Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

A-188-81
La Reine du chef du Canada représentée par le Conseil du Trésor (requérante)
c.
L'Association canadienne du contrôle du trafic aérien (intimée)
Cour d'appel, juges Pratte, Urie et juge suppléant Kerr—Ottawa, 24 septembre et 21 octobre 1981.
Examen judiciaire Fonction publique Demande d'exa- men et d'annulation d'une décision de la Commission des relations de travail dans la Fonction publique L'art. 79 de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique traite de la désignation des employés de la Fonction publique dont les fonctions ont rapport à la sécurité publique et qui, pour cette raison, n'ont pas le droit de grève La Commission a jugé que le devoir qui lui incombait était de fixer le nombre d'employés de chaque catégorie comprise dans l'unité de négo- ciation qui devraient rester en poste afin d'assurer la sécurité des services aériens qui doivent, en cas d'arrêt de travail, être maintenus dans l'intérêt de la sûreté ou de la sécurité du public La Commission a énuméré les tâches qui étaient essentielles en cas de grève Il échet d'examiner si la Commission a commis une erreur en s'arrogeant le pouvoir de déterminer les tâches que devraient remplir les employés dési- gnés dans l'intérêt de la sûreté et de la sécurité du public ainsi que les services qui devraient être fournis en cas de grève
Demande accueillie Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970
(2e Supp.). c. 10, art. 28 Loi sur les relations de travail dans
la Fonction publique, S.R.C. 1970, c. P-35, art. 2, 79, 101(1)c).
Demande d'examen et d'annulation d'une décision de la Commission des relations de travail dans la Fonction publique. L'article 79 de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique traite de la désignation des employés de la Fonction publique dont les fonctions ont rapport à la sécurité publique et qui, pour cette raison, n'ont pas le droit de grève. Suite à la décision du ministre des Transports d'assurer le maintien des vols commerciaux en cas de grève, la requérante a demandé que 1,782 contrôleurs aériens soient déclarés employés désignés en vertu de l'article 79. L'intimée s'est opposée à cette requête pour le motif que la désignation devrait reposer non pas sur l'hypothèse qu'en cas de grève tous les vols commerciaux seraient maintenus, mais plutôt sur l'hypothèse qu'en cas d'arrêt de travail, seuls les vols nécessaires dans l'intérêt de la sûreté ou de la sécurité du publick seraient. La Commission a jugé que le devoir qui lui incombait - aux termes de l'article 79 était de fixer le nombre d'employés de chaque catégorie comprise dans l'unité de négociation qui devraient rester en poste afin d'assurer la sécurité des services aériens qui doivent, en cas d'arrêt de travail, être maintenus dans l'intérêt de la sûreté ou de la sécurité du public. Elle a énuméré les tâches qui étaient essentielles en cas de grève et désigné 272 contrôleurs et 151 suppléants. La requérante a soutenu que la Commission a commis une erreur en s'arrogeant à tort le pouvoir de déterminer les tâches que devraient remplir les employés désignés dans l'intérêt de la sûreté et de la sécurité du public ainsi que le pouvoir de déterminer quels services le gouvernement du Canada et le ministère des Transports devraient fournir en cas de grève de ces employés.
Arrêt: la demande est accueillie. L'article 79 confère simple- ment à la Commission le pouvoir de désigner les employés dont les fonctions touchent à la sûreté ou à la sécurité du public. Il n'autorise manifestement pas la Commission à réglementer les conséquences de la désignation en déterminant les tâches qu'au- ront à remplir les employés désignés en cas de grève. Ces conséquences sont régies par la loi elle-même qui prévoit à l'alinéa 101(1)c) qu'aucun employé désigné ne doit «participer à une grève». L'article 79 n'autorise la Commission à désigner des employés ou des catégories d'employés qu'en fonction des tâches qu'ils accomplissent au moment de la désignation. La nature de ces tâches à ce moment précis est, par conséquent, le seul facteur dont peut tenir compte la Commission dans l'exer- cice des fonctions qui lui sont attribuées par l'article 79. La Commission doit désigner tous les employés «dont les fonctions sont, en tout ou en partie, des fonctions dont l'exercice ... est ou sera nécessaire dans l'intérêt de la sûreté ou de la sécurité du public» même s'il n'est pas nécessaire qu'ils soient tous présents au travail pour assurer la bonne marche des activités. Il s'ensuit que la Commission ne peut pratiquer de distinction illicite entre des employés exerçant des fonctions semblables en ne désignant que quelques-uns d'entre eux et qu'elle ne peut désigner un employé en se fondant sur les fonctions qu'il devrait, à son avis, être tenu de remplir advenant une grève. Elle ne dispose pas, aux termes de l'article 79, du pouvoir de fixer le nombre d'employés qui devraient être tenus de rester à leur poste en cas de grève pour assurer les services minimums nécessaires à la sûreté du public. L'article 79 ne fait qu'autoriser la Commis sion à déterminer quels sont les employés ou les classes d'em- ployés qui, au moment elle prend sa décision, occupent des fonctions correspondant à celles décrites audit article. La Com mission n'a ni le pouvoir de prescrire le travail que devraient accomplir les employés désignés, ni le pouvoir de fixer le nombre d'employés qui devraient être tenus de rester à leur poste advenant une grève pour assurer les services qu'elle juge essentiels. Elle ne dispose que du pouvoir de déterminer quels sont les employés ou classes d'employés dont les fonctions, au moment elle prend sa décision, correspondent à celles décri- tes à l'article 79.
DEMANDE d'examen judiciaire. AVOCATS:
R. Cousineau pour la requérante.
J. Nelligan, c.r., pour l'intimée.
J. McCormick pour la Commission des rela
tions de travail dans la Fonction publique.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour la
requérante.
Nelligan/Power, Ottawa, pour l'intimée.
Contentieux, Commission des relations de travail dans la Fonction publique, Ottawa, pour la Commission des relations de travail dans la Fonction publique.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE PRATTE: Il s'agit d'une demande fondée sur l'article 28 attaquant une décision rendue par la Commission des relations de travail dans la Fonction publique en vertu de l'article 79 de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique, S.R.C. 1970, c. P-35.
L'article 79 traite de la désignation des em ployés de la Fonction publique dont les fonctions ont rapport à la sécurité publique et qui, pour cette raison, n'ont pas le droit de grève:
79. (1) Nonobstant l'article 78, il ne doit pas être établi de bureau de conciliation pour l'enquête et la conciliation d'un différend relatif à une unité de négociation tant que les parties ne se sont pas mises d'accord ou que la Commission n'a pris, aux termes du présent article, aucune décision sur la question de savoir quels sont les employés ou les classes d'employés de l'unité de négociation (ci-après dans la présente loi appelés «employés désignés») dont les fonctions sont, en tout ou en partie, des fonctions dont l'exercice à un moment particulier ou après un délai spécifié est ou sera nécessaire dans l'intérêt de la sûreté ou de la sécurité du public.
(2) Dans les vingt jours qui suivent celui l'avis de négocia- tions collectives est donné par l'une ou l'autre des parties aux négociations collectives, l'employeur doit fournir à la Commis sion et à l'agent négociateur de l'unité de négociation en cause un relevé des employés ou classes d'employés de l'unité de négociation que l'employeur considère comme des employés désignés.
(3) Si aucune opposition au relevé mentionné au paragraphe (2) n'est faite à la Commission par l'agent négociateur dans tel délai consécutif à la réception de ce relevé par l'agent négocia- teur que peut fixer la Commission, ce relevé doit être considéré comme un relevé des employés ou des classes d'employés de l'unité de négociation qui, par convention des parties, sont des employés désignés. Toutefois, lorsqu'une opposition à ce relevé est faite à la Commission par l'agent négociateur dans le délai ainsi prescrit, la Commission, après avoir examiné l'opposition et avoir donné à chaque partie l'occasion de communiquer ses observations, doit décider quels employés ou quelles classes d'employés de l'unité de négociation sont des employés désignés.
(4) Une décision prise par la Commission en conformité du paragraphe (3) est définitive et péremptoire à toutes fins de la présente loi. Le Président doit la communiquer par écrit aux parties aussitôt que possible.
(5) Dans le délai et de la manière que peut prescrire la Commission, tous les employés d'une unité de négociation qui sont, par convention des parties ou par décision de la Commis sion en conformité du présent article, des employés désignés doivent en être informés par la Commission.
L'intimée est une association d'employés qui agit à titre d'agent négociateur accrédité des con- trôleurs aériens de la Fonction publique (le groupe
du contrôle du trafic aérien) et ce, depuis de nombreuses années. Jusqu'à 1981, la Commission des relations de travail dans la Fonction publique n'a jamais eu à désigner d'employés de cette unité de négociation dont les fonctions étaient essentiel- les à la sûreté et à la sécurité du public. En effet, la requérante et l'intimée étaient toujours parve- nues à s'entendre sur la désignation d'un nombre relativement restreint de contrôleurs aériens, lequel ne représentait que 10% 15% des membres de cette unité. Ces ententes étaient alors possibles car les deux parties prenaient pour acquis qu'en cas de grève des contrôleurs aériens, tous les vols commerciaux seraient paralysés. Cependant, le 20 novembre 1980, suite à la décision du ministre des Transports d'assurer le maintien des vols commer- ciaux en cas de grève, la requérante a présenté à la Commission des relations de travail dans la Fonc- tion publique une requête demandant que 1,782' contrôleurs aériens soient déclarés employés dési- gnés en vertu de l'article 79 de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique. L'intimée s'est opposée à la requête de l'em- ployeur. Elle a admis que le chiffre avancé était raisonnable si l'on présumait qu'en cas de grève tous les vols commerciaux seraient maintenus. Elle a toutefois soutenu que la désignation ne devrait pas être fondée sur cette hypothèse, mais plutôt sur celle qu'en cas d'arrêt de travail, seuls les vols nécessaires dans l'intérêt de la sûreté ou de la sécurité du public seraient maintenus. La Commis sion a adopté ce point de vue et jugé que le devoir qui lui incombait aux termes de l'article 79 était de fixer le nombre d'employés de chaque catégorie comprise dans l'unité de négociation qui devraient rester en poste afin d'assurer la sécurité des servi ces aériens qui doivent, en cas d'arrêt de travail, être maintenus dans l'intérêt de la sûreté ou de la sécurité du public. Partant de ce principe, la Com mission a énuméré (au paragraphe 41 de sa déci- sion) les diverses tâches qui devraient être accom- plies par les différentes catégories d'employés de l'unité de négociation dans l'intérêt de la sûreté ou de la sécurité du public et a fixé (au paragraphe 42 de sa décision) pour chaque lieu de travail, le nombre d'employés de chaque catégorie qui seraient tenus de les accomplir en cas de grève. Elle a donc désigné ainsi 272 contrôleurs et 151
' Ce nombre est ensuite tombé à 1,462.
suppléants qui seraient appelés à remplir les tâches énumérées au paragraphe 41 de sa décision.
L'avocat de la requérante a soutenu que la décision de la Commission était entachée de trois erreurs:
a) la Commission a affirmé à tort que le fardeau de la preuve appartient également à l'employeur et à l'agent négociateur en vertu de l'article 79;
b) la Commission s'est arrogé à tort le pouvoir de déterminer les tâches que devraient remplir les employés désignés dans l'intérêt de la sûreté et de la sécurité du public; et
c) la Commission s'est arrogé à tort le pouvoir de déterminer quels services le gouvernement du Canada et le ministère des Transports devraient fournir en cas de grève de ces employés.
Comme nous l'avons souligné lors de l'audition, nous n'avons pas à nous prononcer sur la première assertion de la requérante concernant le fardeau de la preuve puisqu'il semble que la décision de la Commission ne reposait aucunement sur les points de vue qu'elle a exprimés sur cette question.
Les deux autres prétentions formulées par la requérante visent l'étendue des pouvoirs conférés à la Commission par l'article 79. Selon l'avocat de la requérante, la Commission a, en l'espèce, manifes- tement outrepassé les limites de sa compétence.
L'avocat de l'intimée a répliqué en disant que l'interprétation donnée à l'article 79 par la Com mission en la présente affaire était la seule possible eu égard aux pratiques antérieures des parties et au but visé par cet article. Comme ce but consiste manifestement à assurer la protection de la sûreté et de la sécurité du public, l'article doit s'interpré- ter, au dire de l'avocat, comme ne restreignant le droit de grève que dans la mesure celui-ci met en péril la sûreté et la sécurité du public. La décision de la Commission, nous dit l'avocat de l'intimée, répond bien à cette exigence: elle protège à la fois le public et les droits des membres de l'unité de négociation. Il soutient en outre que l'interprétation restrictive proposée par l'avocat de la requérante n'est pas conforme au but visé par l'article car elle a pour résultat:
1. de contraindre les employés désignés à rem- plir toutes leurs tâches habituelles y compris
celles qui n'ont aucun rapport avec la sûreté et la sécurité du public; et
2. de retirer à des employés un droit de grève qu'ils pourraient en fait exercer sans pour cela mettre en péril la sûreté et la sécurité du public.
Les pouvoirs et fonctions de la Commission en matière de désignation d'employés sont définis à l'article 79. Si le sens de cette disposition paraît évident, il faut alors l'appliquer à la lettre, même si le résultat qui en découle nous semble injuste ou absurde. Ce n'est que si l'article est ambigu qu'il nous faudra tenter de l'interpréter à la lumière de son objet et du caractère injuste, éprouvant, absurde ou peu pratique qu'il peut présenter. Que dit l'article 79? Il prévoit qu'il appartient à la Commission de déterminer «quels sont les em ployés ou les classes d'employés de l'unité de négo- ciation ... dont les fonctions sont, en tout ou en partie, des fonctions dont l'exercice à un moment particulier ou après un délai spécifié est ou sera nécessaire dans l'intérêt de la sûreté ou de la sécurité du public.»
Même si la mise en application de cet article peut soulever certaines difficultés, il me paraît évident qu'il ne fait que conférer à la Commission le pouvoir de désigner les employés dont les fonc- tions touchent à la sûreté ou à la sécurité du public. Il est évident qu'il n'autorise pas la Com mission à réglementer les conséquences de la dési- gnation en déterminant les tâches qu'auront à remplir les employés désignés en cas de grève. Ces conséquences sont en effet régies par la loi elle- même qui prévoit à l'alinéa 101(1)c) qu'aucun employé désigné ne doit «participer à une grève» 2 ; en d'autres termes, en vertu de l'alinéa 101(1)c), l'employé désigné doit, en cas de grève, continuer à travailler comme en temps normal.
De plus, il est clair à mon avis que l'article 79 n'autorise la Commission à désigner des employés ou des catégories d'employés qu'en fonction des tâches qu'ils accomplissent au moment de la dési-
2 Le mot «grève» est défini comme suit à l'article 2 de la Loi:
2. ...
«grève» comprend un arrêt de travail ou un refus de travailler ou de continuer à travailler, par des employés, lié, assorti ou conforme à une entente commune, ou un ralentissement ou une autre activité concertée, de la part des employés, ayant pour objet la restriction ou la limitation du rendement;
gnation. La nature de ces tâches à ce moment précis est, par conséquent, le seul facteur dont peut tenir compte la Commission dans l'exercice des fonctions qui lui sont attribuées par l'article 79. La Commission doit désigner tous les employés »dont les fonctions sont, en tout ou en partie, des fonc- tions dont l'exercice ... est ou sera nécessaire dans l'intérêt de la sûreté ou de la sécurité du public» même s'il n'est pas nécessaire qu'ils soient tous présents au travail pour assurer la bonne marche des activités. Il s'ensuit que la Commission ne peut pratiquer de distinction illicite entre des employés exerçant des fonctions semblables en ne désignant que quelques-uns d'entre eux. En outre, la Com mission ne peut désigner un employé en se fondant sur les fonctions qu'il devrait, à son avis, être tenu de remplir advenant une grève. Elle ne dispose pas non plus, aux termes de l'article 79, du pouvoir de fixer, comme elle l'a fait en l'espèce, le nombre d'employés qui devraient être tenus de rester à leur poste en cas de grève pour assurer les services minimums nécessaires à la sûreté du public. L'arti- cle 79 ne fait qu'autoriser la Commission à déter- miner quels sont les employés ou les classes d'em- ployés qui, au moment elle prend sa décision, occupent des fonctions correspondant à celles décrites audit article. La loi est claire à cet égard et point n'est besoin de l'interpréter.
Pour ces motifs, j'accueillerais la demande, j'in- firmerais la décision contestée et je renverrais l'affaire devant la Commission qui devra rendre sa décision en tenant compte qu'aux termes de l'arti- cle 79, a) elle n'a ni le pouvoir de prescrire le travail que devraient accomplir les employés dési- gnés, ni le pouvoir de fixer le nombre d'employés qui devraient être tenus de rester à leur poste advenant une grève pour assurer les services qu'elle juge essentiels, et b) elle ne dispose que du pouvoir de déterminer quels sont les employés ou classes d'employés dont les fonctions, au moment elle prend sa décision, correspondent à celles décrites audit article.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE URIE: J'ai pris connaissance des motifs de jugement prononcés par mon collègue le juge Pratte. Je souscris entièrement à ces motifs ainsi qu'à la suite qu'il entend réserver à la demande
fondée sur l'article 28. Cependant, vu l'importance des répercussions que peut avoir cette décision non seulement sur l'intimée mais aussi sur tous les autres employés de la Fonction publique, je me propose d'exposer aussi brièvement que possible la démarche quelque peu différente qui m'a permis d'aboutir à la même conclusion. Le juge Pratte a résumé avec précision les faits de la cause, et point n'est besoin de les répéter. Je ne ferai allusion à d'autres faits que dans la mesure ils s'avéreront essentiels à la bonne compréhension des motifs de ma décision.
A la demande des deux parties, la Commission des relations de travail dans la Fonction publique («la Commission») a tenu, le 6 janvier 1981, une audition en vue de déterminer la compétence de la Commission en vertu de l'article 79 de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique. Cette question avait été soulevée suite à l'avis donné à l'intimée le 20 novembre 1980 par le ministre des Transports lui faisant part de son intention de demander à la Commission [TRADUC- TION] «de désigner un nombre suffisant de contrô- leurs, en vertu de l'article 79 de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique, pour permettre le maintien des services aériens commerciaux dans l'éventualité d'une grève par les contrôleurs.» On a confirmé ultérieurement que la demande avait été formulée en conformité de la Loi sur l'aéronautique, S.R.C. 1970, c. A-3, en vue d'assurer que les services de tous les aérodro- mes et stations ou postes aéronautiques relevant du gouvernement fédéral soient maintenus.
Dans sa décision du 27 janvier 1981, la Com mission a affirmé ce qui suit:
L'unique question que l'on demande à la Commission de tran- cher est celle de savoir si cette dernière est liée par ladite ordonnance [que les services des aérodromes et stations ou postes aéronautiques relevant de l'autorité fédérale soient main- tenus, en tout temps, sauf pour des motifs raisonnables] et si elle doit en tenir compte en rendant sa décision en vertu de l'article 79 de la Loi au sujet de l'unité de négociation du groupe de la circulation aérienne.
La Commission a conclu que nulle part dans la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique (ci-après appelée «la Loi») on ne trouvait de dispositions qui limitent ou entravent de quel- que façon que ce soit l'autorité dévolue à la Com mission en vertu de l'article 79. Ce fait étant
établi, la Commission a soutenu qu'elle n'avait pas à tenir compte des ordonnances ministérielles ou gouvernementales en ce qui concerne les services à maintenir. Voici ce qu'elle a ajouté:
En outre, en l'absence de toute définition ou gouverne dans la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique au sujet de l'interprétation ou de la signification à donner aux mots «sûreté ou sécurité» du public, la Commission doit appli- quer le critère qui lui semble approprié, quelque [sic] soit l'affaire dont elle est saisie, en se fondant sur la preuve et les arguments des parties intéressées.
10. Il est implicite qu'on demande à la Commission de détermi- ner, outre le nombre ou les classes de contrôleurs aériens qui doivent être désignés en l'occurrence, les services qui doivent être maintenus dans les aéroports fédéraux pour assurer la sûreté ou la sécurité du public en cas de grève. Il est possible que ce soit ceux que le ministre des Transports et(ou) le gouvernement ont déterminés. La Commission précise cepen- dant que si telle était sa décision, alors il lui serait inutile de «désigner» tous les contrôleurs de la circulation aérienne, comme le demande l'employeur. D'autre part, elle pourrait conclure que les services pourraient être considérablement réduits, selon ce que les parties ont déjà décidé lors de négocia- tions antérieures, sans nuire à la sûreté ou à la sécurité du public. Si telle était sa décision, le nombre de contrôleurs aériens qu'il lui faudrait «désigner» serait de beaucoup infé- rieur. Il va sans dire que si la Commission optait pour cette dernière solution, ou si elle décidait que le niveau des services qui doit être maintenu était inférieur à celui exigé par le ministre des Transports et(ou) le gouvernement pour assurer la sûreté et la sécurité du public, le gouvernement éprouverait énormément de difficultés à mettre sa décision en pratique. En dépit de ce fait, la présente Commission, compte tenu de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique tel [sic] qu'elle existe présentement n'a d'autre choix que de déterminer les services qui, à son avis, seront nécessaires pour la sûreté ou la sécurité du public. Naturellement elle ne sera en mesure de prendre cette décision qu'après avoir entendu et étudié la preuve et les arguments des parties à l'appui de leur position respective.
11. Par conséquent, la Commission demande que cette affaire soit mise au rôle en vue d'une audition elle entendra la preuve des parties relativement aux services d'aéroports qui doivent être maintenus par les membres de l'unité de négocia- tion du groupe de la circulation aérienne dans l'intérêt de la sûreté ou de la sécurité du public, et du nombre et des classes de contrôleurs de la circulation aérienne qui doivent être dési- gnés pour assurer le maintien de ces services.
C'est par suite de ces directives de la Commis sion que l'audience a été tenue et que la décision qui fait l'objet du présent pourvoi a été rendue le 7 avril 1981. J'ai cité de longs extraits de la décision rendue par la Commission le 27 janvier 1981, car ils illustrent bien le raisonnement qui l'a amenée à conclure qu'elle ne serait en mesure de déterminer l'étendue des services devant être maintenus en cas de grève qu'une fois que les parties auraient déposé
devant elle les preuves à l'appui de leur position respective. Je suis d'avis que la Commission a fait erreur en interprétant ainsi le pouvoir que lui confère le paragraphe 79(1).
Comme l'a souligné mon collègue le juge Pratte, le seul pouvoir dont dispose la Commission en vertu de ce paragraphe est celui de désigner les employés dont les fonctions touchent à la sûreté ou à la sécurité du public. Cette disposition ne l'auto- rise aucunement à déterminer l'étendue des servi ces qui doivent être maintenus. Apparemment, c'est l'argument que l'avocat de l'employeur a invoqué devant la Commission au début des procé- dures qui ont donné lieu à la décision du 7 avril 1981. La Commission lui a répondu de la façon suivante:
Avec tout le respect dû, il me semble que l'avocat de l'em- ployeur a mal interprété l'allusion au »niveau de services» de la Commission dans sa décision du 27 janvier. Une lecture atten tive du paragraphe 10 de cette décision permet de voir claire- ment que c'est du niveau de services fournis par les contrôleurs de la circulation aérienne dont il est question. I1 devrait être évident que pour déterminer quel nombre et quelles classes de contrôleurs de la circulation aérienne doivent être désignés en vertu de l'article 79, il faut déterminer quels services (quel niveau de services) ils doivent continuer d'offrir, aux fins de la sécurité du public, quand une grève légale est déclarée. Il est certain qu'une décision rendue en vertu de l'article 79 de la Loi peut avoir des conséquences sur les niveaux d'autres services que ceux du contrôle de la circulation aérienne, si par exemple le Ministre des Transports décide de réduire les activités des aéroports, les compagnies de transport aérien, de modifier leur horaire ou d'annuler des vols, les pilotes d'avions commerciaux ou privés de ne pas voler, etc., mais il n'incombe pas à la Commission de déterminer dans quelle mesure ces services devraient être maintenus. [C'est moi qui souligne.]
Plus loin dans ses motifs, soit au paragraphe 31, la Commission a résumé la démarche qu'elle en- tendait suivre et qu'elle a d'ailleurs effectivement suivie, pour rendre sa décision:
31. Faute d'une entente entre les parties la Commission, d'après l'article 79 de la Loi doit maintenant se prononcer en matière de désignation. Il est conforme à l'article 79 et à la jurispru dence de la Commission depuis 1969 de formuler les questions soulevées en l'occurrence de la façon suivante. Etant donné que certains services aériens doivent être maintenus dans l'intérêt de la sûreté et de la sécurité du public, et dans la mesure la sécurité des opérations aériennes dépend de l'efficacité du contrôle de la circulation aérienne: i) Quelles fonctions les contrôleurs de la circulation aérienne doivent-ils continuer d'exercer dans l'intérêt de la sûreté et de la sécurité du public? ii) Quelles sont les autres situations, possibles mais imprévisi- bles, mettant en cause la sûreté ou la sécurité du public, qui nécessiteraient la présence de services adéquats de la circula tion aérienne au cas elles surviendraient? iii) D'après les réponses aux questions i) et ii), quels doivent être le nombre et
la répartition des contrôleurs de la circulation aérienne qui, en vertu de l'article 79 de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique, sont ou seraient nécessaires dans l'intérêt de la sûreté ou de la sécurité du public, et doivent pour cette raison être désignés par la Commission?
Ces précisions concernant les vues de la Com mission nous révèlent, de manière encore plus évi- dente peut-être que ne le font les extraits précités de la décision du 27 janvier 1981, l'erreur commise par cet organisme. Elles montrent en effet que la Commission percevait son rôle comme étant d'abord, «de déterminer quels services. ..» fournis par les contrôleurs aériens devaient être maintenus et, ensuite, de déterminer le nombre et les classes de contrôleurs aériens qui devaient être désignés pour assurer ces services. Ce n'est toutefois pas ce que prévoit l'article 79. A mon avis, cet article n'impose pas à la Commission le devoir de déter- miner lesquels des services assurés par les contrô- leurs doivent être maintenus dans l'éventualité d'une grève. En outre, cette disposition ne demande ni ne permet à la Commission de déter- miner le nombre ou les classes d'employés qui doivent être désignés pour remplir ces fonctions ou de fixer à cette fin des limites à l'étendue des fonctions des divers employés ou classes d'em- ployés.
Le seul devoir imposé à la Commission par le paragraphe 79(1) consiste à déterminer, avant qu'un bureau de conciliation ne soit formé, quels sont les employés ou les classes d'employés de l'unité de négociation qui occupent au moment la Commission prend sa décision des fonctions dont l'exercice est nécessaire à la sûreté et à la sécurité du public. Rien dans le libellé du paragra- phe pris isolément ou dans le contexte plus général de la Loi dans son ensemble n'indique que la Commission doive prendre sa décision à la lumière des mesures qui s'imposent pour assurer la sûreté et la sécurité du public en cas de grève seulement. Il s'ensuit que la Commission n'est pas autorisée en vertu de ce paragraphe à déterminer les tâches qui doivent être accomplies ou l'étendue des servi ces qui doivent être fournis en cas de grève. Les termes de l'article sont explicites et ne présentent aucune ambiguïté ou équivoque. Point n'est besoin de leur donner une interprétation qui vienne accroître l'étendue des devoirs de la Commission en ce qui concerne la mise en oeuvre des prescrip tions de cet article. L'erreur fondamentale com-
mise par la Commission fut de s'arroger un pou- voir que l'article ne lui conférait nullement.
L'interprétation que mon collègue le juge Pratte et moi-même en donnons n'a pas pour résultat, comme l'a fait valoir l'avocat de l'intimée, de priver une importante partie des membres de l'unité de négociation de leur droit de grève. La Loi restreint ce droit dont jouissent les fonction- naires. Si l'employeur et les employés ou leur agent négociateur parviennent à s'entendre sur la question de savoir quels sont les employés qui doivent être désignés, il n'y a plus de problème. Par contre, à défaut d'une telle entente, la Com mission désigne les employés ou les classes d'em- ployés dont les fonctions les font tomber sous le régime du paragraphe 79(1) 3 . L'alinéa 101(1)c) 4 entre alors en jeu pour empêcher ces employés désignés de participer à une grève. C'est l'applica- tion de ces deux dispositions de la Loi qui fait perdre aux employés désignés leur droit de grève. Le fait que ces employés aient pu choisir de négo- cier leur convention collective par le biais du pro- cessus conciliation/grève plutôt que par celui de l'arbitrage, ignorant qu'ils seraient désignés et privés de leur droit de grève, ne peut influer sur l'interprétation qui doit être donnée au paragraphe 79(1).
De même, le fait que l'employeur et l'agent négociateur aient pu par le passé s'entendre, avant le déclenchement d'une grève, sur le nombre de contrôleurs aériens à désigner ne doit pas jouer de rôle en ce qui concerne l'interprétation de ce para- graphe. La Commission n'a pour tâche que d'exécuter la volonté exprimée par le Parlement dans sa Loi, sans plus. Si pour ce faire, il lui faut en arriver à un résultat qui diffère de celui décou- lant des ententes intervenues auparavant entre les
3 79. (I) Nonobstant l'article 78, il ne doit pas être établi de bureau de conciliation pour l'enquête et la conciliation d'un différend relatif à une unité de négociation tant que les parties ne se sont pas mises d'accord ou que la Commission n'a pris, aux termes du présent article, aucune décision sur la question de savoir quels sont les employés ou les classes d'employés de l'unité de négociation (ci-après dans la présente loi appelés «employés désignés») dont les fonctions sont, en tout ou en partie, des fonctions dont l'exercice à un moment particulier ou après un délai spécifié est ou sera nécessaire dans l'intérêt de la sûreté ou de la sécurité du public.
° 101. (I) Ne doit participer à une grève aucun employé
c) qui est un employé désigné.
parties, qu'il en soit ainsi, mais cela ne peut en aucune façon influer sur l'interprétation à donner audit article. Les pratiques antérieures ne consti tuent pas, comme a semblé le croire la Commis sion, un guide qu'elle doit suivre pour désigner des employés. Elle doit se guider uniquement sur les termes du paragraphe 79(1) qui, d'ailleurs, n'ap- puient en rien l'interprétation qu'elle a donnée de cet article.
Pour ces motifs et pour ceux exprimés par le juge Pratte, je me rangerais derrière la décision de ce dernier.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE SUPPLÉANT KERR: J'ai pris connais- sance des motifs de jugement prononcés par les juges Pratte et Urie. Les faits et les questions se rapportant au litige étant énoncés dans leurs motifs auxquels je souscris, il m'est par conséquent inutile de les reprendre dans les présents motifs. De plus, je suis d'accord avec leur décision en ce qui concerne cette demande fondée sur l'article 28.
Il est indéniable que la bonne marche de la circulation aérienne au Canada, notamment celle d'un important volume de vols commerciaux de passagers offerts par diverses compagnies d'avia- tion, dépend pour une large part du travail des contrôleurs aériens. Dans leur décision, les deux membres minoritaires de la Commission des rela tions de travail dans la Fonction publique ont rapporté cette définition du groupe professionnel du contrôle du trafic aérien tirée de la Gazette du Canada, 25 mars 1967, Vol. CI, no 12:
Contrôler le trafic aérien afin d'en assurer le mouvement sür et rapide dans l'espace aérien contrôlé et sur les aires de manoeu vre des aéroports.
La demande présentée par l'employeur à la Commission le 20 novembre 1980 afin d'obtenir la désignation de contrôleurs aériens en vertu de l'article 79 de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique faisait suite à une déci- sion prise en vertu de la Loi sur l'aéronautique en vue d'assurer que les services de tous les aérodro- mes et stations ou postes aéronautiques relevant de l'autorité fédérale soient maintenus en tout temps raisonnable.
Lorsque la Commission est appelée à déterminer les fonctions des contrôleurs aériens dont l'exécu- tion est ou sera nécessaire dans l'intérêt de la sûreté ou de la sécurité du public (lorsque dans l'espèce elle a été saisie de l'opposition aux préten- tions de l'employeur), elle doit définir la nature exacte des fonctions de ces employés au moment précis elle prend sa décision. C'est à partir de la nature de ces fonctions à ce moment précis que la Commission doit décider si les contrôleurs occu- pent des fonctions qui sont, en tout ou en partie, des fonctions dont l'exercice est ou sera nécessaire dans l'intérêt de la sûreté ou de la sécurité du public (et non pas quelles sont les «activités» des compagnies aériennes qui sont nécessaires dans cet intérêt) et ensuite quelles sont les désignations qui s'imposent. Il me semble que dans le cas qui nous est soumis, les membres majoritaires de la Com mission n'ont pas effectué les désignations en res- pectant ce processus. Au contraire, au paragraphe 41 de leur décision, ils se sont prononcés sur le caractère essentiel de certaines fonctions; par ail- leurs, les fonctions mentionnées à ce paragraphe ne comprenaient de toute évidence pas les fonctions exercées par les contrôleurs aériens à l'époque de la décision relativement aux vols commerciaux ordinaires. Ce qu'ont fait les membres majoritaires de la Commission (ainsi que le point de vue de la minorité) est énoncé dans les dernières phrases de la décision minoritaire:
La Commission a décidé de ne l'assurer qu'à une très faible partie du public et nous ne pouvons être d'accord avec sa décision. Nous aurions désigné tous les contrôleurs de la circu lation aérienne préposés à l'exploitation qui ont pour fonction régulière de veiller à ce que les aéronefs se déplacent rapide- ment et en toute sécurité dans l'espace aérien contrôlé et sur les aires de manoeuvre des aéroports.
Pour les motifs précités ainsi que pour ceux exprimés par les juges Pratte et Urie, je souscris à leur décision relativement à la présente demande fondée sur l'article 28.
 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.