission elle- même, doit être rejeté. Non seulement la définition même de service de trains de voyageurs parle-t-elle de «train ou [de] trains», et le terme «trains» présumément, désigne tous les trains d'un tel ser-
vice, mais l'argument de la demanderesse, poussé à l'absurde, s'il était accepté, amènerait à conclure qu'une fois un tel service de trains de voyageurs instauré, la loi n'en autorise pas l'abandon même si, par exemple, on ne devait transporter que dix passagers par jour et perdre un million de dollars par année car, bien que cet abandon puisse être dans l'intérêt du «public» en général, ce ne serait pas dans l'intérêt du public «usager» du service. Ce n'est pas non plus pour rien que le paragraphe (7) de l'article 260 de la Loi sur les chemins de fer dit que lorsque la Commission décide qu'un service de trains de voyageurs non rentable doit être sup- primé, elle doit, par ordonnance, fixer la date ou les dates «qui lui semblent être d'intérêt public pour l'arrêt de l'exploitation du service ou de parties de celui-ci». Certainement l'emploi des termes «ou de parties de celui-ci», rapprochés du terme «service», indique que celui-ci peut non seu- lement être supprimé en partie mais aussi entièrement.
Le libellé du paragraphe (7) de l'article 260 de la Loi sur les chemins de fer (précité), qui dispose clairement qu'on ne saurait fixer la date de cessa tion d'un service à plus d'un an de la date de l'ordonnance soulève un doute sérieux quant à la compétence de la Commission de prononcer elle- même une ordonnance dans les termes du décret. Il est donc exact que la Commission ne pouvait, vers le 6 août 1981, rendre une ordonnance de suppression du service de trains de voyageurs de la ligne Toronto—Havelock à compter du 7 septembre 1982, ce que le décret a fait, car cela aurait été clairement contraire à la loi. La question se pose donc sérieusement de savoir si le gouver- neur en conseil pouvait lui-même prendre un décret qui, s'il s'était agi d'une ordonnance de la Commission, aurait pu être cassé comme contraire au paragraphe (7) de l'article 260 de la Loi sur les chemins de fer. Les espèces saskatchewannaise et québécoise qui traitent de la validité du même décret n'ont pas eu à prendre en compte le fait que dans le cas de la ligne Toronto—Havelock et des deux autres lignes ontariennes mentionnées (ci-dessus), l'arrêt ne devait avoir lieu que plus d'un an après la prise du décret. Elles se fondent principalement sur les dispositions du paragraphe 64(1) de la Loi nationale sur les transports pour en soutenir la validité; voici ce paragraphe:
64. (1) Le gouverneur en conseil peut à toute époque, à sa discrétion, soit à la requête d'une partie, personne ou compa- gnie intéressée, soit de son propre mouvement et sans aucune requête ni demande à cet égard, modifier ou rescinder toute ordonnance, décision, règle ou règlement de la Commission, que cette ordonnance ou décision ait été rendue inter partes ou autrement, et que ce règlement ait une portée et une applica tion générales ou restreintes; et tout décret que le gouverneur en conseil prend à cet égard lie la Commission et toutes les parties.
Ont été mentionnés plusieurs passages de l'arrêt de la Cour suprême Inuit Tapirisat (précité). En l'espèce, la demanderesse soutient, si ces juge- ments sont fondés, que le gouverneur en conseil peut fort bien détenir les pouvoirs, fort étendus, de modifier ou de rescinder les ordonnances de la Commission sans audience préalable par celle-ci mais qu'ils ne vont pas jusqu'à lui permettre d'or- donner ce que la Commission elle-même n'aurait pu originellement ordonner. Modifier ou rescinder une ordonnance n'équivaudrait pas à substituer à une ordonnance un décret que n'aurait pu rendre la Commission; ce faisant, le gouverneur en conseil sortirait de sa compétence. Et de citer le passage suivant de l'arrêt, rédigé par le juge Estey, à la page 748:
Il faut dire tout de suite que la simple attribution par la loi d'un pouvoir au gouverneur en conseil ne signifie pas que son exercice échappe à toute révision. Si ce corps constitué n'a pas respecté une condition préalable à l'exercice de ce pouvoir, la cour peut déclarer ce prétendu exercice nul.
et, à nouveau, le passage suivant, à la page 753:
Alors que le CRTC doit prendre ses décisions dans un certain cadre, le par. 64(1) n'impose pas à l'Exécutif de normes ou de règles applicables à l'exercice de sa fonction de révision des tarifs. Le législateur n'a pas imposé non plus de normes de procédure expresses ou même implicites. Cela ne veut pas dire que les tribunaux ne réagiront pas aujourd'hui comme dans l'arrêt Wilson, précité, si les conditions préalables à l'exercice du pouvoir ainsi conféré à l'Exécutif n'ont pas été respectées.
A la page 756, l'arrêt dit:
Les règles auxquelles le législateur a astreint le CRTC ne sont pas répétées ni expressément ni implicitement à l'art. 64. Cette fonction s'applique aux ordonnances générales, quasi législati- ves du Conseil, de même qu'aux décisions inter partes. Bref, le gouverneur en conseil a entière discrétion dans la mesure il respecte les limites fixées à sa compétence par le par. 64(1).
Aux pages 758 et 759, en parlant du fait que la fonction a été assignée à deux paliers, au CRTC en premier lieu et au gouverneur en conseil en second, on dit
En pareil cas, la Cour doit revenir à son rôle fondamental de surveillance de la compétence et, ce faisant, interpréter la Loi pour établir si le gouverneur en conseil a rempli ses fonctions dans les limites du pouvoir et du mandat que lui a confiés le législateur.
Il ne fait aucun doute que le gouverneur en conseil, sur le fondement de l'article 64, pouvait modifier l'ordonnance R-32317 de la Commis sion qui visait cette ligne de chemin de fer * et exigeait le maintien d'un service limité de trains de passagers, selon les modalités énoncées. Mais une question sérieuse se pose: ce faisant, il pouvait y avoir infraction au paragraphe (7) de l'article 260 de la Loi sur les chemins de fer, si la suppression ne devait prendre effet que plus d'un an après la prise du décret. C'est peut-être une hypothèse d'école; le gouverneur en conseil peut remédier à la situation en prenant maintenant un autre décret concernant cette ligne ainsi que, si désiré, les autres services de trains de voyageurs dont la suppression a été ordonnée pour le 7 septembre 1982, et en l'enregistrant conformément à la Loi sur les textes réglementaires, S.C. 1970-71-72, c. 38. La Cour n'a pas cependant à prendre en compte une telle possibilité en instruisant la requête en cause.
Pour les motifs donnés, je statue donc qu'outre les alinéas a), b), c), d), e), h) et j) du paragraphe 19 de la déclaration révisée, que la demanderesse abandonne par suite des espèces saskatchewan- naise et québécoise, les alinéas f), g) et i)(ii) devront aussi être radiés. Comme il existe un doute considérable sur la compétence du gouverneur en conseil de prendre un décret ordonnant la suppres sion d'un service ferroviaire plus d'un an après la prise dudit décret, ce que la Commission des trans ports n'aurait pu elle-même faire vu le paragraphe (7) de l'article 260 de la Loi sur les chemins de fer, je pense que l'alinéa i)(i) ne devrait pas être radié à ce moment-ci. Les défendeurs ci-après: le procureur général du Canada et le ministre des Transports dans leur requête, et la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, dans la sienne, évoquent la possibilité d'une ordonnance de remplacement qui, au lieu de radier la déclaration,
* L'ordonnance R-31300, en date du 14 août 1980, quali- fiée par le juge Collier la page 11] de «refonte en une seule ordonnance de tous les services de trains de voyageurs existant à l'époque» était aussi visée par le C.P. 1981-2171.
saisirait la Cour, sur le fondement de la Règle 474, de la question de droit suivante:
[TRADUCTION] La modification de l'ordonnance R-32317 du Comité des transports par chemin de fer de la Commission canadienne des transports et celle de la portion de l'ordonnance R-31300 du Comité des transports par chemin de fer de la Commission canadienne des transports relative au service de trains de voyageurs Toronto -Havelock qu'opèrent les annexes IX et XVII respectivement du décret C.P. 1981-2171 sont-elles invalides parce que prenant effet plus d'un an après la prise du décret?
Je choisis cette alternative; j'ordonnerai la produc tion de mémoires écrits à ce sujet dans les deux semaines de la présente ordonnance; demande devra alors être faite au juge en chef adjoint de fixer le lieu et le temps de l'instruction de cette question de droit. Si la réponse apportée à cette question de droit devait être négative, l'ensemble de la déclaration de la demanderesse serait alors radié. Il importe que ce litige soit rapidement résolu comme l'indique la déposition sous serment qu'a administrée en preuve VIA Rail: des démar- ches ont déjà été entreprises pour l'arrêt du service le 7 septembre 1982, ce qui, dans le cas du système informatique de réservations de la compagnie, de sa tarification, de son matériel et de ses horaires, demandera un temps considérable à mettre en oeuvre et encore plus, en temps et en argent, à remodifier advenant l'annulation de la suppression du service.
Tant que cette question de droit ne sera pas résolue, il sera inopportun d'accorder la requête d'injonction interlocutoire de la demanderesse même s'il ne fallait statuer sur aucune autre fin de non-recevoir à son égard en ce moment. On a soulevé des arguments sérieux sur l'opportunité d'une injonction interlocutoire pour empêcher l'ap- plication d'une ordonnance d'ordre législatif ou administratif, laquelle demeure obligatoire tant qu'un tribunal compétent ne l'a pas cassée, avant jugement définitif au fond. Autre argument qu'il n'est pas nécessaire d'examiner en cet état de la cause: l'article 23 de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2° Supp.), c. 10, n'enlève-t-il pas à notre juridiction toute compétence quant au recours en injonction exercé? Il est attribué à la Commission en termes fort larges, sur le fonde- ment de la Partie IV de la Loi nationale sur les transports, la compétence de prononcer des ordon-
nances de faire visant les compagnies ferroviaires. De toute façon, aucune injonction ne saurait être lancée contre le ministre des Transports ou le procureur général du Canada; le ministre des Transports, une fois qu'il a recommandé de pren- dre le décret entrepris, n'a plus rien à voir avec celui-ci et le procureur général du Canada n'a été poursuivi, lui, que comme représentant du gouver- neur en conseil. La position de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada est plus ambiguë. Quoique la demanderesse 496482 Onta- rio Inc. ait été constituée par et pour les membres de la Toronto—Peterborough—Havelock Line Passenger Association et qu'elle ne s'intéresse apparemment nullement aux lignes ferroviaires qu'exploite VIA Rail au nom de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, celles-ci ont néanmoins été incluses dans le même décret C.P. 1981-2171. Les conclusions à l'injonction sont fort générales; on conclut en effet à une ordonnance interdisant à ladite défenderesse, de même qu'à VIA Rail Canada Inc. et au Canadien Pacifique Limitée, de suspendre, supprimer ou limiter les services de trains de voyageurs suspendus ou limi tés par ledit décret. Si donc on devait y faire droit, dans ces termes, ladite défenderesse serait aussi visée. Je juge donc que la requête d'injonction doit être rejetée en ce qui concerne le procureur général du Canada et le ministre des Transports du Canada mais reportée sine die dans le cas de VIA Rail Canada Inc., du Canadien Pacifique Limitée et de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada; elle sera réintroduite, à une semaine de préavis, suivant la décision sur la question de droit soumise sur le fondement de la Règle 474.
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