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T-3693-79
Jupiter International Limited (demanderesse) c.
Dart Containerline Company Limited et Eckert Overseas Agencies Limited (défenderesses)
Division de première instance, juge Walsh— Montréal, 8 mars; Ottawa, 11 mars 1982.
Pratique Requête pour remédier à un défaut de produc tion de détails dans les délais Jugement accueillant la demande en production de détails portant la mention «Requête accueillie» et faisant siennes les conclusions de la défende- resse: délai de 15 jours et rejet de l'action «sans autre forme de procès» en cas de défaut Remise de l'acte donnant les détails à l'huissier dans les délais mais signification à la défenderesse hors du délai de 15 jours Taxation du mémoire de frais de la défenderesse lors du rejet de l'action Le jugement accueillant la demande pour détails peut-il être modifié ou la Cour est-elle functus officio? Y a-t-il jugement définitif vu l'expression «sans autre forme de procès»? Pouvoir discrétionnaire attribué au juge par la Règle 3(1)c) de proroger tout délai, pour quelque acte que ce soit, pour motif jugé valide Le retard de l'huissier à signifier les détails constitue un motif suffisant Il ne s'agit pas d'un jugement définitif puisqu'il se borne à fixer la date à laquelle le jugement rejetant l'action sera prononcé Requête accueillie Règles de la Cour fédérale 3(1)c), 300(7), 337, 338, 415(3) Code de procédure civile du Québec, art. 249.
La demanderesse demande d'être excusée de n'avoir pas produit, dans le délai stipulé, les détails requis par la défende- resse Dart Containerline Company Limited et d'être autorisée à produire lesdits détails au moment du prononcé du jugement en l'instance. Dans sa demande pour détails, la défenderesse avait demandé que ceux-ci soient fournis dans les 15 jours, faute de quoi la déclaration serait radiée et l'action rejetée «sans autre forme de procès». Aucun moyen n'a été invoqué au nom de la demanderesse lors de l'instruction de la demande. Le jugement du juge Dubé accueillant la demande reprenait les conclusions de la défenderesse, avec la mention «Requête accueillie». L'acte donnant les détails, rédigé par le procureur actuel de la deman- deresse et remis à l'huissier avant le terme du délai de 15 jours, fut signifié à la défenderesse hors délai. Le greffe de la Cour refusa de l'accepter en raison de son retard, aucune prorogation n'ayant été accordée. Les dépens de la défenderesse sur le rejet de l'action furent subséquemment taxés. La défenderesse pré- tend que l'expression «sans autre forme de procès» signifie que jugement a été rendu et l'action rejetée. Il échet d'examiner si le jugement du juge Dubé peut être modifié de façon à autori- ser la production tardive des détails ou si la Cour est mainte- nant functus officio.
Arrêt: la requête est accueillie. Les termes «sans autre forme de procès» n'interdisent pas la prorogation du délai imparti en vue de modifier l'ordonnance du juge Dubé pour des motifs considérés valides selon l'appréciation du juge instruisant la demande de prorogation. Cela est d'autant plus vrai lorsque l'ordonnance est simplement d'ordre procédural, comme en l'espèce. Une interprétation différente aurait pour effet
d'anéantir le vaste pouvoir discrétionnaire que la Règle 3(l)c) attribue à la Cour en matière d'augmentation ou de réduction des délais prévus pour l'accomplissement d'un acte. En l'espèce, le retard de l'huissier à signifier les détails justifie de façon suffisante la prorogation du délai jusqu'à la date à laquelle ils ont effectivement été reçus par la défenderesse. La Règle 337 exige qu'un jugement soit prononcé et la Règle 338 requiert qu'il soit enregistré le jour il est prononcé. Le jugement du juge Dubé n'a fait que fixer la date à compter de laquelle devait courir le délai de 15 jours au terme duquel serait prononcé le jugement rejetant l'action. Aucun jugement définitif n'a été rendu.
Jurisprudence: arrêt appliqué: La Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Le navire »N/M Norango» [1976] 2 C.F. 264. Distinction faite avec la décision: Grace Kennedy & Company Limited c. Canada Jamaica Line [1979] 1 C.F. 401 (Annexe, p. 406). Arrêt examiné: May & Baker (Canada) Ltée c. Le pétrolier à propulsion mécanique »Oak» [1979] 1 C.F. 401.
REQUÊTE. AVOCATS:
J.-P. Robitaille pour la demanderesse. P. J. Bolger pour les défenderesses.
PROCUREURS:
Gregory & Robitaille, Montréal, pour la demanderesse.
McMaster Meighen, Montréal, pour les défenderesses.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE WALSH: La demanderesse, par l'inter- médiaire de son procureur actuel, Jean-Paul Robi- taille, demande d'être excusée de son défaut de production de détails, comme l'avait requis la défenderesse Dart Containerline Company Limi ted, dans le délai que stipulait le jugement du juge Dubé, en date du 11 janvier 1982, et d'être autori- sée à produire lesdits détails au moment sera prononcé le jugement sur la présente requête et à procéder à l'instruction de l'action au fond. Voici les faits: une action a été intentée le 30 juillet 1979, en dommages-intérêts, de $58,000, pour retard dans la livraison d'une cargaison de nature saisonnière, provoquant ainsi une perte de profit et l'annulation de commandes et de ventes. C'était alors l'étude Courtois, Clarkson, Parsons et Tétrault qui représentait la demanderesse. La demanderesse a eu à fournir une caution judica- tum solvi, sous la forme d'une sûreté de $1,500, le
8 décembre 1980. Le 10 août 1981, Mes Courtois, Clarkson, Parsons et Tétrault étaient autorisés par jugement à faire signifier à la demanderesse, hors de la juridiction, à son centre d'affaires, une requête en autorisation de cesser d'occuper pour elle, vu leur incapacité à communiquer avec elle et à en obtenir des instructions. Conformément à l'ordonnance obtenue, la requête fut dûment signi- fiée à la demanderesse et aux procureurs de la défenderesse Dart Containerline Company Limi ted et, par jugement en date du 19 octobre 1981, elle était accordée. Il est intéressant de noter que la notification tenant lieu de signification hors de la juridiction cite l'article 249 du Code de procé- dure civile du Québec. Pour se conformer aux Règles de la Cour, la Règle 300(7), laquelle pré- voit que tant qu'une copie de l'ordonnance n'aura pas été signifiée à toutes les parties à l'instance, le même procureur doit toujours être considéré comme procureur inscrit au dossier, aurait être appliquée; or, cela ne semble pas avoir été le cas. C'est sans importance toutefois puisque, lorsque la défenderesse Dart Containerline Company Limi ted fit une demande pour détails, sur le fondement de la Règle 415(3), le 15 décembre 1981, devant être présentée le 11 janvier 1982, copie fut non seulement envoyée par courrier recommandé à la demanderesse à son centre d'affaires, au 14923 N.E., 40e Redmond, Washington, États-Unis, mais aussi aux procureurs occupant alors pour la demanderesse, le 4 septembre 1981. On ne peut donc dire que la demanderesse n'avait pas été régulièrement notifiée de la requête lorsqu'elle fut instruite, le 11 janvier 1982, par le juge Dubé, bien qu'à cette époque aucun avocat n'occupait plus pour elle de sorte qu'aucun moyen n'a été invoqué devant la Cour en son nom. Le jugement énonce la demande d'ordonnance de fourniture de détails puis se borne à conclure par un: [TRADUCTION] «Requête accueillie». Dans la demande d'ordon- nance, toutefois, la défenderesse Dart Container - line Company Limited avait demandé que les détails en cause soient fournis dans les 15 jours, faute de quoi la déclaration serait radiée et l'action rejetée [TRADUCTION] «sans autre forme de procès».
Qu'il y ait eu coïncidence ou non, ce n'est que plus tard le même jour, le 11 janvier 1982, que l'avocat actuel de la demanderesse a reçu par téléphone instruction d'agir en son nom. Il obtint
immédiatement les détails nécessaires et prépara la rédaction d'un acte, qui donnait ces détails, daté du 25 janvier 1982, soit avant le terme du délai de 15 jours que fixait le jugement. Toutefois, quoi- qu'il l'ait remis à son huissier pour signification ce jour-là, il ne fut effectivement signifié à ladite défenderesse que le 1°r février 1982, hors délai. Lorsque le procureur de la demanderesse tenta de le produire au greffe de la Cour, celui-ci refusa de l'accepter, invoquant le jugement du juge Dubé: il était hors délai et aucune prorogation n'avait été accordée. La défenderesse prétend que l'expression «sans autre forme de procès» du jugement du juge Dubé clôt l'affaire, aucune action subséquente n'étant requise pour le rejet de la demande de la demanderesse. Le 18 février 1982, la défenderesse fit parvenir par courrier recommandé à la deman- deresse notification de la taxation de son mémoire de frais, qui devait avoir lieu le 26 février 1982 et finalement, ce jour-là, les dépens de la défende- resse sur rejet de l'action furent taxés à $267. (Le fait que l'action serait maintenant prescrite puis- qu'elle a pris naissance au cours de l'été 1978 n'est pas sans importance.) Le même jour, soit le 26 février 1982, la demanderesse présentait la requête en cause, datée du 22 février 1982, à instruire le 8 mars 1982.
Pour ce qui est des dates donc il est clair que, si la défenderesse Dart Containerline Company Limited n'a reçu les détails demandés que quel- ques jours après l'arrivée du terme du délai de production de 15 jours, elle a néanmoins connu ces détails bien avant d'avoir demandé la taxation de son mémoire de frais en arguant que le jugement du juge Dubé avait eu pour effet automatique de rejeter l'action le 27 janvier 1982.
Il échet maintenant d'examiner si ledit jugement du juge Dubé peut être modifié de façon à autori- ser la production, tardive, des détails ou si la Cour est maintenant functus officio, jugement ayant été rendu, comme le soutient la défenderesse.
Bien que le jugement du juge Dubé ne puisse être considéré comme rendu par défaut, et qu'en toute vraisemblance il n'aurait pas été différent s'il y avait eu débat, je doute que l'on puisse dire que l'action doit être considérée comme rejetée sans qu'un autre jugement ne soit nécessaire par suite de l'expression «sans autre forme de procès» dudit jugement (expression qui, en fait, fut inscrite par
la défenderesse dans sa requête, le jugement se bornant à déclarer: «Requête accueillie»). La Cour d'appel a étudié cette question dans l'arrêt La Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Le navire «N/M Norango»'. Il est vrai que cette affaire était quelque peu différente en ce que l'ordonnance qui n'avait pas été exécutée dans le délai imparti se bornait à interdire la production de dépositions sous serment justifiant et démon- trant certaines créances relatives à des sommes consignées devant le tribunal et le jugement, bien qu'il ait contenu l'expression «perdra ce droit défi- nitivement», comportait un autre paragraphe il était dit que rien dans l'ordonnance ne devait être interprété comme une décision au fond sur toute demande future de prorogation du délai de produc tion des dépositions. Toutefois, la Cour d'appel, en rendant son arrêt, a rappelé la Règle 3(1)c) de la Cour que voici:
Règle 3. (1) .. .
c) la Cour peut augmenter ou réduire les délais prévus par les présentes Règles, ou fixés par une ordonnance, pour l'accom- plissement d'un acte ou l'introduction d'une procédure aux conditions qui, le cas échéant, semblent justes, et une prolon gation de ce genre peut être ordonnée même si la demande n'en est faite qu'après l'expiration du délai prévu ou fixé;
et, aux pages 267 et 268, elle dit:
La Règle permet expressément la prorogation d'un délai fixé par une ordonnance même si la demande à cet effet n'est présentée qu'après l'expiration du délai fixé par l'ordonnance. Interprétée littéralement comme signifiant que cette question est tranchée définitivement, l'expression «perdra définitive- ment» aurait pour effet d'empêcher un autre juge et le juge Addy lui-même d'exercer, dans un cas approprié, le pouvoir discrétionnaire conféré par la Règle 3(1)c). A mon avis, aucun juge de la Cour ne possède un tel pouvoir .... [C'est moi qui souligne.]
Plus loin, à la page 268 du jugement du juge Urie, on dit:
Indubitablement le caractère impératif de l'ordonnance pronon- cée par le juge Addy est attribuable aux retards indus des réclamants à établir leurs réclamations, mais cela ne signifie pas qu'il ne pouvait exister des circonstances justifiant l'octroi d'un délai supplémentaire.
Le jugement approuve l'exercice par le juge Decary, à bon droit, de son pouvoir discrétionnaire de prorogation de délai, pour des motifs qu'il considérait suffisants et, en l'espèce, je statue que le simple retard de l'huissier à signifier les détails que le procureur actuel de la demanderesse avait obtenus de sa cliente dans le délai prévu justifie suffisamment sa prorogation de quelques jours,
1 [1976] 2 C.F. 264.
jusqu'à celui auquel ils furent effectivement reçus par la défenderesse, soit le 1 e' février 1982.
On a aussi cité l'espèce May & Baker (Canada) Ltée c. Le pétrolier à propulsion mécanique ((Oak» 2 . aussi les faits sont substantiellement différents de sorte que l'espèce ne sert qu'à exami ner le raisonnement de la Cour, par analogie. Les ordonnances avaient alors été rendues par défaut; on peut difficilement dire que ce soit le cas en l'espèce bien que le jugement dise que: «l'appelante n'a pas eu l'occasion de faire valoir ses droits». Le jugement, aux pages 404 et 405, dit:
En règle générale, quand une cour rend une ordonnance ou prononce un jugement, à moins de disposition particulière, elle n'est pas compétente pour réviser cette ordonnance ou ce jugement. Son bien-fondé ne peut être examiné qu'en appel. Toutefois, quand une ordonnance est rendue ex parte, à mon sens, sauf disposition contraire, la Cour est naturellement com- pétente, après avoir accordé à la partie lésée l'occasion de faire valoir ses droits, s'il apparaît alors que l'ordonnance ou le jugement ex parte n'aurait pas être rendu,
a) pour annuler l'ordonnance ou le jugement ex parte à compter du jour elle rend cette ordonnance et
b) pour rendre toute ordonnance corrélative qu'elle juge nécessaire pour remettre la partie lésée dans l'état elle aurait été si l'ordonnance ou le jugement ex parte n'avait pas été rendu.
En l'espèce en cause, on ne peut dire que l'ordon- nance du juge Dubé n'aurait pas être rendue ni qu'elle ne l'a pas été régulièrement.
Je ne crois pas que l'on puisse dire que le jugement définitif a été rendu en la matière et que la Cour est functus officio par suite de la taxation du mémoire de frais. Une lecture attentive de la Règle 337 sur le prononcement des jugements montre qu'ils doivent être prononcés ou rendus et la Règle 338 requiert qu'ils soient enregistrés le jour ils sont prononcés ou rendus. Il me semble toutefois que s'il devait être question de former appel, ce qui n'est pas le cas ici, les délais ne courraient qu'à compter de ce moment, de sorte que le jugement du 11 janvier 1982 n'a fait que fixer la date à compter de laquelle devait courir le délai de 15 jours au terme duquel serait prononcé le jugement rejetant l'action. Comme on le fait remarquer dans l'arrêt des Chemins de fer natio- naux du Canada (précité), l'expression «perdra définitivement» aurait pour effet d'anéantir le vaste pouvoir discrétionnaire que la Règle 3(1)c)
2 [1979] 1 C.F. 401.
attribue à la Cour et je suis d'avis qu'il en est de même de la clause de style «sans autre forme de procès,>, en cause; on ne devrait pas l'interpréter comme interdisant une prorogation du délai imparti à toute modification de l'ordonnance du juge Dubé pour des motifs considérés valides selon l'appréciation du juge instruisant la demande. Cela est d'autant plus vrai lorsque l'ordonnance n'est que d'ordre procédural, comme en l'espèce, n'auto- risant nullement d'intenter quelque procédure hors le délai imparti comme dans l'espèce Grace Ken- nedy & Company Limited c. Canada Jamaica Line, annexée à l'arrêt May & Baker (Canada) Ltée c. Le pétrolier à propulsion mécanique «Oak» (précité), dans laquelle le président Jackett, c'était son titre alors, a dit, à la page 408 du recueil est publié l'arrêt May & Baker:
J'ai déjà, par le passé, rejeté une requête fondée essentielle- ment sur les mêmes motifs. Lorsque, selon l'esprit de la loi, une action doit être intentée dans un délai précis après la naissance de la cause d'action qui la provoque et que l'acte introductif d'instance doit être signifié au défendeur (ou aux défendeurs) en l'espèce dans un délai précis après l'introduction de l'action, il ne me semble pas que le fait de démontrer que le demandeur a entrepris des négociations en vue d'une transaction avec un autre défendeur constitue une «raison suffisante» de ne pas signifier le bref à un défendeur. Chaque défendeur, à mon sens, a droit à la protection de la loi. Si l'on considérait cette raison comme une «raison suffisante», elle aurait pour effet de contre- carrer l'objet manifeste des lois de prescription.
Sur la question des dépens toutefois, la deman- deresse est clairement en faute vu son manque de diligence, mais cela ne suffit pas, à mon avis, à justifier le rejet de l'action sans autoriser une instruction sur le fond. Tous les dépens perdus qui doivent être versés aux procureurs de la défende- resse Dart Containerline Company Limited sur taxation du mémoire de frais seront joints aux dépens de la présente requête.
ORDONNANCE
La demanderesse est excusée de n'avoir pas produit les détails que requérait la défenderesse Dart Containerline Company Limited dans le délai que stipule le jugement du juge Dubé du 1 1 janvier 1982 et elle est autorisée à produire lesdits détails, dûment signifiés à ladite défenderesse, le ler février 1982; les dépens de la requête vont à ladite défen- deresse quelle que soit l'issue de la cause de même que ceux perdus résultant de la taxation de son mémoire de frais en sa faveur.
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