Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

T-2944-82
Affaire intéressant la Loi constitutionnelle de 1981, annexe B, la Loi sur l'immigration de 1976, et l'exécution d'une ordonnance d'expulsion rendue le 20 février 1981 à l'égard de Robert Joseph Gittens
Division de première instance, juge Mahoney— Toronto, 10 mai; Ottawa, 26 mai 1982.
Immigration Ordonnance d'expulsion L'appel formé par le requérant contre l'ordonnance d'expulsion a été rejeté par la Commission d'appel de l'immigration, et la Cour d'ap- pel fédérale a refusé d'accorder l'autorisation d'en appeler de cette décision Le requérant sollicite maintenant une injonc- tion, un bref d'habeas corpus, un jugement déclaratoire et une ordonnance portant annulation de l'ordonnance d'expulsion en invoquant la violation de ses droits garantis par la Charte canadienne des droits et libertés Il échet d'examiner si l'exécution d'une ordonnance d'expulsion valide constitue en soi une violation des droits garantis au requérant par la Charte Demande rejetée Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, chap. 52, art. 27(1)d)(i),(ii) Charte cana- dienne des droits et libertés, étant la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 1, 2d), 7, 9, 10c), 11h), 12, 24(1).
Il s'agit d'une demande fondée sur la Charte canadienne des droits et libertés et tendant à l'obtention des redressements suivants: (1) une injonction provisoire et interlocutoire visant à empêcher la Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada de donner suite à une ordonnance d'expulsion; (2) une ordonnance tendant à la libération du requérant; (3) une ordonnance visant l'annulation de l'ordonnance d'expulsion ou, subsidiairement, une ordonnance déclarant qu'il est sursis, sous conditions, à l'exécution de celle-ci; et (4) une déclaration portant que l'exécution de l'ordonnance d'expulsion constitue- rait une violation des droits et libertés du requérant. Le requé- rant est arrivé au Canada en 1965 alors qu'il était âgé de cinq ans; il est devenu résident permanent, mais il n'a jamais acquis la citoyenneté canadienne. Le requérant a un casier judiciaire. La Commission d'appel de l'immigration a rejeté l'appel formé par le requérant contre une ordonnance d'expulsion rendue en vertu de la Loi sur l'immigration de 1976, et la Cour d'appel fédérale a refusé d'accorder l'autorisation d'en appeler de la décision de la Commission.
Jugement: la demande est rejetée. Pour ce qui est du redres- sement demandé au paragraphe (3), la Charte n'a pas d'effet rétroactif; l'ordonnance d'expulsion demeure donc valide; il n'est pas permis de l'annuler ni de surseoir à son exécution. En ce qui concerne le redressement demandé au paragraphe (2), savoir la libération du requérant fondée sur l'article 9 et l'alinéa 10c) de la Charte, la Division de première instance de la Cour fédérale n'a pas la compétence voulue pour accorder l'habeas corpus que prévoit l'alinéa 10c). La Cour peut accorder les redressements demandés aux paragraphes (1) et (4). Bien que la Cour ait compétence pour accorder un redressement déclara- toire contre le Ministre ou la Commission lorsqu'elle est saisie de la demande appropriée, toutefois, en l'espèce, elle n'a pas été saisie de la demande appropriée, puisque c'est par voie d'action
que l'on doit demander un redressement déclaratoire et non par voie de demande. Bien que l'on qualifie l'injonction demandée au paragraphe (1) d'injonction provisoire ou interlocutoire, il s'agit en réalité d'une injonction permanente qu'on demande, et les principes applicables sont donc ceux qui déterminent si l'on doit empêcher, de façon permanente, le Ministre ou la Commis sion d'exécuter une fonction prévue par la loi. En pareil cas, une injonction serait prononcée si l'exécution de l'ordonnance d'expulsion était ultra vires ou illégale, et cette exécution serait illégale si elle devait constituer une violation des droits qui sont garantis au requérant par la Charte. L'exécution de l'ordon- nance d'expulsion ne porterait pas atteinte à la «liberté d'asso- ciation» du requérant même si l'on pouvait considérer que les liens de famille sont assimilables à ce genre d'association, parce qu'il s'agit d'une liberté accordée sous réserve de «limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer», comme le prévoit l'article 1 de la Charte, et que la justification du droit pour une société libre et démocratique d'expulser des criminels étrangers peut se démontrer. L'alinéa 11h) de la Charte ne s'applique pas, puisque la déportation n'est pas une seconde peine pour les infractions commises; mais la déclara- tion de culpabilité pour celles-ci expose une personne à l'expul- sion. Pour ce qui est de l'article 7 et de l'alinéa 11h), les conséquences subjectives que l'expulsion pourrait avoir en ce qui concerne la famille du requérant n'ont aucune pertinence, puisque ce sont ses droits et libertés qui sont en cause, et non pas ceux de sa famille. Ni certains autres éléments de sa vie tels que ses antécédents et son éventuelle réhabilitation sont-ils pertinents. Il n'y a aucune preuve à -l'appui de la prétention suivant laquelle le fait d'expulser le requérant en Guyane porterait atteinte au droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne que lui garantit l'article 7 de la Charte. Les mots «cruels et inusités» employés à l'article 12 de la Charte sont des termes qui se complètent et qui, interprétés l'un par l'autre, doivent être considérés comme la formulation d'une norme. Il n'appartient pas à la Cour de diminuer la Charte en interpré- tant de façon restrictive ce document. L'exécution d'une ordon- nance d'expulsion ne peut, dans l'abstrait, constituer un traite- ment cruel et inusité, ni la preuve produite dans deux affidavits contenant du ouï-dire semble-t-elle indiquer que l'expulsion en l'espèce constituerait un traitement cruel et inusité. La violation des droits et libertés que garantit la Charte est une accusation sérieuse dont la preuve doit être faite de façon appropriée si l'on veut que la Charte soit respectée.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Latif c. La Commission canadienne des droits de la personne et autre, [1980] I C.F. 687 (C.F. Appel); Cardinal Insurance Company c. Le ministre des Finances et autre, [1982] 2 C.F. 527 (C.F. inst.); Lodge et autres c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1979] 1 C.F. 775 (C.F. Appel); Sherman & Ulster v. Commissioner of Patents (1974), 14 C.P.R. (2d) 177 (C.F. inst.); Reference re the effect of the exercise of the Royal Prerogative of Mercy on Deportation Pro ceedings, [1933] R.C.S. 269; Regina v. Bruce et al. (1977), 36 C.C.C. (2d) 158 (C.S.C.-B.); Regina v. Shand (1976), 30 C.C.C. (2d) 23 (C.A. Ont.).
DÉCISION EXAMINÉE:
Miller et autre c. La Reine, [1977] 2 R.C.S. 680; 31 C.C.C. (2d) 177.
DÉCISIONS CITÉES:
Regina v. Miller et al. (1975), 24 C.C.C. (2d) 401 (C.A.C: B.); McCann et autres c. La Reine et autre, [1976] 1 C.F. 570 (C.F. 1fe inst.).
DEMANDE. AVOCATS:
Carter C. Hoppe pour le requérant. R. Levine pour l'intimé.
PROCUREURS:
Abraham, Duggan, Hoppe, Niman, Stott, Toronto, pour le requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE MAHONEY: Le requérant est arrivé au Canada en 1965, alors qu'il était âgé de cinq ans. Il est devenu résident permanent mais n'a jamais acquis la citoyenneté canadienne. Une ordonnance d'expulsion a été rendue à son égard en vertu des sous-alinéas 27(1)d)(i) et (ii) de la Loi sur l'im- migration de 1976.' Le requérant a interjeté appel de cette ordonnance mais ledit appel a été rejeté par la Commission d'appel de l'immigration le 17 décembre 1981. Le 26 avril 1982, la Cour d'appel fédérale a refusé d'accorder la permission d'en appeler de la décision de la Commission d'appel de l'immigration en vertu de l'article 84 de la Loi sur l'immigration de 1976. Bien que cela reste à prou- ver, j'accepte, pour les fins du présent jugement, la prétention voulant que le requérant ait fini de purger toutes les peines qui lui ont été imposées par suite des infractions qu'il aurait perpétrées et qu'il soit présentement détenu en attendant que l'ordonnance d'expulsion soit exécutée.
Le requérant demande les redressements sui- vants:
[TRADUCTION] 1. Une injonction provisoire et interlocutoire visant à empêcher la Commission de l'emploi et de l'immigra- tion du Canada de donner suite à l'ordonnance d'expulsion rendue à l'égard de Robert Joseph Gittens, le 20 février 1981, en conformité du paragraphe 24(1), annexe B, de la Loi constitutionnelle de 1981;
1 S.C. 1976-77, chap. 52.
2. Une ordonnance visant la libération de Robert Joseph Git- tens en conformité de l'article 9 et de l'alinéa 10c), annexe B, de la Loi constitutionnelle de 1981;
3. Une ordonnance visant l'annulation de l'ordonnance d'expul- sion rendue à l'égard de Robert Joseph Gittens, le 20 février 1981; ou, subsidiairement, une ordonnance déclarant qu'il est sursis à l'exécution de ladite ordonnance d'expulsion suivant les conditions que la Cour pourra imposer en conformité du para- graphe 24(1), annexe B, de la Loi constitutionnelle de 1981;
4. Une déclaration portant que l'exécution de l'ordonnance d'expulsion mentionnée ci-dessus constituerait une violation des droits et libertés qui sont garantis à Robert Joseph Gittens par la Charte canadienne des droits et libertés, annexe B, Loi constitutionnelle de 1981;
Tous ces redressements sont demandés en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés, [main- tenant la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)], ci-après appelée la «Charte», laquelle a été proclamée le 17 avril 1982. Les dispositions pertinentes sont les alinéas 2d), 10c) et 11h), ainsi que les articles 1, 7, 9 et 12. Le requérant s'appuie sur le paragraphe 24(1) pour demander à cette Cour d'accorder lesdits redresse- ments.
1. La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être res- treints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer danse le cadre d'une société libre et démocratique.
2. Chacun a les libertés fondamentales suivantes: d) liberté d'association.
7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en confor- mité avec les principes de justice fondamentale.
9. Chacun a droit à la protection contre la détention ou l'emprisonnement arbitraires.
10. Chacun a le droit, en cas d'arrestation ou de détention:
c) de faire contrôler, par habeas corpus, la légalité de sa détention et d'obtenir, le cas échéant, sa libération.
11. Tout inculpé a le droit:
h) d'une part de ne pas être jugé de nouveau pour une infraction dont il a été définitivement acquitté, d'autre part de ne pas être jugé ni puni de nouveau pour une infraction dont il a été définitivement déclaré coupable et puni;
12. Chacun a droit à la protection contre tous traitements ou peines cruels et inusités.
24. (1) Toute personne, victime de violation ou de négation des droits ou libertés qui lui sont garantis par la présente charte, peut s'adresser à un tribunal compétent pour obtenir la réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard aux circonstances.
Je suis d'avis que la Charte n'a pas d'effet rétroactif. Le jugement de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Latif c. La Commission canadienne des droits de la personne et autre 2 est des plus pertinents sur cette question, et je ne crois pas qu'il soit nécessaire de le citer. Il est donc impossible d'accorder le redressement demandé au paragra- phe 3. L'ordonnance d'expulsion demeure valide. Rien n'autorise la Cour à l'annuler ou à surseoir à son exécution en imposant des conditions. L'intimé a soulevé l'exception d'incompétence de la Cour à accorder ce redressement. Il n'est pas nécessaire de trancher cette question.
Je suis également d'avis que cette Cour n'a pas la compétence voulue pour accorder le redresse- ment demandé au paragraphe 2. L'article 10 de la Charte prévoit expressément que l'habeas corpus est le recours approprié pour faire contrôler la légalité d'une détention. Cette Cour n'a pas com- pétence pour délivrer un tel bref. La question de la délivrance d'un bref de certiorari n'est pas soule- vée en l'espèce, et je ne me prononcerai pas sur la question de savoir si cette Cour aurait compétence pour connaître d'une demande visant la délivrance d'un bref d'habeas corpus et d'un bref de certio- rari auxiliaire.
Il reste donc à déterminer si l'exécution d'une ordonnance d'expulsion valide constituerait en soi une violation ou une négation des droits et libertés fondamentales du requérant. Si oui, je crois que cette Cour a compétence pour connaître en pre- mière instance d'une demande de redressement approprié. La Cour peut accorder les redresse- ments demandés aux paragraphes 1 et 4.
En ce qui a trait au paragraphe 1, une fois qu'on a constaté qu'il s'agit essentiellement de détermi- ner si l'exécution de l'ordonnance d'expulsion cons- titue en soi une violation des droits, on se rend compte que la demande ne peut, quant au fond, être assimilée à une demande d'examen ou à un appel de la décision de la Commission d'appel de l'immigration et qu'elle ne fait que revêtir la forme
2 [1980] 1 C.F. 687 aux pp. 702 sqq.
des demandes visées à l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10. 3 Bien que l'on qualifie l'injonction demandée d'in- jonction provisoire et interlocutoire, il n'en est rien. Il s'agit d'une injonction permanente qui n'a aucune limite dans le temps. Les principes qui doivent être appliqués sont ceux qui déterminent si l'on doit empêcher, de façon permanente, le Minis- tre ou la Commission d'exécuter une fonction prévue par la loi 4 . Une injonction de cette nature sera prononcée si l'acte à accomplir est ultra vires ou illégal. L'exécution de l'ordonnance d'expulsion serait illégale si elle devait constituer une violation des droits qui sont garantis au requérant par la Charte.
En ce qui a trait au paragraphe 4, la compétence qu'a cette Cour pour accorder un redressement déclaratoire contre la Commission ou le Ministre ne fait pas question lorsque celle-ci est saisie de la demande appropriées. Toutefois, en l'espèce, elle n'a pas été saisie de la demande appropriée. C'est par voie d'action que l'on doit demander un redres- sement déclaratoire et non par voie de demande 6 . Cette objection n'a pas été formulée à l'audience et je ne devrais pas être porté à m'en rapporter à celle-ci si cela devait avoir un résultat pratique quelconque. Toutefois, je ne vois pas comment le redressement déclaratoire demandé pourrait être régulièrement accordé à moins que l'injonction ne le soit également.
L'exécution de l'ordonnance d'expulsion ne por- tera pas atteinte à la liberté d'association dont traite l'alinéa 2d) de la Charte. L'expulsion du requérant fera que ses liens immédiats avec sa famille, ses amis et d'autres personnes seront rompus. Dans la mesure il s'agit de fréquenta- tions licites, ces liens constituent des liens de famille et des liens sociaux. En supposant que ces liens soient semblables au genre d'association dont traite l'alinéa 2d), la liberté d'association fait partie des droits et libertés garantis et comme le prévoit l'article 1 de la Charte,
3 Cardinal Insurance Company c. Le ministre des Finances et autre, [1982] 2 C.F. 527.
4 Lodge et autres c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigra- tion, [1979] 1 C.F. 775.
5 Loi sur la Cour fédérale, art. 18.
6 Sherman & Ulster v. Commissioner of Patents (1974), 14 C.P.R. (2d) 177.
Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique.
La loi prévoit que l'ordonnance d'expulsion doit être exécutée. Le caractère raisonnable du droit pour un État libre et démocratique d'expulser des criminels étrangers apparaît évident et sa justifica tion peut, par conséquent, se démontrer.
Les passages pertinents de l'alinéa 11h) garan- tissent le droit du requérant de ne pas être puni de nouveau pour les infractions qu'il a commises. La déportation n'est pas une peine dont les infractions qu'il a commises sont punissables, mais sa déclara- tion de culpabilité l'expose à l'expulsion '.
Le requérant soutient que la Cour devrait abor- der la question de déterminer si l'exécution de l'ordonnance d'expulsion constituerait une viola tion des droits qui lui sont garantis par l'article 7 et l'alinéa 11h) d'une manière subjective et qu'elle devrait tenir compte des éléments de preuve por- tant sur sa famille, son passé, ses chances de se réhabiliter, et surtout, sur le fait que si on l'expul- sait en Guyane, ce serait l'expulser dans un pays qui lui est tout à fait étranger, abstraction faite de sa citoyenneté, et dont il ne connaît ni la culture ni la société. Le requérant vit au Canada depuis sa tendre enfance. Au cours des cinq dernières années, il a passé la majeure partie de son temps en probation et en prison. Il n'a aucun ami ou parent connu en Guyane. La langue qui s'y parle est un dialecte anglais que le requérant ne connaît apparemment pas. La valeur probante des élé- ments de preuve intéressant les conditions qui exis tent en Guyane ne résiste pas à une analyse rigou- reuse. Je reconnais toutefois que la situation économique et les perspectives d'avenir ne favori- sent pas l'individu comme elles le font au Canada, que les droits des personnes qui s'opposent à ceux qui détiennent le pouvoir ne sont habituellement pas respectés, et que le gouvernement est démocra- tique quant à la forme seulement et non quant au fond.
A mon avis, les conséquences que son expulsion pourrait avoir en ce qui concerne les autres mem- bres de sa famille n'a aucune pertinence en l'es- pèce. Le requérant est un adulte. Ce sont ses droits
7 Reference re the effect of the exercise of the Royal Pre rogative of Mercy on Deportation Proceedings, [1933] R.C.S. 269à la p. 278.
et libertés qui sont en cause et non les leurs. Le fait qu'il aurait pu devenir citoyen canadien longtemps avant de devenir un criminel endurci, la nature de ses crimes, les raisons pour lesquelles il est devenu un criminel, le fait que ce soit la société cana- dienne et non la société guyanaise qui puisse être tenue responsable de la situation dans laquelle il se trouve présentement, dans la mesure l'on peut en tenir une société responsable, le soutien que sa famille, ses amis, des églises et d'autres organismes semblables se disent prêts à apporter, ses perspecti ves d'avenir et son intention de se réhabiliter si on lui permet de demeurer au Canada, sont égale- ment des éléments qui n'ont aucune pertinence.
Rien ne laisse croire que le requérant ou sa famille aient joué un rôle politique quelconque susceptible d'attirer l'attention de ceux qui détien- nent le pouvoir en Guyane. Rien ne laisse supposer que le traitement qui lui sera réservé là-bas ne sera pas directement lié à la façon dont il s'y conduira. Il n'y a simplement aucune preuve à l'appui de la prétention suivant laquelle l'exécution de l'ordon- nance d'expulsion porterait atteinte au droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne que l'article 7 confère au requérant.
Reste à déterminer s'il s'agirait de. «traitements ou peines cruels et inusités» interdits par l'article 12. A mon avis, l'expulsion n'est pas une peine mais bien un traitement. Reste donc à trancher la question de savoir si, dans l'abstrait, l'exécution d'une ordonnance d'expulsion constituerait en soi un traitement cruel et inusité ou si le fait d'expul- ser le requérant en Guyane constituerait un traite- ment cruel et inusité.
Les tribunaux canadiens se sont penchés sur le sens de l'expression «peines ou traitements cruels et inusités» telle qu'elle figure dans la Déclaration canadienne des droits$. La plupart de ces tribu- naux ont invoqué les mêmes précédents américains qui m'ont été cités en l'espèce. Il suffit, je crois, de parler des décisions canadiennes. Il semble y avoir eu trois approches générales:
1. Il est permis de lire séparément les mots cruel et inusité comme l'ont déclaré le juge McIntyre, qui était alors juge d'appel, dans l'opinion dissidente qu'il a exprimée dans l'arrêt Regina v. Miller et al. 9 et le juge Heald de cette Cour dans l'affaire McCann et autres c. La Reine et autre 10 .
8 S.C. 1960, chap. 44 [S.R.C. 1970, Appendice III], al. 2b).
9 (1975), 24 C.C.C. (2d) 401 la p. 465 (C.A.C.-B.).
10 [1976] 1 C.F. 570à la p. 601.
2. Les mots cruel et inusité doivent être pris conjonctivement comme l'a proposé le juge Ritchie dans l'arrêt Miller et autre c. La Reine".
3. Les mots cruel et inusité ne doivent pas nécessairement être considérés comme conjonctifs mais plutôt comme des termes qui se complètent comme l'ont statué le juge Laskin, juge en chef du Canada, dans le même arrêt' 2 , le juge Toy dans Regina v. Bruce et al. 13 et la Cour d'appel de l'Ontario dans Regina v. Shand 14 .
A mon avis, la décision de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Miller et autre c. La Reine doit être interprétée de manière à écarter la pre- mière approche. La deuxième approche a été pro posée par le juge Ritchie qui a rendu le jugement de la Cour. Les juges Martland, Judson, Pigeon et de Grandpré ont souscrit à cette décision. Dans cet arrêt, la Cour devait trancher la question de savoir si l'imposition de la peine de mort pour meurtre constituait une «peine ou traitement cruel et inu- sité» interdit par l'alinéa 2b) de la Déclaration canadienne des droits et le juge Ritchie était déjà arrivé à la conclusion que tel n'était pas le cas, pour des motifs qu'il avait déjà mentionnés, lors- qu'il fit la remarque suivante la page 706 du Recueil des arrêts de la Cour suprême]:
A mon avis, les adjectifs «cruels et inusités» au par. 2b) de la Déclaration canadienne des droits doivent être pris conjonctive- ment et se rapportent aux «peines ou traitements» qui sont à la fois cruels et inusités.
Cette remarque était manifestement un obiter puisque la décision avait déjà été rendue.
Comme le juge Toy et la Cour d'appel de l'On- tario, je préfère l'approche suivante qui a été pro posée par le juge Laskin, juge en chef du Canada, et à laquelle ont souscrit les juges Spence et Dick- son [aux pages 689 et 690 du Recueil des arrêts de la Cour suprême] :
Ces jugements de la Cour suprême des États-Unis, que je considère au moins devoir être pris en considération, appuient l'opinion que les mots «cruel et inusité» ne doivent pas être considérés comme conjonctifs, en ce sens qu'il faudrait faire une analyse rigoureusement autonome de chaque mot et que le sens de chacun d'eux doive s'appliquer au cas en litige pour que cette disposition ait quelque effet sur la législation contestée. Il
" [1977] 2 R.C.S. 680 la p. 706; 31 C.C.C. (2d) 177 la p.
197.
' 2 Ibid. à la p. 690 (R.C.S.) et à la p. 184 (C.C.C.).
13 (1977), 36 C.C.C. (2d) 158 (C.S.C.-B.).
14 (1976), 30 C.C.C. (2d) 23.
s'agit plutôt de termes qui se complètent et qui, interprétés l'un par l'autre, doivent être considérés comme la formulation con cise d'une norme. C'est à mon avis une interprétation raisonna- ble conforme au devoir de la Cour de ne pas diminuer la protection offerte par la Déclaration canadienne des droits en interprétant de façon restrictive ce document quasi constitu- tionnel.
Si la Charte est un document constitutionnel et non un document quasi constitutionnel, a fortiori le devoir de la Cour ne fait pas question.
Il est possible que le fait d'expulser quelqu'un dans certains pays constitue un traitement cruel et inusité mais, sous cette réserve, c'est le concept de l'exécution des ordonnances d'expulsion qui doit être mesuré à la norme du traitement cruel et inusité et non l'exécution d'une ordonnance d'ex- pulsion précise ou la situation particulière dans laquelle se trouve l'individu qui doit être expulsé. Pour employer les mots du requérant, il faut se fonder sur des facteurs objectifs et non sur des facteurs subjectifs. L'exécution de toute ordon- nance d'expulsion bouleverse inévitablement, dans une certaine mesure, les habitudes de vie de la personne visée et change ses projets d'avenir. Ce bouleversement peut être important, obligeant l'in- téressé à se séparer de sa famille et de ses amis pour être expulsé seul et abandonné dans un milieu social, économique et politique qui lui est tout à fait inconnu. Il peut aussi n'occasionner que le simple retour à quelque chose qu'il connaît très bien. Peu importe les conséquences de l'expulsion, celles-ci ne sauraient constituer un traitement cruel et inusité à l'égard d'une personne d'âge adulte.
En qualité de norme, l'exécution d'une ordon- nance d'expulsion ne peut, dans l'abstrait, consti- tuer un traitement cruel et inusité. La preuve qui a été présentée n'a pas réussi à me convaincre que le requérant serait victime d'un traitement cruel et inusité s'il était expulsé en Guyane.
J'ai déjà parlé de la valeur probante des élé- ments de preuve intéressant les conditions qui exis tent en Guyane. Ceux-ci font l'objet de deux affidavits.
Le témoin est une contemporaine du requérant qui a quitté la Guyane pour venir au Canada à l'âge de deux ans. Elle ne déclare pas y être retournée depuis. La preuve qu'elle présente à cet effet n'est que du ouï-dire. Le ouï-dire ne constitue
pas une preuve. La présente demande n'est pas une demande interlocutoire mais une demande défini- tive. L'exception que prévoit la Règle 332(1) ne s'applique pas. La loi exige que les affidavits qui sont joints à une demande de cette nature se restreignent aux faits que le témoin est en mesure de prouver par la connaissance qu'il en a.
Le second témoin est un étudiant en droit qui a joint quelques rapports à son affidavit. Aucun de ceux-ci n'est admissible en preuve à moins qu'il ne soit d'abord établi qu'ils font foi de leur contenu. L'intimé s'est d'ailleurs opposé. Cet affidavit fait simplement foi de leur existence. Il ne réussit pas et ne réussira pas à faire foi de leur contenu. J'ai toutefois consulté un rapport que le Département d'État des États-Unis a rédigé à l'intention des comités compétents du Congrès en 1981 pour con- firmer l'idée que je me fais des conditions qui existent en Guyane. Je ne puis prendre connais- sance d'office de ces conditions, mais je ne suis pas non plus tout à fait ignorant des événements cou- rants et je ne pouvais pas, en conscience, conclure que les conditions qui existent en Guyane sont fort semblables à celles qui existent au Canada. Le rapport avait l'avantage de paraître avoir été fait avec objectivité, avantage que les autres pièces jointes à l'affidavit ne présentaient pas.
Je ne m'attends pas à me trouver encore une fois dans une pareille situation. Je sais cependant que les frais que peut occasionner la préparation d'une demande sont parfois considérables et que les res- sources que peut avoir un requérant sont souvent restreintes. Néanmoins, si l'on veut que la Charte soit respectée, une présumée violation ou négation des droits et libertés qu'elle garantit doit être considérée comme une accusation sérieuse dont la preuve doit être faite à la satisfaction de la Cour. L'existence de faits qui ne sont pas admis doit être établie dans les formes acceptées.
JUGEMENT
La demande est rejetée avec dépens.
 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.