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A-498-78
Les magasins Continental Ltée (appelante)
c.
La Reine (intimée)
Cour d'appel, les juges Pratte et Ryan et le juge suppléant Lalande—Montréal, 15, 16 et 19 juin 1981.
Impôt sur le revenu Calcul du revenu Compagnies associées Les cotisations de l'appelante pour les années d'imposition 1967, 1968 et 1969 ont été établies en prenant pour acquis que l'appelante et d'autres compagnies étaient associées entre elles Le juge de première instance a rejeté la contestation de ces cotisations par l'appelante Il échet d'examiner si les directives ordonnant que les compagnies soient considérées comme associées entre elles étaient invalides Il faut déterminer si le juge de première instance aurait infirmer les directives parce que la preuve révélait qu'aucun des motifs principaux de l'existence des corporations n'était de diminuer le montant de l'impôt qui aurait été autrement payable Appel rejeté Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, c. 148, art. 138A(2),(3) Règlements de l'impôt sur le revenu, DORS/54-682, art. 900(1).
APPEL. AVOCATS:
J. C. Couture, c.r., pour l'appelante. R. Roy pour l'intimée.
PROCUREURS:
Ogilvy, Montgomery, Renault, Clarke, Kirk- patrick, Hannon & Howard, Montréal, pour l'appelante.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimée.
Voici les motifs du jugement prononcés en fran- çais â l'audience par
LE JUGE PRATTE: L'appelante se pourvoit à l'encontre d'un jugement du juge Marceau de la Division de première instance [jugement non publié, T-1848-75, en date du 21/8/78] qui a rejeté l'action qu'elle avait intentée pour contester ses cotisations d'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1967, 1968 et 1969.
Ces cotisations ont été établies en prenant pour acquis que l'appelante et près de 30 autres compa- gnies avaient été associées pendant ces trois ans. Cela, parce que des directives avaient été émises en vertu du paragraphe 138A(2) de la Loi de
l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, c. 148,' ordon- nant que toutes ces compagnies soient considérées comme ayant été associées entre elles pendant ces années-là.
L'appelante prétend, comme elle l'a fait sans succès en première instance, qu'on a eu tort de la cotiser comme si elle avait été associée aux autres compagnies visées par les directives émises en vertu du paragraphe 138A(2). Cela pour deux motifs: elle affirme d'abord que les directives étaient invalides et ne pouvaient, à cause de cela, être le fondement de cotisations valables; elle affirme ensuite que les directives étaient, en fait, injustifiées et devaient être infirmées en vertu du sous-alinéa 138A(3)b)(ii):
138A. ...
(3) Sur un appel d'une cotisation établie conformément à une directive aux termes du présent article, la Commission d'appel de l'impôt ou la Cour de l'Échiquier peuvent
b) infirmer la directive si,
(ii) dans le cas d'une directive prévue au paragraphe (2), elle précise qu'aucun des principaux motifs de l'existence distincte des deux corporations ou plus est de diminuer le montant de l'impôt qui autre- ment serait payable en vertu de la présente loi; ...
Le premier moyen de l'appelante, c'est donc que les directives émises en vertu du paragraphe 138A(2) étaient invalides et ne pouvaient, en con- séquence, être la base de cotisations valables. Au soutien de ce premier moyen, l'avocat de l'appe- lante a invoqué trois arguments dont le premier seulement, semble-t-il, a été soumis au juge de première instance.
' Le texte de cette disposition est le suivant:
138A. ...
(2) Lorsque, dans le cas de deux corporations ou plus, le
Ministre est convaincu
a) que l'existence distincte de ces corporations dans une année d'imposition n'a pas pour seul objet la poursuite des affaires de ces corporations de la manière la plus efficace, et
b) que l'un des principaux motifs de cette existence dis- tincte dans l'année est la réduction du montant des impôts qui seraient autrement payables en vertu de la présente loi,
les corporations, au nombre de deux ou plus, doivent, si le Ministre l'ordonne, être considérées comme associées entre elles dans l'année.
Ce premier argument est que les directives étaient irrégulières en ce qu'elles étaient fondées sur une erreur de droit. Suivant l'avocat de l'appe- lante, il appert de la preuve que les directives ont été émises parce que leur auteur a donné une mauvaise interprétation à la décision de la Cour de l'Échiquier dans Holt Metal Sales of Manitoba Ltd c. M.R.N. [1970] R.C.É. 613. Cette erreur d'interprétation aurait consisté à croire que la Cour avait décidé dans cette cause-là que, suivant la Loi, le Ministre avant d'émettre une directive en vertu du paragraphe 138A(2) devait s'interroger sur les motifs de l'existence distincte des corpora tions concernées pendant l'année d'imposition en cause et non pas sur les motifs pour lesquels ces corporations avaient été créées. Il y a une réponse simple à cet argument. Même si l'auteur des direc tives a pu se tromper en invoquant la décision Holt Metal Sales au soutien de son interprétation de la Loi, il n'en demeure pas moins que cette interpré- tation est, comme l'a d'ailleurs reconnu l'avocat de l'appelante, juridiquement correcte. Il n'est certes pas possible d'annuler pour cause d'illégalité une directive qui est fondée sur une interprétation cor- recte de la Loi.
Le second argument invoqué par l'avocat de l'appelante pour conclure à l'invalidité des directi ves est que rien dans la preuve documentaire pro- duite n'établit que l'auteur des directives était convaincu, comme il devait l'être aux termes du paragraphe 138A(2), de l'existence des faits men- tionnés aux alinéas a) et b) de cette disposition. Cet argument me paraît démuni de tout fonde- ment. Le paragraphe 138A(2) exige bien que le Ministre, avant d'émettre une directive, soit con- vaincu de l'existence de certains faits; il n'exige pas, cependant, qu'il manifeste cette conviction par écrit ou en fasse état dans la directive qu'il émet.
Le troisième argument invoqué au soutien du premier moyen d'appel tient au fait que les directi ves dont il s'agit ici n'ont pas été émises par le Ministre lui-même, mais par un sous-ministre adjoint du Revenu national pour l'impôt sans aucune intervention du Ministre. L'avocat de l'ap- pelante ne conteste pas que le sous-ministre adjoint ait été habilité à émettre les directives en question. Il est en effet constant que le paragraphe 900(1) des Règlements de l'impôt sur le revenu,
DORS/54-682, édicté en vertu de l'alinéa 117(1)f) de la Loi, autorisait le sous-ministre adjoint du Revenu national pour l'impôt à «exercer tous les pouvoirs et remplir toutes les fonctions que la Loi attribue au Ministre.» 2 L'argument de l'ap- pelante, c'est que si le sous-ministre adjoint était bien autorisé à exercer le pouvoir que le paragra- phe 138A(2) confère au Ministre d'émettre une directive, il n'était pas autorisé à se former une conviction au lieu et place du Ministre sur les sujets dont, parlent les alinéas a) et b) de ce paragraphe. Suivant le paragraphe 138A(2), dit l'avocat de l'appelante, avant que le pouvoir d'émettre une directive puisse être exercé par le Ministre lui-même ou par une personne autorisée à agir pour lui, le Ministre doit d'abord être person- nellement convaincu de l'existence des faits men- tionnés aux alinéas a) et b). Comme il est constant que le Ministre, en l'espèce, n'était même pas au courant des faits ayant pu motiver les directives, il s'ensuit, d'après l'avocat de l'appelante, que les directives émises par le sous-ministre adjoint sont nulles. On invoque à l'appui de cet argument l'arrêt de la Cour d'appel du Québec dans Procu- reur général du Canada c. Marcotte [1975] C.A. 570, et celui de la Cour d'appel de l'Alberta dans Medicine Hat Greenhouses Ltd. c. La Reine 79 DTC 5091, concernant l'interprétation du para- graphe 244(4) de la Loi de l'impôt sur le revenu.
Ces arrêts n'ont, à mon avis, aucune application en l'espèce. Le paragraphe 138A(2) prescrit que le Ministre doit, avant d'émettre une directive, être convaincu de l'existence de certains faits. En d'au- tres mots, cette disposition en même temps qu'elle confère un pouvoir au Ministre lui impose un devoir dont l'exécution conditionne l'existence du pouvoir. Le problème à résoudre est celui de savoir
2 Le texte français du paragraphe 900(1) des Règlements est le suivant:
900. (1) Un fonctionnaire qui occupe le poste de »sous- ministre adjoint du Revenu national pour l'impôt» peut exer- cer tous les pouvoirs et remplir toutes les fonctions que la Loi attribue au Ministre.
Quant au texte anglais de cette même disposition, il se lit comme suit:
900. (1) An official holding a position of »Assistant Deputy Minister of National Revenue for Taxation» may exercise all the powers and perform all the duties of the Minister under the Act.
si le paragraphe 900(1) des Règlements autorise le sous-ministre adjoint uniquement à exercer le pou- voir que le paragraphe 138A(2) confère au Minis- tre ou s'il l'autorise aussi à accomplir, au lieu et place du Ministre, le devoir préalable que ce para- graphe impose. Je n'ai aucune difficulté à répon- dre à cette question. Aux termes du paragraphe 900(1) des Règlements, le sous-ministre adjoint est autorisé à «exercer tous les pouvoirs et remplir toutes les fonctions que la Loi attribue au Minis- tre.» Ce texte doit être interprété à la lumière de sa version anglaise: «may exercise all the powers and perform all the dulies of the Minister under the Act.» Ce Règlement, à mon avis, autorise le sous- ministre adjoint non seulement à exercer les pou- voirs du Ministre mais aussi à remplir, au lieu et place du Ministre, les devoirs que la Loi impose à ce dernier. A mon avis, le paragraphe 900(1) des Règlements permet au sous-ministre adjoint non seulement d'exercer le pouvoir du Ministre d'émet- tre une directive mais aussi d'exécuter le devoir préalable que la Loi impose au Ministre d'être convaincu des faits mentionnés aux alinéas 138A(2)a) et b). En d'autres mots, pour remplir pleinement «les fonctions» du Ministre, comme l'y autorise la version française du Règlement, il me paraît que le sous-ministre adjoint doit pouvoir non seulement émettre une directive en vertu du para- graphe 138A(2) mais aussi se former, à la place du Ministre, la conviction dont parle ce paragraphe. Je n'arriverais pas à une conclusion différente si le paragraphe 900(1) permettait seulement au sous- ministre adjoint d'exercer les pouvoirs du Ministre sans parler de ses «fonctions» ou de ses «duties». J'invoquerais alors la décision du Conseil privé dans Mungoni c. Attorney -General of Northern Rhodesia [1960] A.C. 336, et dirais que le devoir dont il s'agit ici est en réalité une limite ou une condition posée par la Loi au pouvoir d'émettre une directive et que cette limite ou condition doit être observée par celui qui exerce le pouvoir, que ce soit le Ministre lui-même ou son délégué.
Le premier moyen de l'appelante doit donc être rejeté: les directives sur lesquelles sont fondées les cotisations ne sont pas invalides.
Reste maintenant à considérer le second grief d'appel, savoir, que le premier juge aurait infirmer les directives parce que la preuve révélait
qu'aucun des motifs principaux de l'existence des corporations dont il s'agit ici n'était de diminuer le montant de l'impôt qui aurait été autrement paya ble en vertu de la Loi. A ce sujet, l'avocat de l'appelante a reconnu qu'il ne pouvait déceler aucune erreur importante dans les constatations de faits contenues dans le jugement du juge Marceau. Il a reconnu aussi qu'il ne pouvait découvrir aucune erreur de droit dans cette partie du juge- ment. Il a cependant soutenu que le juge aurait apprécier la preuve autrement qu'il ne l'a fait et qu'il aurait dû, en particulier, attacher plus d'im- portance au fait que la plupart des compagnies dont il s'agit ici avaient été créées il y a longtemps dans un but autre que celui d'obtenir un avantage fiscal. Ce reproche ne me paraît pas fondé. Qu'il me suffise de dire sur ce point que la décision attaquée me paraît basée sur une appréciation judicieuse de la preuve.
Je rejetterais donc l'appel avec dépens.
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LE JUGE RYAN y a souscrit.
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LE JUGE SUPPLÉANT LALANDE y a souscrit.
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