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T-1246-82
Cardinal Insurance Company (demanderesse) c.
Le ministre des Finances et le surintendant des assurances (défendeurs)
Division de première instance, juge Cattanach— Toronto, l er mars 1982.
Compétence Division de première instance La deman- deresse sollicite une injonction interlocutoire interdisant aux défendeurs de prendre le contrôle de son actif au Canada par suite de l'ordonnance rendue par le Ministre en vertu de l'art. 103.2(2)c) de la Loi sur les compagnies d'assurance canadien- nes et britanniques Le surintendant des assurances a fait rapport au Ministre pour signaler que l'actif de la demande- resse ne suffisait pas pour assurer la protection efficace des porteurs de polices Les défendeurs soutiennent que la Division de première instance n'a pas compétence pour connaî- tre de la requête puisque l'affaire doit être l'objet d'un examen judiciaire Il échet d'examiner si la décision du Ministre est une ordonnance définitive Il faut déterminer si l'ordonnance du Ministre est une décision ou ordonnance de nature adminis trative qui est légalement soumise à un processus judiciaire ou quasi judiciaire La requête est rejetée, la Division de première instance étant incompétente pour connaître de l'af- faire Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2 e Supp.), c. 10, art. 18, 28 Loi sur les compagnies d'assurance canadiennes et britanniques, S.R.C. 1970, c. I-15, modifiée, art. 103.2(1)d), (2)c).
Jurisprudence: arrêts appliqués: National Indian Brotherhood c. Juneau [N° 2] [1971] C.F. 73; Le ministre du Revenu national c. Coopers and Lybrand [1979] 1 R.C.S. 495.
DEMANDE. AVOCATS:
J. W. Brown, c.r. et J. W. Mik pour la
demanderesse.
P. J. Evraire pour les défendeurs.
PROCUREURS:
Blake, Cassels & Graydon, Toronto, pour la demanderesse.
Le sous-procureur général du Canada pour les défendeurs.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE CATTANACH: Par avis de requête, la demanderesse sollicite une injonction interlocu- toire interdisant aux défendeurs de prendre le con- trôle de son actif au Canada et de limiter son
certificat d'enregistrement au service des polices d'assurance en vigueur et ce, jusqu'à ce que l'af- faire ait été jugée ou autrement réglée.
L'avocat des défendeurs contestent préalable- ment que la Division de première instance n'a pas compétence pour connaître de la demande et du redressement sollicité sous le régime de l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10. II prétend que l'affaire relève plutôt de la Cour d'appel qui doit en être saisie au moyen d'une demande, fondée sur l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale, tendant à l'examen et à l'annulation de la décision ou ordonnance rendue par le Ministre en vertu de l'alinéa 103.2(2)c) de la Loi sur les compagnies d'assurance canadiennes et britanniques, S.R.C. 1970, c. I-15, modifié. Cette décision ou ordonnance a été rendue à la suite du rapport que le surintendant des assurances a soumis au Ministre conformément à l'alinéa 103.2(1)d).
Le paragraphe 28(1) de la Loi sur la Cour fédérale porte notamment ce qui suit:
28. (1) Nonobstant l'article 18 ou les dispositions de toute autre loi, la Cour d'appel a compétence pour entendre et juger une demande d'examen et d'annulation d'une décision ou ordonnance, autre qu'une décision ou ordonnance de nature administrative qui n'est pas légalement soumise à un processus judiciaire ou quasi judiciaire, rendue par un office, une com mission ou un autre tribunal fédéral ou à l'occasion de procédu- res devant un office, une commission ou un autre tribunal fédéral, au motif que l'office, la commission ou le tribunal ....
Il est admis que le Ministre, agissant comme il l'a fait, constituait un office fédéral.
Les points litigieux sont les suivants:
(1) La décision rendue par le Ministre est-elle une ordonnance définitive?
(2) Dans la négative, est-elle sujette à examen par la Cour d'appel dans cette éventualité également?
Dans l'affaire National Indian Brotherhood c. Juneau [No 2] [1971] C.F. 73, le juge en chef Jackett, aux pages 77 et 78, a parlé de la significa tion des termes «décision ou ordonnance», em ployés à l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale, précisant que c'étaient les «décisions ultimes» ren- dues par le tribunal et non les innombrables déci- sions ou ordonnances que le tribunal doit rendre au cours des procédures qui aboutissent au prononcé du jugement final, bien que ces décisions puissent
être essentielles à la question de savoir si l'audition était impartiale.
A mon avis, la décision, rendue en l'espèce par le Ministre en vertu du paragraphe 103.2(2) de la Loi sur les compagnies d'assurance canadiennes et britanniques et par laquelle il a ordonné au surin- tendant de prendre le contrôle de l'actif de la demanderesse, a tous les attributs de l'ordonnance ultime, finale. En disant cela, je sais très bien qu'il se peut qu'ultérieurement, l'exécution de l'ordon- nance ne soit plus nécessaire si la demanderesse se conforme à quelque condition imposée, et que l'ordonnance soit peut-être révoquée par la suite, mais l'ordonnance n'en demeure pas moins l'or- donnance ultime dans l'affaire dont est saisi le Ministre.
Cela étant, je n'ai pas à me préoccuper de la question de savoir s'il s'agit d'une ordonnance provisoire qui, en tant que telle, peut toujours faire l'objet d'un examen par la Cour d'appel.
L'autre question qui se pose est de savoir si la décision ou ordonnance rendue par le Ministre est une décision ou ordonnance de nature administra tive qui est légalement soumise à un processus judiciaire ou quasi judiciaire, auquel cas s'appli- queront les principes de justice naturelle.
Voici la partie pertinente du paragraphe 103.2(2) de la Loi sur les compagnies d'assurance canadiennes et britanniques:
103.2 .. .
(2) Lorsque le Ministre, après avoir bien étudié la question et après qu'un délai raisonnable a été donné à la compagnie pour être entendue, croit que la compagnie se trouve dans la situa tion visée à l'un des alinéas du paragraphe (I) ...
il peut alors prendre les mesures appropriées visées dans la suite à ce paragraphe.
En vertu de l'alinéa 103.2(1)d), le surintendant a fait rapport au Ministre pour signaler que l'actif de la compagnie ne suffisait pas, compte tenu de toutes les circonstances, pour assurer la protection efficace des porteurs de polices de la compagnie.
Dans l'affaire M.R.N. c. Coopers and Lybrand [1979] 1 R.C.S. 495, le juge Dickson, qui rendait le jugement de la Cour suprême du Canada, a formulé, à la page 504, plusieurs critères pour déterminer si une décision ou ordonnance est léga-
lement soumise à un processus judiciaire ou quasi judiciaire. Sans vouloir dresser une liste exhaus tive, il a mentionné quatre critères dont aucun n'est nécessairement déterminant. Tous les fac- teurs doivent être soupesés.
Ces critères sont au nombre de quatre et je vais les examiner seriatim.
(1) Les termes utilisés pour conférer la fonction ou le con- texte général dans lequel cette fonction est exercée donnent-ils à entendre que l'on envisage la tenue d'une audience avant qu'une décision soit prise?
Le paragraphe 103.2(2) exige que la compagnie soit entendue après qu'un délai raisonnable lui a été donné. Bien que les conditions précises de l'audience ne soient pas prévues, il est clair que l'on envisage la tenue d'une audition de la compa- gnie en cause. Ce critère s'applique donc.
(2) La décision ou l'ordonnance porte-t-elle directement ou indirectement atteinte aux droits et obligations de quelqu'un?
Il est admis que les droits de la compagnie sont directement touchés. L'ordonnance enlève à la compagnie l'infrastructure même dont dépend la marche future de son entreprise.
(3) S'agit-il d'une procédure contradictoire?
Le concept de la fonction judiciaire habituelle est étroitement lié à l'idée qu'il y a procès entre les parties, et il appartient à la Cour de trancher le ligite entre celles-ci.
En droit administratif, les litiges qui opposent les parties diffèrent de ceux dont connaissent les cours de justice.
A mon avis, l'espèce en est un exemple.
La demanderesse sollicite en l'espèce un privi- lège légal, celui de continuer son entreprise d'assu- rance au Canada.
II appartient au surintendant des assurances et au Ministre de protéger l'intérêt public, et, en fin de compte, le refus d'octroyer un certificat d'enre- gistrement peut être interprété comme une déci- sion rendue en faveur du grand public, qui n'est pas directement représenté à l'audience.
Bien qu'il ne s'agisse peut-être pas d'un véritable lis inter partes, il y a interpolation légale d'une procédure qui ressemble apparemment à un lis
inter partes que lord Greene, M.R., a qualifié de quasi-lis.
(4) S'agit-il d'une obligation d'appliquer les règles de fond à plusieurs cas individuels plutôt que, par exemple, de l'obligation d'appliquer une politique sociale et économique au sens large?
Le paragraphe 103.2(2) exige du Ministre qu'il étudie soigneusement les cas individuels; il tranche chaque question en tenant compte de toutes les circonstances de l'espèce, et prend les mesures autorisées qui conviennent.
Par ces motifs, les quatre critères formulés par le juge Dickson s'appliquent à la décision rendue par le Ministre. Il découle de ces critères que sa décision est une décision administrative qui est légalement soumise à un processus judiciaire ou quasi judiciaire.
Cela étant, je juge fondée l'objection prélimi- naire soulevée par l'avocat des défendeurs et selon laquelle la Division de première instance est incompétente pour connaître de l'affaire sous le régime de l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale. Le recours ouvert à la demanderesse consiste en une demande, introduite devant la Cour d'appel en vertu de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale, tendant à l'examen et à l'annula- tion de l'ordonnance du Ministre.
A la fin de l'audition de l'exception d'incompé- tence, j'ai suspendu l'audience pour trancher cette question.
Si j'estime que la loi n'exige pas que l'affaire soit tranchée par le Ministre selon un processus judiciaire ou quasi judiciaire, la Division de pre- mière instance a alors compétence.
Dans le cas contraire, et c'est mon avis, la Division de première instance est alors incompé- tente.
La Cour ayant conclu à l'incompétence de la Division de première instance pour connaître de l'affaire, la demande d'injonction interlocutoire est rejetée.
Il n'y a pas d'adjudication de dépens en faveur ni à l'encontre de l'une ou l'autre des parties.
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