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T-1040-80
Fred Steiner (Demandeur) c.
La Reine, le ministre des Postes, Lawrence F. Reid, A. E. Green et Marc Savoie (Défendeurs)
Division de première instance, le juge Decary— Campbellton, 14 janvier; Ottawa, 17 juillet 1981.
Brefs de prérogative Jugement déclaratoire Le maître de poste a décidé que les circulaires d'annonce que le deman- deur avait présentées pour être transmises par la poste étaient des objets non transmissibles en raison du texte qui critiquait le bureau de poste La Loi sur les postes confère au ministre des Postes le pouvoir de décider ce qui n'est pas transmissible et le droit de déléguer ce pouvoir Il échet d'examiner si ce pouvoir discrétionnaire se limite aux envois qui font l'objet de règlements pris en application de la Loi Est accueillie la demande tendant à l'obtention d'un jugement déclaratoire portant que les défendeurs ont le devoir, d'ordre public, d'ac- cepter, pour être transmis par la poste, tous les envois qui sont conformes à la Loi et à ses Règlements d'application, et d'un autre jugement déclaratoire portant que les défendeurs ont le devoir d'accepter, pour être transmise par la poste, la circu- laire d'annonce particulière Loi sur les postes, S.R.C. 1970, c. P-14, art. 2, 3(1), 5(1)e),p), 5(4), 6a),b)f),g), 7(1)a),b) Règlement sur les objets de la troisième classe, DORS/78-899, art. 2, 3(1) Règlement sur les objets interdits, C.R.C. 1978, Vol. XIV, c. 1289, art. 2, 3 Déclaration canadienne des droits, S.C. 1960, c. 44 [S.R.C. 1970, Appendice III], art. 1, 2.
Le demandeur sollicite un jugement déclaratoire portant que les défendeurs ont le devoir, d'ordre public, d'accepter, pour être transmis par la poste, tous les envois qui sont conformes à la Loi sur les postes et à ses Règlements d'application ainsi qu'un autre jugement déclaratoire portant que les défendeurs ont le devoir d'accepter l'envoi particulier que le demandeur a présenté aux défendeurs pour expédition par la poste. Le demandeur désirait envoyer par la poste une circulaire d'an- nonce qui remplissait toutes les conditions matérielles des Règlements, mais dont le texte critiquait le bureau de poste. Se prévalant de son pouvoir discrétionnaire, le maître de poste a décidé que les circulaires d'annonce étaient des objets non transmissibles en raison de leur contenu. L'alinéa 5(l)p) de la Loi sur les postes confère au ministre des Postes le pouvoir de décider ce qu'est un objet non transmissible, et le paragraphe 5(4) l'autorise à déléguer ce pouvoir aux sous-ministres adjoints des Postes. L'expression «objet transmissible« est définie comme comprenant tout ce qui, d'après la Loi et les Règlements, peut être envoyé par la poste. Il échet d'examiner si les circulaires d'annonce pouvaient faire l'objet de l'exercice du pouvoir dis- crétionnaire prévu à l'article 5 de la Loi en raison de leur contenu, ou si un tel exercice était déraisonnable ou constituait un manquement au devoir d'agir équitablement.
Arrêt: les défendeurs ont le devoir, d'ordre public, d'accepter, pour être transmis par la poste, tous les envois qui sont confor- mes à la Loi sur les postes et à ses Règlements d'application. En outre, les défendeurs ont le devoir d'accepter, pour être
transmis par la poste, l'envoi particulier que le demandeur a présenté pour expédition par la poste. Il ressort de la définition d'»objet transmissible» qu'il appartient exclusivement à la Loi ou aux Règlements de définir ce qui est transmissible, et que cette définition ne relève pas du pouvoir discrétionnaire du ministre des Postes ni de la personne qu'il désigne. En préci- sant, dans la définition et dans l'article portant autorisation d'établir des règlements, ce qu'est un objet transmissible et ce qu'est un objet non transmissible, le législateur a limité le pouvoir discrétionnaire puisqu'il ne peut être exercé que relati- vement à des envois prévus par la Loi ou les Règlements. Si le Parlement avait voulu donner au ministre des Postes la liberté absolue d'interrompre l'acheminement du courrier ou de refu- ser d'accepter des envois parce qu'il n'était pas d'accord avec leur contenu, une autorisation expresse de le faire aurait été prévue dans la législation. Étant donné qu'il n'existe aucun pouvoir précis à ce sujet, il semblerait que le législateur ait voulu que tous les envois soient transmissibles à moins de restrictions précises prévues par règlement. Le Règlement sur les objets interdits définit ce qu'est un objet non transmissible aux fins de la Loi ainsi que du Règlement. Nulle part dans la Loi ni dans le Règlement est-il prévu le pouvoir de refuser d'accepter des envois parce que le ministre des Postes ou la personne qu'il a désignée n'est pas d'accord avec le motif de l'envoi. A moins d'un règlement précis permettant au ministre des Postes de refuser de permettre à un envoi d'être acheminé par la poste, on ne doit pas interpréter le texte comme permet- tant de refuser à quelqu'un de se servir de la poste. Il existe des dispositions autorisant le demandeur à envoyer par la poste la circulaire d'annonce en question et, par conséquent, ces disposi tions doivent être interprétées comme obligatoires. Aucune disposition des Règlements n'autorise le ministre des Postes à refuser d'accepter des objets de la troisième classe à cause de leur contenu. Le pouvoir de décider ce qu'est une lettre, conféré au ministre des Postes à l'alinéa 5(1)p) de la Loi, est seulement le pouvoir d'établir un règlement relativement à ce qu'est une lettre, un objet transmissible et un objet non transmissible, et ce pouvoir ne peut être exercé que par règlements.
Arrêts appliqués: Re Fisheries Act, 1914 [1930] 1 D.L.R. 194 (C.P.); Labour Relations Board of Saskatchewan c. La Reine [1956] R.C.S. 82; R. c. Drybones [1970] R.C.S. 282. Arrêt approuvé: Re Pacific Press et La Reine (1977) 37 C.C.C. (2°) 487 (C.S.C: B.). Arrêt mentionné: Ronca- relli c. Duplessis [1959] R.C.S. 121.
ACTION. AVOCATS:
Ronald A. Pink pour le demandeur. A. R. Pringle pour les défendeurs.
PROCUREURS:
Kitz, Matheson, Green & MacIsaac, Halifax, pour le demandeur.
Le sous-procureur général du Canada pour les défendeurs.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE DECARY: Si je comprends bien, la question qui se pose en l'espèce * est de savoir si l'exercice du pouvoir discrétionnaire conféré au ministre des Postes par les dispositions de la Loi sur les postes, S.R.C. 1970, c. P-14, se limite ou non aux envois qui font l'objet d'un règlement pris en application de la Loi et aux envois que la Loi déclare illégaux.
Avant d'énoncer les faits qui ont donné nais- sance à la présente action qui tend à obtenir un jugement déclaratoire portant que les défendeurs ont le devoir, d'ordre public, d'accepter, pour être transmis par la poste, tous les envois qui sont conformes à la Loi sur les postes et à ses Règle- ments d'application ainsi qu'à obtenir un autre jugement déclaratoire portant que la défenderesse, la Reine, et ses employés ont le devoir d'accepter, pour être transmis par la poste, l'envoi particulier que le demandeur a présenté aux défendeurs pour expédition par la poste, je crois qu'il convient de citer et de commenter les articles importants de la Loi et des Règlements.
Premièrement, le paragraphe 3(1) de la Loi sur les postes prévoit:
3. (1) Est établi un ministère du gouvernement du Canada, appelé ministère des Postes, ayant à sa tête le ministre des Postes.
L'objet de cet article est évident: on crée un ministère des Postes avec un directeur général.
Le prochain article qu'il convient d'examiner est, selon moi, le suivant:
5. (1) Sous réserve de la présente loi, le ministre des Postes doit administrer, surveiller et gérer la poste au Canada et, sans restreindre la généralité de ce qui précède, peut
p) décider, dans tout cas particulier, ce qu'est une lettre, un objet transmissible ou un objet non transmissible;
S'il y avait seulement ces dispositions de la Loi, sans Règlements d'application, alors le ministre des Postes aurait la liberté absolue de décider ce qui est transmissible et ce qui ne l'est pas.
J'ai employé en grande partie les notes soumises par l'avo- cat du demandeur, W Pink.
Ce pouvoir discrétionnaire pourrait être délégué à certains fonctionnaires en vertu du paragraphe 5(4):
s....
(4) Le ministre des Postes peut déléguer tout ou partie des pouvoirs, attributions et fonctions énoncés aux alinéas (1)p) et q) aux sous-ministres adjoints des Postes et aux directeurs du ministère des Postes.
Un objet transmissible est défini comme suit au paragraphe 2(1):
2. (1) ...
«objet transmissible» comprend tout ce qui, d'après la présente loi ou quelque règlement, peut être envoyé par la poste;
L'objet de ce pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 5(1) est de décider ce qui peut être envoyé par la poste, et ce qui peut être envoyé par la poste est uniquement ce qui est prévu dans la Loi ou les Règlements.
L'article 6 confère le pouvoir d'établir des règle- ments pour la réalisation des objets prévus aux alinéas a) à y), notamment:
6. Le ministre des Postes peut établir des règlements pour le fonctionnement efficace de la poste au Canada, ainsi que pour la réalisation des objets et l'application des dispositions de la présente loi, et, sans restreindre la généralité de ce qui précède, édicter des règlements
a) prescrivant, aux fins de la présente loi, ce qu'est une lettre et ce qui constitue un objet transmissible ou un objet non transmissible;
b) établissant la classification des objets transmissibles;
J) prescrivant les conditions auxquelles un objet transmissible peut être envoyé par la poste;
g) portant exclusion d'objets non transmissibles de la poste et décrétant leur renvoi à l'expéditeur ou quelque autre façon d'en disposer;
Je remarque que le Parlement a déclaré que les Règlements sont d'abord établis pour le fonction- nement efficace de la poste au Canada et, en deuxième lieu, pour la réalisation des objets et l'application des dispositions de la Loi. C'est égale- ment la première fois qu'il est fait mention d'objets non transmissibles qui se définissent par rapport à ce qui est transmissible; on déduit qu'il doit s'agir d'objets qui ne peuvent être envoyés par la poste.
Il ressort de la définition d'«objet transmissible» au paragraphe 2(1) qu'il appartient exclusivement à la Loi ou aux Règlements de définir ce qui est transmissible et que cette définition ne relève pas du pouvoir discrétionnaire du ministre des Postes
ni de la personne qu'il désigne. Si le Parlement avait eu l'intention de donner au ministre des Postes un pouvoir discrétionnaire illimité à ce sujet, alors l'alinéa p) du paragraphe 5(1) aurait suffi.
En précisant, dans la définition et dans l'article portant autorisation d'établir des règlements, ce qu'est un objet transmissible et ce qu'est un objet non transmissible, le législateur a limité le pouvoir discrétionnaire puisqu'il ne peut être exercé que relativement à des envois prévus par la Loi ou les Règlements.
Aux alinéas 7(1)a) et b), il est question de l'utilisation de la poste à des fins illégales:
7. (1) Chaque fois que le ministre des Postes a des motifs raisonnables de croire qu'une personne,
a) au moyen de la poste,
(i) commet ou tente de commettre une infraction, ou
(ii) aide, incite ou pousse une personne à commettre une infraction, ou,
b) dans l'intention de commettre une infraction, emploie la poste pour atteindre son but,
le ministre des Postes peut rendre un ordre provisoire (dans le présent article, appelé «ordre prohibitif provisoire»), interdisant la livraison de tout courrier adressé à cette personne (au présent article, appelée «personne en cause») ou déposé par cette per- sonne à un bureau de poste.
Le but poursuivi par la Loi devient plus évident à la lecture de cet article. Il est d'une facture travaillée et détaillée et permet de constater que lorsque le Parlement a voulu donner un vaste pouvoir discrétionnaire d'intervention dans les activités de la poste, il l'a dit de façon expresse et précise. Il est allégué que cette mention précise de l'emploi de la poste à des fins illégales est con- forme à l'objet de la Loi.
Si l'on considère l'objet de l'article 7 à la lumière de l'ensemble de la Loi, on peut compren- dre pourquoi ces pouvoirs y sont prévus, mais il est important de comprendre que lorsque le Parlement a voulu restreindre d'une façon ou d'une autre l'acheminement normal du courrier, le pouvoir précis de le faire a été prévu expressément.
Si le Parlement avait voulu donner au ministre des Postes la liberté absolue d'interrompre l'ache- minement du courrier ou de refuser d'accepter des envois parce qu'il n'était pas d'accord avec leur contenu, une autorisation expresse de le faire
aurait été prévue dans la législation. C'est ce que le Parlement a fait relativement à l'utilisation de la poste à des fins illégales, et il aurait facilement pu faire la même chose s'il avait voulu que le ministre des Postes examine le contenu de circulaires d'an- nonce pour s'assurer qu'elles soient conformes aux normes du ministre des Postes. Étant donné qu'il n'existe aucun pouvoir précis permettant au minis- tre des Postes ou aux personnes par lui désignées de refuser de permettre l'expédition par la poste d'envois parce qu'ils ne sont pas d'accord avec leur contenu, il semblerait que le législateur ait voulu que tous les envois soient transmissibles à moins de restrictions précises prévues par règlement.
Jusqu'ici, nous n'avons examiné que les disposi tions de la Loi, mais celle-ci renvoie souvent aux règlements pour la définition des objets trans- missibles et des objets non transmissibles. Dans le Règlement sur les objets de la troisième classe, DORS/78-899, daté du 30 novembre 1978, une circulaire d'annonce est définie comme suit:
2....
... un envoi sans adresse, ne pesant pas plus de quatre onces, qui n'est pas sous forme de carte ni d'enveloppe et n'est pas inséré dans une enveloppe;
C'est le genre d'envoi qui nous intéresse en l'espèce. C'est au paragraphe 3(1) qu'est prévue l'autorisation générale d'envoyer des objets de la troisième classe:
3. (1) Sous réserve du paragraphe (2), tout objet de la troisième classe du régime intérieur peut être déposé au tarif d'affranchissement visé pour cet objet à l'annexe I si l'objet est déposé selon les conditions énoncées dans la présente partie.
Si l'on se rapporte à l'article 9 du Règlement, on peut voir qu'il y a 13 conditions à remplir. Le respect de toutes les exigences techniques prévues à l'article 9 du Règlement donne le droit d'envoyer un objet de la troisième classe, conformément au paragraphe 3(1), dans la mesure la circulaire d'annonce est un objet transmissible selon la défi- nition qu'en donne la Loi.
Il reste à déterminer si la circulaire d'annonce était ou non un objet non transmissible. Dans le Règlement sur les objets interdits, C.R.C. 1978, Vol. XIV, c. 1289, on trouve à l'article 2 la définition suivante de l'expression objet non transmissible:
... tout objet prescrit à l'article 3 comme objet non transmissible.
L'article 3 qui précise ce qu'est un objet non transmissible dit dans sa partie introductive pour- quoi il y a une telle liste d'articles aux alinéas a) à j):
3. Aux fins de la Loi et du présent règlement, les objets suivants sont des objets non transmissibles par la poste:
Aucun de ces articles n'étant pertinent, il est inutile de citer la liste.
Le langage de l'article 3 du Règlement sur les objets interdits est semblable à celui de l'article de la Loi portant autorisation d'établir des règle- ments, soit l'article 6.
L'article 3 du Règlement sur les objets interdits établit une liste d'articles qui ne sont pas transmis- sibles «aux fins de la Loi» et l'article 6 de la Loi établit une liste d'objets pour lesquels un règle- ment peut être pris. Le Règlement sur les objets interdits définit ce qu'est un objet non transmissi ble aux fins de la Loi ainsi que du Règlement. Bien qu'il n'existe dans la Loi aucune définition précise d'un objet non transmissible, il est fait allusion, aux articles 5 et 6, aux objets non transmissibles et aux objets interdits. Ce règlement définit, aux fins de la Loi, en vertu de l'alinéa 6(1)a), ce qu'est un objet non transmissible. Étant donné que le règle- ment est adopté conformément aux pouvoirs confé- rés par la Loi et qu'il n'existe aucun conflit entre ce pouvoir et le règlement établi par suite de l'exercice de ce pouvoir, il ne peut être question de la priorité de la Loi. Le règlement a été établi conformément au pouvoir conféré par la Loi.
Le ministre des Postes a-t-il le droit, après avoir défini ce qu'est un objet non transmissible, de désigner d'autres objets que ceux qui sont mention- nés dans le Règlement sur les objets interdits? Nulle part dans la Loi ni dans le Règlement est-il prévu le pouvoir de refuser d'accepter les envois parce que le ministre des Postes ou la personne qu'il a désignée n'est pas d'accord avec le motif de l'envoi.
Les faits, tels qu'ils ressortent de la preuve et de l'exposé conjoint des faits, sont tels qu'il y a con- formité ou non avec le Règlement sur les objets de la troisième classe et, par conséquent, l'objet que l'on voulait expédier était ou n'était pas un objet
transmissible selon les dispositions de la Loi sur les postes et de ses Règlements d'application dûment adoptés et, en outre, le pouvoir discrétionnaire relatif à la raison pour laquelle l'article devait être expédié pouvait ou non être exercé.
D'après le témoignage du maître de poste d'alors à Campbellton, d'après le témoignage du demandeur, d'après l'exposé conjoint des faits ainsi que d'après les dépositions écrites, je conclus que les faits importants pour trancher cette question sont les suivants:
a) l'article que l'on voulait expédier par la poste était une circulaire d'annonce;
b) cette circulaire d'annonce remplissait toutes les exigences matérielles des Règlements pour être acheminée par la poste;
c) le contenu des circulaires d'annonce que l'on voulait expédier par la poste ne plaisait pas aux autorités du ministère des Postes parce qu'il se rapportait au fonctionnement d'un bureau de poste;
d) les circulaires d'annonce ont fait l'objet de l'exercice du pouvoir discrétionnaire d'un fonction- naire dûment autorisé du ministère des Postes, décision prise en invoquant le pouvoir conféré par l'alinéa 5(1)p) et le paragraphe 5(4) de la Loi qui délèguent ce pouvoir dans les termes suivants:
5. (1) Sous réserve de la présente loi, le ministre des Postes doit administrer, surveiller et gérer la poste au Canada et, sans restreindre la généralité de ce qui précède, peut
p) décider, dans tout cas particulier, ce qu'est une lettre, un objet transmissible ou un objet non transmissible;
et
5....
(4) Le ministre des Postes peut déléguer tout ou partie des pouvoirs, attributions et fonctions énoncés aux alinéas (1)p) et q) aux sous-ministres adjoints des Postes et aux directeurs du ministère des Postes.
e) les raisons données pour décider, en vertu d'un pouvoir discrétionnaire, que les circulaires d'an- nonce étaient des objets non transmissibles sont: la nature du texte, les circonstances étant une campa- gne contre la gestion du bureau de poste local; la responsabilité envers le public, le système des postes n'étant pas un véhicule pour les conflits de travail.
Les circulaires d'annonce sont ainsi rédigées:
[TRADUCTION] 10 RAISONS POUR LESQUELLES NOUS DEMAN- DONS LA DÉMISSION DU MAÎTRE DE POSTE
1. Quatre suspensions en 4 mois sans justification; 2. Mécon- naissance flagrante des droits contractuels; 3. Entrave au moral et à la productivité par une intimidation et un harcèlement constants des employés locaux; 4. Réduction à néant des rela tions patronales-syndicales en attaquant le syndicat et ses représentants; 5. Déni du droit des représentants syndicaux de défendre leurs collègues de travail qui font injustement l'objet de sanctions disciplinaires; 6. Mesures de rétorsion (change- ment des heures de travail et des jours de congé) prises contre les employés locaux qui défendent leurs droits; 7. Violation des droits de l'homme en donnant des ordres au sujet du genre de vêtements qui doivent être portés au travail, au sujet de la coiffure et au sujet de la barbe; 8. Réduction (de 3 à 2) du nombre d'employés pouvant prendre leurs congés annuels en même temps bien que cette pratique soit admise depuis au moins 4 ans; 9. Refus d'engager un nombre suffisant d'em- ployés à temps plein pour fournir un service adéquat; 10. Retard du tri des chèques de pension et de bien-être en refusant de permettre les heures supplémentaires.
Et l'autre texte:
[TRADUCTION] Attendu que le maître de poste Marc Savoie a entrepris une campagne soutenue de harcèlement et d'intimida- tion contre les membres du SPC au bureau de poste de Camp- bellton; attendu qu'au cours des 4 derniers mois, trois diri- geants du syndicat ont fait l'objet d'une suspension pour avoir tenté de défendre les droits qui leur étaient reconnus par la convention collective; attendu que M. Savoie a donné plusieurs ordres dictatoriaux violant à la fois les droits contractuels et civils des postiers à Campbellton; attendu que M. Savoie a dénié aux membres leur droit à la représentation syndicale aux niveaux local et régional et a fait des remontrances aux employés faisant l'objet d'une suspension; attendu que M. Savoie a détruit toute communication et toute relation entre le syndicat et la direction au bureau de poste de Campbellton; attendu que cette action a détruit le moral au point la qualité du service au public est touchée; attendu que les mem- bres du local de Campbellton ont demandé la démission ou le renvoi de M. Savoie sans succès dans leurs tentatives pour résoudre cette question; et attendu qu'il est possible que le local de Campbellton doive avoir recours à la grève pour trouver une solution à ce problème; il est résolu que cette conférence régionale appuie toutes les actions prises par le local de Camp- bellton, y compris la grève, pour que M. Savoie soit révoqué de son poste de maître de poste.
(N.B. le texte des deux circulaires d'annonce est reproduit intégralement, sauf pour la présentation)
La Cour n'a pas à décider si ces circulaires d'annonce sont diffamatoires, et bien qu'elle prenne note du fait qu'il ressort de la preuve qu'aucune action n'a été prise à la suite de la distribution de ces documents au public et des commentaires à ce sujet à la radio et dans les journaux, néanmoins aux fins de la présente affaire, le contenu des textes n'est pas pertinent
pour trancher la question, puisque, de toute façon, les dispositions de l'article 7 de la Loi relatives à l'utilisation illégale de la poste ne sont pas applica- bles, aucune action n'ayant été prise en ce sens.
Les circulaires d'annonce pouvaient-elles légale- ment, compte tenu de leur texte, faire l'objet de l'exercice du pouvoir discrétionnaire en vertu des dispositions de l'alinéa 5(1)p) de la Loi ou cet exercice du pouvoir discrétionnaire était-il dé- raisonnable ou constituait-il un manquement au devoir d'agir équitablement?
Comme je l'ai déjà dit, il ne se trouve rien dans la Loi ou dans les Règlements, si ce n'est à l'article 7, qui n'est pas applicable en l'espèce et qui porte sur l'utilisation de la poste à des fins illégales, qui rende un objet non transmissible à cause de son texte ou de son contenu.
Il ressort clairement de la décision que le con- tenu était le seul élément retenu aux fins de l'exer- cice du pouvoir discrétionnaire.
En réponse à une question que lui posait la Cour, le maître de poste d'alors a répondu que s'il avait été question de la gestion d'un autre bureau de poste, il aurait retenu l'envoi pour demander à cet égard l'avis du siège social régional et du siège social national et, s'il l'avait su, même si on avait voulu l'envoyer sous forme de première classe.
Dans l'arrêt Re Fisheries Act, 1914', le Conseil privé (lord Tomlin), saisi d'un appel d'une décision de la Cour suprême du Canada, dit, à la page 201, relativement à l'émission de permis de pêche:
[TRADUCTION] Les règlements correctement interprétés don- nent-ils au Ministre un pouvoir discrétionnaire d'octroyer ou de refuser un permis lorsque demande en est faite par une per- sonne admissible à l'obtenir?
Les règlements en question touchent les droits public et privé de pêche. Il n'existe aucune disposition expresse permettant de refuser un permis lorsqu'un requérant admissible soumet une demande appropriée et paie les droits peu élevés qui sont prescrits, et leurs Seigneuries estiment que rien dans le texte des règlements ne permet de conclure que le Ministre a un pouvoir discrétionnaire d'accorder ou de refuser le permis.
Par conséquent, à moins d'un règlement précis permettant au ministre des Postes de refuser de permettre à un envoi d'être acheminé par la poste, on ne doit pas interpréter le texte comme permet- tant de refuser à quelqu'un de se servir de la poste.
' [1930] 1 D.L.R. 194 (C.P.).
On retrouve ce point de vue dans l'arrêt The Labour Relations Board of Saskatchewan c. La Reine 2 , la Cour était saisie d'une affaire de demande de réexamen devant la commission des relations de travail et où, dans un jugement una- nime prononcé par le juge Locke, le juge en chef Kerwin, les juges Kellock et Estey souscrivant, il
est dit aux pages 86 et 87:
[TRADUCTION] Bien que le texte soit rédigé dans une forme qui comporte autorisation, à mon avis il impose à la commission l'obligation d'exercer ce pouvoir lorsqu'une partie intéressée et ayant le droit de faire la requête le lui en fait la demande (Drysdale c. Dominion Coal Company ((1904) 34 Can. R.C.S.
328 la p. 336): le juge Killam). Les dispositions portant autorisation sont toujours obligatoires lorsqu'elles ont pour objet de reconnaître un droit (Julius c. Lord Bishop of Oxford ((1880) 5 A.C. 214 la p. 243): lord Blackburn).
En l'espèce, il existe des dispositions autorisant le demandeur à envoyer par la poste la circulaire d'annonce en question et, par conséquent, ces dis positions doivent être interprétées comme obligatoires. Il faudrait un langage très clair pour permettre au ministre des Postes de refuser d'ac- cepter des envois parce qu'il ne serait pas d'accord avec leur contenu.
Je suis d'avis que la Loi et les Règlements établissent un système permettant au public d'en- voyer par la poste des objets de la troisième classe, à condition qu'ils soient conformes à certains règlements précis. La circulaire d'annonce en question était conforme à tous les règlements por- tant sur les aspects matériels et techniques mais le défendeur n'a pas permis à ces envois d'être ache- minés parce qu'il n'était pas d'accord avec leur contenu. Aucune disposition de la Loi n'autorise le ministre des Postes à refuser d'accepter des envois parce qu'il n'est pas d'accord avec leur contenu. L'alinéa 5(1)p) de la Loi n'est pas d'une portée assez vaste pour lui donner ce pouvoir. L'alinéa 5(1)p) doit être lu conjointement avec les disposi tions de l'article 6 qui prévoient le moyen de décider ce qu'est une lettre, un objet transmissible ou un objet non transmissible, le moyen prévu, si on décidait d'y avoir recours, étant de prendre un règlement, et conjointement, aussi, avec le Règle- ment sur les objets interdits et le Règlement sur les objets de la troisième classe.
Il est nécessaire de prendre connaissance des Règlements adoptés pour permettre l'application
2 [1956] R.C.S. 82.
appropriée de la Loi, pour constater qu'il ne s'y trouve aucune disposition autorisant le ministre des Postes à refuser d'accepter des objets de la troisième classe à cause de leur contenu. Tout ce qui précède est fondé sur la prémisse que les objets ne contrevenaient nullement aux dispositions de l'article 7 de la Loi sur les postes.
Après avoir mûrement réfléchi, j'estime que le pouvoir de décider ce qu'est une lettre, conféré au ministre des Postes à l'alinéa 5(1)p), est seulement le pouvoir d'établir un règlement relativement au même sujet qu'à l'alinéa 6a), soit: ce qu'est une lettre, un objet transmissible et un objet non trans missible, et que ce pouvoir ne peut être exercé que par règlements, non par une décision qui ne tient pas compte des règlements. Je suis en outre d'avis que le ministre des Postes ne pouvait, en l'espèce, exercer aucun pouvoir discrétionnaire parce que s'il lui avait été loisible d'en exercer un, ce pouvoir aurait se fonder sur un règlement portant sur l'objet ou la nature du texte des circulaires d'an- nonce. Il n'existe, ni dans la Loi ni dans les Règlements, aucune disposition permettant de refuser des envois à cause de leur contenu, sauf s'ils tombent sous le coup de l'article 7 qui porte sur l'utilisation des postes à des fins illégales. On n'a pas démontré qu'il y ait eu quoi que ce soit d'illégal dans les circulaires d'annonce puisque aucune action n'a été prise, ni décision judiciaire rendue pouvant permettre de conclure que le con- tenu des circulaires d'annonce constituait une infraction prévue à l'article 7 de la Loi.
S'il survient un désaccord entre le ministre des Postes et ses employés sur certains sujets et que ceux-ci ne peuvent avoir recours aux postes pour diffuser leur critique parce que l'employeur, par caprice, leur en refuse l'emploi, le ministre des Postes pourrait faire la même chose pour toute autre opinion contraire ou toute dispute entre tout autre ministère ou société de la Couronne et ses employés, même si dans tous les cas, qu'il s'agisse de la presse écrite, de la radio ou de la télévision, les journalistes sont toujours empressés de com- menter ou de transmettre l'opinion des deux par ties à un différend. Le ministre des Postes n'a pas le droit de se mettre à l'abri de ce risque parce qu'il contrôle la poste, alors que les autres ministè- res ou sociétés de la Couronne n'ont pas à leur disposition des moyens aussi efficaces que le déni
de l'utilisation de la poste, mais ils pourraient néanmoins avoir recours à ce moyen si l'interpréta- tion des défendeurs était maintenue.
Cette façon de faire, que ce soit uniquement à l'avantage du ministre des Postes ou de tout autre ministère ou société de la Couronne, équivaudrait, pour le ministre des Postes dans la gestion de son Ministère, à un manquement à son devoir d'agir équitablement, et peut-être en serait-il de même pour les autres ministères ou sociétés de la Cou- ronne qui auraient recours à ce moyen radical.
Cette façon de penser, le manquement au devoir d'agir équitablement, en refusant des envois autre- ment transmissibles par la poste au Canada pour- rait, si on jugeait qu'il s'agit de mauvaise conduite, faire l'objet de l'application des dispositions de l'alinéa 5(1)e):
5. (1) Sous réserve de la présente loi, le ministre des Postes doit administrer, surveiller et gérer la poste au Canada et, sans restreindre la généralité de ce qui précède, peut
e) congédier ou suspendre tout employé de la poste ou lui infliger une moindre peine, pour mauvaise conduite dans l'exercice de ses fonctions;
et pourrait utiliser ce pouvoir pour congédier, sus- pendre ou infliger une moindre peine.
Il est étonnant d'apprendre qu'une décision du ministre des Postes relativement à une lettre ou à un objet transmissible ou non transmissible exige que le Ministre y soit d'abord autorisé par un règlement mais que pour le congédiement, la sus pension ou une peine infligée à un employé, aucun règlement n'est requis.
S'il faut un règlement pour avoir le pouvoir de décider ce qu'est une lettre, un objet transmissible ou un objet non transmissible, à l'exception du cas des fins illégales prévu à l'article 7 de la Loi, à plus forte raison, il y aurait certainement besoin d'un règlement pour décider ce qu'est un objet trans missible ou non transmissible en fonction du texte ou du but de la lettre ou de l'objet.
Un examen du Règlement sur les objets de la troisième classe et du Règlement sur les objets interdits me convainc que ces Règlements ont été adoptés pour régir les aspects matériels des objets qu'on désire envoyer par la poste, mais aucune- ment pour régir leur teneur, sauf si, s'agissant
d'une fin illégale, ils tombent sous le coup des dispositions de l'article 7 de la Loi.
On ne peut refuser d'acheminer un objet par la poste à cause de son contenu ou de son but à moins qu'il ne s'agisse d'une fin illégale. Interpréter la Loi autrement serait permettre la censure, ce qui porterait atteinte au droit de parole reconnu au peuple canadien.
Je ne pourrais pas ne pas accorder beaucoup de poids aux remarques de l'avocat du demandeur relativement à la violation du droit de parole si la façon d'appliquer la Loi en l'espèce devait être approuvée par l'interprétation que la Cour pour- rait donner des dispositions de la Loi et des Règlements.
Cela n'est d'aucun secours que l'on puisse se rapporter à la Déclaration canadienne des droits, S.C. 1960, c. 44 [S.R.C. 1970, Appendice III], pour l'interprétation de la Loi sur les postes; c'est selon moi un devoir de se rapporter à la Déclara- tion canadienne des droits, pour interpréter la Loi sur les postes et ses Règlements parce que la Déclaration canadienne des droits reconnaît des droits qui existaient.
L'article 1 de la Déclaration canadienne des droits est rédigé comme suit:
1. Il est par les présentes reconnu et déclaré que les droits de l'homme et les libertés fondamentales ci-après énoncés ont existé et continueront à exister pour tout individu au Canada quels que soient sa race, son origine nationale, sa couleur, sa religion ou son sexe:
d) la liberté de parole;
L'article 2 prévoit ce qui suit:
2. Toute loi du Canada, à moins qu'une loi du Parlement du Canada ne déclare expressément qu'elle s'appliquera nonobs- tant la Déclaration canadienne des droits, doit s'interpréter et s'appliquer de manière à ne pas supprimer, restreindre ou enfreindre l'un quelconque des droits ou des libertés reconnus et déclarés aux présentes, ni à en autoriser la suppression, la diminution ou la transgression ....
Je ne crois pas, et je ne veux pas croire, que la Loi et les Règlements devraient pouvoir être inter- prétés de façon à restreindre la liberté de parole qui est protégée par la Déclaration canadienne des droits. Il faut éviter une interprétation de la Loi sur les postes qui contrevienne aux dispositions de la Déclaration canadienne des droits.
Dans l'arrêt Re Pacifie. Press et La Reine', à la page 494, le juge en chef Nemetz dit:
[TRADUCTION] Alors, quelle est la situation au Canada? L'avocat de la requérante soumet que le Parlement a accordé à la liberté de la presse une place spéciale dans la Déclaration canadienne des droits. Par conséquent, il prétend que les art. lf) et 2 doivent être pris en considération et examinés par le juge de paix avant d'exercer le pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré d'émettre un mandat de perquisition contre un organisme de la presse libre de ce pays. A plus forte raison, dit-il, il faut tenir compte de ce fait dans les cas les locaux du journal ne sont pas les locaux des personnes accusées du crime. Je suis d'accord avec cet argument.
Moi aussi, et je suis d'avis qu'on ne peut, sans violer la liberté de parole qui devrait être protégée dans l'interprétation de la Loi sur les postes à moins que des dispositions expresses à l'effet con- traire ne soient adoptées, refuser d'acheminer par la poste, pour un caprice du ministre des Postes, un objet présenté pour expédition qui satisfait à toutes les exigences de la Loi et de ses Règlements.
Il convient de consulter un des cas faisant auto- rité relativement à la Déclaration canadienne des droits, La Reine c. Drybones 4 . Même dans les motifs dissidents du juge Pigeon dans cette affaire, on se dit d'avis que la Déclaration canadienne des droits doit être utilisée comme guide d'interpréta- tion lors de l'examen des autres lois fédérales. Le juge Pigeon dit à la page 307:
En définitive, je ne trouve rien dans la Déclaration cana- dienne des droits qui démontre clairement que le Parlement avait l'intention d'établir à l'égard des droits de l'homme et des libertés fondamentales des principes primordiaux d'ordre géné- ral, que les tribunaux devraient appliquer à l'encontre de la volonté clairement exprimée du Parlement dans les lois existant à cette époque. A mon avis, le Parlement n'a fait rien de plus que de prescrire aux tribunaux d'interpréter et d'appliquer ces lois conformément aux principes énoncés dans la Déclaration, en considérant que les droits et libertés reconnus existaient alors et non pas qu'ils seraient établis par les tribunaux.
Je suis d'avis que le refus d'accepter l'envoi constituait une violation du droit à la liberté de parole et que les dispositions de la Loi sur les postes et de ses Règlements d'application devraient être interprétées de façon à protéger ce droit le plus possible à moins qu'il ne soit utilisé à des fins illégales.
Enfin, il existe des motifs sérieux d'ordre politi- que qui exigent que le ministère des Postes n'ait
3 (1977) 37 C.C.C. (2e) 487 (C.S.C.-B.).
4 [1970] R.C.S. 282.
pas le pouvoir d'examiner le courrier pour détermi- ner si le contenu en est acceptable. Quelles sont les normes d'un envoi acceptable? Il faut désapprou- ver vigoureusement la réponse donnée par M. Savoie à une question que lui posait la Cour, à la page 154, on lit ce qui suit:
[TRADUCTION] Q. Disons qu'une circulaire traite d'un sujet très controversé. Est-ce que c'est à vous qu'il revient de l'accepter ou non à titre d'objet de la troisième classe? S'il s'agit d'avortement, par exemple?
R. Oui.
Si c'est l'interprétation correcte du pouvoir d'un maître de poste, alors il existe au ministère des Postes un pouvoir d'une ampleur effrayante.
Si l'interprétation du défendeur est exacte, alors qu'arriverait-il si un journal publiait un éditorial condamnant les actions du ministère des Postes? Le ministère des Postes interviendrait-il pour en- lever l'éditorial de tout exemplaire que ce journal enverrait par la poste? On ne peut manifestement pas permettre cela.
Que se produirait-il si les témoins de Jehovah essayaient d'expédier leur revue Watch Tower dans un bureau de poste dirigé par un maître de poste au point de vue fermement opposé? Pour- rait-il alors faire retirer cette revue de la poste sous réserve de la confirmation du ministre des Postes ou de la personne désignée par lui? Cela rappelle l'affaire Roncarelli c. Duplessis 5 .
Qu'arriverait-il si le parti conservateur blâmait les libéraux pour le mauvais fonctionnement des postes dans des imprimés sans adresse? Le minis- tre des Postes voudrait-il retirer ces imprimés de la poste parce qu'ils pourraient présenter les postes sous un jour défavorable?
La réponse à ces questions doit certainement être un «non» retentissant. La Loi sur les postes n'a pas été conçue pour donner au ministre des Postes un droit de censure. La Loi est suffisam- ment précise pour limiter les objets non transmis- sibles qui relèvent d'une certaine catégorie. Si le Parlement avait voulu conférer au ministre des Postes des pouvoirs dans ce domaine, il en aurait été fait mention expresse dans la Loi et les Règle- ments. Des énoncés généraux qui vont à l'encontre de l'objet de la Loi ne devraient pas être interpré- tés contre une personne essayant de se prévaloir
5 [1959] R.C.S. 121.
des dispositions de la Loi pour la réalisation d'un de ses objectifs légitimes.
Tous les Canadiens peuvent se prévaloir de la poste à condition que l'emploi qu'ils veulent en faire soit conforme aux conditions prévues dans la Loi et les Règlements. La circulaire d'annonce du demandeur était conforme aux conditions de la Loi et des Règlements et il n'est conféré à quiconque au ministère des Postes aucun pouvoir discrétion- naire l'autorisant à refuser l'envoi.
En l'espèce, le redressement demandé par le demandeur est approprié. On lit, à la page 3-220 de Mullan, Administrative Law, 2e éd.:
[TRADUCTION] Il est difficile de définir la portée exacte du jugement déclaratoire à titre de redressement de droit public. Toutefois, les cas il peut être accordé peuvent se diviser en deux catégories: a) les cas il en est fait demande à titre de redressement principal pour faire déclarer quel est le statut légal d'une personne ou quels sont ses droits en vertu d'une loi ou d'un document constitutif; b) dans les cas il en est fait demande dans le cadre d'un recours au pouvoir de surveillance et de contrôle pour faire déclarer que des décisions administra- tives ont été prises à tort.
La question est importante et un jugement déclaratoire dit les droits du demandeur relative- ment à l'interprétation de la Loi sur les postes.
Les deux avocats ont plaidé leur cause d'une façon très adroite, ont étudié la question de façon approfondie, et ils méritent des félicitations pour la façon dont ils ont conduit leur cause. Les témoins ont pour leur part, par leurs réponses aux ques tions, donné un aperçu vrai et objectif des faits. Je conclus que le jugement déclaratoire devrait être accordé en la forme demandée.
Par conséquent, pour toutes ces raisons, la Cour déclare que les défendeurs ont le devoir, d'ordre public, d'accepter, pour être transmis par la poste, tous les envois qui sont conformes à la Loi sur les postes et à ses Règlements d'application.
La Cour déclare en outre que la défenderesse, la Reine, et ses employés ont le devoir d'accepter, pour être transmis par la poste, l'envoi particulier que le demandeur a présenté aux défendeurs pour expédition par la poste.
Les frais de cette action seront payés par les défendeurs.
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